Tutoiement de Dieu:Lettre de Mgr Dozolme (1965)

De Christ-Roi
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Réflexions pastorales de S. Exc. Mgr Dozolme

Publié dans "La vie du diocèse du Puy" le 5 février 1965


Courant janvier j'ai reçu une lettre qui commençait ainsi:


MONSEIGNEUR,

« Tu ne trouves pas qu'il y a de l'abus et que tu manques de respect au bon Dieu en le tutoyant et en obligeant tous les diocésains à faire de même?

« Je m'excuse, Monseigneur, de cette forme grammaticale, irrespectueuse, mais qui vous fera toucher du doigt l'émotion et la gêne ressentie par tous les parossiens de X..., obligés de réciter les prières de la messe dans la nouvelle traduction française de la hiérarchie. »

Puis après avoir exposé quelques arguments pour justifier cette réaction, mon correspondant ajoutait:

« Je souhaite, Monseigneur, que beaucoup de vos diocésains aient le courage de vous dire leur opinion sur le tutoiement adressé à Dieu. L'Eglise de France ne doit pas contribuer à détruire, mais à maintenir la vieille politesse française dont le langage est une des manifestations tangibles. »


Après avoir réfléchi, j'ai répondu à mon correspondant. Sa lettre était une lettre sérieuse, qui traduisait une souffrance. Voici, à peu près, les remarques que je lui ai cordialement présentées.

1. Il est de fait qu'aussi bien en latin qu'en grec et en araméen c'est la deuxième personne du singulier qui est employée dans les textes bibliques, quand on s'adresse à Dieu. Cette façon de parler à Dieu en grec ou en latin était en usage depuis toujours dans les prières de la messe (Kyrie eleison, Laudamus te...).

2. II est de fait encore que par souci de fidélité les traductions modernes des textes bibliques ont gardé en français la deuxième personne du singulier pour s'adresser à Dieu. La traduction de Crampon qui date déjà du siècle dernier tutoie Dieu sans scandale. De même la traduction de l'Ecole biblique de Jerusalem dont le texte a passé maintenant dans le bréviaire, dans le missel et même dans le chant des psaumes en français: « Pitié pour moi, Seigneur, en ta bonté... »

3. Depuis longtemps, d'ailleurs, nous avons tutoyé Dieu sans éprouver de gêne ou d'étonnement dans certains de nos vieux cantiques populaires comme: « Parle, commande, régne... Je crois en toi, mon Dieu... »

4. Il n'est d'ailleurs pas juste de ramener à la deuxième personne du pluriel la seule forme de politesse! Comme on en discutait assez vivement au cours d'une assemblée plénière de l'épiscopat français, l'un de nous rappela opportunément, avec un sourire malicieux, l'opinion du cardinal Grente. L'illustre prélat, académicien, affirme que « dans la langue française, quand on s'adresse à Dieu, le tutoiement est la forme supérieure du respect ».

A l'appui de cette affirmation, je pourrais rappeler en effet que Racine, par exemple, tutoie Dieu dans Esther et Athalie. Bossuet dit « vous » à Dieu dans les Oraisons funèbres, mais il adopte le tutoiement quand il écrit en vers:

Je suis à toi Seigneur et mon coeur est rendu,
Répands dans mon esprit ton esprit ineffable (R. VALLERY-RADOT: Anthologie de la poésie catholique, p. 168.)


Et dans le Précis de grammaire historique de la langue française, un paragraphe étudie « le tutoiement, marque de suprême respect (BRUNOT-BRUNEAU: Précis de grammaire historique, édition de 1933, p. 393.) ».

5. Il est dès lors important de remarquer que dans la nouvelle traduction du missel, quand les ministres ou l'Assemblée répondent au célébrant, ils emploient le « vous » de la politesse courante: « que le Dieu tout-puissant vous fasse miséricorde... Et avec votre esprit. » De même, quand le confesseur donne l'absolution en français il dit: « Et maintenant je vous pardonne vos péchés... » Ce qui nous fait comprendre l'esprit des textes liturgiques parce qu'ils sont traduits de la Bible et qu'ils restent si proches de la poésie, parce qu'ils ont un caractère sacré dans la prière communautaire, le tutoiement qu'ils emploient pour parler à Dieu doit être compris comme une forme de « suprême respect ».

6. II faut bien convenir par ailleurs que cette question du « tu » ou du « vous » en langue liturgique n'est pas une question fondamentale. On pouvait à son sujet avoir des avis différents. Le « vous » a été conservé dans la formule si traditionnelle du Notre Père. Et si le « tu » a été adopté par l'épiscopat français, c'est qu'il a obtenu au vote la majorité des deux-tiers qui était requise, mais, sans manquer trop à la discrétion je peux dire qu'il n'a pas rallié tous les suffrages. Maintenant la question est tranchée. Notre devoir est simple.

Il faut entrer loyalement dans la réforme liturgique, comme le Pape vient encore de le recommander. Le sentiment personnel doit au besoin s'incliner devant l'esprit de foi et d'obéissance. Dans nos prières personnelles nous garderons volontiers le « vous » traditionnel de la politesse française pour parler à Dieu. Mais dans la prière liturgique nous nous appliquerons à faire du tutoiement sacré la forme supérieure de notre respect.

Et Dieu nous comprendra.


† JEAN DOZOLME,

évêque du Puy.