Différences entre les versions de « Cardinal LÉPICIER, Le Miracle »

De Christ-Roi
Aller à la navigation Aller à la recherche
Ligne 497 : Ligne 497 :
 
Les effets que nous admirons autour de nous suffisent à nous faire connaître l'existence de Dieu, sa présence dans le monde, et aussi, en quelque sorte, sa nature subjective. Ceci est d'autant plus vrai que, comme nous l'enseigne la philosophie, rien de créé ne peut, sans l'action de Dieu, continuer d'exister.  « Si la puissance divine, dit saint Augustin<ref>.Virtus Dei, ab sis quae creata sunt regendis si cessaret aliquando, simul et illorun, cessaret species, eorumque natura concideret. De Gen. ad litt., L. IV, chap. XII.</ref>, venait, même pour un seul instant, à cesser de gouverner les choses créées, non seulement leurs espèces cesseraient d'exister, mais leur nature même périrait. »<br>
 
Les effets que nous admirons autour de nous suffisent à nous faire connaître l'existence de Dieu, sa présence dans le monde, et aussi, en quelque sorte, sa nature subjective. Ceci est d'autant plus vrai que, comme nous l'enseigne la philosophie, rien de créé ne peut, sans l'action de Dieu, continuer d'exister.  « Si la puissance divine, dit saint Augustin<ref>.Virtus Dei, ab sis quae creata sunt regendis si cessaret aliquando, simul et illorun, cessaret species, eorumque natura concideret. De Gen. ad litt., L. IV, chap. XII.</ref>, venait, même pour un seul instant, à cesser de gouverner les choses créées, non seulement leurs espèces cesseraient d'exister, mais leur nature même périrait. »<br>
 
Toutefois, étant donné que l'esprit humain, mis en présence de la continuité et régularité d'un certain processus, s'y habitue au point d'en oublier la cause mouvante, ''ab assuetis non fit passio'', il est opportun qu'une interruption subite dans l'ordre établi, un fait insolite vienne réveiller l'attention du spectateur, et imprimer fortement, irrésistiblement en lui, la conviction que tous les effets du monde, du fait qu'ils sont réguliers, n'ont pas moins besoin d'un agent premier et infini, que n'en ont besoin les effets mêmes extraordinaires. L'agent premier et infini, par rapport au cours du monde, c'est précisément Dieu : donc, une interruption dans le cours habituel du monde oblige l'homme à y reconnaître la présence de Dieu, et à s'écrier avec les mages de Pharaon : ''Digitus Dei est hic<ref>. Exode, VIII, 19.</ref>''.<br>
 
Toutefois, étant donné que l'esprit humain, mis en présence de la continuité et régularité d'un certain processus, s'y habitue au point d'en oublier la cause mouvante, ''ab assuetis non fit passio'', il est opportun qu'une interruption subite dans l'ordre établi, un fait insolite vienne réveiller l'attention du spectateur, et imprimer fortement, irrésistiblement en lui, la conviction que tous les effets du monde, du fait qu'ils sont réguliers, n'ont pas moins besoin d'un agent premier et infini, que n'en ont besoin les effets mêmes extraordinaires. L'agent premier et infini, par rapport au cours du monde, c'est précisément Dieu : donc, une interruption dans le cours habituel du monde oblige l'homme à y reconnaître la présence de Dieu, et à s'écrier avec les mages de Pharaon : ''Digitus Dei est hic<ref>. Exode, VIII, 19.</ref>''.<br>
 +
« Assurément, écrit saint Augustin<ref>. Tract. XXIV in johan.</ref>, les miracles qu'accomplit Notre Seigneur Jésus-Christ sont des œuvres divines et enseignent à l'esprit humain à connaître Dieu d'après les choses visibles. Dieu n'est pas en effet une substance telle qu'on la puisse voir par les yeux du corps. D'autre part, les œuvres surprenantes qu'il déploie dans le gouvernement du monde et de toutes les créatures, pour être de tous les jours, deviennent à ce point familières, qu'elles n'excitent plus l'admiration, telle que devrait le faire la naissance d'un seul grain de blé. Dieu donc, dans sa miséricorde, s'est réservé de faire, en temps voulu, certaines œuvres en dehors du cours habituel de la nature afin que, à la vue des choses non pas plus grandes, mais plus insolites, les hommes sentent s'éveiller leur admiration demeurée comme assoupie en présence des œuvres que Dieu accomplit tous les jours. » Saint Thomas fait écho à ces paroles quand il écrit <ref>. Tract. XXIV in johan.</ref> : « Il arrive que Dieu opère quelque effet miraculeux en dehors de l'ordre de la nature, pour rappeler les hommes à la connaissance de lui-même.»<br>
 +
Il faut conclure de là à une très grande erreur chez ceux qui refusent de ne voir dans le miracle rien de plus que ce que révèle le fait le plus ordinaire ; aussi, ajoutent-ils, par le fait du miracle, l'existence de la révélation ne vient pas à sortir du domaine de l'hypothèse, autrement la foi se démontrerait par la raison<ref>. Revue du Clergé français, 15 mars 19oo, Les preuves et l'économie de la révélation.</ref>.<br>
 +
En vérité, la foi est un don de Dieu, dont la raison formelle dépend de la révélation divine ; toutefois ce don est préparé, en voie d'efficience, par des motifs de crédibilité parmi lesquels le miracle occupe la première et la principale place.<br>
 +
§ IV. - II est vrai de dire que le miracle, considéré dans sa valeur intrinsèque, ne nous donne pas, sur le fait de l'existence d'un être suprême, une preuve plus convaincante que celle fournie continuellement par le cours habituel de la nature. Il est vrai qu'une exception dans le système régulier de l'univers n'a pas en faveur de l'existence de celui qui dirige ce système, une valeur plus convaincante que ne possède le système pris en lui-même ; aussi le cardinal Newman fait-il justement observer qu'un athée convaincu ne sera jamais touché par le miracle<ref>. Two Essays on bibliçal and on ecclesiastical Miracles, London, I89o, P. II.</ref>. Cependant le miracle diffère du cours habituel de la nature en ce qu'il est plus étroitement lié à l'ordre moral que ne l'est le système régulier du monde.<br>
 +
« Les miracles, dit magnifiquement Bossuet<ref>. Discours sur l'Histoire universelle, p. II.</ref>, nous donnent l'idée véritable de l'empire suprême de Dieu, maître tout-puissant de ses créatures, soit pour les tenir sujettes aux lois générales qu'il a établies, soit pour leur en donner d'autres, quand il juge qu'il est nécessaire de réveiller par quelque coup surprenant le genre humain endormi. »<br>
 +
La succession alternée du jour et de la nuit, la révolution périodique des astres, le retour des saisons accompli avec une précision merveilleuse, en un mot la régularité des phénomènes naturels, sont assurément des choses qui proclament toutes l'existence du Créateur et célèbrent sa sagesse. Mais, une infraction inattendue à ces lois physiques, une brusque interruption dans le cours ordinaire du monde, ne peut être l'effet du hasard, et moins encore, la conséquence d'un capricieux vouloir de la part de Dieu. Un tel phénomène, au contraire, doit être ordonné pour un but spécial et précisément en faveur de ceux qui sont capables d'intelligence, c'est-à-dire en faveur de l'humanité. Un événement extraordinaire est ainsi apte à insinuer l'idée d'un gouvernement moral, qui non seulement prend soin de la marche régulière du monde physique, mais surtout qui se préoccupe de promouvoir le bien, de réprimer le mal, de protéger l'innocence, de sauvegarder les droits de la justice et de l'honnêteté, de récompenser la vertu et de punir le vice.<br>
 +
La pensée humaine, écrit le célèbre auteur anglais cité plus haut, a peut, au moyen du miracle, s'exciter à la réflexion, jusqu'à ce que la pure conviction d'un être surhumain devienne le premier pas vers la reconnaissance d'un Pouvoir Suprême. De plus, la même pensée humaine, tandis qu'elle observe la nature dans son ensemble, n'est pas capable d'en saisir tous les rapports et de comprendre ce qu'elle contient. Mais, dans les manifestations miraculeuses de la divine puissance, l'horizon est restreint ; on prend, à titre d'exemple, une partie détachée des opérations divines, et la cause finale est nettement indiquée... En outre, comme le miracle fournit en faveur du Créateur une preuve plus convaincante que ne peuvent le faire l'ordre et les lois fixes de l'univers, de même il témoigne encore avec plus d'évidence en faveur d'un Gouverneur moral. Car, tandis que la nature apporte son témoignage à l'existence de Dieu plus distinctement qu'à son gouvernement moral, un fait miraculeux, au contraire, a une influence plus directe sur ce dernier point, dont il est une preuve immédiate, tandis que la nature ne démontre que l'existence de Dieu. Il résulte de ceci que les miracles, outre qu'ils excluent l'idée de Destin et de Nécessité, ont une aptitude à secouer la conscience, à réveiller en elle un sentiment de responsabilité, à lui rappeler son devoir et à réclamer son attention sur ces signes du gouvernement divin contenus déjà dans le cours ordinaire des  faits<ref>. Card. Newman, 1. c., p. II et 12.</ref>. »<br>
 +
Le même écrivain dit ailleurs, avec beaucoup de raison, que par miracle on entend ordinairement un fait qui convainc l'esprit de la présence immédiate du Gouverneur moral du monde <ref>. Ibid., p. 253.</ref> ; et c'est pourquoi il serait faux de dire qu'une des conditions essentielles du miracle est qu'il soit fait en public, en présence de nombreux témoins et en de solennelles circonstances. Même pour un seul individu le miracle peut avoir lieu, sans que sa finalité en souffre tant soit peu. Car, si l'espérance d'obtenir, par une dérogation aux lois fixes de la nature, une faveur spéciale de Dieu est certainement un motif efficace pour exciter dans l'homme la foi dans la puissance et la bonté du Créateur, une faveur obtenue en des circonstances aussi extraordinaires ne peut manquer de réveiller en lui un vif sentiment de reconnaissance, sentiment qui le poussera à s'unir plus étroitement à Dieu, et à aimer avec plus de ferveur Celui qui s'est montré pour lui d'une telle libéralité.<br>
 +
Le but du miracle, qui est de manifester les attributs divins, de promouvoir la gloire de l'Éternel, est donc atteint, même quand il est fait en faveur d'un individu qui seul en est le témoin. Du reste, Dieu ne s'occupe-t-il pas de chacun de nous, comme si nous étions seuls au monde ?<br>
 +
Au contraire une dérogation aux lois ordinaires de la nature qui ne nous serait manifestée d'aucune façon, se verrait ainsi privée de cette fin, qui est de conduire l'homme à Dieu en lui faisant connaître plus vivement ses divins attributs : une telle dérogation, disons-nous, ne peut pas s'admettre. Comme l'enseigne saint Thomas, c'est une loi de la nature que l'ange supérieur illumine l'inférieur, et il n'arrive jamais que celui-ci soit illuminé directement par Dieu, parce qu'une telle dérogation n'aurait pas de but, les opérations angéliques ne nous étant point connues<ref>. Praetermissio ordinis, qui debetur spiritualibus substantiis in nullo pertinet ad ordinationem hominum in Deum, cum operationes angelorum non sint nobis manifestae, sicut operationes sensibilium corporum. I, Quaest. CVI, art. 3. Voir aussi dans la même partie, l'art. 2 de la Quaest. CXIII. Ceci pourtant n'empêche pas que l'âme de Jésus-Christ n'ait été illuminée immédiatement par Dieu, comme le réclamait son incomparable noblesse. Voir notre Traité De Incarnat., Quaest. XII, art. 4, n. 2 ; et notre ouvrage « De l'état et de l'opération de l'âme séparée du corps », 3me éd., chap. IV, n. 8. Il convient aussi de rappeler ici ce qu'on expliquera plus loin (chap. VII, VI), c'est-à-dire la distinction entre les miracles qui sont ordonnés à la confirmation de la foi et ceux qui sont objet de la foi, comme, par exemple la transsubstantiation; mais cette seconde classe de miracles nous est aussi manifestée, comme on le dira plus loin.</ref>.<br>
 +
Nous avons entendu plus haut le Cardinal Newman dire que le but du miracle est de manifester les attributs moraux de Dieu, dans le gouvernement du monde. Ces paroles ont besoin d'être expliquées, car ce serait une grosse erreur de les comprendre du gouvernement du monde dans l'ordre naturel. Du moment que Dieu s'est plu à élever l'homme, par sa seule libéralité, à l'ordre surnaturel, dans sa connaissance et dans son amour par la foi et la charité en cette vie, et dans la possession parfaite de lui-même dans l'autre vie, il est nécessaire de reconnaître, comme étant la fin dernière de toutes les dérogations qui surviennent dans le cours habituel de la nature, l'existence de cet ordre surnaturel, c'est-à-dire l'ordre de la grâce, avec tous les moyens institués par Dieu pour la sanctification de l'homme. C'est pourquoi, aucun miracle n'a jamais lieu en dehors de cet ordre surnaturel, ou sans qu'il ait une relation à la fin dernière, qui est de conduire l'homme à la connaissance et à l'amour de Dieu, comme étant son Sauveur et son rémunérateur. Et c'est précisément la raison pour laquelle, de règle ordinaire, le miracle n'a jamais lieu en dehors de la religion instituée par Dieu. Que si l'on veut soutenir que quelques miracles ont pu avoir lieu dans l'ancien temps en dehors de la Synagogue et, dans des temps plus récents, hors de l'Église catholique, comme nous le dirons plus tard, ceci cependant ne peut jamais avoir eu lieu sans qu'il y ait, dans le miracle, une relation à la vie éternelle et aux moyens institués par Dieu pour nous y conduire : ''Omnia Propter electos''.<br>
 +
<br>
 +
§ V. - Mais, si le but de tout miracle est d'exciter dans l'homme des sentiments de révérence et d'affection envers Dieu, auteur de l'ordre surnaturel, cela ne veut pas dire que toutes les personnes en faveur desquelles Dieu fait des prodiges, soient en réalité toujours portées à admirer et à aimer davantage les attributs divins et qu'ainsi la fin propre du miracle soit toujours atteinte. L'homme est né libre ; et comme il peut abuser de cette liberté en résistant aux impulsions du premier moteur, il peut de même encore se rendre insensible aux enseignements contenus dans les dérogations au cours habituel de la nature. Il peut en outre oublier bien vite ce qui sur le moment l'avait peut-être impressionné. Les miracles presque infinis opérés par Dieu dans le désert en faveur de son peuple, n'empêchèrent pas les Hébreux de rendre au veau d'or un culte d'adoration, et parmi les personnes que Jésus-Christ a miraculeusement guéries, combien n'y en eut-il pas qui, au jour de son délaissement, demandèrent par des cris frénétiques sa crucifixion et sa mort !<br>
 +
La méconnaissance formelle des attributs divins de la part de ceux mêmes qui ont été les témoins ou les sujets des manifestations miraculeuses n'est donc pas un signe infaillible, ni même un indice suffisant contre la vérité historique de ces manifestations. C'est pourquoi seul un sophiste, par exemple, niera que l'escabeau sur lequel l'empereur Valens voulait s'asseoir pour écrire le décret d'expulsion contre saint Basile se rompît, que des trois plumes qu'il employa pour écrire la peine de l'exil aucune ne voulût rendre l'encre et que, persistant dans son dessein impie, les nerfs de son bras droit se contractassent et que toute sa main tremblât : seul, un sophiste, disons-nous, niera ces faits historiques, sous le prétexte que cet empereur arien méconnut ensuite la justice de Dieu manifestée ouvertement par de semblables prodiges, au point de continuer à communiquer avec les hérétiques, et aller même jusqu'à les appeler au chevet de son fils gravement malade.<br>
 +
Non moins significatif est le fait raconté par des témoins dignes de foi, à propos de julien l'Apostat qui, pour donner un démenti à la parole de Notre-Seigneur prédisant la destruction du Temple de Jérusalem au point qu'il n'y resterait plus pierre sur pierre, forma le projet impie de reconstruire ce temple même, pour y instituer de nouveau le culte hébraïque qu'il considérait comme analogue au culte païen.<br>
 +
Julien, en effet, ayant fait venir, vers l'an 361, de toutes les parties de l'empire, des ouvriers à Jérusalem, ordonna à ses trésoriers d'avancer l'argent nécessaire à cette entreprise, bien qu'elle dût lui coûter des sommes considérables.<br>
 +
Déjà les ouvriers, avec une ardeur fiévreuse, avaient mis la main au travail, aidés et encouragés par des hommes et des femmes de la plus haute noblesse juive ; déjà les anciens fondements avaient été déblayés et des matériaux sans nombre s'étaient amoncelés pour l'érection du nouveau temple, quand, tout à coup, d'effroyables globes de feu sortent du sol, consumant ouvriers et instruments de travail. En même temps, un tremblement de terre violent, accompagné d'un vent furieux, fait crouler les édifices voisins, disperse les matériaux, causant la mort des personnes accourues sur les lieux du désastre. Les vêtements des juifs survivants furent vus, la nuit suivante, marqués de petites croix lumineuses que rien ne réussit à faire disparaître, tandis qu'apparaissait dans le ciel une grande croix resplendissante.<br>
 +
Malgré ces signes terribles, les juifs s'obstinèrent à reprendre le travail, poussés qu'ils étaient par les ordres de l'empereur et le désir de voir le temple surgir à nouveau ; mais chaque fois ils se virent empêchés par des phénomènes semblables. Enfin ils durent, bien malgré eux, renoncer à leur mauvais dessein. C'est ainsi qu'est demeurée sans démenti jusqu'à nos jours, la parole prophétique de Jésus-Christ, qui avait prédit que de ce monument insigne, une des merveilles du monde, il ne resterait pas pierre sur pierre<ref>. Cf. Ammian. Marcell., L. XXIII, n. I; saint Ambroise, lettr. XL; saint jean Chrysostome, In Jud., Orat. II; saint Grégoire de Nazianze, Orat. IV ; Ruff. L. I, chap. XXXVII ; Sozomen., L. V, chap. XXI.</ref>. Or, nier ce fait, disons-nous, uniquement parce que nous ne lisons pas que les juifs se soient convertis, est, à vrai dire, le propre d'un jugement faux ou déséquilibré.<br>
 +
De la même manière seul un esprit soi-disant fort, mais en réalité bien faible ou entêté, rejettera les miracles de Lourdes, pour la simple raison qu'un petit nombre d'obstinés persistent à ne pas vouloir reconnaître dans ces événements la main bienfaisante de Marie. Il opposera de même à l'évidence toujours croissante, une dénégation opiniâtre ou bien il niera l'authenticité d'une guérison, sous l'unique prétexte que celui qui en a bénéficié s'est ensuite révolté contre Dieu, en méconnaissant la grâce qu'il a reçue. Il est des esprits aveuglés à tel point que, même s'ils voyaient un cadavre déjà en décomposition revenir à la vie, ils nieraient le fait de sa mort, dans le seul but de refuser à Dieu la gloire de l'avoir ressuscité.<br>
 +
L'observation du Vénérable Bède vient ici à propos. Parlant de l'incrédulité des juifs en présence des miracles de Jésus-Christ, il dit <ref>. Alii tentantes, signum de caelo quaerebant ab eo.Vel in moyens Eliae ignem de sublimi venire cupiebant ; vel in similitudinem Samuelis tempore aestivo mugire tonitrua, coruscare fulgura imbres ruere: quasi non possent et illa calumniari, et dicere, ex occultis et varus aëris passionibus accidisse. At tu, qui calumniaris ae, quae oculis vides, manu telles, utilitate sentis, quid feceris de iis, quae de caelo venerunt? Utique respondebis, et magos in Aegypto multa signa fecisse de caello. Lib. IV, chap. XLVIII, in chap. XI  sur Luc.</ref> : « Les uns, tentant le Messie, lui demandaient un signe d'en Haut. Ou bien ils désiraient qu'il fît, comme Élie, descendre le feu du ciel, ou encore, comme au temps de Samuel, faire par un temps serein éclater le tonnerre, briller la foudre et tomber des nues des torrents d'eau ; comme s'ils n'eussent pu nier ces prodiges en les attribuant aux forces cachées qui opèrent dans les airs. Et toi, qui nies ce que voient tes yeux, ce que tu tiens dans tes mains et dont tu éprouves le bienfait, que feras-tu de ces phénomènes qui viennent du ciel ? Sans doute, répondras-tu que les Mages d'Égypte, eux aussi, ont opéré des prodiges nombreux. »<br>
 +
Mais nous pouvons passer outre et affirmer hors de doute, avec un savant écrivain que «la démonstration du surnaturel a atteint aujourd'hui le dernier degré de l'évidence<ref>. La dernière phase dans la démonstration du miracle,« Civiltà Cattolica », Ser. XV, vol. I, p. 274.<br>
 +
</ref>.»<br>
 +
<br>
 +
§ VI. - Étant donné que le but du miracle est précisément de conduire l'homme à sa fin dernière, laquelle fin consiste dans la possession de Dieu auteur de l'ordre surnaturel, nous repousserons loin de nous la pensée que Dieu veuille interrompre, par pur caprice, le cours de la nature réglé par lui avec tant de sagesse. Un simple caprice ne peut être le motif d'un si grand Souverain, d'un Maître aussi sage. Si donc nous le voyons quelquefois agir contre cet ordre ou en dehors de lui, nous nous persuaderons facilement qu'il le fait pour le seul motif d'imprimer plus fortement dans l'homme, pour l'usage duquel le monde physique a été tiré du néant, la connaissance de sa fin dernière, fin qui est Dieu même et de lui rappeler les moyens par lesquels il doit arriver à le posséder. Ces moyens, nous le savons, sont la vérité e l'honnêteté, et par-dessus tout, la foi en la doctrine de l'Eglise et des sacrements institués par Jésus-Christ pour nous aider à atteindre notre fin dernière.<br>
 +
Ce ne sera donc pas pour nous chose difficile de croire que Dieu s'interpose quelquefois comme témoin des vérités annoncées par ses prophètes ; que, dans d'autres cas, il veuille venger lui﷓même l'innocence opprimée et châtier le crime laissé impuni par la justice humaine ; que, pour preuve de la sainteté de ses serviteurs et pour nous stimuler à les imiter, il rende, grâce à leurs prières, la santé aux malades et la vie aux morts ; que, plein de pitié, il prête l'oreille aux supplications des malheureux qu'il calme soudainement des tempêtes ; qu'il fasse cesser des guerres dévastatrices ; qu'il donne à la terre une fécondité insolite ; qu'il multiplie le vin, l'huile, le froment ; que, voulant à la fois faire connaître et craindre sa Majesté divine, il fasse le ciel de bronze et de pierre les masses liquides ; qu'il ôte au soleil et à la lune leur splendeur naturelle ; qu'il ébranle la terre ou suscite parfois d'étranges et insolites phénomènes célestes.<br>
 +
En d'autres termes, nous n'hésiterons pas à admettre que Dieu, après avoir, pour la manifestation de sa gloire, créé ce vaste univers, et cela plus facilement que le potier ne fabrique ses vases, puisse, quand il veut plus spécialement faire ressortir cette gloire, interrompre soudainement le cours de la nature, au point de contraindre un homme de peu de foi ou irréfléchi à reconnaître la présence immédiate de son Créateur, principe et fin de toutes choses.<br>
 +
D'autre part, c'est pour l'homme un strict devoir de ne pas fermer les yeux à ces manifestations de la puissance divine, mais au contraire, de les étudier et d'agir conformément aux enseignements qui en découlent. Car, étant donné le droit d'autorité qui revient à Dieu sur l'homme, étant donnée également l'absolue liberté qu'a ce Souverain Seigneur de manifester aux créatures raisonnables les ordres de sa Volonté suprême au moyen des dérogations au cours de la nature, le miracle ne peut apparaître comme un fait indifférent, un simple phénomène éphémère, mais il se révèle comme l'empreinte des pieds de Dieu qui passe dans le monde.<br>
 +
Si donc c'est un devoir pour l'homme de ne pas fermer les yeux au livre toujours ouvert de la nature, mais plutôt d'étudier les vérités qu'il renferme par rapport à l'existence de Dieu, à sa simplicité, à sa perfection, à son unité, ce n'est pas un moindre devoir de lire dans le livre des dérogations au cours habituel de cette même nature et de s'écrier humblement avec Samuel <ref>. Loquere, Domine, quia audit servus tuus. 1 Reg., III, 9, 1o.</ref>: « Parlez, Seigneur, votre serviteur vous écoute. »<br>
 +
Si le sage aime à contempler les sphères célestes, semées avec une royale profusion dans les espaces éthérés, à en étudier les mouvements, à en calculer les rapports, supposant que tout à coup apparaisse dans le ciel une nouvelle étoile d'une splendeur insolite, qui, dans sa marche, vienne se poser sur une petite cabane où gît un enfant nouveau-né, ce sera le devoir de quiconque est témoin de ce météore insolite d'en suivre les traces et de rechercher quel peut être cet enfant si merveilleusement désigné. Le pieux spectateur, ayant reconnu cet enfant pour son Dieu, bien que celui-ci soit plongé dans l'abjection d'une extrême pauvreté, se prosternera devant lui et, plein d'un humble respect, il l'adorera.<br>
 +
Pareillement, si la nature nous a inspiré le désir de connaître le genre humain tel que nous le révèlent les annales de l'histoire, étant donnée la certitude que, dans les temps passés, un homme est apparu sur cette terre, annonçant une doctrine plus parfaite, se disant envoyé par Dieu pour établir une religion nouvelle, et confirmant sa mission par des miracles qui lui permettaient de dire à la face du monde, sans crainte de contradiction<ref>. Opera enim, quae dedit mihi Pater, ut perficiam, ea ipsa<br>
 +
opera, quae ego facio, testimonium perhibent de me. Jean, V, 36.</ref> : «Les œuvres que mon Père m'a donné d'accomplir, ces œuvres mêmes que je fais, rendent témoignage de moi, que c'est le Père qui m'a envoyé », ce sera le devoir de tous ceux qui viennent ainsi à le connaître, de recevoir son témoignage et de lui dire avec Nicodème<ref>. Rabbi, scimus quia a Deo venisti magister: nemo enim potest<br>
 +
haec signa facere, quae tu facis, nisi fuerit Deus eum eo.Ibid.,III, 2.</ref>: «Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu comme Docteur, car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui. »<br>
 +
Les paroles du Concile du Vatican trouvent ici leur place <ref>. Sess. III, chap. 3, de Fide.</ref> : « Afin de rendre l'hommage de notre foi conforme à la raison, Dieu a voulu ajouter aux illuminations intérieures de l'Esprit-Saint les preuves extérieures de sa révélation, c'est-à-dire les faits divins et surtout les miracles et les prophéties. Ces choses, de même qu'elles démontrent la toute-puissance et la science infinie de Dieu, sont aussi des signes très certains de la révélation divine adaptés à l'intelligence de tous. D'où il suit que Moïse et les Prophètes et Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, et lui plus que tous, ont fait un grand nombre de miracles et de prophéties d'une évidence formelle ». On lit aussi, au sujet des Apôtres : «Pour eux, étant partis, ils prêchèrent en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui l'accompagnaient <ref>. Marc., XVI, 20.</ref>». Et encore : «Ainsi a été confirmée pour nous l'Écriture prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur<ref>. 2 Petr., I, 19.</ref>.»<br>
 +
<br>
 +
§ VII. - C'est donc ainsi que le miracle rend un témoignage solennel à la vérité surnaturelle. Par contre, le miracle véritable ne pourra jamais et d'aucune manière s'accomplir pour confirmer l'erreur ou approuver le vice, Dieu étant la vérité et la bonté par essence, d'où découle, comme de son principe, tout ce qui, dans le monde, jouit de la qualité du vrai, du bien et de l'honnêteté. C'est pourquoi, étant donné que le miracle est son œuvre et une oeuvre qui a pour but la manifestation de l'ordre surnaturel, Dieu se renierait lui-même, s'il pouvait l'accomplir pour confirmer l'erreur ou approuver le vice<ref>. Le cardinal Newman n'est pas sur ce sujet d'une précision suffisante, quand il écrit que le fait d'avoir pour but la confirmation d'un principe immoral quelconque ne fait que rendre le miracle extrêmement improbable, niais non absolument faux. Two Essays, etc. ; p. 45. - Il dit cependant plus loin que le miracle, étant divin, ne pourrait sanctionner une doctrine évidemment immorale. Ibid., p. 51.</ref>.<br>
 +
Il ne faudrait pas conclure de là que Dieu ne se sert jamais d'hommes mauvais pour opérer des miracles. Cependant, même dans ce cas, son but unique est d'appuyer la vérité dont ces hommes pervers sont, malgré eux, les témoins, sans que pour cela le miracle fournisse un témoignage en leur faveur. Il importe peu à la valeur intrinsèque de la vérité, qu'elle soit annoncée par un saint prophète ou par l'âne de Balaam ; la vérité possède en elle-même sa propre justification, et c'est pour la cause de la vérité, bien plus que pour ceux qui la prêchent, que Dieu accomplit le miracle.<br>
 +
Ajoutons que, de même qu'un thaumaturge peut abuser du don de faire des miracles, comme plusieurs chrétiens de la primitive Église abusèrent du don des langues, de même aussi la sainteté n'est pas, chez un individu, la condition essentielle pour opérer de tels miracles. C'est pourquoi le même Jésus-Christ, qui ordonna d'écouter les scribes et les pharisiens parce que, assis sur la chaire de Moïse, ils annonçaient au peuple la vérité qu'ils avaient reçu mission de prêcher, dit encore aux Soixante-douze qui retournaient auprès de Lui, pleins de joie pour avoir chassé les démons : « Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; réjouissez-vous, au contraire, de ce que vos noms sont écrits dans les cieux <ref>. In hoc nolite gaudere, quia spiritus vobis subiiciuntur: gaudete autem, quod nomina vestra scripta sunt in caelis, Luc, X, 20.</ref>» voulant signifier par là que le fait d'opérer des miracles n'est pas nécessairement cause ni même signe infaillible d'une véritable sainteté, et qu'il peut se faire que ceux-là même qui, au nom de Dieu, opèrent des prodiges, ne soient pas reconnus par Lui, au dernier jour, pour ses disciples <ref>. Cf. Num, XXII, x8, suiv.; Matthieu, VII, 22.</ref>.<br>
 +
D'autre part, comme la vertu n'est pas uniquement l'apanage des chrétiens et que même un barbare ou un individu hors du corps de l'Église peut être agréable à la Divinité et pratiquer sincèrement la vertu, rien ne saurait s'opposer à ce que Dieu opère parfois des miracles en faveur d'un tel individu, non pour sanctionner son hétérodoxie, mais pour témoigner d'une qualité spéciale possédée par lui à un degré éminent. Ce n'est pas pour les chrétiens seuls que Dieu est le juste rémunérateur des mérites, mais pour tous les hommes, de même qu'il est pour tous et non pour les seuls chrétiens, le défenseur des opprimés, le protecteur des affligés, le vengeur de l'innocence.<br>
 +
C'est pourquoi nous lisons, si toutefois le fait est authentique, qu'une des vierges romaines, dites Vestales, pour preuve de sa chasteté, aurait porté dans un tamis de l'eau du Tibre jusqu'à la roche du Capitole, sans qu'il s'en répandît une seule goutte<ref>. Cf. VI de Pot., art. VI, ad 5m.</ref>. D'autre part, de graves auteurs soutiennent sérieusement l'authenticité de quelques-uns parmi les oracles sibyllins, ce qui impliquerait une intervention de Dieu chez des personnes hors de la vraie religion, dans le but, non de recommander leurs erreurs, mais de manifester la vérité que le Messie devait venir enseigner aux hommes<ref>. Voir ce que nous avons écrit dans notre traité De Incarnatione Verbi, Quaest. I, Dissert. spec., chap. II, § I, de Sibyllarum libris. Vol. I, p. 94, suiv. 2me édition.</ref>.<br>
 +
Si, au contraire, le miracle est accompli par Dieu précisément pour rendre témoignage à la bonté morale de l'un ou l'autre de ses serviteurs, ce miracle devient alors un signe certain d'une sainteté véritable. Par une intervention aussi solennelle, Dieu se rend, pour ainsi dire, garant de la vertu et de la justice de celui-ci. De cette manière, le miracle ne peut être fait qu'en faveur de celui qui possède la grâce de Dieu ; il est une prérogative de la vraie religion, car faire des miracles en faveur du vice ou d'un faux culte, équivaudrait pour Dieu à se renier lui-même. C'est pourquoi, dans les procès de canonisation des Saints, l'examen des miracles que l'on dit opérés par les serviteurs de Dieu en conséquence de prières faites en leur honneur et, par conséquent, en témoignage de leur vertu, est, d'habitude, tenu par l'Église comme une condition indispensable pour que la sainteté de ces personnages soit solennellement proclamée et que le privilège d'un culte public leur soit accordé.<br>
 +
<br>
 +
§ VIII. - Bien que le don de faire des miracles ait généralement pour but de manifester la présence de Dieu dans l'âme du thaumaturge, il y a néanmoins des cas où ce don est accordé à des individus privés de la grâce de Dieu. Mais alors, comme l'observe saint Thomas, on ne dit pas simplement que l'homme reçoit le Saint-Esprit, comme c'est le cas lorsque le thaumaturge est un saint, mais qu'il reçoit l'esprit de prophétie ou l'esprit de miracles.<br>
 +
« L'opération des miracles, dit-il<ref>. I, Quaest. XLIII, art. 3, ad 4m.</ref>, est ordonnée à la manifestation de la grâce justifiante, de même que le don de prophétie et toute grâce ''gratis data''. C'est pourquoi saint Paul nomme la grâce ''gratis data'', manifestation de l'esprit<ref>1 Cor., XII, 7.</ref>, et pour cela il est dit que l'Esprit-Saint fut donné aux Apôtres pour opérer des miracles, parce que la grâce justifiante leur fut donnée avec un signe qui la manifestait. Que si le signe de la grâce justifiante était donné sans la grâce elle-même, on ne dira pas simplement que l'Esprit-Saint est donné, mais seulement avec une certaine limitation, comme l'on dit que l'esprit de prophétie ou de miracle a été donné à quelqu'un, en tant qu'il a reçu de l'Esprit-Saint le pouvoir de prophétiser et de faire des miracles.»<br>
 +
A cette seconde catégorie appartiennent les miracles, si toutefois on peut les tenir pour authentiques, que l'on dit opérés parmi les païens, miracles auxquels fait allusion saint Augustin, précisément pour convaincre les Gentils de la possibilité des miracles opérés au sein de la religion chrétienne. « Je parle, dit-il<ref>. L. X de Civ. Dei, chap. XVI, n. 2. Cf. Tertull., Apolog., chap. XXII.<br>
 +
</ref>, de ces prodiges que l'on voit assez clairement opérés par l'œuvre et la puissance des divinités païennes. Tel est, par exemple, le fait que l'on raconte des images des dieux Pénates, qu'Énée, dans sa fuite, aurait emportées de Troie, et qui passèrent d'elles-mêmes d'un lieu à un autre ; cet autre fait d'une pierre à aiguiser, que Tarquin aurait coupée de son rasoir ; du serpent d'Épidaure, fidèle compagnon d'Esculape dans son voyage à Rome ; de ce navire, portant l'image de la mère phrygienne et rendu immobile malgré les efforts réunis des hommes et des bœufs, et néanmoins cédant à la main d'une femme qui l'avait attachée à sa ceinture, et cela pour rendre témoignage de sa chasteté ; enfin, de cette vestale, accusée de corruption, se justifiant par l'épreuve d'un crible qui conservait l'eau puisée par elle dans le Tibre.»<br>
 +
A ce propos, il ne sera pas inutile de rappeler l'enseignement du Docteur Angélique sur les modes divers dont les bons et les mauvais accomplissent, dans la nature, des choses merveilleuses. Cette doctrine limpide nous préparera à mieux comprendre la différence immense qui existe entre les vrais miracles et les œuvres qui, pour être merveilleuses, n'en sont pas moins du ressort de la nature.<br>
 +
« Parmi les miracles, dit-il<ref>. 2-2, Quaest. CLXXVIII, art. 2.</ref>, certains ne sont pas véritables, mais sont seulement le produit d'opérations fantastiques, par lesquelles l'homme est trompé, de telle sorte qu'une chose lui semble vraie, qui ne l'est pas en réalité ; par contre, d'autres sont des faits véritables, mais il leur manque le caractère de vrai miracle, parce qu'ils sont dus aux forces de quelque cause naturelle : ces deux sortes de faits peuvent être l'œuvre des démons. Au contraire, les vrais miracles ne peuvent s'opérer que par la puissance divine, car c'est Dieu lui-même qui les produit pour l'utilité de l'homme. Et ceci il le fait pour deux fins : premièrement, pour confirmer la vérité prêchée ; deuxièmement, pour démontrer la sainteté de quelque individu, sainteté que Dieu veut proposer en exemple aux hommes. »<br>
 +
Dans le premier cas, les miracles peuvent s'accomplir par le ministère de quiconque prêche la vraie foi et invoque le nom du Christ, chose qui peut se produire par l'entremise des méchants, si bien que, de cette façon, les méchants peuvent, eux aussi, produire des miracles. C'est pourquoi sur ce passage de saint Mathieu : « N'avons-nous pas prophétisé en ton nom, » etc. <ref>VII, 22.</ref>», saint Jérôme écrit « Prophétiser, faire des choses merveilleuses, ou chasser les démons, de tels faits ne se produisent pas toujours en vertu du mérite de celui qui accomplit ces merveilles ; mais c'est l'invocation du nom du Christ qui en est la cause, afin que les hommes honorent Dieu, par l'invocation duquel ces grands miracles s'accomplissent. »<br>
 +
« Dans le second cas, seuls les saints font des miracles qui ont pour but d'attester leur sainteté ; ils les font, soit pendant leur vie, soit après leur mort, par eux-mêmes, ou par l'entremise d'autres hommes. C'est ainsi qu'on lit dans les Actes des Apôtres, que « Dieu faisait des miracles par l'entremise de Paul <ref>. XIX, II.</ref> » ; et, de nouveau : « on appliquait sur les malades des mouchoirs et des ceintures qui avaient touché son corps, et les maladies les quittaient <ref>. Ibid., 12.</ref>». De même rien n'empêche que, sur l'invocation d'un Saint, des miracles s'accomplissent par un pécheur, bien qu'on ne puisse dire que ces miracles sont faits par lui, mais bien par celui dont la sainteté est attestée par ces mêmes miracles.<br>
 +
Nous pouvons, à l'appui de cette doctrine, citer l'exemple tiré de la vie d'un Saint de Palestine, surnommé Joseph Comte, mort vers le milieu du quatrième siècle. Cet homme était né Juif, et Notre Seigneur lui était apparu plusieurs fois, l'exhortant, mais en vain, à embrasser la religion chrétienne. Finalement, pour l'assurer davantage de la vérité de notre foi, il lui promit que s'il désirait accomplir lui-même quelque miracle, il n'avait qu'à invoquer son nom, et qu'il serait exaucé. Il en fut ainsi, car s'étant fait amener un fou depuis longtemps possédé du démon, il le guérit complètement par l'invocation du nom de jésus de Nazareth<ref>. Lenain de Tille.nont, Mémoires pour servir ie l'Histoire ecclés., T. VII, p. x33. S. Joseph Comte, Bruxelles, 1872.</ref>.<br>
 +
Il ne faudra donc pas rejeter un miracle ''à priori'', par le fait qu'on le voit s'accomplir par un homme d'une vie répréhensible, car la bonté morale n'est pas, dans l'instrument, une condition ''sine qua non'', pour que l'agent principal s'en serve dans la production de l'effet merveilleux. Du reste, les pécheurs ont fait parfois des miracles que les Saints eux-mêmes n'ont pas été capables d'imiter, Dieu en disposant ainsi, « afin que les faibles, dit saint Augustin, ne soient pas dupes de l'erreur très pernicieuse de croire qu'il y a dans des faits de ce genre, des dons plus grands que dans les œuvres de justice, par lesquelles on gagne la vie éternelle<ref>. Ne perniciosissimo errore decipiantur infirmi, aestimantes in talibus factis esse maiora dona, quant in operibus iustitiae quibus vita aeterna comparatur. L. LXXXIII, Quaest., q. 79.</ref> ». De même aussi, les prophéties faites par Balaam et par Caïphe, le premier, mage coupable, le second, prêtre prévaricateur, ont été, selon la juste observation de saint François de Sales<ref>. Controverses, Dise. 55.<br>
 +
</ref>, utiles à d'autres et inutiles à eux-mêmes, et ne prouvent d'aucune façon leur sainteté.<br>
 +
<br>
 +
§ IX. - Nous trouvons dans la pratique de l'Église une sanction formelle de ce que nous venons d'exposer, à savoir que le don de faire des miracles peut être possédé par des personnes d'une vie rien moins qu'édifiante. Dans le procès de canonisation des Saints, il est prescrit que l'examen des miracles attribués à un Serviteur de Dieu que l'on désire voir glorifié, soit précédé d'une recherche minutieuse des vertus pratiquées par lui durant sa vie<ref>. Code du Droit Canon, n. 2038, suiv.</ref>. La raison de cette méthode de procédure est indiquée par le célèbre jurisconsulte Lambertini, qui fut Pape sous le nom de Benoît XIV, et cette raison est que les mauvais comme les bons peuvent faire des miracles<ref>. De Beatificat. et Canoniz., P. I, chap. III, n. 2.</ref>.<br>
 +
S'il était nécessaire d'insister, on pourrait invoquer la célèbre Décrétale d'Alexandre III, ''Audivimus<ref>. Jaffé, n. 9260.</ref>'', par laquelle ce Pontife reproche à certains moines d'avoir honoré un homme qui avait été tué en état d'ivresse. Ces moines lui avaient rendu ce culte en vue des miracles qui lui étaient attribués. « Quand bien même cet individu, observe le Pape avec insistance, aurait vraiment fait plusieurs miracles, vous ne devriez pas le vénérer comme saint.<br>
 +
C'est bien là une preuve de ce que nous avons dit, que les miracles pris isolément ne prouvent rien en faveur de la sainteté d'une personne, puisque, comme l'observe Gonzales, il est certain que même des individus déshonnêtes, pris dans les liens du péché grave, ont chassé les démons et ont opéré des miracles. Du reste, comme l'écrit Maldonat, Notre-Seigneur lui-même se refusait à reconnaître comme siens ces mêmes hommes qui avaient prophétisé et chassé l'esprit malin en son nom<ref>. Matthieu, VII, 22.</ref>. Saint Paul suppose également qu'on puisse avoir une foi capable de transporter les montagnes, sans que pour cela on possède la charité<ref>. 1 Cor., XIII, 2. </ref>. Les juifs eux-mêmes, les païens et les hérétiques ont fait de vrais miracles, dit Gonzales, dans un passage auquel se réfère Lambertini et où cet auteur raconte un grand nombre de faits merveilleux.<br>
 +
Il n'y a donc pas à s'étonner si l'Église, toujours prudente, tout en laissant aux faits miraculeux la place qui leur revient, met toutefois en premier lieu, dans les procès de béatification et de canonisation, l'héroïcité des vertus, et avant de pousser plus loin la procédure, prescrit d'interroger tous ceux qui ont connu le Serviteur de Dieu, dont on demande la glorification.<br>
 +
<br>
 +
<br>
 +
CHAPITRE VI<br>
 +
<br>
 +
CE QU'EST LE MIRACLE<br>
 +
<br>
 +
1.Nature du miracle. - 2. En quel sens dit-on qu'un miracle est une couvre merveilleuse. - 3. Il doit y avoir dans le miracle quelque chose qui semble répugner à ce que l'effet soit produit. - 4. Différence entre les miracles proprement dits et ce qu'on appelle communément des grâces. - 5. Différence entre les diverses œuvres merveilleuses. - 6. Trois classes distinctes de miracles. - 7. Les œuvres correspondant aux miracles de troisième classe ne surpassent pas le pouvoir des anges. - 8. Autre classification.<br>
 +
<br>
 +
§ I. - Dans les chapitres précédents, nous avons étudié l'ordre de la Providence divine, lequel, en sa qualité de cause universelle, comprend tous les ordres particuliers des choses. De plus, en considérant le degré d'action qui appartient à Dieu comme cause universelle, et à la créature comme cause particulière, dans la production des effets naturels du monde, nous avons tiré cette conclusion, que le miracle est possible, non seulement en tant qu'il n'y a aucune répugnance intrinsèque à ce qu'une chose soit amenée directement d'une puissance éloignée à un acte qui en excède la portée, sans passer par les milieux habituels, mais encore en tant qu'il ne surpasse pas le pouvoir d'un agent infini, tel qu'est Dieu.<br>
 +
Nous avons montré, en outre, comment le miracle n'est pas une œuvre privée de finalité. Le miracle a un but, un but très élevé, celui de servir à manifester les attributs de Dieu et particulièrement de le montrer comme le Pourvoyeur et le Gouverneur surnaturel des choses humaines. De sorte que, si le cours habituel de la nature, conforme aux lois fixes qui régissent le monde, enseigne tacitement à l'homme quels sont ses devoirs envers la Divinité, une déviation au cours de ces lois, une irrégularité subite dans l'économie de la nature devient, selon la belle expression du cardinal Newman, une signature de Dieu écrite de sa main sur un message, celui-ci fût-il transmis par la bouche d'un homme<ref>. (A miracle) professes to be the signature of God to a message delivered by human instruments. Op. cit., p. 1o.</ref>.<br>
 +
Le Docteur Angélique avait écrit déjà dans le même sens : «Quand quelqu'un accomplit des œuvres qui ne peuvent être faites que par Dieu, (on croit) que ce qui est annoncé est de Dieu, de même que lorsque quelqu'un apporte des lettres scellées du cachet du roi, on regarde ce que ces lettres contiennent comme exprimant la volonté du roi »<ref>. Duos aliquis facit quae sollus Deus faseye potest, (creduntur) ea quae dicuntur, esse a Deo: sicut çum aliquis defert literas annulo regis signatas, creditur ex voluntate regis processisse quod in illis continetur. 3, Quaest.-XLII, art. I.</ref>.<br>
 +
Donc, en tant qu'il surpasse toutes les forces de la nature créée, le miracle, ainsi que l'indique l'étymologie elle-même, est une œuvre de tout point merveilleuse : ''Miraculum dicitur quasi admiratione plenum<ref>, I, Quaest. CV, art. 7,</ref>''.<br>
 +
Mais, dans le miracle, comme dans toute autre oeuvre, il faut soigneusement distinguer deux choses : l'une est l'effet, et l'autre, la cause de l'effet. Dans le miracle l'effet est sensible, évident, palpable ; la cause, au contraire, est latente, cachée ; et c'est précisément parce que la cause est cachée, que l'effet est appelé merveilleux, un miracle.<br>
 +
Cependant une occultation quelconque de la cause ne suffit pas pour que l'effet soit un miracle proprement dit. Le flottement sur l'eau d'un navire très pesant, nonobstant son armature de fer, le vol d'un avion puissant malgré le poids des matériaux dont il est construit, la reproduction du visage humain sur une feuille de papier ou de choses cachées dans un coffre, la conservation et la transmission à grande distance de la voix humaine avec ses modulations et son timbre - toutes ces choses sont des effets visibles, dont les causes sont cachées, il est vrai, mais en partie seulement, c'est-à-dire à ceux qui ignorent les multiples applications des lois physiques.<br>
 +
Saint Augustin énumère, sur l'autorité d'écrivains dignes de foi, plusieurs de ces effets naturels, que le vulgaire considérait autrefois comme des miracles, précisément parce qu'il n'en connaissait pas les causes, bien que celles-ci ne soient pas, de par leur nature, entièrement cachées.<br>
 +
Rapportons ici, à titre d'information, les propres paroles du grand Docteur<ref>. L. XXI, de Civ. Dei, chap. V, n. i.</ref>: « On dit que le sel d'Agrigente, en Sicile, jeté dans le feu, fond comme s'il était dans l'eau ; et qu'au contraire, jeté dans l'eau, il crépite comme s'il était dans le feu. Près de Garamanzia, se trouve une fontaine, si froide le jour qu'on n'en saurait boire, si brûlante la nuit, qu'on ne saurait y toucher. Dans une autre fontaine, en Épire, les torches allumées s'éteignent, et les torches éteintes s'allument. En Arcadie, se trouve une pierre que l'on nomme Asbeste, parce que une fois allumée, elle ne s'éteint plus. Le bois d'un certain figuier d'Égypte ne nage pas sur l'eau, comme les autres bois, mais il s'y plonge et, ce qui est plus merveilleux, après quelques instants de séjour au fond de l'eau, il remonte à la surface, quand l'eau dont il est pénétré devrait au contraire l'appesantir. Certaines pommes de la terre de Sodome arrivent à une apparente maturité, mais, pressées qu'elles sont par les dents, elles se réduisent en fumée et en cendre, tandis que l'écorce extérieure se couvre de rides. La pierre pyrite, de Perse, brûle la main qui la serre ; de là lui vient son nom. » Toutes ces merveilles et beaucoup d'autres semblables ne peuvent s'appeler miracles que dans un sens impropre, et non dans le sens strict et formel du mot.<br>
 +
C'est aussi dans ce sens large que doivent s'entendre les paroles que, d'après Gerson, jean XXII aurait prononcées quand il fut question de la canonisation du Docteur Angélique, Thomas d'Aquin. Quelqu'un ayant dit, en présence du Pape, que sa vie n'avait pas été particulièrement illustrée par des miracles, le Vicaire de Jésus-Christ observa : « Qu'avons-nous besoin de nouveaux prodiges ? Thomas a fait autant de miracles qu'il a composé d'articles. » C'est encore dans le même sens que nous appelons ''miracles de science'' des personnes très doctes, et les Pères, surtout de l'Église grecque, attribuent à la glorieuse Mère de Dieu, à cause de sa sublime dignité, le titre de ''miracle incompréhensible<ref>. Triod., p. 156. Apud Mai, Spicileg. Rom., t. VI.</ref>''.<br>
 +
Au contraire, que l'eau s'élève en forme de muraille, comme ce fut le cas dans la Mer Rouge pour laisser passer les Israélites<ref>. Exod., XIV. Cf. Ibid., XV; XVII; Dan., VI.</ref>, qu'une eau limpide jaillisse de la roche aride sous le coup d'une verge comme celle de Moïse, ou qu'un homme sorte sain et sauf d'une fosse de lions affamés, comme ce fut le cas pour Daniel, ce sont là des œuvres dont la cause adéquate est cachée à tous, parce que celle-ci est précisément la cause première, que nous connaissons quant à son existence, mais non quant à son essence et à son mode d'opérer. « On nomme miracle, observe saint Thomas, ce qui, pour ainsi dire, est plein d'admiration, par le fait que la cause en est simplement cachée à tous : or, cette cause, c'est Dieu »<ref>. Miraculum dicitur, quasi admiratione plenum, quod scilicet habet causam simpliciter et omnibus occultam: haec autem est Deus. i, Quaest. CV, art. 7.</ref>.<br>
 +
<br>
 +
§ II. - Notons ici que lorsqu'on dit du miracle qu'il est une oeuvre merveilleuse, cela veut dire que c'est une œuvre qui, de sa nature, est apte à exciter l'admiration, bien qu'il arrive parfois que, par suite des dispositions des témoins, elle ne l'excite pas en réalité. Cette observation est nécessaire, parce qu'il n'est pas rare qu'un fait, quelque merveilleux qu'il soit, cesse d'éveiller notre attention, par la raison qu'il est fréquemment répété. Un exemple suffira à faire comprendre ce que nous voulons dire.<br>
 +
Quoi de plus merveilleux que, dans une si grande multitude d'hommes se succédant continuellement sur la terre, chaque individu porte, avec l'uniformité du type représentant l'espèce commune, un signe distinctif imprimé sur son visage par lequel il est différencié de tous ses semblables ? Il fallait une ressemblance de forme extérieure pour que tous les hommes apparussent membres de la même famille humaine et, par cela, distincts des bêtes ; mais, sans un signe spécial imprimé sur chacun d'eux, il n'y aurait aucun moyen de distinguer un homme de l'autre. Et pourtant, cette diversité, pour merveilleuse qu'elle soit, n'est pas ce qui éveille le plus notre admiration. Personne ne s'en soucie. Au contraire, nous nous émerveillons quand, ainsi que l'observe si bien saint Augustin<ref>. L. XXI de Civit. Dei, chap. VIII, n. 3.</ref>, le cas se rencontre de deux ou trois hommes tellement semblables entre eux dans l'apparence extérieure que, ou nous les confondons tout à fait, ou nous les distinguons difficilement.<br>
 +
Nous disons donc que le miracle est une œuvre merveilleuse. Il suffit pourtant qu'elle soit merveilleuse en elle-même, bien que, pour une raison ou pour une autre, elle cesse de l'être pour nous. Or, une œuvre, quelque merveilleuse qu'elle soit en elle-même, cesse de l'être pour nous, du moment qu'elle devient de fréquente occurrence. Il s'en suit que la rareté d'une œuvre, d'un fait, ne doit pas être regardée comme un signe distinctif et certain du miracle.<br>
 +
<br>
 +
§ III. - Pour ce qui regarde l'effet, une admiration pleine et entière ne peut s'éveiller chez le témoin, s'il n'y a pas, dans la chose produite, une disposition naturelle contraire à la production de cet effet<ref>, Quaest. VI, De Pot., art. 2,</ref>. C'est pourquoi, on ne peut pas considérer comme miracles proprement dits, les effets que Dieu seul opère directement et qui ne peuvent être produits d'autre manière que par Lui, et précisément dans l'ordre même tenu par Lui. C'est ainsi que la création et la justification de l'impie, ne sont pas des miracles à proprement parler, comme on le dira plus loin.<br>
 +
En d'autres termes, pour qu'il y ait miracle, il ne suffit pas que la cause en soit cachée ; il faut encore que, dans le sujet même du miracle, il existe une sorte de répugnance naturelle à sa réalisation. A défaut de l'une ou de l'autre de ces conditions, c'est-à-dire si la cause du miracle n'est cachée que pour quelques-uns seulement et non pour tous, ou si la répugnance entre l'effet produit et la nature du sujet, n'est qu'apparente, le miraculeux n'aura pas lieu au sens strict du mot ; l'on ne sera en présence que du merveilleux pris dans un sens large et inadéquat.<br>
 +
Saint Augustin avait devant les yeux ces deux éléments d'admiration, c'est-à-dire l'ignorance de la cause et la non disposition ou répugnance du sujet à recevoir la forme déterminée, quand il décrivait le miracle comme a une chose difficile et insolite, surpassant le pouvoir de la nature et se vérifiant au delà de l'espérance de celui qui l'admire<ref>. Arduum, insolitum, supra facultatem naturae, et contra spem admirantis proveniens. Tract. VIII in Io., et L. III de Trin., chap. 5.<br>
 +
</ref>».<br>
 +
Cette description, observe saint Thomas<ref>. Quaest. VI, de Pot., art. 2.</ref>, «contient d'abord quelque chose qui excède l'ordre de la nature, quand il est dit : Dépassant le pouvoir de la nature, et c'est à cela que correspond, du côté de la chose merveilleuse, le mot difficile. Elle contient aussi quelque chose qui dépasse notre connaissance, dans ces paroles, au delà de l'espérance de celui qui l'admire, et à cette expression correspond, du côté de la chose merveilleuse, le terme insolite. L'habitude, en effet, a pour résultat de rendre les choses plus familières à notre connaissance.»<br>
 +
Saint Thomas fait ailleurs, à propos de la définition de saint Augustin, l'observation suivante<ref>. I, Quaest. CV, art. 7, ad 2m.</ref>: « Le miracle est appelé difficile, non à cause de la dignité du sujet dans lequel il s'accomplit, mais parce qu'il excède le pouvoir de la nature. Il est dit en outre insolite, non parce qu'il ne se vérifie pas fréquemment, mais parce qu'il est en dehors du cours habituel des choses. On dit encore qu'une chose est au delà du pouvoir de la nature, non seulement à cause de la substance de l'effet, mais aussi à cause du mode et de l'ordre de sa réalisation. On dit enfin que le miracle est au delà de l'espérance de la nature, et non pas au delà de l'espérance de la grâce, puisque celle-ci procède de la foi, par laquelle nous croyons à la résurrection future. »<br>
 +
Le miracle, avons-nous dit, tire son nom de l'admiration qu'il a coutume de susciter chez ceux qui en sont témoins, mais on l'appelle aussi par d'autres noms. On le nomme quelquefois, prodige, voulant par là attirer en particulier l'attention sur ce fait, que la puissance passive naturelle du sujet est dépassée par l'effet produit. On l'appelle encore signe, mot qui regarde la finalité du miracle, qui est de manifester les attributs divins. On lui donne aussi le nom de vertu, pour indiquer la grandeur de l'œuvre et la puissance de celui qui l'accomplit<ref>. Voir IIa IIae, Quaest. CLXXVIII, art. I, ad 3m.</ref>.<br>
 +
Miracle, en latin, se dit ''monstrum, ostentumn, portentum'' et ''prodigium<ref>. Cf. Exod., IV, 21.</ref>''. « L'expression ''monstrum'', dit saint Augustin<ref>. Monstra sane dicta perhibent, a rnonstrando, quod aliquid significando demonstrent ; et ostenta ab ostendendo : et portenta a portendendo, id est, praeostendendo ; et prodigia, quod porto dicant<br>
 +
id est, futura praedicant. De Civ. Dei, I.. XXI, chap. VIII, n. 5.</ref>, dérive du verbe ''monstrare'', et indique que les miracles ''montrent'', qu'ils signifient quelque chose ; l'expression ''ostentum'', vient du verbe ''ostendere'', et ''portentum'' du verbe ''portendere'', c'est-à-dire, montrer en avant ; le nom ''prodigium'' sert à indiquer que le miracle annonce de loin, ''porro'', ou encore sert à annoncer les choses futures.»<br>
 +
Ce que l'on a dit ici sert à démontrer la fausseté de ces paroles de Loisy <ref>. Revue du Clergé Français, 19oo.</ref> : «Si l'on va au fond des choses, il n'y a, sans aucun doute, dans le miracle, rien de plus que dans le plus petit des faits ordinaires ; de même que, vice versa, dans le plus petit des faits ordinaires, il n'y a rien de moins que dans un miracle. » A ce sophisme nous répondons qu'il y a dans tout miracle avéré, même dans le plus petit, quelque chose qui n'est pas dans les faits ordinaires, même les plus grands, c'est-à-dire, l'action immédiate de Dieu.<br>
 +
<br>
 +
§ IV. - Il est à propos de noter ici la différence qui existe entre un vrai miracle, tel que nous venons de le définir et ces manifestations de la divine Bonté, que nous appelons habituellement grâces ou mieux ''réponses à nos prières''.<br>
 +
Notre divin Sauveur nous exhorte à recourir à Dieu dans tous nos besoins et nous promet que tout ce que nous demanderons à son Père en son nom nous sera accordé<ref>. Si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis. Jean, XVI, 23.</ref>. Ceci, les fidèles le savent et ne manquent pas de le mettre en pratique. C'est chose ordinaire que de rencontrer par centaines et par milliers la narration de faveurs ainsi obtenues, dont beaucoup portent la marque de l'authenticité.<br>
 +
Ces grâces ne doivent pourtant pas être confondues avec le miracle. Le miracle, avons-nous dit, est une dérogation formelle à l'ordre de la nature. Dans le miracle Dieu met de côté les causes secondes ; il produit par lui-même leurs effets, de telle sorte qu'il rejoint, pour ainsi dire, avec immédiation d'agent suppôt, l'effet produit. Mais dans les grâces que Dieu nous accorde, aucune dérogation à l'ordre de la nature n'a lieu. L'effet produit, objet d'ardents désirs et de ferventes prières, est préparé et conduit à sa fin par les causes secondes elles-mêmes. Il n'y a là aucune interruption de ces causes, mais plutôt une disposition régulière et précise de ces mêmes causes à produire leur effet déterminé, de telle sorte que celui-ci paraît ne pas devoir se produire autrement. S'il y a du merveilleux dans de tels effets c'est justement l'absence de merveilleux.<br>
 +
En effet, lorsque l'homme prie Dieu et que Dieu précisément à cause de ces prières, accorde ce qu'autrement il n'aurait pas accordé, aucune interruption ne se vérifie dans le cours de la nature, aucune dérogation aux lois physiques, aucune violation de l'ordre universel. Car, dans cet ordre même, parmi les causes secondes par lesquelles Dieu avait de toute éternité décrété que de tels effets seraient produits, ces mêmes prières étaient prévues.<br>
 +
Dieu ayant, en effet, ordonné de toute éternité les causes secondes, comme facteurs pour la production d'effets déterminés, voulut toutefois que, parmi ces mêmes causes, fût aussi la prière ; et par conséquent, bien que l'ordre de la nature suive son cours régulier, néanmoins il est très vrai de dire que, sans la prière, on n'aurait pas obtenu le but désiré. C'est donc là une grâce, une réponse aux prières, bien que le tout soit préparé et conduit à sa fin par les causes secondes. C'est pourquoi, dans les grâces que Dieu accorde comme réponse aux ardentes supplications et aux prières ferventes, les causes secondes ont pleine liberté d'action, ce qui n'arrive pas dans la production du miracle.<br>
 +
Le célèbre docteur Boissarie, qui pendant bien des années dirigea le bureau des constatations médicales à Lourdes, insiste sur l'importance qu'il y a à bien distinguer ce genre de grâces des vrais miracles. « Le docteur de Saint-Maclou, écrit-il dans un article sur la grâce et le miracle, nous dit combien il est important de distinguer ces deux ordres de faits ; combien il importe de ne pas assimiler aux miracles certaines guérisons, surprenantes peut-être, mais que les médecins voient se produire partout dans les hôpitaux ou ailleurs, sans l'intervention d'aucune cause surnaturelle.<ref>. Entendez ici : sans l'intervention directe de Dieu.</ref> Faute d'attention suffisante à tenir compte d'une pareille distinction, beaucoup de nos amis, dit-il, aident ainsi les médecins plus ou moins atteints de naturalisme, à présenter comme résultat d'une illusion, victorieusement combattue par la science actuelle, la croyance aux miracles de Lourdes. Ils font ainsi servir nos erreurs à la propagation de leur doctrine, preuve d'habilité chez les uns, de légèreté chez les autres, leur coutume étant de prendre dans les livres pieux, dans les publications religieuses où malheureusement elles abondent, des grâces transformées en miracles bruyants, et de montrer que ces prétendus miracles s'expliquent naturellement sans trop de peine. On prend ainsi souvent un fait mal observé et dénaturé et l'on abuse de la confusion que l'on signale. Sous la plume d'un médecin, on relève une erreur et l'on ne veut plus rien voir d'autre ; on ne veut plus rien entendre. Si les guérisons sont l'oeuvre de Dieu, l'interprétation est l'œuvre de l'homme, et l'homme est toujours faillible. Qui pourra jamais dénombrer les erreurs commises dans tous les domaines des connaissances humaines ?<ref>. Dr Boissarie, Lourdes, histoire médicale, p. 9, 15me éd. Paris, 1891,</ref>.<br>
 +
<br>
 +
§ V. - De ce que nous avons dit sur la nature du miracle, il apparaît nettement que l'agent proportionné et seul capable de l'accomplir est l'agent infini, l'être premier et nécessaire.<br>
 +
Ce point, déjà signalé dès le début, est à la base de toute la discussion présente. C'est de ceci que nous voulons parler maintenant en attirant spécialement sur ce point l'attention du lecteur. En effet, le miracle étant, comme on l'a dit, un motif efficace de crédibilité ordonné par Dieu en faveur de notre foi, s'il était démontré avec pleine évidence qu'un miracle vrai et qui défie tout examen, peut être produit par une simple créature, un des principaux préambules de notre foi viendrait à faire défaut, et la preuve, que l'on prétendrait en tirer en faveur de la vérité de la religion chrétienne, recevrait un coup mortel. De fait, si une simple créature peut accomplir un miracle par sa propre puissance, aucune raison ne s'oppose à ce qu'elle puisse le répéter, et si elle peut faire deux miracles, il est certain qu'elle en pourra faire d'autres en nombre infini. D'où la nécessité d'établir sans conteste le principe, qu'à Dieu seul il appartient de faire des miracles par sa propre vertu.<br>
 +
Cependant, avant d'en venir à parler directement du pouvoir de Dieu sur le miracle, il sera nécessaire d'exposer, pour l'intelligence de ce qui suit et d'après les enseignements de saint Thomas<ref>. I, Quaest. CV, art. 8. Voir aussi C. G., L. III, chap. 1o1.</ref>, quelles différences existent entre un miracle et un autre, en d'autres termes, en combien de classes le miracle se divise : étude d'une importance capitale pour le discernement des œuvres merveilleuses enregistrées dans les Saintes-Écritures ou attribuées à des personnes remarquables par leurs vertus ou leur sainteté.<br>
 +
Qu'il y ait une différence entre un miracle et un autre, c'est ce qui apparaît avec évidence du fait de l'admiration plus ou moins grande que ces miracles éveillent chez les hommes, le miracle étant, de par sa nature, une œuvre apte à susciter l'admiration, précisément parce que la cause nous en est cachée.<br>
 +
Pourtant on se tromperait, si l'on voulait rechercher la cause de la différence entre un miracle et un autre dans la plus ou moins grande puissance de Dieu. La puissance de Dieu est simplement infinie et, en ce qui la concerne, aucun fait n'est extraordinaire, aucune œuvre merveilleuse. Toute œuvre, si grande qu'on veuille l'imaginer, n'est qu'un rien par rapport à la puissance de Dieu. De même, toutes les nations de la terre, avec leurs cités, leurs industries, leurs intérêts, ne sont qu'une goutte d'eau, un atome impondérable en sa présence : «Voici que les nations sont comme la goutte suspendue à un seau, elles sont réputées comme la poussière dans la balance ; voici que les îles sont la poudre menue qui s'envole.<ref>. Ecce gentes quasi stilla situlae, et quasi momentum staterae reputatae sunt, ecce insulae quasi pulvis exiguus. Isaïe, XL, 15</ref> »<br>
 +
De plus, l'infini surpasse sans mesure aucune toute chose finie. Or, la puissance divine est simplement infinie ; donc elle surpasse sans proportion tout effet créé. Ainsi donc, pour ce qui est de la puissance de Dieu, la création de la plus haute hiérarchie angélique n'est pas chose plus merveilleuse que la production du plus infime brin d'herbe.<br>
 +
Les différences entre les œuvres merveilleuses, comme aussi les divers degrés merveilleux dans les œuvres divines, doivent donc s'estimer du côté de ces œuvres elles-mêmes, eu égard à l'excès de l'œuvre par rapport au pouvoir, à la vertu et aux forces de la nature. Le miracle sera donc plus ou moins grand, suivant que l'œuvre elle-même surpassera plus ou moins la vertu, les forces ou le pouvoir de la nature.<br>
 +
Il nous faut encore observer qu'un miracle peut être plus grand qu'un autre quant à la substance de la chose, et en même temps être moindre que celui-ci quant à la solennité avec laquelle il s'accomplit, ou à l'attention qu'il éveille. C'est ainsi que faire arrêter le soleil et la lune, comme il est dit de Josué, ou faire rétrograder le soleil, comme le fit Isaïe, ou ressusciter un mort comme le firent Élie et Élisée, sont des miracles substantiellement plus grands que la division de la Mer Rouge au commandement de Moïse ; et pourtant ce miracle et les autres que fit le chef du peuple de Dieu sont plus grands en ce sens qu'ils furent faits pour tout un peuple, comme ce fut le cas précisément dans le partage de la Mer Rouge, ou encore parce qu'ils furent accomplis à la vue de tout le peuple des infidèles, comme les miracles d'Égypte. C'est là la raison pour laquelle Moïse est appelé le plus excellent de tous les Prophètes <ref>Non surrexit ultra propheta in Israel sicut Moyses quem nosset Dominus facie ad facaem, in omnibus signis atque portentis quae misit per eum ut faceret in terra Aegypti. Deuter., XXXIV, lo, II,</ref> : « Il ne s'est plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse, que le Seigneur connaissait face à face, ni quant à tous les signes et miracles que Dieu l'envoya faire dans la terre d'Égypte. »<br>
 +
Saint Thomas écrit à ce sujet <ref>. IIa II-c, Quaest. CLXXIV, art. 4, ad 2m.</ref> : « Les signes opérés par ces prophètes (Josué, Isaïe et Élie) furent plus grands quant à la substance du fait ; toutefois, les miracles de Moïse les surpassèrent par le mode de leur accomplissement, en tant qu'ils furent faits pour le peuple. »<br>
 +
« Dieu, dit encore le Docteur angélique<ref>. Quaest. Disp. de Ver., Quaest. V de Pot., art. I.</ref>, peut faire quelque chose dans les effets particuliers en dehors du cours de la nature, soit par rapport à l'être, en tant qu'il introduit dans les choses naturelles une nouvelle forme que la nature ne peut introduire, comme la forme de la gloire, ou bien dans une matière déterminée, comme la vue chez un aveugle ; ou bien encore par rapport à l'opération, en tant qu'il empêche que les opérations des choses naturelles produisent les effets qu'elles sont destinées à produire, comme ce fut le cas pour le feu qui ne brûla pas, ainsi qu'il est écrit dans Daniel<ref>. III, 50.</ref>, ou pour l'eau qui suspendit son cours, ainsi qu'il advint au Jourdain.<ref>. Jos., III, 16.</ref> »<br>
 +
Également digne de considération est la remarque que le même saint Thomas fait à propos de la préservation des trois enfants dans la fournaise <ref>. Quaest. Disp. de Ver., ibid., art, 2, ad 3m.</ref> : « On dit qu'un miracle est contre la nature, quand il reste dans la nature une disposition contraire à l'effet produit par Dieu, comme lorsque les jeunes gens furent préservés intacts dans la fournaise, tandis que le feu conservait la vertu de brûler ; ou bien comme lorsque l'eau du Jourdain arrêta son cours, tandis que demeurait en elle la force de gravité ; il en fut de même pour l'enfantement virginal. »<br>
 +
Enfin, il convient de tenir présentes à l'esprit ces paroles du Docteur angélique sur la grandeur des miracles en général. « A un degré supérieur, dit-il<ref>. C. G., L, III, chap. IoI</ref>, appartiennent ces miracles dans lesquels Dieu opère ce que la nature ne peut jamais produire ; par exemple, que deux corps se trouvent simultanément dans le même endroit, que le soleil retourne en arrière ou s'arrête, ou que la mer se sépare, pour laisser passer le peuple. Dans ces miracles eux-mêmes il existe une gradation, dans ce sens que plus grands sont les effets opérés par Dieu et plus ils sont éloignés du pouvoir de la nature, plus grand aussi est le miracle ; aussi, le fait de l'arrêt du soleil fut en réalité plus grand que celui de la division des eaux de la mer. »<br>
 +
<br>
 +
§ VVI. - Passons maintenant à examiner les différentes classes dans lesquelles le miracle se divise. Mais d'abord observons qu'un effet peut surpasser le pouvoir de la nature quant à la substance du fait, c'est-à-dire lorsque la substance de l'effet est telle que la nature ne le peut absolument pas produire.<br>
 +
Ainsi la nature est absolument incapable non seulement de faire rétrograder le soleil de dix degrés, comme le fit Isaïe<ref>. 4, Rois, XX, II</ref>, mais aussi de l'arrêter comme le fit Josué par son commandement pendant un jour entier <ref>. Josué, X, 13. Il est bien évident que quand nous disons, arrêter le soleil, ou le faire rétrograder, nous le faisons pour nous conformer à la façon de parler ordinaire.</ref>. La nature ne peut pas davantage faire que l'eau de la mer se divise et se dresse comme un mur de pierre, laissant libre passage à tout un peuple, comme il advint dans le Mer Rouge au commandement de Moïse<ref>. Exode, XIV, 17. Voir plus haut, chap. II, § 2,</ref>. De même, elle ne peut faire que deux corps se trouvent en même temps dans le même lieu, comme il arriva quand Jésus-Christ sortit du sein virginal de sa Mère, ou quand il entra dans le cénacle les portes fermées<ref>. Jean, XX, 26.</ref>. De même encore, la nature ne peut donner à un corps humain les qualités des corps glorieux, comme il advint quand le Sauveur fut transfiguré en présence de trois de ses Apôtres sur le Mont Thabor<ref>. Mathieu, XVII, 2.</ref>. De telles œuvres surpassent entièrement les forces de la nature, et occupent le premier et suprême degré parmi les miracles.<br>
 +
Deuxièmement, une œuvre merveilleuse peut surpasser le pouvoir de la nature, non quant à la substance de l'œuvre elle-même, mais quant au sujet dans lequel cette œuvre s'accomplit. C'est-à-dire, que cette œuvre peut surpasser le pouvoir de la nature ''quoad subiectum'', de sorte que la nature produise une telle œuvre, mais non pas dans tel sujet déterminé, mais dans un autre. A cette classe appartient, par exemple, le fait du mort, que des passants jetèrent dans le sépulcre d'Élisée et qui revint à la vie au contact des ossements de ce saint homme<ref>. 4, Rois, XLII, 21.</ref>, ou bien encore la guérison de l'aveugle-né, à qui Jésus-Christ donna la vue, rien qu'en lui touchant les yeux avec de la terre imbibée de sa salive<ref>. jean, IX, 6.</ref>. Car la nature donne bien la vie, mais pas à un corps mort ; elle donne également la vue, mais pas à un aveugle. Ces miracles occupent le second degré.<br>
 +
Notons ici, afin d'éviter toute équivoque, que lorsque nous disons que la nature donne la vie, mais non à un corps mort, on ne doit pas entendre par là que la nature peut donner la vie à quelque autre matière, en dehors de celle d'un cadavre. Le sens de ces paroles est que le sujet, auquel la nature donne la vie, la possède déjà en puissance, comme la possède la semence. Car la nature ne fait que réduire en acte la disposition de cette semence à la vie, laquelle disposition manque évidemment dans un cadavre.<br>
 +
En troisième lieu, viennent les miracles qui ne surpassent le pouvoir de la nature ni quant à la substance du fait, ni quant au sujet dans lequel ils sont opérés, mais seulement quant à la manière dont ils sont opérés, ou à l'ordre observé dans leur accomplissement, ''quoad modum''. De tels effets sont produits par la nature et dans un tel sujet, non cependant dans le même ordre, ou de la même manière.<br>
 +
Par exemple, la nature guérit bien la fièvre, mais seulement en des circonstances déterminées, c'est-à-dire en suivant un ordre régulier, après telle période de temps et souvent aussi non sans le secours de la médecine. La nature, en effet, ne peut rendre la santé à un fiévreux, sans expulser la cause de la maladie, c'est-à-dire l'excès de la chaleur avec les dispositions pathologiques qui l'accompagnent. De même la nature produit la pluie, mais en condensant, sous l'action d'agents proportionnés et dans une suite déterminée de changements, les molécules de la vapeur d'eau. Au contraire, dans les miracles de cette classe, l'effet est produit sans que cet ordre soit suivi et sans les dispositions préalables, sans l'usage d'aucun remède, et sans passer par aucune crise, comme lorsque Notre Seigneur délivra instantanément et par son seul commandement, la belle-mère de Simon<ref>. Luc., IV, 39.</ref>, ou quand, aux prières de Samuel <ref>. r Rois, XII, 18.</ref> et à celles d'Élie<ref>. 3 Rois, XVIII, 45.</ref>, le ciel, jusqu'alors de bronze, s'ouvrit et répandit une pluie torrentielle. De telles dérogations tiennent la dernière place parmi les miracles.<br>
 +
L'on voit ici comment répondre à ce sophisme de Jean-Jacques Rousseau <ref>. Lettres écrites de la Montagne, P. I, I. 3me.</ref> : «Je ne sais si l'art de guérir a été trouvé, ni si on doit le trouver un jour. Ce que je sais, c'est qu'il n'existe pas en dehors de la nature. Il est aussi naturel qu'un homme guérisse, qu'il l'est qu'il tombe malade. Il peut aussi bien guérir subitement que mourir subitement. » Oh, la belle trouvaille ! Il est tout aussi naturel à l'homme de mourir subitement qu'il l'est de guérir subitement ! Pauvre Jean-Jacques !<br>
 +
<br>

Version du 3 décembre 2006 à 16:44




Title page



Fichier:Le Miracle par le cardinal LepicierCHR 01.png
Cardinal LÉPICIER, O. S. M.

LE MIRACLE

SA NATURE, SES LOIS, SES RAPPORTS
AVEC L'ORDRE SURNATUREL

TRAITÉ PHILOSOPHICO-THÉOLOGIQUE

TRADUCTION FRANÇAISE
DE CHARLES GROLLEAU

Sur la troisième édition italienne

« Nicodème dit à jésus : Maître, nous savons
que vous êtes venu de la part de Dieu comme
docteur, car personne ne saurait faire les miracles
que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui. »
Jean, III, 2.

AUX SEPT GLORIEUX SAINTS
BONFILS BONAJUNTA MANETTO AMÉDÉE
SOSTÈNE HUGO ALEXIS
QUI
SUR L'ORDRE DE MARIE
ONT FONDÉ
IL Y A SEPT SIÈCLES
AU MILIEU DES PLUS ÉCLATANTS MIRACLES
LA SAINTE FAMILLE
DE SES SERVITEURS
O. D. C.


PRÉFACE

Il n'est pas rare d'entendre des gens - et parmi eux, des hommes au jugement sain - se lamenter sérieusement de l'absence de miracles dans les temps modernes. Ils déplorent vivement qu'à l'heure où l'esprit de foi s'affaiblit et où l'incrédulité grandit chaque jour, il n'y ait pas, comme au début surtout de la fondation de l'Église, des signes surnaturels à opposer comme une digue à cette marée croissante de l'infidélité. Cette lamentation, autrefois si familière aux juifs, sort volontiers des lèvres de bien des fidèles, refrain obligé de leurs conversations :
Où sont les merveilles (du Seigneur) que nous ont racontées nos pères 1 [1]?
À vrai dire, il faut avoir fermé les yeux à l'évidence, pour s'abandonner de nos jours à de telles lamentations. Parmi tous les siècles, le nôtre restera célèbre précisément par les dérogations survenues dans le cours naturel des choses et par les signes et les manifestations d'un ordre supérieur à celui du monde où nous vivons. Ce n'est pas trop de dire que, du nord au midi, de l'orient à l'occident, la terre est tout entière parcourue et pour ainsi due animée par l'esprit des prodiges, comme par un courant bienfaisant. Lourdes en France, Pompéi en Italie, la Guadaloupe au Mexique, Sainte-Anne de Beaupré au Canada, pour ne rien dire d'une multitude d'autres sanctuaires répartis sur la surface du globe, en rendent témoignage. Dans tous ces endroits, le merveilleux est devenu chose si commune, qu'il semble être plutôt la loi ordinaire qu'une exception ; aussi, plus que jamais se trouve avéré le dire du grand poète:
Et quel temps fut jamais si fertile en miracles [2]

Toutefois, malgré la surabondance et l'authenticité de ces miracles - authenticité scrupuleusement établie - bien des gens persistent encore à ne pas vouloir admettre - ne disons pas l'existence - mais la simple possibilité de ces interventions spéciales de Dieu, dans le cours régulier de la nature.
Certes, il fallait s'attendre à ces négations obstinées, négations qui rendront tristement célèbre l'histoire de notre époque. Préparé de longue date par les faux systèmes de philosophie en vogue dans certaines écoles, ce scepticisme devait croître et mûrir sous l'influence des théories modernes. Il était bien naturel que le doute universel, prôné par quelques philosophes comme base dans la recherche de la vérité, aboutît à l'identification absolue du « oui » et du « non », qui caractérise les systèmes rationalistes allemands.
Par ailleurs, les nombreuses découvertes obtenues récemment dans le domaine des sciences physiques devaient naturellement renforcer - bien à tort certainement - cette tendance à l'incrédulité. D'abord surpris et comme désorientés, les esprits cédèrent bien vite à l'ivresse de l'orgueil, au point de regarder comme la caractéristique d'un esprit fort, d'un esprit qui se possède, le fait de rejeter catégoriquement tout ce qui est d'ordre spirituel et surnaturel. Et c'est précisément cette négation de la réalité objective des faits surnaturels qui est à la base de tout ce système moderniste qui a fait tant de bruit dans ces dernières années, et dont les échos sont loin d'être étouffés. Pour Alfred Loisy, l'un des principaux tenants de ce système, l'institution de l'Église n'est pas un fait d'ordre historique. Ce que l'historien perçoit directement, c'est la foi en cette institution, la foi au Christ qui a fondé l'Église[3].
Étrange contradiction ! Tandis qu'on reniait tout ce qui échappe aux sens, on devenait le jouet de pratiques vaines et superstitieuses. Au moment même où l'on excluait toute action de Dieu dans le monde, on se soumettait, comme de vils esclaves, à l'influence des esprits d'outre-tombe et ce commerce devenait l'occupation la plus importante et le divertissement quotidien. C'est alors que l'Église fut remplacée par les temples de la déesse raison et les assemblées religieuses par des rendez-vous spirites. A la sainteté des rites chrétiens succédèrent les orgies des bacchantes, aux sacrifices offerts au vrai Dieu, le culte de Lucifer. L'on détruisit, sans édifier.
A l'heure actuelle un réveil se fait sentir. Les esprits les moins souillés par le vice se fatiguent de rester suspendus au-dessus de l'abîme de la négation. Déçus dans leur attente, affamés d'une nourriture plus solide que celle des formules mathématiques, de la vapeur des machines ou des distillations spiritueuses, ils cherchent de nouveau l'aliment qui seul peut les rassasier. Ils ont faim de la vérité et de la vérité révélée.
Cependant, la voie qui mène à la révélation ne peut être la révélation elle-même. Une même chose ne peut être à la fois moyen et terme d'action. C'est un cercle vicieux - et, qui ne s'en aperçoit pas ? - que de vouloir prouver l'existence d'une révélation, en s'appuyant exclusivement sur cet argument : « Dieu l'a dit » .
Quelle est donc la voie qui conduit à la révélation ? Cette voie nous la trouvons précisément dans la connaissance des miracles, c'est-à-dire dans ces signes extraordinaires que les sens humains peuvent percevoir et que Dieu a coutume de susciter en faveur de la vérité révélée. Ce n'est sans doute pas la voie unique, mais c'est une des voies principales. C'est pour cela que les miracles constituent un si puissant motif de crédibilité en faveur de la révélation.
Je vois avec mes yeux de chair, et leur témoignage ne me trompe pas, je vois une œuvre vraiment merveilleuse, une œuvre qui dépasse toutes les forces de la nature créée, une œuvre qui exige une intervention divine, et cette couvre est produite précisément en faveur de la révélation. La raison veut donc que mon intelligence se soumette aux vérités proposées par Dieu à ma croyance.

... « L'antique et récente parole
D'où ton intelligence à conclure s'envole,
Pourquoi donc la tiens-tu pour un divin discours ? »
Moi: - «Des miracles saints la confirment toujours,
Œuvres qu'en vain Nature à faire se consume
En échauffant son fer et frappant son enclume ».[4]

Ainsi s'exprime Dante Alighieri, qui d'ailleurs ne fait que mettre en vers l'observation profonde du Docteur Angélique. « Il est naturel que l'homme acquière la vérité intelligible par le moyen des effets sensibles. C'est pourquoi, de même qu'en suivant les données de la raison naturelle il vient à acquérir quelque connaissance de Dieu par le moyen des effets naturels, de même aussi il arrive à acquérir quelque connaissance surnaturelle des choses qu'il faut croire par le moyen de quelques effets surnaturels, appelés miracles [5].
Le miracle est donc, de par sa nature, destiné à rendre témoignage à la vérité révélée. Les interruptions et les dérogations qui se produisent dans l'ordre physique servent à démontrer l'existence d'un ordre surnaturel et divin. Les œuvres merveilleuses s'accomplissant journellement autour de nous sont comme ces poteaux indicateurs placés aux croisements des routes : ils montrent le chemin qui mène à la vérité révélée.
C'est donc préparer la voie à la révélation, que de mettre en lumière la notion du miracle, en définir l'essence, en préciser les conditions, déterminer les critères qui nous aident à le reconnaître et surtout mettre en valeur les relations qu'il a avec l'ordre surnaturel. C'est précisément dans ce but que nous avons entrepris la présente étude.
Cette étude se recommande par elle-même. Elle est faite pour ceux qui, étudiant les secrets de la nature, rencontrent infailliblement des faits qui sont en contradiction évidente avec les lois habituelles du cosmos. Nous conseillons la lecture de cet ouvrage à tous ceux qui, doués d'une vision plus pénétrante, aiment à s'élever au-dessus de la matière, du mouvement et du monde physique en général ; à ceux qui désirent connaître l'être et ses propriétés, dans les limites permises à la raison humaine. Nous la conseillons à ceux qui, éclairés par la foi, se consacrent à la recherche des mystères de la religion chrétienne, désireux de connaître de plus près les fondements de leur croyance. Nous la conseillons enfin à ceux qui aiment la vérité, la désirent d'un cœur sincère et la recherchent avec simplicité. Puissent-ils la trouver enfin, puisque la vérité n'est autre chose que Dieu lui-même, premier principe et fin dernière de toutes les créatures.
=
] ]

Cette traduction française, faite sur la troisième édition italienne, représente le fruit des recherches poursuivies par l'auteur durant les longues années consacrées par lui à l'enseignement de la science sacrée et continuées sans interruption. Cette application l'a mis à même d'étudier à fond la doctrine si importante du miracle. Sans la connaissance de cette doctrine, un grand nombre de problèmes de l'ordre surnaturel aussi bien que de l'ordre naturel restent insolubles.
Nous recommandons instamment à ceux qui cultivent les sciences sacrées, une étude attentive de ce sujet, qu'il est impossible de bien comprendre en dehors de l'enseignement du Docteur Angélique qui a, plus et mieux que tout autre philosophe, pénétré les secrets des opérations divines et humaines.


PRÉFACE

À L'ÉDITION FRANÇAISE

On peut affirmer en toute vérité que la question concernant le miracle représente la synthèse de toute la philosophie catholique. Les longues années que nous avons passées dans l'étude de l'enseignement des sciences sacrées nous ont confirmé dans cette persuasion ; c'est pourquoi nous avons eu à cœur d'approfondir ce sujet sous tous ses aspects possibles. Le fruit de ces recherches a été de dévoiler à nos yeux la grandeur des œuvres divines dans le monde, et à nous découvrir les merveilles que le Créateur a multipliées d'une main si libérale à travers les siècles.
Oh, si nos exégètes prenaient la peine d'étudier à fond la question du miracle, de sa nature et de ses relations avec l'ordre surnaturel, on n'aurait pas le triste spectacle de les voir s'attarder dans des doutes pénibles sur le texte inspiré des Saintes-Écritures ! Ils éviteraient ces fluctuations empruntées aux systèmes protestants, fruit de l'ignorance de notre philosophie, fluctuations aussi nuisibles à la science qu'à la vraie piété.
Notre désir est que cette étude, en instruisant le lecteur sur les œuvres merveilleuses du Très-Puissant, le porte à chanter d'un cœur ému : Benedicite omnia opera Domini Domino!

Rome, en la Fête de Pâques, 1936.


INTRODUCTION

1. Quelle place occupe, en philosophie, la question du miracle. - 2. Utilité de cette étude.
- 3. Synthèse de la question. - 4. Critère pour déterminer la vérité. - 5. Synopse générale de l'ouvrage.


§ I. - L'étude concernant la possibilité du miracle, sa nature, sa finalité, la recherche de l'agent capable de le produire, appartient à cette partie de la Métaphysique spéciale, qui traite de la cause première, de ses attributs, et notamment de la Providence et du gouvernement du monde. Cette étude se place, pour ainsi dire, aux confins extrêmes de la théologie naturelle, et se rattache au point même où commence la théologie révélée.
En effet, les grands mystères de notre Religion : la Trinité, l'Incarnation, le péché originel, la grâce, etc., supposent tous l'existence d'une révélation surnaturelle faite à l'homme par Dieu. Ces mystères s'appuient sur le fait de cette révélation comme sur un fondement naturel ; mais la révélation elle-même surpasse toutes les forces de la nature créée ; aussi a-t-elle besoin, pour être acceptée par l'homme, de preuves plus grandes que celles que peuvent nous fournir les forces de la nature.
D'autre part, étant prouvé par la lumière naturelle de la raison que Dieu peut, quand il lui plaît, déroger à ses propres lois, pour écrire, en dehors du livre de la nature, un autre livre plus profond et pour cela même plus vrai, livre écrit exclusivement par son doigt divin, l'existence possible d'une science, dont la lumière est plus qu'humaine, devient un point acquis. Aussi le miracle est-il l'anneau qui, comme nous l'avons dit, relie intimement la théologie naturelle à la théologie proprement dite, c'est-à-dire à la ,théologie révélée.

§ II. - On voit ainsi de quelle importance est l'étude du miracle, de sa nature, de ses caractères et de ses lois. Le miracle est un fait et comme tel est l'objet de l'expérience et appartient au domaine de l'histoire. Mais c'est de plus un fait surnaturel, et sous cet aspect il se relie au monde invisible et présuppose une intervention divine. Le miracle ne doit donc pas être confondu avec les œuvres du hasard. Celles-ci sont dues, il est vrai, à la cause première et, en dernière analyse, sont ordonnées au bien de l'univers, mais le miracle, opéré par Dieu seul, est directement ordonné à la manifestation de sa volonté suprême. Il est donc, proprement parlant, le sceau de la révélation divine, et comme tel constitue un des principaux motifs de crédibilité en faveur de la religion surnaturelle.
La question qui traite de ce phénomène naturel divin qu'est le miracle, est donc d'une importance capitale et ce n'est pas trop d'apporter à cette étude une attention plus qu'ordinaire. Du moment que la religion chrétienne est appuyée sur le miracle, plus encore que la religion hébraïque, celui-là sera seul en mesure de défendre nos dogmes et la vérité de la mission de nos apôtres qui connaîtra parfaitement la nature du miracle et saura discerner dans quelles circonstances et dans quelles conditions il s'opère.
Le miracle, en outre, sert à mettre en pleine lumière l'existence de Dieu. Bien que la nature tout entière suffise à nous renseigner sur cette vérité, et qu'un seul brin d'herbe proclame hautement l'existence d'un Créateur, une interruption soudaine dans le cours de l'univers réveille dans l'homme un vif sentiment de la présence divine. De plus, le miracle met en pleine lumière les attributs de Dieu, au premier chef sa toute-puissance et sa bonté, ainsi que sa providence dans le gouvernement du monde.
Et puisque les exceptions servent, bien qu'indirectement, à confirmer la règle, le miracle, comme fait exceptionnel, peut encore, suivant les temps et les circonstances, servir de guide à l'homme d'étude dans sa recherche des lois qui régissent le monde.
Voici donc comment l'étude du miracle sert non seulement au théologien chrétien, mais encore au philosophe et même au naturaliste. Pour tout dire d'un mot, cette étude doit servir à tous ceux qui, épris de la vérité, la recherchent partout où on peut la trouver et l'embrassent sous toutes les formes qu'elle peut offrir à leur considération.

§ III. - La proposition qui forme comme la synthèse de toute la question concernant le miracle, est ainsi formulée par le Docteur Angélique, dans sa Somme contre les Gentils : « Dieu seul peut faire des
miracles[6]. »
Cette proposition est, pour ainsi dire, le pivot de toute la question et en renferme toute la substance. En effet, étant donné que le miracle, de la part de Dieu, est possible, qu'il est son œuvre propre et telle qu'aucune créature ne peut s'attribuer une pareille puissance, la nature même du miracle, ses rapports avec l'ordre physique et moral, ses propriétés et ses relations avec les œuvres merveilleuses des anges ou des magiciens, aussi bien que les critères servant à le faire reconnaître avec certitude, apparaissent en pleine lumière.
Notre intention n'est donc pas de rapporter ici l'histoire détaillée de tous les miracles opérés au cours des siècles, ni d'en faire un examen minutieux, les passant l'un après l'autre au crible d'une critique sévère, pour accepter les uns et rejeter les autres. Le nombre des miracles accomplis durant le cours des siècles est tel, qu'il faudrait, pour un travail de ce genre, composer des bibliothèques entières, et nous n'avons, pour notre part, ni le désir, ni les moyens de le faire. « Elle croît comme une forêt, écrit saint Augustin, la multitude de ces miracles, qui s'appellent monstres, prodiges, phénomènes merveilleux, et si l'on voulait les rappeler et les énumérer tous, quand est-ce qu'un tel travail verrait sa fin [7] ? »
Notre intention est plutôt d'étudier le miracle en lui-même et dans ses lignes générales, sous la double lumière de la philosophie et de la théologie. De plus, en appliquant, comme il sied, les critères fournis ici, nous pourrons passer en revue et examiner en particulier quelques-uns des principaux miracles opérés par notre divin Sauveur, comme preuve et complément de sa mission divine.

§ IV. - Si nous n'avions pour nous guider que les théories proclamées soit par l'école matérialiste, soit par celle appelée spiritualiste, aujourd'hui l'une et l'autre en grand honneur, il nous serait bien difficile, sur le sujet qui nous intéresse, de dire où se trouve la vérité. En effet, tandis que certains, fermant les yeux à l'évidence des faits merveilleux dont l'écho arrive à leurs oreilles, l'appellent pieuse supercherie, divine illusion, d'autres, au contraire, renouvelant les sortilèges des pythonisses des temps passés, le proclament, dans leur réunions ténébreuses, comme œuvre non pas de Dieu seulement, mais des esprits de l'autre monde qui s'abaissent ainsi pour satisfaire les désirs de l'homme, même les plus honteux.
Mais il convient de faire appel à des critères beaucoup plus élevés et solides que ne sont ces affirmations toutes gratuites. Nous devons au Docteur Angélique de nous avoir fourni, sur ce point, comme sur tant d'autres, des principes irréfutables pour reconnaître que ce pouvoir appartient à Dieu et qu'il le faut refuser aux créatures. Dans le passage que nous avons cité plus haut, saint Thomas montre, par des raisons tirées de l'ordre de la nature, comment ce privilège est le propre de Dieu. Dans d'autres passages de ses œuvres, notamment dans la première partie de la Somme théologique, le Docteur Angélique circonscrit d'un trait ferme le pouvoir soit des substances spirituelles séparées, soit de l'homme lui-même. Ainsi faut-il conclure que l'homme, aussi bien que ces substances spirituelles, ne possèdent aucun pouvoir en dehors de l'ordre qui leur est assigné, et par conséquent ne peuvent opérer des miracles proprement dits.

§ V. - Nous nous estimerons heureux si, avec l'aide de cette lumière et en la faisant nôtre, nous réussirons à montrer, avec assez de clarté, comment il est possible à Dieu de faire des miracles ; comment le miracle est à proprement parler son œuvre à Lui seul; quel pouvoir l'on peut, à cet égard, reconnaître aux créatures, surtout aux créatures spirituelles ; de quels critères nous devons nous servir pour arriver à connaître si telle œuvre est vraiment un miracle ou si elle n'est que le produit des forces de la nature.
Toutefois le miracle, sans cesser d'appartenir à l'ordre de la divine Providence, est un effet produit en dehors des lois habituelles de la nature et du cours ordinaire des choses. Il sera donc nécessaire de faire précéder cette étude d'une exposition, autant que possible claire et succincte, de la véritable doctrine philosophique sur la Providence de Dieu et sur l'ordre des choses créées.
En outre, sachant que le miracle est proprement un acte de Dieu et comme, par ailleurs, Dieu agit en tant que cause universelle dans toutes les actions des causes secondaires, il sera nécessaire de préciser jusqu'où peuvent arriver, dans la production des effets ordinaires, non seulement l'action de Dieu, mais encore celle de la créature. De cette manière nous pourrons savoir quand a lieu une véritable dérogation au cours habituel de la nature. En d'autres termes, il nous faudra établir quand est-ce que Dieu, laissant de côté l'efficacité de la cause secondaire d'où l'effet devrait dépendre naturellement, produit lui-même cet effet sans la médiation des créatures, condition essentielle du miracle.
D'autre part, le miracle ne peut être l'effet d'un caprice de la divinité. Le miracle est un moyen sagement ordonné en vue d'une fin très élevée. C'est pourquoi il nous faudra parler de la finalité propre au miracle et montrer quels rapports il a avec le gouvernement moral du monde.
Le développement clair et méthodique de cette belle doctrine nous fournira les éléments d'une définition exacte du miracle, outre qu'elle nous aidera à nous fixer sur la part qui revient à Dieu dans cette œuvre dont lui-même est l'agent principal. Nous arriverons, par suite, à démontrer la nécessité de refuser à une cause seconde, quelle qu'elle soit, le rôle d'agent principal, tout en admettant son concours non seulement comme cause morale, mais aussi en tant qu'instrument physique.
Nous avons déjà expliqué, et nous nous réservons de développer cette pensée plus longuement en son lieu, comment de telles dérogations à l'ordre de la nature sont ordonnées à la manifestation des vérités surnaturelles, en préparant les esprits à accepter ces mêmes vérités. Le présent ouvrage resterait donc incomplet, s'il ne faisait voir comment le miracle est l'échelle que Dieu nous tend pour nous aider à monter au delà des bornes du créé et arriver jusqu'au domaine de l'infini, où l'ascension se poursuit toujours plus haut, jusqu'aux marches du trône de Dieu, Un en essence et subsistant en trois personnes. Nous verrons donc, en dernier lieu, comment les miracles, surtout ceux qu'accomplit Notre-Seigneur Jésus-Christ - miracles qui défient l'examen le plus minutieux - furent ordonnés pour manifester la mission divine de l'Homme-Dieu. Nous verrons aussi comment l'homme, à la conscience droite, qui a su se délivrer de ses préjugés pour se donner à un examen attentif de ces miracles, est amené, par une espèce de nécessité logique, à courber le front devant Celui qui est « la lumière illuminant tout homme qui vient en ce monde [8] », jusqu'à embrasser sa loi et suivre ses commandements.

CHAPITRE I

LA DIVINE PROVIDENCE ET L'ORDRE DES
CHOSES DE CE MONDE

  1. Deux sortes de bien dans les êtres de ce monde. - 2. Ce qu'est la Divine Providence.- 3. La Divine Providence embrasse toute chose. - 4. Multiplicité des ordres. - 5. Dieu ne peut agir en dehors de l'ordre universel. - 6. La Divine Providence n'enlève pas aux choses de ce monde leur contingence. - 7. Tous les êtres exécutent spontanément l'ordre de la Divine Providence. - 8. Synthèse dans l'ordre de l'univers. - 9. Ce que dit Dante par rapport à l'ordre de l'univers. - 10. Bonté de la Divine Providence envers les hommes.


§ I. - L'homme qui, considérant les êtres de ce monde avec les yeux de l'esprit, n'arriverait pas à y découvrir d'autres biens que celui contenu dans la substance même de ces êtres, devrait se dire atteint d'un commencement de cécité intellectuelle, car il ne percevrait qu'une partie de la vérité. En effet tous les êtres, outre leur bien absolu, en contiennent un autre, lequel est dans chacun d'eux, par rapport à sa propre fin, et qui dans tout l'univers se rapporte à la fin dernière, c'est-à-dire à la Bonté divine. Ces deux biens, l'absolu et le relatif, forment la synthèse de tout le bien contenu dans l'univers ; ils donnent naissance à des ordres multiples et variés. Les êtres, distribués dans ces différents ordres, produisent, en vertu de leurs formes propres et de la tendance naturelle qu'ils ont vers leurs fins particulières, des effets déterminés et proportionnés à la nature de chacun d'eux.

§ II. - Il y a donc un ordre suprême ; il y a également une multitude et, je dirais presque, une infinité d'ordres particuliers. Le premier renferme tous les autres et ceux-ci, bien que se mouvant tous selon leurs propriétés, ne peuvent jamais sortir du cercle de cet ordre suprême dont ils dépendent comme de leur centre. Or, la disposition de cet ordre suprême dans la pensée divine est ce que nous appelons la Providence.
Rappelons ici la définition classique de la Providence fournie par l'illustre philosophe saint Séverin Boèce. « La Providence, dit-il, est la raison même divine, telle qu'elle existe dans la pensée du Souverain Maître de l'univers ; raison qui met chaque chose à sa place [9]».
Éternelle en elle-même et immobile, la Providence embrasse, dans sa simplicité suprême, la raison d'être de toutes les natures créées et changeantes, leur génération, leur progrès et le terme où elles doivent aboutir. Les paroles de Dante sont un écho de cette vérité

Et son esprit, parfait en soi, non seulement
A, d'avance, assigné sa nature à tout être,
Mais au salut de tous veille comme un bon maître[10].

Cette disposition divine est en conformité avec la nature des choses créées, si bien que celles-ci n'ont rien de plus empressé que d'exécuter, dans le temps, avec une joyeuse spontanéité, selon l'inclination de leur forme et leur mouvement déterminé, les ordres supérieurs de la Divine Providence. C'est ce que les Anciens appelaient fatum ; mais nous, d'un nom plus chrétien, nous l'appelons le gouvernement des choses. Boèce exprime cette pensée d'une manière remarquable : « Le Créateur, le Très-Haut, dit-il, est assis et, conducteur exercé, tient en main les rênes de chaque chose, Roi et Seigneur, source et origine, loi et sage arbitre de ce qui est juste et honnête[11]. »
La Providence embrasse donc non seulement les choses universelles, mais aussi les particulières ; elle comprend les choses corruptibles aussi bien que les spirituelles ; elle s'étend partout où s'exerce l'opération divine, ce qui signifie qu'elle s'étend à toutes les choses de ce monde. D'une manière spéciale, cependant, elle s'occupe de la créature raisonnable, en tant que celle-ci possède le contrôle de ses propres actions ; si bien que, « pour le dire en un mot, conclut saint François de Sales, la Providence souveraine n'est autre chose que l'acte par lequel Dieu veut fournir aux hommes et aux anges les moyens nécessaires ou utiles pour parvenir à leur fin [12]».

§ III. - Pour ce qui regarde l'amplitude de l'ordre de la Providence, il faut observer que celle-ci ne connaît aucune limite, comprenant dans son cercle infini, toutes les choses de ce monde, non pas seulement les choses corruptibles, mais encore les choses incorruptibles, soit dans leurs principes généraux, soit dans leurs distinctions individuelles.
La preuve qu'en donne le Docteur Angélique est d'une clarté admirable. Rappelons-nous ce qui a été dit plus haut, à savoir que la Providence est la raison même de l'ordre des choses vers leur propre fin. En d'autres termes, la Providence est cette raison suprême par laquelle Dieu conduit toute chose suavement et fortement, à l'acquisition de leur bien respectif, par rapport à la fin qui leur est propre.
Que l'on se souvienne par ailleurs du grand principe qui régit tout l'édifice de la philosophie morale, c'est-à-dire que tout agent agit en raison de sa fin. Il s'ensuit, par voie de conséquence, que sa causalité propre s'étend, par rapport au premier agent qui est Dieu, aussi loin que s'étend l'ordre des effets à leur fin. En effet, si dans les œuvres d'un agent quelconque, un effet survient qui n'est pas ordonné à la fin de cet agent, la cause en est à un autre agent opérant en dehors de l'intention de l'agent premier. Ainsi en voulant allumer du bois on n'obtient pas toujours le but souhaité, parce que l'humidité, par exemple, empêche la combustion d'avoir lieu.
Or Dieu est le premier agent. Il est donc nécessaire que sa causalité propre s'étende à tous les êtres, non seulement quant aux principes de l'espèce, mais encore quant aux principes de l'individu, soit dans les choses incorruptibles, soit dans celles qui sont corruptibles. Par conséquent, l'ordre des effets à leur fin s'étend, par rapport à Dieu, à toutes les choses de l'univers[13].
En ce qui concerne les causes secondes, un effet peut se produire par hasard, en tant qu'il peut avoir lieu en dehors de l'intention de ces causes. Mais, par rapport à Dieu, qui rassemble en lui-même toutes choses, aucun hasard ne peut exister, parce que tout ce qui arrive est prévu par lui et c'est lui qui pourvoit à tout. C'est ainsi que, pour reprendre l'exemple du saint Docteur, la rencontre de deux serviteurs en un même endroit, peut sembler à ceux-ci chose fortuite, alors qu'elle ne l'est pas pour le maître qui les a envoyés là précisément, afin que l'un ne sachant rien de l'autre, puisse rapporter au maître ce que celui-ci désire savoir sur son compagnon.
De même, en ce qui concerne un pourvoyeur particulier, des maux nombreux peuvent arriver contre son intention, et si cela dépendait de lui, il ne manquerait pas de les repousser. Mais Dieu, pourvoyeur universel, les permet dans certains cas particuliers, précisément pour que le bien et la perfection de l'univers n'aient pas à souffrir d'empêchement ou de retard. En effet, dit saint Thomas, si tous les maux étaient exclus, beaucoup de biens viendraient à manquer dans le monde. Par exemple, la vie du lion ne se soutiendrait pas, si ce n'est par la mort de la brebis, et la patience des martyrs ne resplendirait pas aussi merveilleusement, s'il n'y avait pas de tyrans persécuteurs[14].
La phrase du grand Docteur d'Hippone est demeurée célèbre : «Dieu, qui est Tout-Puissant, ne permettrait en aucune manière l'introduction du mal dans ses œuvres, s'il n'était tellement puissant, tellement bon, qu'il peut tirer le bien du mal lui-même[15]. »
S'il en est ainsi, le hasard n'est rien d'autre qu'un mot et le destin une vaine formule inventée soit par une infidélité obstinée qui ne veut voir dans les vicissitudes de ce monde autre chose que les coups d'un destin inexorable, soit par une aveugle ignorance, toute prête à rejeter sur un hasard capricieux la responsabilité des malheurs que l'étourderie nous fait trop souvent commettre et que La Fontaine décrit à merveille
Il n'arrive rien dans le monde,
Qu'il ne faille qu'elle (la Fortune) en réponde:
Nous la faisons de tous écots; [16]
Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures,
On pense en être quitte en accusant le sort,
Bref, la Fortune a toujours tort[17].

Voici comment saint Augustin conclut qu'il n'est dans le monde ni hasard ni destin : « Tout ce qui arrive par hasard, écrit-il[18], arrive par témérité ; et tout ce qui arrive par témérité, n'arrive pas par l'ordre de la Providence. Si donc certaines choses arrivent dans le monde par hasard, le monde n'est pas tout entier administré par la Providence. Mais si le monde n'est pas tout entier administré par la Providence, c'est qu'il existe quelque nature et substance qui n'appartiennent pas à l'œuvre de la Providence. Or, tout ce qui est, en tant qu'il est, est bon. Celui-là est suprêmement bon, par la participation duquel les autres choses sont bonnes. D'autre part, ce qui est changeant est bon, en tant qu'il existe, non par lui-même, mais par sa participation au bien immuable. Or ce Bien, par la participation duquel les autres choses, quelles qu'elles soient, sont bonnes, est bon, non par une autre chose que lui, mais par lui-même, et c'est ce que nous appelons la Divine Providence. C'est pourquoi rien dans le monde n'est l'effet du hasard. »
Rien n'arrive donc ou ne peut arriver en dehors de l'ordre de la Divine Providence. Par conséquent, nous voyons déjà que le miracle lui-même ne pourra jamais se produire en dehors de cet ordre.
«Dieu, dit le Docteur Angélique, ne fait rien par une volonté changeante contre les causes naturelles, parce qu'il a de toute éternité prévu et voulu ce qu'il fait dans le temps. Il a donc institué le cours de la nature de façon à disposer d'avance, dans son éternelle volonté, ce qu'il doit faire dans le temps, en dehors de ce cours[19]
Ceci ne veut pas dire que le miracle doive être également compris dans le plan des lois universelles établies par Dieu, comme un effet par rapport à ces mêmes lois. Non, le miracle, comme on l'expliquera dans la suite, quoique ordonné à l'avance par Dieu, est une dérogation formelle aux lois universelles du monde, en tant qu'il est l'œuvre de Dieu seul. Aussi ne pouvons-nous pas admettre, au moins dans les termes où elle est exposée, l'opinion de l'abbé de Houtteville. Voici comment s'exprime cet auteur[20]. «Tandis qu'il donnait à la matière le degré de mouvement suffisant qu'elle devait avoir pour tous les siècles, on comprend que Dieu a pu déterminer de telle sorte la loi des communications, qu'à un moment donné par exemple le monde verrait telle guérison, telle éclipse, telle résurrection... Les miracles sont enveloppés, en qualité d'effets, dans le plan des lois universelles... Ils naissent de ces lois qui nous sont cachées, ou bien alors de la combinaison de celles-ci avec celles que nous connaissons. »
En réalité, le miracle, quoique compris dans l'ordre de la Divine Providence, a lieu cependant hors de l'ordre de la nature. Il nous faut donc maintenant expliquer ce que nous entendons par ordre de la nature.

§ IV. - L'ordre des effets, écrit saint Thomas, suit l'ordre des causes. Multiples sont les causes ayant entre elles une relation de dépendance et de subordination. Les unes sont majeures, les autres mineures ; les unes sont premières et supérieures, les autres postérieures et inférieures. Ainsi donc les ordres des effets sont multiples et subordonnés entre eux. Or cette relation naturelle et cette proportion qui existe entre une cause et les effets qui en proviennent, est ce que nous appelons l'ordre des choses, d'où il suit que les ordres des choses sont multiples et subordonnés entre eux.
Par exemple, la réunion de plusieurs personnes par rapport à un même chef auquel elles sont soumises, constitue l'ordre de la famille. La réunion de plusieurs chefs de famille par rapport au magistrat par qui elles sont régies, constitue l'ordre civil, tandis que la réunion de plusieurs magistrats par rapport à un même prince, par les lois duquel ils sont gouvernés, constitue l'ordre du royaume. Le premier ordre est subordonné au second et celui-ci au troisième, parce que les causes d'où ces ordres prennent leur origine, sont pareillement subordonnées.
Élevant maintenant plus haut notre spéculation, nous pouvons distinguer, d'une part, autant d'ordres inférieurs qu'il y a de causes produisant des effets déterminés et, de l'autre, un ordre suprême, qui contient virtuellement, en les excédant, tous ces ordres inférieurs, de même que la cause dont ils dépendent, qui est Dieu, contient virtuellement et éminemment toutes les causes secondaires.
Si donc on nous demande ce que l'on entend par ordre de la nature, nous répondrons : par ordre de la nature on peut entendre premièrement l'ordre universel des choses, selon qu'elles dépendent, quant à leur essence, de Dieu même ; en second lieu, on peut entendre l'un ou l'autre des ordres des choses inférieures, selon que celles-ci dépendent des causes secondes. Or, comme le miracle est, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, un effet en dehors de l'ordre de la nature, demander si Dieu peut faire un miracle, sera la même chose que demander s'il peut agir en dehors de l'ordre de la nature,

§ V. - Ce n'est donc pas une réponse, mais deux qu'il faut donner à cette demande, selon que par ordre de la nature on entend l'ordre universel ou les ordres particuliers des choses.
Or il est évident que Dieu ne peut agir contre l'ordre universel. Non que la puissance lui manque, mais parce que cet ordre même n'admet la possibilité d'aucun changement, d'aucune sorte de variation.
De fait, l'ordre universel des choses dépend et de la science et de la volonté de Dieu qui ordonne toutes choses à sa bonté comme à leur dernière fin. Or, il n'est pas possible qu'une chose, quelle qu'elle soit, s'accomplisse, si elle n'est voulue de Dieu, puisque les créatures ne procèdent pas de lui en vertu de sa nature, mais bien plutôt par élection de sa volonté[21].
On ne peut non plus dire qu'une chose quelconque arrive, sinon en tant qu'elle est comprise dans la science divine, étant donné que la volonté ne peut jamais se porter qu'à ce qui est connu. On ne peut pas même imaginer que dans les créatures rien ne se fasse qui ne soit ordonné à la divine bonté, étant donné que celle-ci est l'objet propre de la volonté de Dieu. Dieu ne peut donc rien faire contre cet ordre universel ou en dehors de lui, autrement, il agirait contre sa Providence, il serait changeant et se renierait lui-même[22].
De plus, cet ordre étant universel, comprend toutes les choses, comme la cause dont il procède, qui est Dieu lui-même, comprend elle-même toutes les choses. S'il s'agit de l'ordre d'une cause particulière, il est possible que quelque effet arrive en dehors de cette cause : c'est-à-dire qu'une autre cause empêche celle-ci de parvenir à son but, comme, suivant l'exemple donné par saint Thomas, la vertu nutritive ne parvient pas toujours, chez les animaux, à son effet, c'est-à-dire à la digestion parfaite, à cause, par exemple, de la grossièreté de l'aliment. Mais cette seconde cause qui rend ainsi vaine l'efficacité de la cause antécédente, il faut bien qu'elle se réduise en une autre cause supérieure dont elle dépend comme effet, et celle-ci en une autre, jusqu'à ce que l'on rejoigne la première cause, qui est Dieu. De là vient que, si d'un côté, quelque chose semble échapper à l'ordre de la Providence divine quand on la considère par rapport à une cause particulière, par un autre côté pourtant il faut qu'elle y retourne et ainsi aucun être ne peut se dérober entièrement à l'ordre universel de la Providence, autrement il faudrait nécessairement qu'il retournât dans le néant[23].
En outre, étant donné que l'essence de l'ordre moral consiste précisément dans la juste relation de la créature raisonnable par rapport à Dieu, sa fin dernière, il en résulte que Dieu lui-même ne peut absolument pas agir contre l'ordre universel des choses. Car une telle dérogation serait directement opposée à l'ordre de relation et de dépendance qu'a l'univers tout entier par rapport à sa fin dernière. Ce serait, par conséquent, un mal moral, un péché, que Dieu ne peut absolument pas commettre[24].
Nous pouvons donc conclure, pour le but que nous poursuivons, que le miracle ne peut jamais être une œuvre faite par Dieu contre l'ordre universel de la nature, mais seulement contre quelque ordre particulier. En outre, si un fait merveilleux ne peut être rapporté à sa propre cause, c'est-à-dire, à la cause secondaire, il ne laisse pas pour cela de se rattacher à l'ordre de la cause première, qui est l'ordre de la Providence divine gouvernant tout et à laquelle rien ne peut jamais se soustraire.

§ VI. - Ce serait toutefois une très grave erreur d'imaginer que, du fait que rien ne peut se faire en dehors de l'ordre de la Divine Providence ou se soustraire en quelque manière à ses hautes dispositions, les effets des causes créées perdent leur contingence, et par conséquent que tout ce que nous faisons, nous le faisons par nécessité et non point librement.
Les sages paroles de saint Thomas suffisent à exclure une telle hypothèse. « Quand une cause est efficace dans son opération, dit-il[25], l'effet suit sa cause, non seulement selon la chose produite, mais aussi selon le mode par lequel il se produit et selon le mode d'être qu'il possède. Du défaut de vigueur active dans la semence, il arrive qu'un fils naît peu semblable à son père dans les choses accidentelles qui appartiennent au mode de l'être. La divine volonté étant donc très efficace, il en résulte que non seulement ce qu'elle veut s'accomplit, mais aussi s'accomplit de la manière voulue par elle. Or Dieu veut que certaines choses soient produites nécessairement, et que d'autres, au contraire, se fassent d'une manière contingente, afin qu'il y ait de l'ordre dans les choses, pour la perfection de l'univers. Il a donc adapté à certains effets des causes nécessaires qui ne peuvent pas manquer et d'où les effets procèdent nécessairement ; à d'autres, au contraire, il a adapté des causes contingentes défectueuses, desquelles procèdent des effets contingents. »
Ailleurs, le même Docteur Angélique, après avoir dit que Dieu, dans l'exécution de l'ordre de sa Providence, n'exclut pas, mais au contraire, admet les causes secondes qui, par rapport aux effets, sont dites causes prochaines, ajoute ceci [26] : « Ce n'est pas en raison des causes éloignées que certains effets sont dits nécessaires ou contingents ; mais c'est en raison des causes prochaines. Ainsi, la fructification de la plante est un effet contingent en raison de la cause prochaine qui est la force germinative capable d'être gênée ou même annulée, bien que la cause éloignée, c'est-à-dire le soleil, agisse nécessairement. Puis donc que, parmi les causes prochaines, il en est beaucoup qui peuvent demeurer inactives, on doit dire que les effets réglés par la Providence ne seront pas tous nécessaires, mais beaucoup, au contraire, seront contingents. »
C'est ainsi que non seulement Dieu n'enlève pas aux effets contingents, tels que sont nos volitions libres, leur propre contingence, mais, de plus, celle-ci découle de l'efficacité de la volonté divine. C'est précisément afin que de tels effets se vérifient, que Dieu a ordonné qu'il y eût des causes secondes capables de les produire. La vertu divine, qui est la cause première, en se communiquant aux causes secondes, se modifie, de façon à leur permettre de produire des effets contingents.

§ VII. - De là vient que toutes les choses du monde, de même qu'elles puisent en Dieu leur être et leur modalité, de même aussi courent, pour ainsi dire, avec spontanéité et joie et d'un plein consentement, exécuter cet ordre de la Divine Providence. Ni la contrainte n'intervient ni la violence. Comme l'ordre de la Providence ne tend qu'au bien, ainsi toute chose créée ne tend qu'au bien dans ses opérations, car, observe avec raison l'auteur du livre De Divinis Nominibus[27], « nul n'agit en vue du mal ». Il est nécessaire, par conséquent, que toutes les choses, dans leurs opérations, retombent dans l'ordre de la Providence qui a le bien pour objet.
D'autre part, les créatures ne peuvent manquer d'accomplir l'ordre de la divine Providence, car leur inclination, par laquelle elles agissent, vient toute de Dieu, le premier moteur. C'est pourquoi toutes les choses, libres ou non, composées ou simples, corruptibles ou incorruptibles, sont dirigées par Dieu vers leur fin propre, de même que la flèche est dirigée vers le but par la main de l'archer[28]. Il y a pourtant cette différence que le mouvement imprimé par l'homme à la flèche est violent, tandis que le mouvement imprimé par Dieu aux choses produites par lui est naturel. « Dieu, dit saint Thomas[29], est la cause première qui met en mouvement aussi bien les causes naturelles que les causes volontaires. Et comme en donnant le mouvement aux causes naturelles, il n'empêche pas que leurs actes ne soient naturels, de même, en donnant le mouvement aux causes volontaires, il n'empêche pas que leurs actes soient volontaires, mais au contraire c'est lui qui les rend tels, parce qu'il opère dans chaque agent selon la propriété de cet agent. »
C'est ainsi que, même quand il pèche, l'homme ne sort pas des limites de cet ordre. Car, en péchant, il entend se procurer un bien déterminé ; mais ce bien est lui aussi contenu dans l'ordre général des choses, étant donné que tout bien créé n'est autre chose qu'un rayonnement du Souverain Bien, qui est Dieu, centre de cet ordre. Toutefois, comme ce bien déterminé s'oppose à cet autre bien qui convient à l'homme selon sa nature ou son état, il en résulte qu'il est justement puni par Dieu[30], et cette punition même, tandis qu'elle est un mal pour l'homme prévaricateur, se trouve être en elle-même un bien, étant une réintégration de la justice divine. De la sorte, elle est elle-même comprise dans l'ordre général de la Divine Providence.

§ VIII. - Un coup d'œil sur la complexité de cet univers physique suffira pour illustrer ce que nous avons dit des ordres des choses créées.
On ne peut douter que toutes les parties de ce monde ne soient étroitement unies dans une synthèse universelle, qu'elles ne forment un tout harmonieux, un système unique, régi par une loi suprême, tendant à une même fin suprême. Mais dans cet ordre suprême combien d'autres ordres existent ! Que de centres particuliers sont compris dans cet ordre, ayant chacun son orbite, sa propre sphère d'action ! Chaque partie forme par elle-même un système, est régie par des lois propres et forme le centre de révolution pour d'autres parties presque infinies, tandis que celles-ci, à leur tour, deviennent des centres pour d'autres parties, et ainsi de suite, sans que pourtant aucune d'elles ne sorte jamais de l'ordre du tout, ou ne se dérobe à la loi souveraine par laquelle est gouverné l'univers.
On sait comment notre planète a son propre mouvement de rotation autour de son axe, lequel mouvement s'accomplit régulièrement dans l'espace de vingt-quatre heures ; comment elle a en outre ses propres lois d'équilibre, ses propres forces, centripète et centrifuge, son propre satellite, la lune, qui en vingt-neuf jours et demi, accomplit son circuit autour de la terre. D'autre part, la terre, avec tout ce qui lui appartient, fait elle-même partie d'un système et suit, sans jamais s'en départir, le mouvement également imprimé à tant d'autres planètes autour d'un point d'un bien plus grand rayonnement, c'est-à-dire autour du soleil. Sans jamais rien perdre de son mouvement de rotation, elle accomplit, en harmonie avec tout l'ordre auquel elle appartient, son immense circuit de révolution autour du soleil en trois cent soixante-cinq jours. Le soleil, à son tour, n'est, avec son ordre entier, qu'une partie de la machine de ce vaste univers.
Il y a donc dans le monde un ordre général et suprême, gouverné par une Providence souveraine et générale ; il y a, en outre, tant et tant d'autres ordres particuliers, gouvernés, à leur tour, par une providence spéciale. Que si ces ordres particuliers semblent parfois se dérober, par quelque endroit, à l'ordre de la Providence Divine, ils sont obligés d'y rentrer par un autre côté. Ainsi les orages, les inondations et tous les désastres qui s'abattent parfois sur la terre, semblent, à première vue, interrompre l'harmonie du monde ; mais, en réalité, ils servent à manifester les attributs de Dieu, principalement sa justice, et à promouvoir le bien moral de la société. C'est ainsi que toutes les choses du monde sont retenues et comprises dans un ordre souverain, hors duquel toute fuite est impossible. Merveilleuse multiplicité dans l'unité, composition dans la simplicité, diversité dans l'uniformité !

§ IX. - Avec des accents d'un lyrisme sublime, le grand poète, Dante, a su mettre en relief le spectacle grandiose que présente cet ordre de l'univers. Il serait difficile de trouver ailleurs une telle harmonie de langage alliée à une exposition aussi exacte de la profonde pensée philosophique qui nous occupe.

… « Un ordre mutuel
Joint tout dans l'univers; et cet ordre immortel
Est la forme qui rend le monde à Dieu semblable.

En lui se laissent voir à l'être raisonnable
Les vestiges de l'Être infini, centre, roi,
Fin où tout va selon l'universelle loi.

Dans l'ordre que je dis tout être a sa tendance,
Diverse pour chacun selon que son essence
L'approche ou plus ou moins du principe premier.
.
Chacun a donc son port et chacun son sentier
Sur le vaste océan de l'être; et la nature
Vers le but par l'instinct guide la créature.

Par cet instinct le feu vers la lune est porté,
Par lui de tout vivant le cœur est agité,
Par lui tu vois la terre unie et ramassée.

Ce n'est pas seulement aux êtres sans pensée
Que vise l'arc divin; il atteint encor plus
Ceux qui d'intelligence et d'amour sont pourvus.

Ce Dieu, qui règle tout, à la sphère première
A donné le repos joyeux dans la lumière,
Tandis qu'impétueux tourne le second ciel.

Vers elle, où nous appelle un décret éternel,
Nous sommes décochés par cet arc infaillible
Dont la direction a notre bien pour cible.

Il est vrai, comme on voit souvent à l'idéal,
Que l'art a poursuivi, l'œuvre répondre mal
Parce que la matière était sourde et rebelle,

Parfois s'écarte aussi de sa route si belle
L'être créé qui peut librement détourner
L'élan que vers le bien Dieu daigna lui donner;

Et, comme on voit le feu descendre d'un nuage,
Nous tombons, du plaisir quand la flatteuse image
Vers la terre a courbé notre instinct primitif[31].

§ X. - Les considérations philosophiques que nous venons de faire sur l'ordre de la Divine Providence, resteraient incomplètes, si nous ne les appliquions pas à notre vie pratique, nous fournissant ainsi de puissants et purs motifs de consolation.
Car Dieu n'est pas seulement le très sage ordonnateur de toutes les choses du monde ; il est en outre le Père très bon qui n'abandonne pas sa créature après l'avoir tirée du néant. Non, Dieu n'est pas un spectateur indifférent de nos luttes et de nos souffrances. Sa Providence embrasse tous les êtres, organiques et inorganiques, mais elle s'étend d'une façon spéciale à l'homme fait à son image et à sa ressemblance. Elle l'entoure de soins pleins d'amour, d'un amour tel que jamais n'ont eu pour leurs enfants les plus tendres des pères et les plus aimantes des mères.
Rapprochons de cette pensée les vers si connus du poète italien Vincent Filicaia. L'allusion qu'il fait à l'amour d'une mère pour ses enfants bien-aimés, exprime à merveille le soin que Dieu, notre Père céleste, a pour chacun de nous.

Comme une mère avec une tendresse touchante
contemple ses fils et, brûlante d'amour,
en baise un sur le front, en serre un autre sur son cœur,
tient l'un sur ses genoux et l'autre devant elle,
et, tandis qu'elle observe les actes, les plaintes, leur visage,
elle comprend leurs désirs si divers, si nombreux,
jetant à celui-ci un regard, à celui-là disant un mot,
et, soit qu'elle rie ou qu'elle pleure, elle est toujours aimante,

Telle pour nous la Providence, d'une infinie grandeur,
console celui-ci, pourvoit aux besoins de celui-là,
et, prêtant l'oreille à tous, à tous donne secours.

Et si parfois elle refuse une grâce ou une récompense,
ou bien son refus n'est qu'une invite à la prière,
ou bien n'est qu'une feinte en même temps qu'elle accorde.



CHAPITRE II

ACTION DE DIEU DANS LE MONDE

I. Idée générale du miracle. - 2. Deux erreurs extrêmes à éviter par rapport à l'action de Dieu dans le monde. - 3. Toutes les choses sont soumises immédiatement à l'ordre de la Providence. - 4. Comment se réalisent les effets à venir. - 5. Erreur des déistes. - 6. Méprise de ceux qui méconnaissent la cause première.

§ I. - Nous avons vu comment la Divine Providence dirige l'ordre des choses vers leur fin. Or, autre est la fin universelle et autres les fins particulières. Aussi avons-nous conclu qu'il existe un ordre universel, lequel est unique, et qu'il y a plusieurs ordres particuliers, aussi nombreux que le sont les relations des causes à leurs effets. Dieu ne peut agir contre l'ordre universel ou en dehors de lui, parce qu'étant lui-même la fin et comme la règle de cet ordre, il se renierait lui-même, s'il agissait contre cet ordre. Quant aux ordres particuliers, ils sont régis selon des lois physiques déterminées, établies par Dieu dès le principe ; ces ordres particuliers sont spécifiés par les lois que Dieu leur a données, comme par des fins prochaines.
Or, comme l'idée générale que nous avons coutume de nous former par rapport au miracle est justement celle d'une œuvre faite en dehors et même à l'opposé de ces lois, c'est-à-dire en dehors et à l'opposé du cours habituel de la nature, il s'ensuit que demander si le miracle est possible, équivaut à demander si Dieu peut agir soit en dehors soit à l'opposé des ordres inférieurs et particuliers des choses.
Si l'on prend la peine d'analyser cette question, on verra qu'elle se résout facilement en deux autres : l'une objective, savoir, s'il est possible qu'un effet soit produit en dehors ou à l'encontre du cours de la nature ; l'autre, subjective, étant donnée cette possibilité, Dieu est-il suffisamment puissant pour accomplir cette dérogation. La première question regarde la possibilité absolue ou intrinsèque du miracle ; la seconde la possibilité relative ou extrinsèque.
Cependant, la première question dépend en réalité de la seconde. Car la possibilité objective ou absolue du miracle se fonde non pas sur la puissance passive naturelle de l'effet, mais sur une puissance passive d'un ordre supérieur ; sur une puissance passive qui regarde un acte excédant, un acte disproportionné et qui a pour premier principe effectif l'agent premier auquel tout doit obéir. Cette puissance est appelée en théologie puissance obédientielle.
La possibilité du miracle résultera donc, non pas tant de la non-répugnance ou de la convenance possible entre le sujet passif et l'acte excédant ou disproportionné, mais plutôt de la possibilité de trouver un agent qui puisse amener ce sujet d'une puissance passive même très éloignée, à un acte excédant sans proportion non seulement la puissance passive naturelle du sujet, mais encore la force ou capacité active d'un agent quelconque en dehors du premier.
C'est pourquoi, si l'on doit conclure à une œuvre miraculeuse, ce sera précisément dans le cas où un effet surpassera, en l'excédant, une aptitude quelconque ou exigence naturelle du sujet chez lequel cette œuvre s'accomplit. Ainsi, chez un mort que, nous savons rendu à la vie, cette même vie excède sans proportion la puissance du corps mort. De même, dans la verge qu'Aaron changea en serpent, la forme serpentine excédait également sans proportion la potentialité de la verge de bois. Dans ces cas et d'autres semblables, les effets exigent, comme principe actif, le pouvoir de l'agent premier.
On aperçoit d'ici ce que l'on entend lorsqu'on veut savoir si le miracle est possible. Demander si le miracle est possible équivaut à rechercher, non pas si tel acte ou telle forme peut ou non convenir à tel sujet, mais à examiner si l'on peut trouver un agent assez puissant pour vaincre l'excès de supériorité de l'acte ou de la forme du sujet, en dominer la puissance passive et l'amener par son action propre, quelle que soit sa puissance actuelle, à quelque acte ou forme que ce soit, nonobstant l'excès de cet acte sur la puissance, pourvu, cela s'entend, qu'il ne s'agisse pas d'une répugnance dans les termes, comme ce serait le cas pour une droite courbe ou un cercle carré.
Pour mieux rendre notre pensée, nous pouvons proposer la question de cette manière : une pierre, par exemple, peut-elle devenir du pain, ce qui, du consentement de tous, serait un miracle ? Cette question se réduit formellement à cette autre : peut-on trouver un agent qui fasse passer une pierre de la puissance passive à un acte excédant sans proportion cette même puissance, acte qui, dans ce cas, est la forme substantielle du pain ?

§ II. - Que Dieu puisse réduire un sujet quelconque à un acte ou à une forme hors de proportion avec la puissance de ce sujet ou l'excédant, c'est-à-dire qu'il puisse faire des miracles, est un point de philosophie également rejeté par deux écoles diamétralement opposées. Les uns, dignes émules des rationalistes, dont parle le saint homme job, jusqu'à Platon et les déistes de l'école de Hume et de Voltaire jusqu'à Renan, ont cherché à soustraire à la Providence immédiate de Dieu la raison d'être des choses et l'ordre qu'elles ont à leurs fins, disant que Dieu a pourvu suffisamment, une fois pour toutes, au bon fonctionnement de la nature, sans qu'il soit besoin, de son côté, d'une nouvelle ingérence dans le règne de celle-ci. En vertu de leurs principes, ces déistes durent rejeter à priori tout ce qui peut avoir l'apparence de miracle. Ils crurent faire acte d'humanité en plaignant les ignorants qui, ayant recouvré la vue, ne pouvaient se persuader d'être encore aveugles.
D'autres, au contraire, posèrent comme principe le fait que, dans la production des effets naturels, la créature n'a, selon eux, aucune action effective, Dieu prenant occasion de la présence de ces causes, pour produire, par lui seul, ces mêmes effets.
En vérité, ces philosophes, anciens ou modernes, que l'on s'est accordé à nommer occasionalistes, ne peuvent admettre que, quelquefois seulement, Dieu opère sans le concours des causes secondaires, étant donné que, d'après eux, il ne s'en sert jamais. Le miracle est donc pour eux une loi universelle, et non une dérogation aux lois physiques. Tout au plus distinguera-t-on une œuvre merveilleuse des autres œuvres par l'absence de l'occasion ; mais cette absence n'est qu'accidentelle : en substance, un miracle envisagé du côté de la cause opérante, ne se distinguera d'aucun autre effet.
Ceux-ci donc pèchent par excès, ceux-là par défaut. Pour nous éloigner de ces deux extrêmes et établir la vérité dans son juste milieu, il faudra démontrer, contre les premiers, que les raisons des choses sont immédiatement soumises à Dieu, et, contre les seconds, que toutes les choses de ce monde ont leurs propres opérations. En d'autres termes, il faudra revenir au concept adéquat de la Providence qui comprend ces deux aspects : la raison des choses ordonnées à leur fin, laquelle est immédiatement en Dieu et de Dieu, et l'exécution de cette raison, laquelle s'accomplit par le moyen des causes secondes.
Après avoir démontré, dans ce chapitre, comment les choses naturelles sont immédiatement soumises à l'ordre de la Divine Providence par rapport à leur fin, nous expliquerons, dans le chapitre suivant, comment la Providence n'exclut pas, mais au contraire ordonne et veut que les causes secondes aient leur propre efficience ou causalité par rapport à leurs propres effets.
Une formule synthétique résumera notre exposition : Dieu, tandis qu'il pourvoit immédiatement à toutes les choses quant à la raison qui les conduit à leur fin, non seulement ne soustrait pas, mais répartit à chacune d'elles et leur conserve continuellement le pouvoir et l'efficacité d'une véritable causalité.

§ III. - Commençons par déterminer quelle est l'action de Dieu dans le monde.
La connaissance de Dieu n'a pas de limites. Elle s'étend à tout ce qui est, a été et sera. Elle embrasse également toutes les choses qui peuvent exister de quelque manière que ce soit. Toutes sont connues de lui, non pas d'une connaissance générale et confuse, mais distinctement et d'une façon très claire ou, comme dit saint Thomas, d'une connaissance propre, propria cognitione. Ceci ne veut pas dire que Dieu connaisse les choses par le moyen de leurs raisons propres, dites espèces intelligibles, mais par le moyen de sa propre essence qui, étant elle-même une espèce intelligible très parfaite, contient éminemment tout ce qu'il peut y avoir de perfection dans les espèces intelligibles des choses créées.
C'est de cette façon que l'acte parfait contient les actes imparfaits. Par exemple, l'âme raisonnable contient l'âme sensitive et l'âme végétative ;le numéro six, qui est parfait, contient les nombres inférieurs imparfaits. De cette manière, l'acte imparfait peut se connaître parfaitement et d'une connaissance propre par celui qui est parfait, comme les choses finies peuvent toutes être connues parfaitement par Dieu dans sa divine Essence même[32]. Il s'ensuit que la divine Essence est pour Dieu, en même temps, le principe, le moyen et le terme de sa connaissance. En elle et par elle, Dieu voit avec une souveraine clarté, avec une parfaite précision et propriété, toute perfection qui peut être communiquée aux créatures, tant spirituelles que corruptibles, tant actuelles que possibles.
La science de Dieu ne réside donc pas seulement dans les généralités, elle descend aux plus petits détails ; elle embrasse les plus lointaines conclusions, tant dans l'ordre spéculatif que dans l'ordre pratique.
La même chose doit se dire de la Divine Providence, laquelle est dans l'intellect de Dieu, en supposant toutefois en lui la volonté de la fin. La Providence est la raison des choses qui doivent être ordonnées à leur fin[33]. Elle s'étend donc aussi loin que la connaissance de l'intellect divin par rapport aux choses à ordonner à leur fin, c'est-à-dire aussi loin que s'étend la causalité de Dieu. Or, la causalité de Dieu, premier agent, s'étend à tous les êtres, quels qu'ils soient, et non seulement aux principes des espèces, mais encore aux principes immédiats des individus, tant dans les choses corruptibles que dans celles incorruptibles, étant donné qu'aucune chose ne peut participer à l'être, sinon en vertu de Celui qui est l'être par essence.
Qu'on ne dise pas que Dieu a donné aux choses créées par lui quelques lois générales pour les diriger dans leurs opérations, et qu'il les laisse ensuite suivre ces lois, ou bien, lorsqu'une raison spéciale l'exige, qu'il les laisse y déroger, comme le font parfois les supérieurs, lorsqu'ils prescrivent à leurs subalternes des règles déterminées, mais non tellement inviolables, qu'elles ne puissent souffrir aucune exception. Ceci, disons-nous, lorsqu'il s'agit de Dieu, est un vain songe et une supposition chimérique.
C'est pourquoi, dit saint Thomas, interpréter la loi et dispenser de son obligation, n'appartient de droit qu'à celui qui peut porter un jugement sur cette même loi ; d'autre part, celui-là seul peut porter un jugement sur la loi, qui en est l'auteur[34]. Or, bien que, dans les choses humaines, il arrive parfois qu'un inférieur déroge effectivement pour de justes motifs à la loi de son supérieur, et qu'en cela même il se montre supérieur à la loi, un cas semblable ne peut arriver par rapport à Dieu qui n'a, d'aucune façon, aucun supérieur quelconque. Il est donc nécessaire que Dieu pourvoie immédiatement à toutes les choses, même aux plus petites et aux plus insignifiantes ; il faut par suite que les dérogations à l'ordre de la nature retombent elles-mêmes dans l'ordre de la Providence, comme conçues et voulues immédiatement par Dieu[35].
D'autre part, nous devons bien nous garder de juger l'Être suprême, qui est Dieu, à la manière d'un homme, dont le pouvoir est limité. L'homme ne peut, le voulût-il, entrer dans tous les détails des choses soumises à sa providence particulière. Un roi, quelle que soit sa pénétration, ne peut prêter une attention minutieuse et continue à toutes les choses particulières de son royaume. Tout en se réservant la haute direction sur ses ministres, il consent à ce que ceux-ci partagent avec lui le soin de pourvoir aux choses inférieures dans les cas particuliers, et qu'ils s'occupent, chacun dans sa sphère d'action, des choses que la science limitée du roi ne peut atteindre par elle-même.
Avec Dieu, au contraire, les choses ne sont pas ainsi. Son regard puissant embrasse les petites choses aussi bien que les grandes ; il pénètre jusqu'aux détails les plus minutieux ; il embrasse, sans succession, tous les temps ; il connaît sans changement tous les changements qui ont lieu ; il joint à la vivacité et à la fraîcheur de la jeunesse l'assurance et la prudence de l'âge mûr[36].
Qu'on ne dise pas qu'il répugne à la dignité d'un Dieu immense, de s'abaisser jusqu'à prendre soin de ce qui, en soi, a si peu d'importance. On ne doit pas juger Dieu de la même façon que nous jugeons les hommes. Par la condition même de sa nature, l'intelligence humaine est très limitée : aussi, nombreuses sont les choses que l'homme ne peut prévoir, et même, en les prévoyant, il ne peut actuellement les ordonner à leur fin propre. C'est pourquoi il est souvent nécessaire que nous laissions ces points secondaires à la détermination du moment, pour ne pas détourner notre intelligence de la considération de choses plus nobles et d'une plus grande importance. D'autre part, il est louable que l'homme s'abstienne de penser à certaines choses viles et basses, autrement sa volonté, inclinée déjà au mal, pourrait en recevoir quelque dommage. Le mot de saint Augustin trouve ici sa place : « Il y a certaines choses, dit-il, qu'il vaut mieux ignorer que connaître, comme par exemple, les choses viles ou nuisibles [37]»
On ne peut trop condamner ce système d'éducation, aujourd'hui tant vanté, qui consiste à permettre à tous indifféremment, toutes sortes de lectures et d'études sous prétexte qu'il n'y a rien de mal à connaître les choses. Certainement, il n'y a rien de mal à connaître les choses même mauvaises ; mais, étant donnée la faiblesse de l'homme, ce libéralisme dans l'éducation peut être cause d'une ruine irréparable, telle que, hélas, on ne l'a vu que trop souvent.
Bien différente de la connaissance limitée de l'homme est la connaissance de Dieu. L'être suprême n'arrive pas à la connaissance des choses par plusieurs actes différents, mais par un seul qui est sa propre essence. D'autre part, la volonté divine est essentiellement droite, de telle sorte qu'elle ne peut en aucune manière se porter au mal. C'est pourquoi rien ne s'oppose à ce que Dieu pourvoie à toutes les choses, immédiatement et par lui-même ; ceci même est nécessaire, et non seulement par rapport aux choses suprêmes, mais aussi à celles qui sont les plus insignifiantes à nos yeux[38].

§ IV. - Voilà donc quelle est l'ampleur et l'universalité de la Providence Divine.
Étant donnée la distinction des ordres inférieurs d'avec l'ordre suprême, et la façon dont l'ordre suprême, qui est gouverné par la sagesse et la volonté divine, c'est-à-dire par la Divine Providence, comprend, en les surpassant, tous les ordres des causes secondes, il s'ensuit qu'un effet quelconque en tant qu'il se trouve comme contenu dans l'ordre suprême, c'est-à-dire, dans la divine volonté, se vérifie constamment avec la plus grande exactitude, ce qui n'arrive pas toujours, si l'on juge cet effet d'après sa dépendance par rapport aux causes inférieures.
Nous savons, en effet, chose qui sera exposée plus amplement dans les chapitres suivants, que la cause première n'enlève pas aux causes secondaires le pouvoir de produire leurs effets déterminés ; de telle sorte, toutefois, que, en raison de l'excellence de la puissance divine, laquelle surpasse infiniment n'importe quel pouvoir créé, beaucoup de choses sont contenues dans la science directrice de Dieu, dans sa volonté maîtresse et dans son pouvoir exécutif, lesquelles n'appartiennent pas à l'ordre des causes inférieures. Aussi, en ne regardant que les causes inférieures, on peut en venir à juger que tel effet doit se produire, lequel cependant ne se produira pas, au cas où l'ordre suprême de la cause première et infinie en aura disposé autrement.
Rappelons-nous le cas de Lazare. En n'envisageant que l'ordre des causes naturelles secondaires, on aurait certainement dû déclarer que son cadavre ne serait pas rendu à la vie, et l'on aurait dit là une grande vérité, car il n'y a, dans un corps mort, aucune possibilité naturelle de revenir à une vie nouvelle. Toutefois Jésus-Christ dit à Marthe, en lui montrant précisément le cadavre de Lazare : « Ton frère ressuscitera[39] », et il dit la vérité. Car, étant Dieu, il savait fort bien qu'il en avait été disposé autrement dans l'ordre de la Providence. « La volonté de Dieu, étant cause première et universelle, dit saint Thomas, n'exclut pas les causes intermédiaires dont le pouvoir comporte la production de certains effets. Mais comme toutes les causes intermédiaires n'égalent pas en vertu la cause première, il y a dans la puissance, dans la science et dans la volonté divine, beaucoup de choses qui ne sont pas contenues dans l'ordre des causes inférieures, telle la résurrection de Lazare[40]. »
Cette même observation sert aussi à nous faire comprendre pourquoi certaines prédictions, bien que divines, ne se réalisent pas. La raison en est que ces prédictions ont été faites, non pas en considération de l'ordre de la cause première, mais seulement des causes secondes, à l'ordre desquelles Dieu est libre de déroger, quand cela lui plaît.
De fait, nous avons dans la sainte Écriture plusieurs exemples de prophéties non vérifiées, et cela pour la simple raison que ces prophéties étaient faites par rapport à l'ordre des causes inférieures et eu égard aux dispositions naturelles des choses ou bien aux mérites de la créature, tandis qu'il en était disposé autrement dans l'ordre suprême de la Divine Providence. « Donne tes ordres à ta maison, disait de la part de Dieu le prophète Isaie à Ézéchias malade dans son lit[41], car voilà que tu vas mourir et tu ne te relèveras pas. » Tel était le verdict obligé, étant donné la nature du mal dont souffrait le roi de judas, verdict manifesté par la vision surnaturelle accordée à Isaïe ; mais une autre chose était écrite dans les décrets éternels. En effet, tandis qu'Ézéchias, bouleversé par la triste nouvelle, s'adressait au Seigneur et avec force prières et larmes le suppliait de prolonger sa vie, le premier verdict était annulé, et le roi s'entendait dire [42] : «Voici que j'ajouterai à tes jours encore quinze années.»
De la même manière, le Prophète Jonas, considérant les péchés des Ninivites, les menaçait d'une complète et prompte extermination : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite [43] ». Mais comme les décrets éternels portaient que Ninive se convertirait, le désastre prédit n'eut pas lieu. Le Seigneur étendit au contraire sur la cité contrite, et humiliée le manteau de son infinie miséricorde [44] : « Dieu se repentit du mal qu'il avait annoncé qu'il leur ferait, et il ne le fit pas. »

§ V. - La conclusion que nous tirons de tout ceci est claire. Il est faux de dire, avec les déistes, que Dieu ne s'occupe pas des choses de cette terre et que, bienheureux dans son royaume, il a livré le monde physique au pouvoir des lois de la nature, laissant le monde moral libre de disposer de lui-même.
Elle n'est pas moins fausse la remarque arrogante que Éliphas Thémanites imputait sans raison au saint homme job, mais que les incrédules ne cessent de répéter : « Qu'en sait Dieu ? Pourra-t-il juger à travers les nues profondes ? Les nues lui forment un voile, et il ne voit pas ; il se promène sur la voûte du ciel[45]. »
Elle est fausse également l'observation de Platon [46] à savoir qu'il existe une triple providence : la première, celle du Dieu suprême, qui pourvoit principalement aux choses spirituelles, c'est-à-dire aux substances séparées et ensuite au monde entier quant aux genres, aux espèces et aux causes universelles, qui sont les corps célestes ; une seconde, celle des substances séparées, qui mettent en mouvement les cieux, appelées par lui les dieux, substances qu'il imaginait connue tournant autour du ciel et auxquelles il attribuait le soin de pourvoir aux individus, tant chez les plantes que chez tous les autres êtres générables et corruptibles, quant à leur génération, corruption ou changements divers[47] ; enfin une troisième, celle des démons qui sont sur la terre, placés par Platon entre les dieux et les hommes et auxquels appartient, d'après lui, le soin des choses humaines.
En réalité, cette triple providence ou toute autre chose semblable est un mythe. Le fait est que Dieu pourvoit immédiatement à ce que toutes les choses, même les plus petites, soient ordonnées à leur fin. La raison le démontre et les saintes Écritures le confirment amplement. « C'est vous, ô Seigneur, qui avez fait les merveilles des temps anciens, et qui avez formé le dessein de celles qui ont suivi, et elles se sont accomplies parce que vous l'avez voulu[48].»- «A qui a-t-il cédé le gouvernement de la terre et à qui a-t-il donné à gouverner le monde qu'il a fabriqué [49] ? »« Le Seigneur, conclut saint Grégoire, gouverne par lui-même le monde qu'il a créé par lui-même[50]. »

§ VI. - De ce que nous avons dit, on peut juger combien est loin du vrai la philosophie, si l'on peut lui donner ce nom, d'Herbert Spencer et de ses disciples qui, en s'efforçant d'expliquer l'origine du cosmos et sa constitution physique uniquement par l'opération de causes naturelles, de manifestations spontanées ou encore de productions mentales, ne reconnaissent d'autre cause efficiente que la matière et le dynamisme et croient trouver dans ces phénomènes, la somme totale de la science philosophique et notamment de la psychologie.
Saint Pierre qualifie de vaniteux ceux qui, avec un apparat ridicule de mots dépourvus de sens, affectent de méconnaître, dans leurs raisonnements scientifiques, le Seigneur et Créateur de toutes choses[51]. Ce n'est pas à tort que parle ainsi le Prince des Apôtres. Négliger les progrès obtenus dans la connaissance des forces du cosmos et de ses lois ou prétendre méconnaître les déductions légitimes des sciences expérimentales est, nous le reconnaissons, une injure faite au Créateur lui-même qui, dans la constitution du monde, a voulu que chaque chose fût marquée au sceau de sa sagesse [52] et qui a dispose tout avec mesure, nombre et poids [53]». Mais, d'autre part, c'est certainement le comble d'une ignorance folle de prétendre exclure du domaine scientifique la cause première, de laquelle toutes les autres causes dépendent nécessairement.
Il ne suffit pas d'introduire Dieu pour un moment sur la scène de l'univers pour le faire ensuite disparaître, comme si les choses du monde n'avaient plus besoin de sa présence pour exister et pour agir. La présence de Dieu dans l'univers n'est pas moins nécessaire que la présence du soleil dans le monde. Sans Dieu tout est ténèbres, inertie et mort ; c'est le chaos primitif, ou mieux encore, c'est l'abîme du néant.



CHAPITRE III

L'ACTION DES CRÉATURES DANS LE MONDE

1. Erreur des occasionnalistes.- 2. Malebranche.- 3. Raison qu'apportent les occasionnalistes.- 4. Les choses créées possèdent une véritable raison de causalité. - 5. Opinions de Platon et d'Avicenne sur l'activité des substances séparées. - 6. L'occasionnalisme, opposé à l'œuvre de la Rédemption. - 7. Les raisons des occasionnalistes se détruisent d'elles-mêmes. - 8. La quantité n'est pas un empêchement à l'activité. - 9. Conséquence de cette doctrine en ce qui concerne la causalité des choses du monde. - 1o. Diversité d'immédiation en Dieu et dans les créatures par rapport aux effets de celles-ci. - 11. Dieu est dans toutes les choses par immédiation de suppôt, mais il n'agit pas dans toutes les choses par cette immédiation.

§ I. - D'après ce que nous avons exposé dans le chapitre précédent, il résulte que Dieu, cause première et suprême, pourvoit immédiatement à toutes les choses, en tant que la raison de l'ordre de ces choses par rapport à leur fin est en lui immédiatement. Mais, dira-t-on, peut-être Dieu opère-t-il directement tout par lui-même, sans la coopération d'aucune cause seconde ? Et s'il en est ainsi, tout ce qui arrive est produit directement par lui, et par conséquent, ou bien tous les effets produits dans le monde sont des miracles, ou bien ce que nous avons l'habitude d'appeler miracle ne l'est pas plus que n'importe quel autre effet, puisque Dieu seul est toujours l'unique cause de tous les effets réalisés par les créatures. Ainsi raisonnent les philosophes qu'on est convenu d'appeler occasionnalistes. Ils soutiennent que les causes secondes sont uniquement des occasions déterminant Dieu à produire par lui seul tous les effets réalisés dans les créatures.
Nous avons déjà vu comment les déistes rejettent l'intervention de la Divine Providence dans les choses de ce monde. Voyons maintenant comment les occasionnalistes, au contraire, admettent cette intervention, au point d'exclure le concours des causes secondes. De même que les premiers partaient de ce principe que les causes secondes sont suffisamment parfaites en elles-mêmes et par conséquent n'ont pas besoin du concours de la cause première, ainsi les occasionnalistes, du fait même que Dieu opère en toutes choses, ont pris motif de cela pour nier une véritable raison d'efficience dans les créatures. « Que Dieu opère en chaque chose opérante, dit le Docteur angélique[54], certains l'ont entendu de telle sorte qu'ils exclurent toute vertu créée productive des choses, comme si Dieu seul produisait directement chaque effet ; c'est pourquoi, selon eux, ce n'est pas le feu qui réchauffe, mais c'est Dieu lui-même qui réchauffe dans le feu, et ainsi doit-on dire de toutes les autres causes secondes. »
L'occasionnalisme, du reste, n'est pas de date récente. Saint Thomas rapporte l'opinion de quelques philosophes qui disaient qu'aucune forme, tant substantielle qu'accidentelle, n'est produite autrement que par voie de création [55]. Ces formes, disaient-ils, ne peuvent être produites par la matière, puisqu'elles n'ont en elles-mêmes aucune matière ; il faut donc qu'elles soient tirées du néant, ce qui signifie qu'elles sont créées, action qui ne convient qu'à Dieu seul. Une conclusion semblable découlerait, comme conséquence nécessaire, du système de Platon, ce philosophe attribuant l'origine de toutes les formes, tant substantielles qu'accidentelles, a des formes appelées par lui idées séparées.
Le philosophe arabe Avicenne s'écarte quelque peu de Platon. Tandis qu'il attribue à l'action de l'intellect, agent qui, d'après lui, est unique chez tous, la production des formes substantielles, il fait cependant une exception pour les formes accidentelles, qu'il suppose n'être que de simples dispositions de la matière, et conséquemment peuvent très bien venir de l'action des agents inférieurs, dont la vertu consiste à disposer la matière à la forme.

§ II. - Mais il était réservé au célèbre Malebranche de renouveler ce système de philosophie, en lui donnant un plus grand développement et de nouvelles applications.
Disciple de Descartes et partant des principes de son maître, il était arrivé à des conclusions diamétralement opposées. En vertu de son doute universel, Descartes en était venu à libérer, comme il le disait, la raison de tout lien, en la délivrant également des liens sacro-saints de la foi et, disons-le, en la laïcisant comme l'observe dans ses Pensées le profond Pascal.
Malebranche, au contraire, mêlant l'ordre de la nature à celui de la grâce, voit Dieu partout, et rencontre en toutes choses l'action directe du Créateur ou son ingérence immédiate et presque exclusive dans tous les effets du monde. S'agit-il de retracer l'origine de nos connaissances dans l'ordre des idées, Malebranche, nouveau Platon, en revendique la raison au Verbe même de Dieu, à l'immatérialité duquel nous participons et en qui nous connaissons, par une vision directe, tout ce que nous percevons. Veut-on connaître d'où vient l'union de la créature avec son Créateur, il faut de nouveau recourir au Verbe incarné, auteur et médiateur nécessaire de cette union.
Veut-on, dans l'ordre de causalité, rechercher le principe d'efficience dans les choses créées, il faut remonter à la cause première. C'est de son action seule et sans intermédiaire, que dépendent les effets des créatures. Tout en admettant, en apparence, la médiation des causes secondes, la cause première ne s'en sert, en réalité, que comme d'une simple occasion d'exercer sa propre efficience. Quand donc nous voyons un effet se produire dans le monde, il nous semble qu'il dépend d'agents déterminés secondaires, mais nous nous trompons ; c'est Dieu même qui produit par lui seul tout l'effet ; l'agent secondaire n'est autre, en réalité, qu'une pure occasion.
Mais il convient de citer les propres paroles de Malebranche. « Les causes naturelles, dit-il[56], ne sont point de véritables causes, ce ne sont que des causes occasionnelles qui n'agissent que par la force et l'efficacité de la volonté de Dieu. » Et encore [57]: « Il n'y a donc qu'un seul vrai Dieu et qu'une seule cause qui soit véritablement cause, et l'on ne doit pas s'imaginer que ce qui précède un effet en soit la véritable cause. Dieu ne peut même communiquer sa puissance aux créatures, si nous suivons les lumières de la raison, il n'en peut faire de véritables causes, il n'en peut faire des dieux. Mais quand il le pourrait, nous ne pouvons concevoir pourquoi il le voudrait. Corps, esprits, pures intelligences, tout cela ne peut rien. C'est celui qui a fait les esprits qui les éclaire et qui les agite. C'est celui qui a créé le ciel et la terre qui en règle les mouvements. Enfin, c'est l'auteur de notre être qui exécute nos volontés. Semel jussit, semper Paret. Il remue même notre bras lorsque nous nous en servons contre ses ordres ; car il se plaint par son prophète[58], que nous le faisons servir à nos désirs injustes et criminels. »

 § III. - Au soixante-neuvième chapitre du troisième livre de la Somme contre les Gentils, saint Thomas expose et résout les principaux motifs invoqués par les partisans de l'occasionnalisme en faveur de leur système. A la suite d'un tel maître nous examinerons la valeur objective de ces motifs. On verra comment un tel système est complètement dépourvu de fondement philosophique et comment le regard pénétrant du Docteur angélique en avait déjà minutieusement sondé les replis les plus secrets.

a) Le premier motif qui semblerait nous porter à attribuer à Dieu seul les effets des causes créées, c'est que dans ces mêmes effets on constate souvent la production d'une forme substantielle, comme quand, par la combustion, le bois devient cendre. Cependant aucune cause créée n'agit immédiatement par sa substance, car ceci est le propre de Dieu seul, dont l'être et l'agir sont une même chose avec son essence. Chaque nature créée agit par sa propre vertu, qui est une forme accidentelle ; c'est pourquoi un tel effet ne peut s'attribuer à la créature ; autrement il surpasserait sa cause ; la forme substantielle produite excédant la vertu accidentelle productrice. Il est donc nécessaire de remonter à une cause plus haute pour expliquer la production de ces effets. Or cette cause n'est autre que Dieu lui-même.
b) Cette conclusion apparaît encore plus évidente, nous dit-on, si l'on considère les corps en tant que causes efficientes. Afin que ceux-ci puissent agir, il faudrait qu'ils aient quelque chose qui leur soit soumis comme le principe passif l'est au principe actif. Or, aucune substance n'est inférieure à la substance corporelle. Celle-ci étant donc, pour ainsi dire, aux antipodes de Dieu, étant donné que Dieu ne possède aucune vertu passive, mais seulement une vertu active, il faut que la substance corporelle ne soit douée que d'une vertu passive ; d'où le philosophe arabe Avicebron [59]en vint à conclure qu'aucun corps ne possède le principe d'activité, mais que la vertu de la substance spirituelle, en passant par les corps, produit elle-même toutes les actions que les corps semblent produire.
Parmi les autres raisons sur lesquelles les occasionnalistes s'efforcent d'étayer leur système, nous nous contenterons d'en citer encore deux.
c) La première est celle-ci. Pour qu'un corps puisse agir sur un autre corps, le feu, par exemple, sur le bois, il est nécessaire qu'un accident passe d'un sujet à l'autre, que la chaleur passe du corps chaud au corps qui doit être échauffé, ce qui ne peut être, car de tels transferts d'accidents ne peuvent avoir lieu de sujet à sujet.
d) L'autre raison est que les corps sont doués de quantité ; et de même que celle-ci retarde le mouvement, de même aussi est-elle un empêchement au développement de l'activité. On doit conclure de là que nul corps n'est actif ; mais tous les corps sont essentiellement et exclusivement passifs.
Voici quelques-uns des principaux motifs, qui ont amené les occasionnalistes, anciens et modernes, à nier, dans les corps et, en général, dans toutes les substances créées, tout principe réel d'efficience. D'autre part, la force de la logique ne nous permet pas de rester dans le doute sur un point d'une telle importance. L'Ange de l'École nous a fourni d'amples preuves de la réalité de l'action des créatures. Nous choisissons les suivantes.

§ IV. - Premièrement, s'il était vrai que Dieu produit par lui seul tous les effets que nous attribuons
aux causes secondes, cette seule action divine nous enlèverait tout moyen de distinguer spécifiquement les uns des autres les effets créés.
En effet, l'action de Dieu, étant sa propre substance qui est une et très simple, ne peut être, par elle seule, la raison de la variété des effets. D'autre part, cette variété ne pourrait se déduire des causes secondes, puisque, dans cette hypothèse, celles-ci ne seraient autre chose que de pures occasions. Il n'y aurait donc aucune raison pour que, de l'application du feu, par exemple, se produise la chaleur plutôt que le froid, ou que d'une semence déterminée, un individu naisse d'une espèce plutôt que d'une autre. Or ceci est en contradiction avec l'expérience, laquelle nous montre comment les mêmes causes produisent constamment les mêmes effets ; et pour cela des effets divers exigent des causes diverses. Dira-t-on que les effets sont différents les uns des autres en raison de la volonté divine qui détermine leur espèce selon les occasions données ? Cette hypothèse nous fait heurter contre le très grave inconvénient de dire que la volonté divine est déterminée et, pour ainsi dire, modifiée par les causes secondes elles-mêmes.
Étrange contradiction ! Tandis que l'occasionnalisme s'obstine à refuser aux créatures une causalité réelle par rapport aux effets créés, il est contraint d'admettre en elles une autre causalité bien supérieure à celle-là, c'est-à-dire, une causalité qui s'exerce par rapport à la divine volonté même [60]. Qu'on reconnaisse donc que les créatures sont de véritables causes par rapport à leurs propres effets. En d'autres termes, un effet est le produit immédiat de la cause avec laquelle il a une ressemblance spécifique. Or, les effets ont une ressemblance spécifique avec les causes secondes. Il faut donc qu'ils soient directement produits par ces causes mêmes. Supprimez cette causalité, et vous ne pourrez plus découvrir une raison suffisante, soit de la diversité qui existe entre les effets, soit de la ressemblance d'un effet avec une cause donnée, plutôt qu'avec une autre cause quelconque.
Si maintenant nous passons à considérer la question sous la lumière des principes philosophiques, pourquoi, demandons-nous, aurions-nous à refuser aux choses créées une efficience réelle par rapport à leurs effets propres ? Sans doute, Dieu est le principe de toute action, comme il est le principe de tout être ; mais, comme il a communiqué aux choses créées une certaine ressemblance de lui-même quant à l'être, de même aussi il leur a communiqué une certaine ressemblance de lui-même quant à la faculté d'agir, selon l'adage, operari sequitur esse. Il s'ensuit que de même que les choses créées possèdent leur être propre, de même aussi elles ont une vertu propre pour produire leurs effets. Il y a plus. Comme l'observe saint Thomas,[61] non seulement la vertu opérative, qui est dans les choses, leur aurait été inutilement attribuée, si celles-ci n'agissaient pas par cette vertu, mais les choses créées elles-mêmes n'auraient aucune raison d'être, si elles venaient à être privées de leur propre opération, à laquelle chaque chose est ordonnée, de même que l'imparfait est ordonné à ce qui est plus parfait. C'est pourquoi, comme la matière existe à cause de la forme, ainsi la forme, qui est l'acte premier, existe à cause de l'opération propre, qui est l'acte second. D'où il suit que l'opération est la fin propre des choses créées ; et, par conséquent, les choses créées n'auraient aucune raison d'être, si elles n'avaient pas d'opération qui leur soit propre[62].
Concluons en disant que l'occasionnalisme porte atteinte à la perfection de Dieu, à la perfection de l'univers, à la perfection de la science humaine.
D'abord, l'occasionnalisme porte atteinte à la perfection de Dieu, dont la vertu se manifeste précisément par celle des causes secondes, qui n'est autre chose qu'une participation de la vertu divine. Et la vertu divine nous apparaît d'autant plus grande, d'autant plus inépuisée et inépuisable, que nous la voyons communiquée aux causes secondes. En effet, si l'on regarde comme une chose grande la vertu de celui qui peut opérer avec perfection, combien devons-nous estimer plus grande encore la vertu de celui qui, en plus de son opération propre, peut encore donner à d'autres, en la leur communiquant, une participation de sa vertu, de son énergie, de son efficacité, ce qui revient à dire, de sa suprême et infinie perfection dans le domaine de l'action ? Au contraire, la puissance divine nous paraîtrait restreinte et assez pauvre, si elle était tellement renfermée en Dieu, qu'elle ne puisse se répandre dans les choses créées par lui.
Non, Dieu n'est pas comme ces arbres géants qui centralisent, en l'absorbant autour d'eux, le suc de la terre, et ne permettent à aucun arbrisseau de vivre sous leurs rameaux. Dieu ne tenant pas son pouvoir du dehors, mais étant lui-même ce pouvoir par essence, le fait qu'il le communique à d'autres, n'enlève rien à sa grandeur qui, au contraire, n'en retire que plus d'éclat.
L'occasionnalisme, avons-nous dit, non seulement fait tort à la perfection de Dieu, mais il s'oppose en outre à celle de l'univers. Le bien de l'univers consiste, en effet, dans cette connexion étroite qui relie entre elles les choses créées ; il établit leurs relations mutuelles d'action et de passion, il les rend subordonnées les unes aux autres. Or, ce lien, cet ordre de dépendances et d'influences mutuelles sera détruit, si les causes secondes ne peuvent agir réellement sur leurs effets. Enlevez cette subordination, et vous détruirez, en même temps, la connexion des parties entre elles, vous ôterez l'unité du monde. Tout alors sera dénoué, épars et confus ; l'univers tombera dans un état de chaos, dans un état de véritable anarchie.
Enfin, l'occasionnalisme détruit les fondements de notre science. Si aucune influence mutuelle n'existe réellement entre les choses de ce monde, si les êtres n'ont aucune raison de vraie causalité quant à leurs effets, non seulement nous ne pouvons arriver à connaître la nature des choses, mais en outre nous voyons se fermer devant nous le chemin menant à l'acquisition et au développement de la science. Nous ne connaissons, en effet, la nature des choses que d'après leurs propriétés, ces propriétés d'après leurs opérations, et ces opérations d'après leurs effets. Si donc ces effets ne dépendent pas de ces opérations, nous nous tromperons certainement quand, d'après eux, nous prétendrons tirer des conclusions sur la nature intrinsèque des choses.
D'autre part, la science n'est pas une pure nomenclature de faits isolés plus ou moins complète. La science consiste à ramener les faits à leurs causes. Or, comment cela se pourra-t-il vérifier, si, entre la cause et l'effet, il n'existe aucun lien logique, réel et nécessaire ?
Disons-le tout haut : les causes secondes ont une action véritable, réelle et efficace dans la production de leurs effets, de sorte que ceux-ci dépendent réellement de celles-là. D'autre part, Dieu qui est la vérité même, ne saurait induire l'homme en erreur, en lui faisant apparaître ce qui n'est pas. Il est trop grand pour avoir besoin d'agir entièrement par lui-même excluant la coopération de ministres exécuteurs de sa volonté ; il est trop parfait pour craindre de perdre, en le communiquant aux créatures, son pouvoir divin.
Observons ici, en passant, comment cette doctrine de saint Thomas d'Aquin sur l'efficacité des actions des créatures, doctrine d'ailleurs entièrement conforme aux lois physiques, a été constamment enseignée par les Pères de l'Église, ainsi que par les théologiens scolastiques. Ce n'est donc pas une injure légère faite à la mémoire de ces grands docteurs que d'assurer, ainsi que faisait le Professeur Zahm, que « Descartes... fut le premier philosophe, après saint Augustin, qui insista spécialement sur ce que l'ensemble des choses est gouverné par des lois naturelles et que l'univers physique n'est pas le théâtre d'un perpétuel miracle et d'interventions divines[63] ». Non, Descartes n'a rien trouvé de bon, qui n'eût été déjà enseigné par les Pères et les Docteurs de l'Église. Mais puisque le Professeur Zahm fait tant de cas de l'enseignement cartésien, il ne sera pas hors de propos de rapporter ici ce que dit Pascal sur le système du célèbre philosophe : « Je ne puis pardonner à Descartes, dit-il ; il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu ; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n'a plus que faire de Dieu.[64] »

§ V. - Si l'on ne peut pas soutenir que Dieu produit immédiatement tous les effets de ce monde, il est encore bien moins admissible qu'une telle production soit l'œuvre d'un ange ou d'une intelligence quelconque, comme l'ont rêvé autrefois Platon et Avicenne. Car si Dieu peut produire par lui-même directement des effets composés tels que ceux que nous voyons dans le monde, les anges, et même le plus grand d'entre eux ne le peuvent pas. Donner immédiatement la forme à la matière, c'est-à-dire produire un composé, ne peut appartenir que, soit à un agent lui-même composé, étant donné que tout agent produit une chose qui lui ressemble, soit à cet agent simple et infini, qui peut le faire directement, c'est-à-dire à Dieu seul, du pouvoir duquel dépend non seulement la forme, mais aussi la matière, comme on le dira ci-après[65].

§ VI. - Que si de l'ordre naturel, nous passons à l'ordre surnaturel, oh ! alors, l'occasionnalisme se révèle à nous tel qu'il est en réalité, un perturbateur de l'harmonie universelle, en tant qu'il bouleverse toute l'économie de la Rédemption.
Nous savons en effet que Dieu aurait pu sauver l'homme par un seul acte de sa volonté ; mais, ne voyons-nous pas, au contraire, que tout un enchaînement de facteurs subordonnés entre eux concourt à produire un même effet ? Vraiment, l'œuvre de la Rédemption nous apparaît avec un ordre merveilleux de causes subordonnées entre elles. Dans cet ordre on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, la multiplicité des causes, ou la splendide harmonie qui règne entre elles.
Au-dessous de la bienheureuse Trinité, notre première rédemptrice, nous trouvons en premier lieu l'humanité sacro-sainte de Jésus-Christ, instrument merveilleux uni à la divinité. Au-dessous du Christ, nous trouvons la Très Sainte Vierge Marie, les ministres de l'Église, les Sacrements et tout un ordre de circonstances qu'un œil superficiel jugera peut-être indifférentes ou fortuites, mais qui, en réalité, sont toutes ordonnées à la production de l'effet voulu, c'est-à-dire au salut de l'homme. Or, toutes ces causes secondaires sont si sagement disposées que, malgré leur multiplicité, elles conservent une merveilleuse subordination, un parfait enchaînement qui exclut toute espèce de confusion. La confusion, s'il y en a, est toute dans nos yeux, dont la vue trop courte ne nous permet pas toujours de discerner où commence et où finit cette mutuelle influence.
Or, que fait l'occasionnalisme ? Il biffe d'un trait de plume toute cette surprenante harmonie, la remplaçant par un vide inconcevable. Et c'est ainsi que ce système est opposé aussi bien à toute donnée de la raison, qu'à l'ordre tout entier de la Rédemption.

§ VII. - a) Venant maintenant aux difficultés proposées plus haut[66], il faut, en premier lieu, rectifier, par rapport aux choses composées de matière et de forme, le concept de la production des formes, tant substantielles, qu'accidentelles. Dans ces composés, les formes ne sont pas des choses subsistantes, des choses qui aient l'être par elles-mêmes ; ce sont plutôt des choses par lesquelles et dans lesquelles quelque être subsiste. Or, une chose est produite selon le mode dans lequel elle subsiste. Si donc, les formes ne subsistent pas par elles-mêmes, on ne peut pas dire qu'elles soient produites par elles-mêmes. Ce qui est produit par lui-même est ce qui subsiste, c'est-à-dire le composé[67]. Il faut toutefois excepter l'âme humaine, laquelle, bien que forme substantielle du corps, est, à cause de sa spiritualité, une forme subsistante per se qui, par conséquent, est produite per se.
Mais, dans les choses inférieures à l'homme, dès que le composé est réduit de la puissance à l'acte, la forme commence à exister, puisque c'est la forme qui donne l'acte. Or, comme ce n'est pas la forme qui est produite, mais bien le composé lui-même, ainsi ce n'est pas non plus la forme qui produit l'effet, mais c'est le composé même qui opère au moyen de sa forme. Et c'est de cette forme que dérive la vertu ou le pouvoir opérant qui, dans les créatures est, en vérité, une forme accidentelle. Toutefois, cette forme accidentelle n'est pas, dans les créatures, un principe d'action, si ce n'est en tant qu'elle opère en vertu de la forme substantielle du composé. Ainsi l'effet produit ressemble, non pas à cette vertu accidentelle, mais plutôt au composé, par la vertu duquel cette forme agit, comme la statue faite par l'artiste ressemble non à l'instrument dont celui-ci s'est servi, mais à la forme de l'art existant dans sa pensée.
b) On objectait encore que, comme les corps n'ont, dans l'ordre des choses, aucune substance inférieure à eux sur laquelle ils puissent agir, et qu'au contraire, ils occupent, par rapport à Dieu, pouvoir actif substantiel, l'extrême opposé, ils ne peuvent par conséquent être réellement des causes efficientes, puisqu'ils ne jouissent d'aucune activité.
Ce raisonnement est basé tout entier sur une équivoque. Tout d'abord il n'est pas juste de dire que Dieu et les corps sont à des extrémités opposées. Les corps sont ce qu'ils sont par leur forme, et précisément à cause de ces formes, ils possèdent une certaine ressemblance avec Dieu, forme infiniment simple. C'est pour cela qu'Aristote disait que la forme est quelque chose de divin[68].
Ce qu'on pourrait plutôt imaginer tenir l'extrême opposé de Dieu serait la matière première, que nous concevons comme une pure puissance, privée de toute forme. Cette matière première, n'étant autre chose qu'une pure passivité, n'a, avec Dieu, activité toute pure, aucune ressemblance ; par conséquent, elle est privée de tout principe d'activité. « Qu'on se rappelle, dit saint Thomas[69], qu'Avicebron raisonne de cette manière : Il y a un être qui meut et n'est pas mis en mouvement, c'est-à-dire le premier facteur ou producteur des choses ; c'est pourquoi, en raison des contraires, il y a une chose qui est mue et passive seulement, et ceci doit être concédé ; mais cette chose est précisément la matière première qui est pure puissance, comme Dieu est acte pur :le corps aussi se compose de puissance et d'acte et, pour cela, est, dans le même temps agent et patient. » Et il ajoute plus loin[70]: «Le corps n'est pas ce qui est le plus distant de Dieu : car il participe à quelque ressemblance avec l'être divin, selon la forme qu'il possède ; mais ce qui est bien plus distant de Dieu, c'est précisément la matière première qui n'est en aucune manière active, étant seulement en puissance passive. »
En outre, il n'est pas vrai de dire que les corps n'ont rien qui leur soit inférieur dans l'ordre physique. Car, parmi les corps eux-mêmes, il y a une gradation, une échelle merveilleusement établie par le Souverain Artiste, sur les degrés de laquelle s'étagent les êtres corporels de telle sorte que les uns exercent une action effective sur les autres, comme le feu sur le bois, ou l'eau sur les plantes.
Mais s'il en est ainsi, dira-t-on, le dernier du moins, parmi les êtres corporels, n'aura aucun pouvoir efficace sur les autres, et par conséquent ses actions doivent être accomplies par Dieu lui-même.
Ici encore, le raisonnement tombe à faux. D'abord, un composé corporel, quand il agit, n'agit pas par son être entier, mais par sa propre forme : par sa matière, le composé est en puissance et non en acte. D'autre part, le corps passif est soumis à cette forme, non par sa forme par laquelle il est en acte, mais par sa matière, par laquelle il est en puissance relativement à la forme du corps agent. Il s'ensuit que, par sa matière, le corps passif devient sujet par rapport au corps agent, lequel, par sa forme, est, par rapport à celui-là, principe d'activité ; et c'est ainsi que les corps sont tour à tour supérieurs et inférieurs. « Un corps est inférieur à un autre, dit saint Thomas[71], en tant qu'il est en puissance par rapport à ce que l'autre possède en acte. » Or, il existe des cas où la matière du corps agent est, elle aussi, en puissance par rapport à la forme du corps passif, et dans ce cas, a lieu une action et une passion réciproques. Tel est le cas des mélanges des corps élémentaires dans les synthèses chimiques, bien qu'il arrive parfois que la matière du corps agent ne soit pas en puissance par rapport à la forme du corps patient ; auquel cas, l'action et la passion ne sont pas réciproques. C'est ce qui arrive par rapport au soleil, lequel sans souffrir en lui-même aucun changement de la part des choses terrestres, réchauffe l'air, éclaire les ténèbres, dissipe les nuages et porte, partout où pénètrent ses rayons, la vie et la fécondité.
c) Une troisième objection, énoncée plus haut, contre la causalité physique des êtres créés, partait de ce fait que, pour agir les unes sur les autres, les créatures devraient faire passer leurs qualités propres ou formes accidentelles dans les effets qu'elles sont censées produire et que, par exemple, le feu ne peut réchauffer l'eau, qu'à la condition de transmettre à celle-ci sa propre chaleur, ce qui ne peut s'admettre.
Il n'est pas nécessaire d'être entré bien avant dans l'étude de la doctrine de l'École, pour savoir que tout autre est son enseignement. C'était bien là, en effet, l'opinion de Démocrite, qui, ainsi que le rapporte saint Thomas, « soutenait que toute action a lieu par une émanation d'atomes du corps agent et que toute passion se vérifie par réception de ces atomes dans les pores du corps passif [72] ». Aristote avait déjà réfuté cette opinion [73] en montrant que, s'il en était ainsi, il s'ensuivrait « que le corps passif ne serait pas tel par sa totalité, et que la quantité du corps agent souffrirait diminution du fait même qu'il agit, choses qui sont manifestement fausses [74] ».
Les créatures, pour produire des effets qui leur ressemblent, n'ont donc pas besoin de communiquer à ceux-ci leurs propres formes individuelles, comme si celles-ci passaient d'un sujet à un autre sujet. Tout d'abord, ceci n'est pas possible, un accident ne pouvant, comme l'enseigne saint Augustin[75], s'étendre hors de son sujet in essendo, comme ce serait précisément le cas si, comme l'explique saint Thomas[76], les corps agissaient au moyen de l'écoulement de leurs propres atomes.
Quand donc un corps quelconque agit sur un autre, il ne communique pas à celui-ci des formes identiques à celles qu'il possède lui-même par nature. Il opère toutes les modifications que subit ce corps, en le faisant passer de la puissance à l'acte. Or, de même que, quand Dieu produit un effet, il le fait en amenant un sujet d'une puissance passive à un acte déterminé, quelque éloignée que soit cette puissance de l'acte en question, comme lorsqu'il produit de rien un être quelconque, de même aussi, quand une créature produit un effet, elle le fait en amenant un sujet à un acte déterminé, mais en l'amenant d'un degré proportionné à la vertu propre à la créature. Il suit de là que si nous devons, d'une part, reconnaître, dans les choses créées, une véritable vertu pour pouvoir opérer et une véritable raison de causalité pour amener de la puissance à l'acte les sujets sur lesquels elles agissent, nous devons, d'autre part, circonscrire cette vertu de telle sorte que la créature ne puisse produire, d'une façon indéterminée, un effet quelconque, mais seulement l'effet qui se trouve proportionné à sa vertu.

§ VIII. - d) La dernière difficulté partait de ce principe que la quantité étant, dans les choses matérielles, principe d'individuation, elle a la propriété de restreindre l'ampleur de la forme, et par conséquent d'empêcher le développement de l'activité : d'où il semblerait que tout corps doit être essentiellement passif et nullement actif.
Nous répondons que la quantité est bien un empêchement à l'action de la forme ; cependant cet empêchement ne provient pas de la quantité comme telle, mais en tant que la quantité est dans la matière, la forme qui est dans la matière ayant moins d'activité et de vertu pour agir que celle qui en est dégagée. Il s'ensuit que les corps qui ont moins de matière et plus de forme sont plus actifs, comme on le voit par l'exemple du feu et surtout de la radio.
Que la quantité ne soit pas par elle-même un obstacle à la vertu active, cela se manifeste par le fait que, étant donné, en un corps, un certain degré d'activité proportionné à sa forme, la vertu active croîtra avec l'augmentation de la quantité. Ainsi, plus un corps calorifique est grand, en supposant que demeure constante l'intensité de la chaleur, plus grand sera l'échauffement qu'il produira ; et plus volumineuse est la masse d'un corps pesant, la gravité demeurant constante, plus rapidement tendra-t-il vers le centre et plus difficilement s'en éloignera-t-il : signe évident que la quantité n'est pas, par elle-même, un obstacle au principe d'activité, mais qu'elle l'est seulement en tant qu'elle se trouve dans la matière, le propre de la matière étant de restreindre l'ampleur de la forme.
Pour mieux comprendre comment la quantité continue, et nous ne parlons que de celle-là, n'est pas par elle-même un obstacle à l'activité des corps, mais seulement en tant qu'elle est dans la matière, il sera bon de rappeler ici la doctrine de saint Thomas là où, recherchant l'origine de cette difficulté, sur laquelle précisément Avicebron s'appuyait pour nier aux corps toute activité, le saint Docteur en attribue la cause aux idées séparées de Platon[77].
On sait comment le disciple de Socrate avait imaginé que les formes qui sont dans la matière corporelle sont distinctes de celles qui en sont séparées, les premières, par cela même qu'elles sont reçues dans la matière, s'y trouvant comme contractées et restreintes à celle-ci, les autres, au contraire, libérées de la matière, étant en quelque sorte universelles, et par suite, causes des autres formes, lesquelles, parce qu'elles sont dans la matière, sont de ce fait même déterminées par la quantité. D'où Avicebron tirait cette conséquence, que la quantité, comme principe d'individuation, a pour objet de restreindre la forme corporelle et, pour ainsi dire, l'empêche d'étendre son action à une autre matière, d'où il suivrait que seules les formes spirituelles, n'étant pas limitées par la quantité, jouissent du privilège de l'activité.
Mais cette raison, observe le Docteur angélique[78], ne prouve rien d'autre, sinon que la forme corporelle ne peut être un agent universel ; toutefois elle peut très bien être un agent particulier.
En effet, le propre de l'acte, en tant qu'acte, est d'agir : car tout agent produit une chose qui lui est semblable, et l'agir n'est rien d'autre que faire quelque chose en acte. Or, quand une forme est participée, il est nécessaire aussi que soit participé ce qui est propre à cette forme. Par exemple, autant la lumière est participée, autant est participée la raison de visibilité qui lui est propre. De ce qu'une forme n'est pas limitée par la matière sujette à la quantité, il en résulte donc qu'elle est un agent indéterminé et universel. Si, par exemple, la forme du feu était séparée, elle serait, d'une certaine manière, cause de toutes les productions de chaleur. Si, au contraire, cette forme est déterminée à cette matière, elle devient un agent restreint et particulier. Ainsi la forme du feu, qui est dans la matière corporelle, est cause de cette production de chaleur déterminée, laquelle est due à l'action d'un corps déterminé sur un autre corps également déterminé, et c'est pourquoi une telle action s'accomplit par le contact de deux corps.
Pour conclure, disons que la quantité n'empêche pas entièrement la forme corporelle d'agir. Tout au plus, l'empêche-t-elle d'être un agent universel, en tant que la forme, se trouvant dans une matière sujette à la quantité, est par elle individualisée.
Il résulte de ce que nous avons dit que non seulement les causes secondes en général, mais aussi les corps eux-mêmes en particulier, possèdent une vertu efficiente, réelle, qui leur est propre, de même que les effets provenant de ces causes ont, par rapport à ces mêmes causes, une véritable raison de dépendance. De cette sorte, tout ce qui existe dans l'univers est relié ensemble par un lien étroit de causes et d'effets ; de causes, qui influent sur les effets ; d'effets qui, à leur tour, agissent sur leurs causes. Et tout ceci a lieu avec une harmonie si sagement réglée par le Créateur, que jamais l'équilibre du monde n'en est altéré.
C'est pourquoi la vertu divine, une et simple dans sa source, se reflète d'une façon multiple et variée sur les choses de l'univers créé, les perfectionnant, les fécondant toutes par des moyens, mystérieux sans doute, mais réels et vrais, de telle sorte que, par les choses visibles de ce monde, on peut arriver à comprendre les choses invisibles de l'autre, on peut, pour ainsi dire, les voir et les toucher de la main. «Les perfections invisibles de Dieu, dit Saint Paul[79], sont rendues visibles à l'intelligence par le moyen de ses œuvres. »Le pouvoir des créatures fait connaître la puissance du Créateur, parce que le bien créé n'est autre chose qu'une irradiation du bien incréé. C'est la pensée qu'exprime Dante dans les vers suivants [80]:

La volonté première, en soi parfaite et pure,
Ne s'écarte jamais de soi, souverain Bien.
La justice est l'accord avec elle; il n'est rien
Parmi les biens créés qui l'attire et l'invite;
Mais, rayonnant sur eux, elle fait leur mérite.

§ IX. - Il résulte cette vérité que si, d'un côté, la disposition des choses à leur fin dans la pensée divine, disposition appelée par nous Providence, est immédiatement et exclusivement en Dieu, d'un autre côté, dans l'exécution de cet ordre, que nous appelons le gouvernement du monde, gubernatio, Dieu admet, entre lui et les effets, des agents moyens, nombreux et presque infinis. Il gouverne donc les choses inférieures par les supérieures, et ces agents deviennent les exécuteurs de cet ordre et les ministres de la volonté divine. « L'opération de la Divine Providence, écrit le Saint Docteur[81], par laquelle Dieu opère dans les choses, n'exclut pas les causes secondes ; au contraire, elle s'effectue par leur moyen en tant qu'elles agissent par la vertu de Dieu. »
Aux créatures intellectuelles, supérieures et plus nobles, parce que douées d'intelligence, Dieu a confié le gouvernement des choses inférieures douées seulement d'une vertu opérative. Dans le corps humain, un membre se meut sous l'empire de la volonté et, dans l'ordre social, il appartient à ceux qui ont une plus grande science et une expérience consommée de commander et de diriger, tandis que ceux qui, n'ayant que la force des membres et la vigueur des muscles, ne peuvent faire état que de leur valeur physique, doivent en justice obéir aux plus sages [82] : « L'insensé obéira à l'homme sage.»
C'est précisément parce que Dieu, dans l'exécution de l'ordre de sa Providence, admet le concours de causes créées, qu'il existe, non seulement dans les créatures matérielles, mais aussi dans celles purement spirituelles, c'est-à-dire, dans les substances angéliques, un certain ordre hiérarchique, dont l'agencement est en harmonie avec la dignité et la capacité de ces créatures, dignité et capacité qui se mesurent selon qu'elles sont plus ou moins proches de Dieu. Ainsi les anges supérieurs communiquent aux inférieurs leurs ordres, et ceux-ci se font les exécuteurs de la volonté de ceux-là, tandis que le premier ange reçoit directement de Dieu les ordres qu'il doit exécuter.
Ce principe, appliqué à l'ordre moral et social, est d'une application pratique. Il nous fournit cette grande leçon, si oubliée de nos jours, que si les hommes, dans le cercle de leurs relations sociales, désirent que leurs œuvres soient parfaites, ainsi que sont parfaites celles du premier Monarque, ils doivent, dans le choix de leurs gouvernements, s'efforcer que soient préférés ceux-là seuls qui surpassent les autres par les connaissances de l'esprit, par la noblesse d'intention, par les bonnes mœurs et l'intégrité de la vie. Ceux qui ne peuvent se réclamer que de leur supériorité dans l'ordre physique, l'abondance des biens temporels et l'art de flatter les passions du peuple, doivent céder la place aux premiers. Des princes sans jugement sont le pire châtiment que Dieu puisse infliger à un peuple. «Je leur donnerai pour princes des enfants, et ils seront dominés par des hommes efféminés », dit le prophète Isaïe[83].
Ainsi donc, lorsqu'il s'agit d'ordonner les choses à leur fin, Dieu dispose tout directement et immédiatement par lui-même, ou, comme dit Boèce, Deus per se solos cuncta disponit [84]. Mais dans l'exécution de cet ordre, il se sert d'agents créés, ministres de sa volonté, et ceci, non par défaut de pouvoir mais par surabondance de perfection, c'est-à-dire dans le but de communiquer à ses créatures quelque chose de cette efficience et causalité qui réside en lui essentiellement et excellemment. C'est ce que Saint Augustin exprimait magnifiquement par ces paroles [85]: «Comme les corps bruts et inférieurs sont gouvernés, dans un ordre déterminé, par les corps plus élevés et plus puissants, de même tous les corps sont gouvernés par l'esprit vivant raisonnable ; et l'esprit raisonnable qui s'égare, par l'esprit raisonnable juste et pieux.»
Ce mode d'action, suivi par Dieu dans le gouvernement des choses, peut très bien servir de règle à ceux qui ont reçu de lui la mission de gouverner les peuples et de les diriger, quelle que soit leur condition, vers leur fin éternelle. Dieu, moteur universel très sage, fixe à chaque chose sa propre fin et la met en mouvement pour qu'elle puisse l'atteindre. Toutefois, lorsqu'il s'agit de l'exécution de cette fin, il laisse chaque chose développer, dans sa sphère propre, son activité individuelle. De cette manière, il convient que les supérieurs se contentent de fixer à leurs sujets la règle de leurs actions, sans s'entremettre dans l'exécution des devoirs qui leur incombent dans leur ordre particulier. Aussi, lors même qu'un supérieur aurait assez d'habilité pour traiter toutes les affaires particulières de sa société, un gouvernement bien réglé réclame qu'il les confie à d'autres, afin que ceux-ci les traitent dans le champ de leur activité respective.
A l'imitation de la Divine Providence, qui admet opportunément le concours des choses créées dans le gouvernement du monde et dans la réalisation des effets qui s'y produisent, ceux qui dirigent les choses humaines, s'ils veulent retirer de leur gouvernement tout le bien qu'on est en droit d'en attendre, ne doivent pas absorber l'office des ministres inférieurs, mais laisser à chacun son champ d'activité propre. Rien de plus dangereux pour une société, rien de moins raisonnable en soi, que ce système de gouvernement appelé centralisme.
C'est ainsi que se révèle fertile en utiles enseignements le livre de la nature pour ce qui concerne la prospérité des sociétés, soit publiques, soit privées, civiles ou religieuses.

§ X. - Toutefois, ce serait une très grave erreur de penser que Dieu n'agit pas immédiatement dans les effets des causes secondes. En réalité, un même effet découle immédiatement de Dieu et de l'agent naturel. « Car, dans chaque agent, dit saint Thomas[86], il y a deux choses à considérer : le sujet opérant et la vertu par laquelle il opère, comme le feu réchauffe par la chaleur. Or, la vertu de l'agent inférieur dépend de la vertu de l'agent supérieur pour autant que celui-ci donne à celui-là la vertu même par laquelle l'agent inférieur agit, la lui conserve ou l'applique à l'acte. Un instrument agit en tant qu'il est mû par l'artisan qui parfois ne donne pas à l'instrument sa forme, pas plus qu'il ne la lui conserve, mais l'applique seulement à son effet, en le mettant en mouvement. Que s'il y a plusieurs agents subordonnés, l'agent infime agit par la vertu de tous les autres, car il agit en vertu de tous. Or l'agent infime est immédiatement actif par rapport à l'effet : ainsi la vertu du premier agent est immédiate dans la production de l'effet. Car l'agent infime n'est pas capable par lui-même de produire cet effet ; il le devient par la vertu de son supérieur immédiat, et celui-ci par la vertu de celui qui lui est immédiatement supérieur, jusqu'à ce qu'on arrive à l'agent suprême, dont la vertu est, par elle-même, productrice de l'effet comme cause immédiate. C'est ainsi que, dans les principes de démonstration, le premier principe est immédiat.[87] »
Le même effet est donc produit par Dieu et par les créatures, et dans l'un et l'autre cas, immédiatement, mais d'une manière immédiate différente. Par rapport au sujet qui opère, il s'agit d'une immédiation de suppôt ; par rapport à Dieu, c'est une immédiation de vertu ou de puissance. Ici, observe le Ferrarais ,
« un double procédé se présente à nous en ordre inverse : le premier, de descente de suppôt en suppôt dans la série des agents subalternes, jusqu'au dernier agent, lequel rejoint l'effet par son contact supposital ; le second, d'ascension, de vertu en vertu, jusqu'à celle du premier moteur, lequel rejoint l'effet par un contact de vertu ou de puissance. Ainsi, dans les démonstrations, les principes prochains se trouvent immédiats, pour ainsi dire, par immédiation de suppôt par rapport à la conclusion ; mais les premiers principes sont immédiats par immédiation de vertu par rapport à la conclusion elle-même, puisque c'est en leur vertu que les principes moyens ont force de conclure.

§ XI. - Dieu opère donc en toutes choses par immédiation de vertu, parce que sa vertu rejoint immédiatement tous les effets. D'autre part, la vertu ou le pouvoir de Dieu étant son essence même, et son essence étant son suppôt, Dieu est dans toutes les choses par immédiation de suppôt, ou de quasi suppôt[88], par essence, présence et puissance.
Dieu cependant, n'agit pas en toutes choses par immédiation de suppôt, car entre lui-même et l'effet, il admet un grand nombre de causes diverses, lesquelles, par ordre de subordination, influent sur l'effet. « Si nous considérons, écrit de nouveau le Docteur angélique[89], les suppôts agents, nous voyons que tout agent particulier est immédiat par rapport à son effet ; si, d'autre part, nous considérons la vertu ou puissance, par laquelle il produit son action, la vertu de la cause supérieure sera plus immédiate à l'effet que celle de la cause inférieure ; car la vertu inférieure ne s'unit point à l'effet, sinon par le moyen de la vertu de la cause supérieure ; d'où il est dit, dans le livre des Causes[90], que la vertu de la cause première agit comme première dans l'effet causé, et y pénètre avec une plus grande efficacité. »
Ailleurs, le même saint Docteur, dans le but de rendre plus tangible cette diversité de médiation de suppôt et de vertu, invoque opportunément l'exemple du roi qui opère au moyen de son ministre, et vice versa. «Plus le suppôt est premier dans l'action, dit-il[91], plus sa vertu est immédiate à l'effet, parce que la vertu de la cause première unit la cause seconde à son effet. C'est pour cela que les premiers principes dans les sciences démonstratives sont appelés immédiats. Ainsi donc, en tant que le ministre du roi est médiat selon l'ordre des suppôts agents, on dit que le roi opère par le moyen de son ministre ; au contraire, selon l'ordre de la vertu ou du pouvoir, on dit que le ministre opère par le moyen du roi, parce que c'est par la vertu du roi que l'action du ministre obtient son effet. »
Nous pouvons trouver un autre exemple de cette vérité dans l'action du soleil. Le soleil opère dans les entrailles de la terre par immédiation de vertu ou de puissance, mais non pas par immédiation de suppôt, puisque entre lui et l'effet on compte des causes nombreuses qui toutes opèrent par la vertu du soleil. Mais comme le soleil n'est pas sa propre vertu, du fait qu'il agit dans les entrailles de la terre, on ne peut déduire qu'il se trouve là présent par immédiation de suppôt. En cela il diffère de Dieu qui est présent immédiatement en toutes choses par essence, et non seulement par présence et par puissance, ou vertu, ainsi que nous l'avons dit.


CHAPITRE IV

POSSIBILITÉ DU MIRACLE

I. En quoi consiste la possibilité du miracle. - 2. Dieu n'opère pas à l'encontre de la nature. - 3. Il n'en viole pas non plus les lois. - 4. Ce qui dépend de l'intellect divin est nécessaire ; ce qui dépend de la volonté divine est contingent. - 5. Dans les opérations ad extra Dieu n'agit pas par nécessité, mais par élection de volonté. - 6. Erreur des panthéistes. - 7. Belle description allégorique de la Philosophie fournie par saint Séverin Boèce. - 8. On confirme la possibilité du miracle. - 9. Preuves tirées de l'analogie.

§ I. - De ce que nous avons exposé jusqu'à présent, il résulte que, dans la pensée divine, se trouve la raison des choses qui peuvent être ordonnées et sont en réalité ordonnées à leur fin. C'est ce que nous voulons dire, quand nous affirmons que Dieu pourvoit immédiatement aux choses de ce monde, et que cette Providence embrasse absolument tout ce qui peut arriver, même les choses les plus insignifiantes. Il résulte en outre que, dans l'exécution de cet ordre et dans le gouvernement du monde, Dieu opère au moyen des causes par lui créées et ordonnées à leurs fins propres. Il dirige le cours régulier des astres par l'influence mutuelle qu'il leur fait exercer les uns sur les autres ; il ordonne la succession des saisons par l'alternance constante du froid et de la chaleur, des fleurs et des fruits ; par la force des éléments il règle aussi bien les étranges soulèvements de la mer en tempête, que la force impétueuse, irrésistible de la foudre ; par l'action d'agents qui nous sont le plus souvent inconnus, mais qui pour cela n'en sont pas moins réels, il modère l'impétuosité des vents et fait descendre, en son temps, la pluie du matin et celle du soir ; il donne aux animaux des organes et des aptitudes pour nous récréer, nous aider de leur force ou nous nourrir de leur chair ; il préside au travail de l'homme quand celui-ci construit des maisons, dessine des parcs, orne des jardins, commande à ses inférieurs ou écrit des livres sur les choses mystérieuses du monde ; Dieu, enfin, coopère avec l'homme, même lorsque celui-ci élèvera une tour pour défier sa puissance, ou quand il dressera des autels pour adorer, à sa place, une idole de pierre ou une chair de péché.
Il était nécessaire de nous étendre quelque peu sur la nature de la Divine Providence et sur la façon dont Dieu gouverne toutes choses, afin de mieux faire comprendre ce qu'est le miracle et quand est-ce qu'il a lieu.
A la demande ; Le miracle est-il possible ? nous répondions au commencement du second chapitre, que le miracle est possible, pourvu qu'il se trouve un agent qui puisse réduire un sujet quelconque de la puissance passive à un acte excédant celle-ci sans mesure. C'est en cela précisément que consiste l'essence du miracle. Maintenant que nous savons quelle est la nature de l'action de Dieu dans le monde, nous pouvons simplifier la question. Nous avons dit que Dieu, comme premier agent, opère en toutes choses par immédiation de vertu ou de puissance, et non par immédiation de suppôt, puisque dans l'exercice de sa Providence, il admet un grand nombre de causes secondes, réelles et physiques.
Que veut-on donc savoir quand on demande si le miracle est possible ? Rien d'autre que ceci : étant donné que Dieu agit immédiatement en toutes choses par immédiation de vertu ou de puissance, peut-il agir de même par immédiation de suppôt, de sorte que, entre lui et l'effet il n'y ait aucune cause seconde efficiente agissant par sa propre vertu, comme il devrait y en avoir dans le cours ordinaire des choses ?
En d'autre termes, nous voulons rechercher si Dieu peut produire les effets propres des causes secondes sans le concours de celles-ci comme agents principaux ; par exemple, la santé chez un malade, sans le concours de la médecine ; ou bien s'il peut produire des effets que les causes secondes n'ont pas la vertu de produire, ad quos causae secundae non se extendunt, ainsi que s'exprime saint Thomas[92], comme serait, par exemple, le cas de la résurrection d'un mort. En d'autres termes, Dieu peut-il déroger à l'ordre particulier, par lequel il a sagement établi que chaque cause seconde ait une causalité déterminée, par rapport à un effet déterminé ?

§ II. - C'est exprès que nous avons posé la question en ces termes : Dieu peut-il agir en dehors de l'ordre de la nature, praeter rerum ordinem et non pas contre cet ordre.
De fait, lorsqu'une chose se fait en dehors de l'ordre établi par la nature, par un agent qui n'a pas donné l'inclination naturelle, on dit alors qu'il agit contre l'ordre de la nature. Mais il n'en est pas de même, si la chose se fait par l'agent même de qui provient l'inclination naturelle. Si, par un stratagème habile, je fais sortir l'eau d'un puits, j'agis contre la nature ; mais si un fait quelconque se produit par l'action des astres, comme pour le flux et le reflux de l'océan, ceci n'est pas contre la nature, car c'est précisément de l'influence des corps célestes que dépend l'inclination naturelle des corps inférieurs.
Or, toute inclination existant dans les choses du monde provient de Dieu, qui a établi l'ordre de l'univers. Donc, quelle que soit la chose que Dieu fasse dans les créatures en dehors de l'ordre naturel de celles-ci, on ne doit pas dire qu'elle est faite contre la nature, prenant le mot nature pour l'ensemble des choses, comme dépendantes de Dieu.
En outre, toute la potentialité des choses créées est, par rapport à Dieu, ce qu'est le mobile par rapport au principe moteur, ou ce qu'est l'œuvre d'art par rapport à l'art lui-même. Or, l'artisan n'agit pas contre la nature d'un travail d'art s'il y introduit un élément nouveau d'après une forme plus haute, même au cas où il lui aurait déjà donné une première forme[93]. Ainsi donc Dieu, opérant contre le cours habituel de la nature, n'agit pas contre ses propres lois, pas plus que contre la nature elle-même, puisque, au dire de saint Augustin, « ce que fait celui de qui procède tout mode, tout nombre et toute mesure dans la nature, est naturel à chaque chose [94]». Ailleurs le saint Docteur dit encore : « Nous avons coutume de dire que tous les miracles sont des œuvres faites contre la nature, mais il n'en est pas ainsi. Comment ce qui a pour cause la volonté de Dieu pourrait-il être contre la nature, alors que la nature de chaque chose créée n'est précisément autre que la volonté de ce souverain Créateur ? Le miracle n'est donc pas une chose faite contre la nature elle-même ; c'est simplement ce qui arrive contre la nature telle qu'elle nous est connue[95]. »
Nous pouvons donc affirmer, avec saint Thomas[96], que le miracle n'a jamais lieu en dehors des raisons idéales, mais seulement en dehors des raisons séminales. Les raisons idéales, aussi bien que les raisons séminales, sont précisément les raisons causales dans lesquelles, au dire de saint Augustin, Dieu créa toutes choses au commencement. Mais il y a entre les raisons idéales et les raisons séminales, cette différence, que les premières sont dans la pensée de Dieu, tandis que les secondes sont dans les semences des êtres qui doivent naître et dont le monde est rempli, comme les mères sont grosses de leur fruit[97].
Rien ne peut donc arriver en dehors des raisons éternelles des choses, mais seulement en dehors des vertus actives naturelles et des puissances passives ordonnées à ces vertus actives. En d'autres termes, rien absolument ne peut arriver en dehors de la puissance passive de la créature, en tant que celle-ci est mesurée par rapport à la vertu du premier agent, c'est-à-dire, rien ne peut arriver en dehors de la puissance obédientielle. Et puisque la puissance obédientielle suit la nature même des choses produites par Dieu dans les six jours de la création[98], on peut dire que, dans l'œuvre des six jours, préexistèrent non seulement toutes les formations qui devaient s'accomplir dans le cours des siècles, mais aussi les dérogations, c'est-à-dire les miracles. « Certaines choses, dit saint Thomas[99], ont préexisté dans les œuvres des six jours, mais seulement en puissance obédientielle, précisément comme les choses qui se font par miracle.»

§ III. - On ne peut dire davantage que Dieu viole les lois de la nature. Personne ne viole une loi, si ce n'est celui qui est soumis à cette loi. D'où apparaît la fausseté de ce qu'écrivait Voltaire, «Un miracle, dit-il[100], est la violation des lois mathématiques, divines, éternelles. Par ce fait seul le miracle est une contradiction dans les termes. Une loi ne peut être immuable et en même temps violée. Mais, dit-on, une loi ayant été établie par Dieu, ne peut-elle pas être suspendue par son Auteur ? Ils[101] ont la hardiesse de répliquer qu'il ne peut arriver que l'être infiniment sage ait fait des lois pour les violer ensuite. Il ne pouvait, disent-ils, déranger sa machine, si ce n'est pour la faire mieux marcher ; or, il est clair qu'étant Dieu, il a fait cette immense machine aussi bonne qu'il l'a pu. S'il a vu qu'il y aurait quelque imperfection provenant de la nature de la matière, il y a pourvu depuis le commencement ; c'est pourquoi rien ne changera jamais. De plus, Dieu ne peut rien faire sans raison ; or, quelle raison le peut déterminer à défigurer pour un peu de temps, son propre œuvre ?... Pourquoi donc Dieu ferait-il un miracle ? Pour accomplir un certain dessein sur un être vivant. Il dira donc : je n'ai pas réussi par la fabrication de l'univers, par mes décrets divins, par mes lois éternelles à accomplir un certain dessein; je veux changer mes idées éternelles, mes lois immuables, afin de tâcher d'exécuter ce que je n'ai pu obtenir par le moyen de celles-ci. Ce serait un aveu de sa faiblesse et non de sa puissance ; ce serait, chose évidente, admettre en lui la plus inconcevable contradiction. Ainsi donc, oser supposer que Dieu fait des miracles équivaut à l'insulter impunément, »
Ainsi s'exprime Voltaire, dont l'erreur consiste précisément à parler de Dieu comme s'il était une créature quelconque et comme s'il devait être assujetti aux lois qu'il a lui-même établies. Assurément, ces dérogations, ordonnées par Dieu pour ses justes fins, ne sont pas en dehors de l'ordre universel du monde, ni des lois éternelles, qui ont leur raison d'être dans la pensée divine. Non, le miracle n'est pas une violation des lois de la nature en général ; il est plutôt une suspension de l'activité de ces mêmes lois dans quelques cas particuliers.
Ainsi, lorsque Dieu voulut que les eaux de la Mer Rouge fussent divisées afin de laisser passer les enfants d'Israël, il ne détruisit pas la loi du flux des liquides, mais il en suspendit seulement l'effet, puisqu'aussitôt après, l'eau se précipita, engloutissant les ennemis du peuple élu. De même, quand Dieu guérit instantanément quelque maladie chronique, il ne viole pas les lois de la thérapeutique en général, et pour ce motif même, la guérison d'un individu n'est pas un gage de la guérison d'un autre. Si donc l'on considère le miracle par rapport à Dieu, on ne pourra pas dire que c'est une œuvre contraire à la nature.
Cependant, si l'on considère le principe prochain et proportionné d'où de telles œuvres devraient dépendre selon l'ordre particulier auquel elles appartiennent, il faut avouer qu'elles ne peuvent pas être appelées naturelles. De fait, ainsi que l'observe saint Thomas[102], on appelle naturelles les opérations qui procèdent de la puissance ou vertu naturelle. Or le principe de la nature d'une chose déterminée est la forme existante dans une matière déterminée. Si donc la vertu ne découle ni de la forme, ni de la matière, cette action n'est pas naturelle. Et c'est pourquoi l'on a coutume de dire, et nous-même nous nous sommes servi de cette expression, que Dieu opère en dehors et même à l'opposé des ordres naturels des choses.
Avec plus de jugement que n'en montre Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, son émule, avait écrit déjà « Dieu peut-il faire des miracles ? C'est-à-dire, peut-il déroger aux lois qu'il a établies ? Cette question, sérieusement traitée, serait impie, si elle n'était absurde : ce serait faire trop d'honneur à celui qui la résoudrait négativement, que de le punir, il suffirait de l'enfermer[103]. »
Nous avons dit que le miracle est plutôt une suspension de l'activité des lois de la nature, qu'une suspension de ces lois elles-mêmes. En vérité, il ne répugne pas à la pensée que Dieu puisse soustraire, pour un temps donné, une chose à l'activité de la loi à laquelle cette chose devrait être soumise. Ainsi, la division des eaux de la Mer Rouge put très bien avoir lieu par la suspension de l'activité de la loi de gravité et de fluidité, aussi bien que par la suspension momentanée de l'obéissance de l'eau à cette même loi. Dans ce cas, comme nous le dirons plus loin[104], un tel fait appartiendrait à la première classe des miracles. Il n'y a là aucune violation de l'ordre de nature, mais seulement une soustraction momentanée d'une chose à une loi naturelle qui en soi demeure intacte.

§ IV. - La réponse à la demande proposée, à savoir si le miracle est possible, dépend donc d'une juste compréhension de ce qu'est l'ordre des causes secondes, c'est-à-dire de la nature des choses de l'univers.
Il y a dans ce monde des choses qui ont en elles-mêmes une dépendance immédiate par rapport à l'intellect de Dieu et des choses qui directement appartiennent à la détermination de sa volonté. Ce qui dépend immédiatement de l'intellect divin est nécessaire et immuable ; au contraire, ce qui proprement se rapporte à la volonté divine est contingent et changeant.
Toute chose est ce qu'elle est en vertu de son essence, et les essences des choses ne sont autres que les divers modes d'imitabilité de la nature divine. De là vient qu'un changement dans l'essence des choses est impossible, parce qu'il signifierait un changement dans l'imitation même de la nature divine, ce qui impliquerait contradiction. Un homme, sans une âme raisonnable, ou une âme humaine, sans ses facultés d'intelligence et de volonté, sont des choses absurdes en elles-mêmes.
Mais, en toute chose, hors de ce qui en constitue l'essence, il se trouve force formalités accidentelles qui, bien qu'elles soient réglées par des lois fixes, peuvent néanmoins être changées sans qu'en souffrent le moins du monde les rapports essentiels et nécessaires de cette chose à la divine essence. Ainsi, le fait qu'un homme marche sur la terre ou sur les eaux, qu'il tombe d'une hauteur ou qu'il s'élève en l'air, n'enlève rien à la vérité de son essence. Ce sont là des choses dépendantes de la libre détermination de la divine volonté, en un mot, ce sont des choses contingentes. C'est ainsi qu'est contingent en toutes choses ce qui est sujet au mouvement, ce ressort infini qui ne laisse rien en repos dans la nature, cette très générale et très active condition de toutes les vicissitudes, de toutes les générations qui sont en tout temps et en tout lieu[105].
Ainsi donc, considéré selon ce qu'il a en lui de mobile, l'ordre des causes secondes, étant en soi contingent, dépend entièrement de la volonté de Dieu. De même que le souverain Maître de l'univers aurait pu, dès le commencement, établir un autre ordre de choses, de même aussi il peut très bien agir en dehors de celui qu'il a établi. Un roi, qui a fait des lois pour le gouvernement de ses sujets peut, sans se contredire, pour une raison suffisante, déroger à ces lois et introduire dans son gouvernement un autre mode de procédure[106].
Cette raison est concluante et doit suffire à persuader les esprits même les plus limités. Mais il est, en faveur de notre thèse, d'autres raisons plus profondes encore et, par suite, plus convaincantes.

§ V. - Dans ses opérations ad extra, Dieu n'agit pas par nécessité de nature, mais par un acte libre de sa volonté. De fait, s'il agissait par nécessité de nature, Dieu deviendrait une cause univoque, et par conséquent serait lui-même compris dans l'ensemble des choses créées, puisque la cause univoque convient en espèce avec son effet propre ; et de même que Dieu est la cause de toute l'espèce, il faudrait qu'il fût pareillement la cause de soi-même[107]. Dieu n'est donc pas la cause des choses par nécessité de nature, mais par élection de volonté.
Or, une cause qui agit par nécessité de nature a besoin d'agir par la forme par laquelle elle est en acte. C'est pourquoi l'effet qui en découle ne peut être, sinon selon le mode de cette forme, et par conséquent il est nécessaire que l'effet soit proportionné à cette forme. Au contraire, l'agent qui opère par volonté, agit par sa forme non naturelle, mais idéale, c'est-à-dire par la forme exprimée par le concept de son esprit. Il suit de là que l'agent par nature ne peut produire immédiatement qu'un effet qui lui soit proportionné par nature, tandis que celui qui agit par volonté peut produire immédiatement un effet proportionné, non pas à la forme par laquelle il est en acte, c'est-à-dire à sa forme naturelle, mais bien à la forme conçue dans son esprit.
Mais ici, il s'agit de miracles, c'est-à-dire d'effets créés et finis, et par conséquent non proportionnés à la nature divine. Si donc Dieu opérait par nature, il est évident qu'il ne pourrait immédiatement produire ces effets, sans qu'ils participent de la vertu et de la nature divine. Mais Dieu opère par élection de volonté ; et de même qu'un très parfait artiste peut directement produire par lui-même ce que produirait un artiste inférieur, de même Dieu peut produire tous les effets des causes secondes, sans aucune médiation, non de temps, car il n'est pas ici question de temps, mais de causalité créée, ainsi que l'observe le Ferrarais[108].
Certes, cette vérité ne pourrait se soutenir si l'on voulait nier que Dieu agit par élection de volonté. Car une cause qui agit par nature ne peut produire un effet qui lui soit beaucoup inférieur, sans passer par un grand nombre de termes moyens. En effet, une telle cause agit, ainsi qu'on l'a montré, par sa forme naturelle. Il faut donc que l'effet directement produit soit proportionné à la forme de la cause. Or, il peut être proportionné à la forme de la cause de deux manières : premièrement, univoquement ; secondement, analogiquement. Univoquement, comme lorsqu'un père engendre son fils ; mais alors l'effet - excepté dans le cas de défaut de vertu opérative - égale la cause en perfection. Analogiquement, comme lorsque le soleil, par exemple, illumine directement la lune. L'effet n'égale pas alors la cause en perfection, parce que la cause étant analogique, possède la forme d'une manière plus excellente. Il l'égale pourtant, ainsi que de nouveau l'observe le même Docteur, en causalité et en dépendance, en tant que la causalité de la cause ne peut s'étendre à quelque chose de plus grand, et l'effet est la chose la plus noble qui puisse dépendre d'elle. Il faut donc, pour qu'une cause de très grande vertu, laquelle agit par nature, puisse arriver à produire un effet beaucoup plus petit, que cette cause passe par beaucoup de moyens termes, comme une pénombre, un clair obscur ne peuvent être directement produits par le soleil, mais bien par sa réflexion en différents corps[109].

§ VI. - Les choses étant ainsi, les philosophes qui se représentèrent Dieu opérant, non pas par liberté d'élection, mais par nécessité de nature, soit qu'ils fussent panthéistes ou émanantistes, se virent obligés, par une conséquence inévitable, de refuser à Dieu la possibilité d'accomplir le miracle.
C'est ainsi que Spinoza[110], philosophe juif panthéiste, partant de ce principe que l'univers, avec toutes ses parties, n'est qu'une seule substance qui, d'une manière nécessaire et fatale, développe la propriété de l'intelligence dont elle est douée, en vint à conclure, déduction logique des principes posés par lui, que les lois de ce monde, ne sont autre chose que des dérivations aveugles de la nature divine, sujettes à une inexorable nécessité.
Il serait malaisé d'affirmer que Rosmini ne partagea pas cette erreur. Car, tandis qu'il admettait que. «dans la sphère du créé, se manifeste immédiatement à l'intelligence humaine quelque chose de divin en soi [111]» « non par participation »[112], « mais en un sens propre, une actualité indistincte du reste de l'actualité divine, indivisible en soi, divisible par abstraction mentale[113]», il dut encore, pour être logique, conclure que le principe de l'opération divine n'est pas une forme intellectuelle, mais bien une forme naturelle, et que les effets créés sont proportionnés à Dieu par nature, c'est-à-dire qu'ils sont infinis.
S'étant trompés dès l'entrée de la voie qui conduit à la connaissance de Dieu, ces philosophes sont forcés de s'égarer, au cours de leur route, dans un labyrinthe inextricable d'erreurs. Ayant déchiré la robe au fin tissu de la philosophie, ils n'ont pas su voir le π écrit au bas de l'ourlet inférieur, c'est-à-dire les effets de l'opération divine, ainsi qu'il fut donné à saint Séverin Boèce de le voir dans la vision mystérieuse qu'il eut dans sa prison, et qui le réconforta dans son angoisse. Ils ne purent interpréter sagement le θ broché sur le bord supérieur de cette robe et qui signifie la connaissance de Dieu. Ils bouleversèrent ainsi l'ordre des degrés marqués en échelons, entre ces deux lettres, degrés qui de l'élément inférieur, conduisent à la connaissance de l'Être suprême[114].

§ VII. - Nous avons nommé l'insigne philosophe que fut saint Séverin Boèce. Il ne sera pas déplacé de mettre sous les yeux du lecteur la très belle description allégorique de la philosophie que ce philosophe nous a laissée.
« Pendant que j'étais occupé dans ces tristes pensées, dit-il[115], et que j'exhalais ainsi ma douleur, l'enregistrant sur les tablettes, j'aperçus au-dessus de moi une femme dont l'aspect inspirait la vénération la plus profonde. Ses yeux pleins de feu étaient mille fois plus perçants que ceux des hommes ; les couleurs les plus vives annonçaient sa force ; sa vigueur ne paraissait point altérée, quoiqu'à son air on s'aperçût bien que sa naissance avait précédé celle des hommes les plus âgés de ce siècle. Il était difficile de connaître la hauteur de sa taille, car quelquefois elle ne paraissait pas au-dessus du commun des hommes, et quelquefois elle semblait toucher aux nues, les pénétrer même, et dérober sa tête aux regards curieux des mortels. Son vêtement se composait d'un tissu fait de fils ténus, d'une matière incorruptible, ourdi avec un art admirable et de ses propres mains, comme elle me l'apprit elle-même dans la suite. Son éclat semblait un peu obscurci par un nuage léger, pareil à cette espèce de fumée qui, au cours des années, s'attache aux vieux tableaux. Au bas de sa robe on voyait la lettre π, et au haut la lettre θ [116], brochées dans l'étoffe. Entre ces deux lettres, on remarquait différents degrés en forme d'échelle, par lesquels on montait du plus bas élément au plus élevé. On remarquait aussi qu'en quelques endroits sa robe avait été déchirée par des mains violentes, et que chacun en avait arraché ce qu'il avait pu. Dans sa main droite, cette femme majestueuse tenait des livres, et dans sa gauche elle portait un sceptre ». Admirable description qui peint au vif les sublimes qualités de la philosophie.

§ VIII. - Pour revenir au point qui nous occupait, à savoir : s'il est possible à Dieu de faire des miracles, nous disons qu'on peut arriver à convaincre de la façon suivante ceux qui nient cette possibilité. Ou ils admettent la création, ou ils ne l'admettent pas. S'ils l'admettent, ils doivent avouer que Dieu a produit immédiatement sans le concours d'une force médiate quelle qu'elle fût, la substance des choses et non la forme seule, ni la matière seule, mais tout leur être, Mais qui peut le plus, peut aussi le moins ; et au générateur qui donne la forme, on ne refusera pas qu'il puisse donner aussi les propriétés et les mouvements qui procèdent de la forme. S'il en est ainsi, pourquoi nier que Dieu puisse mouvoir immédiatement les substances des choses à des actes, ou les appliquer à des mouvements proportionnés, non pas à la puissance passive naturelle de celles-ci, mais bien à la puissance passive obédientielle ?
Si au contraire, ils préfèrent retenir, contre les enseignements de la foi, l'hypothèse d'ailleurs absurde, de la non création du monde, ils doivent, s'ils ne veulent pas renoncer au témoignage des sens, admettre ce fait, qu'un grand nombre de choses arrivent dans la nature en dehors du cours habituel, soit par défaut de vertu active chez les agents, soit par une disposition contraire de matière dans les sujets, soit encore par la violence exercée sur les causes inférieures par les agents supérieurs. Mais si l'on est contraint de reconnaître, dans les causes secondes et dans les défauts mêmes de la nature, le pouvoir de changer le cours habituel des choses, niera-t-on ce pouvoir à un Dieu infini ? Qu'on renonce à croire à l'existence de Dieu, première cause de tout l'univers, plutôt que d'admettre un Dieu aussi impuissant[117].

§ IX. - Un regard sur les rapports qui existent entre les diverses parties de ce monde achèvera de nous persuader combien il est raisonnable d'admettre que Dieu peut déroger aux lois physiques établies par lui pour la marche régulière de l'univers.
Les degrés sur lesquels sont échelonnés les êtres qui composent la synthèse du monde sont ordonnés de telle sorte que l'être d'un degré supérieur peut, en quelque manière, modifier les lois auxquelles est soumis l'être d'un degré inférieur. Il peut en modifier la vertu et l'énergie. Ainsi, tandis que le suc vital, conformément aux lois de gravité, devrait tendre vers le bas, du moment qu'il est sous l'influence du principe végétal existant dans les plantes, il monte jusqu'au sommet de l'arbre, pénétrant dans les branches et arrivant jusqu'à l'extrémité des feuilles. De même aussi, chez l'animal, la vertu que possède l'imagination de modifier les fonctions végétatives est telle, qu'elle peut donner origine à une branche de pathologie spéciale. Et l'imagination elle-même, à quel point ne peut-elle pas être modifiée sous l'influence de la raison, si bien que nous arrivions à considérer comme possible pour un homme, de ne plus subir les irruptions soudaines des mauvaises passions? S'il en est ainsi, peut-on nier que Dieu, qui surpasse infiniment toutes les formes des créatures, n'ait un pouvoir suffisant pour en modifier les lois ? La proportion existant entre Dieu et le monde inférieur, dépasse infiniment la proportion entre l'âme de l'homme et son corps, et pourtant celle-là est capable de modifier les lois de celui-ci.
C'est pourquoi ceux-là jugent bien pauvrement de la divinité, qui lui refusent le pouvoir de faire des miracles.
« Les démons, dit saint Augustin[118], ont pu perfectionner l'art des magiciens, que la sainte Écriture appelle sorciers et enchanteurs, au point de changer les sentiments humains, comme il semble que le noble poète Virgile veut dire en parlant d'une femme, grande maîtresse dans cet art [119] : « Elle promet par ses enchantements de délivrer à son gré les âmes, ou de leur envoyer les amers soucis, d'arrêter l'onde des fleuves et de détourner le cours des astres ; elle évoque les Mânes ténébreux ; la terre va mugir sous ses pieds, et tu verras les frênes descendre du haut des montagnes». S'il en est ainsi, oh! combien plus Dieu est puissant pour accomplir des prodiges qui semblent incroyables aux infidèles et qui ne sont que des jeux de sa puissance infinie ? Car n'est-ce pas Dieu qui a donné aux pierres et aux autres choses leur vertu, aux hommes le génie pour qu'ils en fassent usage de différentes manières surprenantes, et aux natures angéliques une puissance plus grande que celle des animaux terrestres? Et l'infini de ces merveilles n'est-il pas surpassé par cet infini de pouvoir et de sagesse qui agit, ordonne et permet, non moins admirable dans la conduite, que dans la création de l'univers ? »
En outre, si, pour un instant, nous dirigeons notre pensée vers ce que l'homme, avec sa sagesse et sa puissance limitées, sait accomplir, nous n'aurons certainement aucune peine à admettre le pouvoir que Dieu a de produire des œuvres qui surpassent toutes les forces de la nature.
Nous savons quelle est la merveilleuse puissance de l'homme dans sa façon de multiplier et varier les effets visibles, avec les éléments finis et déterminés que lui fournit la nature. Nous restons éblouis à la vue des découvertes obtenues, surtout dans ces derniers temps, par la combinaison ou la modification des éléments de la matière et nous ne savons pas encore ce que les années à venir nous tiennent en réserve. Merveilleuses sont les harmonies que de savants musiciens ont su tirer des sept notes de la gamme ; les images obtenues avec les sept couleurs originales sont variées à l'infini ; les applications de la chimie et de la physique moderne ont donné lieu à des inventions surprenantes. Mais si l'homme possède un tel pouvoir, lui qui, en substance, est un rien comparé à Dieu, de quoi ne sera pas capable Celui qui, étant l'Être subsistant, réunit en lui toute perfection concevable ?
Observons enfin que si Dieu est la cause des choses par sa science et par sa volonté, de telle sorte qu'il lui suffit de vouloir pour effectuer ce qu'il conçoit, nous appartient-il, à nous, de fixer des limites à l'ampleur et à la variété de ses effets, tandis que notre intelligence même, finie comme elle est, ne cesse jamais de concevoir des choses nouvelles ? Du moins, concédera-t-on à Dieu le pouvoir d'actualiser nos conceptions ; or, étant donné que celles-ci comprennent également les dérogations à l'ordre de la nature, dérogations que nous appelons miracles, on ne saurait refuser à Dieu le pouvoir de les réaliser c'est-à-dire de faire des miracles[120].
Concluons, avec le Concile du Vatican [121] : « Si quelqu'un dit qu'aucun miracle ne peut avoir lieu, et que pour cela tous les faits miraculeux, y compris ceux contenus dans la Sainte Écriture, doivent être relégués parmi les fables et les mythes, qu'il soit anathème. »


CHAPITRE V

FINALITÉ DU MIRACLE.

I. Sentiments des déistes et d'autres incrédules sur la finalité du miracle. - 2. Le miracle n'est pas une œuvre monstrueuse et n'a pas pour unique raison d'être la volonté de Dieu. - 3. Le but du miracle est de conduire l'homme à une connaissance plus explicite de Dieu. - 4. Le miracle est en relation intime avec l'ordre surnaturel. - 5. Obstination de certains qui se refusent à admettre le miracle. - 6. Affinité du miracle avec l'ordre surnaturel. - 7. Aucun miracle ne peut se produire pour confirmer l'erreur ou sanctionner le vice. - 8. Enseignement de saint Thomas sur les miracles opérés par ceux qui ne sont pas en grâce avec Dieu. - 9. Le miracle dans ses rapports avec la canonisation des saints.

§ I. - Si nous réfléchissons sur les motifs qui poussent les incrédules à nier, contre l'évidence des faits, la réalité du miracle, c'est-à-dire la réalité d'une intervention immédiate et extraordinaire de Dieu dans les choses de ce monde, nous trouverons qu'ils y sont induits, plus que par autre chose, par une fatale nécessité, qui leur fait fermer les yeux de l'esprit sur tout ce qui n'appartient pas à l'ordre matériel. Méconnaissant les rapports qui lient l'homme à son Créateur, ils affectent de ne rien savoir de l'ordre moral, et par conséquent, tout en admettant que Dieu est l'auteur du monde, ils ne veulent pas le reconnaître comme le Gouverneur suprême qui régit les destinées de l'univers.
Si Dieu n'a d'autres relations avec le monde que celles d'un architecte avec la maison qu'il a bâtie, pourquoi permettre, ou plutôt produire ces fréquentes infractions aux lois de la nature ; pourquoi violer le cours habituel des choses ou en interrompre la merveilleuse harmonie ? Certainement Dieu n'a pas besoin de tels amusements, et l'on ne doit pas croire qu'il veuille s'abaisser à satisfaire la curiosité morbide de certains esprits toujours en quête d'événements insolites ou de phénomènes extravagants.
Rappelons ici Voltaire disant que le miracle suppose des dispositions changeantes dans la divinité; rappelons également Bentham[122], lorsqu'il confondait les miracles chrétiens avec les fables et les sorcelleries des païens, et qu'il exigeait qu'ils fussent examinés selon la règle et les principes qui servent à examiner les prétendus faits merveilleux de la mythologie. Rappelons enfin l'opinion de Hume, quand il prenait comme équivalents les termes miraculeux et impossible[123].
Pour ces philosophes, le miracle, s'il existait, serait un phénomène anormal, irrégulier, un phénomène auquel on ne peut assigner une place logique dans l'univers ou une raison suffisante de son existence. Pour eux, l'œuvre miraculeuse ne ferait pas partie intégrante de l'univers, elle ne serait pas en harmonie avec le tout. Le miracle serait un fait détaché, sans aucune relation avec les phénomènes physiques naturels, ou l'ordre moral des choses.
Mais, qu'on le veuille ou non, il est hors de doute qu'il existe des faits évidemment extraordinaires, des faits merveilleux, dont l'authenticité est établie par la plus sévère critique. Ces faits ne sont pas isolés. On les rencontre à travers tous les siècles. Ils remplissent les annales aussi bien du peuple hébreu, que des nations chrétiennes. Pour rester dans les limites de notre ère, l'apparition de la croix à Constantin, l'éruption du feu à Jérusalem alors que Julien l'Apostat voulait reconstruire le Temple, l'ébullition périodique du sang de saint janvier, et, pour ne rien dire d'une infinité d'autres miracles, les innombrables guérisons instantanées obtenues dans plusieurs sanctuaires du monde, à Lourdes en particulier, sont des faits certifiés par trop de témoins, pour qu'une personne tant soit peu soucieuse de sa dignité, ose jeter un démenti sur la réalité de ces miracles, du moins pris dans leur ensemble[124].
Mais les philosophes rationalistes, tout en admettant le fait du miracle, ne sont pas à court de raisons pour l'expliquer, et pour ce faire, ils ne craignent point d'aller jusqu'au ridicule. Ils aiment à répéter que les forces de la nature ne nous sont pas connues ; qu'avec le temps, la science aura tellement progressé, qu'elle pourra produire des effets semblables et même plus merveilleux encore. En parlant ainsi, ils ne s'aperçoivent pas qu'ils en viennent à confesser l'impuissance actuelle de cette même science si hautement invoquée. Enfin, quand ils se sentent à court de raisonnement, il leur reste toujours la suprême ressource de l'illusion ou de l'hallucination.
D'autres crurent faire honneur à la divinité en imaginant Dieu, pareil à un despote, produisant le miracle dans l'unique but de gratifier sa volonté propre, comme si celle-ci était la raison suprême et la dernière fin de tout ce qu'il opère dans le monde. Aussi, disaient-ils, dans la recherche des causes de ce monde, nous n'avons pas autre chose à considérer, si ce n'est la volonté de Dieu[125]. La volonté de Dieu, nue et absolue, et considérée indépendamment de son intelligence, c'est là, selon ces philosophes, la raison dernière de la production du monde et des effets, tant naturels que surnaturels, que nous voyons autour de nous.
Sic volo, sic jubeo, sic stat pro ratione voluntas.

§ II. - Mais les uns et les autres s'éloignent du vrai, trompés comme ils le sont par rapport au premier principe de toutes choses, lequel est aussi leur fin dernière. En marchant par des voies différentes, ils aboutissent au même résultat de soustraire les merveilleux effets de la nature à la loi de dépendance d'un premier principe qui n'est autre que le Souverain Bien qui, désiré et souhaité par les choses de ce monde, les met toutes en action.
Les premiers, s'arrêtant à l'écorce matérielle des effets et ne voyant dans ceux-ci qu'un pur phénomène, ne peuvent reconnaître dans le miracle rien d'autre qu'une production monstrueuse, un hors-d'œuvre, qu'on ne peut rattacher à un dessein quelconque, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral. Pour eux le miracle est un simple non-sens.
Les seconds, ne reconnaissant à Dieu d'autre principe de direction dans ses œuvres que le fait de sa volonté, se forment une idée fausse de la divinité. Il est vrai que la volonté divine n'est subordonnée à aucune cause créée, étant elle-même la Bonté par essence ; aussi tout ce que Dieu veut, il le veut pour lui-même et il le veut par un seul acte très simple[126]. Toutefois la volonté ne peut tendre au bien, si celui-ci n'est pas connu. Il faut donc que, dans les œuvres que Dieu accomplit, sa volonté soit guidée par la lumière de son intellect, dans lequel sont les idées archétypes de toutes choses et leurs raisons d'être, ainsi que l'ordonnance de celles-ci à leur dernière fin, qui est Dieu même. Donc, bien que la divine volonté ne dépende d'aucune cause en dehors d'elle-même, elle n'est pas toutefois dépourvue de motif dans ses effets. Elle ne se porte pas à vouloir ceci ou cela au hasard, mais en tout ce qu'elle veut, elle est guidée par un but très élevé. Quel est ce but ? C'est précisément ce qu'il appartient au philosophe d'examiner.

§ III. - La raison, non moins que la foi, nous enseigne que les créatures corporelles sont ordonnées à la nature intellectuelle comme à leur fin. Or, comme la fin de la nature intellectuelle est précisément la connaissance de Dieu, les créatures corporelles servent à manifester la nature, les opérations, les attributs et la présence de la Divinité[127]. «C'est par les créatures, dit saint Paul[128], que les invisibles perfections de Dieu, son éternelle puissance et sa divinité, sont rendues visibles à l'intelligence par le moyen de ses œuvres.»
Les effets que nous admirons autour de nous suffisent à nous faire connaître l'existence de Dieu, sa présence dans le monde, et aussi, en quelque sorte, sa nature subjective. Ceci est d'autant plus vrai que, comme nous l'enseigne la philosophie, rien de créé ne peut, sans l'action de Dieu, continuer d'exister. « Si la puissance divine, dit saint Augustin[129], venait, même pour un seul instant, à cesser de gouverner les choses créées, non seulement leurs espèces cesseraient d'exister, mais leur nature même périrait. »
Toutefois, étant donné que l'esprit humain, mis en présence de la continuité et régularité d'un certain processus, s'y habitue au point d'en oublier la cause mouvante, ab assuetis non fit passio, il est opportun qu'une interruption subite dans l'ordre établi, un fait insolite vienne réveiller l'attention du spectateur, et imprimer fortement, irrésistiblement en lui, la conviction que tous les effets du monde, du fait qu'ils sont réguliers, n'ont pas moins besoin d'un agent premier et infini, que n'en ont besoin les effets mêmes extraordinaires. L'agent premier et infini, par rapport au cours du monde, c'est précisément Dieu : donc, une interruption dans le cours habituel du monde oblige l'homme à y reconnaître la présence de Dieu, et à s'écrier avec les mages de Pharaon : Digitus Dei est hic[130].
« Assurément, écrit saint Augustin[131], les miracles qu'accomplit Notre Seigneur Jésus-Christ sont des œuvres divines et enseignent à l'esprit humain à connaître Dieu d'après les choses visibles. Dieu n'est pas en effet une substance telle qu'on la puisse voir par les yeux du corps. D'autre part, les œuvres surprenantes qu'il déploie dans le gouvernement du monde et de toutes les créatures, pour être de tous les jours, deviennent à ce point familières, qu'elles n'excitent plus l'admiration, telle que devrait le faire la naissance d'un seul grain de blé. Dieu donc, dans sa miséricorde, s'est réservé de faire, en temps voulu, certaines œuvres en dehors du cours habituel de la nature afin que, à la vue des choses non pas plus grandes, mais plus insolites, les hommes sentent s'éveiller leur admiration demeurée comme assoupie en présence des œuvres que Dieu accomplit tous les jours. » Saint Thomas fait écho à ces paroles quand il écrit [132] : « Il arrive que Dieu opère quelque effet miraculeux en dehors de l'ordre de la nature, pour rappeler les hommes à la connaissance de lui-même.»
Il faut conclure de là à une très grande erreur chez ceux qui refusent de ne voir dans le miracle rien de plus que ce que révèle le fait le plus ordinaire ; aussi, ajoutent-ils, par le fait du miracle, l'existence de la révélation ne vient pas à sortir du domaine de l'hypothèse, autrement la foi se démontrerait par la raison[133].
En vérité, la foi est un don de Dieu, dont la raison formelle dépend de la révélation divine ; toutefois ce don est préparé, en voie d'efficience, par des motifs de crédibilité parmi lesquels le miracle occupe la première et la principale place.
§ IV. - II est vrai de dire que le miracle, considéré dans sa valeur intrinsèque, ne nous donne pas, sur le fait de l'existence d'un être suprême, une preuve plus convaincante que celle fournie continuellement par le cours habituel de la nature. Il est vrai qu'une exception dans le système régulier de l'univers n'a pas en faveur de l'existence de celui qui dirige ce système, une valeur plus convaincante que ne possède le système pris en lui-même ; aussi le cardinal Newman fait-il justement observer qu'un athée convaincu ne sera jamais touché par le miracle[134]. Cependant le miracle diffère du cours habituel de la nature en ce qu'il est plus étroitement lié à l'ordre moral que ne l'est le système régulier du monde.
« Les miracles, dit magnifiquement Bossuet[135], nous donnent l'idée véritable de l'empire suprême de Dieu, maître tout-puissant de ses créatures, soit pour les tenir sujettes aux lois générales qu'il a établies, soit pour leur en donner d'autres, quand il juge qu'il est nécessaire de réveiller par quelque coup surprenant le genre humain endormi. »
La succession alternée du jour et de la nuit, la révolution périodique des astres, le retour des saisons accompli avec une précision merveilleuse, en un mot la régularité des phénomènes naturels, sont assurément des choses qui proclament toutes l'existence du Créateur et célèbrent sa sagesse. Mais, une infraction inattendue à ces lois physiques, une brusque interruption dans le cours ordinaire du monde, ne peut être l'effet du hasard, et moins encore, la conséquence d'un capricieux vouloir de la part de Dieu. Un tel phénomène, au contraire, doit être ordonné pour un but spécial et précisément en faveur de ceux qui sont capables d'intelligence, c'est-à-dire en faveur de l'humanité. Un événement extraordinaire est ainsi apte à insinuer l'idée d'un gouvernement moral, qui non seulement prend soin de la marche régulière du monde physique, mais surtout qui se préoccupe de promouvoir le bien, de réprimer le mal, de protéger l'innocence, de sauvegarder les droits de la justice et de l'honnêteté, de récompenser la vertu et de punir le vice.
La pensée humaine, écrit le célèbre auteur anglais cité plus haut, a peut, au moyen du miracle, s'exciter à la réflexion, jusqu'à ce que la pure conviction d'un être surhumain devienne le premier pas vers la reconnaissance d'un Pouvoir Suprême. De plus, la même pensée humaine, tandis qu'elle observe la nature dans son ensemble, n'est pas capable d'en saisir tous les rapports et de comprendre ce qu'elle contient. Mais, dans les manifestations miraculeuses de la divine puissance, l'horizon est restreint ; on prend, à titre d'exemple, une partie détachée des opérations divines, et la cause finale est nettement indiquée... En outre, comme le miracle fournit en faveur du Créateur une preuve plus convaincante que ne peuvent le faire l'ordre et les lois fixes de l'univers, de même il témoigne encore avec plus d'évidence en faveur d'un Gouverneur moral. Car, tandis que la nature apporte son témoignage à l'existence de Dieu plus distinctement qu'à son gouvernement moral, un fait miraculeux, au contraire, a une influence plus directe sur ce dernier point, dont il est une preuve immédiate, tandis que la nature ne démontre que l'existence de Dieu. Il résulte de ceci que les miracles, outre qu'ils excluent l'idée de Destin et de Nécessité, ont une aptitude à secouer la conscience, à réveiller en elle un sentiment de responsabilité, à lui rappeler son devoir et à réclamer son attention sur ces signes du gouvernement divin contenus déjà dans le cours ordinaire des faits[136]. »
Le même écrivain dit ailleurs, avec beaucoup de raison, que par miracle on entend ordinairement un fait qui convainc l'esprit de la présence immédiate du Gouverneur moral du monde [137] ; et c'est pourquoi il serait faux de dire qu'une des conditions essentielles du miracle est qu'il soit fait en public, en présence de nombreux témoins et en de solennelles circonstances. Même pour un seul individu le miracle peut avoir lieu, sans que sa finalité en souffre tant soit peu. Car, si l'espérance d'obtenir, par une dérogation aux lois fixes de la nature, une faveur spéciale de Dieu est certainement un motif efficace pour exciter dans l'homme la foi dans la puissance et la bonté du Créateur, une faveur obtenue en des circonstances aussi extraordinaires ne peut manquer de réveiller en lui un vif sentiment de reconnaissance, sentiment qui le poussera à s'unir plus étroitement à Dieu, et à aimer avec plus de ferveur Celui qui s'est montré pour lui d'une telle libéralité.
Le but du miracle, qui est de manifester les attributs divins, de promouvoir la gloire de l'Éternel, est donc atteint, même quand il est fait en faveur d'un individu qui seul en est le témoin. Du reste, Dieu ne s'occupe-t-il pas de chacun de nous, comme si nous étions seuls au monde ?
Au contraire une dérogation aux lois ordinaires de la nature qui ne nous serait manifestée d'aucune façon, se verrait ainsi privée de cette fin, qui est de conduire l'homme à Dieu en lui faisant connaître plus vivement ses divins attributs : une telle dérogation, disons-nous, ne peut pas s'admettre. Comme l'enseigne saint Thomas, c'est une loi de la nature que l'ange supérieur illumine l'inférieur, et il n'arrive jamais que celui-ci soit illuminé directement par Dieu, parce qu'une telle dérogation n'aurait pas de but, les opérations angéliques ne nous étant point connues[138].
Nous avons entendu plus haut le Cardinal Newman dire que le but du miracle est de manifester les attributs moraux de Dieu, dans le gouvernement du monde. Ces paroles ont besoin d'être expliquées, car ce serait une grosse erreur de les comprendre du gouvernement du monde dans l'ordre naturel. Du moment que Dieu s'est plu à élever l'homme, par sa seule libéralité, à l'ordre surnaturel, dans sa connaissance et dans son amour par la foi et la charité en cette vie, et dans la possession parfaite de lui-même dans l'autre vie, il est nécessaire de reconnaître, comme étant la fin dernière de toutes les dérogations qui surviennent dans le cours habituel de la nature, l'existence de cet ordre surnaturel, c'est-à-dire l'ordre de la grâce, avec tous les moyens institués par Dieu pour la sanctification de l'homme. C'est pourquoi, aucun miracle n'a jamais lieu en dehors de cet ordre surnaturel, ou sans qu'il ait une relation à la fin dernière, qui est de conduire l'homme à la connaissance et à l'amour de Dieu, comme étant son Sauveur et son rémunérateur. Et c'est précisément la raison pour laquelle, de règle ordinaire, le miracle n'a jamais lieu en dehors de la religion instituée par Dieu. Que si l'on veut soutenir que quelques miracles ont pu avoir lieu dans l'ancien temps en dehors de la Synagogue et, dans des temps plus récents, hors de l'Église catholique, comme nous le dirons plus tard, ceci cependant ne peut jamais avoir eu lieu sans qu'il y ait, dans le miracle, une relation à la vie éternelle et aux moyens institués par Dieu pour nous y conduire : Omnia Propter electos.

§ V. - Mais, si le but de tout miracle est d'exciter dans l'homme des sentiments de révérence et d'affection envers Dieu, auteur de l'ordre surnaturel, cela ne veut pas dire que toutes les personnes en faveur desquelles Dieu fait des prodiges, soient en réalité toujours portées à admirer et à aimer davantage les attributs divins et qu'ainsi la fin propre du miracle soit toujours atteinte. L'homme est né libre ; et comme il peut abuser de cette liberté en résistant aux impulsions du premier moteur, il peut de même encore se rendre insensible aux enseignements contenus dans les dérogations au cours habituel de la nature. Il peut en outre oublier bien vite ce qui sur le moment l'avait peut-être impressionné. Les miracles presque infinis opérés par Dieu dans le désert en faveur de son peuple, n'empêchèrent pas les Hébreux de rendre au veau d'or un culte d'adoration, et parmi les personnes que Jésus-Christ a miraculeusement guéries, combien n'y en eut-il pas qui, au jour de son délaissement, demandèrent par des cris frénétiques sa crucifixion et sa mort !
La méconnaissance formelle des attributs divins de la part de ceux mêmes qui ont été les témoins ou les sujets des manifestations miraculeuses n'est donc pas un signe infaillible, ni même un indice suffisant contre la vérité historique de ces manifestations. C'est pourquoi seul un sophiste, par exemple, niera que l'escabeau sur lequel l'empereur Valens voulait s'asseoir pour écrire le décret d'expulsion contre saint Basile se rompît, que des trois plumes qu'il employa pour écrire la peine de l'exil aucune ne voulût rendre l'encre et que, persistant dans son dessein impie, les nerfs de son bras droit se contractassent et que toute sa main tremblât : seul, un sophiste, disons-nous, niera ces faits historiques, sous le prétexte que cet empereur arien méconnut ensuite la justice de Dieu manifestée ouvertement par de semblables prodiges, au point de continuer à communiquer avec les hérétiques, et aller même jusqu'à les appeler au chevet de son fils gravement malade.
Non moins significatif est le fait raconté par des témoins dignes de foi, à propos de julien l'Apostat qui, pour donner un démenti à la parole de Notre-Seigneur prédisant la destruction du Temple de Jérusalem au point qu'il n'y resterait plus pierre sur pierre, forma le projet impie de reconstruire ce temple même, pour y instituer de nouveau le culte hébraïque qu'il considérait comme analogue au culte païen.
Julien, en effet, ayant fait venir, vers l'an 361, de toutes les parties de l'empire, des ouvriers à Jérusalem, ordonna à ses trésoriers d'avancer l'argent nécessaire à cette entreprise, bien qu'elle dût lui coûter des sommes considérables.
Déjà les ouvriers, avec une ardeur fiévreuse, avaient mis la main au travail, aidés et encouragés par des hommes et des femmes de la plus haute noblesse juive ; déjà les anciens fondements avaient été déblayés et des matériaux sans nombre s'étaient amoncelés pour l'érection du nouveau temple, quand, tout à coup, d'effroyables globes de feu sortent du sol, consumant ouvriers et instruments de travail. En même temps, un tremblement de terre violent, accompagné d'un vent furieux, fait crouler les édifices voisins, disperse les matériaux, causant la mort des personnes accourues sur les lieux du désastre. Les vêtements des juifs survivants furent vus, la nuit suivante, marqués de petites croix lumineuses que rien ne réussit à faire disparaître, tandis qu'apparaissait dans le ciel une grande croix resplendissante.
Malgré ces signes terribles, les juifs s'obstinèrent à reprendre le travail, poussés qu'ils étaient par les ordres de l'empereur et le désir de voir le temple surgir à nouveau ; mais chaque fois ils se virent empêchés par des phénomènes semblables. Enfin ils durent, bien malgré eux, renoncer à leur mauvais dessein. C'est ainsi qu'est demeurée sans démenti jusqu'à nos jours, la parole prophétique de Jésus-Christ, qui avait prédit que de ce monument insigne, une des merveilles du monde, il ne resterait pas pierre sur pierre[139]. Or, nier ce fait, disons-nous, uniquement parce que nous ne lisons pas que les juifs se soient convertis, est, à vrai dire, le propre d'un jugement faux ou déséquilibré.
De la même manière seul un esprit soi-disant fort, mais en réalité bien faible ou entêté, rejettera les miracles de Lourdes, pour la simple raison qu'un petit nombre d'obstinés persistent à ne pas vouloir reconnaître dans ces événements la main bienfaisante de Marie. Il opposera de même à l'évidence toujours croissante, une dénégation opiniâtre ou bien il niera l'authenticité d'une guérison, sous l'unique prétexte que celui qui en a bénéficié s'est ensuite révolté contre Dieu, en méconnaissant la grâce qu'il a reçue. Il est des esprits aveuglés à tel point que, même s'ils voyaient un cadavre déjà en décomposition revenir à la vie, ils nieraient le fait de sa mort, dans le seul but de refuser à Dieu la gloire de l'avoir ressuscité.
L'observation du Vénérable Bède vient ici à propos. Parlant de l'incrédulité des juifs en présence des miracles de Jésus-Christ, il dit [140] : « Les uns, tentant le Messie, lui demandaient un signe d'en Haut. Ou bien ils désiraient qu'il fît, comme Élie, descendre le feu du ciel, ou encore, comme au temps de Samuel, faire par un temps serein éclater le tonnerre, briller la foudre et tomber des nues des torrents d'eau ; comme s'ils n'eussent pu nier ces prodiges en les attribuant aux forces cachées qui opèrent dans les airs. Et toi, qui nies ce que voient tes yeux, ce que tu tiens dans tes mains et dont tu éprouves le bienfait, que feras-tu de ces phénomènes qui viennent du ciel ? Sans doute, répondras-tu que les Mages d'Égypte, eux aussi, ont opéré des prodiges nombreux. »
Mais nous pouvons passer outre et affirmer hors de doute, avec un savant écrivain que «la démonstration du surnaturel a atteint aujourd'hui le dernier degré de l'évidence[141]

§ VI. - Étant donné que le but du miracle est précisément de conduire l'homme à sa fin dernière, laquelle fin consiste dans la possession de Dieu auteur de l'ordre surnaturel, nous repousserons loin de nous la pensée que Dieu veuille interrompre, par pur caprice, le cours de la nature réglé par lui avec tant de sagesse. Un simple caprice ne peut être le motif d'un si grand Souverain, d'un Maître aussi sage. Si donc nous le voyons quelquefois agir contre cet ordre ou en dehors de lui, nous nous persuaderons facilement qu'il le fait pour le seul motif d'imprimer plus fortement dans l'homme, pour l'usage duquel le monde physique a été tiré du néant, la connaissance de sa fin dernière, fin qui est Dieu même et de lui rappeler les moyens par lesquels il doit arriver à le posséder. Ces moyens, nous le savons, sont la vérité e l'honnêteté, et par-dessus tout, la foi en la doctrine de l'Eglise et des sacrements institués par Jésus-Christ pour nous aider à atteindre notre fin dernière.
Ce ne sera donc pas pour nous chose difficile de croire que Dieu s'interpose quelquefois comme témoin des vérités annoncées par ses prophètes ; que, dans d'autres cas, il veuille venger lui﷓même l'innocence opprimée et châtier le crime laissé impuni par la justice humaine ; que, pour preuve de la sainteté de ses serviteurs et pour nous stimuler à les imiter, il rende, grâce à leurs prières, la santé aux malades et la vie aux morts ; que, plein de pitié, il prête l'oreille aux supplications des malheureux qu'il calme soudainement des tempêtes ; qu'il fasse cesser des guerres dévastatrices ; qu'il donne à la terre une fécondité insolite ; qu'il multiplie le vin, l'huile, le froment ; que, voulant à la fois faire connaître et craindre sa Majesté divine, il fasse le ciel de bronze et de pierre les masses liquides ; qu'il ôte au soleil et à la lune leur splendeur naturelle ; qu'il ébranle la terre ou suscite parfois d'étranges et insolites phénomènes célestes.
En d'autres termes, nous n'hésiterons pas à admettre que Dieu, après avoir, pour la manifestation de sa gloire, créé ce vaste univers, et cela plus facilement que le potier ne fabrique ses vases, puisse, quand il veut plus spécialement faire ressortir cette gloire, interrompre soudainement le cours de la nature, au point de contraindre un homme de peu de foi ou irréfléchi à reconnaître la présence immédiate de son Créateur, principe et fin de toutes choses.
D'autre part, c'est pour l'homme un strict devoir de ne pas fermer les yeux à ces manifestations de la puissance divine, mais au contraire, de les étudier et d'agir conformément aux enseignements qui en découlent. Car, étant donné le droit d'autorité qui revient à Dieu sur l'homme, étant donnée également l'absolue liberté qu'a ce Souverain Seigneur de manifester aux créatures raisonnables les ordres de sa Volonté suprême au moyen des dérogations au cours de la nature, le miracle ne peut apparaître comme un fait indifférent, un simple phénomène éphémère, mais il se révèle comme l'empreinte des pieds de Dieu qui passe dans le monde.
Si donc c'est un devoir pour l'homme de ne pas fermer les yeux au livre toujours ouvert de la nature, mais plutôt d'étudier les vérités qu'il renferme par rapport à l'existence de Dieu, à sa simplicité, à sa perfection, à son unité, ce n'est pas un moindre devoir de lire dans le livre des dérogations au cours habituel de cette même nature et de s'écrier humblement avec Samuel [142]: « Parlez, Seigneur, votre serviteur vous écoute. »
Si le sage aime à contempler les sphères célestes, semées avec une royale profusion dans les espaces éthérés, à en étudier les mouvements, à en calculer les rapports, supposant que tout à coup apparaisse dans le ciel une nouvelle étoile d'une splendeur insolite, qui, dans sa marche, vienne se poser sur une petite cabane où gît un enfant nouveau-né, ce sera le devoir de quiconque est témoin de ce météore insolite d'en suivre les traces et de rechercher quel peut être cet enfant si merveilleusement désigné. Le pieux spectateur, ayant reconnu cet enfant pour son Dieu, bien que celui-ci soit plongé dans l'abjection d'une extrême pauvreté, se prosternera devant lui et, plein d'un humble respect, il l'adorera.
Pareillement, si la nature nous a inspiré le désir de connaître le genre humain tel que nous le révèlent les annales de l'histoire, étant donnée la certitude que, dans les temps passés, un homme est apparu sur cette terre, annonçant une doctrine plus parfaite, se disant envoyé par Dieu pour établir une religion nouvelle, et confirmant sa mission par des miracles qui lui permettaient de dire à la face du monde, sans crainte de contradiction[143] : «Les œuvres que mon Père m'a donné d'accomplir, ces œuvres mêmes que je fais, rendent témoignage de moi, que c'est le Père qui m'a envoyé », ce sera le devoir de tous ceux qui viennent ainsi à le connaître, de recevoir son témoignage et de lui dire avec Nicodème[144]: «Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu comme Docteur, car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui. »
Les paroles du Concile du Vatican trouvent ici leur place [145] : « Afin de rendre l'hommage de notre foi conforme à la raison, Dieu a voulu ajouter aux illuminations intérieures de l'Esprit-Saint les preuves extérieures de sa révélation, c'est-à-dire les faits divins et surtout les miracles et les prophéties. Ces choses, de même qu'elles démontrent la toute-puissance et la science infinie de Dieu, sont aussi des signes très certains de la révélation divine adaptés à l'intelligence de tous. D'où il suit que Moïse et les Prophètes et Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, et lui plus que tous, ont fait un grand nombre de miracles et de prophéties d'une évidence formelle ». On lit aussi, au sujet des Apôtres : «Pour eux, étant partis, ils prêchèrent en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui l'accompagnaient [146]». Et encore : «Ainsi a été confirmée pour nous l'Écriture prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur[147]

§ VII. - C'est donc ainsi que le miracle rend un témoignage solennel à la vérité surnaturelle. Par contre, le miracle véritable ne pourra jamais et d'aucune manière s'accomplir pour confirmer l'erreur ou approuver le vice, Dieu étant la vérité et la bonté par essence, d'où découle, comme de son principe, tout ce qui, dans le monde, jouit de la qualité du vrai, du bien et de l'honnêteté. C'est pourquoi, étant donné que le miracle est son œuvre et une oeuvre qui a pour but la manifestation de l'ordre surnaturel, Dieu se renierait lui-même, s'il pouvait l'accomplir pour confirmer l'erreur ou approuver le vice[148].
Il ne faudrait pas conclure de là que Dieu ne se sert jamais d'hommes mauvais pour opérer des miracles. Cependant, même dans ce cas, son but unique est d'appuyer la vérité dont ces hommes pervers sont, malgré eux, les témoins, sans que pour cela le miracle fournisse un témoignage en leur faveur. Il importe peu à la valeur intrinsèque de la vérité, qu'elle soit annoncée par un saint prophète ou par l'âne de Balaam ; la vérité possède en elle-même sa propre justification, et c'est pour la cause de la vérité, bien plus que pour ceux qui la prêchent, que Dieu accomplit le miracle.
Ajoutons que, de même qu'un thaumaturge peut abuser du don de faire des miracles, comme plusieurs chrétiens de la primitive Église abusèrent du don des langues, de même aussi la sainteté n'est pas, chez un individu, la condition essentielle pour opérer de tels miracles. C'est pourquoi le même Jésus-Christ, qui ordonna d'écouter les scribes et les pharisiens parce que, assis sur la chaire de Moïse, ils annonçaient au peuple la vérité qu'ils avaient reçu mission de prêcher, dit encore aux Soixante-douze qui retournaient auprès de Lui, pleins de joie pour avoir chassé les démons : « Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; réjouissez-vous, au contraire, de ce que vos noms sont écrits dans les cieux [149]» voulant signifier par là que le fait d'opérer des miracles n'est pas nécessairement cause ni même signe infaillible d'une véritable sainteté, et qu'il peut se faire que ceux-là même qui, au nom de Dieu, opèrent des prodiges, ne soient pas reconnus par Lui, au dernier jour, pour ses disciples [150].
D'autre part, comme la vertu n'est pas uniquement l'apanage des chrétiens et que même un barbare ou un individu hors du corps de l'Église peut être agréable à la Divinité et pratiquer sincèrement la vertu, rien ne saurait s'opposer à ce que Dieu opère parfois des miracles en faveur d'un tel individu, non pour sanctionner son hétérodoxie, mais pour témoigner d'une qualité spéciale possédée par lui à un degré éminent. Ce n'est pas pour les chrétiens seuls que Dieu est le juste rémunérateur des mérites, mais pour tous les hommes, de même qu'il est pour tous et non pour les seuls chrétiens, le défenseur des opprimés, le protecteur des affligés, le vengeur de l'innocence.
C'est pourquoi nous lisons, si toutefois le fait est authentique, qu'une des vierges romaines, dites Vestales, pour preuve de sa chasteté, aurait porté dans un tamis de l'eau du Tibre jusqu'à la roche du Capitole, sans qu'il s'en répandît une seule goutte[151]. D'autre part, de graves auteurs soutiennent sérieusement l'authenticité de quelques-uns parmi les oracles sibyllins, ce qui impliquerait une intervention de Dieu chez des personnes hors de la vraie religion, dans le but, non de recommander leurs erreurs, mais de manifester la vérité que le Messie devait venir enseigner aux hommes[152].
Si, au contraire, le miracle est accompli par Dieu précisément pour rendre témoignage à la bonté morale de l'un ou l'autre de ses serviteurs, ce miracle devient alors un signe certain d'une sainteté véritable. Par une intervention aussi solennelle, Dieu se rend, pour ainsi dire, garant de la vertu et de la justice de celui-ci. De cette manière, le miracle ne peut être fait qu'en faveur de celui qui possède la grâce de Dieu ; il est une prérogative de la vraie religion, car faire des miracles en faveur du vice ou d'un faux culte, équivaudrait pour Dieu à se renier lui-même. C'est pourquoi, dans les procès de canonisation des Saints, l'examen des miracles que l'on dit opérés par les serviteurs de Dieu en conséquence de prières faites en leur honneur et, par conséquent, en témoignage de leur vertu, est, d'habitude, tenu par l'Église comme une condition indispensable pour que la sainteté de ces personnages soit solennellement proclamée et que le privilège d'un culte public leur soit accordé.

§ VIII. - Bien que le don de faire des miracles ait généralement pour but de manifester la présence de Dieu dans l'âme du thaumaturge, il y a néanmoins des cas où ce don est accordé à des individus privés de la grâce de Dieu. Mais alors, comme l'observe saint Thomas, on ne dit pas simplement que l'homme reçoit le Saint-Esprit, comme c'est le cas lorsque le thaumaturge est un saint, mais qu'il reçoit l'esprit de prophétie ou l'esprit de miracles.
« L'opération des miracles, dit-il[153], est ordonnée à la manifestation de la grâce justifiante, de même que le don de prophétie et toute grâce gratis data. C'est pourquoi saint Paul nomme la grâce gratis data, manifestation de l'esprit[154], et pour cela il est dit que l'Esprit-Saint fut donné aux Apôtres pour opérer des miracles, parce que la grâce justifiante leur fut donnée avec un signe qui la manifestait. Que si le signe de la grâce justifiante était donné sans la grâce elle-même, on ne dira pas simplement que l'Esprit-Saint est donné, mais seulement avec une certaine limitation, comme l'on dit que l'esprit de prophétie ou de miracle a été donné à quelqu'un, en tant qu'il a reçu de l'Esprit-Saint le pouvoir de prophétiser et de faire des miracles.»
A cette seconde catégorie appartiennent les miracles, si toutefois on peut les tenir pour authentiques, que l'on dit opérés parmi les païens, miracles auxquels fait allusion saint Augustin, précisément pour convaincre les Gentils de la possibilité des miracles opérés au sein de la religion chrétienne. « Je parle, dit-il[155], de ces prodiges que l'on voit assez clairement opérés par l'œuvre et la puissance des divinités païennes. Tel est, par exemple, le fait que l'on raconte des images des dieux Pénates, qu'Énée, dans sa fuite, aurait emportées de Troie, et qui passèrent d'elles-mêmes d'un lieu à un autre ; cet autre fait d'une pierre à aiguiser, que Tarquin aurait coupée de son rasoir ; du serpent d'Épidaure, fidèle compagnon d'Esculape dans son voyage à Rome ; de ce navire, portant l'image de la mère phrygienne et rendu immobile malgré les efforts réunis des hommes et des bœufs, et néanmoins cédant à la main d'une femme qui l'avait attachée à sa ceinture, et cela pour rendre témoignage de sa chasteté ; enfin, de cette vestale, accusée de corruption, se justifiant par l'épreuve d'un crible qui conservait l'eau puisée par elle dans le Tibre.»
A ce propos, il ne sera pas inutile de rappeler l'enseignement du Docteur Angélique sur les modes divers dont les bons et les mauvais accomplissent, dans la nature, des choses merveilleuses. Cette doctrine limpide nous préparera à mieux comprendre la différence immense qui existe entre les vrais miracles et les œuvres qui, pour être merveilleuses, n'en sont pas moins du ressort de la nature.
« Parmi les miracles, dit-il[156], certains ne sont pas véritables, mais sont seulement le produit d'opérations fantastiques, par lesquelles l'homme est trompé, de telle sorte qu'une chose lui semble vraie, qui ne l'est pas en réalité ; par contre, d'autres sont des faits véritables, mais il leur manque le caractère de vrai miracle, parce qu'ils sont dus aux forces de quelque cause naturelle : ces deux sortes de faits peuvent être l'œuvre des démons. Au contraire, les vrais miracles ne peuvent s'opérer que par la puissance divine, car c'est Dieu lui-même qui les produit pour l'utilité de l'homme. Et ceci il le fait pour deux fins : premièrement, pour confirmer la vérité prêchée ; deuxièmement, pour démontrer la sainteté de quelque individu, sainteté que Dieu veut proposer en exemple aux hommes. »
Dans le premier cas, les miracles peuvent s'accomplir par le ministère de quiconque prêche la vraie foi et invoque le nom du Christ, chose qui peut se produire par l'entremise des méchants, si bien que, de cette façon, les méchants peuvent, eux aussi, produire des miracles. C'est pourquoi sur ce passage de saint Mathieu : « N'avons-nous pas prophétisé en ton nom, » etc. [157]», saint Jérôme écrit « Prophétiser, faire des choses merveilleuses, ou chasser les démons, de tels faits ne se produisent pas toujours en vertu du mérite de celui qui accomplit ces merveilles ; mais c'est l'invocation du nom du Christ qui en est la cause, afin que les hommes honorent Dieu, par l'invocation duquel ces grands miracles s'accomplissent. »
« Dans le second cas, seuls les saints font des miracles qui ont pour but d'attester leur sainteté ; ils les font, soit pendant leur vie, soit après leur mort, par eux-mêmes, ou par l'entremise d'autres hommes. C'est ainsi qu'on lit dans les Actes des Apôtres, que « Dieu faisait des miracles par l'entremise de Paul [158] » ; et, de nouveau : « on appliquait sur les malades des mouchoirs et des ceintures qui avaient touché son corps, et les maladies les quittaient [159]». De même rien n'empêche que, sur l'invocation d'un Saint, des miracles s'accomplissent par un pécheur, bien qu'on ne puisse dire que ces miracles sont faits par lui, mais bien par celui dont la sainteté est attestée par ces mêmes miracles.
Nous pouvons, à l'appui de cette doctrine, citer l'exemple tiré de la vie d'un Saint de Palestine, surnommé Joseph Comte, mort vers le milieu du quatrième siècle. Cet homme était né Juif, et Notre Seigneur lui était apparu plusieurs fois, l'exhortant, mais en vain, à embrasser la religion chrétienne. Finalement, pour l'assurer davantage de la vérité de notre foi, il lui promit que s'il désirait accomplir lui-même quelque miracle, il n'avait qu'à invoquer son nom, et qu'il serait exaucé. Il en fut ainsi, car s'étant fait amener un fou depuis longtemps possédé du démon, il le guérit complètement par l'invocation du nom de jésus de Nazareth[160].
Il ne faudra donc pas rejeter un miracle à priori, par le fait qu'on le voit s'accomplir par un homme d'une vie répréhensible, car la bonté morale n'est pas, dans l'instrument, une condition sine qua non, pour que l'agent principal s'en serve dans la production de l'effet merveilleux. Du reste, les pécheurs ont fait parfois des miracles que les Saints eux-mêmes n'ont pas été capables d'imiter, Dieu en disposant ainsi, « afin que les faibles, dit saint Augustin, ne soient pas dupes de l'erreur très pernicieuse de croire qu'il y a dans des faits de ce genre, des dons plus grands que dans les œuvres de justice, par lesquelles on gagne la vie éternelle[161] ». De même aussi, les prophéties faites par Balaam et par Caïphe, le premier, mage coupable, le second, prêtre prévaricateur, ont été, selon la juste observation de saint François de Sales[162], utiles à d'autres et inutiles à eux-mêmes, et ne prouvent d'aucune façon leur sainteté.

§ IX. - Nous trouvons dans la pratique de l'Église une sanction formelle de ce que nous venons d'exposer, à savoir que le don de faire des miracles peut être possédé par des personnes d'une vie rien moins qu'édifiante. Dans le procès de canonisation des Saints, il est prescrit que l'examen des miracles attribués à un Serviteur de Dieu que l'on désire voir glorifié, soit précédé d'une recherche minutieuse des vertus pratiquées par lui durant sa vie[163]. La raison de cette méthode de procédure est indiquée par le célèbre jurisconsulte Lambertini, qui fut Pape sous le nom de Benoît XIV, et cette raison est que les mauvais comme les bons peuvent faire des miracles[164].
S'il était nécessaire d'insister, on pourrait invoquer la célèbre Décrétale d'Alexandre III, Audivimus[165], par laquelle ce Pontife reproche à certains moines d'avoir honoré un homme qui avait été tué en état d'ivresse. Ces moines lui avaient rendu ce culte en vue des miracles qui lui étaient attribués. « Quand bien même cet individu, observe le Pape avec insistance, aurait vraiment fait plusieurs miracles, vous ne devriez pas le vénérer comme saint.
C'est bien là une preuve de ce que nous avons dit, que les miracles pris isolément ne prouvent rien en faveur de la sainteté d'une personne, puisque, comme l'observe Gonzales, il est certain que même des individus déshonnêtes, pris dans les liens du péché grave, ont chassé les démons et ont opéré des miracles. Du reste, comme l'écrit Maldonat, Notre-Seigneur lui-même se refusait à reconnaître comme siens ces mêmes hommes qui avaient prophétisé et chassé l'esprit malin en son nom[166]. Saint Paul suppose également qu'on puisse avoir une foi capable de transporter les montagnes, sans que pour cela on possède la charité[167]. Les juifs eux-mêmes, les païens et les hérétiques ont fait de vrais miracles, dit Gonzales, dans un passage auquel se réfère Lambertini et où cet auteur raconte un grand nombre de faits merveilleux.
Il n'y a donc pas à s'étonner si l'Église, toujours prudente, tout en laissant aux faits miraculeux la place qui leur revient, met toutefois en premier lieu, dans les procès de béatification et de canonisation, l'héroïcité des vertus, et avant de pousser plus loin la procédure, prescrit d'interroger tous ceux qui ont connu le Serviteur de Dieu, dont on demande la glorification.


CHAPITRE VI

CE QU'EST LE MIRACLE

1.Nature du miracle. - 2. En quel sens dit-on qu'un miracle est une couvre merveilleuse. - 3. Il doit y avoir dans le miracle quelque chose qui semble répugner à ce que l'effet soit produit. - 4. Différence entre les miracles proprement dits et ce qu'on appelle communément des grâces. - 5. Différence entre les diverses œuvres merveilleuses. - 6. Trois classes distinctes de miracles. - 7. Les œuvres correspondant aux miracles de troisième classe ne surpassent pas le pouvoir des anges. - 8. Autre classification.

§ I. - Dans les chapitres précédents, nous avons étudié l'ordre de la Providence divine, lequel, en sa qualité de cause universelle, comprend tous les ordres particuliers des choses. De plus, en considérant le degré d'action qui appartient à Dieu comme cause universelle, et à la créature comme cause particulière, dans la production des effets naturels du monde, nous avons tiré cette conclusion, que le miracle est possible, non seulement en tant qu'il n'y a aucune répugnance intrinsèque à ce qu'une chose soit amenée directement d'une puissance éloignée à un acte qui en excède la portée, sans passer par les milieux habituels, mais encore en tant qu'il ne surpasse pas le pouvoir d'un agent infini, tel qu'est Dieu.
Nous avons montré, en outre, comment le miracle n'est pas une œuvre privée de finalité. Le miracle a un but, un but très élevé, celui de servir à manifester les attributs de Dieu et particulièrement de le montrer comme le Pourvoyeur et le Gouverneur surnaturel des choses humaines. De sorte que, si le cours habituel de la nature, conforme aux lois fixes qui régissent le monde, enseigne tacitement à l'homme quels sont ses devoirs envers la Divinité, une déviation au cours de ces lois, une irrégularité subite dans l'économie de la nature devient, selon la belle expression du cardinal Newman, une signature de Dieu écrite de sa main sur un message, celui-ci fût-il transmis par la bouche d'un homme[168].
Le Docteur Angélique avait écrit déjà dans le même sens : «Quand quelqu'un accomplit des œuvres qui ne peuvent être faites que par Dieu, (on croit) que ce qui est annoncé est de Dieu, de même que lorsque quelqu'un apporte des lettres scellées du cachet du roi, on regarde ce que ces lettres contiennent comme exprimant la volonté du roi »[169].
Donc, en tant qu'il surpasse toutes les forces de la nature créée, le miracle, ainsi que l'indique l'étymologie elle-même, est une œuvre de tout point merveilleuse : Miraculum dicitur quasi admiratione plenum[170].
Mais, dans le miracle, comme dans toute autre oeuvre, il faut soigneusement distinguer deux choses : l'une est l'effet, et l'autre, la cause de l'effet. Dans le miracle l'effet est sensible, évident, palpable ; la cause, au contraire, est latente, cachée ; et c'est précisément parce que la cause est cachée, que l'effet est appelé merveilleux, un miracle.
Cependant une occultation quelconque de la cause ne suffit pas pour que l'effet soit un miracle proprement dit. Le flottement sur l'eau d'un navire très pesant, nonobstant son armature de fer, le vol d'un avion puissant malgré le poids des matériaux dont il est construit, la reproduction du visage humain sur une feuille de papier ou de choses cachées dans un coffre, la conservation et la transmission à grande distance de la voix humaine avec ses modulations et son timbre - toutes ces choses sont des effets visibles, dont les causes sont cachées, il est vrai, mais en partie seulement, c'est-à-dire à ceux qui ignorent les multiples applications des lois physiques.
Saint Augustin énumère, sur l'autorité d'écrivains dignes de foi, plusieurs de ces effets naturels, que le vulgaire considérait autrefois comme des miracles, précisément parce qu'il n'en connaissait pas les causes, bien que celles-ci ne soient pas, de par leur nature, entièrement cachées.
Rapportons ici, à titre d'information, les propres paroles du grand Docteur[171]: « On dit que le sel d'Agrigente, en Sicile, jeté dans le feu, fond comme s'il était dans l'eau ; et qu'au contraire, jeté dans l'eau, il crépite comme s'il était dans le feu. Près de Garamanzia, se trouve une fontaine, si froide le jour qu'on n'en saurait boire, si brûlante la nuit, qu'on ne saurait y toucher. Dans une autre fontaine, en Épire, les torches allumées s'éteignent, et les torches éteintes s'allument. En Arcadie, se trouve une pierre que l'on nomme Asbeste, parce que une fois allumée, elle ne s'éteint plus. Le bois d'un certain figuier d'Égypte ne nage pas sur l'eau, comme les autres bois, mais il s'y plonge et, ce qui est plus merveilleux, après quelques instants de séjour au fond de l'eau, il remonte à la surface, quand l'eau dont il est pénétré devrait au contraire l'appesantir. Certaines pommes de la terre de Sodome arrivent à une apparente maturité, mais, pressées qu'elles sont par les dents, elles se réduisent en fumée et en cendre, tandis que l'écorce extérieure se couvre de rides. La pierre pyrite, de Perse, brûle la main qui la serre ; de là lui vient son nom. » Toutes ces merveilles et beaucoup d'autres semblables ne peuvent s'appeler miracles que dans un sens impropre, et non dans le sens strict et formel du mot.
C'est aussi dans ce sens large que doivent s'entendre les paroles que, d'après Gerson, jean XXII aurait prononcées quand il fut question de la canonisation du Docteur Angélique, Thomas d'Aquin. Quelqu'un ayant dit, en présence du Pape, que sa vie n'avait pas été particulièrement illustrée par des miracles, le Vicaire de Jésus-Christ observa : « Qu'avons-nous besoin de nouveaux prodiges ? Thomas a fait autant de miracles qu'il a composé d'articles. » C'est encore dans le même sens que nous appelons miracles de science des personnes très doctes, et les Pères, surtout de l'Église grecque, attribuent à la glorieuse Mère de Dieu, à cause de sa sublime dignité, le titre de miracle incompréhensible[172].
Au contraire, que l'eau s'élève en forme de muraille, comme ce fut le cas dans la Mer Rouge pour laisser passer les Israélites[173], qu'une eau limpide jaillisse de la roche aride sous le coup d'une verge comme celle de Moïse, ou qu'un homme sorte sain et sauf d'une fosse de lions affamés, comme ce fut le cas pour Daniel, ce sont là des œuvres dont la cause adéquate est cachée à tous, parce que celle-ci est précisément la cause première, que nous connaissons quant à son existence, mais non quant à son essence et à son mode d'opérer. « On nomme miracle, observe saint Thomas, ce qui, pour ainsi dire, est plein d'admiration, par le fait que la cause en est simplement cachée à tous : or, cette cause, c'est Dieu »[174].

§ II. - Notons ici que lorsqu'on dit du miracle qu'il est une oeuvre merveilleuse, cela veut dire que c'est une œuvre qui, de sa nature, est apte à exciter l'admiration, bien qu'il arrive parfois que, par suite des dispositions des témoins, elle ne l'excite pas en réalité. Cette observation est nécessaire, parce qu'il n'est pas rare qu'un fait, quelque merveilleux qu'il soit, cesse d'éveiller notre attention, par la raison qu'il est fréquemment répété. Un exemple suffira à faire comprendre ce que nous voulons dire.
Quoi de plus merveilleux que, dans une si grande multitude d'hommes se succédant continuellement sur la terre, chaque individu porte, avec l'uniformité du type représentant l'espèce commune, un signe distinctif imprimé sur son visage par lequel il est différencié de tous ses semblables ? Il fallait une ressemblance de forme extérieure pour que tous les hommes apparussent membres de la même famille humaine et, par cela, distincts des bêtes ; mais, sans un signe spécial imprimé sur chacun d'eux, il n'y aurait aucun moyen de distinguer un homme de l'autre. Et pourtant, cette diversité, pour merveilleuse qu'elle soit, n'est pas ce qui éveille le plus notre admiration. Personne ne s'en soucie. Au contraire, nous nous émerveillons quand, ainsi que l'observe si bien saint Augustin[175], le cas se rencontre de deux ou trois hommes tellement semblables entre eux dans l'apparence extérieure que, ou nous les confondons tout à fait, ou nous les distinguons difficilement.
Nous disons donc que le miracle est une œuvre merveilleuse. Il suffit pourtant qu'elle soit merveilleuse en elle-même, bien que, pour une raison ou pour une autre, elle cesse de l'être pour nous. Or, une œuvre, quelque merveilleuse qu'elle soit en elle-même, cesse de l'être pour nous, du moment qu'elle devient de fréquente occurrence. Il s'en suit que la rareté d'une œuvre, d'un fait, ne doit pas être regardée comme un signe distinctif et certain du miracle.

§ III. - Pour ce qui regarde l'effet, une admiration pleine et entière ne peut s'éveiller chez le témoin, s'il n'y a pas, dans la chose produite, une disposition naturelle contraire à la production de cet effet[176]. C'est pourquoi, on ne peut pas considérer comme miracles proprement dits, les effets que Dieu seul opère directement et qui ne peuvent être produits d'autre manière que par Lui, et précisément dans l'ordre même tenu par Lui. C'est ainsi que la création et la justification de l'impie, ne sont pas des miracles à proprement parler, comme on le dira plus loin.
En d'autres termes, pour qu'il y ait miracle, il ne suffit pas que la cause en soit cachée ; il faut encore que, dans le sujet même du miracle, il existe une sorte de répugnance naturelle à sa réalisation. A défaut de l'une ou de l'autre de ces conditions, c'est-à-dire si la cause du miracle n'est cachée que pour quelques-uns seulement et non pour tous, ou si la répugnance entre l'effet produit et la nature du sujet, n'est qu'apparente, le miraculeux n'aura pas lieu au sens strict du mot ; l'on ne sera en présence que du merveilleux pris dans un sens large et inadéquat.
Saint Augustin avait devant les yeux ces deux éléments d'admiration, c'est-à-dire l'ignorance de la cause et la non disposition ou répugnance du sujet à recevoir la forme déterminée, quand il décrivait le miracle comme a une chose difficile et insolite, surpassant le pouvoir de la nature et se vérifiant au delà de l'espérance de celui qui l'admire[177]».
Cette description, observe saint Thomas[178], «contient d'abord quelque chose qui excède l'ordre de la nature, quand il est dit : Dépassant le pouvoir de la nature, et c'est à cela que correspond, du côté de la chose merveilleuse, le mot difficile. Elle contient aussi quelque chose qui dépasse notre connaissance, dans ces paroles, au delà de l'espérance de celui qui l'admire, et à cette expression correspond, du côté de la chose merveilleuse, le terme insolite. L'habitude, en effet, a pour résultat de rendre les choses plus familières à notre connaissance.»
Saint Thomas fait ailleurs, à propos de la définition de saint Augustin, l'observation suivante[179]: « Le miracle est appelé difficile, non à cause de la dignité du sujet dans lequel il s'accomplit, mais parce qu'il excède le pouvoir de la nature. Il est dit en outre insolite, non parce qu'il ne se vérifie pas fréquemment, mais parce qu'il est en dehors du cours habituel des choses. On dit encore qu'une chose est au delà du pouvoir de la nature, non seulement à cause de la substance de l'effet, mais aussi à cause du mode et de l'ordre de sa réalisation. On dit enfin que le miracle est au delà de l'espérance de la nature, et non pas au delà de l'espérance de la grâce, puisque celle-ci procède de la foi, par laquelle nous croyons à la résurrection future. »
Le miracle, avons-nous dit, tire son nom de l'admiration qu'il a coutume de susciter chez ceux qui en sont témoins, mais on l'appelle aussi par d'autres noms. On le nomme quelquefois, prodige, voulant par là attirer en particulier l'attention sur ce fait, que la puissance passive naturelle du sujet est dépassée par l'effet produit. On l'appelle encore signe, mot qui regarde la finalité du miracle, qui est de manifester les attributs divins. On lui donne aussi le nom de vertu, pour indiquer la grandeur de l'œuvre et la puissance de celui qui l'accomplit[180].
Miracle, en latin, se dit monstrum, ostentumn, portentum et prodigium[181]. « L'expression monstrum, dit saint Augustin[182], dérive du verbe monstrare, et indique que les miracles montrent, qu'ils signifient quelque chose ; l'expression ostentum, vient du verbe ostendere, et portentum du verbe portendere, c'est-à-dire, montrer en avant ; le nom prodigium sert à indiquer que le miracle annonce de loin, porro, ou encore sert à annoncer les choses futures.»
Ce que l'on a dit ici sert à démontrer la fausseté de ces paroles de Loisy [183] : «Si l'on va au fond des choses, il n'y a, sans aucun doute, dans le miracle, rien de plus que dans le plus petit des faits ordinaires ; de même que, vice versa, dans le plus petit des faits ordinaires, il n'y a rien de moins que dans un miracle. » A ce sophisme nous répondons qu'il y a dans tout miracle avéré, même dans le plus petit, quelque chose qui n'est pas dans les faits ordinaires, même les plus grands, c'est-à-dire, l'action immédiate de Dieu.

§ IV. - Il est à propos de noter ici la différence qui existe entre un vrai miracle, tel que nous venons de le définir et ces manifestations de la divine Bonté, que nous appelons habituellement grâces ou mieux réponses à nos prières.
Notre divin Sauveur nous exhorte à recourir à Dieu dans tous nos besoins et nous promet que tout ce que nous demanderons à son Père en son nom nous sera accordé[184]. Ceci, les fidèles le savent et ne manquent pas de le mettre en pratique. C'est chose ordinaire que de rencontrer par centaines et par milliers la narration de faveurs ainsi obtenues, dont beaucoup portent la marque de l'authenticité.
Ces grâces ne doivent pourtant pas être confondues avec le miracle. Le miracle, avons-nous dit, est une dérogation formelle à l'ordre de la nature. Dans le miracle Dieu met de côté les causes secondes ; il produit par lui-même leurs effets, de telle sorte qu'il rejoint, pour ainsi dire, avec immédiation d'agent suppôt, l'effet produit. Mais dans les grâces que Dieu nous accorde, aucune dérogation à l'ordre de la nature n'a lieu. L'effet produit, objet d'ardents désirs et de ferventes prières, est préparé et conduit à sa fin par les causes secondes elles-mêmes. Il n'y a là aucune interruption de ces causes, mais plutôt une disposition régulière et précise de ces mêmes causes à produire leur effet déterminé, de telle sorte que celui-ci paraît ne pas devoir se produire autrement. S'il y a du merveilleux dans de tels effets c'est justement l'absence de merveilleux.
En effet, lorsque l'homme prie Dieu et que Dieu précisément à cause de ces prières, accorde ce qu'autrement il n'aurait pas accordé, aucune interruption ne se vérifie dans le cours de la nature, aucune dérogation aux lois physiques, aucune violation de l'ordre universel. Car, dans cet ordre même, parmi les causes secondes par lesquelles Dieu avait de toute éternité décrété que de tels effets seraient produits, ces mêmes prières étaient prévues.
Dieu ayant, en effet, ordonné de toute éternité les causes secondes, comme facteurs pour la production d'effets déterminés, voulut toutefois que, parmi ces mêmes causes, fût aussi la prière ; et par conséquent, bien que l'ordre de la nature suive son cours régulier, néanmoins il est très vrai de dire que, sans la prière, on n'aurait pas obtenu le but désiré. C'est donc là une grâce, une réponse aux prières, bien que le tout soit préparé et conduit à sa fin par les causes secondes. C'est pourquoi, dans les grâces que Dieu accorde comme réponse aux ardentes supplications et aux prières ferventes, les causes secondes ont pleine liberté d'action, ce qui n'arrive pas dans la production du miracle.
Le célèbre docteur Boissarie, qui pendant bien des années dirigea le bureau des constatations médicales à Lourdes, insiste sur l'importance qu'il y a à bien distinguer ce genre de grâces des vrais miracles. « Le docteur de Saint-Maclou, écrit-il dans un article sur la grâce et le miracle, nous dit combien il est important de distinguer ces deux ordres de faits ; combien il importe de ne pas assimiler aux miracles certaines guérisons, surprenantes peut-être, mais que les médecins voient se produire partout dans les hôpitaux ou ailleurs, sans l'intervention d'aucune cause surnaturelle.[185] Faute d'attention suffisante à tenir compte d'une pareille distinction, beaucoup de nos amis, dit-il, aident ainsi les médecins plus ou moins atteints de naturalisme, à présenter comme résultat d'une illusion, victorieusement combattue par la science actuelle, la croyance aux miracles de Lourdes. Ils font ainsi servir nos erreurs à la propagation de leur doctrine, preuve d'habilité chez les uns, de légèreté chez les autres, leur coutume étant de prendre dans les livres pieux, dans les publications religieuses où malheureusement elles abondent, des grâces transformées en miracles bruyants, et de montrer que ces prétendus miracles s'expliquent naturellement sans trop de peine. On prend ainsi souvent un fait mal observé et dénaturé et l'on abuse de la confusion que l'on signale. Sous la plume d'un médecin, on relève une erreur et l'on ne veut plus rien voir d'autre ; on ne veut plus rien entendre. Si les guérisons sont l'oeuvre de Dieu, l'interprétation est l'œuvre de l'homme, et l'homme est toujours faillible. Qui pourra jamais dénombrer les erreurs commises dans tous les domaines des connaissances humaines ?[186].

§ V. - De ce que nous avons dit sur la nature du miracle, il apparaît nettement que l'agent proportionné et seul capable de l'accomplir est l'agent infini, l'être premier et nécessaire.
Ce point, déjà signalé dès le début, est à la base de toute la discussion présente. C'est de ceci que nous voulons parler maintenant en attirant spécialement sur ce point l'attention du lecteur. En effet, le miracle étant, comme on l'a dit, un motif efficace de crédibilité ordonné par Dieu en faveur de notre foi, s'il était démontré avec pleine évidence qu'un miracle vrai et qui défie tout examen, peut être produit par une simple créature, un des principaux préambules de notre foi viendrait à faire défaut, et la preuve, que l'on prétendrait en tirer en faveur de la vérité de la religion chrétienne, recevrait un coup mortel. De fait, si une simple créature peut accomplir un miracle par sa propre puissance, aucune raison ne s'oppose à ce qu'elle puisse le répéter, et si elle peut faire deux miracles, il est certain qu'elle en pourra faire d'autres en nombre infini. D'où la nécessité d'établir sans conteste le principe, qu'à Dieu seul il appartient de faire des miracles par sa propre vertu.
Cependant, avant d'en venir à parler directement du pouvoir de Dieu sur le miracle, il sera nécessaire d'exposer, pour l'intelligence de ce qui suit et d'après les enseignements de saint Thomas[187], quelles différences existent entre un miracle et un autre, en d'autres termes, en combien de classes le miracle se divise : étude d'une importance capitale pour le discernement des œuvres merveilleuses enregistrées dans les Saintes-Écritures ou attribuées à des personnes remarquables par leurs vertus ou leur sainteté.
Qu'il y ait une différence entre un miracle et un autre, c'est ce qui apparaît avec évidence du fait de l'admiration plus ou moins grande que ces miracles éveillent chez les hommes, le miracle étant, de par sa nature, une œuvre apte à susciter l'admiration, précisément parce que la cause nous en est cachée.
Pourtant on se tromperait, si l'on voulait rechercher la cause de la différence entre un miracle et un autre dans la plus ou moins grande puissance de Dieu. La puissance de Dieu est simplement infinie et, en ce qui la concerne, aucun fait n'est extraordinaire, aucune œuvre merveilleuse. Toute œuvre, si grande qu'on veuille l'imaginer, n'est qu'un rien par rapport à la puissance de Dieu. De même, toutes les nations de la terre, avec leurs cités, leurs industries, leurs intérêts, ne sont qu'une goutte d'eau, un atome impondérable en sa présence : «Voici que les nations sont comme la goutte suspendue à un seau, elles sont réputées comme la poussière dans la balance ; voici que les îles sont la poudre menue qui s'envole.[188] »
De plus, l'infini surpasse sans mesure aucune toute chose finie. Or, la puissance divine est simplement infinie ; donc elle surpasse sans proportion tout effet créé. Ainsi donc, pour ce qui est de la puissance de Dieu, la création de la plus haute hiérarchie angélique n'est pas chose plus merveilleuse que la production du plus infime brin d'herbe.
Les différences entre les œuvres merveilleuses, comme aussi les divers degrés merveilleux dans les œuvres divines, doivent donc s'estimer du côté de ces œuvres elles-mêmes, eu égard à l'excès de l'œuvre par rapport au pouvoir, à la vertu et aux forces de la nature. Le miracle sera donc plus ou moins grand, suivant que l'œuvre elle-même surpassera plus ou moins la vertu, les forces ou le pouvoir de la nature.
Il nous faut encore observer qu'un miracle peut être plus grand qu'un autre quant à la substance de la chose, et en même temps être moindre que celui-ci quant à la solennité avec laquelle il s'accomplit, ou à l'attention qu'il éveille. C'est ainsi que faire arrêter le soleil et la lune, comme il est dit de Josué, ou faire rétrograder le soleil, comme le fit Isaïe, ou ressusciter un mort comme le firent Élie et Élisée, sont des miracles substantiellement plus grands que la division de la Mer Rouge au commandement de Moïse ; et pourtant ce miracle et les autres que fit le chef du peuple de Dieu sont plus grands en ce sens qu'ils furent faits pour tout un peuple, comme ce fut le cas précisément dans le partage de la Mer Rouge, ou encore parce qu'ils furent accomplis à la vue de tout le peuple des infidèles, comme les miracles d'Égypte. C'est là la raison pour laquelle Moïse est appelé le plus excellent de tous les Prophètes [189] : « Il ne s'est plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse, que le Seigneur connaissait face à face, ni quant à tous les signes et miracles que Dieu l'envoya faire dans la terre d'Égypte. »
Saint Thomas écrit à ce sujet [190] : « Les signes opérés par ces prophètes (Josué, Isaïe et Élie) furent plus grands quant à la substance du fait ; toutefois, les miracles de Moïse les surpassèrent par le mode de leur accomplissement, en tant qu'ils furent faits pour le peuple. »
« Dieu, dit encore le Docteur angélique[191], peut faire quelque chose dans les effets particuliers en dehors du cours de la nature, soit par rapport à l'être, en tant qu'il introduit dans les choses naturelles une nouvelle forme que la nature ne peut introduire, comme la forme de la gloire, ou bien dans une matière déterminée, comme la vue chez un aveugle ; ou bien encore par rapport à l'opération, en tant qu'il empêche que les opérations des choses naturelles produisent les effets qu'elles sont destinées à produire, comme ce fut le cas pour le feu qui ne brûla pas, ainsi qu'il est écrit dans Daniel[192], ou pour l'eau qui suspendit son cours, ainsi qu'il advint au Jourdain.[193] »
Également digne de considération est la remarque que le même saint Thomas fait à propos de la préservation des trois enfants dans la fournaise [194] : « On dit qu'un miracle est contre la nature, quand il reste dans la nature une disposition contraire à l'effet produit par Dieu, comme lorsque les jeunes gens furent préservés intacts dans la fournaise, tandis que le feu conservait la vertu de brûler ; ou bien comme lorsque l'eau du Jourdain arrêta son cours, tandis que demeurait en elle la force de gravité ; il en fut de même pour l'enfantement virginal. »
Enfin, il convient de tenir présentes à l'esprit ces paroles du Docteur angélique sur la grandeur des miracles en général. « A un degré supérieur, dit-il[195], appartiennent ces miracles dans lesquels Dieu opère ce que la nature ne peut jamais produire ; par exemple, que deux corps se trouvent simultanément dans le même endroit, que le soleil retourne en arrière ou s'arrête, ou que la mer se sépare, pour laisser passer le peuple. Dans ces miracles eux-mêmes il existe une gradation, dans ce sens que plus grands sont les effets opérés par Dieu et plus ils sont éloignés du pouvoir de la nature, plus grand aussi est le miracle ; aussi, le fait de l'arrêt du soleil fut en réalité plus grand que celui de la division des eaux de la mer. »

§ VVI. - Passons maintenant à examiner les différentes classes dans lesquelles le miracle se divise. Mais d'abord observons qu'un effet peut surpasser le pouvoir de la nature quant à la substance du fait, c'est-à-dire lorsque la substance de l'effet est telle que la nature ne le peut absolument pas produire.
Ainsi la nature est absolument incapable non seulement de faire rétrograder le soleil de dix degrés, comme le fit Isaïe[196], mais aussi de l'arrêter comme le fit Josué par son commandement pendant un jour entier [197]. La nature ne peut pas davantage faire que l'eau de la mer se divise et se dresse comme un mur de pierre, laissant libre passage à tout un peuple, comme il advint dans le Mer Rouge au commandement de Moïse[198]. De même, elle ne peut faire que deux corps se trouvent en même temps dans le même lieu, comme il arriva quand Jésus-Christ sortit du sein virginal de sa Mère, ou quand il entra dans le cénacle les portes fermées[199]. De même encore, la nature ne peut donner à un corps humain les qualités des corps glorieux, comme il advint quand le Sauveur fut transfiguré en présence de trois de ses Apôtres sur le Mont Thabor[200]. De telles œuvres surpassent entièrement les forces de la nature, et occupent le premier et suprême degré parmi les miracles.
Deuxièmement, une œuvre merveilleuse peut surpasser le pouvoir de la nature, non quant à la substance de l'œuvre elle-même, mais quant au sujet dans lequel cette œuvre s'accomplit. C'est-à-dire, que cette œuvre peut surpasser le pouvoir de la nature quoad subiectum, de sorte que la nature produise une telle œuvre, mais non pas dans tel sujet déterminé, mais dans un autre. A cette classe appartient, par exemple, le fait du mort, que des passants jetèrent dans le sépulcre d'Élisée et qui revint à la vie au contact des ossements de ce saint homme[201], ou bien encore la guérison de l'aveugle-né, à qui Jésus-Christ donna la vue, rien qu'en lui touchant les yeux avec de la terre imbibée de sa salive[202]. Car la nature donne bien la vie, mais pas à un corps mort ; elle donne également la vue, mais pas à un aveugle. Ces miracles occupent le second degré.
Notons ici, afin d'éviter toute équivoque, que lorsque nous disons que la nature donne la vie, mais non à un corps mort, on ne doit pas entendre par là que la nature peut donner la vie à quelque autre matière, en dehors de celle d'un cadavre. Le sens de ces paroles est que le sujet, auquel la nature donne la vie, la possède déjà en puissance, comme la possède la semence. Car la nature ne fait que réduire en acte la disposition de cette semence à la vie, laquelle disposition manque évidemment dans un cadavre.
En troisième lieu, viennent les miracles qui ne surpassent le pouvoir de la nature ni quant à la substance du fait, ni quant au sujet dans lequel ils sont opérés, mais seulement quant à la manière dont ils sont opérés, ou à l'ordre observé dans leur accomplissement, quoad modum. De tels effets sont produits par la nature et dans un tel sujet, non cependant dans le même ordre, ou de la même manière.
Par exemple, la nature guérit bien la fièvre, mais seulement en des circonstances déterminées, c'est-à-dire en suivant un ordre régulier, après telle période de temps et souvent aussi non sans le secours de la médecine. La nature, en effet, ne peut rendre la santé à un fiévreux, sans expulser la cause de la maladie, c'est-à-dire l'excès de la chaleur avec les dispositions pathologiques qui l'accompagnent. De même la nature produit la pluie, mais en condensant, sous l'action d'agents proportionnés et dans une suite déterminée de changements, les molécules de la vapeur d'eau. Au contraire, dans les miracles de cette classe, l'effet est produit sans que cet ordre soit suivi et sans les dispositions préalables, sans l'usage d'aucun remède, et sans passer par aucune crise, comme lorsque Notre Seigneur délivra instantanément et par son seul commandement, la belle-mère de Simon[203], ou quand, aux prières de Samuel [204] et à celles d'Élie[205], le ciel, jusqu'alors de bronze, s'ouvrit et répandit une pluie torrentielle. De telles dérogations tiennent la dernière place parmi les miracles.
L'on voit ici comment répondre à ce sophisme de Jean-Jacques Rousseau [206] : «Je ne sais si l'art de guérir a été trouvé, ni si on doit le trouver un jour. Ce que je sais, c'est qu'il n'existe pas en dehors de la nature. Il est aussi naturel qu'un homme guérisse, qu'il l'est qu'il tombe malade. Il peut aussi bien guérir subitement que mourir subitement. » Oh, la belle trouvaille ! Il est tout aussi naturel à l'homme de mourir subitement qu'il l'est de guérir subitement ! Pauvre Jean-Jacques !

  1. . Juges, VI, 13.
  2. . Racine, Athalie, acte I, scène I.
  3. , Autour d'un pet livre, p. 169-173.
  4. Dante, Paradis, ch. XXIV, vers 97 et suiv. Trad. de Margerie.
  5. . 2. 2-2, Quaest. CLXXVIII, art. I.
  6. . L. III, C. 102
  7. . Illorum quoque miraculorum multitudo silvescit, quae monstraostenta, portenta, prodigia nuncupantur: quae recolere et comme, morare si velim, huius operis quis erit finis? De Civ. Dei, l. XXI, chap. VIII, 5.
  8. . Erat lux vera, quae illuminat omnem haminem venientem in hune mundum. Jean, I, 9.
  9. . Libr. IV, De Consol. philos. Prose 6. La phrase latine du philosophe est plus concise. Ipsa divina ratio in Summo omnium Principe, quae cuncta disponit
  10. . Parad., chant VIII, vers 1oo-1o2. Trad. de Margerie.
  11. . Sedet interea Conditor altus,
    Rerumque regens flectit habenas,
    Rex et Dominus, fons et origo,
    Lex et Sapiens arbiter aequi. Boèce, ibid., L. IV, Met. 6
  12. . Traité de l'Amour de Dieu, 1. I, chap. III. Œuvres, t. IV, Annecy, 1894.
  13. . I, Quaest. XXII, art. 2.
  14. . I, Quaest. XXII, art. 2.
  15. . Enchirid. chap. II. Le saint docteur écrit dans le même livre (c. XXVII) : Dieu a jugé meilleur de tirer le bien du mal, que d'empêcher qu'il n'y ait aucun mal.
  16. . C'est-à-dire que nous lui faisons payer en tout sa quote-part.
  17. . Fables, L. V, XI. La Fortune et le jeune enfant.
  18. . Lib. LXXXIII, Q. 24.
  19. . De Pot., Quaest. VI, art. I, ad 6m.
  20. . La Religion chrétienne prouvée par les faits, 1. I, c. VI, cité par le P. Alberto Lepidi, O. P., dans la Revue « L'Accademia romana di. S. Tommaso », vol. VIII, fasc. II, pag. 23. - Claude François Houteville, ou de Houtteville, d'abord oratorien ensuite secrétaire du cardinal Dubois, élu aussi secrétaire perpétuel de l'Académie française, mourut en 1742 à l'âge de cinquante-quatre ans. On lui doit un ouvrage La religion chrétienne prouvée par les laits, précédé d'un discours historique et critique sur la méthode des principaux auteurs qui ont écrit pour et contre le christianisme depuis son origine. Paris,, t. 3, in 4°, 1724. Ce travail, qui porte l'empreinte d'une vive imagination, manque toutefois d'un jugement sûr ; aussi, en conséquence de critiques sévères, l'auteur en a-t-il donné plus tard une nouvelle édition revue et corrigée. Paris, 1741, t. 3, in-4°; 1749, t. 4. Voir Hurter, Nomenclator titterarius theologiae catholicae. T. IV, Oeniponte, 1910, col: 1388-1390..
  21. . L. II, C. G., chap. XXIII.
  22. . r, Quaest. CV, art. 6. Cf. C, Gent., 1. III, chap. XCVIII
  23. . I, Quaest. CIII, art. 7. Cf. Card, Satolli, r. De operationibus .Divins, Diss. de Providentia, etc.
  24. . De Pot., q. VI, art. I, ad 8m.
  25. . I, Quaest. XIX, art. 8.
  26. . C. G., L. III, chap. LXXII.
  27. . Nullus enim respiciens ad malum.operatur. Chap. IV.
  28. . I, Quaest. CIII, art. 8.
  29. . Ibid;, LXXXIII, art. I, ad 3m.
  30. . Ibid;, LXXXIII, art. I, ad 3m.
  31. . Paradis, Chant I, vers 103 et suiv. Traduct. de Margerie.
  32. . 1, Quaest. XIV, art. 6-
  33. . 1, Quaest. XXII, art.1.
  34. . Eius est interpretari leges et dispensare in eis, cuius est eas
    condere. C. G., L. III, chap. LXXVI.
  35. . C. G., L. III, chap. LXXVI.
  36. . C. G., L. III, chap. LXXVL.
  37. . Melius est quaedam nescire quam scire, ut vilia. Enchiridion de Fide, Spe et Caritate, chap. XVII, t. VI, p. 2o1.
  38. . I, Quaest. XXII, art. 3, ad 3m.
  39. . Resurget frater tuus. Jean, XI, 23.
  40. . i, Quaest, XIX art. 7, ad 2m.
  41. . Dispone domu tuas, quia morieris tu et non vives. Is., XXXVIII, I.
  42. . Ecce ego adiiciam super dies tuos quindecim annos. Ibid., v.5.
  43. . Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur. Jon., III, 4
  44. . Misertus est Deus super malitia quam locutus fuerat ut faceret
    eis et non fecit. Jon., III, Io.
  45. . Quid enim novit Deus ? Et quasi per caliginem iudicat. Nubes latibulum eius, nec nostra considerat, et circa cardines cæli perambulat. Job, XXII, 13.
  46. . Voir saint Grégoire de Nysse, L. VIII de Prov., chap. III, et saint Thomas, 1, cit., L. III, C. G., chap. LVI.
  47. . Cette providence, Aristote l'attribuait au cercle oblique, c'est-à-dire à ce cercle qui nous semble être tracé par le soleil autour de la terre, et que nous appelons écliptique. Voir saint Thomas, r, Quaest. XLIV, art. 2.
  48. . Tu fecisti priera, et illa post illa cogitasti, et hoc factum est, quod ipso voluisti. Judith, IX, 4.
  49. . Quem constituit alium super terram, ont quem posuit super orbem, quem fabricatus est? Job, XXXIV, 13.
  50. . Mundum per seipsum regit quem per seipsum condidit. L. XXIV, Moral., chap. XXVI.
  51. . Superba vanitatis loquentes. 2 Ep., II, 18.
  52. . Effudit illam (sapientiam) super omnia opera sua. Eccli., I,1o
  53. . Omnia in mensura, et numero et pondere disposuit. Sap., XI, 21.
  54. . I, Quaest. CV, art. 5.
  55. . L. III C. G., chap. LXIX. Cette observation s'applique également à Averroës dans son IXme livre de Métaphysique, comment. VII. Voir aussi Suarez, Disp. Métaph. XVIII, sect. x, §1.
  56. . Œuvres. Paris, 1871. Tome III. De la Recherche de la vérité, L. VI, p. 11, chap. III, p. 328.
  57. . Ibid., p. 332.
  58. . Is., XLIII, 24.
  59. . Dans le livre Fontis vitae. Voir saint Thomas, i, Quaest. CXV, art. I.
  60. . Voir sur cette question ce que nous avons écrit dans le traité De pertinentibus ad div. operationem, Quaest. XXII, art. 3, un. 8, 9, p. 328, 2ne édition.
  61. . I, Quaest. CV, art, 5.
  62. . x, Quaest. CV, art, 5.
  63. . Evolntion and Dogma, Chicago, 1896, p, 56.
  64. . Pensées, p. 410, éd. Lagier.
  65. . Cf. 1, Quaest. CX, art. 2.
  66. . voir début §III chap III
  67. . L'expression latine est plus concise :Formæ compositorum non sunt res subsistentes, sed sunt res per quas et in quibus aliquid subsistit.
  68. . L. I Physic., t. 48.
  69. . I, Quaest. CXV, art. I, ad 2m.
  70. . Ibid., ad 4m.
  71. , L. e., ad im.
  72. . L. c., ad fin. corp.
  73. . I. de Gen., t. LVII, seg.
  74. . Saint Thomas, 1. c. Sur tous ces points, voir le livre III de la Somme contre les Gentils, chap. LXIX.
  75. . L. IX de Trin., chap. IV.
  76. . L, c., ad 5m.
  77. . L. c., art. I.
  78. . Ibid.
  79. . Invisibilia enim (Dei)... Per ea, quae Jacta surit, intellecta conspiciuntur. Rom., I, 20.
  80. Dante, Paradis, XIX, 86 et suiv. Trad. de Margerie.
  81. . L. III C. G., chap. LXXII.
  82. . Qui stultus est, serviat sapienti. Prov., XI, 29.
  83. . Dabo pueros principes eorum, et effleminati dominabuntur eis. Is., III, 4.
  84. . De Consol. philos. L. 4.
  85. . De Trin. L. III, chap. IV. Voir saint Thomas, C. G., L, III, chap. LXXXIII.
  86. . L. 111 C. G., chap. LXX.
  87. . François Silvestre de Ferrare (1474 ?-1525), dans son commentaire sur le livre C. G., 1. c.
  88. . Nous disons de quasi suppôt, eu égard au mystère de la Sainte Trinité, parce que la divine essence, bien que très complète en elle-même et parfaitement subsistante, est toutefois communicable à plusieurs personnes et, pour cette raison, on ne peut l'appeler personne, hypostase ou suppôt, sinon dans un sens large, c'est-à-dire en tant que l'agir appartient au suppôt, agere est suppositi. Par action nous entendons ici les actions de Dieu, ad extra, et non celles ad intra, qui sont les divines processions.
  89. . De Pot., Quaest. III, art. 7.
  90. . Prop. I.
  91. . I, Quaest. XXXVI, art. 3, ad 4m.
  92. . I, Quaest. CV, art. 6.
  93. . I, Quaest. CV, art. 6, ad rm. Cf. C. G., L. III, chap. C: Non est contra rationem artificii, si artifex aliquid operetur en suo artificio, etiam postquam ei primam formam dedit.
  94. . Deus creator et conditor omnium naturarum nihil contra naturam facit, quia id est naturale cuique rei, quod facit, a quo est omnis modus, numerus et ordo naturae. L. XXVI Contra Faustum, chap. III.
  95. . Omnia quippe portenta contra naturam dicimus esse: sed non sunt. Quomodo est enim contra naturam, quod Dei fit voluntate, cum voluntas tanti utique Conditoris conditae rei cujusque naturae sit? Portentum ergo fit, non contra naturam, sed contra quam est nota natura. De Civ. Dei, L. XXI, chap. VIII, n. 2. C'est donc pour s'accommoder à notre manière de parler que saint Paul disait : Contra naturam insertus es in bonam olivam. Rom., XI, 24.
  96. . I, Quaest. CXV, art. 2, ad 4m.
  97. . Saint Augustin, L. III de Trin., chap. IX.
  98. . Deus, qui totius rei auctor est, non solum formas et virtutes naturales rebus contulit, sed etiam potentiam recipiendi illud quod ipse in materia facere vult. 2, Dist. XVIII, Quaest. I, art. 2.
  99. . Quaedam fuerunt in operibus sex dierum ut in potentia obedientiae tantum, sicut ea quae per miraculum fiunt. 2, Dist. XV, Quaest. III, art. i, ad 8m.
  100. . Dictionnaire philosophique on la Raison par Alphabet. Ce dictionnaire est attribué à Voltaire et semble avoir été composé par lui durant son séjour à Ferney, c'est-à-dire durant la dernière période de sa vie. Il fut mis à l'Index en 1765.
  101. . C'est-à-dire Voltaire et ses disciples. Ils ont la hardiesse, est dit par ironie.
  102. . Dans l'opuscule de Occultis operibus naturae ad quemdam militem.
  103. . 3ème Lettre de la Montagne, t. VIII, p. 104. 1793.
  104. . C. VI, § III, p. III.
  105. . Alb. Lepidi, Dissertation publiée dans la Revue Accademia Romana di S. Tommaso, vol. VIII, fasc. II, p. 15.
  106. . r, Quaest. CV, art. 6.
  107. . Ibid., Quaest. XIII, art. 5, ad 1m,
  108. . In L. III C. G., chap. XC.
  109. . In L. III, C. G., chap. IC.
  110. . Traité théologico-politique, C. VI.
  111. . Prop. l a inter quadraginta, condemn. decreto S. Officii, 14 Dec., 1887.
  112. . Prop. 2.
  113. . Prop. 3. Teosofia, Vol. IV, nn. 2, 15, 1423.
  114. . Allusion au livre I de Consolatione Philosophiae, pros. I. - Flavius Severinus Manlius Boetius fut d'abord maître du palais du roi des Goths, Theodoric ; puis, calomnié par des envieux, il fut jeté en prison au château de Pavie où il écrivit le livre admirable de Consolations Philosophiae. Il mourut en 524. Le culte qui pendant des siècles lui avait été rendu dans le diocèse de Pavie, fut reconnu par Léon XIII, en 1879.
  115. . L. c.
  116. .π est la première lettre du mot πoίησις, œuvre, composition, créature ; θ la première de θεός, Dieu.
  117. . Voir L. III C. G., I, c.
  118. . De Civ. Dei, L. XXI, chap. VI, 2.
  119. . Haec se carminibus promittit solvere mentes
    Quas velit, ast aliis duras immittere curas ;
    Sistere aguant fluviis, et vertere sidera retro;
    Nocturnosque ciet Manes : mugire videbis
    Sub pedibus terram, et descendere montibus ornes. (Virgile, Énéide, L. IV, v. 487, suiv.).
  120. . Voir L. III C. G., chap. XCIX.
  121. . Si quis dixerit, miracula nulla fieri posse proindeque onmes de iis narrationes, etiam in Sacra Scriptura contentas, inter fabulas et mythos ablegandas esse, anathenus sit. De Fide cath., C. III, can. 4.
  122. . Preuves judiciaires, L. VIII.
  123. . Essay on Miracles.
  124. . Sur le bureau des vérifications et la clinique de Lourdes, voir La Civiltà Cattolica, Sur. XV, Vol. I, pp. 281-282.
  125. . De nullo oportet reddere rationem, nisi quia Deus vult. Voir C. G., L. I, chap. LXXXVI.
  126. . I, Quaest. XIX, art. 5.
  127. . C. G., L. III, chap. IC
  128. . Invisibilia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque eius virtus et divinitas. Rom., I, 20.
  129. .Virtus Dei, ab sis quae creata sunt regendis si cessaret aliquando, simul et illorun, cessaret species, eorumque natura concideret. De Gen. ad litt., L. IV, chap. XII.
  130. . Exode, VIII, 19.
  131. . Tract. XXIV in johan.
  132. . Tract. XXIV in johan.
  133. . Revue du Clergé français, 15 mars 19oo, Les preuves et l'économie de la révélation.
  134. . Two Essays on bibliçal and on ecclesiastical Miracles, London, I89o, P. II.
  135. . Discours sur l'Histoire universelle, p. II.
  136. . Card. Newman, 1. c., p. II et 12.
  137. . Ibid., p. 253.
  138. . Praetermissio ordinis, qui debetur spiritualibus substantiis in nullo pertinet ad ordinationem hominum in Deum, cum operationes angelorum non sint nobis manifestae, sicut operationes sensibilium corporum. I, Quaest. CVI, art. 3. Voir aussi dans la même partie, l'art. 2 de la Quaest. CXIII. Ceci pourtant n'empêche pas que l'âme de Jésus-Christ n'ait été illuminée immédiatement par Dieu, comme le réclamait son incomparable noblesse. Voir notre Traité De Incarnat., Quaest. XII, art. 4, n. 2 ; et notre ouvrage « De l'état et de l'opération de l'âme séparée du corps », 3me éd., chap. IV, n. 8. Il convient aussi de rappeler ici ce qu'on expliquera plus loin (chap. VII, VI), c'est-à-dire la distinction entre les miracles qui sont ordonnés à la confirmation de la foi et ceux qui sont objet de la foi, comme, par exemple la transsubstantiation; mais cette seconde classe de miracles nous est aussi manifestée, comme on le dira plus loin.
  139. . Cf. Ammian. Marcell., L. XXIII, n. I; saint Ambroise, lettr. XL; saint jean Chrysostome, In Jud., Orat. II; saint Grégoire de Nazianze, Orat. IV ; Ruff. L. I, chap. XXXVII ; Sozomen., L. V, chap. XXI.
  140. . Alii tentantes, signum de caelo quaerebant ab eo.Vel in moyens Eliae ignem de sublimi venire cupiebant ; vel in similitudinem Samuelis tempore aestivo mugire tonitrua, coruscare fulgura imbres ruere: quasi non possent et illa calumniari, et dicere, ex occultis et varus aëris passionibus accidisse. At tu, qui calumniaris ae, quae oculis vides, manu telles, utilitate sentis, quid feceris de iis, quae de caelo venerunt? Utique respondebis, et magos in Aegypto multa signa fecisse de caello. Lib. IV, chap. XLVIII, in chap. XI sur Luc.
  141. . La dernière phase dans la démonstration du miracle,« Civiltà Cattolica », Ser. XV, vol. I, p. 274.
  142. . Loquere, Domine, quia audit servus tuus. 1 Reg., III, 9, 1o.
  143. . Opera enim, quae dedit mihi Pater, ut perficiam, ea ipsa
    opera, quae ego facio, testimonium perhibent de me. Jean, V, 36.
  144. . Rabbi, scimus quia a Deo venisti magister: nemo enim potest
    haec signa facere, quae tu facis, nisi fuerit Deus eum eo.Ibid.,III, 2.
  145. . Sess. III, chap. 3, de Fide.
  146. . Marc., XVI, 20.
  147. . 2 Petr., I, 19.
  148. . Le cardinal Newman n'est pas sur ce sujet d'une précision suffisante, quand il écrit que le fait d'avoir pour but la confirmation d'un principe immoral quelconque ne fait que rendre le miracle extrêmement improbable, niais non absolument faux. Two Essays, etc. ; p. 45. - Il dit cependant plus loin que le miracle, étant divin, ne pourrait sanctionner une doctrine évidemment immorale. Ibid., p. 51.
  149. . In hoc nolite gaudere, quia spiritus vobis subiiciuntur: gaudete autem, quod nomina vestra scripta sunt in caelis, Luc, X, 20.
  150. . Cf. Num, XXII, x8, suiv.; Matthieu, VII, 22.
  151. . Cf. VI de Pot., art. VI, ad 5m.
  152. . Voir ce que nous avons écrit dans notre traité De Incarnatione Verbi, Quaest. I, Dissert. spec., chap. II, § I, de Sibyllarum libris. Vol. I, p. 94, suiv. 2me édition.
  153. . I, Quaest. XLIII, art. 3, ad 4m.
  154. 1 Cor., XII, 7.
  155. . L. X de Civ. Dei, chap. XVI, n. 2. Cf. Tertull., Apolog., chap. XXII.
  156. . 2-2, Quaest. CLXXVIII, art. 2.
  157. VII, 22.
  158. . XIX, II.
  159. . Ibid., 12.
  160. . Lenain de Tille.nont, Mémoires pour servir ie l'Histoire ecclés., T. VII, p. x33. S. Joseph Comte, Bruxelles, 1872.
  161. . Ne perniciosissimo errore decipiantur infirmi, aestimantes in talibus factis esse maiora dona, quant in operibus iustitiae quibus vita aeterna comparatur. L. LXXXIII, Quaest., q. 79.
  162. . Controverses, Dise. 55.
  163. . Code du Droit Canon, n. 2038, suiv.
  164. . De Beatificat. et Canoniz., P. I, chap. III, n. 2.
  165. . Jaffé, n. 9260.
  166. . Matthieu, VII, 22.
  167. . 1 Cor., XIII, 2.
  168. . (A miracle) professes to be the signature of God to a message delivered by human instruments. Op. cit., p. 1o.
  169. . Duos aliquis facit quae sollus Deus faseye potest, (creduntur) ea quae dicuntur, esse a Deo: sicut çum aliquis defert literas annulo regis signatas, creditur ex voluntate regis processisse quod in illis continetur. 3, Quaest.-XLII, art. I.
  170. , I, Quaest. CV, art. 7,
  171. . L. XXI, de Civ. Dei, chap. V, n. i.
  172. . Triod., p. 156. Apud Mai, Spicileg. Rom., t. VI.
  173. . Exod., XIV. Cf. Ibid., XV; XVII; Dan., VI.
  174. . Miraculum dicitur, quasi admiratione plenum, quod scilicet habet causam simpliciter et omnibus occultam: haec autem est Deus. i, Quaest. CV, art. 7.
  175. . L. XXI de Civit. Dei, chap. VIII, n. 3.
  176. , Quaest. VI, De Pot., art. 2,
  177. . Arduum, insolitum, supra facultatem naturae, et contra spem admirantis proveniens. Tract. VIII in Io., et L. III de Trin., chap. 5.
  178. . Quaest. VI, de Pot., art. 2.
  179. . I, Quaest. CV, art. 7, ad 2m.
  180. . Voir IIa IIae, Quaest. CLXXVIII, art. I, ad 3m.
  181. . Cf. Exod., IV, 21.
  182. . Monstra sane dicta perhibent, a rnonstrando, quod aliquid significando demonstrent ; et ostenta ab ostendendo : et portenta a portendendo, id est, praeostendendo ; et prodigia, quod porto dicant
    id est, futura praedicant. De Civ. Dei, I.. XXI, chap. VIII, n. 5.
  183. . Revue du Clergé Français, 19oo.
  184. . Si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis. Jean, XVI, 23.
  185. . Entendez ici : sans l'intervention directe de Dieu.
  186. . Dr Boissarie, Lourdes, histoire médicale, p. 9, 15me éd. Paris, 1891,
  187. . I, Quaest. CV, art. 8. Voir aussi C. G., L. III, chap. 1o1.
  188. . Ecce gentes quasi stilla situlae, et quasi momentum staterae reputatae sunt, ecce insulae quasi pulvis exiguus. Isaïe, XL, 15
  189. Non surrexit ultra propheta in Israel sicut Moyses quem nosset Dominus facie ad facaem, in omnibus signis atque portentis quae misit per eum ut faceret in terra Aegypti. Deuter., XXXIV, lo, II,
  190. . IIa II-c, Quaest. CLXXIV, art. 4, ad 2m.
  191. . Quaest. Disp. de Ver., Quaest. V de Pot., art. I.
  192. . III, 50.
  193. . Jos., III, 16.
  194. . Quaest. Disp. de Ver., ibid., art, 2, ad 3m.
  195. . C. G., L, III, chap. IoI
  196. . 4, Rois, XX, II
  197. . Josué, X, 13. Il est bien évident que quand nous disons, arrêter le soleil, ou le faire rétrograder, nous le faisons pour nous conformer à la façon de parler ordinaire.
  198. . Exode, XIV, 17. Voir plus haut, chap. II, § 2,
  199. . Jean, XX, 26.
  200. . Mathieu, XVII, 2.
  201. . 4, Rois, XLII, 21.
  202. . jean, IX, 6.
  203. . Luc., IV, 39.
  204. . r Rois, XII, 18.
  205. . 3 Rois, XVIII, 45.
  206. . Lettres écrites de la Montagne, P. I, I. 3me.