Différences entre les versions de « Garrigou-Lagrange, Réginald Fr., Les trois âges de la vie intérieure - p. 5, Les grâces extraordinaires »

De Christ-Roi
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==Les grâces extraordinaires==
 
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Nous avons parlé jusqu'ici des trois âges de la vie inté­rieure en les considérant non pas sous une forme amoin­drie, mais selon la description que nous en donnent les plus grands spirituels, en particulier saint Jean de la Croix. Nous avons ainsi parlé de la contemplation infuse des mystères de la foi et de ses degrés sans traiter des grâces extraordinaires qui parfois l'accompagnent, mais en sont fort distinctes. C'est d'elles qu'il faut maintenant nous entretenir.<br>
 
Nous avons parlé jusqu'ici des trois âges de la vie inté­rieure en les considérant non pas sous une forme amoin­drie, mais selon la description que nous en donnent les plus grands spirituels, en particulier saint Jean de la Croix. Nous avons ainsi parlé de la contemplation infuse des mystères de la foi et de ses degrés sans traiter des grâces extraordinaires qui parfois l'accompagnent, mais en sont fort distinctes. C'est d'elles qu'il faut maintenant nous entretenir.<br>
Pour procéder avec ordre, nous verrons d'abord ce que nous dit saint Paul de ces grâces, qu'il appelle des cha­rismes, et comment son enseignement est expliqué par saint Thomas d'Aquin. Nous parlerons ensuite des révé­lations privées, des visions, des paroles intérieures, des touches divines, de la stigmatisation et de la suggestion. Nous résumerons sur ces différents sujets l'enseignement classique et trouverons ainsi une confirmation nouvelle de la doctrine traditionnelle exposée plus haut sur l'axe de la vie spirituelle. L'examen des faits extraordinaires fait mieux ressortir ce qui les distingue de ce qu'il y a de plus élevé dans la voie normale de la sainteté<ref>Nous utilisons en ces derniers chapitres ce que nous avons déjà écrit sur ces questions dans ne livre antérieur paru en 1923, Perfection chrétienne et contemplation, t. II, pp. 536-561. C’est du reste un simple résumé de ce que dit saint Jean de !a Croix sur les grâces proprement extraordinaires, et les études que nous avons faites depuis 1923 n’ont fait que confirmer ce que nous disions alors sur ce sujet.</ref>.<br>
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Pour procéder avec ordre, nous verrons d'abord ce que nous dit saint Paul de ces grâces, qu'il appelle des cha­rismes, et comment son enseignement est expliqué par saint Thomas d'Aquin. Nous parlerons ensuite des révé­lations privées, des visions, des paroles intérieures, des touches divines, de la stigmatisation et de la suggestion. Nous résumerons sur ces différents sujets l'enseignement classique et trouverons ainsi une confirmation nouvelle de la doctrine traditionnelle exposée plus haut sur l'axe de la vie spirituelle. L'examen des faits extraordinaires fait mieux ressortir ce qui les distingue de ce qu'il y a de plus élevé dans la voie normale de la sainteté<ref>Nous utilisons en ces derniers chapitres ce que nous avons déjà écrit sur ces questions dans ne livre antérieur paru en 1923, Perfection chrétienne et contemplation, t. II, pp. 536-561. C’est du reste un simple résumé de ce que dit saint Jean de la Croix sur les grâces proprement extraordinaires, et les études que nous avons faites depuis 1923 n’ont fait que confirmer ce que nous disions alors sur ce sujet.</ref>.<br>
 
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Version actuelle datée du 12 mai 2007 à 14:01

Sommaire
Tome II - CINQUIÈME PARTIE - Les grâces extraordinaires

Les grâces extraordinaires

Nous avons parlé jusqu'ici des trois âges de la vie inté­rieure en les considérant non pas sous une forme amoin­drie, mais selon la description que nous en donnent les plus grands spirituels, en particulier saint Jean de la Croix. Nous avons ainsi parlé de la contemplation infuse des mystères de la foi et de ses degrés sans traiter des grâces extraordinaires qui parfois l'accompagnent, mais en sont fort distinctes. C'est d'elles qu'il faut maintenant nous entretenir.
Pour procéder avec ordre, nous verrons d'abord ce que nous dit saint Paul de ces grâces, qu'il appelle des cha­rismes, et comment son enseignement est expliqué par saint Thomas d'Aquin. Nous parlerons ensuite des révé­lations privées, des visions, des paroles intérieures, des touches divines, de la stigmatisation et de la suggestion. Nous résumerons sur ces différents sujets l'enseignement classique et trouverons ainsi une confirmation nouvelle de la doctrine traditionnelle exposée plus haut sur l'axe de la vie spirituelle. L'examen des faits extraordinaires fait mieux ressortir ce qui les distingue de ce qu'il y a de plus élevé dans la voie normale de la sainteté[1].




CHAPITRE I - Les charismes ou grâces gratuitement données

Saint Paul nous parle de ces grâces extraordinaires dans la Ire Épître aux Corinthiens, XII, 7 : « Il y a, dit-il, diversité de dons, mais c'est le même Esprit... A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée pour l'utilité commune. En effet, à l'un est donnée par l'Esprit une parole de sagesse ; à l'autre une parole de science selon le même Esprit; à un autre la foi[2] par le même Esprit; à un autre le don des guérisons par ce seul et même Esprit; à un autre la puissance d'opérer des miracles; à un autre la prophétie; à un autre le discernement des esprits; à un autre la diversité des langues; à un autre le don de les interpréter. Mais c'est le seul et même Esprit qui produit tous ces dons, les distribuant à chacun en particulier comme il lui plaît. » (Voir aussi Rom., XII, 6.)
Bien au-dessus de tous ces dons ou charismes, saint Paul place la charité : « Si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien[3] », car ma volonté est tournée en sens inverse de la volonté divine.



Nature et division de ces charismes

Comme l'explique saint Thomas[4], la grâce sancti­fiante et la charité sont beaucoup plus excellentes que ces charismes, car elles nous unissent immédiatement à Dieu, notre fin ultime, tandis que ces dons exceptionnels sont ordonnés surtout à l'utilité du prochain et le disposent seulement à se convertir sans lui donner la vie divine. Généralement ils ne sont pas essentiellement surnaturels, comme la grâce sanctifiante, mais seulement préternatu­rels, comme le miracle et la prophétie. Ce ne sont que des signes qui confirment la révélation divine proposée à tous, ou la sainteté des grands serviteurs de Dieu.
Il y a une immense différence entre la surnaturalité de la grâce sanctifiante et la leur. La grâce est essentielle­menl surnaturelle comme participation de la vie intime de Dieu, elle est par suite invisible, elle n'est pas naturelle­ment connaissable. Tandis que ces signes naturellement connaissables ne sont pas surnaturels par leur essence, mais seulement par le mode de leur production : ainsi la résurrection d'un cadavre lui rend surnalurellement la vie naturelle (végétative et sensitive) sans produire en lui la vie surnaturelle, participation de la vie divine. Le surnaturel de ces signes est donc extérieur et très infé­rieur à celui de la grâce reçue au baptême.
On voit mieux la nature de ces charismes par la divi­sion qu'en donne saint Thomas[5] en suivant le texte de saint Paul cité plus haut.
Cette division apparaît plus clairement si on l'exprime dans le tableau suivant :





Grâces gratuitement données
pour instruire le prochain
sur les choses de la foi
1° elles donnent la pleine connaissance des choses divines
foi, ou certitude spéciale sur les principes
parole de sagesse, sur les principales conclusions connues par la cause première.
parole de science, sur les exemples et les effets qui manifestent les causes.
2° elles confirment la révélation divine
par des œuvres
don des guérisons
don des miracles
par la connaissance
prophétie
discernement des esprits
3° elles aident à prêcher la parole de Dieu
don des langues
don d'interprétation des paroles






On voit aisément que saint Paul et saint Jean l'évan­géliste excellent dans la parole de sagesse; saint Matthieu, saint Jacques dans la parole de science; que certains saints ont reçu de façon éclatante le don des miracles, comme saint Vincent Ferrier, d'autres celui de prophétie, comme saint Jean Bosco, d'autres encore, comme le saint Curé d'Ars, le discernement des esprits.



Application de celle doctrine faite par saint Jean de la Croix

A ces charismes se rattachent généralement les faveurs extraordinaires qui accompagnent parfois la contempla­tion infuse, c'est-à-dire les révélations privées, les paroles surnaturelles, les visions, dont saint Jean de la Croix traite longuement dans la Montée du Carmel, l. II, ch. IX à XXX, en les distinguant avec grand soin de la contemplation infuse, qui, elle, se rattache à la grâce des vertus et des dons ou grâce sanctifiante, comme nous l'avons vu plus haut.
L'enseignement de saint Jean de la Croix sur ce point repose théologiquement sur le traité de la prophétie exposé par saint Thomas, dans sa Somme théologique, IIa IIae, q. 171 à 175, où (q. 175) il consacre six articles au ravissement qui accompagne parfois la révélation pro­phétique, comme il peut accompagner aussi la contem­plation infuse.
Saint Thomas y explique en particulier que la révéla­tion prophétique peut se faire de trois manières : soit par vision sensible, soit par vision imaginaire, soit par vision intellectuelle ; et le prophète lui-même peut être soit en état de veille avec ou sans extase, soit en état de som­meil.
La vision est dite sensible ou corporelle lorsqu'un signe sensible et extérieur apparaît aux yeux ou lors­qu'une voix extérieure est entendue[6]. La vision est appelée imaginaire lorsque Dieu, pour nous exprimer sa pensée, coordonne certaines images qui préexistent dans notre imagination ou en imprime de nouvelles[7]. Il y a vision surnaturelle intellectuelle lorsqu'il agit immédiatement sur l'intelligence en y coordonnant nos idées acquises ou en imprimant en elle des idées nouvel­les, dites infuses[8]. Toujours il y a lumière infuse pro­phétique pour juger surnaturellement de ce qui est pro­posé, et même cette lumière suffit à elle seule pour inter­préter certains signes, comme Joseph interpréta les son­ges de Pharaon[9].
Il est plus parfait pour le prophète de recevoir une vision en état de veille que dans le sommeil, car il a alors le plein usage de ses facultés[10]. La vision dite imagi­naire et la vision intellectuelle s'accompagnent parfois d'extase ou d'aliénation des sens[11]. L'extase, surtout lorsqu'elle est seulement partielle (aliénation d'un sens et non pas de tous), peut être un effet naturel de l'absorp­tion des facultés supérieures dans l'objet manifesté ; l'âme ne peut plus alors être attentive aux choses extérieures[12]. Mais lorsque l'extase, au lieu de la suivre précède en quelque sorte la vision ou la contemplation infuse et y dispose, elle mérite le nom de ravissement, et elle est extraordinaire ; elle comporte alors une certaine violence qui enlève l'âme aux choses inférieures pour la fixer en Dieu[13].
Notre-Seigneur et la très Sainte Vierge avaient tous les charismes à un degré éminent sans perdre l'usage des sens. On dit de sainte Gertrude qu'elle ne connut jamais la faiblesse de l'extase ; il faut dire du Sauveur et de sa sainte mère que dès le début de leur vie ils étaient au-dessus de l'extase et du ravissement[14].



Saint Jean de la Croix, partant de ces principes reçus chez les théologiens, a bien distingué de la contempla­tion infuse générale et obscure[15] diflérents modes de connaissance particulière et distincte : 1° les visions, soit sensibles, soit imaginaires, soit intellectuelles[16] ; 2° les révélations[17] ; 3° les paroles intérieures[18]. Après les avoir énumérées, saint Jean de la Croix ajoute : « Quant à la connaissance obscure et générale, il n'y a pas de divi­sion, c'est la contemplation reçue dans la foi. Cette contemplation est le but où nous devons conduire l'âme : toutes les autres connaissances doivent y concourir en commençant par les premières, et l'âme doit aller de pro­grès en progrès en se dépouillant de toutes.[19] »
Suivant l'exemple de saint Thomas[20], nous procéde­rons du général au particulier, et nous parlerons d'abord des révélations, pour voir ensuite les modes spéciaux selon lesquels elles se manifestent, soit par visions, soit par paroles, ce qui est généralement plus expressif.
De plus, parmi ces faveurs, nous parlerons d'abord de celles plus extérieures, qui visent manifestement surtout l'utilité du prochain et se rattachent plus directement aux charismes ou grâces gratis datae. Nous considérerons ensuite celles qui sont plus directement ordonnées à la sanctification de la personne qui les reçoit ; c'est le cas surtout de plusieurs paroles intérieures et aussi des tou­ches divines reçues dans la volonté dont saint Jean de la Croix parle en dernier lieu[21]. En procédant ainsi du général au particulier, et de l'extérieur à l'intérieur, nous éviterons des redites, et nous nous rendrons mieux compte de l'action divine dans les âmes. Nous verrons que les faveurs extraordinaires, comme la stigmatisation, sont des signes exceptionnels donnés de temps en temps par Dieu pour nous tirer de notre somnolence spirituelle et pour attirer plus fortement notre attention sur les grands mystères de la foi dont nous devons vivre plus profondé­ment chaque jour, en particulier sur le mystère de l'incarnation rédemptrice.[22]



CHAPITRE II - Les révélations divines et les visions

Les révélations divines manifestent surnaturellement une vérité cachée, au moyen d'une vision, d'une parole ou seulement d'un instinct prophétique. Elles supposent le don de prophétie. Elles sont publiques si elles ont été faites par les prophètes, le Christ, les apôtres, et sont proposées à tous par l'Eglise, qui en conserve le dépôt, contenu dans l'Écriture et la Tradition. Elles sont privées lorsqu'elles sont ordonnées seulement à l'utilité particu­lière de certaines personnes. Les révélations privées, quelle qu'en soit l'importance, n'appartiennent pas à la foi catholique. Cependant quelques-unes peuvent attirer l'attention sur telle forme du culte de nature à intéresser tous les fidèles, par exemple sur la dévotion au Sacré­-Cœur ; et l'Eglise, après avoir examiné les raisons qui motivent ce culte, pourra le promouvoir et l'établir sans juger infailliblement de l'origine divine de la révélation privée qui a suscité ce mouvement de prière. Ces révéla­tions privées resteront objet de pieuse croyance, de même l'origine surnaturelle des faveurs exceptionnelles qui parfois les accompagnent, telle la stigmatisation de tel ou tel serviteur de Dieu[23].



Que penser des révélations privées ?

Ceux qui reçoivent des révélations divines, reconnues comme telles, après un jugement prudent et autorisé, doivent très certainement s'incliner avec respect devant cette manifestation surnaturelle[24]. Ce fut le cas des ré­vélations faites à sainte Marguerite-Marie sur la dévotion au Sacré-Cœur et de celles faites à Lourdes à sainte Ber­nadette, après l'examen favorable de l'autorité diocésaine.
Selon certains théologiens, la personne qui reçoit une révélationn divine privée avec la certitude de son origine divine, comme sainte Jeanne d'Arc, doit y croire de foi divine théologale; car il y a là, disent-ils, le motif formel de la foi infuse : l'autorité de Dieu révélateur[25].
Selon d'autres théologiens, et cela parait plus exact, celui qui reçoit une révélation privée certaine doit y adhérer au moment même, non par la foi divine, mais par la lumière prophétique, et cette certitude surnatu­relle peut durer ou au contraire faire place à une certi­tude morale lorsque l'illumination prophétique disparaît ; mais celle-ci peut revenir pour rendre la certitude pre­mière[26].
Lorsque l'Église approuve les révélations privées faites aux saints, elle déclare simplement qu'elles n'ont rien de contraire à l'Écriture et à l'enseignement catholique et qu'on peut les proposer comme probables à la pieuse croyance des fidèles[27]. On ne peut publier les révéla­tions privées sans l'approbation de l'autorité ecclésias­tique[28].
Il n'est pas impossible que, même dans celles ainsi ap­prouvées comme probables par l'Église, il se glisse quelque erreur, car les saints eux-mêmes peuvent attri­buer au Saint-Esprit ce qui procède de leur propre fond ou mal interpréter le sens d'une révélation divine, l'in­terpréter d'une façon trop matérielle, comme on pensa, sur une parole de Jésus relative à saint Jean, que celui-ci ne mourrait pas (cf. Jean., XXI, 23).
Cette possibilité d'erreur s'explique par le fait qu'il y a bien des degrés dans la lumière prophétique, depuis le simple instinct surnaturel jusqu'à la révélation parfaite. Lorsqu'il n'y a qu'instinct prophétique, le sens exact des choses révélées peut rester caché ou bien obscur, et même l'origine divine de la révélation[29] ; ainsi Caïphe prophé­tisa, sans en avoir conscience, en disant : « Il est avanta­geux qu'un seul homme meure pour le peuple » (Jean, XVIII, 14).



Un des signes de l'origine divine d'une révélation est l'humilité et la simplicité avec laquelle l'âme favorisée la reçoit et la communique en peu de mots à son directeur ; sans s'y attacher plus qu'il ne faut, et en obéissant par­faitement au ministre du Christ[30]. Il arrive pourtant, mais c'est très rare, que le don de prophétie se trouve chez ceux qui n'ont pas ces qualités.



Avant de régler sa conduite, au moins de façon indi­recte, d'après une révélation, une âme vraiment éclairée de Dieu consultera toujours son directeur ou une autre personne docte et discrète qui examinera la chose en elle-même du point de vue de la foi, de la théologie et de la prudence surnaturelle. Sainte Thérèse insiste particu­lièrement sur ce point[31]. C'est d'autant plus nécessaire qu'on se trompe facilement dans l'interprétation des ré­vélations, soit parce qu'on les entend trop matériellement et selon des habitudes entachées d'égoïsme, soit parce qu'elles sont parfois conditionnelles[32]. Cependant, un directeur éclairé, prudent et vertueux, a des grâces d'état qui lui font éviter l'erreur, surtout lorsqu'il les demande très humblement par une prière fervente et assidue; il reçoit alors lui-même les inspirations du don de conseil pour bien voir et bien juger.



Que penser du désir des révélations ? Saint Jean de la Croix, qui invite souvent les âmes intérieures à désirer humblement, mais avec confiance et ardeur, la contem­plation infuse des mystères de la foi et l'union divine qui en résulte, réprouve très fortement le désir des révéla­tions. Il parle sur ce point comme saint Vincent Ferrier[33] et nous montre que l'âme qui désire des révélations est vaine, qu'elle donne au démon, par cette curiosité, l'oc­casion de la tromper[34], que ce penchant enlève la pu­reté de la foi[35], qu'il produit un embarras pour l'es­prit[36], qu'il dénote un manque d'humilité[37] et qu'il expose à beaucoup d'erreurs[38].
C'est aussi, dit-il, un manque de respect à Notre-Sei­gneur de les demander, car la plénitude de la révélation a été donnée dans l'Évangile[39].
Dieu accorde parfois ces choses extraordinaires aux âmes qui sont faibles[40], ou encore à des âmes fortes qui ont une mission exceptionnelle à accomplir au milieu de grandes difficultés ; mais y prétendre est pour le moins péché véniel, même quand on a une fin bonne[41]. Elles ne sont profitables que par l'humilité et l'amour de Dieu qu'elles inspirent[42]. On voit dès lors l'erreur des direc­teurs imprudents qui s'occupent avec curiosité des âmes favorisées de visions et de révélations[43]. Cette curiosité est une déformation de l'esprit qui jette dans l'illusion, le trouble, et qui détourne de l'humilité par une vaine complaisance dans les voies extraordinaires.
Enfin saint Jean de la Croix insiste beaucoup sur ce point que ce désir des révélations détourne de la con­templation infuse : « On s'imagine, dit-il, qu'il s'est passé quelque chose de grand, que Dieu même a parlé, et au fond il y a peu de chose ou rien, ou moins que rien. A quoi, en effet, peut servir ce qui est vide d'humilité, de charité, de mortification, de sainte simplicité, de silence, etc. ? C'est pourquoi j'affirme que ces illusions font gran­dement obstacle à l'union divine, car si l'âme en fait cas, ce seul fait la repousse très loin de l'abîme de la foi... L'Esprit-Saint éclaire l'intelligence recueillie dans la mesure de ce recueillement. Or le recueillement le plus parfait est celui qui a lieu dans la foi... La charité infuse est en proportion de la pureté de l'âme dans une foi par­faite : plus une telle charité est intense, plus le Saint-Esprit l'éclaire et lui communique ses dons[44]. » On ne saurait mieux écarter le désir des révélations et faire désirer davantage le parfait esprit de foi qui se trouve dans la contemplation infuse et qui conduit à l'intime union presque continuelle avec Dieu.
Comme nous l'avons plusieurs fois noté, c'est donc une grosse erreur, assez souvent commise, de confondre le désir des révélations avec celui de la contemplation infuse; non seulement le premier est répréhensible, mais il nous détourne de la contemplation infuse qui est hau­tement désirable. Saint Jean de la Croix donne ici le com­mentaire le plus élevé de la parole de saint Thomas : « gratia gratum faciens est multo excellentior quam gratia gratis data[45] » la grâce sanctifiante (avec la cha­rité et les sept dons qui lui sont connexes) est bien supé­rieure aux charismes, même au plus élevé de tous, à la prophétie. C'est ce qui nous montre toute la portée de l'enseignement de saint Paul, I Cor., XII, sur l'éminence de la charité.



Il faut cependant distinguer ici deux espèces de révé­lations privées : 1° les révélations proprement dites nous découvrent des secrets, soit sur Dieu, soit sur ses œu­vres; 2° les révélations improprement dites donnent une plus grande intelligence des vérités surnaturelles déjà connues par la foi[46].
Les premières, qui nous manifestent des secrets, sont bien plus sujettes à illusion. Dieu sans doute révèle parfois à des vivants le temps qui leur reste à vivre, les épreuves qu'ils subiront, ce qui arrivera à un peuple, à une personne déterminée. Mais le démon peut facilement contrefaire ces choses, et pour accréditer ses mensonges, il commence à nourrir l'esprit de choses vraisemblables ou même de vérités partielles[47]. « Il est presque impos­sible, dit saint Jean de la Croix, d'échapper à ses ruses si l'on ne s'en débarrasse pas aussitôt, tellement l'esprit du mal sait prendre l'apparence de la vérité et donner de la force à cette apparence.[48] » - « Il n'y a donc aucun motif, pour être parfait, de désirer ces choses surnatu­relles extraordinaires... Il faut que l'âme se garde pru­demment de toutes ces communications si elle veut arri­ver pure et sans illusions, par la Nuit de la Foi, à la divine union.[49] » On ne saurait mieux distinguer de ces choses surnaturelles extraordinaires la contemplation infuse et mieux montrer qu'elle est quelque chose de normal chez les parfaits.
Les révélations improprement dites, qui nous don­nent une plus grande intelligence des vérités révélées, se rapprochent, elles, de la contemplation infuse, surtout si elles portent sur Dieu lui-même et ne s'arrêtent à rien de particulier, mais pénètrent plus profondément sa sagesse, son infinie bonté ou sa toute-puissance. Saint Jean de la Croix dit à ce sujet, dans la Montée du Carmel, l. II, ch. XIV : « Ces hautes notions d'amour ne sont du reste accessibles qu'à l'âme en état d'union avec Dieu ; elles sont cette union même, car elles proviennent précisément de certaine touche de l'âme dans la divinité. Ainsi c'est Dieu même qui est senti et goûté. Sans doute Dieu n'est pas perçu manifestement en pleine clarté, comme dans la gloire, mais la touche est si vive et si haute, à raison de la connaissance et de l'attrait, qu'elle pénètre la subs­tance de l'âme. Il est impossible au démon de s'entremet­tre en cela et de donner le change par imitation; rien n'y est comparable, rien n'approche de jouissances et de délices pareilles. Elles ont une saveur d'essence divine et de vie éternelle, et le démon ne saurait contrefaire des choses si hautes. Pour les autres perceptions, nous avons dit que l'âme doit s'en abstraire, mais ce devoir cesse devant celles-ci, puisqu'elles sont des manifestations de cette union à laquelle nous nous efforçons de conduire l'âme. Tout ce que nous avons enseigné précédemment au sujet du dépouillement, du détachement complet, a cette union pour but, et les faveurs divines qui en résul­tent sont le fruit de l'humilité, du désir de souffrir par amour pour Dieu, avec résignation et désintéressement de toute récompense. »



Les différentes sortes de visions surnaturelles

Les révélations divines s'expriment parfois sous forme de visions et parfois en paroles. Les visions surnaturelles, sont soit sensibles, soit imaginaires, soit intellectuelles.
Les visions sensibles ou corporelles du Sauveur, de la Sainte Vierge ou des saints, sont quelquefois accordées aux commençants pour les détacher des choses terrestres. Si la vision est commune à un grand nombre de person­nes, c'est un signe que l'apparition est extérieure, sans qu'il soit certain pour cela qu'elle soit d'origine divine[50]. Si elle est individuelle, il faut examiner avec soin les dis­positions du témoin qui déclare l'avoir, et procéder avec une grande prudence.
Le directeur pourra reconnaître si ces apparitions sont des grâces de Dieu à leur conformité à la doctrine de l'Église et aux fruits qui en résultent dans l'âme. Elle-même devra se montrer très fidèle à en retirer les fruits de sainteté que Dieu se propose en accordant ces faveurs. Ceux qui sont favorisés de ces apparitions de Notre-Sei­gneur, de la Sainte Vierge et des saints doivent rendre aux personnes représentées les honneurs qui leurs sont dus, alors même que l'apparition serait le résultat de l'imagination ou du démon, car, comme le dit sainte Thé­rèse : « Quoiqu'un peintre soit un méchant homme, il n'en faut pas moins honorer le portrait du Christ fait par lui.[51] »
Il ne faut jamais désirer ni demander ces apparitions.



Les visions imaginaires sont produites par Dieu ou par les anges dans l'imagination, soit dans l'état de veille, soit dans le sommeil. Plusieurs fois, selon l'Évangile, saint Joseph fut surnaturellement instruit en songe. Bien que l'origine divine d'un songe soit difficile à discerner, Dieu, d'ordinaire, lorsqu'on le cherche sérieusement, sait bien se faire reconnaître, soit par un sentiment de paix profonde, soit par les événements qui apportent une con­firmation. Ainsi un pécheur peut être averti en songe de l'urgente nécessité de se convertir.
Les visions imaginaires sont sujettes aux illusions de l'imagination et du démon[52]. On peut cependant discer­ner celles qui sont d'origine divine à trois signes: 1° lorsqu'on ne peut les produire ni les éloigner à volonté, mais qu'elles viennent subitement et durent peu ; 2° lors­qu'elles laissent l'âme dans une grande paix; 3° lors­qu'elles produisent des fruits de vertu, une plus grande humilité et la persévérance dans le bien[53].
Si elle est accordée dans l'état de veille, la vision ima­ginaire s'accompagne presque toujours d'extase au moins partielle (par exemple de la perte momentanée de l'usage de la vue) pour qu'on puisse distinguer l'apparition inté­rieure des impressions extérieures[54], et parce que l'âme ravie et unie à Dieu perd contact avec les choses du dehors[55]. Il n'y a pas de vision imaginaire parfaite sans une vision intellectuelle, qui en fait voir et pénétrer le sens[56]; par exemple, l'une porte sur la sainte humanité du Sauveur, l'autre sur sa divinité[57].
On ne doit pas plus désirer ou demander les visions imaginaires que les visions sensibles. Elles ne sont nulle­ment nécessaires à la sainteté[58] ; le parfait esprit de foi et la contemplation infuse sont d'ordre supérieur et dis­posent plus immédiatement à l'union divine[59].



La vision intellectuelle est la manifestation certaine d'un objet à l'intelligence, sans aucune dépendance actuelle des images sensibles. Elle se fait soit par des idées acquises surnaturellement coordonnées ou modi­fiées, soit par des idées infuses, qui sont parfois d'ordre angélique[60]. Elle requiert, en outre, une lumière infuse, celle du don de sagesse ou de la prophétie. Elle peut por­ter sur Dieu, sur les esprits ou sur les corps, comme la connaissance purement spirituelle des anges.
La vision intellectuelle est parfois obscure et indis­tincte, c'est-à-dire qu'elle manifeste avec certitude la présence de l'objet sans aucun détail sur sa nature intime. Ainsi souvent sainte Thérèse sentait près d'elle Notre-Seigneur Jésus-Christ pendant plusieurs jours[61].
D'autres fois la vision intellectuelle est claire et dis­tincte : elle est alors plus rapide; c'est une sorte d'intui­tion des vérités divines ou des choses créées en Dieu[62]. On ne peut la traduire en langage humain[63].
Les visions intellectuelles, surtout celles qui se font par idées infuses, sont exemptes des illusions de l'imagi­nation et du démon ; mais on peut parfois prendre pour une vision intellectuelle ce qui n'est qu'une surexcitation de l'imagination ou une suggestion du démon[64].
On reconnaît que ces faveurs viennent de Dieu aux effets qu'elles produisent : paix intime, sainte joie, pro­fonde humilité, attachement inébranlable à la vertu[65].
Saint Jean de la Croix dit : « Par cela même que ces connaissances viennent subitement en dehors de notre volonté, l'âme n'a que faire de les désirer ;... qu'elle laisse agir Dieu quand et comme il lui plaît... Ces faveurs ne sont pas données à l'âme attachée à quelque bien, elles sont l'effet d'un amour particulier que Dieu porte à celle qui tend vers Lui dans le détachement par amour gra­tuit[66] ».
Il est certain que les visions intellectuelles les plus hautes, tant qu'elles sont inférieures à la vision béatifique, ne peuvent atteindre l'Essence divine sicuti est, telle qu'elle est, mais seulement par une certaine manière de représentation due aux idées infuses, « por cierta manera de representacion », dit sainte Thérèse, VIIe Dem., ch. I.
S'il s'agit de celles qui accompagnent assez souvent l'u­nion transformante, elles sont, pour plusieurs auteurs[67], l'équivalent d'une révélation spéciale qui donne à l'âme la certitude de son état de grâce et de sa prédestination. Saint Jean de la Croix dit même, nous l'avons vu : « A mon avis, l'âme ne peut jamais être mise en possession de cet état (d'union transformante) sans se trouver en même temps confirmée en grâce.[68] »




CHAPITRE III - Les paroles surnaturelles et les touches divines

Les paroles surnaturelles sont des manifestations de la pensée de Dieu qui se font entendre, soit aux sens exté­rieurs, soit aux sens intérieurs, soit immédiatement à l'intelligence.



Les diverses sortes de paroles surnaturelles

La parole surnaturelle auriculaire est une vibration formée dans l'air par le ministère des anges. Ainsi, comme le rapporte saint Luc, I, 19, Zacharie entendit l'ange Gabriel lui parler. Le même ange Gabriel dit à Marie : « Je vous salue, pleine de grâce » (Luc, I, 28). - Ces paroles, aussi bien que les visions corporelles, sont sujettes aux illusions; il faut leur appliquer les mêmes règles pour discerner celles qui sont d'origine divine.
Les paroles surnaturelles imaginaires se font entendre à l'imagination, soit à l'état de veille, soit pendant le sommeil. Elles semblent parfois venir du ciel, d'autres fois, on dirait qu'elles viennent du plus intime du cœur. Elles sont parfaitement distinctes bien qu'on ne les entende pas par les oreilles du corps[69]. Elles ne s'oublient pas faci­lement; celles surtout qui renferment une prophétie res­tent gravées dans la mémoire[70]. Pour en retrouver l'énoncé exact, il est parfois nécessaire que la personne qui les a entendues se recueille, se mette en oraison; et elle peut ainsi écarter la moindre variante.
On peut distinguer ces paroles surnaturelles de celles de notre esprit en ceci qu'on ne les entend pas à volonté et en ce qu'elles sont paroles et œuvres en même temps ; par exemple, lorsqu'elles nous reprennent de nos fautes, elles changent aussitôt nos dispositions intérieures et nous rendent capables de tout entreprendre pour le service de Dieu[71]. Il est alors facile de les discerner[72].
Si des paroles imaginaires viennent du démon, non seulement elles ne produisent pas de bons effets, mais en produisent de mauvais, l'âme reste dans l'inquiétude, le trouble, l'effroi, le dégoût, et, s'il y a quelque plaisir sensible, il est fort différent de la paix divine[73]. Ces paroles ressemblent aux précédentes comme la verroterie imite le diamant. Il est souvent assez facile de s'en aper­cevoir aussitôt.



Les paroles intellectuelles se font entendre directe­ment à l'intelligence, sans intermédiaire des sens ou de l'imagination, à la manière dont les anges se communi­quent leurs pensées à volonté. Elles supposent une lumière divine et la coordination d'idées acquises préexistantes, parfois des idées infuses[74]. Comme le dit sainte Thérèse, c'est un parler sans paroles, qui est la langue de la patrie.[75] »
Les théologiens enseignent, avec saint Jean de la Croix, que ces paroles intellectuelles sont soit successives, soit formelles, soit substantielles[76]. Nous résumerons ici cet enseignement.
Les paroles intellectuelles successives ne se produi­sent que dans l'état de recueillement. Elles proviennent de notre esprit éclairé par le Saint-Esprit, et cela avec tant de facilité et avec des vues si nouvelles que l'entende­ment ne peut se figurer que cela vient de son propre fonds[77].
Ces paroles successives sont sujettes à l'illusion, car l'es­prit, qui au début suivait uniquement la vérité, peut dévier et même gravement, d'autant que le démon cher­che à s'insinuer en ces paroles successives, surtout chez les personnes qui y sont attachées. A plus forte raison agit-il ainsi avec ceux qui se sont liés à lui par un acte tacite ou formel, avec les hérétiques qui s'obstinent et surtout avec les hérésiarques[78].
Les paroles successives viennent de Dieu quand elles produisent dans l'âme simultanément une augmentation de charité et d'humilité; mais il est parfois difficile de bien discerner l'amour surnaturel d'un certain amour naturel, et la véritable humilité de la pusillanimité. Aussi il est malaisé de reconnaître l'origine divine de ces paroles successives[79]. Il ne faut pas les désirer, la foi obscure leur est bien supérieure[80].



Les paroles intellectuelles formelles sont ainsi appe­lées « parce que l'esprit connaît formellement qu'elles sont proférées par un autre sans qu'il y contribue en rien... et il peut les entendre en dehors de tout recueil­lement, en étant même très loin de songer à ce qui est dit[81] ». Elles sont très différentes des précédentes et parfois très précises ; c'est ainsi que Daniel nous dit qu'un ange parlait en lui (Dan., IX, 22). Le Seigneur porte par­fois de cette façon à de grandes choses tout en laissant subsister une certaine répugnance à accomplir l'ordre divin (Exode, III, 4). S'il inspire, au contraire, des choses humiliantes, il donne plus de facilité pour les accom­plir[82].
En elles-mêmes ces paroles intellectuelles formelles sont exemptes d'illusion, puisque l'entendement n'y met rien de son fonds et que le démon ne peut pas agir immé­diatement sur l'intelligence[83]. Cependant on peut pren­dre ses artifices pour des paroles de Dieu, en confondant ce qui touche immédiatement l'intelligence avec ce qui a lieu dans l'imagination. « Aussi, dit saint Jean de la Croix[84], il ne faut pas traduire aussitôt en acte ce que disent ces paroles intérieures formelles, ni les tenir en estime, quelle que soit leur origine. Ce qui est indispen­sable, c'est de les faire connaître à un confesseur expéri­menté ou à une personne discrète et instruite... Si la per­sonne experte fait défaut, qu'on garde de ces paroles ce qu'elles peuvent avoir de substantiel et de sûr, négligeant le reste et n'en parlant à personne pour ne pas rencontrer un conseiller qui ferait à l'âme plus de mal que de bien. Il ne faut pas qu'une âme se mette à la merci de n'importe qui, car le fait d'agir judicieusement ou de se tromper en pareille matière est de première importance. »



Les paroles intellectuelles substantielles sont des paroles formelles qui réalisent aussitôt ce qu'elles énon­cent; « par exemple, lisons-nous dans la Montée du Car­mel, 1. II, ch. XXIX, Dieu dit formellement à une âme : Sois bonne, et à l'instant elle le devient. Ou bien il dit Aime-moi, et aussitôt elle possède et éprouve en soi le véritable amour de Dieu. Ou encore il dit : Ne crains rien, et au même moment la force et la paix descendent dans l'âme... Ainsi Dieu dit à Abraham : Marche en ma présence et sois parfait ! (Gen., XVII, 1), et dès ce moment la perfection lui fut donnée, et il marcha toujours dans le respect de Dieu... Une seule de ces paroles opère plus de bien en une fois que n'en produit l'effort de toute une vie. Quand l'âme reçoit de telles paroles, elle n'a qu'à s'abandonner ; inutile de les désirer ou de ne pas les désirer, car rien n'est à repousser, rien à craindre. L'âme ne doit même pas chercher à réaliser ce qui est dit, car Dieu ne prononce jamais des paroles substantielles pour qu'on les traduise en actes ; il en opère l'effet lui-même, ce qui les distingue des successives et des formelles... L'illusion ici n'est pas à craindre, ni l'entendement ni le démon ne sauraient s'entremettre en cela... Les paroles substantielles sont donc un puissant moyen d'union avec Dieu. ... Heureuses les âmes à qui Dieu les adresse ». Ces paroles de Dieu sont des flammes dans les âmes purifiées[85].



Les touches divines

Il reste à parler d'un quatrième genre de faveurs qui accompagne « fréquemment[86] » la contemplation infuse élevée : ce sont « les touches divines » imprimées dans la volonté et qui ont « leur retentissement sur l'in­telligence...; elles donnent ainsi une pénétration intellec­tuelle très élevée et très savoureuse de Dieu[87] ». Par là, ces touches se rattachent à « la contemplation particulière distincte[88] ». Elles ne dépendent pas de l'activité de l'âme, ni de ses méditations, bien qu'elle se mette ainsi dans de bonnes dispositions.
Ces touches divines sont parfois si profondes et intenses qu'elles semblent imprimées « en la substance même de l'âme ».
Comment faut-il l'entendre?
Il est tout d'abord certain que Dieu conserve la sub­stance même de l'âme dans l'existence par un contact virtuel qui est la création continuée[89]. Il y produit aussi, y conserve et y augmente la grâce sanctifiante, d'où dérivent les vertus infuses et les dons[90]. Il meut encore nos facultés, soit en leur proposant un objet, soit en les appliquant à l'exercice de leurs actes, et cela ab intus, du dedans[91].
La touche divine dont nous parlons est une motion surnaturelle de ce genre, mais des plus profondes ; elle s'exerce sur le fond même de la volonté et de l'intellect là où ces facultés s'enracinent dans la substance de l'âme, d'où elles émanent[92].
Louis de Blois, en expliquant ce que Tauler appelle le fond de l'âme, nous dit que c'est l'origine ou la racine des facultés supérieures, « virium illarum est origo[93] ». Notre volonté, en effet, est d'une profondeur en quelque sorte infinie en ce sens que Dieu seul peut la remplir; les biens créés ne peuvent, à cause de cela, exercer sur elle un attrait invincible; elle est libre de les aimer ou non; seul Dieu vu face à face l'attire infailliblement et la cap­tive jusqu'en la source de ses énergies[94].
C'est sur ce fond de la volonté et de l'intelligence que s'exercent les touches divines dites substantielles[95]. La substance même de l'âme ne peut opérer, sentir, perce­voir, aimer que par ses facultés ; c'est pour cela qu'elle les a reçues, et elle diffère en cela de la substance divine, qui seule, en tant qu'Acte pur, est immédiatement opérante par elle-même sans avoir besoin de facultés[96]. Mais Dieu, plus intime à l'âme qu'elle-même en tant qu'il lui conserve l'existence, peut toucher et mouvoir du dedans le fond même des facultés, par un contact, non pas spa­tial, mais spirituel (contactus virtutis, non quantitati­vus), qui se révèle comme divin. Ainsi Dieu meut intime­ment l'âme aux actes les plus profonds, auxquels elle ne pourrait se porter elle-même.
On voit dès lors pourquoi saint Jean de la Croix[97] dit à ce sujet : « Rien n'est plus propre à dissiper ces con­naissances délicates que l'intervention de l'esprit naturel. Comme il s'agit d'une savoureuse intelligence surnatu­relle, inutile de chercher à la comprendre activement ; cela est impossible. L'entendement n'a qu'à l'accepter. Si, au contraire, il cherche à la provoquer ou s'il en a le désir, il arrive que ce qu'il conçoit vient de lui et par là il donne au démon l'occasion de lui présenter des contre­façons. ... L'acceptation passive dans l'humilité est donc ce qui s'impose à l'âme ; Dieu dispense ces faveurs selon son bon plaisir, et c'est l'âme humble et détachée de tout qui a ses préférences. En agissant ainsi, aucune inter­ruption ne se produit dans le progrès de l'âme, et de telles connaissances sont des plus efficaces pour l'accentuer. Ce sont déjà des touches d'union servant à unir passivement l'âme à Dieu. »
Cette action toute intime de Dieu « sur le fond de l'âme » est ce à quoi tout aboutit et, en un sens, c'est par là que tout a commencé, sans que nous en ayons eu conscience. Cette influence du Saint-Esprit sur le fond de l'âme, où il a produit, où il conserve et augmente la grâce sanctifiante, précède en effet, sans que nous y prenions garde, celle « sur les facultés » ; et finalement l'âme tout à fait purifiée la ressent au plus intime d'elle-même, lors­qu'elle a fini par entrer dans ce sanctuaire où Dieu habite et opère dès l'instant de la justification. C'est pourquoi les grands mystiques ont tant parlé de ce fond de l'âme, et de cette action « substantielle » de Dieu, de laquelle tout part, et à laquelle tout aboutit, lorsque l'âme revient à son principe[98].
C'est comme un baiser spirituel du Christ, Époux des âmes, imprimé au fond de la volonté, qui lui répond avec le plus ardent amour : « Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui. » Cette touche divine est assez fréquente dans l'union transformante ou mariage spirituel.
On voit que cette faveur de la touche divine, comme bien des paroles substantielles, est directement ordonnée à la sanctification de la personne qui la reçoit. Elle se distingue pourtant de la contemplation infuse ou de l'état mystique, qu'elle accompagne parfois. La contemplation infuse et obscure continue, en effet, alors que ces tou­ches, qui sont transitoires, ont cessé. Il reste qu'elles sont très sanctifiantes et qu'on peut les désirer plus ou moins explicitement avec l'union intime qu'elles produisent, mais ce désir doit être très humble et surnaturel[99].
Ce qu'il faut éviter, c'est de confondre l'état mystique (contemplation infuse prolongée et union à Dieu qui en résulte) avec les faits extraordinaires notablement dis­tincts de l'union. Il ne faut pas non plus diminuer l'état mystique en le confondant avec la méditation affective simplifiée et fervente, qui est acquise et non infuse. L'état mystique ou passif et infus commence avec le recueillement passif et l'oraison de quiétude décrits par sainte Thérèse dans la IVe Demeure. Il ne faut pas non plus mettre un abîme entre cet état mystique initial et l'union transformante décrite dans la VII° Demeure ; seule cette dernière est ici-bas le point culminant du développement de la grâce, des vertus et des dons, et la disposition immédiate à recevoir la vision béatifique à laquelle nous sommes tous appelés.




CHAPITRE IV - La stigmatisation et la suggestion

On a de nouveau étudié, ces derniers temps, ce problème : la suggestion et l'autosuggestion peuvent-elles produire les stigmates, c'est-à-dire les marques de la Passion de Notre-Seigneur, qu'ont reçues plusieurs saints, en extase, aux pieds, aux mains, au côté et sur le front, avec les vives souffrances qui rappellent d'une façon exceptionnelle celles de Jésus crucifié pour nous ? Ces plaies apparaissent sans être provoquées par aucune blessure extérieure et laissent couler périodiquement un sang non vicié. Le premier stigmatisé connu est saint François d'Assise. Depuis lors, les cas se sont multipliés, mais il paraît certain que la stigmatisation ne se produit que chez les extatiques et qu'elle est précédée et accompagnée de très vives souffrances, physiques et morales, qui configurent l'âme à Jésus crucifié. Un phénomène aussi exceptionnel peut-il s'expliquer chez certains sujets très sensibles par la suggestion, comme le prétendent des incroyants ?
Dans les Études Carmélitaines d'octobre 1936, en un numéro très documenté, cette question est longuement examinée par plusieurs médecins, par des psychologues et par des théologiens[100].
Le Dr Lhermitte, professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris, dans un rapport fort intéressant, répond de façon négative : « En admettant même, dit-il, que par la suggestion hypnotique des ecchymoses, des vésicules, des sueurs de sang puissent se produire, est-ce à dire que le problème de la stigmatisation serait résolu ?... Nous ne pouvons l'admettre... Eût-on reproduit par suggestion pure des ecchymoses cutanées, il resterait à réaliser des ecchymoses symétriques aboutissant à des plaies durables, rebelles à l'infection, lentes à se cicatriser. ... Contrairement à tous ceux qui, sous le couvert de la science expérimentale et des faits soi-disant positifs, soutiennent que nous pouvons appréhender dans une de ses parties le processus du stigmatisme mystique, nous prétendons que, malgré les quelques données, fragiles d'ailleurs, que nous ont livrées l'expérimentation et la clinique, nous sommes aussi éloignés de l'explication des stigmates qu'au temps des Charcot, des Bourneville, des Bernheim et des Virchow.[101] »
On sait, en particulier, que M. Pierre Janet a essayé, pendant de longues années, de produire des stigmates par suggestion hypnotique et qu'il n'y est jamais par­venu.
L'opinion contraire à celle du professeur Lhermitte est défendue, dans le même recueil, par le Dr van Gehuchten, de l'Université de Louvain[102], et par le Dr Wunderle, de l'Université de Wüzbourg[103]. L'un et l'autre pensent que, sous l'influence de la sug­gestion, peuvent se produire des manifestations vaso­motrices locales qui aillent jusqu'à la formation de phlyctènes et d'hémorragies. Le Dr Wunderle cite un cas de ce genre produit par suggestion chez une pro­testante dans le sanatorium du Dr Lechler, en Allema­gne.
La seconde de ces opinions n'a pour elle, croyons-nous, que des données bien confuses et fragiles, comme le dit le professeur Lhermitte.



L'enseignement traditionnel

Nous sommes heureux de signaler ici, en faveur de la doctrine traditionnelle, ce qu'a écrit récemment le R. P. Louis Sempé, S. J., dans un excellent article sur ce sujet, composé après le Congrès d'Avon-Fontaine­bleau[104]. Nous citons d'autant plus volontiers cet article que nous y trouvons très exactement formulé ce que nous aurions voulu dire nous-même si nous avions pris part à ce congrès. Nous y soulignons ce qui nous paraît plus important.
Le P. L. Sempé a cru - mais il n'en est rien - que nous admettions conditionnellement (si les faits sont exacts) l'opinion du Dr Wunderle. Cela tient à la manière dont le P. Lavaud, O. P., de l'Université de Fri­bourg, dans ce même numéro des Études Carminatives (p. 191), a exprimé en même temps sa propre pensée et notre manière de voir, en oubliant de mentionner un argument traditionnel, qui nous a toujours paru fort important et sur lequel nous insisterons à la fin de ce chapitre.
« Ce n'est pas, dit justement le P. L. Sempé[105], que nous déniions à la suggestion hypnotique le pouvoir de produire les effets qu'on nous dit : nous n'oserions a priori ni le lui concéder, ni le lui refuser ; que l'expé­rience en décide. Mais, à notre humble avis, le nœud de la question n'est pas là. Il est, nous semble-t-il, en ce que les stigmates, les vrais, ceux des saints, les seuls que l'Église prenne en considération, ne sont pas, dans leur entité, des plaies comme les autres. Outre qu'ils sont toujours situés aux mêmes endroits du corps que chez le Christ et atteignent parfois les mêmes dimensions que chez lui, ils ont un comportement qui les différencie essentiellement, croyons-nous, des plaies ordinaires.
« Pour ne rappeler que leurs caractères les plus avérés, ils sont aussi rebelles à toute médication qu'inaccessi­bles à la corruption : aucun pansement ne les guérit, et ils ne suppurent jamais, quoique fréquemment ouverts et exposés à l'air pendant des années[106]. Ils se cicatri­sent parfois d'une manière subite et parfaite : à tel point que le tissu cicatriciel est aussi élastique et aussi robuste que la peau voisine, aussi souple et aussi résis­tant qu'elle au pincement et à la torsion, tout en permet­tant d'ailleurs de repérer la forme et les dimensions de la plaie sous-jacente... Enfin les vrais stigmates saignent périodiquement en dépendance des fêtes liturgiques du Christ et de la Vierge[107]. Il leur arrive de le faire en cer­taines de ces fêtes extra-périodiques, contrairement à l'attente du sujet qui en ignorait l'occurrence.
« Ne sont-ce pas là des caractères miraculeux ? Mais on ne nous signale rien de semblable sur les rougeurs, vési­cations, érosions, gouttelettes de sang, obtenues avec tant de peine, à l'aide de la suggestion chez certains sujets névropathiques. »
On a remarqué aussi parfois, lorsque la personne stig­matisée est étendue sur le dos, que le sang coule de la blessure des pieds, comme il coulait des blessures du Christ, et donc en sens inverse de la pesanteur.
L'abondance des hémorragies reste aussi inexpliquée ; les stigmates sont généralement à la surface, loin des gros vaisseaux sanguins, et cependant ils laissent couler des flots de sang[108].
Ces particularités physiques des plaies stigmatiques les différencient notablement, en effet, des autres plaies, comme l'a noté le Dr Lhermitte ; et, dans la description qui nous est généralement donnée des stigmates des saints, ces particularités physiques sont indiquées, comme aussi les circonstances morales de ce fait exceptionnel, notamment la vive compassion aux souffrances du Sauveur.
Ce qu'il faut surtout noter c'est que les stigmates pro­prement dits ne se trouvent que chez des personnes qui pratiquent les vertus les plus héroïques, et qui ont en particulier un grand amour de la croix.
Les stigmatisés entrent dans les profondeurs du mys­tère de la Rédemption, dans le secret des douleurs morales et physiques du Christ ou de son immolation pour le salut des pécheurs. Voilà ce qui n'a aucun rap­port avec les clientes des cliniques de maladies nerveu­ses ; et c'est précisément pour rappeler sa douloureuse Passion à nos esprits et à nos cœurs indifférents que le Sauveur se choisit des victimes qu'il configure ainsi parfois, de façon visible ou invisible, à son crucifiement.
Négliger dans la stigmatisation ce côté supérieur, pour pouvoir l'expliquer naturellement, c'est ne plus considé­rer en elle que la cause matérielle, en fermant les yeux sur la cause formelle et sur la cause finale, par suite sur la véritable cause efficiente. C'est comme si l'on définis­sait la statue uniquement par le bois ou le marbre dont elle est faite, en faisant abstraction de sa forme, de sa fin véritable et du statuaire qui avait cette fin en vue. Le naturalisme, pour expliquer le supérieur par l'inférieur, doit, comme le matérialisme, réduire le supérieur à sa cause matérielle, c'est-à-dire le défigurer au point de le rendre méconnaissable. Les ecchymoses naturelles dont on nous parle ressemblent aux véritables stigmates, comme la verroterie imite le diamant.



De plus, comme pour bien juger d'un acte humain, de sa signification et de sa portée, il faut être attentif à ses circonstances, que les théologiens étudient, chacune en particulier et énumèrent dans le vers bien connu : « Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quan­do ?[109]», de même pour bien juger du sens et de la por­tée d'un fait exceptionnel comme la stigmatisation, il faut noter très attentivement ses circonstances physiques et morales. On remarquera surtout celles relatives à la fin (cur), manifestée soit auparavant, par une prière ou une promesse, soit après, par les effets, par un grand amour de la croix ; - celles relatives à l'objet (quid), par exemple les blessures corporelles produisent une vive douleur physique accompagnée d'une blessure spirituelle délicieuse, qui, comme le disent sainte Thérèse[110] et saint Jean de la Croix[111], ne peut venir que de Dieu; - celles relatives à la personne (quis), qui consistent en ce qu'elle est humble, obéissante, animée d'une grande charité; - celles relatives aux moyens (quibus auxi­liis), par l'exclusion de toute supercherie et occultisme; - celles enfin relatives au temps et au lieu (ubi et quando).
Si toutes ces circonstances sont favorables, on arrive à une certitude morale de l'origine surnaturelle de la stig­matisation. On voit qu'il ne s'agit pas d'un fait patholo­gique, mais qu'il y a là l'intervention d'une cause intelli­gente et libre qui agit sur les stigmatisés pour les confi­gurer à Jésus crucifié.
Enfin ce que Dieu seul peut produire, c'est ce qu'il y a de plus élevé dans la stigmatisation : la blessure spiri­tuelle du cœur dont parle sainte Thérèse, dans la VIe Demeure, ch. II. Cette blessure, qui a pour effet un désir ardent de Dieu et un grand amour de la croix, atteint le fond le plus intime de la volonté spirituelle; elle ne peut donc venir que de Dieu; elle est en même temps très douloureuse et très délicieuse, et, comme le dit sainte Thérèse, ibidem, l'âme voudrait n'en jamais guérir[112].



L'extase et la stigmatisation

De nouveau, on a examiné aussi, ces derniers temps, la question de savoir si une grande compassion surnatu­relle pour les souffrances du Sauveur, intensifiée par l'extase, peut avoir pour suite naturelle les stigmates corporels.
A la question ainsi posée, on connaît la réponse néga­tive de saint François de Sales, dans son Traité de l'A­mour de Dieu, l. VI, ch. XV : « L'amour est admirable pour aiguiser l'imagination, afin qu'elle pénètre jusqu'à l'extérieur... Mais de faire des ouvertures en la chair par dehors, l'amour qui était dedans (en saint François d'As­sise) ne le pouvait pas bonnement faire : c'est pourquoi l'ardent séraphin, venant au secours, darda des rayons d'une clarté si pénétrante qu'elle fit réellement en la chair les plaies extérieures du crucifix que l'amour avait impri­mées intérieurement dans l'âme. »
Cette réponse donnée par saint François de Sales se confirme par cet argument traditionnel rapporté par Benoît XIV (De servorum Dei beatificatione, l. IV, Ire p., ch. XXXIII, n° 13 et 19). Beaucoup de saints et de sain­tes, de tempéraments les plus divers, ont eu une très intense compassion surnaturelle pour les souffrances du Sauveur, et n'ont pas eu les stigmates, qui apparais­sent pour la première fois au XIIIe siècle avec saint Fran­çois d'Assise. Personne n'a jamais affirmé que la très Sainte Vierge, sainte Madeleine, saint Jean l'Évangéliste aient eu ces divines blessures corporelles, et qui donc a plus compati aux douleurs de Jésus crucifié ? De même, depuis le XIIIe siècle, bien des saints et des saintes, aux tempéraments les plus différents, avec ou sans extase, ont eu cette compassion surnaturelle très vive sans avoir les stigmates. On pourrait même citer parmi eux de très grands mystiques, comme saint Jean de la Croix, qui ont eu à un très haut degré la contemplation infuse accom­pagnée d'extase et même la blessure spirituelle du cœur.
N'est-ce pas une preuve que les stigmates ne sont pas la conséquence naturelle de cette vive compassion surna­turelle, et que l'amour ardent ne suffit pas à les pro­duire ? C'est la conclusion de Bartholomeo de Pise, et, après lui, de Théophile Raynaud, de Benoît XIV, loc. cit., contre François Pétrarque et Pomponace.
Cet argument traditionnel reste assez général sans doute, mais selon nous il conserve toute sa valeur; dans les discussions récentes, on ne l'a vraiment pas assez examiné et l'on n'a rien dit qui puisse l'infirmer.
Dans le numéro déjà cité des Études Carmélitaines, Dom Alois Mager, O. S. B., doyen de la Faculté de théo­logie de Salzbourg, et le Dr Wunderle, de Würzbourg, inclinent bien à considérer la stigmatisation comme le contrecoup idéoplastique sur l'organisme de la contem­plation infuse de Jésus crucifié ; ce serait une suite natu­relle d'une grande compassion surnaturelle grâce au pouvoir de l'imagination. Comme l'appréhension de rou­gir fait rougir, l'imagination unie à une vive émotion surnaturelle pourrait produire les stigmates corporels.
On revient ainsi à la théorie idéoplastique qu'avait écar­tée saint Francois de Sales. Que vaut-elle ?
Le P. L. Sempé, art. cit., p. .294, fait une juste critique de cette explication.
« En premier lieu, dit-il, cette théorie, puisqu'elle est à base d'autosuggestion, suppose qu'il y a toujours à l'ori­gine des stigmates les deux facteurs nécessaires de cette autosuggestion, savoir une représentation extrêmement vive de Jésus crucifié avec une compassion profonde pour ses souffrances et un désir ardent de recevoir ces plaies. Or, ces facteurs nécessaires, pourtant, n'existent pas tou­jours. Il y a des stigmatisations, parmi les mieux carac­térisées et les plus authentiques, où le sujet n'a ni désiré, ni imaginé, ni même soupçonné possible l'impression sur sa chair des plaies du Crucifié. Nombre même de stig­matisés ont même supplié le Christ que ces marques exté­rieures leur fussent épargnées, et il n'ont pu l'obtenir.
« On suppose aussi, conformément aux exigences de la théorie, que la douleur stigmatique précède la blessure extérieure. Il n'en est pas toujours ainsi. Il y a des cas où le sujet n'a ressenti d'abord aucune douleur locale, n'ayant même pas l'idée des stigmates : les blessures lui ont été faites de l'extérieur par un choc fulgurant de rayons lumi­neux, et aussitôt ont commencé les douleurs, douleurs extrêmement vives...
« Mais si ce sont les rayons lumineux qui font les plaies, pourquoi faire intervenir, à grand renfort d'hypothèses, le pouvoir idéoplastique de l'imagination ? Est-ce que cet instrument psychologique ne ferait pas double emploi avec les rayons ? Et, dès lors, la méthode scientifique n'en demande-t-elle pas l'économie ? »[113]
Les théologiens l'ont souvent remarqué : comment se fait-il que la plupart des stigmatisés ont reçu les divines blessures sans aucune suggestion ou autosuggestion, sans les attendre et sans les vouloir ?
C'est ainsi, comme le rapporte le Bx Raymond de Ca­poue, dans la Vie de sainte Catherine de Sienne, IIe p., ch. VI, que le 18 août 1370, la stigmatisation se produi­sit en elle d'une façon absolument inattendue à la suite d'une prière et d'une promesse divine du salut de plu­sieurs personnes, et elle se produisit pour confirmer cette promesse. La douleur absolument imprévue fut aussi vive que si la main eût été percée avec un clou de fer enfoncé par un marteau. A la demande de la sainte, les stigmates restèrent invisibles pendant sa vie. La rénova­tion surnaturelle du fait eut lieu plus tard devant plu­sieurs témoins dignes de foi, au point que la sainte s'af­faissa subitement sous leurs yeux, comme si elle était mortellement blessée. Le fait et son origine surnaturelle sont en outre attestés par la sainte, et son témoignage est confirmé par l'humilité de toute sa vie, qui la porta à demander, et à obtenir aussitôt l'invisibilité de cette faveur exceptionnelle. On voit ici combien toutes les cir­constances physiques et morales du fait confirment son origine.
On revient ainsi à l'explication donnée par saint Fran­çois de Sales, qui paraît la plus sage. C'est le Crucifié lui-même qui, par le moyen des rayons lumineux, imprime les plaies sur le corps des stigmatisés ; qu'il veut configu­rer à sa Passion pour nous en rappeler le souvenir.
On voit que l'argument traditionnel de Bartholomeo de Pise, conservé par Benoît XIV, garde toute sa valeur. Beaucoup de saints et de saintes, aux tempéraments les plus différents, se sont absorbés dans la contemplation infuse des douleurs du Christ avec un ardent amour, et, cependant, il n'ont pas eu les stigmates; parmi eux, il faut compter la Vierge Marie, saint Jean l'Évangéliste, sainte Madeleine, beaucoup d'autres avant François d'As­sise, le premier stigmatisé, et beaucoup d'autres après lui. C'est un signe que l'amour ardent uni à la contem­plation infuse ne suffit pas à produire les stigmates. Le Christ Jésus les accorde à qui Il veut, quand Il veut et comme Il veut. C'est une grâce de soi extraordinaire qui n'est pas dans la voie normale de la sainteté.



La lévitation

On entend par lévitation le phénomène de l'élévation du corps humain au-dessus du sol sans aucune cause apparente et de telle façon qu'il se maintient en l'air sans aucun appui naturel. On donne aussi à ce phénomène les noms d'extase ascensionnelle, de vol extatique ou de marche extatique lorsque le corps paraît courir rapide­ment sans toucher le sol.
Les bollandistes rapportent de nombreux faits de lévi­tation ; on cite particulièrement ceux constatés dans la vie de saint Joseph de Cupertino, le 18 septembre; de saint Philippe de Néri, 26 mai; de saint Pierre d'Alcan­tara, le 19 octobre; de saint François Xavier, le 3 décem­bre; de saint Étienne de Hongrie, le 2 septembre; de saint Paul de la Croix, le 28 avril, etc. On rapporte que saint Joseph de Cupertino, voyant des ouvriers fort embarrassés pour dresser une croix de mission très lourde, prit son vol aérien, saisit la croix et la planta sans effort dans le trou qui lui était destiné.
Par opposition à la lévitation, on cite des cas de pesan­teur extraordinaire du corps de certains saints, comme lorsqu'on voulut profaner et traîner dans un lieu de débauche le corps de sainte Lucie de Syracuse, il resta fixé au sol comme le pilier d'une église.
Jamais la suggestion ou l'autosuggestion des hystériques n'a pu provoquer la lévitation ; le professeur Janet, de Paris, a pu constater, après un examen de plusieurs années, que jamais le corps de la personne ne s'élevait, même d'un millimètre, même pour glisser une feuille de papier à cigarette entre ses pieds et le sol[114].
Les rationalistes ont essayé d'expliquer naturellement la lévitation constatée chez plusieurs saints par l'aspira­tion profonde de l'air dans les poumons; mais devant l'insuffisance manifeste de cette raison, ils ont dû recou­rir à une force psychique inconnue; ce qui est une explica­tion toute verbale.
L'explication traditionnelle et fort raisonnable est rap­portée par Benoît XIV (De beatificat., l. III, ch. XLIX). Il demande d'abord que le fait soit bien constaté pour évi­ter toute supercherie. Puis il montre : 1° que la lévitation bien constatée ne peut s'expliquer naturellement étant donnée la loi de la pesanteur ; 2° qu'elle ne dépasse pas cependant les forces de l'ange et du démon, qui peuvent soulever les corps ; 3° qu'il faut dès lors bien examiner les circonstances physiques, morales et religieuses du fait pour voir s'il n'y a pas là une intervention diaboli­que ; et que lorsque les circonstances sont favorables on peut et on doit y voir une intervention divine ou angéli­que, qui accorde au corps des saints une anticipation du don d'agilité qui convient aux corps glorieux.



Effluves lumineux

Les extatiques présentent parfois des phénomènes lumineux, leur corps est environné de lumière, et en par­ticulier le front. Benoît XIV examine ce fait comme celui de la lévitation (cf., op. cit., l. IV, Ire p., ch. XXVI, nn. 8-­30). Il faut, comme il le remarque, s'assurer si le phéno­mène ne peut s'expliquer naturellement : à quel moment du jour ou de la nuit il se produit; si la lumière est plus brillante que toute autre; si le phénomène se prolonge un temps notable et se renouvelle plusieurs fois. Il faut être aussi particulièrement attentif aux circonstances morales et religieuses ; si le fait se produit au cours d'une prédication, d'une prière, pendant une extase ; s'il en résulte des effets de grâce, des conversions durables, etc. ; si la personne d'où vient ce rayonnement est vertueuse et sainte. Si toutes ces conditions attentivement exami­nées se réalisent, on peut voir en ce fait exceptionnel comme une anticipation de la clarté des corps glo­rieux[115].



Effluves odoriférants

Du corps des saints se dégagent aussi parfois des par­fums pendant leur vie ou après leur mort. Les fidèles y ont toujours vu un signe de la bonne odeur des vertus qu'ils ont pratiquées. Ce fait fut constaté souvent, en par­ticulier les stigmates de saint François d'Assise répan­daient une suave odeur; quand sainte Thérèse mourut, l'eau avec laquelle on lava son corps demeura parfumée.
Quand on ouvrit le tombeau de saint Dominique, long­temps après sa mort, son corps, parfaitement conservé, exhalait une odeur céleste.
Pour s'assurer du caractère surnaturel du fait, il faut voir si l'odeur suave est persistante, si rien auprès du corps ne peut l'expliquer naturellement, si quelques effets de grâce résultent de ce phénomène exceptionnel (cf. Benoît XIV, op. cit., 1. IV, Ire p., ch. XXXI, nn. 19-28).



Abstinence prolongée

Enfin il y a des saints, surtout parmi les stigmatisés, qui ont vécu pendant des mois et même pendant des années sans prendre d'autre nourriture que la sainte Eucharistie.
On cite en particulier sainte Catherine de Sienne, sainte Lidwine, la Bse Catherine de Racconigi, la Bse An­gèle de Foligno, le Bx Nicolas de Flüe.
Benoît XIV, op. cit., l. IV, Ire p., ch. XXVII, dit à ce sujet qu'il faut examiner d'abord le fait avec beaucoup d'atten­tion, pendant un temps notable et par une surveillance de tous les instants, en ayant recours à des témoins nom­breux et habiles à découvrir la supercherie. Il faut voir si l'abstinence est totale et s'étend aux aliments liquides comme à la nourriture solide, si elle est durable et si la personne continue de se livrer à ses occupations. En de telles conditions le fait ne peut s'expliquer naturellement.
Il faut en dire autant de l'absence très prolongée de sommeil, comme on a pu la constater par exemple dans la vie de saint Pierre d'Alcantara, dans celle de saint Domi­nique et de sainte Catherine de Ricci.



Dans ces divers phénomènes exceptionnels, après mûr examen du fait lui-même, de ses circonstances physiques, morales et religieuses, ont voit que le corps, loin d'appe­santir l'âme, comme il arrive trop souvent, devient l'ins­trument de l'âme dont il laisse transparaître la beauté spi­rituelle, la lumière infuse et l'amour ardent. Ces signes extérieurs nous sont donnés de temps à autre pour nous montrer, de façon même sensible, que la vie chrétienne parfaite est le prélude de l'éternelle vie.
Ces phénomènes exceptionnels examinés superficiel­lement sont comme un vitrail d'église vu du dehors, on ne peut encore saisir leur signification et leur portée ; mais, examinés d'une façon plus attentive à la double lumière de la droite raison et de la foi, ils ressemblent à un vitrail d'église vu du dedans sous sa vraie lumière ; on peut alors en apprécier toute la beauté. C'est ce que nous voyons en particulier en nous pénétrant de la litur­gie de la fête des stigmates de saint François d'Assise et de celle des stigmates de sainte Catherine de Sienne. Les oraisons de la messe et de l'office de ces deux fêtes sont d'une rare splendeur, comme celles de la messe de la transverbération de sainte Thérèse.
Pour allumer au cœur des fidèles l'amour de Jésus en Croix, Paul V étendit à l'Église universelle la fête des stig­mates de saint François d'Assise (17 septembre), dont l'oraison est la suivante :
« Oremus. Domine Jesu Christe, qui frigescente mundo, ad inflammandum corda nostra tui amoris igne, in carne beatissimi Francisci passionis tuae sacra stigmata renovasti : concede propitius ; ut ejus meritis et pre­cibus crucem jugiter feramus et dignos fructus poeniten­tiae faciamus. Qui vivis, etc. »
« Seigneur Jésus, qui alors que la charité se refroidis­sait dans le monde, pour embraser nos cœurs du feu de votre amour, avez renouvelé les sacrés stigmates de votre Passion dans la chair du Bx François, accordez-nous, dans votre bonté, que par ses mérites et ses prières, nous portions continuellement la croix et que nous fas­sions de dignes fruits de pénitence. Vous qui vivez, etc. »
On voit en ces oraisons le grand réalisme de l'Église, qui unit à la plus haute élévation de pensée la pratique effective de toutes les vertus[116].




CHAPITRE V - Différences entre ces faits divins extraordinaires et les phénomènes morbides

Les faits extraordinaires dont nous venons de parler, notamment la stigmatisation, la lévitation, etc., qui accompagnent parfois l'extase sont si bien constatés que les positivistes ne peuvent nier leur existence, mais ils s'efforcent de les assimiler à certains phénomènes morbi­des provenant de psycho-névroses, surtout de l'hystérie.
Il est sûr que les saints sont sujets, comme les autres hommes, à la maladie ; mais il s'agit de savoir si, malgré leurs maladies, ils sont, au point de vue mental, sains et bien équilibrés[117].
Nous noterons ici, comme bien des psychologues et des théologiens l'ont déjà fait, les différences : 1° du côté du sujet; 2° du côté des phénomènes; 3° du côté des effets. Et après ces remarques générales, nous indiquerons par quelque exemple comment procéder à l'examen de cer­tains faits particuliers.



Différences du côté du sujet

Les malades atteints de psycho-névroses sont des désé­quilibrés au point de vue mental, tandis que les vrais mystiques et extatiques manifestent un parfait équilibre moral.
Le Dr E. Régis[118] caractérise ainsi la mentalité des hystériques :
« Beaucoup d'hystériques ont un état mental à part, facile­ment reconnaissable. Dès le jeune âge, les futures hystériques - car nous parlons surtout ici des hystériques du sexe féminin - se font remarquer par des caractères particuliers. Ce sont, pour la plupart, des jeunes filles d'une grande vivacité intel­lectuelle, précoces à l'excès, impressionnables, coquettes, cher­chant à fixer sur elles l'attention, habiles à feindre et à mentir, sujettes, en outre, aux terreurs nocturnes, aux rêves, aux cauchemars. L'hystérie une fois établie, l'état mental et moral de ses tributaires se caractérise principalement du côté de l'intelli­gence par une mobilité excessive, qui fait que les malades n'ont aucun esprit de suite, aucune idée arrêtée;... elles sont absolu­ment hors d'état de mener à bien une chose sérieuse. Avec cela une tendance très manifeste à la contradiction, à la controverse, aux idées paradoxales... comme aussi à l'imitation, à la sugges­tion, à l'auto-suggestion. Moralement, l'état est le même : carac­tère bizarre, capricieux, fantasque, mobile à l'excès ;... dupli­cité, mensonge, habileté à simuler, à tromper, à inventer ; propension brusque et intempestive aux actes les plus pervers, comme aux actions de bravoure et d'éclat les plus méritoires; besoin constant de se donner en spectacle, etc. » Puis viennent les idées fixes subconscientes, les hallucinations même en dehors de tout délire proprement dit, les attaques avec délire, enfin la dégénérescence et la folie.

On voit que le déséquilibre mental s'accentue de plus en plus, l'intelligence dirige de moins en moins la con­duite, la mémoire se désagrège parfois au point que le malade croit avoir deux personnalités ; bientôt il ne reste plus dans l'esprit qu'un petit nombre d'idées fixes; de là un certain monoïdéisme voisin de la folie.
Avec la diminution de l'intelligence, on constate celle de la volonté, les émotions prennent le dessus, peu à peu la personnalité disparaît, le caprice domine[119].
On constate, au contraire, chez les vrais mystiques et extatiques, que leur intelligence s'agrandit par leur con­naissance de Dieu, des perfections divines, des dogmes de foi, comme aussi par la connaissance profonde d'eux-mêmes; ils disent qu'en quelques instants de contempla­tion il leur arrive d'apprendre plus de choses que par la lecture de tous les livres sur la vie intérieure ; en ces moments ils reçoivent une lumière supérieure qui leur fait entrevoir comme une synthèse supérieure de tout ce qu'ils connaissaient déjà, et une synthèse vivante, lumi­neuse, qui suscite l'élan de la volonté et leur fait entre­prendre et réaliser de grandes choses avec un esprit de suite admirable, malgré d'incroyables difficultés. C'est ce que l'on remarque, par exemple, dans la vie d'une sainte Catherine de Sienne ou d'une sainte Thérèse.
Avec cela, ces vrais mystiques sont humbles, charita­bles, soumis à la volonté divine au milieu même de grandes épreuves. On voit en eux la connexion et l'har­monie des vertus même les plus différentes, et au-dessus de tout un amour de Dieu et du prochain et une sagesse qui leur donnent une paix, une sérénité admirable. C'est à proprement parler l'inverse de l'agitation passionnée et de l'inconstance des hystériques. On le voit par le travail fourni par eux pour mener à bien une entreprise difficile; on le voit aussi par leur persévérance dans le bien, par l'amour constant de la vérité uni à la réserve et à l'humi­lité.



Différences du côté des phénomènes

Il n'y a pas moins de différence entre la véritable extase et ce qu'on a appelé l'extase hystérique. Il suffit d'avoir assisté une ou deux fois à cette dernière dans les hôpitaux pour voir qu'il n'y a entre les deux absolument aucune ressemblance.
Dans les attaques d'hystérie, comme le dit le Dr E. Régis[120], il y a un délire de rêve, à caractère nettement hallucinatoire ou à caractère de souvenirs ou de récits monologués. Au fond, il s'agit d'un même délire, mais répondant à des degrés différents de profondeur de rêve. - La première phase de la crise ressemble à une légère attaque d'épilepsie, mais s'en distingue par la sen­sation d'une boule qui monte à la gorge, c'est une impression d'étouffement qui provient du gonflement de la gorge. - La seconde phase consiste en des gestes désordonnés, des contorsions de tout le corps, notam­ment en arc de cercle. - La troisième est celle des attitudes passionnelles de frayeur, de jalousie, de lubricité en rapport avec l'image obsédante. - La crise finit par des accès de pleurs ou de rires, c'est la détente; et au sortir de ces crises les sujets sont littéralement épuisés.
Bref, il y a différentes phases épileptoïde, clownique, plastique et passionnelle (dite extase hystérique), et la fin de la crise dans l'épuisement du corps, l'hébétement, l'ef­fondrement de tout l'être.
Dans la véritable extase, au contraire, il n'y a point de convulsions, d'agitation violente, d'attitudes passionnel­les, de frayeur, de jalousie, etc.; c'est le calme, le ravis­sement d'une âme profondément unie à Dieu par un de ces recueillements passifs que Dieu seul peut donner et qui dépasse considérablement celui qui procède de notre effort personnel de concentration. Il n'y a absolument aucun rapport entre l'extase dite hystérique et celle, par exemple, de Bernadette au moment des apparitions de Lourdes. Ici il n'y a aucune excitation morbide, pas d'a­gitation étrange, de délectation toute physique suivie de dépression. C'est le mouvement de tout l'être, âme et corps, vers l'objet divin apparu dans l'imagination ou l'intelligence. La fin de l'extase est le retour à l'état natu­rel d'une façon calme, avec le simple regret de la dispa­rition de la vision céleste et de la joie toute spirituelle qu'elle donnait. Sainte Thérèse note même, en son Auto­biographie, ch. XVIII et XX, que cet état, qui devrait affaiblir le corps, lui donne au contraire de nouvelles forces.



Différences du côté des effets

Elles sont de plus en plus marquées. Chez les hystéri­ques, lorsque les crises se multiplient, le déséquilibre augmente et avec lui la dissimulation, le mensonge, l'a­brutissement, la lascivité, finalement la sensibilité capri­cieuse domine tout à fait l'intelligence et la volonté. S'il y a monoïdéisme, c'est par désorganisation, par désagré­gation de la personnalité et confusion mentale qui con­duit à la folie.
Chez les vrais mystiques et les extatiques, il y a au contraire un développement croissant de l'intelligence des choses divines, de celles de la vie intérieure, de la vie de l'Église, de tout ce qui touche au salut ou à la perte des âmes, et un accroissement constant d'amour de Dieu et de dévouement au prochain, comme le montrent les œuvres qu'ils entreprennent et que souvent ils mènent à bonne fin, à tel point que les fondations qu'on leur doit durent des siècles.
Saint François d'Assise, le stigmatisé de l'Alverne, fonde au XIIIe siècle un Ordre religieux qui aujourd'hui encore est des plus nombreux. Saint Thomas d'Aquin, pendant ses extases, dictait des chapitres entiers sur le mystère de la Sainte Trinité et voyait d'en haut toute la synthèse de la science théologique.
Sainte Catherine de Sienne, morte à trente-deux ans, et qui pendant longtemps ne savait ni lire ni écrire, joua un rôle des plus importants dans les affaires du temps, et en particulier dans le retour des Papes à Rome.
Sainte Thérèse, avant de mourir, avait fondé, malgré de nombreuses oppositions, seize couvents de femmes et quatorze d'hommes.
S'il y a chez les hystériques monoïdéisme par appau­vrissement, par exemple l'idée fixe du suicide, chez les vrais mystiques il y a une grande idée qui se subordonne toutes les autres en une harmonie parfaite, la pensée de Dieu, de son immense bonté pour nous et la conviction profonde et rayonnante que nous devons répondre à son amour.
Ce n'est pas la désorganisation des éléments de la per­sonnalité; c'est leur parfaite subordination selon l'ordre même de la charité : Dieu aimé par-dessus tout, puis les âmes à sauver. C'est pourquoi, même au point de vue humain, comme l'ont reconnu plusieurs psychologues incroyants, les saints sont de grands organisateurs. Bien que M. de Montmorand n'ait point la foi, il écrit à ce sujet, dans son livre Psychologie des mystiques, 1920, pp. 20-21 : « Les vrais mystiques sont gens de pratique et d'action, non de raisonnement et de théorie. Ils ont le sens de l'organisation, le don du commandement et se révèlent très bien doués pour les affaires. Les œuvres qu'ils fondent sont viables et durables; ils font preuve, dans la conception et la conduite de leurs entreprises, de prudence et de hardiesse et de cette juste appréciation des possibilités qui caractérise le bon sens. Et de fait, le bon sens parait être leur maîtresse pièce : un bon sens que ne trouble aucune exaltation maladive, aucune ima­gination désordonnée, et auquel s'ajoute la plus rare puissance de pénétration. » C'est ce que nous voyons chez saint Paul, saint Augustin, saint Bernard, saint Dominique, saint François d'Assise, saint Thomas d'Aquin, saint Bonaventure, sainte Thérèse, saint François d'Assise et tant d'autres. Voir H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion, 1932, pp. 228, 235, 256.



Examen de quelques faits particuliers

On constate parfois, dans la vie des mystiques et exta­tiques, tel ou tel fait qui pourrait suggérer l'hypothèse de l'hystérie. Nous donnerons un exemple de cécité que nous avons particulièrement étudié. On sait que la cécité fonctionnelle et même la paralysie temporaire se trou­vent parfois dans l'hystérie et peuvent durer même en dehors de la crise et assez longtemps.
Dans la Vie de Sœur Marie de Jésus-Crucifié, carmé­lite arabe, écrite par le P. Estrate (2e éd., 1816, p. 18), il est dit que la servante de Dieu, en sa jeunesse, en Orient, fut atteinte d'une cécité qui dura quarante jours, qu'elle recouvra la vue instantanément après une prière à la Sainte Vierge, et qu'elle sentit à ce moment quelque chose qui lui tombait des yeux. Dans une autre Vie de la même carmélite, écrite par le P. Buzy (6e mille, 1927), pp. 29 sq., le fait est rapporté de la même façon.
Cette cécité de quarante jours est-elle un signe de l'hys­térie chez cette carmélite qui eut de fréquentes extases accompagnées de lévitation ?
Pour répondre à cette question et à toute autre du même genre, il faut d'abord examiner les qualités physi­ques et morales du sujet. Dans le cas, le tempérament de la servante de Dieu était un tempérament sain et même fort; sa corpulence et le travail incessant qu'elle donnait ne permettait pas de la classer parmi les névropathes ni parmi les psychopathes. On ne remarqua en elle aucune maladie fonctionnelle. De plus, il n'y a jamais eu chez elle les signes de l'hystérie caractérisée, ni les prodromes, ni les crises avec phases épileptoïde, clownique, plas­tique, passionnelle, ni le délire suivi de l'épuisement du corps. Au lieu de trouver chez elle l'inconstance, le men­songe, on voit la persévérance dans le bien, l'amour de la vérité, la pureté, la réserve et l'humilité.
Le fait de cette cécité de quarante jours serait-il attri­buable, cependant, à l'hystérie ? Est-il un symptôme de cette maladie ?
Nous ferons à ce sujet plusieurs remarques, applicables à plusieurs faits semblables.
1° La nature de l'hystérie n'est pas encore bien con­nue; les uns y voient une névrose, les autres une psy­chose, d'autres les deux à la fois, à tel point que le pro­fesseur Lassègue, de l'Académie de Médecine de Paris, disait, comme le rapportait l'Ami du Clergé (1914, p. 82) : « La définition de l'hystérie n'a jamais été donnée, et il est possible qu'elle ne le sera jamais... C'est une corbeille dans laquelle on jette les papiers qu'on ne sait où clas­ser. » Cette maladie, n'étant pas encore assez définie, n'a pas encore de symptômes à proprement parler différen­tiels, comme l'est par exemple le bacille de Koch pour la tuberculose.
Ce qui paraît fixé, c'est le cadre de la crise hystérique avec ses prodromes et les diverses phases de la crise; la cécité s'y trouve quelquefois, pas toujours : elle n'est donc pas, parmi les signes de cette maladie cités d'habi­tude, un symptôme principal.
2° De plus, la cécité ne s'est produite qu'une seule fois dans la vie de la servante de Dieu dont nous parlons.
3° On ne trouve en elle aucun des symptômes particu­liers du cadre hystérique, aucun des prodromes, aucune des phases de la crise. Dans le cadre de ces symptômes, la cécité aurait contribué à prouver quelque chose; sans eux elle ne prouve pas.
4° Par contre, le cadre particulier de Sœur Marie de Jésus-Crucifié concorde suffisamment avec celui de l'ex­tase mystique décrite par sainte Thérèse.
3° Les personnes les moins favorables à cette servante de Dieu n'ont jamais dit qu'elle fût hystérique; un méde­cin qui, à Pau, avait soupçonné cette maladie, et qui chercha à s'en assurer, fut un jour témoin de son état extraordinaire et reconnut que c'était l'extase.
Toutes ces remarques montrent que la cécité momen­tanée dont nous parlons n'était pas d'origine hystérique.
6° Une confirmation se trouve dans les motifs qui incli­nent à penser que ce fut une maladie organique. C'était en effet en Orient, où les aveugles sont notablement plus nombreux qu'ailleurs à cause du vif éclat du soleil, de la blancheur de la terre, des poussières calcaires portées par le vent, à cause aussi de la fraîcheur des nuits et du som­meil sur les terrasses, à cause enfin du manque d'hygiène, des mouches et autres insectes (cf. Dict. de la Bible, art. « Aveugles », col. 1289).
7° Une dernière raison se trouve en ce fait, non négli­geable, rapporté par les deux biographes susdits de la servante de Dieu, c'est qu'au moment de la guérison de cette cécité « elle sentit que quelque chose tombait de ses yeux ». C'est la même remarque qui est faite par ceux qui sont guéris d'une cécité organique due à l'albugo, bien connue en pathologie, c'est-à-dire à la tache jaunâ­tre qui se forme entre les lames de la cornée, en plusieurs inflammations du globe oculaire ou de telle de ses par­ties.
Ces différentes raisons portent à penser qu'il y a eu là une cécité organique et non pas fonctionnelle, ni par suite hystérique.
On peut examiner de la même manière les faits parti­culiers plus ou moins semblables à celui-ci, en considé­rant d'abord les qualités du sujet et les particularités du fait lui-même, pour voir s'il est ou non en relation avec tel ou tel autre symptôme de l'hystérie ou de quelque autre psycho-névrose[121].
Le directeur pourra et parfois devra s'éclairer auprès d'un médecin compétent. L'examen attentif, bien conduit au double point de vue médical et spirituel, donnera sou­vent une certitude morale, surtout s'il s'accompagne de prières, d'un grand désintéressement, d'une parfaite pureté d'intention dans la recherche de la vérité.





NOTE

Dans les « Journées de psychologie religieuse » d'Avon-Fon­tainebleau (21-22 sept. 1938), dont les rapports sont réunis dans les Études Carmélitaines d'octobre 1938, on a posé la ques­tion : « Dans quelle mesure la sainteté et la haute vie mystique sont elles compatibles avec les troubles pathologiques ? » Le P. Bruno organisateur de ces Journées, a cru pouvoir résumer le résultat d'ensemble en cette proposition : « Théologiens et méde­cins consultés croient possible la concomitance de la vie mystique normale et de certains états psychopathologiques extradémentiels; toutefois, il semble que des anomalies défini­tives et incrustantes ne soient pas compatibles avec une éléva­tion mystique régulière. » D'accord avec le P. de Guibert et le P. de Tonquédec, nous admettons avec diverses nuances cette proposition. Pendant les mêmes Journées, le Dr Achille Delmas, qui admet aussi la possibilité d'une haute vie intérieure dans les moments lucides pour un cyclothymique comme le P. Surin, a déclaré que pourtant la vraie hystérie ne lui paraît pas com­patible avec une grande hauteur de vie morale. cela constituerait une véritable énigme (cf. Études Carmélitaines. oct. 1938, pp. 188 ss., 235-339).
On lira avec profit sur ces questions l'article du Dr Biot : Quelques notions élémentaires sur les maladies nerveuses et men­tales, dans L'Ami du Clergé, 1939, pp. 17-27[122].




CHAPITRE VI - Les phénomènes diaboliques[123]

Les persécutions du démon comprennent tout ce qu'on peut avoir à souffrir de lui : les tentations, l'obsession, la possession. Il faut à ce sujet rappeler d'abord le principe théologique qui éclaire ces problèmes : l'action du démon ne dépasse point la partie sensible de l'âme et ne peut s'exercer immédiatement sur l'intelligence, ni sur la volonté.
Saint Thomas dit en substance[124] : « Comme tout agent agit pour une fin qui lui est proportionnée, l'ordre ou la subordination des agents correspond à l'ordre des fins ; or Dieu seul a pu ordonner notre intelligence au vrai universel et notre volonté au bien universel, finalement à Lui-même, Souverain Bien; donc Lui seul peut agir immédiatement sur notre intelligence et notre volonté, selon leur inclination naturelle, qui vient de Lui, et qu'il conserve. » Solus Deus illabitur in anima.
Mais, avec la permission de Dieu, le démon peut nous attaquer en agissant sur notre imagination, sur notre sensibilité, sur les objets extérieurs et sur notre corps pour nous porter au mal[125].
Souvent il se borne à la tentation, par manière de sug­gestion et de mouvements plus ou moins impétueux; mais son action va quelquefois jusqu'à l'obsession et même en quelques cas jusqu'à la possession.
Il faut se garder ici de deux excès : attribuer au démon ce qui provient de la triple concupiscence ou de certains états morbides, ou au contraire ne vouloir admettre en aucun cas son intervention, malgré ce que nous en dit l'Écriture et la Tradition.
Nous résumerons ici l'enseignement traditionnel sur l'obsession et la possession.



De l'obsession

L'obsession est une suite de tentations plus violentes et plus prolongées que les tentations ordinaires. Il est rare que le démon n'agisse que sur les sens extérieurs ; il provoque le plus souvent par l'imagination de vives impressions de la sensibilité pour troubler l'âme.
Il arrive qu'il agisse sur la vue par des apparitions repoussantes ou au contraire séduisantes[126]; sur l'ouïe, en faisant du tapage[127] ou en faisant entendre des paro­les blasphématoires ou obscènes[128]; sur le toucher, en infligeant des coups ou par des embrassements de nature à porter au mal[129]. Il est des cas où ces apparitions ne sont pas corporelles, mais imaginaires ou produites, comme l'hallucination, par surexcitation nerveuse.
L'action directe du démon sur l'imagination, la mémoire, les passions, peut produire des images obsédantes, qui persistent malgré des efforts énergiques et qui portent à la colère, à de très vives antipathies ou à des tendresses dangereuses, ou encore au découragement avec angoisse.
Ceux que l'ennemi du bien persécute ainsi éprouvent parfois que leur imagination est comme liée par des ténè­bres épaisses, et ils sentent sur leur cœur une pesanteur qui les oppresse. C'est une impuissance toute différente de celle qui provient de l'action divine qui, en donnant la contemplation infuse, rend plus ou moins impraticable la méditation discursive. L'ennemi de Dieu jaloux d'imi­ter l'action divine cherche à faire dévier l'effet de celle-ci, de telle sorte que, dans les purifications passives, l'âme se trouve parfois entre l'action spéciale de Dieu qui la porte à une vie spirituelle plus dégagée des sens et une action inverse qui frappe d'impuissance à sa manière pour faire dévier l'effet de l'action divine et porter à tout confondre.
Si les tentations dont nous venons de parler sont sou­daines, violentes et persistantes, et qu'aucune maladie ne les explique, on peut y voir une influence spéciale du démon.
L'obsession peut être si forte qu'elle mérite le nom de siège diabolique. Comme le dit Scaramelli[130], « dans le siège diabolique, le démon se tient auprès de la personne qu'il assiège comme un capitaine se tient auprès d'une place qu'il serre de près avec ses troupes ; mais il n'a aucun pouvoir stable et permanent sur le corps de la per­sonne obsédée (ce qui n'arrive que dans la possession) et, le temps de la purification terminé, le démon, sans exorcismes, sans injonction, lève lui-même le siège et s'en va ».
A quel signe peut-on reconnaître que l'obsession se rapporte à la purification passive des sens ? - Il faut voir si la personne obsédée travaille sérieusement à sa per­fection, en particulier si elle est humble, obéissante, cha­ritable et s'il y a les trois signes de la nuit des sens indi­qués par saint Jean de la Croix. Il arrive, au contraire, que des personnes astucieuses, très fines, cherchent, pour des motifs intéressés, à se faire passer pour des victimes du démon, de façon surtout à excuser les fautes extérieures par trop compromettantes qu'elles commettent.
A, l'égard des personnes obsédées, le directeur doit être prudent et bon ; il ne doit pas croire trop vite à une véritable obsession ; il doit rappeler d'abord comment il faut résister à la tentation, en montrant qu'elle est une occasion d'acquérir de grands mérites par une réaction salutaire, très ferme, parfois héroïque et en nous tenant dans l'humilité. Il doit rappeler que les principaux remè­des sont la prière humble et confiante, le recours à la Vierge immaculée, à saint Michel, à notre ange gardien, l'usage confiant des sacrements et des sacramentaux, le mépris du démon, qui peut bien aboyer, mais qui ne peut mordre que ceux qui s'approchent de lui.
Le directeur doit rappeler aussi, si dans la violence de la tentation des désordres se produisent sans aucun con­sentement, qu'il n'y a pas là de péché. Dans le cas de doute, il jugera qu'il n'y a pas de faute grave quand il s'agit d'une personne qui est habituellement bien dis­posée.
S'il voit que l'obsession fait partie de la purification passive des sens ou de l'esprit, il donnera les conseils appropriés que nous avons rappelés plus haut à ce sujet[131].
Enfin si l'obsession diabolique est moralement certaine ou très probable, on peut employer, d'une façon privée, les exorcismes prescrits par le Rituel romain ou des for­mules abrégées. Pour éviter de troubler la personne ou de l'exalter, il vaut généralement mieux ne pas la préve­nir qu'on va prononcer sur elle les paroles de l'exor­cisme privé, il suffit de lui dire qu'on va réciter sur elle une prière approuvée par l'Église.



De la possession

Qu'est-ce que la possession ? Par la possession, le démon demeure réellement dans le corps du patient, au lieu seulement de faire sentir son action du dehors, comme dans l'obsession. De plus, en agissant ainsi du dedans, non seulement il empêche le libre usage des fa­cultés de l'homme, mais il parle et agit lui-même par les organes du possédé, sans que celui-ci puisse l'empêcher, et même généralement sans que celui-ci s'en aperçoive.
Quand on dit que le démon demeure dans le corps de la personne, ce n'est pas comme l'âme même qui informe le corps, mais comme un moteur qui, par le corps, agit sur l'âme; il agit directement sur les membres du corps, leur fait exécuter toutes sortes de mouvements, et il agit indirectement sur les facultés dans la mesure où elles dépendent du corps pour leurs opérations.
On distingue dans les possédés l'état de crise, avec con­torsions, éclats de rage, paroles blasphématoires et l'état de calme. Pendant la crise, le patient perd généralement, ce semble, le sentiment de ce qui se passe en lui, car ensuite il ne conserve aucun souvenir de ce que le démon a, dit-on, fait par lui. Cependant, il y a exceptionnellement des possédés qui gardent conscience de ce qui se passe en eux pendant la crise; ce fut, semble-t-il, le cas du P. Surin, qui, en exorcisant les ursulines de Loudun, devint lui-même possédé ou au moins obsédé. Il disait : « Il me reste alors très peu d'actions où je sois libre.[132] »
Dans l'état de calme, on dirait que le démon s'est retiré, bien qu'il reste encore parfois des infirmités chroniques que les médecins ne parviennent pas à guérir.
Généralement, la possession est plutôt une punition qu'une épreuve purifiante. Cependant, il y a des excep­tions, comme dans le cas du P. Surin, dans celui de la Bse Eustochium de Padoue, béatifiée par Clément XIII, le 22 mars 1760[133], dans celui de Marie des Vallées, fille spi­rituelle de saint Jean Eudes[134]. Il faut aussi citer le cas plus récent de Sœur Marie de Jésus-Crucifié, carmélite arabe, morte en odeur de sainteté à Bethléem, en 1878, et dont la cause de béatification est introduite. Elle fut deux fois victime de la possession ou au moins d'une très forte obsession, d'abord au Carmel de Pau, puis à celui de Mangalore[135]. Il y a eu d'autres cas semblables, où la possession était un phénomène concomitant de la puri­fication passive des sens ou celle de l'esprit, chez des âmes qui se sont offertes en victimes pour les pécheurs.



Quels sont les signes de la véritable possession ?
Il faut être bien attentif pour la distinguer de certains cas de monomanie et d'aliénation mentale qui lui ressem­blent. D'après le Rituel romain (De exorcizandis obses­sis a dœmonio), il y a trois signes principaux : « Parler une langue inconnue en faisant usage de plusieurs mots de cette langue ou comprendre celui qui la parle ; décou­vrir les choses éloignées et occultes ; manifester une force qui dépasse les forces naturelles du sujet vu son âge et son état. Ces signes et autres semblables, lorsqu'ils se trouvent réunis en grand nombre, sont les plus forts indices de la possession. » Ils sont particulièrement frap­pants, par exemple si une personne qui ignore à la fois le latin et la théologie ou n'en connaît que les rudiments parle en un latin correct et même élégant des problèmes les plus difficiles de la théologie, comme celui de la gra­tuité de la prédestination[136]. On cite sans doute des cas d'exaltation morbide réveillant dans la mémoire des lan­gues oubliées ou des fragments entendus, mais le Rituel demande ici beaucoup plus, nous venons de le voir. Comme phénomène préternaturel qui accompagne la possession, il y a parfois la lévitation, qui se présente avec des circonstances telles qu'on ne puisse l'attribuer à Dieu ni aux bons anges, mais qu'on doive l'attribuer au démon, comme il arriva, selon une tradition, pour Simon le magicien, qui, dit-on, fut élevé en l'air et tomba.

Un autre indice de la possession se trouve en ceci qu'au contact d'un objet saint ou à la récitation de certaines prières liturgiques, la personne qu'on croit possédée entre en fureur et blasphème horriblement. C'est plus significatif lorsque ceci se fait à l'insu de la personne, de telle sorte que la réaction ne soit pas produite par elle, par son mauvais vouloir ou pour simuler la possession.
On a remarqué, à propos de ces signes, que dans la grande hystérie il y a des phénomènes analogues[137]. Analogue, oui, mais non pas spécifiquement semblables, jusqu'à disserter en une langue inconnue et de façon savante sur des problèmes que le sujet ne connaît point, comme la prédestination ou l'efficacité de la grâce. De plus, le démon peut produire soit des maladies nerveuses, soit des phénomènes extérieurs analogues à ceux des névroses; il peut aussi se servir d'une maladie existante et mettre le malade dans un état d'exaspération.
Quels sont les remèdes contre la possession ? Comme l'indique le Rituel : 1° Il faut faire pénitence et purifier sa conscience par une bonne confession. 2° Communier le plus souvent possible, d'après les conseils d'un confes­seur prudent et éclairé. Plus on est pur et mortifié, moins le démon a prise sur nous, et la sainte communion met en nous l'Auteur de la grâce qui est le vainqueur de Satan. Cependant la sainte communion ne doit être donnée que dans les moments de calme. 3° Il faut implorer souvent la miséricorde de Dieu par la prière et par le jeûne. 4° On doit user avec grand esprit de foi des sacra­mentaux, en particulier du signe de la croix et de l'eau bénite[138]. Il faut recourir avec confiance à l'invocation du Saint Nom de Jésus, de son humilité, de son immense amour. 5° Enfin les exorcismes ont été institués pour la délivrance des possédés en vertu du pouvoir de chasser les démons que Jésus-Christ a laissé à l'Église. Mais l'exorcisme solennel ne peut être fait que par des prêtres choisis par l'évêque du lieu et avec l'autorisation spéciale de celui-ci.
Le Rituel donne aux exorcistes le conseil de se prépa­rer à cette fonction difficile par la prière, le jeûne et par une humble et sincère confession, afin que le démon ne puisse leur reprocher à eux-mêmes leurs fautes. De plus, l'exorcisme solennel ne doit se faire, généralement du moins, que dans une église ou chapelle. L'exorciste doit être accompagné de témoins graves et pieux, assez robustes pour maîtriser le patient s'il est nécessaire. Enfin l'exorciste doit procéder aux interrogations avec autorité, en écartant tout ce qui est inutile. Il somme le démon ou les démons de déclarer le motif de la possession et de dire quand elle cessera. Pour y obliger l'ennemi de Dieu, il faut redoubler les adjurations qui semblent l'irriter davantage, les invocations des Saints Noms de Jésus et de Marie. Si l'esprit malin fait des réponses mordantes et risibles, il faut lui imposer silence avec autorité et dignité. Les témoins doivent être peu nom­breux, ils ne doivent pas faire de questions, mais prier silencieusement. Il faut continuer les exorcismes plu­sieurs heures et même plusieurs jours, avec des interval­les de répit, jusqu'à la délivrance qui doit être suivie des prières d'action de grâces.
Bien des auteurs remarquent que les exorcismes ne sont pas toujours efficaces contre l'obsession ; ils ne déli­vrent pas complètement d'une obsession qui fait partie des purifications passives, car Dieu la permet pour un temps connu de lui, en vue des grands avantages que l'âme doit retirer de cette épreuve.



Un exemple frappant

Après avoir particulièrement étudié les vexations diabo­liques que dut subir Sœur Marie de Jésus-Crucifié au Car­mel de Pau, en 1868, puis à celui de Mangalore, en 1871, non seulement d'après la Vie écrite par le P. Estrate et celle plus courte composé par le P. Buzy, mais aussi d'après les témoignages recueillis par ses directeurs et ses supérieures, nous sommes convaincus qu'il y a eu là, à deux reprises, une possession ou au moins une forte obsession qui a enlevé à la servante de Dieu la responsabilité de certains actes extérieurs (courte sortie de la clôture, qui n'était pas encore canoniquement établie) et de certaines paroles contraires à l'humilité et à l'obéis­sance, vertus qu'elle a héroïquement pratiquées, même en ces périodes obscures, dès qu'elle retrouvait l'usage de ses facultés[139].
Nous pensons qu'il y a eu dans ce cas non une puni­tion, mais une épreuve et un très grand mérite. Comme le montre le P. Estrate, qui fut un des directeurs de cette vaillante carmélite[140], elle supporta ces vexations diaboliques avec une patience héroïque, un très grand esprit de foi, une confiance en Dieu admirable, un ardent amour de Dieu et des âmes; elle répondait des heures entières à toutes les suggestions du démon, tant qu'elle conservait la liberté de ses mouvements et l'usage de la parole. Le démon eut la permission de l'attaquer cent fois au Carmel de Pau, et il chercha par tous les moyens à lui faire pousser une plainte ; « toujours vaincu, il demanda au Maître de ne plus continuer la lutte. Jésus l'obligea à poursuivre ». La servante de Dieu ne cessait de répondre à ses assauts par des paroles comme cel­les-ci : « J'offre mes souffrances pour les ennemis de Jésus, afin qu'ils l'aiment comme saint Jean. » Le démon était forcé de dire : « Savez-vous pourquoi la petite Arabe parle ainsi ? Pourquoi elle est forte ? Parce qu'elle marche à la suite du Maître. » Finalement au bout de quarante jours elle fut délivrée[141].
On voit dans cet exemple une des plus grandes épreu­ves qui puisse accompagner les purifications passives des sens ou de l'esprit. On saisit sur le vif la vérité de ce que dit à ce sujet saint Jean de la Croix, Nuit obscure, l. II, ch. XXIII : « Il s'agit d'une guerre ouverte entre deux esprits... Dieu, selon la mesure ou le mode, par lesquels il attire une âme, donne licence au démon et le laisse agir contre elle de semblable manière » (c'est-à-dire si Dieu accorde à l'âme des faveurs extraordinaires, il per­met souvent au démon de combattre comme à armes égales, par des vexations extraordinaires)...« Quelquefois, continue saint Jean de la Croix, le démon terrifie l'âme, et aucun tourment de cette vie n'est comparable à celui-là. Cette communication d'horreur se fait d'esprit à esprit. » Tous les auteurs de théologie mystique par­lent de même, et il y a des faits semblables dans la vie de bien des saints canonisés.
L'exemple que nous venons de rapporter et d'autres plus ou moins semblables s'éclairent à la lumière de ce qu'enseigne saint Jean de la Croix dans le même ouvrage sur la nuit des sens et celle de l'esprit. Ce sont deux tunnels que doivent traverser les âmes généreuses appe­lées à une haute perfection, à la vraie sainteté. Si une âme sort du premier tunnel avec l'héroïcité des vertus, et si, à la sortie du second, l'héroïcité des vertus est plus manifeste encore, c'est un signe certain qu'elle n'a pas déraillé dans ces passages si obscurs et si difficiles, mais au contraire qu'elle y a gagné de très grands mérites ; ces épreuves sont plus particulièrement douloureuses pour les âmes qui ont une vocation réparatrice et qui doivent, à l'exemple de Notre-Seigneur, souffrir pour le salut des pécheurs.
Il se peut qu'en ces nuits obscures si pénibles, il y ait parfois quelque faute, même grave, comme il arriva à l'apôtre saint Pierre pendant la nuit obscure de la Passion du Sauveur; mais si, comme lui, l'âme éprouvée se relève aussitôt avec un profond repentir, elle reçoit une augmentation notable de grâce et de charité, et elle con­tinue son ascension là mème où elle avait trébuché un instant. « Sic pœnitens quandoque resurgit in majori gratia », dit saint Thomas, IIIa, q. 89, a. 2[142].
Il suit de là que ces périodes obscures dans la vie des serviteurs de Dieu, loin d'être un obstacle à leur béatifi­cation, montrent au contraire davantage l'héroïcité de leurs vertus. Ceux qui les ont traversées ont triomphé des plus difficiles épreuves que rencontrent ici-bas les saints, ceux surtout qui luttent plus directement contre le démon, ceux qui manifestent ainsi davantage la profon­deur du règne de Dieu dans les âmes qui lui sont pleine­ment soumises. Ainsi se réalisent parfois de façon extraordinaires les paroles de saint Paul (I Cor., I, 27) : « Ce que le monde tient pour insensé, c'est ce que Dieu à choisi pour confondre les forts ; et ce qui dans le monde est sans considération et sans puissance, ce qui n'est rien, Dieu l'a choisi pour réduire à néant ce qui est. »




NOTE

Comme il est dit dans le Dict. Théol. Cath., art. « Possession » col. 2643 : « En nos civilisations occidentales, on serait porté à dire que le diable a plutôt intérêt à dissimuler son action. Ne tient-il pas les hommes d'autant mieux que ceux-ci l'ignorent ou le nient ? » Mais, comme le remarque le P. L. de Grandmaison (Jésus-Christ, t. II, pp. 349-354) : « Dans les régions où l'É­vangile pénètre pour la première fois avec intensité, il se heurte encore, comme aux jours anciens, à une sorte de pouvoir occulte, usurpé mais établi, qui rappelle tout à fait, par ses résistances et ses manifestations, les convulsions des méchants démons en face de Jésus. Il n'y a guère de missionnaire en ces contrées qui ne s'y soit heurté. »
Pourquoi Dieu permet-il ces manifestations diaboliques ? Saint Bonaventure répond, In IIum Sent., dist. VIII, part. II, q. 1, art. unic. : « C'est soit en vue de manifester sa gloire (en con­traignant le démon, par la bouche du possédé à confesser par exemple la divinité du Christ), soit pour la punition du péché, soit pour la correction du pécheur, soit pour notre instruction. »
Pratiquement, il ne faut admettre la possession que sur preuves ou indices solides, et ici le directeur de conscience doit s'aider de l'avis d'un médecin expérimenté. On lit dans la Vie de saint Philippe de Néri, par le cardinal Capecelatro, t. I, p. 468 : « Quoique Philippe de Néri estimât que les personnes que l'on croit possédées du démon sont, pour la plupart, ou malades, ou mélancoliques, ou folles, néanmoins, jugeant vraiment possédée une certaine Catherine, noble dame d'Averser, il la délivra de ce terrible mal. »
Sur la tentation en général et ses causes, nous conseillons de lire les excellents articles du R. P. Masson, O. P., publiés dans La Vie Spirituelle, de 1923 à 1926 : I. La tentation en général, sa nature, son universalité, sa nécessité (1923, p. 108). - II. Ses sources : La chair, id., pp. 193, 333; le monde, p. 421; le démon, ibid., 1924, p. 270 (le tentateur, son œuvre, p. 384; son mode de suggestion, par ruse, par violence, son opiniâtreté ; les limi­tes de son pouvoir ; la résistance à la tentation). - III. Le pro­cessus de la tentation (ibid., 1926, p. 493). - IV. Fin de la tenta­tion (ibid., 1926, p. 644) du côté du démon, du côté de Dieu pourquoi permet-il les tentations ? Justice et miséricorde.




Notes

  1. Nous utilisons en ces derniers chapitres ce que nous avons déjà écrit sur ces questions dans ne livre antérieur paru en 1923, Perfection chrétienne et contemplation, t. II, pp. 536-561. C’est du reste un simple résumé de ce que dit saint Jean de la Croix sur les grâces proprement extraordinaires, et les études que nous avons faites depuis 1923 n’ont fait que confirmer ce que nous disions alors sur ce sujet.
  2. Il ne s’agit pas ici de la foi vertu théologale, puisque celle-ci est commune à tous les chrétiens; il s’agit d’une certitude et sécurité spé­ciale que Dieu accorde à ceux qui doivent transmettre aux autres la parole divine avec une conviction que rien n’ébranle. Cette foi, gratis data, est donnée à de grands prédicateurs et aussi à des théologiens. Les Salmanticenses disent, De Fide, disp. I, dub. IV, n° 113 : « Praedicta fides confertur ut in plurimum Dortoribus Ecclesiae circa articulos fidei calholicae. »
  3. I Cor., XIII, 3.
  4. Ia IIae, q. 111, a. 5.
  5. Ia IIae, q. 111, a. 4.
  6. Cf. IIa IIae, q. 174, a. 1, ad 3.
  7. Cf. IIa IIae, q. 173, a. 2, ad 1.
  8. Ibid, ad 2.
  9. Ibid, c.
  10. IIa IIae, q. 174, a. 1, ad 3.
  11. IIa IIae, q. 174, a. 1, ad 3.
  12. Cf. S. Thomas, de Veritate, q. 13, a. 3 : « Cum totaliter anima inten­dat ad actum unius potentiae, abstrahitur homo ab actu alterius poten­tiae. » Le mathématicien très absorbé par ses calculs, comme Archimède, n’entend plus ce qu’on lui dit, ou ne voit plus ce qu’il a sous les yeux. A plus forte raison la contemplation infuse intense peut produire cet effet. Cf. IIa IIae, q. 174, a. 3, c., sur l‘extase partielle ou totale. Ni l’une, ni l’autre, d’ailleurs, n’est nécessaire à la prophétie, ni à la contemplation infuse; cf. ibidem.
  13. IIa IIae, q. 175, a. 1, et a. 2, ad 1 : « Raptus addit aliquid supra extasim... scil. violentiam quamdam. »
  14. Cf. IIIa, q. 10.
  15. La Montée du Carmel, l. II, ch. I à VIII.
  16. Ibid., ch. VIII à XXII
  17. Ibid., ch. XXIII à XXV.
  18. Ibid., ch. XXVI à XXIX.
  19. Ibid., ch. IX, fin.
  20. IIa IIae, q. 171, 172, 174.
  21. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXX.
  22. Cf. Etudes Carmélitaines, oct. 1938 : Visions et révélations chez sainteThérèse, par le P. Gabriel de Sainte-Madeleine, pp. 190-200. (Dévelop­pement progressif. - Classification. - Rôle des visions chez sainte Thérèse. - Sécurité des visions de sainte Thérèse. - Conclusion.) -­L’auteur montre que dans le Château intérieur (VIes Demeures, ch. II) les locutions spirituelles sont un des moyens dont Dieu se sert pour « réveiller » l’âme et la préparer aux fiançailles spirituelles. Plus tard elles éclairent la Sainte sur son rôle de fondatrice. - Quant aux visions de sainte Thérèse, elles l’éclairent toujours plus sur les profondeurs des mystères de la Sainte Trinité présente en nous et de l’In­carnation rédemptrice. Chez elle, ces visions sont d’abord purement intellectuelles, puis parfois une « frange » imaginative s’y ajoute. L’imagination y a un rôle secondaire et réduit. C’est un cas privilégié, et les cas privilégiés sont rares.
  23. Cf. M.-J. CONGAR, O. P., « La crédibilité des révélations privées (La Vie Spirituelle, 1er oct. 1937, supp, pp. [29]- [49]) : « Commel’autorité ecclésias­tique est une autorité proprement paternelle et familiale - car l’Eglise ne nous gouverne pas seulement, elle nous engendre au Christ - c’est finalement sous l’inlluence de la piété filiale que nous adhérons, d’une foi humaine impérée par l’obéissance, à ce que l’Eglise nous dit de formel et de positif dans quelques cas très rares de révélations privées ». (ibid., p. 48)
  24. Cf. Bened. XIV, De Servorum Dei beatificatione, l. III, c. ult., n° 12 - C. de Lugo, S. J., De fide, disp. I, sect. II.
  25. Telle est l’opinion du cardinal Gotti, O. P., Theol. schol. dogm., t. I, tract. 9, q. 1, dub. 3, § 2. I l faut remarquer à ce sujet que sainte Jeanne d’Arc, lorsqu’on voulait lui faire nier sa divine mission, disait qu’elle devait y croire comme au mystère de la Rédemption et elle en appela plusieurs fois au Pape, juge suprème de ces choses.
  26. Les Carmes de Salamanque (De Fide, disp. 1, dub. IV, n° 104 et 111) citent en faveur de cette opinion saint Thomas et ses principaux interprètes. Ils remarquent aussi que plusieurs de ces révélations portent sur des choses temporelles, par exemple la date prochaine de la fin d’une guerre, choses qui n’ont pas un lien suffisant avec l’objet premier de la foi théologale pour être crues de foi divine.
    Cependant plusieurs de ces théologiens admettent que l’adhésion à une révélation privée certaine, chez celui qui la reçoit, peut procéder soit de la lumière prophétique, soit de la foi qui est mentionnée parmi les grâces gratis datae, I Cor., XII.
  27. BENEDICT. XIV, op. cit., l. II, ch. XXXII, n° 11.
  28. Cf. Décret d’Urbain VIII, du 13 mars 1625, confirmé par Clé­ment IX, le 23 mai 1668.
  29. Cf. S. Thomas, IIa IIae, q. 173, a. ?, c.
  30. Cf. Card. Bona, De discretione spirituum, ch. XX.
  31. Château intérieur, VI° Demeure, ch. III.
  32. Cf. SAINT JEAN DE LA CROIX, Montée du Carmel, l. II, ch. XVII, XVIII.
  33. Traité de la vie spirituelle, ch. XIII.
  34. La Montée du Carmel, l. II,ch. X.
  35. Ibidem.
  36. Ibid., ch. XV.
  37. Ibidem.
  38. Ibid., ch. XIX, XXV.
  39. Ibid., ch. XVII, XX. Sous la loi ancienne il en était autrement, car la plénitude de la révélation n’était pas encore donnée.
  40. Par exemple pour les convertir; ainsi le jeune israélite Alphonse Ratisbonne, âgé de 20 ans, et encore fort loin de l’Eglise catholique, reçut, en visitant à Rome comme un curieux l’église de Saint-Andrea delle Frate, une vision de la Très Sainte Vierge qui fut l’origine de sa conversion.
  41. La Montée du Carmel, l. II, ch. XIX.
  42. Ibid., l. III, ch. IX et XII.
  43. Ibid., l. II, ch. XX.
  44. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXVII.
  45. Ia IIae, q. 111, a. 4.
  46. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXIII.
  47. Ibid.
  48. Ibid.
  49. Ibidem, ch. XXV, fin.
  50. Cf. S. Thomas, Ia, q. 51, a. 2, c.
  51. Château intérieur, VI° Demeure, ch. IX. Cependant, il ne faudrait donner ces signes de respect que sous condition, si l’on pensait que le démon veut ainsi se faire adorer sous la figure du Christ.
  52. Cf. La Montée du Carmel, l. II, ch. XVI.
  53. Sainte Thérèse, VI° Demeure, ch. IX.
  54. S. Thomas, IIa IIae, q. 173, a. 3.
  55. Sainte Thérèse, VI° Demeure, ch. IX.
  56. S. Thomas, De veritate, q. 12, a. 12, c.
  57. Sainte Thérèse, Autobiographie, ch. XXIX.
  58. La Montée du Carmel, l. II, ch. XVI, XVII. S. Thérèse, VI° Dem., ch. IX.
  59. La Montée du Carmel, l. II, ch. VIII.
  60. Cf. S. Thomas, IIa IIae, q. 173, a. 2, ad 2; De Veritate, q. 12, a. 12.
  61. Autobiographie, ch. XXVI
  62. VI° Demeure, ch. X, et La Montée du Carmel, l. II, ch. XXII, XXIV.
  63. VI° Demeure, ch. X.
  64. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXIV.
  65. Ibidem.
  66. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXIV.
  67. Cf. Phillippe de la Sainte Trinité (Theol. myst. Proœm., a. 8; Scamarelli, Dir. myst., tr. II, ch. XXII, n° 258; Meynard, O.P., La Vie infé­rieure, t. II, n° 270­.
  68. Cantique spirituel, str. 22, 2° rédaction, trad. Hoornaert, 2° éd., p. 141.
  69. Sainte Thérèse, Autobiographie, ch. XXV.
  70. Ibid.
  71. Ibid.
  72. Ibid.
  73. Sainte Thérèse, Autobiographie, ch. XXV. - S. Thomas, Ia IIae, q. 111, a.. 1, 3, et q. 114 ; Ia IIae, q. 80, a. 1, 2, 3.
  74. Cf. S. Thomas, Ia, q. 107, a. 1. Commentaire de Cajetan..
  75. Autobiographie, ch. XXVII.
  76. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXVI à XXIX.
  77. Ibid., ch. XXVII.
  78. Ibid., ch. XXVII.
  79. Ibid.
  80. Ibid.
  81. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXVIII.
  82. Ibid.
  83. Cf. S. Thomas, Ia, q. 111, a. 1 et 3; q. 114, a. 1, 2, 3, 4; Ia IIae, q. 80, a. 1, 2, 3. - Cf. Card. Bona De Discretione Spirituum, ch. XVII.
  84. La Montée, l. II, ch. XXVIII.
  85. SAINT JEAN DE LA CROIX, Vive Flamme d’amour, Iere str, vers 1.
  86. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXX.
  87. Ibid.
  88. Ibid
  89. Cf. S. Thomas, Ia, q. 8, a. 1, 2, 3; q. 43, a. 3; q. 104, a. 1 et 2; q. 105, a. 3 et 4.
  90. Ia IIa, q. 110, a. 3 et 4.
  91. Ia IIa, q. 9, a. 4; q. 10, a. 1, 2, 4.
  92. Cf. S. Thomas, Ia IIa, , qs .I3. a. 8, et De Veritate, q. 28, . a. 3.
  93. Institutio spiritualis, ch. XII.
  94. S. Thomas, Ia IIa, q. 10, a. 2.
  95. La Montée de Carmel, l. II, ch. XXX. - WALLGORNERA, Theol. myst. S. Thomae, q. 3, disp. 5, a. 9, n° 1, 3, 4.
  96. S. Thomas, Ia, q. 54, a. 1 ; Utrum intelligere angeli sit sua substantia cf. ibid. a. 2, 3 ; q. 77, a. 1 et 2.­
  97. La Montée du Carmel, l. II, ch. XXX. - Item, Nuit obscure, l. II, ch. XXIII, et Vive Flamme, 2° str., vers 3.
  98. Le fond de l’âme est appelé aussi parfois la cime de l’esprit, lorsqu’on considère les choses sensibles, non pas seulement comme extérieures à l’âme, mais comme très inférieures à elle.
  99. Dans la Montée du Carmel, l. II, ch. XXIV, il est dit des « touches qui sont si vives et si hautes qu’elles pénètrent la substance de l’âme » ; « Elles ont une saveur de vie éternelle. Pour les autres perceptions, nous avons dit que l’âme doit s’en abstraire, mais ce devoir cesse devant celles-ci puisqu’elles sont des manifestations de cette union à laquelle nous nous effor­çons de conduire l’âme. Tout ce que nous avons enseigné au sujet du dépouil­lement a cette union pour but. »
  100. Ce sont les rapports qui ont été lus et discutés pendant les jour­nées d’études des 17, 18 et 19 avril 1936, au couvent des Carmes d’A­von-Fontainebleau.
  101. Études Carmélitaines, octobre 1936, p. 71.
  102. Ibidem, p. 90.
  103. Ibidem, p. 158.
  104. Messager du Sacré-Cœur, mai 1937, pp. 286-296 : « A propos d’un congrès sur la stigmatisation. »
  105. Art. cit., pp. 291 sq.
  106. An contraire, la plus petite lésion naturelle sur un autre point du corps amène de la suppuration, même chez les stigmatisés. Il faut remarquer aussi que les stigmates persistent parfois pendant trente et quarante ans.
  107. Ou encore le vendredi.
  108. Voir le cas de la bienheureuse Gemma Galgani et celui de sainte Véro­nique Guiliani, étudiés dans les Etudes Carmélitaines, octobre 1936, pp. 196-204. Voir aussi, Vie de Sœur Marie de Jésus-Crucifié, par le P. Estrate, 2° éd., Gabalda, Paris, 1916, pp. 36-42; et pour plus de détails : La vie merveilleuse de Sœur Marie de Jésus-Crucifié, en 3 vol., Carmel de Pau, p. 6. On y trouve un témoignage frappant de l’ancienne maîtresse des novices qui l’assistait pendant les souffrances de la stigmatisation : « Ses mains étaient inondées de sang, et j’examinai soigneusement pour voir d’où il était venu, mais il n’y avait pas de trace de blessures ni d’égratignure. Je pris alors une compresse pour lui laver le front et tout en le faisant, je disais intérieurement : « Seigneur, je vous en en prie, faites-moi voir d’où vient ce sang, pour que je puisse rendre « témoignage de cette enfant ! » Et à l’instant même se forma sous ma main, un peu au-dessus du sourcil droit, un trou qui semblait être fait par une grosse épine. De ce trou jaillissait des flots de sang. Je conti­nuai à imbiber le sang avec la compresse, mais je remarquai que les bords de ce trou ne cédaient pas comme ceux d’une plaie ordinaire, et puis, soudain, elle se ferma ou plutôt disparut, laissant la peau lisse, sans la moindre apparence de lésion... La seule Toute-Puissance de Dieu pouvait en quelques instants blesser et guérir sans en laisser la moindre trace. » A la page précédente, il est dit que « ses pieds aussi rendirent du sang. L’ampoule disparaissait et un trou se formait qui perçait jusqu’à l’autre côté ». Il se cicatrisait ensuite subitement.
  109. Cf. saint Thomas, Ia IIae, q. 7, a. 3.
  110. Château intérieur, VIe Demeure, ch. II.
  111. Vive flamme d’amour, 2° str., vers 2.
  112. Voir aussi. sur la blessure d’amour, Saint Jean de la Croix, Vie flamme, 2° str., vers 1, et dans les Études Carmélitaines, oct. 1936, p. 208, un article du P. Gabriel de Sainte-Madeleine, C. D, L’École thérésienne et les blessures d’amour mystique.
  113. Ces rayons, ajouterons-nous, sont apparus dans une vision soit ima­ginaire, soit corporelle, et ils manifestent l’action divine qui produit ces blessures du corps. - Sur la comparaison de ces faits avec les phénomènes morbides et les manifestations diaboliques, voir ici les deux chapitres suivants.
  114. Tout le monde connaît les promesses de la malade de Pierre Janet, Madeleine, d’être élevée en l’air comme la Sainte Vierge le jour de l’Assomption; il n’y a jamais eu le moindre résultat. Le Dr Pierre Janet parle longuement de ce cas dans son ouvrage : De l’angoisse à l’extase, Paris, 1936 (sentiment de lévitation, I, 98, 146, 147).
    On n’a jamais constaté la lévitation à la Salpétrière.
  115. Voir à ce sujet, Ribet, La Mystique, II° p., ch. XXIX.
  116. Sur la stigmatisation, voir dans le Dictionnaire Apologétique de la Foi catholique, l’article Stigmates de saint François, et les principales vies de saint François d’Assise, celles aussi de sainte Catherine de Sienne, et les bollandistes. - Voir aussi O. Leroy, La lévitation, Paris, 1932; La splendeur corporelle des saints, dans La Vie Spirituelle, supplément, oct., déc. 1935, janvier 1936; La multiplication miraculeuse des biens, ibid., août 1937, avril 1938.
  117. Voir à ce sujet les études du Dr Pierre Janet, L’automatisme psychologique, 10° éd., 1930, II° p., ch. III-IV. De l’angoisse à l’extase, 1926. La médecine psychologique, 1928. L’ouvrage du Dr E. RÉGIS, Précis de psychiatrie, 6° éd., 1923, en particulier sur l’hystérie, pp. 954-966; et celui du P. Robert de Sinéty, S. J., Psychopathologie et direction, 1934. P. A. POULAIN, S. J., Des grâces d’oraison, 10° éd., 1922, III° p., ch. XVIII et IV° p., ch. XXI. Mgr Aug. SAUDREAU, L’État mystique, sa nature et ses phases, 2° éd., 1921, ch. XVII. Voir aussi La Vie Spirituelle (suppl.), juin 1935, un article de G. Rabeau : « Théologie mystique et psychiatrie », et un autre du Dr H. Ey : « La notion de psychopathologique dans ses rapports avec les problèmes mystiques. » J. DE TONQUEDEC, S. J., Anor­maux (sanctification des), dans Dict. de spiritualité, t. I, col. 678-689, et articles du Dr Biot sur Les maladies nerveuses et mentales, dans Ami du clergé, 1939, n° 2, p. 17-27.
  118. Op. cit., p. 955.
  119. Cf. Janet, L’automatisme psychologique, II° p., ch. III-IV
  120. Op. cit., p. 930.
  121. Il faut remarquer aussi, comme le note le Dr Régis, op. cit., p. 697-699 (États psychopathiques par hyperfonction thyroïdienne), que des maladies comme celle de Basedow ont des symptômes qui rappel­lent ceux de l’hystérie; mais « lorsque les troubles psychiques sur­viennent par crises correspondant aux poussées basedowiennes, le diagnostic ne saurait être douteux », ibidem.
    Voir dans le même ouvrage, pp. 700 ss., l’article sur les auto-intoxi­cations endocriniennes.
  122. Après avoir distingué les maladies organiques du système nerveux des maladies nerveuses, il divise celles-ci en névroses, psychonévroses et psychoses.
    Les névroses qui atteignent le système nerveux au point de vue fonctionnel sont l’épilepsie, la maladie de Basedow et les maladies des glandes endocrines, la neurasthénie, dont l’un des symptômes est l’as­thénie, perte notable des forces.
    Les psychonévroses comprennent l’hyperémotivité, avec sa manifesta­tion : l’anxiété; la psychasthénie, qui se manifeste par l’obsession, le scrupule; la mythomanie des faux extatiques, faux visionnaires, faux stigmatisés.
    Les psychose, qui affectent proprement l’activité mentale, ont diverses formes : mélancolie, manie, cyclothymie (manies ou mélancolies revenant par cycle), hallucinations, délire, qui manifestent la désagréga­tion de la personnalité, tandis que l’unité par subordination et coordi­nation des idées, des sentiments et des vouloirs, est le signe de la santé mentale.
  123. Cf. Ribet, Mystique divine, t. III, ch. X; A. Poulain, Des Grâces d’oraison, 10° éd., ch. XXIV, 7-8, 59-89; A. Sauddreau, L’État mystique, 2° éd., 1921, ch. XXII-XXIII. - Dictionnaire Apologétique, et Dict. Théol. cath., art. « Possession »; J. de Tonquédec, S. J., Les maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques, Paris, 1938.
  124. Ia, q. 105, a. 4. - Item, IIa IIae, q. 109, a. 6.
  125. Cf. S. Thomas, Ia IIae, q. 80 : « de causa peccati ex parte diaboli » ; et Ia, q. 114 : « de impugnatione daemonum ».
  126. Cf. A. Ppoulain, op. cit., ch. XXIV, n. 94.
  127. A. Monnin, Le Curé d’Ars, l. III, ch. II.
  128. Bollandistes : Bse Marguerite de Cortone, 22 février, t. VI, p. 370.
  129. A. Poulain, op. cit., loc. cit.
  130. Direttorio mistico, tr. V, c. 7, n° 76.
  131. IIIe Partie, ch. V : « Comment se conduire dans la nuit des sens ». et IVe Partie, ch. V : « Conduite à tenir dans la purification passive de l’esprit. »
  132. Lettre au P. d’Attichy (1635), cf. Lettres spirituelles du P. Jean-Joseph Surin, Toulouse, 1926, t. I, pp. 126, sq.
  133. Vita della B. Eustochio, par P.-G. Cordara, S. J., Roma, 1769­
  134. Cf. .Saint Jean Eudes, par le P. E. Georges, eudiste, Paris, Lethielleux, 1936, pp. 278-315. On lit, ibidem, p. 291, que Marie des Vallées disait au démon : « Est-ce là tout ce que tu peux faire ? Tu n’a pas grande force... Garde-toi bien d’omettre la moindre des peines que Dieu te permet de me faire endurer... Mais prends bien garde à ce que tu feras ! Tu es un lion, et je ne suis qu’une misérable fourmi Quand le lion vaincrait la fourmi, on se moquerait de lui de s’être armé pour combattre une si faible et si chétive bête. Mais si la fourmi surmonte le lion, comme elle le fera assurément, parce qu’elle est fortifiée de la grâce de Dieu, la confusion en demeurera éternellement sur le lion. N’es-tu donc pas bien insensé de faire ce que tu fais ? Fi, fi de la bête à dix cornes » (Manuscrit de Québec, l. I, ch. IV)
  135. Vie de Sœur Marie de Jésus-Cruifié, par le P. Estrate, 2° éd., Paris, 1916, pp. 85-147 et pp. 230-256.
  136. Nous connaissons un cas de ce genre par la relation écrite il y a un peu plus de trente ans par un Dominicain de nos amis, alors professeur de dogme au séminaire de Mossoul.
  137. Cf. Richer, Etudes cliniques sur la grande hystérie.
  138. Cf. Ste Thérèse, Autobiographie, ch. XXXI.
  139. Cf. Sa Vie, par le P. Estrate, 2° éd., pp. 231 ss., 249-255.
  140. Ibidem, pp. 106-124.
  141. Cf. Sa Vie, par le P. Estrate, 2° éd., pp. 106-124, et 230-256.
  142. Cf. P. J.-N. GROU, S. J., Maximes spirituelles (XXIIe maxime), éd. 1915, p. 233 : « Pour amener certaines âmes intérieures au sentiment de leur totale impuissance et à la dépendance parfaite de la grâce..., Dieu les humilie par les fautes dans lesquelles il permet qu’elles tombent, surtout lorsqu’il voit qu’elles comptent sur elles-mêmes... Ainsi une mère laisse faire à son enfant des chutes qui ne sont pas dangereuses, afin qu’il reconnaisse le besoin qu’il a d’elle et qu’il apprenne à ne pas la quitter. »