Notre Père:Traduction oecuménique

De Christ-Roi
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Source Maranatha, Jean-Claude Lemyze, Février 1999


Introduction

Début de 1964, une commission mixte (catholiques, orthodoxes, protestants) entreprit, dans un esprit d’œcuménisme, de faire adopter une traduction commune du " Notre Père ". La nouvelle traduction fût imposée pour Pâques 1966.


Textes des décisons

Décision catholique

IVe ordonnance de l'épiscopat français sur la liturgie

Les évêques de France, en vertu de l'article 22 de la Constitution De Sacra Liturgia et conformément aux dispositions du Motu proprio "Sacrare Liturgiam" et de l'instruction Inter OEcumenici, ont décidé ce qui suit:

Article premier – Le texte liturgique français du Pater est remplacé par celui qui est publié en annexe de la présente ordonnance.
Art. 2. – Le nouveau texte du Pater entrera dans l'usage liturgique à la vigile pascale 1966.
Art. 3. – Pour le chant du Pater en français seront seules utilisées les mélodies officielles qui seront approuvées au nom de l'épiscopat par la Commission de liturgie.


Bourges, le 29 décembre 1965.

JOSEPH. cardinal LEFEBVRE, archevêque de Bourges.


Décision oecuménique

COMMUNIQUE CONJOINT DES DIVERSES CONFESSIONS


Les autorités catholiques, orthodoxes et protestantes ont décidé d'adopter une traduction commune du Notre Père en langue française.


Ainsi, dans une commune recherche de l'unité voulue par le Christ, tous les chrétiens pourront dire ensemble la prière que leur unique Seigneur leur a enseignée.


Pour la France:

Le président de l'Assemblée plénière de l'Épiscopat catholique de France : cardinal Joseph LEFEBVRE.


Les prélats suivants, représentant les différentes juridictions de l'Église orthodoxe en France: métropolite MELETIOS; archevêque ANTOINE, de Londres ; archevêque GEORGES ; archevêque ANTOINE, de Genève.


Les présidents des Conseils des Églises luthériennes et réformées en France: Pierre BOURGUET; Marcel JOBON; Étienne JUNG; Édouard WAGNER.


La traduction adoptée est la suivante:

Notre Père qui es aux cieux,
que ton nom soit sanctifié,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui
notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses,
comme nous pardonnons aussi
à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous soumets pas à la tentation,
mais délivre-nous du Mal.


N.-B. Les catholiques de rite latin ajoutent au Notre Père, Amen. Les chrétiens d'Orient et les protestants conservent les conclusions (doxologies) qui leur sont propres.


Du côté catholique, la décision a été ratifiée par le Siège apostolique, et le texte entrera en usage dans la messe à Pâques. Du côté protestant, la ratification sera demandée aux synodes de 1966.


4 janvier 1966.


Commentaire

Historique

Dès le début de l'année 1964, des contacts avaient été pris entre diverses Églises et, sur l'avis favorable des autorités compétentes, au mois de mai de cette même année, une Commission mixte (catholiques, orthodoxes, protestants) fut constituée pour étudier la question et rechercher un accord. De nombreux exégètes furent consultés sur les points les plus difficiles, spécialement sur la sixième demande.


En juin 1964, le Synode général de l'Église évangélique luthérienne en France approuva le principe d'une version commune. En mai 1965, le Synode national de l'Église réformée de France fit de même, et donna son avis sur le texte proposé.


Durant l'été, tous les évêques catholiques de France, puis les épiscopats francophones furent consultés. L'Assemblée plénière de l'épiscopat français, ainsi que les autres épiscopats francophones ont approuvé le texte durant la dernière session du deuxième Concile du Vatican. La confirmation par le Siège apostolique a été donnée le 20 décembre 1965. Les évêques orthodoxes intéressés ont été respectivement consultés avant de donner leur accord.


Les changements textuels

Les raisons du changement

  1. Fidélité plus grande aux paroles du Seigneur. Le texte usuel des catholiques français laissait à désirer sur plusieurs points. Il est significatif que les Bibles modernes et les ouvrages d'exégèse lui ont généralement préféré d'autres traductions pour mieux serrer l'original.
  2. L'introduction du français dans la liturgie catholique entraîne des modifications dans certains textes qui servaient déjà à l'usage privé, mais dont la formulation doit être revue en fonction des exigences du culte public. Il en est ainsi du Notre Père dans la messe.
  3. L'unité des chrétiens qui, disant ensemble la prière qu'ils ont également reçue du Seigneur, est mieux manifestée et est facilitée s'ils peuvent le faire dans les mêmes termes.


Le texte nouveau et les textes anciens

Ni les catholiques ni les protestants ne possédaient de versions qui, par leur ancienneté et leur stabilité, puissent être dites "traditionnelles". Les catholiques ont usé de textes multiples jusqu'au XIXe siècle avancé. (Voir J.-C. Dhôtel, "Note sur les anciennes traductions françaises du "Pater", la Maison-Dieu, 83.) Le texte catholique du XXe siècle a été fixé pour la dernière fois en 1952. L'usage protestant a été plus stable: c'est le texte de la Bible de Segond qui, depuis près d'un siècle, a été généralement utilisé.


Le nouveau texte retient tout ce qui était commun entre les versions actuellement reçues chez les catholiques et chez les réformés, comme on peut en juger en comparant les deux textes (les italiques marquent les changements ou suppressions et les parenthèses marquent les additions):


Texte des catholiques

Notre Père, qui êtes aux cieux,
Que votre nom soit sanctifié,
Que votre règne arrive,
Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour.
Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons (...) à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous laissez pas succomber à la tentation,
mais délivrez-nous du mal.


Texte des réformés

Notre Père, qui es aux cieux,
(...) ton nom soit sanctifié,
(...) ton règne vienne,
(...) ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien.
Pardonne-nous nos offenses, comme aussi nous pardonnons (...) à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous conduis pas dans la tentation, mais
délivre-nous du Malin (ou du mal).


Les modifications

Pour les catholiques, les modifications du nouveau texte, par rapport au texte usuel, se ramènent à quatre mots, une lettre et une option stylistique.


QUATRE MOTS
  1. "Que ton règne vienne". Le mot "venir" est le terme constant de la Bible pour désigner l'avènement personnel du Seigneur et son règne ("Celui qui vient" est une expression messianique). Il est préférable au verbe "arriver" qui désigne souvent un événement impersonnel et occasionnel souvent inattendu.
  2. "Le pain de ce jour". L'adjectif grec qui est traduit ici par "de ce jour" est un mot très rare caractérisant le temps qui court ou qui va suivre immédiatement. Le sens n'est pas d'abord distributif, comme dans "quotidien" ou "de chaque jour", mais nous demandons à Dieu la nourriture (temporelle, mais aussi spirituelle) qui subvienne aux besoins présents ou imminents, nous confiant à lui pour le reste.
  3. "Comme nous pardonnons aussi". Le "aussi" traduit une particule du grec en latin: "sicut et nos") utile pour faire comprendre le vrai sens du "comme": ce n'est pas "parce que" nous pardonnons que nous attendons le pardon de Dieu; c'est à l'image de Dieu, qui est le pardon même, que nous devons pardonner, nous "aussi".
  4. "Et ne nous soumets pas à la tentation". Les versions françaises anciennes comportaient toutes "et ne nous induis pas en tentation". Le mot induire étant devenu rare et difficile, des divergences se sont introduites. La variante "ne nous laisse pas succomber à la tentation" est particulièrement défectueuse. Elle laisse à penser que la tentation n'est qu'un mal moral auquel il faut résister. Or, la tentation biblique est aussi une mise à l'épreuve voulue par Dieu. Nous le prions donc de ne pas nous placer dans une situation telle que notre fidélité envers lui soit en péril – ce qui implique de nous garder de tout péché.


UNE LETTRE

"Mais délivre-nous du Mal". La majuscule du mot Mal veut exprimer qu'il ne s'agit pas seulement ici du péché, mais aussi de celui qui est derrière le péché, l'adversaire personnel du règne de Dieu, Satan, le "Malin" ou le "Mauvais".


UNE OPTION STYLISTIQUE: le tutoiement

Le tutoiement fut d'usage commun dans le Notre Père en français jusqu'au XVIIe siècle. Il a été conservé par les protestants. Les versions bibliques le maintiennent. Il a été adopté pour la prière liturgique en français. L'usage du Notre Père dans la messe (où il est suivi de la prière "Délivre-nous, Seigneur, du mal..." et sa récitation œcuménique supposent nécessairement l'emploi du tutoiement.


CONCLUSION DE LA PRIERE

L'usage antique, dont témoigne au début du IIe siècle la Didaché, était de conclure la prière du Seigneur par une doxologie: "Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire, aux siècles des siècles". Dans la messe, la plupart des liturgies orientales comportent des conclusions analogues. Dans le rite romain, le Notre Père est suivi d'une prière développant la dernière demande, avec la conclusion habituelle à laquelle on répond Amen. En dehors de la messe, la tradition des catholiques occidentaux est d'ajouter Amen à la récitation du Notre Père. Les protestants terminent généralement la prière par la doxologie ancienne.


Signification de l'événement

Dans l'effort des chrétiens vers l'unité, l'adoption d'un texte commun pour la prière du Seigneur est un signe d'une grande portée œcuménique.


Tous ceux qui, par le baptême au nom de Jésus ont reçu l'Esprit d'adoption qui crie en eux "Père", doivent pouvoir dire ensemble "notre Père" sans que la diversité des formules les divise. Pour prier avec ses frères chrétiens, nul n'aura plus à prendre la formule de "l'autre", parce que le même Notre Père sera celui de chacun.


Grâce à cette formule, le Notre Père pourra devenir la grande et incessante prière pour l'unité, jusqu'à ce que vienne l'unité parfaite des fils du même Père, dans le Fils unique venu pour nous rassembler.


A l'occasion de cet événement, on peut espérer que par la prédication, les publications et la méditation personnelle, seront mieux mises en valeur les richesses de la prière par excellence du chrétien.