Différences entre les versions de « Le miracle de la croix blanche de Bayonne, Francis DALLAIS »

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===L'entrée des comptes de Foix et de Dunois dans la ville de Bayonne le 21 août 1451===
 
===L'entrée des comptes de Foix et de Dunois dans la ville de Bayonne le 21 août 1451===
Le samedi 21 août l451, les Comtes de Foix et de Dunois  
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Le samedi 21 août l451, les Comtes de Foix et de Dunois entrèrent dans la cité de Bayonne à la tête de leur armée victorieuse.
  
entrèrent dans la cité de Bayonne à la tête de leur armée victorieuse. «Et entrerent avec ledit Comte de Foix le grand maitre de l'hôtel du roi, le Seigneur de Lautrec, frère dudit Comte, le Seigneur de Noüailles, et le Seigneur de la Bessière, et plusieurs autres: et y en en avoit deuant eux mille archiers, que
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: « Et entrerent avec ledit Comte de Foix le grand maitre de l'hôtel du roi, le Seigneur de Lautrec, frère dudit Comte, le Seigneur de Nouailles, et le Seigneur de la Bessière, et plusieurs autres : et y en en avoit deuant eux mille archiers, que gouernoit l'Espinace.
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: « Et apres venoient deux heraux du Roy, et d'autres portans leurs cottes d'armes: et apres Messire Bertrand d'Espaigne Seneschal de Foix, armé tout en blanc, qui portoit la bannière du Roy, et chevauchoit un coursier couuert de veloux cramoisy. Apres venoit le Comte de Foix armé de blanc, monté sur un coursier moult richement habillé, et estoit empres luy son Seneschal de Beam, aussi bien monté, et richement habillé, et avoit à son cheval un chanffrain d'acier, garny d'or, et de pierres précieuses prisé à quinze mille escus, et grand nombre de gens apres luy: et sans intervalle venoient six cens lances à pied: et de l'autre part entra le Comte de Dunois, et auoit devant luy douze cens archiers: apres deux des heraulx du Roy, d'autres, portans diuerses armes. Apres venoit Messire Lamet de Saueuses monté sur un coursier, portant l'une des bannières du Roy. A icelle entrée ledit Comte de Dunois feit chevalier ledit lamet, le Seigneur de Montguyon, lean de Montmorin, et le Seigneur de Boussey. Apres ladicte bannière entra ledit Comte de Dunois tout armé au bla(n)c, et et son cheval couuert de veloux cramoisy. Apres le Seigneur Loheac Mareschal de France, le Seigneur d'Orual, et plusieurs autre grans Seigneurs, et derrière eux six cens lances. Ainsi tantost se rencontrerent pres de la grand Eglise ( la cathédrale) , et à la porte d'icelle estoient l'Esueque revesruz en pontificat, les Chanoynes, et autre ge(n)s d'Eglise reuestuz en chappes, qui les attendoient à tout les relicques : et là descendirent à pied lesdits Seigneurs, et baiserent lesdites relicques : et allerent faire leur deuotion dedans ladicte Eglise: puis s'en allerent en leur logis: et envoya le Comte de Foix la couuerture de son coursier, qui estoit de drap d'or, prisée à quatre cens escus d'or deuant nostre Dame de Bayonne, pour faire des chappes: et le lendemain, qui fut Dimanche, lesdits Seigneurs vindrent ouyr Messe en ladite Eglise: et y estoit auec eux le Seigneur d'Albreth, qui estoit entré le Samedy au soir, et apres la Messe prindrent le serment de ceux de la ville: et y fut commis Maire en icelle Messire lean le Boursier general de France, et Messire Martin Grauen Capitaine, lesquels demourere(n)t) pour gouuener ladicte ville. Et le Lundy prochain lesdits Seigneurs avec leurs gens s'en allerent au pays, à eux assigné pour uiure. » <ref>Chroniques d'Enguerran de Monstrelet, vol. 3 des Chroniques, Paris, 1603, t. 2, p. 39.</ref>
  
gouernoit l'Espinace.
 
  
Et apres venoient deux heraux du Roy, et d'autres portans leurs cottes d'armes: et apres Messire Bertrand d'Espaigne Seneschal de Foix, armé tout en blanc, qui portoit la bannière du Roy, et chevauchoit un coursier couuert de veloux cramoisy. Apres venoit le Comte de Foix armé de blanc, monté sur un coursier moult richement habillé, et estoit empres luy son Seneschal de Beam, aussi bien monté, et richement habillé, et avoit à son cheval un chanffrain d'acier, garny d'or, et de pierres précieuses prisé à quinze mille escus, et grand nombre de gens apres luy: et sans intervalle venoient six cens lances à pied: et de l'autre part entra le Comte de Dunois, et auoit devant luy douze cens archiers: apres deux des heraulx du Roy, d'autres, portans diuerses armes. Apres venoit Messire Lamet de Saueuses monté sur un coursier, portant l'une des bannières du Roy. A icelle entrée ledit Comte de Dunois feit chevalier ledit lamet, le Seigneur de Montguyon, lean de Montmorin, et le Seigneur de Boussey. Apres ladicte bannière entra ledit Comte de Dunois tout armé au bla(n)c, et et son cheval couuert de veloux cramoisy. Apres le Seigneur Loheac Mareschal de France, le Seigneur d'Orual, et plusieurs autre grans Seigneurs, et derrière eux six cens lances. Ainsi tantost se rencontrerent pres de la grand Eglise ( la cathédrale) , et à la porte d'icelle estoient l'Esueque revesruz en pontificat, les Chanoynes, et autre ge(n)s d'Eglise reuestuz en chappes, qui les attendoient à tout les relicques : et là descendirent à pied lesdits Seigneurs, et baiserent lesdites relicques : et allerent faire leur deuotion dedans ladicte Eglise: puis s'en allerent en leur logis: et envoya le Comte de Foix la couuerture de son coursier, qui estoit de drap d'or, prisée à quatre cens escus d'or deuant nostre Dame de Bayonne, pour faire des chappes: et le lendemain, qui fut Dimanche, lesdits Seigneurs vindrent ouyr Messe en ladite Eglise: et y estoit auec eux le Seigneur d'Albreth, qui estoit entré le Samedy au soir, et apres la Messe prindrent le serment de ceux de la ville: et y fut commis Maire en icelle Messire lean le Boursier general de France, et Messire Martin Grauen Capitaine, lesquels demourere(n)t) pour gouuemer ladicte ville . Et le Lundy prochain lesdits Seigneurs avec leurs gens s'en allerent au pays, à eux assigné pour uiure. » <ref>Chroniques d'Enguerran de Monstrelet, vol. 3 des Chroniques, Paris, 1603, t. 2, p. 39.</ref>
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Ainsi prit fin la reconquête de l'Aquitaine après deux cent nonante neuf ans d'occupation anglaise. Le droit du roi de France y était à nouveau respecté. Et le Ciel sanctionna la fin de cet épisode dramatique de notre histoire par un exceptionnel miracle. Nous avons voulu laisser ici parler les témoins et les contemporains du Miracle de Bayonne, pour en établir l'authenticité, fournir aux Bayonnais et à leurs amis une étude sur laquelle ils pourront s'appuyer pour répondre à ceux qui doutent, et enfin donner aux historiens sceptiques ou partisans l'occasion de réfléchir sur des textes authentiques que nul n'a le droit de feindre d'ignorer.
  
  

Version du 8 novembre 2006 à 07:37

Le miracle de la croix blanche de Bayonne, le 20 Août 1451

Francis DALLAIS

Août 1999


La reconquête du nord de la Guyenne

Carte du sud-ouest de la France vers 1300

En cet été 1451, soit vingt deux ans après la fin tragique de l'épopée johannique, le roi Charles VII est en passe de reconquérir la quasi‑totalité de son royaume. Il venait de soumettre la Normandie et la paix avait été signée à Formigny. Dès septembre 1450, le roi avait envoyé le gros de ses effectifs en Guyenne pour hâter l'heure de la reconquête entreprise par Gaston IV de Foix, dans le piémont pyrénéen. Il avait en effet assiégé le château de Mauléon défendu par le connétable de Navarre, Louis de Beaumont.

Au mois de mai 1451, le roi Charles VII étant à Tours, ordonna le comte de Dunois et de Longueville son lieutenant général pour réduire en son obéissance le pays de Guyenne. Dunois mit le siège devant Montguyon où l'avaient rejoint le comte d'Angoulême, frère du duc d'Orléans, Jehan Bureau, trésorier de France, avec six mille hommes. Montguyon tombé, l'armée de Dunois se présenta devant Blaye augmentée des renforts amenés par Pierre de Beauvoir et de Jacques de Chabannes. De plus, une flotte commandée par Jehan le Boursier avait apporté des vivres en grande quantité. La ville de Bordeaux avait armé cinq bateaux pour ravitailler les assiégés, mais Boursier les contraignit à lever l'encre et les poursuivit jusqu'en la capitale de la Guyenne. Blaye ainsi cernée par terre et par mer se rendit dès la première offensive, le 28 mai. Puis ce fut Bourg‑sur‑Gironde qui se rendit au bout de quelques jours.

Le deux juin Dunois investit Fronsac et somma Libourne de rentrer dans la paix du roi de France, ce qui fut fait. Fronsac ne voyant pas arriver les secours espérés des Anglais fit sa soumission entre les mains de Dunois. Le 12 juin, Bordeaux, dans la même situation que Libourne, signa sa capitulation après de difficiles négociations entre les mains de Poton de Xaintrailles et Dunois fit son entrée dans la ville le 30 juin. Les clefs lui furent présentées par les seigneurs de Montferrand, de Duras, de Lesparre et les jurats de Bordeaux.

"L'armée conduite par les plus grands seigneurs de France (les comtes d'Angoulême, de Nevers, d'Armagnac, le vicomte de Lautrec), fit cortège au lieutenant du roi. Dunois, précédé par le chancelier de France, Lamarche, avec le sceau du roi, et par Poton de Xaintrailles, tenant en main la bannière royale, se rendit à la cathédrale, et y jura sur le missel, tenu par l'archevêque, que le roi maintiendrait la ville et le pays dans leurs franchises, privilèges et libertés ; puis il reçut le serment de fidélité au roi Charles, prête par tous les assistants, gens d'église, nobles et bourgeois." [1]


La reconquête des places occupées au sud de l'Adour (sud de la Gascogne)

On sait combien les populations de Guyenne et de Gascogne étaient dévouées à la cause anglaise. Dès avant le début de la reconquête du Nord de ces provinces il convenait de frapper un grand coup pour impressionner les imaginations et montrer sa détermination. Le comte de Foix se transporta donc au cœur du pays basque, en Soule. Il lui avait suffit de franchir la frontière du Béarn pour s'emparer incontinent du château de Mauléon, à la tête de ses six mille hommes. Le roi de Navarre, son beau‑père, tenta de venir au secours des assiégés, mais la détermination de son gendre l'effraya et il reprit le chemin de Pampelune, abandonnant à leurs seules forces les défenseurs du château. Le comte de Luxe à la tête de ses six cents hommes vint faire sa soumission et arbora désormais la croix blanche en lieu et place de la croix rouge qu'avait toujours porté sa famille.

Mauléon pris, le comte de Foix résolut de soumettre tout le pays avoisinant le Béarn. Alors que l'armée royale conduite par les comtes d'Eu et de Dunois prenaient Mantes, Vernon, Gournay et Neufchâtel et que Rouen n'était pas encore tombée, Gaston IV marcha sur le château de Guiche, au confluent de l'Adour et de la Bidouze, une des places les mieux défendues de la Gascogne. Située à six lieues de Bayonne, cette dernière se trouverait directement menacée au cas où la forteresse tomberait. Le commandant de la place, Jean Péritz de Sainte‑Marie dépêcha deux ou trois messagers vers Dax, Bayonne, et vers les seigneurs du Labourd et de la Chalosse. Ce ne furent pas moins de quatre mille hommes qui marchèrent vers Guiche, avec à leur tête le connétable de Navarre et le maire de Bayonne, Asthley. La défaite cependant fut totale et la prise de Guiche par les Français conduisit Charles VII à nommer Gaston IV lieutenant général en Guyenne et Languedoc et lui délégua les pouvoirs les plus étendus pour la continuation de la guerre [2]. Ce début d'année 1450 laissait espérer une issue heureuse pour les intérêts français dans cette partie du royaume. "Pendant cinq ou six mois, Gaston parcourut tout le pays compris entre le golfe de Gascogne, les Pyrénées et l'Adour, allant jusqu'aux portes des principales places anglaises, et faisant trembler dans leurs murs les Bayonnais et les Dacquois. La défense en Labourd et en Chalosse était organisée avec une grande habileté et surtout une ténacité remarquable par quelques seigneurs du pays et surtout par Garcie‑Augerot de Saint‑Pé."[3]. Evidemment, Pouillon fut rapidement enlevé et fut livré aux flammes. Mais déjà les habitants du Labourd avaient envoyé au comte de Foix une délégation qu'il reçut à Belsunce, près Labastide‑Clairence et où furent signées les conventions pour la réduction du pays à l'obédience du roi de France. La soumission du Labourd correspondait à celle de la Normandie en cette première quinzaine d'août 1450. Le regard royal allait pouvoir s'étendre maintenant vers le Midi. Le roi envoya immédiatement un premier contingent sous l'autorité du comte de Penthièvre pour lancer les opérations. Le jour de la Toussaint, près de Bordeaux, au Haillan, huit mille Bordelais furent écrasés par le sire d'Orval. Les opérations furent interrompues à cause de l'hiver et ne reprirent qu'en avril suivant. En mai le comte de Foix entreprit le siège de Dax qui dura près d'un mois. Pendant ce temps Dunois prenait la direction des opérations dans le Nord de la Guyenne qui ne tarda pas à redevenir française. La Guyenne et la Gascogne étaient reconquises. Seule, indépendante et superbe, Bayonne résistait encore, ce qui contraignit Dunois à en entreprendre le siège.



Le siège et la prise de Bayone: 6 ‑ 20 Août 1451

L'armée française, en provenance de Dax, se mit en marche, composée par trois corps d'armée. Les deux premiers commandés par les comtes de Dunois et de Foix se dirigèrent vers le Sud de la ville. Gaston de Foix traversa l'Adour sans difficulté dans le but de couper les routes de Navarre. Il prit place du côté du faubourg Saint‑Léon tandis que Dunois s'installait sur les hauteurs du faubourg de Mousseroles. Le troisième corps arrivait, six jours plus tard, le douze août, placé sous l'autorité du sire d'Albret et de ses deux fils. Ils occupèrent la rive Nord de l'Adour, au faubourg Saint‑Esprit. L'ensemble des troupes françaises représentait quinze mille hommes.


Le siège de Bayone: 12 ‑ 20 Août 1451

Dès l'investissement de la place par le comte de Foix, celui ci se décida à attaquer sans attendre les renforts et la grosse artillerie. Quoique barricadé et entouré de fossés par le gouverneur de la ville, Beaumont, ce dernier ne put conserver l'avantage. Sous le concours conjugué des tirs de l'artillerie, des projectiles lancés par les couleuvrines, serpentines et ribeaudequins, Jean de Beaumont se résolut à évacuer, non sans avoir mis le feu afin que les Français n'y pussent s'installer. Les assiégés se précipitèrent alors vers la barbacane qui couvrait la porte Saint‑Léon. Les Français n'osèrent avancer plus avant. Ils éteignirent l'incendie et s'installèrent dans le faubourg tandis que Gaston de Béarn établissait son quartier général dans le couvent des Augustins, le clocher de la chapelle constituant un efficace poste d'observation. La seconde opération permit à Gaston IV de s'emparer du faubourg de Tarride, le 14 août, et du couvent des Carmes. Puis ce fut au tour de Dunois d'entrer en scène et de presser ses troupes à la limite du Bourgneuf. La grosse artillerie était annoncée pour les 17 et 18 août. Il ne manqua pas de le faire savoir aux assiégés qui, sentant combien l'étau se resserrait autour d'eux, impression encore augmentée par l'arrivée d'une flottille biscayenne armée par le roi de Castille, allié du roi de France, demandèrent à négocier. Un sauf-conduit fut accordé à l'évêque de Bayonne, ainsi qu'à quelques bourgeois, pour discuter de la capitulation avec les quatre commissaires désignés par Dunois: Jacques de Chabannes, grand maître de l'hôtel du roi; Thicaude de Valespergue, bailli de Lyon; Pierre de Beauvoir, chevalier, seigneur de Beissière et Jean le Boursier, chevalier.


Les négociations

Nous reproduisons ici la relation qu'en a donné le chroniqueur Mathieu d'Escouchy et telle que l'a restituée Jules Balasques dans un français modernisé[4] :

Don Jean de Beaumont, capitaine de la ville et cité de Bayonne, seroit rendu prisonnier à la volonté et mercy du roy Charles.
Item, demeuroient prisonniers tous les gentilshommes de la compagnée dudit don Jean, et tous les autres gentilshommes de sa dite compagnée, à la volonté des comtes de Dunois et de Clermont, lieutenants du roy Charles.
Item, au regard des dessusditz Anglois qui estoient en icelle ville, lesquels lesdits commissaires et députés vouloient que semblablement demeurassent prisonniers ceux de ladite ville, requirent à iceux lieutenants, pour ce qu'ils avoient plusieurs de leurs biens en Angleterre, qu'ils se doubtoient estre perdus si lesdits Anglois demeuroient prisonniers, qu'à ce sujet il leur pleust les délivrer; sur laquelle requeste lesdits lieutenants eurent regard à ce que dit est; et furent d'accord de leur donner et remettre iceux Anglois, sans les déclarer prisonniers; mais qu'au regard de leurs biens, ils demeureroient à la volonté et discrétion desdits lieutenants; et pareillement tous les autres biens quelconques appartenant aux Anglois, si aucuns y en avoient. Et au regard des étrangers qui pouvoient s'être retirés en ladite ville et cité, en la distance d'une lieue à la ronde, ils debvoient pareillement demeurer prisonniers, à la volonté du roy Charles. Quant aux canonniers et coulevriniers estans en ladite ville, ils demeureroient pareillement prisonniers à volonté.
Item, les gens d'église demeurerèrent en leurs bénéfices, et y furent maintenus et conservés comme auparavant ledit traité, avec tous leurs biens, meubles et héritages quelconques, en faisant serment au roy Charles ou à ses commis, d'estre doresnavant bons et loyaux subjects; et s'il y en avoit aucuns qui fussent dehors de ladite ville et cité, et ils vouloient retourner en icelle dedans cinq mois en suivant, en faisant le serment au roy Charles ès mains des ses commis, ils pouvoient retourner franchement et jouir paisiblement de leurs bénéfices et biens quelconques, sauf excepté ceux de la langue d'Angleterre.
Item, fut arresté que demeureroient francs, quittes et délivrés, tous prisonniers que ladite ville ou autres avoient ou pouvoient avoir des gens du roy Charles: et fut aussi promis qu'ils rendroient tous es scellés et obligations quelconques qu'ils pouvoient avoir des gens du roy Charles, comme cassés et nuls. Mais si aucunes dettes légitimes leur estoient deues, pour fait de prest, de marchandise ou autrement, fors du fait de la guerre, iceux de la ville les pouvoient, poursuivre afin de s'en faire payer, comme ils l'auroient peu faire avant ledit traité.
Item, furent tenus et obligés ceux de ladite ville et tous autres qui s'estoient retirés en icelle, de rendre et restituer les chevaux, harnois et habillements de guerre par eux auparavant prins sur les gens du roi Charles, avec tous les autres biens qui pouvoient retourner, appartenants à eux en ladite ville et cité de Bayonne. Et pour ce que durant ledit siège, il y eut une petite abstinence de guerre, portant qu'aucune des parties ne debvroit tirer aucun traict ne d'un côté ne d'autre, pendant laquelle toutesfois un homme d'armes de la compagnée, nommé messire Martin Gracie, chevalier, fut frappé par la teste d'un coup de couleuvrine, dont il mourut, lequel estoit allé parler à aucuns de ladite ville sous leur seureté et à leur requeste, ceux de ladite ville furent tenus et obligés de livrer aux susdits lieutenants le couleuvrinier qui tira le coup, dont punition fut prise selon le cas.
Item, que si aucuns marchands ou habitants d'icelle ville, de quelque estat qu'ils fussent, se trouvoient estre allés dehors, en Angleterre ou ailleurs, et ils vouloient retourner en icelle ou au pays, ils le pourroient faire dedans le terme de six mois, en faisant le serment comme dit est ci‑dessus; apres lequel serment fait, ils auroient pleine jouissance de leurs biens et héritages quelconques. Pendant lequel temps de six mois debvoient demeurer leurs dits biens et héritages en la garde et sous gouvernement de leurs femmes, si aucunes avoient, sinon de leurs plus proches parents ou amis. Et si leurs dites femmes ou parents vouloient avoir sauf‑conduit pour ceux qui ainsi se trouveroient absents et dehors de ladite ville et cité de Bayonne, pour revenir, par la manière susdite, ils le debvoient avoir tels que besoin seroit.
Item, demeura franchement au roy Charles toute l'artillerie, comme canons, bombardes, couleuvrines, arbalestres, et généralement toute l'artillerie appartenant au corps de ladite ville, sans rien excepter.
Item, pour le regard des privilèges, libertés et franchises de ladite ville, les habitants d'icelle s'en soumirent du tout à l'ordonnance et bon plaisir du roy Charles, et à sa bonne grâce et mercy. Et pour ce qu'après la sommation à eux faite de par le roy Charles, de mettre ladite ville en son obéissance, et que de ce ils furent refusants, par quoy il fut de nécessité de mener l'armée du roy devant icelle ville, et y tenir le siège par aucuns temps, où il convint de faire de grands mises, frais et despens, et soustenir de grands charges pour l'entretenement d'icelle armée, lesdits commissaires leur firent demande de quarante mille escus d'or; desquels ceux de la ville, après plusieurs choses distes d'un costé et d'autre, furent contents de payer vingt mille escus d'or, à deux termes, savoir: dix mille à la Toussaint ensuivant et dix mille au jour de Noël aussi après ensuivant; et de ce baillèrent caution et seureté suffisantes; et pour le regard des autres vingt mille escus, iceux habitants de Bayonne s'en soumirent et rapportèrent du tout à la bonne volonté et grac du roy, qui despuis les en fit estre quittes et les en déchargea.
Item, ceux de ladite ville furent tenus de rendre et bailler tous les biens quelconques qu'ils avoient ou pouvoient avoir, par manière de garde ou autrement, appartenants aux Anglois, tant ceux qui estoient de ladite ville, en Angleterre ou ailleurs, ès mains des commis et députés de par lesdits lieutenants, sans en recéler aucuns, sur peine d'estre tenus rebelles et désobéissants au roy Charles; et pareillement, les biens des étrangers qui demeuroient prisonniers. Et furent tenus ceux de ladite ville et cité rendre et restituer certaine somme d'argent à un nommé Jean Labourde, qui naguères avoit payé sa rançon et finance à aucuns de ladite ville.
Par le moyen auquel traité et appointement, demeurèrent lesdits gens d'église, nobles, bourgeois, manants et habitants d'icelle ville et cité de Bayonne, et ceux d'une lieue à l'environ, en faisant le serment au roy Charles d'estre dorénavant bons et loyaux subjets, avec tous leurs biens, meubles et héritages, quelque part qu'ils fussent situés et assis, en l'obéissance dudit roy Charles, et les remettant et restituant en leur bonne fame et renommée.
Ainsi, et par ceste manière, fut fait l'appointement et traité de ladite ville. Et le mardi (sic) vingtiesme jour dudit mois d'aoust de la dessusdite année, ils mirent et livrèrent ladite ville ès mains d'icelui comte de Dunois, comme lieutenant général du roy, qui en prit les clefs et la possession.


C'est le vingt août que la capitulation fut acceptée par toutes les parties en présence. Immédiatement, le seigneur de la Bessière entra pour prendre possession de la ville et du château. Mais, au matin de ce vendredi vingt août 1451 se produisit un événement extraordinaire dans le ciel de Bayonne, appelé le miracle de la Croix blanche ou miracle de Bayonne.


Le miracle de la croix blanche: 20 août 1451

Plusieurs auteurs contemporains de ce miracle le relatèrent dans leurs chroniques. Ecoutons d'abord le continuateur d'Enguerran de Monstrelet, Duclercq, seigneur de Beauvoir en Ternois:

Le vendredi vingtiesme jour dudit mois d'aoust, ung peu après soleil levant, que le jour fut bel et clair et qu'il faisoit moult beau temps, feut veue au ciel par ceulx qui estoient en l'ost du roy, et mesmement par les Anglais estans dedans Bayonne, une croix blanche, laquelle fut veue publiquement l'espace d'une demy heure. Et lors ceulx de la ville quy s'estoient le jour de devant rendus et avoient fait leurs compositions, desquels estoients bannières et pennons aux croix rouges, dirent que c'estoit le plaisir de Dieu qu'ils fussent François et qu'ils portassent tous croix blanche. Et ce jour entra dedans la ville, à l'heure de deux heures, avec l'archesveque d'icelle ville, pour prendre possession d'icelle et du chasteau, par les héraulx du roy, chascun criant: Montjoie!
Et à ceste heure, arriva la navire de Biscayens dedans le port de Bayonne, laquelle chose il faisait beau voir.


Certains historiens n'ont pas hésité à remettre en cause ce fait miraculeux et à révoquer en doute la valeur des récits des chroniqueurs, mettant en avant "la mentalité du temps et le souci du chroniqueur d'auréoler l'éclat de la victoire de l'assentiment divin et d'enrichir le merveilleux royal vingt ans après l'étonnante randonnée de Jeanne d'Arc"[5]. Il convient face à cette attitude sceptique de consulter les sources dont nous disposons sur le miracle de Bayonne. En 1863, G.du Fresne de Beaucourt publia la Chronique de Mathieu d'Escouchy, nota que le chroniqueur, comme il le dit plus bas, a emprumté ces détails à une attestation du Miracle écrite par Dunois et adressée au roi Charles VII. On trouve aussi dans la Table du Mémorial L de la Chambre des Comptes[6] l'indication d'une lettre missive du comte de Foix et de Dunois adressant au Roy, faisant mention de l'apparition d'une grande croix blanche sur la ville de Bayonne[7]. Voici le document que G. de Beaucourt a eu l'heureuse idée de publier parmi les pièces justificatives de la Chronique de Mathieu d'Escouchy[8]:

LETTRE DES COMTES DE FOIX ET DE DUNOIS AU ROI (20 AOÛT 1451)
Nostre souverain et très redoubté seigneur, nous nous recommandons à vostre bonne grâce tant humblement que faire le pouvons, et vous plaise savoir que,grâces à Nostre Seigneur, ceste cité de Bayonne est en vostre obeissance du jour d'uy à vostre grant honneur et proffit, ainsi que veoir le pourrés par le double de l'appointement faict par les diz de Bayonne que par ce pourteurs vous envoyons.
Sire, il est vray que à la proprre heure que voz gens prenoient la possession du chastel de Baionne, estant le ciel très cler et bien escuré, apparut une nue où apparoit unne grant croix blanche sur la dicte ville de Bayonne, du costel d'Espaigne; et là s'est arrestée, sans remuer ne bougiez l'espace d'une heure, et comme dient aucuns qui l'ont vehue au commancement, et estoit en forme d'ung crucifix, la couronne sur la teste, laquelle couronne se tourna puis en fleur de lis et a esté vehuy par tous les gens de cest ost, où estoient de mille à douze cens hommes de guerre Espaignoulx qui sont icy avec leurs maignies en vostre service.
Ces choses nous a samblé à tous très merveilleuse et mesmement à ceux de la ville de Baionne, les quelz, quant ils la choisirent, comme esbaïs, faisans le signe de la croix, incontinent toutes les enseignes estans sur les pourtaulx et tours où estoit la croix rouge, ostèrent et mirent jus.
Demain avons entencion faire l'entrée de la ville; et mardi partir tenans notre chemin par devers vous en la plus grant diligence que faire pourrons, au bon plaisir de Nostre Seigneur, lequel vous doint, nostre souverain et très redoubté seigneur, bonne vie et longue, et vous, nobles et haulx desirs.
Escript en nostre logis de hors Bayonne, le vendredi XXème jour d'aot.
Ainsi signé: Vos très humbles et obéissans, les comtes de Foix et de Dunoys. GASTON ET JEHAN De La Loere. :(Fragments d'une chronique du 15ème siècle, Ms. Fr. 6487, f.2).


Ce document revêt pour l'historien une importance capitale, puisqu'il s'agit du témoignage direct des acteurs de la reddition de Bayonne, informant le roi de tout ce qui s'est passé. Nul ici ne peut invoquer le caractère légendaire de ce récit puisqu'il fut écrit le jour même de l'événement qu'il relate. On voit mal comment en contester l'authenticité, sauf à mettre en doute l'objectivité et l'honnêteté des signataires de cette lettre. Evidemment notre esprit répugne à une telle démarche[9].


La médaille du miracle de Bayonne

CroixBlancheMedaille.jpg

En 1867, le savant chartiste A. Vallet de Viriville publiait une étude intitulée: Notice historique sur la Médaille [10]. Le champ droit est occupé par un écu de France en ogive renversée à trois fleurs de lis; au‑dessus, une couronne royale ouverte ou cercle fleuronné et fleurdelisé. Autour de l'écu, deux branches de rosier (emblème propre au roi Charles VII) croisées en guise de palmes. Au‑dessus un K gothique dans un carré ou un rectangle qui divise l'exergue. Cette lettre K est l'initiale du nom du prince en latin (Karolus) et s'était transmise depuis le roi Charles V, comme chiffre royal. Il est surmonté d'une couronne et placé dans un demé de lis, dit France ancien.

Sur l'avers de la médaille on peut lire dans un double cercle concentrique un quatrain qui fait office de chronogramme:

QVANT IE FAIT SANS DIFERANCE
AV PRVDENT ROI AMI DE DIEU
ON OBEISSOIT PAR TOVT EN FRANCE
FORT A CALAIS QVI EST FORT LIEV

Il convient de rappeler que la ville de Calais ne fut reprise sur les Anglais qu'un siècle plus tard, le 7 janvier 1558, sous Henri II.

Sur le revers on observe une croix vidée et fleuronnée, cantonnée de quatre fleurs de lis couronnées placées dans un compas à quatre lobes et quatre pointes. Dans le champ, quatre phylactères surmontés de la couronne royale et portant chacun cette devise: Désiré suis.

Les quatre phylactères qui portent cette inscription sont ornés chacun d'une ou deux branches de myosotis signifiant : Ne m'oubliez pas.

Au sommet le K est répété à l'identique de l'avers. On lit dans un nouveau double cercle:

DOR FIN SVIS EXTRAIT DE DUCAS
ET FVT FAIT PESANT VIII CARAS
EN LAN QVE VERRAS MOI TOURNANT
LES LETTRES DE NOMBRE PRENANT

Dans ce dernier quatrain nous est donné l'année de la frappe de la médaille, quoique d'une manière un peu sybilline. Il s'agit d'un chronogramme, espèce de rébus très usité au XVème siècle pour marquer les grands événements: une M, trois C, deux L, huit V et onze I. Ce qui donne 1000 + 300 + 100+ 40 +11 = 1451, date de la délivrance de Bayonne et de la frappe de la médaille.


L'entrée des comptes de Foix et de Dunois dans la ville de Bayonne le 21 août 1451

Le samedi 21 août l451, les Comtes de Foix et de Dunois entrèrent dans la cité de Bayonne à la tête de leur armée victorieuse.

« Et entrerent avec ledit Comte de Foix le grand maitre de l'hôtel du roi, le Seigneur de Lautrec, frère dudit Comte, le Seigneur de Nouailles, et le Seigneur de la Bessière, et plusieurs autres : et y en en avoit deuant eux mille archiers, que gouernoit l'Espinace.
« Et apres venoient deux heraux du Roy, et d'autres portans leurs cottes d'armes: et apres Messire Bertrand d'Espaigne Seneschal de Foix, armé tout en blanc, qui portoit la bannière du Roy, et chevauchoit un coursier couuert de veloux cramoisy. Apres venoit le Comte de Foix armé de blanc, monté sur un coursier moult richement habillé, et estoit empres luy son Seneschal de Beam, aussi bien monté, et richement habillé, et avoit à son cheval un chanffrain d'acier, garny d'or, et de pierres précieuses prisé à quinze mille escus, et grand nombre de gens apres luy: et sans intervalle venoient six cens lances à pied: et de l'autre part entra le Comte de Dunois, et auoit devant luy douze cens archiers: apres deux des heraulx du Roy, d'autres, portans diuerses armes. Apres venoit Messire Lamet de Saueuses monté sur un coursier, portant l'une des bannières du Roy. A icelle entrée ledit Comte de Dunois feit chevalier ledit lamet, le Seigneur de Montguyon, lean de Montmorin, et le Seigneur de Boussey. Apres ladicte bannière entra ledit Comte de Dunois tout armé au bla(n)c, et et son cheval couuert de veloux cramoisy. Apres le Seigneur Loheac Mareschal de France, le Seigneur d'Orual, et plusieurs autre grans Seigneurs, et derrière eux six cens lances. Ainsi tantost se rencontrerent pres de la grand Eglise ( la cathédrale) , et à la porte d'icelle estoient l'Esueque revesruz en pontificat, les Chanoynes, et autre ge(n)s d'Eglise reuestuz en chappes, qui les attendoient à tout les relicques : et là descendirent à pied lesdits Seigneurs, et baiserent lesdites relicques : et allerent faire leur deuotion dedans ladicte Eglise: puis s'en allerent en leur logis: et envoya le Comte de Foix la couuerture de son coursier, qui estoit de drap d'or, prisée à quatre cens escus d'or deuant nostre Dame de Bayonne, pour faire des chappes: et le lendemain, qui fut Dimanche, lesdits Seigneurs vindrent ouyr Messe en ladite Eglise: et y estoit auec eux le Seigneur d'Albreth, qui estoit entré le Samedy au soir, et apres la Messe prindrent le serment de ceux de la ville: et y fut commis Maire en icelle Messire lean le Boursier general de France, et Messire Martin Grauen Capitaine, lesquels demourere(n)t) pour gouuener ladicte ville. Et le Lundy prochain lesdits Seigneurs avec leurs gens s'en allerent au pays, à eux assigné pour uiure. » [11]


Ainsi prit fin la reconquête de l'Aquitaine après deux cent nonante neuf ans d'occupation anglaise. Le droit du roi de France y était à nouveau respecté. Et le Ciel sanctionna la fin de cet épisode dramatique de notre histoire par un exceptionnel miracle. Nous avons voulu laisser ici parler les témoins et les contemporains du Miracle de Bayonne, pour en établir l'authenticité, fournir aux Bayonnais et à leurs amis une étude sur laquelle ils pourront s'appuyer pour répondre à ceux qui doutent, et enfin donner aux historiens sceptiques ou partisans l'occasion de réfléchir sur des textes authentiques que nul n'a le droit de feindre d'ignorer.


Notes

  1. J.Balasques, Etudes historiques sur la ville de Bayonne, Bayonne, Lasserre, 1875, t. 3, p.496.
  2. Arch. des Basses‑Pyrénées, E 440
  3. H.Courteault, Gaston IV comte de Foix, vicomte souverain de Béarn, Prince de Navarre, Privat, Toulouse, 1895, pp; 149‑150
  4. J. Balasques, op. cit. , pp. 498‑503.
  5. P.Hourmat, Histoire de Bayonne des origines à la révolution française de 1789, Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne, n° 142, 1986, p. 143
  6. Arch. Nat. PP. 118
  7. L'attestation de Dunois est aussi dans le Ms. Fr. 9669 et dans les Annotations et œuvres de maistre Alain Chartier par Du Chesne, p. 848.
  8. op.cit., tome 3, pp. 307‑308
  9. Parmi les autres références d'auteurs relatant le miracle de la croix blanche de Bayonne, il convient de signaler: Histoire de Charles VII Roy de France par Jean Chartier, sous‑chantre de Saint‑Denis, Jacques Le Bouvier, dit Berry, roy d'armes, Mathieu de Coucy, et autres autheurs du temps, qui contient les choses les plus memorables, advenües depuis l'an 1422 iusques en 1461, Paris, Imprimerie royale, 1661 : J. Chartier, pp. 255‑256, Berry, p.466; Mathieu de Coucy p. 617.
  10. frappée à la Monnaie de Paris, en souvenir de l'expulsion des Anglais, de 1451 à 1460, avec huit effigies gravées sur cuivre par M. Dardel. Nous nous attarderons dans cette brève étude seulement sur la première de ces médailles.
  11. Chroniques d'Enguerran de Monstrelet, vol. 3 des Chroniques, Paris, 1603, t. 2, p. 39.