Différences entre les versions de « Garrigou-Lagrange, Réginald Fr., Les trois âges de la vie intérieure - p. 2, Commençants, Les obstacles à écarter »

De Christ-Roi
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CHAPITRE XV<br>
 
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Les trois âges de la vie spirituelle<br>
 
selon les Pères et les grands spirituels<br>
 
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Après avoir parlé de ce qui constitue la perfection chré­tienne et de l'obligation d'y tendre, soit par la voie com­mune, soit par la voie spéciale de la pratique effective des trois conseils évangéliques, de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, il faut traiter de la distinction des trois âges de la vie spirituelle, qu'on appelle communément l'âge des commençants, celui des progressants et celui des par­faits, ou encore la voie purgative, la voie illuminative, et la voie unitive.<br>
 
Voyons d'abord comment se pose le problème des trois âges de la vie spirituelle et ensuite quelle réponse se trouve dans le témoignage des Pères et dans celui des Docteurs qui les ont suivis.<br>
 
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====Position du problème====
 
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Un des plus grands problèmes de la spiritualité consiste à se demander : En quel sens faut-il entendre la division traditionnelle des « trois voies purgative, illuminative et unitive », selon la terminologie chère à Denys, ou des « commençants, des progressants et des parfaits », selon une terminologie antérieure conservée par saint Thomas<ref>IIa IIae, q. 24, a. 9 ; et q. 183, a.4. </ref> ?<br>
 
Comme nous l'avons déjà indiqué dans l'Introduction, § V, VI, VII, on a donné de cette division traditionnelle deux interprétations notablement différentes, suivant qu'on a considéré la contemplation infuse des mystères de la foi et l'union à Dieu qui en résulte comme appartenant à la voie normale de la sainteté pu comme des faveurs extraordinaires non seulement de fait, mais de droit.<br>
 
Cette divergence d'interprétation apparaît si l'on com­pare la division de la théologie ascético-mystique généralement suivie jusqu'à la seconde moitié du XVIII° siècle à celle donnée par plusieurs auteurs qui ont écrit depuis cette époque. Nous avons noté<ref>Introduction, § V, VI, VII. </ref> que cette divergence est manifeste, si l'on compare, par exemple, le traité de Vallgornera, O. P., ''Mystica theologia divi Thomae'' (1662), avec les deux ouvrages de Scaramelli, S. J, ''Direttorio ascetico'' (1751), et ''Direttorio mistico''.<br>
 
Vallgornera suit à peu près le Carme Philippe de la Sainte-Trinité, en rapprochant la division donnée par celui-ci de celle des auteurs antérieurs et de certains textes caractéristiques de saint Jean de la Croix sur l'époque où apparaissent généralement les purifications passives des sens et de l'esprit<ref>Philippe de la Sainte-Trinité expose les mêmes idées dans le prologue de sa Summa Theologiae mysticae (éd.1874, p. 17), et beaucoup de théologiens du Carmel pensent comme lui.</ref>.<br>
 
On voit, par la division de Vallgornera, ce qui, pour ces auteurs, caractérise les trois âges de la vie spirituelle:<br>
 
1° De la voie purgative, propre aux commençants où il est question de la purification active des sens externes et internes, des passions, de l'intelligence et de la volonté, par la mortification, la méditation, la prière, et à la fin de la purification passive des sens, où commence la com­templation infuse et par où l'on est élevé à la voie illumi­native, comme le dit saint Jean de la Croix (''Nuit obs­cure'', l. I, c. VIII et XIV).<br>
 
2° De la voie illuminative, propre aux progressants, où, après un chapitre préliminaire sur les divisions de la com­templation, il est parlé des dons du Saint-Esprit et de la contemplation infuse, qui procède surtout des dons d'in­telligence et de sagesse, et qui est déclarée désirable pour toutes les âmes intérieures, comme moralement nécessaire à la pleine perfection de la vie chrétienne. Cette deuxième partie de l'ouvrage, après quelques arti­cles relatifs aux grâces extraordinaires (visions, révéla­tions, paroles intérieures), se termine par un châpitre en neuf articles relatifs à la purification passive de l'esprit, qui marque le passage à la voie unitive. C'est bien encore ce qu'avait dit saint Jean de la Croix (Nuit obscure, l. II, ch. II et XI).<br>
 
3° De la vie unitive, propre aux parfaits, où il est ques­tion de l'intime union de l'âme contemplative avec Dieu et de ses degrés jusqu'à l'union transformante.<br>
 
Vallgornera, comme Philippe de la Sainte-Trinité et beaucoup d'autres<ref>C’est aussi la division proposée par un autre dominicain, GIOV. MARIA DI LAURO, dans sa Theologia mystica parue à Naples en 1743.</ref>, considère cette division comme traditionnelle, vraiment conforme à la doctrine des Pères, aux principes de saint Thomas et à l'enseignement de saint Jean de la Croix et des plus grands mystiques qui ont écrit sur les trois âges de la vie spirituelle. Elle s'ac­corde pleinement avec ces deux textes capitaux du Doc­teur du Carmel : « La purification passive des sens est commune, elle se produit chez le grand nombre des com­mençants » (''Nuit obscure'', l. I, ch. VIII). - « Les pro­gressants ou avancés se trouvent dans la voie illuminative, c'est là que Dieu nourrit et fortifie l'âme par contempla­lion infuse » (Nuit obscure, l. I, ch XXV). De ce point de vue, la contemplation infuse des mystères de la foi est manifestement dans la voie normale de la sainteté; ce qui n'a rien de surprenant, puisqu'elle procède de la foi éclai­rée par les dons d'intelligence et de sagesse, qui se trou­vent chez tous les justes.<br>
 
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Bien différente pourtant est la division donnée par Sca­ramelli et ceux qui l'ont suivi.<br>
 
Dans son Directoire ascétique, Scaramelli veut décrire la voie ordinaire qui conduit à la perfection chrétienne, et il n'y parle pour ainsi dire pas des dons du Saint-Esprit ni de la contemplation qui procède d'eux.<br>
 
Dans son Directoire mystique, le même auteur traite de la contemplation infuse comme d'une grâce extraordi­naire, (tr. I, c. I, n° 10, et tr. III, c. XXXII), et ce n'est que tout à fait à la fin qu'il parle de la purification pas­sive des sens (tr. V), alors que pour saint Jean de la Croix, nous venons de le dire, elle est comme une seconde conversion qui marque l'entrée dans cette voie illumina­tive.<br>
 
La divergence entre cette nouvelle manière de voir et la précédente provient manifestement de ce que les anciens auteurs, à l'opposé des nouveaux, soutenaient que toutes les âmes vraiment intérieures peuvent hum­blement demander et vivement désirer la grâce de la contemplation infuse des mystères de la foi, de l'Incar­nation, de la Passion du Sauveur, du sacrifice de la messe, de la Sainte Trinité présente en nous et de la vie éternelle, mystères qui sont autant de manifestations de L'infinie bonté de Dieu. Ils considéraient cette contempla­tion surnaturelle et confuse comme moralement néces­saire à l'union intime à Dieu, en laquelle consiste la pleine perfection de la vie chrétienne. C'est de ce point de vue qu'ils déterminaient ce qui caractérise chacun des trois âges de la vie spirituelle.<br>
 
On voit, dès lors, comment la question se pose : la con­ception généralement reçue jusqu'à la seconde moitié du XVIII° siècle est-elle la vraie, trouve-t-elle un fondement dans l'Écriture, la Tradition, et dans les principes mêmes de la théologie ?<br>
 
C'est ce que nous allôns examiner.<br>
 
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====Le témoignage de l'Écriture====
 
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Citons seulement quelques textes plus importants, après ceux déjà nombreux que nous avons allégués plus haut. Nous avons déjà vu (ch. IX) quelle est, dans l'Évan­gile, selon les huit béatitudes, l'élévation de la perfection chrétienne qui ne saurait être obtenue sans la mortifica­tion de tout ce qu'il y a de déréglé en nous<ref>Matth., V, 29 sq.</ref>, sans la croix portée avec patience<ref>Matth., X, 38.</ref>, sans la prière qui s'adresse au Père caché dans le secret du cœur<ref>Matth., VI, 6.</ref>, sans la docilité aux inspirations du Saint-Esprit<ref>Joan., III, 8; XIV, 16, 26.</ref>, qui doit caractériser « les vrais adorateurs en esprit et en vérité<ref>Joan., IV, 23.</ref>. » N'est-ce pas là, sous une influence spéciale du Saint-Esprit, la contemplation aimante des mystères du salut ?<br>
 
Saint Paul nous dit aussi ce qui convient normalement à l'âge spirituel des parfaits lorsqu'il écrit: « Il est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits... une sagesse mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre glorification... Ce sont des choses que l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont pas montées au cœur de l'homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment. C'est à nous que Dieu les a révélées par son Esprit, car l'Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu.<ref>I Cor., II, 6.</ref> » N'est-ce pas là l'objet de la contemplation des parfaits ?<br>
 
Saint Paul écrit de même aux Éphésiens, III, 18 : Je fléchis le genoux devant le Père, de qui tire son nom toute famille dans les cieux et sur la terre, afin qu'il vous donne, selon les trésors de sa gloire, d'être puissamment fortifiés par son Esprit en vue de l'homme intérieur, et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, de sorte que, étant enracinés et fondés dans la charité, vous deveniez capables de comprendre, avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur et la profondeur et la hauteur, même de connaître l'amour du Christ qui sur­passe toute connaissance, en sorte que vous soyez rem­plis de toute la plénitude de Dieu. » N'est-ce pas ce qui caractérise l'âge des parfaits: la contemplation infuse du mystère du Christ et l'union à Dieu qui en résulte ? Nous allons voir que c'est bien ainsi que les Pères grecs et latins ont compris ces paroles inspirées qu'ils ne se las­saient pas de redire.<br>
 
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Notons auparavant, comme on l'a plusieurs fois remar­qué, que dans la vie spirituelle des apôtres eux-mêmes, formés immédiatement par Notre-Seigneur, il y a trois phases assez nettement distinctes et qui correspondent aux trois âges de la vie spirituelle<ref>Nous avons développé ailleurs ces remarques faites par plusieurs auteurs spirituels : Cf. Les trois conversions et les troies voies, pp. 1-112.</ref>.<br>
 
La première phase de leur vie intérieure qui est celle des commençants, va de leur conversion jusqu'à la Pas­sion, où ils passent par une crise profonde, pendant laquelle Pierre va jusqu'à renier son Maître. Aussitôt après il se repent, c'est sa seconde conversion, en cette vraie purification passive que fut la nuit obscure de la Pas­sion. Il y a quelque chose de semblable chez les autres apô­tres lorsque, par la grâce du Sauveur, ils se ressaisis­sent après l'avoir abandonné.<br>
 
La seconde phase de leur vie intérieure, qui est celle des progressants, va de la Passion jusqu'à la Pentecôte. Ils sont encore craintifs, leur foi a encore besoin d'être éclairée, leur espérance affermie, leur charité n'a pas encore le zèle qu'il faudrait. Cette phase s'achève par la grande privation de la présence sensible de Notre-Sei­gneur remonté aux cieux. Ils doivent continuer leur route dans la foi nue, avec la perspective des persécutions annoncées.<br>
 
La troisième phase commence avec la Pentecôte, qui fut pour eux comme une troisième conversion, une vraie purification passive de l'esprit et une transformation spi­rituelle qui les introduisit dans la vie parfaite. Elle éclaira beaucoup leur esprit et fortifia grandement leur volonté pour prêcher partout Jésus crucifié. Cette troi­sième phase de leur vie intérieure est caractérisée par une union à Dieu toujours plus intime, une oblation d'eux-mêmes toujours plus profonde, jusqu'au martyre.<br>
 
Nous reviendrons plus loin sur ces trois phases de la vie intérieure des apôtres, dont chacune commence par une conversion ou transformation de l'âme. Il y a là, si l'on y réfléchit mûrement devant Dieu, dans l'oraison, une vraie lumière sur les trois âges de la vie spirituelle. Ces indications données par l'Ecriture sont de plus grandement confirmées par ce que nous disent les Pères.<br>
 
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====Le témoignage de la Tradition====
 
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La doctrine des Pères grecs et latins sur ces trois périodes de la vie intérieure de tout chrétien en marche vers la sainteté a été particulièrement étudiée ces der­nières années. Nous rapporterons ce qui parait le plus certain<ref>Voir en particulier, F. CAYRÉ, A. A., Précis de Patrologie. 1927, où, ce qui est assez rare dans un ouvrage de ce genre, est exposée ex professo la spiritualité des Pères de l’Eglise, cf. Introduction, pp. 19-29, et t I, pp. 173, 174, 177, 192, 207, 417, 582, 584, 683, et t. II, 355-362, 903-906. Lire aussi G. BARDY, La vie spirituelle d’après les Pères des trois premiers siècles, 1935.</ref>.<br>
 
Voyons d'abord le témoignage des Pères grecs.<br>
 
Parmi les Pères apostoliques, ''saint Ignace d'Antioche'', dans ses lettres, parle souvent de la présence spirituelle et mystique du Sauveur dans l'Église et dans les fidèles; il exhorte les fidèles en leur disant qu'ils sont des ''christophores'' ou porte-Christ, des ''théophores'' ou porte-Dieu : « Faisons toutes nos actions avec la pensée que Dieu habite en nous : nous serons ainsi ses temples, et lui-même sera notre Dieu résidant en nous » (Ephes., XV, 3). - Saint Ignace d'Antioche aspire fortement à vivre de plus en plus intimement avec le Christ et à mourir pour lui être définitivement uni. Ses lettres sont remplies de cette haute connaissance du Christ, à la fois vive, péné­trante, qui n'est autre que la contemplation et qui déborde dans une activité apostolique des plus fécondes, fruit d'une grande charité. - Mais pour arriver à cette très intime union à Dieu et au Sauveur, il faut le mépris de soi, de tout ce qui est déréglé en nous, de tout ce qui amortit en nous la vie divine<ref>Cf. Épître aux Romains, II, IV, V, VI, IX. Épître aux Tralliens, IV, V. </ref>. Saint Ignace, en cette époque de persécution, désire être broyé par la dent des bêtes pour devenir le froment du Christ, comme Jésus a été broyé pour devenir notre pain eucharistique.<br>
 
Au II° siècle, saint Irénée insiste sur ceci que l'homme doit se laisser former par Dieu comme l'argile entre les mains du potier ; au lieu de résister, de se dérober à l'empreinte de la main divine, il doit être de plus en plus docile au Saint-Esprit, dans la prière et dans l'action, et il arrivera à juger spirituellement de toutes choses et à ne vivre que de l'amour de Dieu<ref>Adv. haeres., IV, 39; V, 9; IV, 33. </ref>.<br>
 
A la fin du II° siècle ''Clément d'Alexandrie'', dans ses Stromates, décrit l'ascension spirituelle dont chaque étape rapproche l'âme de l'état de l'homme parfait dont a parlé saint Paul (Ephes., IV, 13)<ref>Stromates, VIII, 2, P. G., t. IX, col. 413.</ref>. Ces états succes­sifs par lesquels passent les âmes intérieures sont conçus comme des demeures spirituelles<ref>Ibid., col. 416.</ref> et caractérisés ainsi : d'abord domine la crainte de Dieu<ref>Stromates, II, 7, 8, t. VIII, c. 968-976.</ref>, puis la foi et l'espérance<ref>Ibid., II, 6, t. VIII, c. 960-990.</ref>, et enfin la charité et la sagesse<ref>Ibid., IV, 5, t. VIII, c. 1233; VI, t. IX, c. 292, 325, 328.</ref>.<br>
 
Or la crainte de Dieu est le moins élevé des dons du Saint-Esprit, tandis que la sagesse est le plus haut de tous, selon l'énumération descendante d'Isaïe (XI, 2), et ce don de sagesse donne la paix, qui dérive aussi de la charité, la plus haute des vertus.<br>
 
Selon Clément d'Alexandrie, les parfaits sont des âmes pacifiées, en qui domine la charité; ils sont arrivés, selon l'expression de saint Paul, « à l'état d'homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ » Ephes., IV, 13)<ref>Ibid., VI, 12; P. G., t. IX, c.325; VII, II, c. 496.</ref>. lis ont reçu « la sagesse mystérieuse et cachée » que le même saint Paul « prêchait aux parfaits » (I Cor., II, 6); Clément l'appelle la gnose; c'est une con­templation religieuse qui provient de l'inspiration du Saint-Esprit dans l'âme docile et qui transforme la vie intérieure en faisant de nous des amis de Dieu.<br>
 
Origène, comme son maître Clément d'Alexandrie, dit que le parfait vit surtout de la charité et que, d'ordinaire, il reçoit du Saint-Esprit la sagesse infuse, connaissance intime de la divinité du Christ<ref>Contra Cels., I, 13, VI, 13; P. G., t. XI, c. 679 et 1309; In Levit.,V, 3; P. G., t. XII, 452; in Psalm., XXVI, 4; P. G., t. XII, 1279.</ref> et du mystère de la Sainte Trinité<ref>In Joann., I, 9 ; II, 3; P. G., t. XIV, c. 36-37, 113.</ref>. Origène écrit même dans son ''Commentaire sur saint Jean'', I, 6: « Nul ne peut saisir le sens de l'Évangile (de saint Jean consacré à la divinité du Christ) s'il n'a reposé sur la poitrine de Jésus et s'il n'a reçu de Jésus Marie, qui devient aussi sa mère »<ref>In Joann., I. 6; P. G., t. XIV, 32; et Comm. in Cant. Cant., Prolog., P. G., t XIII,,64-75.</ref>. Selon Origène, c'est le Verbe qui se révèle lui-même aux parfaits et forme leurs âmes, comme il forma celle des apôtres; Il décrit admirablement cette formation des Douze par le Sauveur dans les plus belles pages de son ''Commentaire sur saint Matthieu'', XII, 15-20.<ref>P. G., t. XIII, c. 1016-1029.</ref><br>
 
Origène distingue nettement trois étapes<ref>In Rom., homil., VI, 14; P. G., t. XIV, 1102. </ref>. celle des débutants, en qui les passions déréglées perdent leur force, celle des progressants, en qui ces passions com­mencent à s'éteindre sous l'abondance de la grâce du Saint-Esprit; enfin celle des parfaits. Il recommande la docilité au Saint-Esprit, par qui nous pouvons aller au Christ et par lui remonter jusqu'au Père, dans la con­templation que favorise la solitude.<br>
 
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C'est le même enseignement que nous retrouvons chez Didyme l'aveugle et chez les Pères cappadociens.<br>
 
Didyme, dont l'enseignement est caractérisé par la profondeur de sa piété, invite tout chrétien à une union très intime avec le Christ, qu'il appelle l'Époux des âmes saintes, selon l'expression empruntée à la parabole des vierges sages et des vierges folles.<ref>Cf. Bardy, Didyme l’Aveugle, 1910, pp. 157-160­.</ref><br>
 
Saint Basile, qui organisa la vie monastique en Cap­padoce et dans le Pont, exposa les principes de cette vie et leurs applications dans ses Grandes règles et Petites règles<ref>P. G., t. XXXI, c. 889-1052, et 1051-1306.</ref>; c'est une spiritualité ferme, solide, sérieuse, qui dispose les âmes à la contemplation et à l'union à Dieu. Il dit dans la préface de son livre sur les Règles monastiques : « L'œil de l'âme, lorsqu'il est devenu pur et sans ombre, contemple les choses divines, grâce à la lumière d'en haut, qui le remplit abondamment sans le rassasier... Après avoir soutenu de pénibles combats et avoir réussi à dégager l'esprit, malgré l'union étroite de celui-ci avec la matière, du mélange des passions sensi­bles, il devient capable de s'entretenir avec Dieu... Celui qui est arrivé à cet état ne doit plus permettre aux vapeurs des viles passions de troubler et de couvrir d'un voile épais le regard de son âme et de lui faire perdre ainsi la spirituelle et divine contemplation. » Saint Basile s'exprime de même dans son explication des Psaumes XXXII et XLIV et dans son homélie sur la foi (n° 1). La purification progressive est la condition de l'union à Dieu dans la contemplation.<br>
 
Saint Grégoire de Nazianze dit de même que Dieu est la lumière substantielle<ref>Oratio 31, ch. III. </ref> qu'on ne saisit qu'en devenant soi-même lumière<ref>Oratio 40, ch. XXXVII, XXXVIII : « Lumen efficiamur. Illuminemur oculis, ut recte cernamus. » </ref> et en purifiant son âme pour s'élever de la crainte à la sagesse<ref>Oratio 39, ch. VIII.</ref>, c'est-à-dire du dernier des dons du Saint-Esprit au plus élevé. Tou­jours trois termes se retrouvent en tous ces auteurs purification, illumination, union.<br>
 
Saint Grégoire de Nysse, dans le livre ''De vita Moy­sis<ref>P. G., t. XLIV, pp. 297-430.</ref>'', où la vie de Moïse n'est que le cadre extérieur du développement de la vie spirituelle, montre que nous devons nous détacher des créatures et vivre du Christ pour être « admis à la contemplation de la nature divine » et à l'union àDieu. C'est là, dit-il, une victoire sur l'en­nemi qui ne s'obtient que par la croix et en purifiant progressivement son intelligence de tout ce qui est sen­sible et matériel.<br>
 
Dans son traité ''De virginitate<ref>P. G., t. XLVI, 317-416.</ref>'', le même Père mon­tre que la perfection fait de l'âme l'épouse du Christ, thème qu'il développe aussi dans ses homélies sur le Cantique des cantiques<ref>P. G , t. XLIV, 297-430.</ref>.<br>
 
Saint Ephrem, qui considère volontiers la vie chré­tienne comme un combat spirituel, voit aussi dans la contemplation obtenue par la docilité au Saint-Esprit le privilège de la vie parfaite. Il dit dans son traité ''De vir­tute'', cap. X : « Lorsque nous aurons surmonté nos pas­sions, détruit en nous toute affection naturelle désordon­née et vidé notre esprit de toute préoccupation inutile au salut, alors le Saint-Esprit, trouvant notre âme dans le repos et communiquant à notre intelligence une puis­sance nouvelle, mettra la lumière dans nos cœurs comme on allume une lampe pourvue déjà de mèche et d'huile... Donc, avant toutes choses, disposons nos âmes à la récep­tion de la lumière divine, et rendons-nous de la sorte dignes des dons de Dieu. » C'est par la purification et par la lumière que donne le Saint-Esprit, la voie de l'union à Dieu.<br>
 
On retrouve le même enseignement au V<sup>e</sup> siècle, chez ''Diadoque'', dans son ''Traité de la Perfection<ref>Publié par Weis-Liebersdorf, Leipzig, Teubner, 1912. Longuement cité par SAUDREAU, Vie d’union d’après les grands maîtres, 3° édit., 1921, pp. 52 ss.</ref>'', et chez ''Denys le mystique'', qui, en des textes bien connus, parle sans cesse de la purification, de l'illumination et de la vie unitive ou parfaite<ref>Cf. La Hiérarchie céleste, ch. III, 2, 3. - Noms divins, 1, 2; IV, l2, 13; VII, 13. - Théologie mystique, I, 3; II. - Cf. CAYRÉ, Précis de Patrologie, t.II, p. 92-96.</ref>. Cette voie unitive est d'or­dre mystique; elle est le prélude normal de la vie éter­nelle. Pour Denys, la purification prépare une haute connaissance de Dieu, l'illumination la communique, la sanctification la fait épanouir entièrement dans l'âme.<br>
 
Parmi les Pères grecs, au VII<sup>e</sup> siècle, saint Maxime développe cette doctrine et distingue trois degrés d'orai­son, correspondant aux trois degrés de la charité: « La simple oraison est comme le pain : elle réconforte les commençants; quand à l'oraison s'ajoute un peu de contemplation, elle est comme l'huile dont on s'humecte, enfin, quand c'est la pure contemplation, elle est comme un vin de saveur exquise, qui met hors d'eux-mêmes ceux qui le boivent.<ref>Cf. P. G., t. XC, col. 1441, n° 176. - Cf. CAYRÉ, op. cit., t. II, pp. 508 sq.</ref> » « La contemplation procède d'une illumination du Saint-Esprit.<ref>lbid., col. 1209, n° 73.</ref> » « Celui qui est purifié est éclairé et mérite de pénétrer dans le sanctuaire plus intime et d'y jouir des embrassements du Verbe.<ref>Ibid., col. 1089.</ref> »<br>
 
Saint Maxime a bien noté aussi les rudes épreuves que doivent subir les contemplatifs, le creuset par lequel ils doivent passer pour être pleinement purifiés et affermis dans l'amour de Dieu.<ref>Ibid., col. 1215, n° 88. Nous avons rapporté ailleurs de nombreux textes semblables de saint Maxime et de ses prédécesseurs; cf. Perfection chrétienne et contemplation, t. II, p. 668 sq.</ref><br>
 
Au VIII<sup>e</sup> siècle, saint Jean Damascène dit aussi que la contemplation infuse est généralement accordée aux parfaits : « Celui qui est parvenu au plus haut degré de l'amour, sortant en quelque sorte de lui-même, décou­vre Celui qui ne peut être vu; prenant son essor au­dessus de ce nuage des sens qui arrête le regard de l'es­prit, et s'établissant dans la paix, il fixe son regard sur le Soleil de justice et jouit de ce spectacle dont il ne peut se lasser.<ref>De Transfigur. Dom., 10.</ref> » - « C'est un trésor qui ne sera pas ravi d'être parvenu par la pratique généreuse des vertus à la contemplation du Créateur.<ref>De virtutibus et vitiis, P. G., t. XCV, 85-98.</ref> »<br>
 
Cette contemplation surnaturelle, qui procède du don de sagesse, est donc bien, selon les Pères grecs, dans la voie normale de la sainteté, elle commence avec l'âge des progressants et accompagne ordinairement la charité des parfaits.<br>
 
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Les Pères latins nous donnent le même enseignement, en particulier saint Augustin et saint Grégoire le Grand. Saint Augustin, dans le ''De quantitate animae'', c. XXXIII, n° 70-76, distingue plusieurs degrés, il insiste sur la lutte contre le péché, l'œuvre difficile de la purification, suivie de l'entrée dans la lumière pour ceux qui sont purifiés, et enfin de l'union divine (''mansio in luce'').<br>
 
Plus tard, dans son ''Commentaire sur le Sermon sur la montagne<ref>De Sermone Domini, l. I; Ch. I-IV. Item, De docirina christiana, l. II, ch. VII ; Serm. 347</ref>'', il décrit, selon la gradation des dons du Saint-Esprit la marche ascendante de l'âme vers Dieu ? La crainte de Dieu est le premier degré de la vie spirituelle; la sagesse en est le sommet; entre ces deux extrêmes, il distingue une double période de préparation purificatrice à la sagesse : une préparation lointaine, dite vie active, qui est la pratique active des vertus morales qui corres­pondent aux dons de piété, de force, de science et de conseil, puis une préparation prochaine, dite vie contemplative<ref>De Trinitate, l. XII-XIV.</ref>, qui est l'exercice éminent des vertus théolo­gales et des dons d'intelligence et de sagesse dans les âmes pacifiées et dociles à la grâce.<br>
 
La foi éclairée par ces dons est alors le principe de la contemplation, et une charité ardente unit intimement l'âme à Dieu. Ainsi les labeurs de la vie active préparent à la contemplation, où l'âme purifiée jouit de la lumière divine, gage de la vie éternelle. Cette contemplation, qui procède du don de sagesse, est bien la contemplation infuse.<ref>Le P. Cayré dit très justement, dans son Précis de Patrologie, 1927, t. I, p. 669, en traitant de la spiritualité de saint Augustin : « Saint Thomas restera vraiment disciple de saint Augustin quand il présen­tera ces grâces (de contemplation infuse) comme le couronnement de tout l’organisme spirituel de l’âme et destinées à soumettre pleinement l’âme de Dieu » (Ia IIae, q. 68, a. 1).<br>
 
Le P. Ephrem Longpré, O. F. M., parle de même à propos de saint Bonaventure, dans l’Archivium Franciscanum historicum, an. 1921, fasc. I et II, La Théologie mystique de saint Bonaventure.</ref><br>
 
''Cassien'', au V<sup>e</sup> siècle, dans ses ''Conférences ''ou leçons de spiritualité, surtout dans la IX<sup>e</sup> et la X<sup>e</sup>, montre que le terme de la vie spirituelle ici-bas est la contemplation divine, où il voit l'exercice parfait de l'amour de Dieu. On s'y prépare par la prière pour obtenir le pardon des péchés commis, par la pratique des vertus et le vif désir d'une plus grande charité pour nous et le prochain<ref>IX° Conf., ch. VIII ss.</ref> Alors l'oraison finit par devenir « une oraison toute de feu »<ref>IX° Conf., ch. XIV.</ref> qui « se forme par la contemplation de Dieu seul et par l'ardeur d'une charité embrasée<ref>IX° Conf., ch. XVIII. </ref> ». « Ainsi l'âme commence à goùter dans un vase d'argile les prémices de la gloire qu'elle espère dans le ciel.<ref>IX° Conf., ch. VI.</ref> »<br>
 
On sait que ces ''Conférences'' de Cassien furent très longtemps le livre courant de lecture spirituelle; saint Thomas les lisait souvent, et c'est la même doctrine qu'il a conservée en parlant du don de sagesse dont le progrès accompagne celui de la charité.<br>
 
Saint Grégoire le,Grand, au VI<sup>e</sup> siècle, admet aussi la division des trois degrés de la vie spirituelle : la lutte contre le péché<ref>Morales, XXXI, 87.</ref>, puis la vie active ou la pratique des vertus<ref>Morales, II, 76 sq.</ref>, et la vie contemplative, qui est celle des par­faits<ref>Moral., II, 77; VI, 57; XXV, 15 ; in Ezech., l. II, VII, 7.</ref>, et qu'il déclare nécessaire pour les apôtres ou prédicateurs de la parole de Dieu<ref>Moral, XXX, 8. </ref> et pour ceux qui veulent atteindre la perfection<ref>Moral., VI, 58-59. </ref>. En cela saint Gré­goire se déclare disciple de saint Augustin. Selon lui, toutes les œuvres de la vie chrétienne n'ont leur pleine perfection que si les âmes sont éclairées des lumières supérieures de la contemplation<ref>In Ezech., l. II, 11 </ref> ; Celle-ci est le terme de l'ascétique, elle est le fruit d'une inspiration spéciale du Saint-Esprit, l'exercice du don de sagesse<ref>Moral , V, 50, 51; XXII, 50, 51.</ref>. Il s'a­git bien d'une contemplation infuse<ref>Moral., X, 13 : « Nous sommes portés vers les biens supérieurs quand l’Esprit nous touche de son souffle... et lorsque s’imprime dans le cœur qui le reçoit comme les traces des pas de Dieu. » Cf. Cayré, op. cit.,pp. 242-247;</ref>, à laquelle on se dispose surtout par l'humilité, la pureté du cœur, le recueillement habituel.<br>
 
Saint Grégoire a aussi noté les douloureuses purifica­tions passives que décriront plus tard Hugues de Saint Victor, Tauler, et surtout saint Jean de la Croix<ref>Mor , X, 10, n° 17; XXIV, 6, n° 11.</ref>. Il insiste sur ceci que ces purifications « dessèchent en nous toute affection sensuelle<ref>In Ezech., l. II, hom. II, n° 2 et 3.</ref> » et nous disposent ainsi à la contemplation et, à l'union à Dieu, où l'on trouve une grande force dans l'épreuve et une ardente charité.<br>
 
Saint Bernard conserve tout cet enseignement et parle dans les Sermons, IX, 1-3; XXXII, 2; XLIX, 3, de l'humble et ardent désir de la contemplation; ces désirs, dit-il, s'ils sont ardents, sont exaucés; mais ils sont trop rares les hommes de désir. Il a souvent décrit l'union à Dieu qui résulte de la contemplation infuse et les alter­natives de présence et d'absence du Verbe, Époux de l'âme<ref>Serm., VIII, 6; XXII, 2 ; XXIII, 16.</ref>.<br>
 
C'est la même doctrine qui se retrouve aussi chez Hugues de Saint-Victor, qui insiste sur les purifications passives de l'âme<ref>Hom. I in Eccl. </ref>, chez Richard de Saint-Victor<ref>Benjamin major, ch. I, II, III, IV, VI.</ref>, chez saint Bonaventure, qui aime la terminologie chère à Denys de voies purgative, illuminative et unitive<ref>Itinerarium, VII; de Triplici via, ch. III; de Apologia pauperum, ch. III ; Sermo I de Dom. V post Pascha..Cf. P. BONNEFOY, O. F. M., Le Saint-Esprit et ses dons selon saint Bonaventure, 1929, p. 217; et É. LONGPRÉ, O. F. M., art. cit.</ref>.<br>
 
Saint Thomas conserve, nous allons le voir, la distinc­tion des commençants, des progressants et des avan­cés<ref>IIa IIae, q. 24, a. 9.</ref>, et elle s'éclaire par ce qu'il dit dans son ''Commen­taire sur saint Matthieu'', ch. V, des béatitudes de la fuite du péché, de celles de la vie active et de celles de la vie contemplative; en ce Commentaire il décrit l'ascension de l'âme comme l'avaient fait saint Augustin et saint Grégoire<ref>Cf. supra, ch. IX.</ref>.<br>
 
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Les trois âges de la vie spirituelle<br>
 
et ceux de la vie corporelle<br>
 
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Saint Thomas<ref>IIa IIae, q. 24, a. 9.</ref> a comparé les trois âges de la vie spirituelle avec ceux de la vie corporelle  l'enfance, l'a­dolescence et l'âge adulte. Il y a là une analogie qui mérite notre attention, et il importe, en particulier, d'observer la transition d'une période à l'autre.<br>
 
On admet généralement que la première enfance cesse à l'éveil de la raison, vers sept ans, et qu'il y a ensuite comme une seconde enfance, qui dure jusqu'à l'époque de la puberté, vers quatorze ans.<br>
 
L'adolescence va de quatorze à vingt ans.<br>
 
Vient ensuite l'âge adulte, où l'on distingue la période qui précède la pleine maturité et celle qui, à partir de trente-cinq ans environ, la suit, avant le déclin de la vieillesse.<br>
 
Les psychologues remarquent que la mentalité change avec les transformations de l'organisme. L'enfant suit surtout l'imagination et les impulsions de la sensibilité; il ne discerne pas encore, n'organise pas encore ration­nellement, et, même lorsque sa raison commence à s'é­veiller, elle reste extrêmement dépendante des sens.<br>
 
Au sortir de l'enfance, vers l'âge de quatorze ans, à l'époque de la puberté, il y a une transformation, non seulement organique, mais psychologique, intellectuelle et morale. L'adolescent ne se contente plus de suivre son imagination; il commence à réfléchir aux choses de la vie humaine, à la nécessité de se préparer à exercer tel métier ou telle fonction. Et la période de transition, appelée l'âge ingrat, n'est pas sans difficulté : alors, vers quatorze ans, ou bien dans l'adolescent la personnalité morale commence à se former avec le sens de l'honneur et de la bonne réputation, ou bien il se déprave et com­mence à mal tourner, à moins qu'il ne devienne un arriéré, un anormal instable.<br>
 
C'est ici que l'analogie devient éclairante pour la vie spirituelle : nous verrons que le commençant qui ne devient pas, comme il le faudrait, un progressant, tourne mal ou reste une âme attardée, attiédie, et comme un nain spirituel : « Qui n'avance pas, recule », comme l'ont dit souvent les Pères, et particulièrement saint Bernard<ref>Epist, 34, 1; 91, 3; 254, 4 : « Nolle proficere, deficere est.  »</ref>. Refuser de devenir meilleur, c'est revenir en arrière, tandis que tendre constamment vers la per­fection, c'est déjà en quelque manière la tenir<ref>Ibid.</ref>.<br>
 
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Suivons l'analogie. Si la crise de la puberté, à la fois physique et morale, est un moment difficile à passer, il en est de même d'une autre crise qu'on peut appeler celle de la première liberté, qui introduit l'adolescent dans l'âge adulte vers vingt ans. Le jeune homme, qui physi­quement est alors tout à fait formé, doit commencer à prendre sa place dans la vie sociale. Plusieurs traversent mal cette période, abusent de la liberté qui leur est accordée, et, comme le prodigue, la confondent avec la licence.<br>
 
Au contraire, l'adulte qui se développe normalement et prend la bonne voie se préoccupe des choses de la vie individuelle, familiale et sociale d'une façon supé­rieure à celle de l'adolescent, il se préoccupe de questions plus générales; il fonde lui même un foyer pour devenir à son tour un éducateur, à moins qu'il n'ait reçu de Dieu une vocation plus haute.<br>
 
Il y a quelque chose de semblable dans la vie spiri­tuelle lorsque le progressant, qui est pour ainsi dire dans l'adolescence spirituelle, arrive à l'âge supérieur des par­faits, sa mentalité s'élève en se spiritualisant et se surna­turalise de plus en plus; il voit de mieux en mieux non seulement les choses de la vie individuelle, familiale et sociale, mais celles du règne de Dieu ou de la vie de l'É­glise dans leur rapport avec la vie de l'éternité.<br>
 
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Nous voudrions particulièrement souligner ici les diffé­rences qui séparent les trois âges de la vie spirituelle et dire comment se fait la transition de l'un à l'autre.<br>
 
Comme le remarque saint Thomas<ref>IIa IIae, q. 24, a. 9.</ref>, « il y a divers degrés de charité selon les diverses obligations (''studia'') que les progrès de la charité imposent à l'homme. - Le premier devoir qui lui incombe est ''d'éviter le péché ''et résister aux attraits de la concupiscence qui nous appel­lent en sens contraire de la charité : c'est le devoir des commençants, en qui la charité doit être nourrie et entretenue, de peur qu'elle ne se perde. - Un second devoir survient : l'homme doit principalement veiller à croître dans le bien, et ceci convient aux progressants, qui travaillent surtout à obtenir que la charité se fortifie en eux par accroissement. - Le troisième devoir de l'homme est de s'appliquer principalement à s'unir à Dieu et à jouir de lui: c'est ce qui convient aux parfaits, qui désirent partir et être avec le Christ » (Phil.,. I, 23).<br>
 
Telles sont les trois étapes de la marche vers la sain­teté.<br>
 
Mais, ce qu'il importe d'ajouter, et ce qui a été admi­rablement noté par saint Jean de la Croix, c'est la tran­sition d'un âge spirituel à l'autre, transition analogue à celle qui existe dans l'ordre de la vie corporelle.<br>
 
Comme il y a, pour passer de l'enfance à l'adolescence, la crise de la puberté, il y a une crise semblable pour passer de la vie purgative des commençants à la vie illuminative des progressants. Cette crise a été décrite par plusieurs grands spirituels, notamment par Tau­ler<ref>Deuxième Sermon de Carême, et Sermon pour le lundi avant le Diman­che des Rameaux (n° 3 et 4), qui, dans la traduction latine de Surius est au 1er Dimanche après l’octave de l’Épiphanie.</ref>, surtout par saint Jean de la Croix, sous le nom de purification passive des sens<ref>Nuit obscure, l. I, ch. IX et X : Signes caractéristiques de la nuit des sens. - Conduite à tenir à ce moment.</ref>, par le P. Lallemant, S. J., sous le nom de « seconde conversion »<ref>Doctrine spirituelle, II° Principe, section II, ch. VI, a. 2, édit. Paris, Gabalda, 1908, p. 113, et idem, pp. 91, 123, 143, 187, 301 sq.</ref>. De fait, cette crise rappelle la seconde conversion de Pierre pen­dant la nuit obscure de la Passion.<br>
 
Ici le commençant généreux qui court risque de s'at­tarder en bien des défauts inconscients, en particulier de s'arrêter aux consolations sensibles dans la piété, en est privé pour être introduit dans une voie spirituelle beau­coup plus dégagée des sens, et où il trouve dans l'aridité un commencement de contemplation que le Saint-Esprit lui accorde pour le faire avancer.<br>
 
C'est ce que dit saint Jean de la Croix (''Nuit obscure'', l. I, ch. VIII : « La nuit ou purification passive des sens donne à l'âme sa pureté en la dépouillant selon sa partie sensitive et en accommodant le sens à l'esprit... Elle est commune; elle se produit chez le grand nombre des commençants. » Ils commencent à bien comprendre qu'il faut être vraiment pauvre en esprit, vraiment humble pour grandir dans la charité; il faut renoncer à toutes les niaiseries plus ou moins grossières ou subtiles de la vanité et de l'orgueil et de la sensualité spirituelle.<br>
 
Puis le saint Docteur ajoute (''ibid''., ch. XIV) : « Quand cette demeure de la sensualité se trouve ainsi pacifiée, que les passions sont mortifiées, les convoitises éteintes et les appétits calmés et endormis sous l'influence de la Nuit purificatrice (des sens), l'âme peut s'échapper pour s'engager dans la voie de l'esprit. Elle commence à compter parmi les Progressants ou Avancés, et se trouve dans la voie qu'on nomme aussi illuminative. C'est là que Dieu, selon sa volonté, nourrit et fortifie l'âme par con­templation infuse sans qu'elle y participe par discours, aide active ou coopération propre (du moins assez géné­ralement dans l'oraison). Tel est l'effet de la nuit ou purification passive des sens. »<br>
 
Les mots que nous venons de souligner dans ce texte sont très significatifs et ils reproduisent exactement l'ori­ginal espagnol. Il faut noter que saint Jean de la Croix, à l'exemple de saint Augustin, de Cassien, de saint Ber­nard, de saint Bonaventure, de saint Thomas, de Tauler, etc., parle de la vie illuminative au sens plein et fort, et non pas d'une vie illuminative en quelque sorte amoin­drie, telle qu'elle se trouve chez ceux qui n'ont profité qu'à demi de la purification passive des sens, comme il le note (''Nuit obsc''., l. I, ch. IX).<br>
 
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Enfin, plus loin, en parlant des âmes avancées (''Nuit obsc''., l. II, ch. II), saint Jean de la Croix traite des imperfections propres aux avancés ou progressants il y a encore en eux, dit-il, de la rudesse naturelle, un besoin d'épanchement au dehors, de la présomption, de l'orgueil subtil et secret. Cela montre la nécessité de la purification passive de l'esprit pour entrer dans la voie unitive parfaite, celle de ceux qui, comme l'a dit saint Thomas : « veillent surtout à adhé­rer à Dieu, à jouir de Lui et désirent partir pour être avec le Christ<ref>IIa IIae, q. 24, a. 9. </ref> ».<br>
 
Cette épreuve, de la purification passive de l'esprit est une crise analogue à celle qui arrive dans l'ordre natu­rel, lorsque l'adolescent devient un adulte et fait usage, parfois à ses dépens, de sa première liberté. Il y a ici, dans l'ordre spirituel, comme une troisième conver­sion<ref>Tauler a parlé aussi de cette grande purification dans le Sermon pour le lundi avant les Rameaux, tr. fr. du P. Hugueny, t. I, pp. 262, 263, n° 7 : épreuves par lesquelles commence la vie du troisième degré. - 8 : Raison de ces épreuves. - 9 : L’union divine dans les facultés supérieures.</ref>, ou mieux une transformation de l'âme qui rap­pelle ce que fut la Pentecôte pour les apôtres, lorsque, après avoir été privés de la présence de Notre-Seigneur, remonté aux cieux, ils furent éclairés et fortifiés par le Saint-Esprit, qui les prépara ainsi aux dures persécu­tions qu'ils allaient subir et qui fit d'eux des ministres parfaits du Sauveur<ref>Nous avons longuement développé ces idées dans un petit traité Le trois conversions et les trois voies, pp. 42-50, et 123-180.</ref>.<br>
 
Saint Jean de la Croix, sans doute, décrit le progrès spirituel tel qu'il apparaît surtout chez les contemplatifs et chez les plus généreux d'entre eux pour arriver le plus directement possible à l'union à Dieu. Il montre ainsi dans toute leur élévation quelles sont les lois supérieurres de la vie de la grâce. Mais ces lois s'appliquent aussi d'une façon atténuée chez bien d'autres âmes qui n'arri­vent pas à une si haute perfection, mais qui pourtant avancent généreusement sans revenir en arrière. Si on lit attentivement la vie intérieure des serviteurs de Dieu, on voit dans leurs peines intérieures et leurs progrès cette purification profonde des sens et de l'esprit, pour que toutes leurs facultés soient à la fin pleinement soumises à Dieu présent en eux dans le fond de l'âme.<br>
 
C'est saint Jean de la Croix qui a le mieux noté ces deux crises de transition d'un âge à l'autre, et il les a justement appelées la purification passive des sens et celle de l'esprit. On voit qu'elles répondent bien à la nature de l'âme humaine (à ses deux parties sensible et spirituelle); elles répondent aussi à la nature de la semence divine, à la grâce sanctifiante, germe de la vie éternelle, qui doit de plus en plus vivifier nos facultés inférieures et supérieures, et inspirer tous nos actes, jus­qu'à ce que le fond de l'âme soit purifié de tout égoïsme, de tout amour-propre plus ou moins conscient et soit véritablement tout à Dieu<ref>On a objecté parfois : Cette haute conception de saint Jean de la Croix dépasse notablement la conception commune des auteurs spiri­tuels, et il semble, a-t-on ajouté, que les commençants, dont il est question dans la Nuit obscure, l. I, ch. VIII, ne sont pas ceux dont on parle d’habitude, mais ceux qui débutent, non dans la vie spirituelle, mais dans les voies mystiques.<br>
 
A cela il est facile de répondre que la conception de saint Jean de la Croix correspond admirablement à la nature de l’âme (sensitive et spirituelle), non moins qu’à celle de la grâce, et que les commençants dont il parle sont bien ceux qu’on nomme ainsi d’habitude; il suffit pour s’en convaincre de voir les défauts qu’il trouve en eux : gour­mandise spirituelle, penchant à la sensualité, à la colère, à l’envie, à la paresse spirituelle, à l’orgueil qui les porte à « avoir le confesseur spécial pour les mauvais cas, l’autre restant réservé à la confidence exclu­sive du bien, pour qu’il garde une excellente opinion de son pénitent » (Nuit obscure, l. I, ch II). Ce sont là de vrais commençants, nullement avancés dans l’ascèse.<br>
 
Seulement, lorsqu’il parle des trois voies purgative, illuminative et unitive, saint Jean de la Croix les prend, non pas dans un sens amoin­dri, mais dans leur plénitude normale.<br>
 
Il faut noter aussi ce que, après plusieurs autres, remarque justement le P. Cayré (Précis de Patrologie, histoire et doctrine des Pères et Doc­teurs de l’Eglise, t. II, p. 886 sq.) : « Il n’y a certainement pas lieu de distinguer dans la spiritualité de saint Jean de la Croix deux voies parallèles, l’une ascétique et l’autre mystique, conduisant chacune par ses moyens propres à la perfection; l’actif et le passif, dont parlent les deux grands traités (Montée et Nuit obscure), représentent non pas deux états distincts, mais deux aspects de la seule et unique voie de la sainteté... C’est l’union transformante que saint Jean de la Croix considère comme le terme normal de la marche vers la perfection. » Pour cela, il mon­tre dans la Montée ce que l’âme doit faire et dans la Nuit ce qu’elle doit docilement recevoir. Plusieurs théologiens du Carmel ont fait encore récemment la même remarque.<br>
 
</ref>.<br>
 
On comprend, dès lors, que Vallgornera ait suivi cette haute conception des trois âges de la vie spirituelle pour diviser son ouvrage ''Theologia mystica divi Thomae''; il s'accordait en cela, nous l'avons dit au début de ce cha­pitre, avec les Carmes Philippe de la Sainte-Trinité, Antoine du Saint-Esprit et beaucoup d'autres. On con­serve ainsi la tradition des Pères, de Clément d'Alexan­drie, de Cassien, de saint Augustin, de Denys, de saint Bernard, de saint Anselme, de Hugues, de Richard de Saint-Victor, de saint Albert le Grand, de saint Bonaven­ture et de saint Thomas, dont la doctrine sur les dons du Saint-Esprit apparaît ainsi dans son plein développe­ment.<br>
 
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Pour résumer ce que nous venons de dire, nous donne­rons un tableau qui coïncide à peu près avec celui auquel s'arrêtent plusieurs auteurs que nous venons de citer<ref>En particulier avec celui proposé par le P. Cayré dans l’ouvrage que nous venons d’indiquer, t. II, pp. 811 et 834</ref>.<br>
 
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CHEZ LES COMNENÇANTS on remarque, avec le premier degré de la charité, les vertus initiales ou le premier degré de la douceur, de la patience, de la chasteté, de l'humilité. La mortification intérieure et extérieure leur fait éviter de plus en plus les péchés véniels délibérés, ou les porte à se relever tout de suite du péché mortel s'ils viennent à y tomber. Il y a chez eux, comme prière, la prière vocale, la méditation discursive, qui tend à se transformer en oraison affective simplifiée. En eux com­mencent à apparaître les dons du Saint-Esprit, mais ils sont encore plutôt latents. Il y a de temps en temps des inspirations spéciales du Saint-Esprit, mais peu d'apti­tude encore à en profiter. La docilité au Saint-Esprit reste faible; l'âme a surtout conscience de son activité et doit reconnaitre souvent son indigence<ref>Ce sont les deux premières demeures de sainte Thérèse.</ref>.<br>
 
Elle fait l'expérience de sa pauvreté dans la crise d'a­ridité sensible de la purification passive des sens, purifi­cation douloureuse plus ou moins bien supportée, qui marque la transition à la voie illuminative non amoin­drie et vraiment digne de ce nom<ref>C’est, nous le verrons, la troisième demeure de sainte Thérèse avec un commencement de quiétude aride.</ref>.<br>
 
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CHEZ LES PROGRESSANTS, avec le deuxième degré de la charité, apparaissent les vertus solides et non plus seule­ment les vertus initiales, en particulier la douceur et la patience, une humilité plus vraie, qui porte à la bienveil­lance sur le prochain, et l'esprit des trois conseils de pauvreté, chasteté, obéissance filiale à Dieu reconnu présent dans les supérieurs qui nous sont donnés.<br>
 
Avec ces vertus solides, les dons du Saint-Eprit com­mencent à se manifester surtout les trois dons moins élevés de crainte, de science, de piété. L'âme plus docile profite davantage des inspirations et illuminations inté­rieures.<br>
 
Alors, si le progressant est vraiment généreux, com­mence, d'ordinaire, l'oraison infuse par des actes isolés de contemplation infuse au cours de l'oraison acquise de recueillement; puis, peu à peu, viennent, si l'âme est fidèle, les oraisons de recueillement surnaturel, de quié­tude (aride ou consolée), où l'on voit une influence mani­feste du don de piété, qui nous fait crier : « Abba, Pater », comme le dit saint Paul<ref>C’est la quatrième demeure de sainte Thérèse et quelque chose de la cinquième. Il y a dans cette cinquième demeure, nous le verrons plus loin, des grâces extraordinaires qui n’appartiennent pas à la voie normale de la sainteté.</ref>. Ici vraiment la conversation intime avec nous-mêmes devient une conversation avec Dieu.<br>
 
L'âme alors, si elle est généreuse, voit en elle des défauts d'orgueil subtil, de manque de bienveillance pour le prochain, de dureté parfois, de manque de zèle pour le salut de tant d'âmes qui se perdent ; défauts qui ne lui apparaissaient pas d'abord et qui demandent une purifi­cation passive nouvelle, celle de l'esprit<ref>Sainte Thérèse parle de cette purification dans la sixième demeure.</ref>.<br>
 
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CHEZ LES PARFAITS, avec le troisième degré de la cha­rité, on constate, malgré certaines imperfections pour ainsi dire involontaires, les vertus éminentes et même héroi­ques : une grande douceur, une patience à peu près inal­térable, une profonde humilité qui ne craint pas le mépris, et qui aime même les humiliations, un grand esprit de foi qui porte à voir toutes choses d'en-haut, une grande confiance en Dieu, la magnanimité qui fait tendre vers de grandes choses, malgré les obstacles et les échecs, un parfait abandon à la volonté de Dieu.<br>
 
Les dons d'intelligence et de sagesse se manifestent alors plus notablement et d'une façon fréquente. L'âme est comme dominée par le Saint-Esprit, qui lui inspire aussi une pratique plus parfaite des vertus.<br>
 
Alors, d'ordinaire, il y a l'oraison infuse d'union sous l'influence de plus en plus marquée du don de sagesse<ref>Sainte Thérèse parle des divers degrés de cette oraison infuse d’union dans la 5°, 6° et 7° demeures.</ref>. Le fond de l'âme est enfin purifié et les facultés inférieu­res et supérieures pleinement soumises à Dieu intime­ment présent dans le sanctuaire intérieur. C'est vraiment alors, dans la pénombre de la foi, la vie éternelle com­mencée ou le prélude normal de la béatitude qui ne doit pas finir.<br>
 
On peut exprimer ce progrès spirituel par le résumé suivant, qu'il convient de lire de bas en haut, pour mieux voir que les purifications passivess des sens et de l'esprit se trouvent à l'entrée des voies illuminative et unitive.<br>
 
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Degrés de la charitéCOMMENCANTS<br>Voie purgative<br>
 
Vie ascétiquePROGRESSANTS<br>
 
Voie illuminative<br>
 
Seuil de la vie mystiquePARFAITS<br>
 
Voie unitive<br>
 
Vie mystiqueVertus''Vertus initiales'', 1<sup>er</sup> degré de la charité, tempérance, chasteté, patience, premiers degrés de l'humilité.''Vertus solides'', 2<sup>e</sup> degré de la charité, obéissance, humilité profonde, esprit des conseils.''Vertus éminentes et héroïques'', 3<sup>e</sup> degré de la charité, parfaite humilité, grand esprit de foi, abandon, patience à peu près inaltérable.Dons''Dons du Saint-Esprit'' plutôt ''latents'', inspirations à de rares intervalles, peu d'aptitude encore à en profiter. L'âme surtout a conscience de son activité.''Les dons du Saint-Esprit commen­cent à se manifester'', surtout les trois dons moins élevés de crainte, science, piété. L'âme plus docile profite davantage des inspirations et illuminations intérieures.''Les dons supérieurs se manifestent plus notablement'' et d'une façon fréquente. L'âme est comme domi­née par le Saint-Esprit. Grande passivité à son égard, qui n'ex­clut pas l'activité des vertus.Purifications''Purification active ''des sens et de l'esprit, ou mortification exté­rieure et intérieure.''Purification passive des sens'', sous l'influence surtout des dons de crainte et de science (épreuves concomitantes) Entrée dans la voie illuminative.<br>
 
''Purification passive de l'esprit'' sous l'influence surtout du don d'intelligence. (Épreuves conco­mitantes où se manifestent les dons de force et de conseil.) En trée dans la voie unitive parfaite.Oraisons''Oraison acquise '': prière vocale, oraison discursive, oraison affectives qui se simplifie de plus en plus; dite oraison de recueillement actif.''Oraison infuse initiale'', actes iso­lés de contemplation infuse au cours de l'oraison acquise de recueillement; puis oraisons de recueillement surnaturel et de quiétude aride ou consolée. Don de piété.''Oraisons infuses'' d'union simple, d'union complète (parfois exta­tique), d'union transformante sous l'influence de plus en plus marquée du don de sagesse. (Faveurs concomitantes.)<br>
 
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Demeures de sainte Thérèse<br>
 
1° et 2° Demeures<br>
 
3° et 4° Demeures<br>
 
5°, 6° et 7° Demeures<br>
 
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CHAPITRE XVI<br>
 
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La lecture spirituelle<br>
 
de l'Écriture, des œuvres et de la vie<br>
 
des saints<br>
 
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Après avoir parlé des sources de la vie intérieure et du but à atteindre, la perfection chrétienne, il convient de considérer les secours extérieurs qui se trouvent dans la lecture des œuvres de spiritualité et dans la direction.<br>
 
Parmi les grands moyens de sanctification offerts à tous, il faut compter la lecture spirituelle, celle surtout de la sainte Écriture, celles des ouvrages des maîtres de la vie intérieure et celle de la vie des saints. C'est ce dont nous parlerons en ce chapitre, en notant quelles sont les dispositions nécessaires pour profiter de cette lecture.<br>
 
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====L'Écriture sainte et la vie de l'âme====
 
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Tandis que l'erreur, l'hérésie, l'immoralité proviennent souvent de l'influence des livres mauvais, comme le dit saint Ambroise<ref>Semon 35.</ref>, « la lecture des saintes Lettres est la vie de l'âme ; le Seigneur le déclare lui-même quand il dit : ''Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie ''(Jean, VI, 63) ».<br>
 
C'est cette lecture qui prépara saint Augustin à reve­nir à Dieu lorsqu'il entendit les paroles : ''Tolle et lege''; un passage des Épîtres de saint Paul (Rom., XIII, 13) lui donna la lumière décisive qui l'arracha au péché et le porta à se convertir.<br>
 
Saint Jérôme, dans une lettre à Eustochium, raconte comment il fut conduit par une très grande grâce à la lec­ture assidue de l'Écriture. C'était à l'époque où, il com­mençait à mener la vie monastique près d'Antioche; l'élé­gance des auteurs profanes lui plaisait encore beaucoup, il lisait de préférence les œuvres de Cicéron, de Virgile, de Plaute. Il reçut alors cette grâce : pendant son som­meil, il se vit comme transporté au tribunal de Dieu, qui lui demanda sévèrement qui il était. « Je suis chré­tien », répondit-il. « Tu mens, lui dit le souverain Juge, tu es cicéronien; car là où est ton trésor, là est ton, cœur. » Et l'ordre fut donné de le flageller. « Je sentis, bien à mon réveil, écrit saint Jérôme, que cela était plus qu'un songe, c'était une réalité, puisque je portais sur les épaules les marques des coups de fouets que j'avais reçus. Depuis ce temps-là j'ai lu les saintes Écritures avec plus d'ardeur que je ne lisais auparavant les livres profanes. » - On comprend dès lors pourquoi, dans une autre lettre à Eustochium, il lui dit : « Que le sommeil ne vous sur­prenne qu'en lisant, et ne vous endormez que sur l'Écri­ture sainte. »<br>
 
Dans quel livre, en effet, peut-on mieux puiser la vie que dans l'Écriture, dont Dieu est l'auteur ? Surtout l'Évangile, les paroles du Sauveur, les faits de sa vie ca­chée, de sa vie apostolique, de sa vie douloureuse, doivent être l'enseignement vivant auquel il faut toujours revenir.. Jésus sait rendre les choses les plus hautes, les plus divines, accessibles à tous, par la simplicité avec laquelle il parle. Et sa parole ne reste pas abstraite et théorique, elle porte immédiatement à la véritable humilité, à l'amour de Dieu et du prochain. On sent à chaque mot qu'il ne cherche que la gloire de Celui qui l'a envoyé et le bien des âmes. Il faut toujours revenir au Sermon sur la montagne en saint Matthieu (V-VII) et aux discours après la Cène en saint Jean (XII-XVIII).<br>
 
Si nous lisons dans les dispositions voulues, avec humi­lité, foi et amour, ces paroles divines, qui sont esprit et vie, elles contiennent pour nous une grâce spéciale qui nous porte chaque jour davantage à l'imitation des vertus du Sauveur, de sa douceur, de sa patience, de son amour héroïque sur la croix. Voilà bien, avec l'Eucharistie, la vraie nourriture des saints : la parole de Dieu, transmise par son Fils unique, le Verbe fait chair. Sous l'écorce de la lettre, il y a là la pensée vivante de Dieu, que les dons d'intelligence et de sagesse, si nous sommes dociles, nous feront de mieux en mieux pénétrer et goûter.<br>
 
Après l'Évangile, rien de plus nourrissant que le pre­mier commentaire qui en a été écrit sous l'inspiration divine : les Actes des Apôtres et les Épîtres. Ce sont les enseignements du Sauveur vécus par ses premiers dis­ciples, chargés de nous former, enseignements expliqués et adaptés aux besoins des fidèles. C'est, dans les Actes, la vie héroïque de l'Église naissante, sa diffusion au milieu des plus grandes difficultés, leçon de confiance, de vail­lance, de fidélité et d'abandon.<br>
 
Où trouver des pages plus profondes et plus vivantes que dans les Épîtres, sur la personne et l'œuvre du Christ (Coloss., I), sur la splendeur de la vie de l'Église et l'im­mensité de l'amour du Sauveur pour elle (Ephés., I-III), sur la justification par la foi au Christ (Rom., I-XI), sur le sacerdoce éternel de Jésus (Hébr., I-IX) ?<br>
 
Et si l'on pense à la partie morale des Épîtres, où lire des exhortations plus pressantes à la charité, aux devoirs d'état, à la persévérance, à la patience héroïque, à la sain­teté, et des règles de conduite plus sûres à l'égard de tous, supérieurs, égaux, inférieurs, à l'égard des faibles, des cou­pables, des faux docteurs ? Où sont plus vivement expri­més les devoirs de tous les chrétiens à l'égard del'Église ? (I Petr., IV, V.)<br>
 
Il est aussi des parties de l'Ancien Testament que tout chrétien doit connaître, en particulier les Psaumes, qui restent la prière de l'Église dans l'Office divin : prière d'adoration réparatrice pour le pécheur contrit et humi­lié, de supplication ardente et d'action de grâces. Les âmes intérieures doivent lire aussi les pages les plus belles des Prophètes, que la liturgie de l'Avent et du Carême remet sous nos yeux, et, dans les livres sapientiaux les exhortations de la Sagesse incréée à la pratique des principaux devoirs envers Dieu et le prochain.<br>
 
En relisant sans cesse avec respect et avec amour l'Écri­ture, surtout l'Évangile, on y trouvera toujours de nou­velles lumières et une nouvelle force. Dieu a mis dans sa parole une vertu inépuisable, et lorsque, à la fin de la vie, après avoir beaucoup lu, on est fatigué de presque tous les livres, c'est à l'Évangile qu'on revient, comme au véritable prélude de la lumière qui éclairé les âmes dans l'éternelle vie.<br>
 
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====Les œuvres spirituelles des saints====
 
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Après la lecture de l'Écriture, celle des écrits spirituels des saints éclairent beaucoup l'âme et la réchauffent, parce que bien qu'ils n'aient pas été composés sous l'ins­piration infaillible, ils l'ont été avec les lumières et l'onction du Saint-Esprit.<br>
 
Il n'est pas permis d'ignorer les principales œuvres spirituelles de saint Augustin<ref>Confessiones, Soliloquia, De doctrina christiana, De Civitate Dei, Epistota 211a, Enarrationes in Psalmos, In Sermonem Domini in monte (Matth., V), In Joannem, etc.</ref>, de saint Jérôme<ref>Epislolae; speciatim, Ep. 22a ad virginem Eustochium.</ref>, de Cassien<ref>Collationes (trad. fr, Conférences par Dom Pichery, O. S. B).</ref>, de saint Léon<ref>Sermons.</ref>, de saint Benoît<ref>Regula.</ref>, de saint Grégoire le Grand<ref>Expositio in librum Job, sive Moralium libri XXXV; Liber regulae pas­toralis; Homiliae in Ezechielem.</ref>, de saint Basile<ref>De Spiritu Sancto. Regulae.</ref>, de saint Jean Chrysostome<ref>Homiliae, De Sacerdotio.</ref> et de Denys<ref>De Divinis nominibus, De ecclesiastica hierarchia, De mystica theologia.</ref>, de saint Maxime le Confesseur<ref>Surtout ses Scolies sur Denys, son Livre ascétique.</ref>, de saint Anselme<ref>Cur Deus homo. Ses méditations et ses prières sont pleines de doc­trine et d’onction.</ref> et de saint Bernard<ref>Sermones de tempore, de sanctis, in Cantica Canticorum; De conside­ratione. Tr. de gradibus humitilatis et superbiae. De diligendo Deo.</ref>.<br>
 
Il est grandement utile aussi de connaître ce qui tou­che le plus la vie intérieure dans les écrits de Richard de Saint-Victor<ref>Benjamin minor, seu de praeparatione ad contemplationem; Ben­jamin major, seu de gratia contemplationis. Expositio in Cantica Canticorum.</ref>, d'Hugues de Saint-Cher<ref>De Vita Spirituali. Ex Commentariis B. Hugonis de Sancto Charo, O. P, super totam bibliam excerpta, Curante Fr. Dionysio Mésard, O. P., Pustet, 1910. Ouvrage excellent divisé en quatre parties : De vita pur­gativa, de vita illluminativa, de vita unitiva, de vita spirituali sacerdotum.</ref>, de saint Albert le Grand<ref>Commentarii in S. Scripturam, speciatim in Joannem. Comm. in Dionysiam. Mariale. De Sacrificio Missae.</ref>, de saint Thomas d'Aquin<ref>Commentarii in Psalmos, in l. Job, in Canticum Canticorum, in Matth.; in Joannem; in Epist. S. Pauli. In Summa Theologica, IIa IIae, de virtutibus theologicis et moralibus nec non de donis in speciali. - De perfectione spirituali. Officium S.S. Sacramenti. Expositio in Symbol. Apost. et in Orationem dominicam.</ref>, de saint Bonaventure<ref>De triplici via (seu Incendium amoris), Lignum vitae, Vitis mystica, Itinerarium mentis ad Deum, Breviloquium.</ref>.<br>
 
On revient toujours avec profit au Dialogue de sainte Catherine de Sienne<ref>Le Dialogue (trad. Hurtaud); Lettres (trad. Cartier).</ref>, aux ouvrages de Tauler<ref>Sermons (trad. Hugueny et Théry); - édition critique allemande de Vetter, 1910. Les Institutions n’ont pas été rédigées par Tauler, mais contiennent le résumé de sa doctrine. </ref>, du B<sup>x</sup> Henri Suzo<ref>Die Schriften der heiligen H. Suso, publiées par le P. Denifle, O.P.; (trad. fr. du P. Thiriot, 1899).</ref>, de la B<sup>se</sup> Angèle de Foligno<ref>Le livre des visions et instructions (trad. E. Hello, et trad: Doncœur). Ce livre parle surtout de la transcendance divine et de la Passion du Sauveur.</ref>, du B<sup>x</sup> Jean Ruysbroeck<ref>Œuvres (tract. du flamand par les Bénédictins de St-Paul de Wisques); voir surtout : Le Miroir du salut éternel, Le livre des sept clôtures (ou des renoncements). L’Ornement des noces éternelles. Ruysbroeck est certainement un des plus grands mystiques, mais ne peut être saisi que par des âmes avancées. </ref>, de Thomas a Kempis, l'auteur probable de ''l'Imitation''.<br>
 
Parmi les auteurs spirituels modernes, il convient de lire Louis de Blois, O.S.B.<ref>Voir surtout Institutio spiritualis, qui contient la substance des autres écrits de Louis de Blois. La meilleure trad. fr. est celle des Bénédictins de Saint-Paul de Wisques, Œuvres spirituelles du V. L. de Blois. L. de Blois écrivit une défense de la doctrine de Tauler, qu’il explique de façon à le rendre plus accessible. </ref>, le franciscain François d'Osuna, dont le livre servit de guide à sainte Thérèse<ref>Abecedario espiritual 1528 (voir surtout le tome 3° qui servit de guide à sainte Thérèse).</ref>, saint Ignace de Loyola<ref>Les Exercicess spirituels (éd. fr. Jennesseaux), méthode pour réfor­mer et transformer l’âme en la conformant au divin modèle. Voir aussi Le récit du pèlerin et les Lettres de S. Ignace de Loyola, traduites par le P. Bouix.</ref>, les œuvres de sainte Thérèse<ref>Obras de Santa Teresa, editadas y anotadas por et P. Silverio de S. Teresa, 6 vol. Burgos, 1915-1920; petite édition des principales œuvres en 1 vol., 1932; trad. française par les Carmélites de Paris, 6 vol., Paris, ou plus récemment celle du P. Grégoire de Saint-Joseph. A compléter par les Lettres de S. Thérèse, trad. par le P. Grégoire de Saint-Joseph, 3 vol., 2° éd., 1906. Toutes les âmes intérieures peuvent et doivent lire Le che­min de la perfection, de sainte Thérèse.</ref>, de saint Jean de la Croix<ref>Obras de San Juan de la Cruz del P. Silverio, Burgos, 5 vol., 1929-31; tr. fr. Hoornaert, 2° éd., 1923, et celle plus récente du P. Grégoire de Saint-Joseph. Le Cantique spirituel (texte critique, notes historiques, version française), par Dom Chevallier, O.S.B., 1930. - Du même la trad. fr. du texte espagnol, sans appareil technique, 1933. - Les avis, sentences et maximes de S. Jean de la Croix,  trad. de Dom Chevallier, 1933.<br>
 
Dans ces œuvres, la Montée du Carmel montre surtout la purification active de l’âme qui prépare à la contemplation, et qui doit continuer avec elle; La Nuit obscure décrit, avec les défauts des commençants, la purification passive des sens et celle de l’esprit; Vive flamme d’amour décrit la vie d’union en ce qu’elle a de plus élevé. Le Cantique spirituel résume, sous une forme lyrique, la doctrine des autres ouvrages.</ref>, de saint François de Sales<ref>Œuvres publiées par les religieuses de la Visitation d’Annecy. L’introduction à la vie dévote décrit la voie purgative et montre comment la dévotion et la sainteté peuvent être pratiquées dans tous les états de vie. Le Traité de l’Amour de Dieu élève les âmes jusqu’à la voie unitive. Les vrais entretiens spirituels, composés pour les Visitandines, font du bien à toutes les âmes religieuses.</ref>, de saint Jean Eudes<ref>Œuvres, 12 vol., Paris, 1905. Disciple de Bérulle et de Condren, S. Jean Eudes rattache les vertus intérieures à la dévotion aux SS. Cœurs de Jésus et de Marie. Lire La vie et le royaume de Jésus dans les âmes chré­tiennes; Le Cœur admirable de la Mère de Dieu; Le Mémorial de la vie ecclé­siastique.</ref>.<br>
 
On doit conseiller enfin les écrits spirituels de Bos­suet<ref>Élévations sur les mystères, Méditations sur l’Évangile, Traité de la Concupiscence, Lettres de direction, Les états d’oraison.</ref>, ceux des dominicains Louis de Grenade<ref>Le Guide des pécheurs, Traité de l’oraison et de la méditation, Le Mémorial de la vie chrétienne</ref>, Chardon<ref>La Croix de Jésus, nouv. éd. 1937, Les Méditations sur la Passion.</ref>, Piny<ref>Le plus parfait (l’abandon), La Présence de Dieu, L’Oraison du cœur, État du pur amour, La clef du pur amour, La vie cachée.</ref>, Massoulié<ref>Traité de la véritable oraison, éd. Rousset (1900), Méditations de saint Thomas sur les trois voies, éd. Florand (1934).</ref>, ceux des jésuites L. Dupont<ref>Guide spirituel, De la perfection du chrétien en tous les états, De la perfection du chrétien dans l’état ecclésiastique, Méditations sur les mystères de notre foi.</ref>, Lallemant<ref>La doctrine spirituelle, ouvrage très substantiel, où l’on montre comment, par la pureté du cœur, la docilité au Saint-Esprit, le souve­nir fréquent et affectueux de Dieu présent en elle, l’âme arrive à la contemplation, acte de la foi vive, éclairée par les dons.</ref>, Surin<ref>Les fondements de la vie spirituelle, La guide spirituelle, où se trouve développée la doctrine du P. Lallemant; Traité de l’Amour de Dieu.</ref>, de Caussade<ref>Abandon à la divine Providence, livre admirable (voir aussi l’édition abrégée par le P. Ramière) qui a fait un grand bien à beaucoup d’âmes, Instructions spirituelles sur les divers états d’oraison.</ref>, Grou<ref>Maximes spirituelles, Méditations en forme de retraite sur l’amour de Dieu, Retraite spirituelle, Manuel des âmes intérieures. La doctrine exposée dans ces ouvrages est la même que celle du P. Lallemant.</ref>, les ouvrages des écrivains de l'école française du XVII<sup>e</sup> siècle, de Bérulle<ref>Œuvres complètes; 1657 et 1856, voir surtout Le Discours de l’État et des Grandeurs de Jésus.</ref>, de Condren<ref>L’idée du sacerdoce et du sacrifice, Condren complète Bérulle, en montrant en Jésus, l’adorateur du Père, le prêtre principal du sacrifice auquel nous devons nous unir tous les jours.</ref>, du P. Bourgoing<ref>Vérités et excellences de Jésus-Christ (méditations).</ref>, de saint Vincent de Paul<ref>Correspondance, Entretiens, publiés par le P. Coste, 1920.</ref>, de M. Olier<ref>Le catéchisme chrétien pour la vie intérieure (les vertus crucifiantes, voie de l’union intime avec Notre-Seigneur), La journée chrétienne, Le Traité des Saints-Ordres. L’introduction à la vie et aux vertus chrétiennes.</ref>, du vénérable Boudon<ref>Le Règne de Dieu en l’oraison mentale.</ref>, ceux du B<sup>x</sup> Grignion de Montfort<ref>Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, Le secret de Marie.</ref>, de saint Alphonse de Liguori<ref>Opere ascetiche, nouv. éd. Rome, 1933, Le grand moyen de la prière. Selva : du sacrifice de Jésus-Christ.</ref>.<br>
 
Nous ne parlons pas des auteurs plus récents dont les principaux sont connus de tous.<br>
 
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====Les Vies de saints====
 
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A la lecture des livres de doctrine spirituelle, il faut joindre celle des Vies de saints, qui contiennent des exemples entraînants, toujours admirables, souvent imi­tables. C'est ce qu'ont fait dans des circonstances souvent très difficiles des hommes et des femmes qui avaient la même nature que nous, qui ont eu au début leurs faiblesses et leurs défauts, mais en qui la grâce et la cha­rité ont de plus en plus dominé la nature, en la guérissant, l'élevant, la vivifiant. C'est en eux surtout qu'on voit le vrai sens et la portée du principe : « La grâce ne détruit pas la nature (en ce qu'elle a de bon), mais la perfectionne. » En eux, surtout au terme des voies purgative et illuminative, on voit ce qu'est dans la vie d'union la véritable harmonie de la nature et de la grâce, prélude normal de l'éternelle béatitude.<br>
 
En ces Vies, il faut surtout chercher ce qu'il y a d'imi­table, et dans ce qu'il y a d'extraordinaire, il faut voir un signe divin qui nous est donné pour nous tirer de notre somnolence et nous faire voir ce qu'il y a de plus profond et de plus haut dans une vie chrétienne ordi­naire, lorsque l'âme est vraiment docile au Saint-Esprit. Les douleurs des stigmatisés nous rappellent ainsi ce que doit être pour nous la Passion du Sauveur et comment nous devrions dire un peu mieux chaque jour, à la fin des stations du Chemin de Croix : « ''Sancta Mater, istud agas, Crucifixi fige plagas cordi meo valide''. Sainte Mère de Dieu, imprimez fortement en mon cœur les plaies de votre Fils crucifié. » - La grâce extraordinaire qui a permis à plusieurs saints, comme à sainte Catherine de Sienne, de boire à longs traits à la plaie du Cœur de Jésus doit nous rappeler ce que devrait être pour nous la communion fervente, et comment cha­cune de nos communions devrait être substantiellement plus fervente que la précédente, en notre ascension vers Dieu.<br>
 
Les exemples des saints, leur humilité, leur patience, leur confiance, leur charité débordante, ont plus d'effica­cité pour nous faire pratiquer la vertu qu'une doctrine abstraite. « ''Universalia non movent. ''»<br>
 
Il importe de lire surtout les Vies de saints écrites par des saints, comme celle de saint François d'Assise écrite par saint Bonaventure, celle de sainte Catherine de Sienne écrite par le B<sup>x</sup> Raymond de Capoue, son direc­teur; celle de sainte Thérèse par elle-même.<br>
 
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====Dispositions pour profiler de ces lectures====
 
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Une prière bien faite au début nous obtiendra la grâce actuelle pour lire l'Écriture sainte ou les livres spirituels avec esprit de foi, en évitant toute curiosité inutile, la vanité intellectuelle, la tendance à critiquer ce qu'on lit plutôt qu'à en profiter. L'esprit de foi nous fait recher­cher Dieu lui-même dans les ouvrages spirituels.<br>
 
Il faut aussi, avec un désir sincère et vif de la perfec­tion, nous appliquer à nous-mêmes ce que nous lisons, au lieu de nous contenter d'en avoir une connaissance théorique. Alors, même en lisant ce qui concerne « les petites vertus », comme dit saint François de Sales, on recueille un très grand profit, car toutes les vertus sont connexes avec la plus haute de toutes, la charité. Il est bon aussi pour des âmes avancées de relire quelquefois ce qui convient aux commençants; elles le reverront sous une lumière supérieure et seront étonnées de tout ce qui s'y trouve virtuellement contenu, comme dans les pre­mières lignes d'un petit catéchisme sur le motif pour lequel nous avons été créés et mis au monde : « Pour connaître Dieu, l'aimer, le servir, et obtenir ainsi la vie éternelle. »<br>
 
De même il est bon que les commençants, sans vouloir brûler les étapes et aller plus vite que la grâce, entre­voient toute l'élévation de la perfection chrétienne. Car la fin à atteindre, qui est dernière dans l'ordre d'exécu­tion, est première dans l'ordre d'intention ou de désir. Il faut dès le début vouloir atteindre la sainteté, car tous nous sommes appelés à cette sainteté, qui nous permet­trait d'entrer au ciel si tôt après notre mort; nul, en effet, ne fera du purgatoire que pour des fautes qu'il aurait pu éviter.<br>
 
Si commençants et avancés ont vraiment le vif désir de se sanctifier, ils trouveront dans la Sainte Écriture et les ouvrages spirituels des saints ce qui leur convient; ils entendront, en lisant, l'enseignement du Maître inté­rieur.<br>
 
Pour cela, il faut lire lentement, et non pas dévorer des livres; il faut se pénétrer de ce qu'on lit. Et alors la lecture spirituelle se transforme peu à peu en oraison, en conversation intime avec l'hôte intérieur<ref>Saint Benoit (Régle, ch. XLVIII) dit que la lectio ainsi faite est le premier degré de la série ascendante : « Lectio, cogitatio, studium, meditatio, oratio, contemplatio. » Cf. DOM DEI.ATTE, Commentaire de la Règle de saint Benoît, ch. XLVIII.<br>
 
Saint Thomas, qui reçut sa première formation des Bénédictins, a conservé cette gradation qui s’achève dans la contemplation : lection, cogitatio, studium, meditatio, oratio, contemplatio (IIa IIae, q. 80, a. 3).</ref>.<br>
 
Il convient aussi de relire à quelques années de dis­tance les très bons livres qui nous ont fait déjà beaucoup de bien. La vie est courte : il faudrait se contenter de lire et de relire ce qui porte vraiment la marque de Dieu, et de ne pas perdre son temps à la lecture de choses sans vie et sans valeur. Saint Thomas d'Aquin ne se las­sait pas de relire les conférences de Cassien. Combien d'âmes ont grandement gagné à relire souvent ''l'Imita­tion'' ! Mieux vaut se pénétrer profondément d'un seul livre comme celui-là que de lire superficiellement tous les auteurs spirituels.<br>
 
Il faut de plus, comme le dit saint Bernard, lire avec piété, en cherchant non pas seulement à connaître les choses divines, mais à les goûter<ref>« Si ad legendum accedat, non tam quaerat scientiam quam saporem. » In spec. monach.</ref>. Il est dit en saint Matthieu XXIV, 15 : « Que celui qui lit, comprenne », et demande à Dieu la lumière pour bien entendre. Les dis­ciples d'Emmaüs n'avaient pas entendu le sens des pro­phéties jusqu'à ce que Notre-Seigneur leur ouvrit l'esprit. C'est pourquoi saint Bernard nous dit : « ''Oratio lectio­nem interrumpat'', qu'on suspende la lecture pour prier »; alors vraiment cette lecture sera une nourriture spiri­tuelle et disposera à l'oraison.<br>
 
Enfin, il faut commencer sans tarder à mettre en pra­tique ce qu'on lit. Notre-Seigneur dit à la fin du Sermon sur la montagne (Matth., VII, 24) : « Tout homme qui entend ces paroles et les met en pratique ressemble à l'homme sage qui a bâti sa maison sur le roc... Celui qui les entend sans les mettre en pratique ressemble à l'in­sensé qui bâtit sa maison sur le sable. » « Ce ne sont pas, dit aussi saint Paul, ceux qui écoutent la loi divine qui sont justes devant Dieu, mais ceux qui la pratiquent<ref>Rom., II, 13. Item Jac , I, 22 : « Estote factores legis et non audi­tores tantum. »</ref>. » Alors la lecture porte des fruits. On lit dans la parabole du semeur : « Une partie de la semence tomba dans la bonne terre, et, ayant levé, elle donna du fruit au cen­tuple... Cela représente ceux qui, ayant entendu la parole de Dieu avec un cœur bon et excellent, la gardent et portent du fruit par la constance.<ref>Luc., VIII, 8-15.</ref> » Selon cette parabole, telle lecture spirituelle peut produire trente pour un, une autre soixante pour un, une autre cent pour un. Telle fut, par exemple, la lecture que fit Augustin lorsqu'il entendit les paroles : ''Tolle, lege''; il ouvrit les Épîtres de saint Paul, qui se trouvaient sur une table, et il y lut ces mots (Rom., XIII, 13) : « Ne vous laissez point aller aux excès de table et du vin, à la luxure et à l'im­pudicité, aux querelles et aux jalousies. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ. » Dès lors, son cœur fut changé, il se retira quelque temps dans la solitude et se fit inscrire pour le baptême. Ce fut véritablement le cen­tuple, dont ensuite des milliers d'âmes ont vécu.<br>
 
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Version du 1 mai 2007 à 23:03