La Royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ (Cardinal Pie) 02

De Christ-Roi
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DEUXIÈME PARTIE : L'APOSTASIE DES NATIONS MODERNES ET SES CONSÉQUENCES

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SECTION I : L'APOSTASIE DES NATIONS MODERNES

CHAPITRE UNIQUE

L'attitude des nations en face de la Royauté du Christ dans le passé. - Cette Royauté reconnue. Dans le présent, sécularisation progressive de la société et apostasie des pouvoirs publics.


Cette Royauté sociale de Jésus est-elle acceptée par les nations et par les peuples ? Le Droit chrétien, qui est le code du règne social de N.-S., est-il la règle de conduite des sociétés humaines ? Mgr Pie jette d'abord un regard sur le passé et il constate que pendant de longs et beaux siècles, la royauté sociale de Jésus-Christ était reconnue par la famille des nations européennes : «Le droit chrétien, nous dit-il, a été pendant mille ans le droit général de l'Europe»[1] et il a été pour elle, en même temps que la source de tous les bienfaits, un principe de gloire incomparable, car, poursuit le grand évêque, nous ne craignons pas de l'affirmer, l'histoire à la main, les temps et les pays chrétiens ont vu plus de grands règnes, des règnes plus purs, plus saints que les temps d'Israël. Qu'on compare les livres des Juges, des Rois et des Machabées avec les annales des nations catholiques et qu'on dise si le désavantage est du côté qui offre ici les Charlemagne et les saint Louis, là les saint Henri d'Allemagne, les saint Étienne de Hongrie, les saint Wenceslas de Bohême, les saint Ferdinand de Castille, les saint Édouard d'Angleterre, enfin tant de princes et de princesses non moins illustres par l'éclat religieux de leur règne que par leurs grandes et royales qualités.»[2]

Et à l'objection sur les vices et les crimes de ces époques de foi, il répond ainsi : «Certes, cette société eut ses vices, et les hommes encore à demi barbares qui la composaient ne purent être tous transformés jusqu'à dépouiller leur première nature. Mais ce qu'on peut affirmer, c'est que tout ce qu'il y eut de nobles sentiments et de grandes actions à cette époque, et il y en eut beaucoup, fut le fruit des doctrines et des institutions, c'est que si le cœur humain resta faible par ses penchants, la société fut forte par sa constitution et ses croyances ; en un mot, c'est que le vice ne découla pas de la loi et que la vertu ne fut pas l'inconséquence et l'exception.»[3] Et encore : «Beaucoup de crimes, assurément, ont été commis alors comme aujourd'hui. L'humanité, depuis les jours de Caïn et Abel, a été et sera toujours divisée en deux camps. Parfois même les passions ont été plus violentes, plus énergiques en face des vertus plus fortes et de la sainteté plus éclatante. Mais personne de sensé ne le niera : tout ce qui subsiste aujourd'hui encore de vraie civilisation, de vraie liberté, de vraie égalité et fraternité a été le produit du christianisme européen ; l'affaiblissement du droit chrétien de l'Europe a été le signal de la décadence et de l'instabilité des pouvoirs humains ; enfin ce que I'œuvre d'ailleurs si négative et si désastreuse des révolutions modernes pourra laisser de bon et de salutaire après elle, aura été la réaction contre des excès et des abus que réprouvait le régime chrétien».[4]

Le passé, malgré ses vices et ses misères, reste donc la belle époque pour l'Europe. Jésus-Christ était alors reconnu et proclamé Roi des peuples et des nations.

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Et le présent ? «Le présent, c'est Jésus-Christ chassé de la société, c'est la sécularisation absolue des lois, de l'éducation, du régime administratif, des relations internationales et de toute l'économie sociale.»[5]

Étudiant la politique contemporaine, Mgr Pie constate qu'elle n'est qu'une vaste conspiration contre le droit chrétien.[6]

«Vers quel but, écrivait-il le 27 décembre 1862 au comte de Persigny, ministre de l'Intérieur, vers quel but le monde nouveau fait-il hautement profession de tendre, sinon vers une complète sécularisation, ce qui veut dire, dans le langage actuel, vers la rupture absolue entre la société «laïque» et le principe chrétien ? L'indépendance des institutions humaines par rapport à la doctrine révélée est préconisée comme la grande conquête et le fait culminant de l'ère moderne. Et comme notre siècle est hardi à tirer les conséquences, voici que l'alliance du pouvoir civil et de l'orthodoxie est spéculativement et pratiquement attaquée dans son dernier représentant et dans sa suprême personnification qui est le roi Pontife. La démolition radicale et raisonnée de ce qui reste de la chrétienté européenne : voilà le fait et la théorie qui se dressent en face de nous».[7]

L'évêque de Poitiers avait déjà, le 28 juillet 1859, dans une belle lettre au Pape Pie IX, formulé un jugement semblable. «Le gouvernement temporel du Vicaire de Jésus-Christ, écrivait-il au Souverain Pontife, est aujourd'hui l'asile à peu près unique de la politique orthodoxe. Quel triomphe pour l'enfer si cette dernière forteresse du droit public chrétien était forcée et renversée. Votre Sainteté, du sommet où Elle réside, l'a discerné mieux que personne : la crise actuelle est moins politique et internationale que religieuse et ecclésiastique. C'est un effort suprême de la Révolution et de l'enfer pour introduire les principes de 89 dans toute l'Italie et jusque dans les États de l'Église, afin que l'Église n'ait plus ni la pensée ni la possibilité de rétablir les principes du Droit chrétien dans les sociétés civiles».[8]

Quelle profondeur de vue et quelle saine appréciation des tendances du monde moderne ! Comme les faits ont donné raison à Mgr Pie ! Aussi, quelques années plus tard il pouvait s'écrier : «L'erreur dominante, le crime capital de ce siècle, c'est la prétention de soustraire la société publique au gouvernement et à la loi de Dieu.»[9] Soulignons ces paroles : L'ERREUR DOMINANTE, LE CRIME CAPITAL, C’EST L'APOSTASIE DES NATIONS. Chassé des gouvernements, le droit chrétien se réfugie-t-il dans les individus ? Y est-il à l'état d'énergique aspiration, de sainte revendication ? «Hélas ! nous dit Mgr Pie, on veut bien de Jésus-Christ Rédempteur, de Jésus-Christ Sauveur, de Jésus-Christ Prêtre, c'est-à-dire sacrificateur et sanctificateur, mais de Jésus-Christ Roi on s'en épouvante, on y soupçonne quelqu'empiètement, quelqu'usurpation de puissance, quelque confusion d'attributions et de compétence».[10]

Telle est, d'après l'évêque de Poitiers, la situation lamentable du monde moderne, et pour son œil clairvoyant, il est évident que tous les maux qui affligent et menacent la société découlent de cet état d'apostasie générale. «Tous les périls et tous les maux d'une société découlent de ses erreurs et de ses crimes»[11] nous dit-il.

SECTION Il : CONSÉQUENCES DE CETTE APOSTASIE

Quelles sont donc, indiquées par le grand évêque, les conséquences funestes de l'erreur dominante et du crime capital des nations modernes ? Nous les trouvons ça et là éparses dans ses œuvres. Elles sont multiples. Distinguons celles qui regardent le salut des âmes et celles qui concernent l'existence, le développement, la prospérité de la société elle-même.

CHAPITRE I : CONSÉQUENCES POUR LES INDIVIDUS

Ruine des âmes. - Par la perte de la foi. - L'éloignement du prêtre. - L'infiltration profonde de l'enseignement irréligieux.

D'après Mgr Pie, le gouvernement qui a rejeté le droit public chrétien coopère à la damnation d'une multitude d'âmes. Cette affirmation étonne. Elle n'exprime pourtant que la réalité.

La société qui ne veut pas reconnaître Jésus-Christ Roi, fait perdre la foi aux âmes, les éloigne du prêtre, médiateur officiel du salut, et leur enseigne la doctrine funeste du naturalisme. C'est ce que nous allons essayer de démontrer, toujours guidé par la lumineuse doctrine du Cardinal Pie.

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Le gouvernement athée détruit la foi, parce que ne voulant pas reconnaître les droits de Jésus-Christ sur les sociétés, il nie par le fait même la divinité de Jésus-Christ et de l'Église. «Si Jésus-Christ, proclame Mgr Pie dans une magnifique instruction pastorale, si Jésus-Christ qui nous a illuminés, alors que nous étions assis dans les ténèbres et dans les ombres de la mort et qui a donné au monde le trésor de la vérité et de la grâce, n'a pas enrichi le monde, je dis même le monde social et politique, de biens meilleurs que ceux qu'il possédait au sein du paganisme, c'est que I'œuvre de Jésus-Christ n'est pas une œuvre divine. Il y a plus : si l'Évangile qui fait le salut des hommes est impuissant à procurer le véritable progrès des peuples, si la lumière révélée profitable aux individus est préjudiciable aux sociétés, si le sceptre du Christ, doux et bienfaisant aux âmes, peut-être même aux familles, est mauvais et inacceptable pour les cités et les empires ; en d'autres termes, si Jésus-Christ à qui les prophètes ont promis et à qui Son Père a donné les nations en héritage ne peut exercer sa puissance sur elles qu'à leur détriment et pour leur malheur temporel, il faut en conclure que Jésus-Christ n'est pas Dieu».[12]

Et ailleurs, avec beaucoup plus de concision : «Dire que Jésus-Christ est le Dieu des individus et des familles, et n'est pas le Dieu des peuples et des sociétés, c'est dire qu'il n'est pas Dieu. Dire que le christianisme est la loi de l'homme individuel et n'est pas la loi de l'homme collectif, c'est dire que le christianisme n'est pas divin. Dire que l'Église est juge de la morale privée et qu'elle n'a rien à voir à la morale publique et politique, c'est dire que l'Église n'est pas divine.»[13]

Peut-on prouver en termes plus clairs que l'athéisme social conduit à l'athéisme individuel ?

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Mais, observera-t-on, l'État laïque ne détruit pas la foi. Il laisse le croyant libre. Il affirme seulement que lui, gouverne- ment, ne reconnaît pas officiellement les droits de Jésus-Christ et de l'Église, et qu'il se maintient dans ce qu'il appelle «l'incompétence» et la «neutralité». Mgr Pie rejette avec dégoût cette neutralité que certains voudraient appeler honnête. Il la déclare «criminelle».[14] Tel est à ses yeux «l'horrible et déraisonnable système de l'indifférence des religions.»[15] Écoutons-le plutôt : «La loi n'est pas athée, a-t-on répondu, mais elle est incompétente. Eh quoi ! au XIXè siècle la société est incompétente à prononcer l'existence de Dieu ? Mais cette déclaration d'incompétence, qu'est-ce autre chose que l'athéisme de l'omission et de l'indifférence, à la place de l'athéisme d'affirmation et de principe».[16]

C'est précisément cet athéisme de l'omission et de l'indifférence, proclamé par le gouvernement, qui arrache la foi du coeur des masses populaires. «Beaucoup d'hommes, écrit l'évêque de Poitiers, beaucoup d'hommes, certainement conservateurs et même catholiques par leur intention et leur volonté, n'ont pas l'air de s'en douter, et la chose est cependant démontrée par l'ex- périence ; quand l'erreur est une fois incarnée dans les formules légales et dans les pratiques administratives, elle pénètre les esprits à des profondeurs d'où il devient comme impossible de l'extirper».[17]

Et ne constatons-nous pas, en effet, avec douleur un fléchissement, une baisse et la presque disparition de la foi, de puis que les gouvernements impies ou neutres sont au pouvoir ?

Il faut donc conclure avec Mgr Pie : "« L'acte de foi, qui est la racine même de la Religion, a été extirpé de la société européenne. Voilà le crime capital»."[18]

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La perte des âmes par l'incrédulité. Telle est la première conséquence de l'athéisme de l'État. Il faut y ajouter la perte des âmes occasionnée par l'opposition au sacerdoce catholique, opposition qui écarte des sources du salut une multitude d'âmes.

S'adressant à ses prêtres, l'évêque de Poitiers disait : «Si peu flatteuse que soit cette constatation, nous n'hésitons point à reconnaître qu'en effet le sacerdoce est devenu de nos jours l'objet d'une défiance plus générale et d'une défaveur plus obstinée qu'à aucune époque du passé. Jamais peut-être, l'opposition au prêtre n’avait été poussée si loin et n'avait été partagée par un si grand nombre d'esprits. Toute passion ardente et vivace a coutume de se trahir par un mot : le mot est désormais inauguré au vocabulaire de notre pays. La qualification la plus compromettante pour un citoyen, pour un homme public est celle de clérical. Crayonné sur le dossier du fonctionnaire, elle le frappe d'un discrédit notable et devient un obstacle sérieux à son avancement dans la carrière. Jetée aux passions de la rue, elle appelle sur la tête de celui qu'elle désigne, les dédains, les injures, et au moment donné, les fureurs de la passion populaire. Pourquoi nous le dissimuler ? Nous sommes antipathiques à la génération contemporaine, antipathiques à ce point que nous rendons humainement impossibles et les causes et les personnes pour lesquelles on nous soupçonne d'avoir de la préférence ou qu'on soupçonne d'être animées de bon vouloir envers nous».[19]

Ainsi, Mgr Pie le constate, le prêtre est antipathique et cette antipathie, qui amène nécessairement la défiance et l'éloignement, prive les âmes de la nourriture divine de la parole de Dieu et de la grâce dont le prêtre est le dispensateur. Les âmes alors se perdent.

Mais veut-on savoir quelle est pour le Cardinal Pie, la cause profonde et dernière de cette aversion pour le prêtre ? C'est l'horreur qu'éprouvent les gouvernements modernes pour la royauté sociale de Jésus-Christ et pour le droit public chrétien.

Mgr Pie en trouve la preuve dans l'aveu de nos adversaires eux-mêmes : «Par beaucoup de côtés, nous ne demandons qu'à vous être sympathiques, disent-ils aux prêtres. Mais la barrière insurmontable entre vous et nous, c'est la hauteur de votre mission, telle que vous vous obstinez à la comprendre. Que vous preniez soin de nos âmes, que vous nous prêchiez le devoir privé, nous y sommes consentants. Mais que, dans la sphère des choses publiques, vous opposiez vos dogmes à nos principes, que vous affirmiez les droits de Dieu en contradiction avec nos Droits de l'homme ; que vous parliez au nom du Ciel à propos des intérêts de la terre ; que vous fassiez du christianisme la règle des institutions et des lois humaines ; enfin qu'il vous appartienne de dire le dernier mot de l'orthodoxie sur les attributions de la science, de la liberté, de l'autorité : voilà ce que l'esprit moderne, esprit essentiellement laïque, ne vous concédera jamais. Là est le mur de séparation entre vous et nous.»[20]

Et ailleurs, reprenant la même pensée : «Disons-le hardiment, la révolution n'est si acharnée contre le prêtre que parce qu'elle a placé la souveraineté de l'homme et du peuple au-dessus de la souveraineté divine. De ce dogme fondamental découle tout ce qu'elle appelle du nom très élastique de principes modernes et c'est cette apothéose de l'humanité qui ne lui permet pas de souffrir qu’une autorité, même sacrée et circonscrite dans la sphère morale de la doctrine et de la conscience, ait la prétention de parler de plus haut que l'homme.»[21]

Ces textes sont clairs. Sans hésitation aucune, ils rejettent sur les pouvoirs athées ou neutres, issus de la Révolution, la responsabilité suprême de l'aversion de la société moderne pour le prêtre. Les pouvoirs ne veulent à aucun prix du règne social de Jésus-Christ et ils s'efforcent en mille manières d'éloigner du prêtre, prédicateur obligé du Droit social chrétien, la multitude de leurs subordonnés. En effet, ne voyons-nous pas dans nos églises, le vide immense laissé par les fonctionnaires de l'État et par tous ceux qui ont à attendre quelque faveur du gouvernement ? Que cet éloignement du prêtre soit la cause de la perte d'un grand nombre d'âmes, nous l'avons déjà montré.[22].

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Enfin, l'État qui a rejeté l'autorité sociale de Jésus-Christ, entraîne la ruine d'un très grand nombre d'âmes par l'enseignement de cette doctrine que l'évêque de Poitiers désigne sous le nom de naturalisme, doctrine qui fait abstraction de la Révélation et qui prétend que les seules forces de la raison et de la nature suffisent pour conduire l'homme et la société à sa perfection.

Le gouvernement athée n'est pas l'auteur du naturalisme puisque lui-même en est né,[23] mais il en est le propagateur le plus actif et le plus influent par l'enseignement officiel donné au nom de l'État. Le Cardinal Pie a surpris sur les lèvres de nos adversaires[24] l'aveu que l'apostasie de l'État a engendré l'école neutre : «Depuis que nous possédons la liberté de conscience (et c'est Mgr Pie qui les cite) cette précieuse conquête de notre Révolution, disent-ils, depuis l'abolition d'une religion dominante, les principes de la société ne permettent pas qu'une religion positive puisse aujourd'hui diriger l'éducation nationale.»[25]

Nous avons donc une éducation nationale en dehors de Jésus-Christ. Est-ce assez dire ? Mgr Pie, dans la force de sa logique, affirme clairement qu'une telle éducation est contre Jésus-Christ. Dans sa seconde instruction synodale il écrit : «Parce que Jésus-Christ a été constitué roi de toutes choses, parce que son empire ne connaît pas de frontières, parce que la raison et la nature sont précisément le domaine au centre duquel il entend établir le règne de la foi et de la grâce ; en un mot, parce que la philosophie (dont s'inspire l'enseignement de l'État) ne peut éliminer Jésus-Christ comme elle le voudrait, elle est conduite forcément à le nier, à le poursuivre, à le lapider».[26] L'évêque de Poitiers cependant constata plus d'une fois que les textes des lois sur l'enseignement ne formulaient pas ces ultimes conséquences, [27]mais le naturalisme de l'État dirigeant l'éducation nationale, les contenait dans ses principes. Le programme de l'enseignement neutre pleinement appliqué depuis 1880, était déjà élaboré du temps de Mgr Pie,[28] et l'enseignement supérieur donné par l'Université de l'État n'était qu'une leçon de naturalisme.[29]

Il serait trop long de relater ici tout ce que l'évêque de Poitiers a écrit contre ce naturalisme propagé et défendu par les écoles de l'État.[30] C'est la grande erreur qu'il n'a cessé un instant de combattre. Contentons-nous de signaler qu'il démontre avec une clarté et une vigueur incomparables, l'inanité pour le salut éternel de cette religion naturelle et de ces vertus naturelles, l'inanité de ce naturalisme, de cette prétendue religion supérieure de l'humanité, triste conséquence de l'athéisme d'État. Il consacre sa première et sa deuxième instruction synodale sur les erreurs du temps présent, à montrer que cette morale naturaliste, cette morale indépendante de Jésus-Christ et de l'Église, cette morale laïque comme on l'appelle aujourd'hui, «n'aboutit qu'à des vertus dont Bossuet dit que l'enfer est rempli»,[31] et saisi d'épouvante, il s'écrit : «la conséquence extrême et totale sera l'enfer».[32]

Il ajoute encore : «Le grand obstacle au salut de nos contemporains, le Concile du Vatican l'a signalé dès son ouverture et en tête de sa première constitution doctrinale. Oui, ce qui multiplie aujourd'hui la perte des âmes, disons le mot, ce qui peuple l'enfer plus qu'à d'autres époques, c'est ce système trop répandu, ce fléau trop général du rationalisme ou du naturalisme, lequel se mettant en opposition radicale et absolue avec la religion chrétienne, en tant qu'elle est une institution révélée, s'emploie de toutes ses forces à exclure le Christ, notre unique Maître et Sauveur, à l'exclure de l'esprit des hommes, ainsi que de la vie et des mœurs des peuples, pour établir ce qu'on nomme le règne de la pure raison ou de la pure nature. Or, là où le souffle du naturalisme a passé, la vie chrétienne a été tarie jusque dans sa source, détruite jusque dans ses fondements. C'est la stérilité complète dans l'ordre du salut.»[33]

Cette stérilité, qui a son châtiment dans l'éternité, est, en très grande partie, redisons-le, la conséquence logique de l'enseignement de l'État qui ne reconnaît plus Jésus-Christ et «qui donne aux blasphémateurs de Dieu et de Son Fils le mandat direct et officiel d'enseigner du haut des chaires publiques.»[34]

Un très grand nombre d'âmes égarées hors des voies du salut, telle est la plus terrible conséquence de la négation de la royauté sociale de Jésus-Christ.[35]

Avec le Cardinal Pie, nous avons vu que l'État par le fait même qu'il ne reconnaît pas officiellement le Divin Roi Jésus, détruit la foi dans les individus, les éloigne du prêtre et leur donne un enseignement qui n'aboutit qu'à la ruine définitive des âmes.


CHAPITRE Il : CONSÉQUENCES POUR LA SOCIÉTÉ

La grande loi du gouvernement divin : comme les nations font à Dieu, Dieu fait aux nations. Les fléaux, châtiment transitoire de l'apostasie nationale. - La décadence morale de la société, châtiment permanent de cette apostasie. Trois caractères principaux de cette décadence : l'injustice, le sensualisme égoïste et l'orgueil effréné.


Guidés toujours par le grand évêque de Poitiers, considérons maintenant les périls et les maux occasionnés à la société elle-même, par son refus de reconnaître les droits de Jésus-Christ sur elle.

Dieu a fait de la loi du talion la grande loi de l'histoire. C'est là un principe que nous rappelle constamment Mgr Pie : «la grande loi, nous dit-il, la loi ordinaire de la Providence dans le gouvernement des peuples, c'est la loi du talion. Comme les nations font à Dieu, Dieu fait aux nations.»[36]

La société moderne ignore Dieu, Jésus-Christ, l'Église. «Eh bien ! conclut-il, nous ne craignons pas de le dire : à un tel ordre de choses, partout où il existera, Dieu répondra par cette peine du talion qui est une des grandes lois du gouvernement de Sa Providence. Le pouvoir qui comme tel, ignore Dieu, sera comme tel ignoré de Dieu... Or, être ignoré de Dieu, c'est le comble du malheur, c'est l'abandon et le rejet le plus absolu.»[37] Et encore : œil pour œil, dent pour dent, quand il s'agit des nations qui ne doivent point revivre pour recevoir le châtiment dans l'autre monde, cette loi du talion finit toujours par s'accomplir sur la terre. Quiconque Me confessera devant les hommes, dit le Seigneur, Je lui rendrai témoignage pour témoignage, mais quiconque me reniera devant les hommes, Je le renierai à la face du ciel et de la terre.»[38]

Ainsi, pour Mgr Pie, Dieu use de très justes représailles contre la société rebelle à son Fils Roi.[39]

Quelles ont été et quelles sont encore ces représailles ? C'est ce que nous voulons chercher avec lui.

Ici, il faut limiter notre sujet et nous occuper spécialement de la France, car l'évêque de Poitiers a étudié tout particulièrement les conséquences terribles de l'apostasie de notre patrie et il nous a montré que cette grande nation, rejetant la royauté de Jésus-Christ, avait attiré sur elle les plus grands malheurs et introduit dans son organisme social tous les germes de la mort et de la décomposition.

Tous les fléaux qui se sont abattus sur nous depuis la grande Révolution, et tout particulièrement l'humiliante défaite de 1870, ont été la punition de cette apostasie. «Alors, constate-t-il, la fortune nous a surtout été contraire, parce que nous n'avons pas eu Dieu avec nous, et nous ne l'avons pas eu avec nous, parce que depuis longtemps, et dans les œuvres de la paix et dans les œuvres de la guerre, nous avions cessé d'être avec Lui, de travailler et de combattre pour lui.»[40]

Les fléaux, premières représailles de la justice divine, mais ils sont transitoires. A une apostasie qui devient permanente, Dieu veut répondre par un châtiment permanent. Ce châtiment, plus terrible que les fléaux, c'est la décadence morale de la société.

Avec les apologistes catholiques, Mgr Pie établit, par des arguments irrésistibles, que toute société qui rejette Dieu ne tarde pas à tomber dans la plus profonde décadence morale. Écoutons-le. C'est à la France qu'il s'adresse : «O France, plus de cinquante ans se sont écoulés depuis que le nom de Dieu est sorti pour la première fois de ta constitution. Or, je t'adjure aujourd'hui de montrer les fruits de ce demi-siècle d'expérience. Je prête l'oreille et j'entends un murmure confus qui éclate de toutes parts. O mon pays, je ne te juge point témérairement, puisque je te juge d'après tes propres paroles : Ex ore tuo te judico. Il n'y a plus de moralité, plus de justice ; tout s'en va, tout dépérit, tout est à refaire, la société a besoin d'une réforme générale ; tel est l'aveu qui s'échappe de tous les coins du pays. Voilà donc les résultats, voilà donc les progrès obtenus depuis que nous avons donné l'exclusion à Dieu.

« Il n'y a plus de moralité publique, plus de justice, dites-vous. Ces résultats vous étonnent ; il était facile de les prévoir. Est-ce qu'un sage du paganisme n'a pas dit qu'on bâtirait plus aisément une ville en l'air qu'une société sans Dieu ? Est-ce que l'orateur romain n'a pas dit qu'avec le respect de la divinité disparaît la bonne foi, la sûreté du commerce et la plus excellente de toutes les vertus, qui est la justice ? Est-ce que l'Esprit Saint n'a pas déclaré dans un langage plus énergique que partout où règnent les impies, les hommes n'ont à espérer que des ruines : Regnantibus impiis, ruinæ hominum !

«Vous ajoutez : tout s'en va, tout dépérit. Cela encore vous étonne ; il eût été facile de le prévoir... Car la législation qui fait profession de neutralité et d'abstention concernant l'existence de Dieu, sur quel fondement établira-t-elle sa propre autorité ? En me permettant de ne pas reconnaître Dieu, ne m'autorise-t-elle pas à la méconnaître elle-même ? Nous n'avons pas voulu, me dites-vous, mettre le dogme dans la loi. Et moi je vous réponds : Si le dogme de l'existence de Dieu ne se trouve plus dans la loi, la raison de la loi ne se trouve plus dans la loi, et la loi n'est qu'un mot, elle n'est qu'une chimère.»[41]

Dans ce tableau rapide de la décadence sociale que Mgr Pie vient de faire passer sous nos yeux, il nous a montré surtout la disparition de la bonne foi, de la sûreté du commerce, et le règne universel de l'injustice. L'absence de la justice, la plus excellente de toutes les vertus, comme il l'appelle, est en effet un des caractères les plus saillants de la décadence actuelle. Deux autres caractères complètent la physionomie morale de la société moderne : le sensualisme égoïste et l'orgueil effréné. L'évêque de Poitiers les a rigoureusement stigmatisés, et, chose remarquable, il a signalé l'apostasie nationale comme la cause principale de l'effroyable débordement de ces deux vices à notre époque.[42]

Sur le sensualisme égoïste de la société contemporaine, il faut lire la magnifique instruction pastorale de 1853.[43]

«Les sensuels et les égoïstes furent de tous les temps et de tous les lieux, remarque-t-il. Saint Paul s'affligeait devant le Calvaire encore fumant, qu'il y eût beaucoup d'ennemis de la croix ; et cette plainte, l'Église a dû la répéter pendant tout le cours des siècles. Toujours le bien a été mélangé de beaucoup de mal sur la terre... Mais aujourd'hui, plus qu'à aucune autre époque, les ennemis de la Croix de Jésus-Christ se sont multipliés. Il était facile de le prévoir. L'homme n'avait pas accompli une oeuvre abstraite en proclamant ses droits et en décrétant sa souveraine indépendance ; une apothéose purement métaphysique ne l'eût pas longtemps satisfait. C'est le propre de Dieu de s'aimer Soi-même, de rapporter tout à Soi. L'homme étant devenu à lui-même son Dieu, ne fut que conséquent en ramenant tout à lui-même comme à sa fin dernière. La morale et le culte devaient se constituer en harmonie avec le dogme, et le dogme de la déification de l'homme une fois admis, l'idolâtrie de soi devenait un culte rationnel et l’égoïsme était élevé à la dignité de religion. Et Mgr Pie signale les ravages de cette religion de l’égoïsme, de cette morale du «chacun pour soi, chacun chez soi». Ce n'est pas seulement le vice odieux de la gourmandise, aux excès duquel plusieurs savent se soustraire, ni même ces passions honteuses, que quelques-uns savent modérer jusqu'à un certain point, c'est surtout l'introduction dans la société de mœurs profanes et d'habitudes efféminées et voluptueuses. Aujourd'hui, dit-il, ce n'est plus le goût des grandes choses qui domine dans notre nation jadis si magnifique. Nous avons emprunté à un peuple séparé depuis trois cents ans de la croyance et aussi de la morale de l'Église, cet amour du luxe commode, cette recherche de l'aisance et du bien-être, disons le mot, puisque nous l'avons pris avec la chose, ce confortable qui énerve les caractères, qui dévore comme une plante parasite les force vitales de l'âme, qui rapetisse les intelligences et concentre tout entier dans les soins minutieux d'un ameublement de boudoir, dans les détails d'une parure, dans l'ordonnance de divertissements pleins de mollesse. Que sais-je ? Dans ces superfluités de bon ton, dans ces mille riens qui sont devenus une nécessité du temps présent. Et, tandis que chez nos pères, la splendeur et le faste n'étaient guère que pour les yeux du visiteur et de l'étranger, ou pour la satisfaction de l'hôte ou de l'ami, aujourd'hui, c'est vers l'idole du moi, c'est vers la destination intime et personnelle que convergent tous les perfectionnements du luxe et de l'élégance. »[44]

Tels sont pour notre société française les effets funestes de ce sensualisme égoïste, châtiment permanent de notre apostasie nationale.

Le sensualisme de nos contemporains est intimement lié à un autre vice plus dangereux encore pour la société. C'est l'orgueil effréné, la fièvre du pouvoir et des honneurs, l'ambition des charges publiques, ce qu'un auteur a appelé avec raison «la plus funeste et la plus dangereuse épidémie qui puisse s'abattre sur un peuple.»[45]

Écoutons toujours Mgr Pie : «La plus grande impossibilité du moment, ce qui rend le monde ingouvernable, c'est que la souveraineté de Dieu étant méconnue, chacun veut désormais être souverain dans la sphère qu'il occupe. Le mal de la France, ce n'est pas précisément la méchanceté, la perversité des caractères, non, il y a dans cette noble race, un fond inamissible de bonté, de douceur, de modération. Mais on veut être le premier, et pour le devenir, on se fait violent, perturbateur ; à un jour dit, on se ferait cruel. Combien ne connaissons-nous pas d'hommes remplis de toutes sortes de bonnes qualités, mais toujours agresseurs ! Que faudrait-il pour les satisfaire ? Il ne leur manque qu'une chose, c'est d'être princes, et princes souverains, ou mieux encore c'est d'être ministres tout puissants d'un prince qui n'en ait que le nom, ou enfin, ce qui est convoité par-dessus tout, d'être les chefs suprêmes d'une démocratie constituée à l'état de dictature. Faites cela, créez quelques milliers, ce n'est pas assez, quelques millions de chefs souverains ou de ministres dirigeants, commandant aux autres et n'obéissant à personne, donnant le branle à tout et pouvant s'attribuer le mérite de tout : la plupart de ces hommes se montreront d'assez bons princes ; l'histoire parlera de leur clémence et leur reconnaîtra plus d'une vertu. Mais une société, où les hommes ne sont satisfaits et ne demeurent tranquilles qu'à la condition de trôner et de gouverner, est une société impossible ; un pays où se produit une pareille prétention est un pays perdu.»[46]

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Faut-il désespérer du salut de cette société corrompue par le triple mal de l'injustice, du sensualisme et de l'orgueil ?

Souvenons-nous de l'affirmation si souvent répétée par l'évêque de Poitiers. C'est, nous a-t-il dit, l'oubli officiel de la souveraineté de Dieu qui a favorisé les prodigieux développements de l'injustice sociale, du sensualisme égoïste et de l'orgueil ambitieux. Le remède se trouve donc dans la proclamation officielle de cette souveraineté. Si les droits de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église sont comme autrefois officiellement et loyalement reconnus par la société française, un nouvel esprit pénétrera peu à peu toutes les classes sociales : esprit d'humilité, esprit de sacrifice et de renoncement, esprit de justice et de charité. La société sera sauvée.


CHAPITRE III : CONSÉQUENCES POUR LE POUVOIR

Tyrannie. - Instabilité. - Nullité des hommes.



Après avoir exposé avec Mgr Pie, les conséquences pour la société de l'apostasie nationale, montrons quelles sont les représailles de la justice divine envers le pouvoir public lui-même.

La responsabilité du Pouvoir est très grande, car en se séparant de Jésus-Christ, il en a séparé officiellement le pays. Le châtiment sera proportionné à sa faute et il aura une répercussion sur la société tout entière, à cause de l'union étroite qui existe entre les chefs et les subordonnés, entre les dirigeants et les dirigés. Voici les maux dont le pouvoir sera at- teint : la tyrannie, l'instabilité, le manque absolu de grands hommes, et il n'en guérira pas qu'il ne soit retourné officiellement à Jésus-Christ.

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Tout d'abord la tyrannie.

«Le droit chrétien seul, enseigne le grand évêque, est profondément antipathique au despotisme parce que les institutions chrétiennes sont le plus sûr rempart de la liberté et de la dignité des peuples...

«Quand le droit de Dieu a disparu, il ne reste que le droit de l'homme, et l'homme ne tarde pas à s'incarner dans le pouvoir, dans l'État, dans César»[47] ou dans l'omnipotence anonyme du parlement.

«Quand la religion n'est plus la médiatrice des rois et des peuples, le monde est alternativement victime des excès des uns et des autres. Le pouvoir, libre de tout frein moral, s'érige en tyrannie, jusqu'à ce que la tyrannie devenue intolérable amène le triomphe de la rébellion. Puis de la rébellion sort quelque nouvelle dictature plus odieuse encore que ses devancières. «Après que plusieurs tyrans se sont succédé, dit l'Écriture, le diadème est allé se poser sur une tête qu'on n'aurait jamais soupçonnée» : et insuspicabilis portavit diadema. Telles sont les destinées de l'humanité émancipée de l'autorité tutélaire du christianisme.»[48]

Telles ont été aussi les destinées de notre pays, dès qu'il a été officiellement séparé de Dieu. Il a été livré à la tyrannie des pouvoirs.

Dans la succession des tyrannies qui' ont pesé durement sur la France en punition de son apostasie, le grand évêque signale tous les régimes issus de la Révolution française : «Despotisme de la terreur et de l'échafaud bientôt suivi du despotisme du sabre ; voilà, dit-il, comment la Révolution française a tenu ses promesses d'émancipation. Il n'en pouvait être autrement. Un peuple qui a rejeté le joug salutaire de la foi, retombe de droit sous le joug de la tyrannie. N'étant plus digne, ni capable de porter la liberté, la liberté lui échappe dans toutes ses applications les plus diverses : libertés personnelles et libertés publiques, franchises des corporations, des municipes et des provinces, droits de la famille et de la nation, tout s'effondre à la même heure et disparaît sous un même coup de main. Dans ces jours d'épouvante et de vertige, le despote est accueilli comme un bienfaiteur au moins temporaire, parce que sans lui, la civilisation sombrerait de nouveau dans l'abîme de la barbarie. C'est ainsi qu'après les longs tâtonnements d'un Directoire impuissant et irrésolu, après les interminables et stériles discussions d'assemblées sans doctrine et sans cohésion, on a vu la France, au commencement et au milieu de ce siècle, s'abandonner aux bras d'un absolutisme tout d'abord proclamé sauveur.»[49]

Est-ce tout ? Clairvoyant comme l'Église sa Mère,[50] l'Évêque de Poitiers a signalé une autre tyrannie plus terrible et plus redoutable encore : le socialisme et le communisme. C'est la grande tyrannie de l'avenir. Elle ébranlera, jusqu'au dernier, tous les fondements de la société qui aura rejeté officiellement Jésus-Christ et Son Église.

Écoutons Mgr Pie nous expliquer la genèse de cette dernière décadence sociale qui est à la fois la plus abjecte des tyrannies :

«Les idées gouvernent et commandent les actes. Or, parce qu'il y a encore une société, et que même après qu'elle a méconnu Dieu, trahi Dieu, expulsé Dieu, la société est obligée sous peine de mort, de s'attribuer et d'exercer des droits divins, par exemple d'affirmer certains principes, d'établir des lois, d'instituer des juges, de se protéger elle-même par des armées, enfin d'opposer des digues à ce qu'elle nomme encore le mal, et que d'autres appellent le bien, attendu que c'est la satisfaction d'un besoin naturel, d'une vie naturelle, de cette nature enfin qui est le vrai et l'unique divin, à cause de cela, et en haine des éléments conservateurs qu'elle est forcée de retenir, la société naturelle se voit en butte à toutes les agressions dont l'ordre surnaturel avait été le point de mire. A son tour, elle est la grande ennemie, la grande usurpatrice, le grand tyran, le grand obstacle qu'il faut renverser et détruire à tout prix : société politique et civile, société même domestique, car les deux sont fondées sur la stabilité du mariage qui est pour la nature un joug intolérable, sur l'hérédité qui est une violation manifeste de l'égalité naturelle et enfin sur la propriété qui est le vol par les individus d'un bien appartenant par nature à tous. Et ainsi, de négations en négations, le naturalisme conduit à la négation des bases mêmes de la nature raisonnable, à la négation de toute règle du juste et de l'injuste, par suite au renversement de tous les fondements de la société. Nous voici au socialisme et au communisme.»[51]

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Avec la tyrannie, l'instabilité, autre châtiment infligé par Dieu aux gouvernements qui rejettent la royauté sociale de Son Fils.

L'instabilité du pouvoir en France est une constatation familière à Mgr Pie et qu'on retrouvera à chaque page de ses œuvres.[52]

Dans une de ses homélies célèbres, il compare la société française à l'épileptique de l'Évangile. «Manifestement, dit-il, la société actuelle est atteinte du mal caduc. A tout propos, elle est jetée à terre ; rien de plus commun que de voir ses institutions à vau-l'eau ; parfois même, elle devient la proie des flammes. Et ces chutes ont pris un caractère de périodicité qui semble devenu la loi de l'histoire contemporaine. Quantum temporis est ex quo ei hoc accidit?: Combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? demande Jésus au père de l'épileptique. Réponse : Depuis son enfance, at ille ait ; ab infantia. Et vraiment il en est ainsi. Le monde moderne met un certain amour-propre à proclamer la date de sa naissance ; volontiers il se dit l'enfant de 89. Or, depuis cette époque fatidique, notre patrie a été constamment sous l'empire de cette singulière affection morbide que les latins, par une synonymie curieuse dont les lexiques offrent l'explication, appellent d'un nom qui peut également signifier le mal de l'épilepsie et le mal parlementaire, le mal des assemblées et des comices morbo comitiali laborans. A partir de ce temps, la chose publique n'a pas discontinué de subir l'influence des lunaisons. Et ecce spiritus apprehendit eum et subito clamat, et elidit, et dissipat eum cum spuma, et vix discedit, dilanians eum. Tout à coup, et à tout propos, l'esprit de vertige s'empare de son corps : ce sont des cris, des renversements à terre, des contorsions et des convulsions avec écume à la bouche et grincements de dents. Trop heureux quand le pays en est quitte pour des déchirements et des blessures ; et si la mort ne suit pas ces accès de rage, il y a toujours perturbation profonde des intérêts, dessèchement des sources de la vie sociale et de la fortune publique.»[53]

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Avec la tyrannie et l'instabilité, le manque total de grands hommes, ce que Mgr Pie appelle «la décadence et la nullité des hommes»,[54] châtiment suprême des sociétés qui ont rejeté le Christ Roi. Châtiment suprême, puisque ces sociétés n'ont plus d'hommes qui puissent les délivrer de la tyrannie et les guérir de la fièvre des révolutions.

Il n'y a pas d'hommes. «Malgré leurs vains efforts pour se hausser et se grandir, nous dit l'évêque de Poitiers, les hommes continuent à descendre et chacun des sauveurs qui apparaît à l'horizon ne tarde pas à tomber au-dessous de celui qui l'a précédé ; c'est comme une compétition et une rivalité d’impuissance».[55]

«Les principes manquant, explique-t-il, la disette d'hommes est devenue si grande dans le camp de l'ordre qu'on ne voit surgir en ce temps ni chef politique, ni chef militaire, ni prince, ni prophète qui nous fasse trouver le salut.»[56]

«Je le crois bien, continue Mgr Pie, il n'y a pas d'hommes là où il n'y a pas de caractères, il n'y a pas de caractères où il n'y a pas de principes, de doctrines, d'affirmations ; il n'y a pas d'affirmations, de doctrines, de principes, où il n'y a pas de foi religieuse et par conséquent de foi sociale.»[57]

«Jamais, écrit-il encore, le monde n'a été livré aux chances du hasard et de l'imprévu autant qu'il l'est à cette heure. Tout ce qu'il y a de solide dans la raison et dans la tradition naturelle, achève de s'évanouir avec les notions de la foi. Les plus grandes et les plus urgentes questions européennes demeurent sans solution. Avec la fixité des principes, a disparu toute fixité de vues ; les difficultés s'aggravent par les efforts qu'on fait pour les aplanir, comme ces nœuds qui se serrent davantage sous la main qui cherche à les dénouer, comme ces écheveaux qui se mêlent et deviennent inextricables après le travail qui tendait à les débrouiller.»[58]

Combien le grand évêque insiste sur ce point ! Avec quelle douleur, il constate que nos grands hommes, nos prétendus restaurateurs ne sont que des nains.

«Comment, s'écrie-t-il, seraient-ils des guides sûrs quant aux questions pratiques de second ordre, ceux pour qui la question première et capitale n'existe pas encore ? Gens avisés qui pensent à tout, hormis Dieu ; obliti sunt Deum, et qui, ne semblant pas soupçonner le vice radical de nos institutions, sont toujours prêts à recommencer les mêmes expériences, qu'attendent les mêmes châtiments divins. N'apprendront-ils donc point, à l'école de l'histoire et du malheur, ce qu'ils ne veulent pas entendre de notre bouche, à savoir qu'on ne se moque pas de Dieu : Nolite errare, Deus non irridetur ? Or, c'est se moquer de l'Être nécessaire que de se poser socialement en dehors de Lui.[59] Depuis l'Incarnation du Fils de Dieu, le gouvernement de l'ordre moral ne peut être que le gouvernement de l'ordre chrétien. Aussi longtemps que les droits de Dieu ou de Son Christ seront méconnus, passés sous silence, la confusion régnera par rapport à tous les droits secondaires, et cette confusion propice aux complots du despotisme et de l'anarchie reconduira une fois de plus aux alternatives de la servitude et de la terreur.»[60]

Or, dans cette disette de grands hommes ainsi constatée, le Cardinal Pie refuse absolument ce nom à ceux que prétend lui opposer le parti libéral et conservateur. D'un mot il dénonce leur incapacité. «Ils reculent, dit-il, devant la logique du bien»... «à l'heure où il serait si essentiel que les bons fussent pleinement bons, voici que, contrairement à la recommandation de l'Apôtre, il s'est établi une société de la lumière et des ténèbres, une convention du Christ avec Bélial, un pacte du fidèle avec l'infidèle, un accord du temple de Dieu avec les idoles, et quand l'Église nous crie avec le même apôtre : «Sortez de ce milieu, séparez-vous-en, ne touchez pas à cet ordre immonde d'idées et de choses et moi je vous reprendrai sous ma protection et vous replacerai sur mon sein paternel ; voici que c'est le christianisme du siècle qui veut éclairer l'Église enseignante et en particulier lui apprendre dans quelle mesure le droit de maudire et de blasphémer est un droit désormais acquis aux hommes, un droit qui doit être reconnu, proclamé, protégé, organisé au sein des sociétés humaines.»[61]

En d'autres termes, ceux qui veulent nous sauver sont presque tous atteints de cette maladie du libéralisme.[62] Ce sont eux aussi des malades et comme le dit Mgr Pie : «malades désespérés qui invoquent à grands cris le médecin, mais à la condition de lui dicter ses ordonnances et de n'accepter pour régime curatif que celui-là même qui les a réduits à la dernière extrémité. Naufragés qui se noient, et qui appellent le sauveteur, mais résolus à repousser la main qu'il leur offre, tant qu'il n'aura pas à repousser lui-même à son cou la pierre qui les a fait descendre et qui les retient au fond de l'abîme.»[63]

Tyrannie des gouvernements, instabilité des pouvoirs, nullité des hommes, voilà le triple mal qui découle de l'abandon du droit chrétien.


CHAPITRE IV : RÉSUMÉ DE CETTE DOCTRINE DANS L'ENTRETIEN DE MGR PIE AVEC L'EMPEREUR NAPOLÉON III

Ce profond enseignement, Mgr Pie osa l'exposer de vive voix à l'empereur des Français Napoléon Ill.

Dans une entrevue mémorable, avec un courage apostolique, il donna au prince une leçon de droit chrétien. C'est par ce récit que, pour corriger l'aridité de cette synthèse, nous terminerons cette seconde partie.

C'était en 1856, le 15 mars. A l'empereur, qui se flattait d'avoir fait pour la religion plus que la Restauration elle-même, il répondit : «Je m'empresse de rendre justice aux religieuses dispositions de votre Majesté et je sais reconnaître, Sire, les services qu'elle a rendus à Rome et à l'Église, particulièrement dans les premières années de son gouvernement. Peut- être la Restauration n'a-t-elle pas fait plus que vous ? Mais laissez-moi ajouter que ni la Restauration[64] ni vous, n'avez fait pour Dieu ce qu'il fallait faire, parce que ni l'un ni l'autre vous n'avez relevé Son trône, parce que ni l'un ni l'autre vous n'avez renié les principes de la Révolution dont vous combattez cependant les conséquences pratiques, parce que l'évangile social dont s'inspire l'État est encore la déclaration des droits de l'homme, laquelle n'est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu.

«Or, c'est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n'est pas pour autre chose que N.-S. est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l'enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ n'exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence.

«Or, j'ai le devoir de vous dire, qu'Il ne règne pas parmi nous et que notre Constitution n'est pas, loin de là, celle d'un État chrétien et catholique. Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français, mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N'est-ce-pas proclamer équivalemment que la constitution protège pareillement la vérité et l'erreur ? Eh bien ! Sire, savez-vous ce que Jésus-Christ répond aux gouvernements qui se rendent coupables d'une telle contradiction ? Jésus-Christ, roi du ciel et de la terre, leur répond : «Et Moi aussi, gouvernements qui vous succédez en vous renversant les uns les autres, Moi aussi Je vous accorde une égale protection. J'ai accordé cette protection à l'empereur votre oncle ; j'ai accordé la même protection aux Bourbons, la même protection à Louis-Philippe, la même protection à la République et à vous aussi la même protection vous sera accordée».

L'empereur arrêta l'évêque : «Mais encore, croyez-vous que l'époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d'établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ?»

«Sire, quand de grands politiques comme votre Majesté m'objectent que le moment n'est pas venu, je n'ai qu'à m'incliner parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque, et comme évêque je leur réponds : «Le moment n'est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! alors le moment n'est pas venu pour les gouvernements de durer.»[65]

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Hélas ! cette doctrine de vie ne fut ni comprise ni appliquée. Les événements donnèrent raison à l'évêque de Poitiers et, seize ans après, il le faisait constater, non plus à l'empereur disparu avec son empire écroulé, mais aux Français eux-mêmes, restés indifférents aux droits suprêmes de Jésus-Christ.

«C'est le Seigneur qui parle, le Dieu des armées, dit-il en commentant un passage du prophète Aggée : Haec dicit dominus exercituum... En vous séparant de Moi, vous avez voulu vous grandir et vous voilà rapetissés... Vous ne parliez que de progrès et il y a eu recul. Vous ne rêviez que gloire, vous avez eu la défaite et l'opprobre. Vous ne connaissiez que les mots de liberté, d'émancipation : vous avez subi et vous subissez encore la domination étrangère ; vous exaltiez la prospérité publique ; vous vous débattez sous les étreintes d'une dette effroyable et vous ne savez comment égaler l'impôt à vos charges. En toutes choses vous avez visé au plus et voici que vous êtes en face du moins. Respixisitis ad amplius et factum est minus. Ce qui était entré dans votre maison, j'ai soufflé dessus et qu'en est-il resté ? et intulistis in domum et exsufflavi illud.

«Pour quelle cause, dit le Seigneur des armées, quam ob causam, dicit Dominus exercituum ?

Parce que, tout entier à votre propre intérêt, vous avez négligé Son service. Chacun de vous s'empressait à sa maison et la Mienne était déserte, à ses affaires humaines et les affaires divines étaient tenues pour rien. C'est pourquoi le ciel a reçu défense de vous accorder Ses faveurs.»[66]

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Depuis ce vibrant commentaire, plus de cinquante ans ont passé. Il reste toujours actuel. Au sortir de l'horrible guerre qui a désolé le monde entiers, nous pouvons le regarder comme écrit pour toutes les nations de la terre. Il nous faudra comprendre que si les nations périssent, c'est parce qu'elles ont abandonné le Roi Jésus, et nous ferons nôtre la plainte de Mgr Pie lorsqu'il s'écriait « Hélas ! il en coûte cher à la terre, il en coûte cher aux nations de ne pas fléchir le genou devant le nom et devant la royauté de Jésus.»[67]

Si nous voulons vivre, retournons à notre Roi et rétablissons Son Règne.

Notes

  1. V, 188-189.
  2. V, 189
  3. I, 66-67.
  4. V, 189 Cf. aussi VII, 134 et sv. Dans son instruction pastorale sur les malheurs actuels de la France (Carême 1871) Mgr Pie établit ainsi la supériorité morale du passé sur le présent. Après avoir affirmé qu'il n'est «donné à aucune balance humaine, mais à la seule balance de Dieu, d'établir la proportion exacte entre la moralité du présent et celle du passé», il ajoute : «Mais, en ce qui est de la gravité respective de tel ou tel péché, nous possédons des principes certains. Le mal moral, comme le mal physique, se discerne et se gradue d'après le genre et l'espèce». Il note, ensuite, d'après saint Hilaire, une différence considérable entre l'impiété et le péché. Par la grâce de Dieu, tout pécheur n'est pas impie, parce que tout péché n'est pas impiété ; au contraire l'impie ne peut pas n'être point pécheur, attendu que l'impiété implique par elle-même le plus grand péché». C'est sur la gravité et la multiplicité du péché d'impiété que Mgr Pie se base pour affirmer que la société actuelle, sous un certain vernis de décence, est pourtant inférieure au point de vue moral à la société du Moyen-Age. «N'est-il pas trop manifeste, dit-il, que le nombre des impies s'est étendu parmi nous et qu'il a prodigieusement grandi dans les temps modernes ? Et ce qui est infiniment plus injurieux pour Dieu et plus pernicieux pour la terre, n'est-il pas trop établi, que sous plusieurs de ses aspects, le crime d'impiété n'est plus seulement le crime des particuliers, mais qu'il est devenu le crime de la société ? » VII, 98-100 ; X, 206-207. Nous reviendrons dans la 3è partie sur cette question de la civilisation de l'Europe sous le régime du droit chrétien.
  5. V, 172.
  6. X, 246. «Écoutez les politiques d'au delà de la Manche ou d'au-delà des Alpes et écoutez ceux du Nord et ceux du Midi, divisés par mille intérêts, par mille antipathies, par mille préjugés nationaux, la passion les met d'accord contre Dieu et Son Christ, contre l'Église de Dieu, contre le Vicaire du Christ.»
  7. IV, 327 et VII, 100. «Le principe posé à la base de tout le moderne édifice social, a été l'athéisme de la loi et des institutions, qu'on le déguise sous les noms d'abstention, de neutralité, d'incompétence, ou même d'égale protection... il est l'essence de ce qu'on appelle les temps nouveaux.»
  8. III, 424.
  9. VII, 3
  10. III, 569 ; IX, 126
  11. VII, 3 Le jugement de Mgr Pie sur la société moderne a été confirmé par Léon XIII dans sa mémorable encyclique Immortale Dei (1ernovembre 1885) «Dans cette situation politique que plusieurs favorisent aujourd'hui, écrivait le Souverain Pontife, il y une tendance des idées et des volontés à chasser tout à fait l'Église de la société, ou à la tenir assujettie et enchaînée à l'État. La plupart des mesures prises par les gouvernements s'inspirent de ce dessein. Les lois, l'administration publique, l'éducation sans religion, la spoliation et la destruction des ordres religieux, la suppression du pouvoir temporel des Pontifes romains, tout tend à ce but : frapper au coeur les institutions chrétiennes, réduire à rien la liberté de l'Église catholique et à néant ses autres droits». Lettres apostoliques de S.S. Léon XIII, T. Il p. 37 (Édition Bonne Presse).
  12. IV, 588. Instruction pastorale sur cette parole de saint Jean : Et il y a déjà beaucoup d’Antéchrists. Un auteur contemporain a exprimé la même vérité sous une forme saisissante : « Nous ne sortirons pas de ces dilemmes: Ou l'Église est le salut des nations, ou sa doctrine leur est inapplicable ; ou les encycliques des Papes, affirmant non seulement pour les individus, mais pour les États l'obligation du culte public rendu au Christ Roi, sont des chartes à appliquer rigoureusement, ou elles ne sont que des sermons en l'air ; ou notre foi doit être la substance de toute notre vie, non seulement individuelle mais aussi politique et sociale, ou elle n'est qu'une hypocrisie ; ou la cité de Dieu comprend ce que Péguy appelait les paroisses charnelles, et alors il s'agit de les sauver charnellement, ou il n'est de Jérusalem véritable que les monastères et il n'est d'état saint que le sacerdoce, et la société civile est abandonnée à sa perdition et l'Incarnation n'est qu'un leurre et la nouvelle terre qu'un mythe». VALLERY-RADOT, Univers 1919, p.339.
  13. VI, 434;IX, 166. Le christianisme ne serait pas divin s'il n'avait d'existence qu'au regard des particuliers et non au regard des sociétés.
  14. Œuvres Sacerdotales, I, 358.
  15. Œuvres Sacerdotales, Il, 524.
  16. Œuvres Sacerdotales, Il, 626.
  17. VII, 573, et encore : «Il faut méconnaître entièrement les conditions réelles de l'humanité et s'aveugler à plaisir sur la situation morale et doctrinale de notre pays pour ne pas voir à quel point le vice ou seulement la lacune des institutions influe sur toutes les classes de la société et pèse sur les esprits même en apparence les plus fermes et les plus indépendants».VII, 102.
  18. V 191. voyez également, VII 399.
  19. VII, 367. Instruction pastorale sur l'opposition à Dieu manifestée par l'opposition au prêtre (Carême 1872).
  20. VII, 375. Cf. aussi : Œuvres sacerdotales : I, 334 et sv. Sur le sacerdoce et son influence sociale.
  21. IX, 460, 461. Instruction pastorale sur un devoir urgent de la génération actuelle envers le sacerdoce. (Carême 1877).
  22. Le Cardinal Pie, dans ses dernières allocutions (9 mai 1880), montre dans les décrets contre les Ordres religieux, une conséquence directe de l'athéisme de l'État, une «déduction logique de maximes sacrilèges élevées à la hauteur de principes et de dogmes sociaux » X, 148-149. Ainsi, l'État sans Dieu éloigne les âmes et du prêtre, distributeur officiel de la grâce, et du religieux, modèle de perfection évangélique. Voyez V, 12, et VIII, 32-33. Le P. LIBERATORE a bien étudié les causes profondes de la guerre des gouvernements impies contre les ordres religieux. L’Église et l’Etat, I, Il. Du naturalisme politique ch. VI, 226-232. Quiconque aura lu ces pages, comprendra la justesse de cette réflexion de Louis Veuillot, lorsqu'il parle de l'aversion des hommes politiques pour les religieux. «Une grande merveille, c'est la conviction où sont aujourd'hui les hommes que la liberté de leurs opinions a beaucoup plus à craindre d'un seul religieux que de cent régiments». Parfums de Rome, Il 1. VII 67.
  23. Mgr Pie (Œuvres sacerdotales, I, 46, note) signale une des causes importantes de l’enseignement irréligieux. «L'éducation publique n'est si mauvaise parmi nous que parce qu’avant tout l'éducation domestique est nulle.»
  24. V. Cousin et Ad. Garnier, adversaires peut-être inconscients, mais néanmoins, par leur doctrine, précurseurs de nos laïques modernes: Ferry, Buisson, Aulard, Payot et autres.
  25. III, 208. Voyez aussi Il, 401, ce passage très important : «la liberté de conscience... l'abolition d'une religion dominante permettent moins que jamais de remettre les écoles de l'État entre les mains d'un ministre du culte. L'État professera les vérités religieuses communes à toutes les diverses religions, c'est là la religion la plus haute, la plus universelle ou la plus catholique dans le sens étymologique du mot.» - Et encore III, 199 : « L'enseignement philosophique, surtout s'il est donné au nom de l'État et par des professeurs et des écrivains rétribués de l'État, doit se conformer aux lois et aux doctrines de l'État. Or, le principe fondamental de la société moderne, la grande conquête de la Révolution, c'est la liberté des cultes, la liberté des croyances. L’enseignement philosophique doit donc respecter la liberté individuelle des intelligences et pour cela il doit faire abstraction de toutes les religions positives et proclamer seulement les principes généraux de la loi et de la morale naturelles qui sont communs à toutes les religions. Ainsi l'exigent le respect des consciences et l'esprit de nos institutions».
  26. III, 215
  27. III, 209
  28. Cf. l'École et la Maçonnerie avant la 3è République dans Ami du Clergé 1919, colonne 1269, et Mgr BAUNARD : Un siècle de l’Église de France, ch 5, on y trouvera des détails intéressants sur Jean Macé et la ligue maçonnique de l'enseignement établie sous le second Empire.
  29. C'est ce qui explique toute l'attitude des catholiques contemporains de Mgr Pie contre l'Université et la morale universitaire. Voyez,- Histoire du Cardinal Pie par Mgr BAUNARD. I, L. II, ch. 2, 289-300 et ch. 6, 450-480.
  30. Voici le passage le plus substantiel du Cardinal Pie contre le naturalisme : «Le naturalisme est le règne absolu du mensonge et du mal... Le naturalisme, fils de l'hérésie, est bien plus qu'une hérésie ; il est le pur antichristianisme. L'hérésie nie un ou plusieurs dogmes, le naturalisme nie qu'il y ait des dogmes ou qu'il puisse y en avoir.- L'hérésie altère plus ou moins les révélations divines, le naturalisme nie que Dieu soit révélateur.- L'hérésie renvoie Dieu de telle portion de Son royaume, le naturalisme l'élimine du monde et de la création... il s'en suit que sa loi fatale, son besoin essentiel, sa passion obstinée, et dans la mesure où il y réussit, son œuvre réelle, c'est de détrôner le Christ et de le chasser de partout ; ce qui sera la tâche de l’Antéchrist et ce qui est l'ambition suprême de Satan». VII, 193-194. Instruction synodale sur la première constitution du Concile du Vatican.
  31. II, 378
  32. V, 189
  33. VII, 400-411. Éloge de la B. Jeanne-Marie de Maillé (7 avril 1872).
  34. VII, 63 et IX, 172. Mgr Pie fait ici allusion à Renan qui a fait un mal incalculable à la jeunesse française. Voyez sur ce point le bel ouvrage du P. MAINAGE, O. P. Les témoins du renouveau catholique, p. 21, 22, 23, 68 et autres.
  35. M. le Ch. VIGUE dans ses Pages choisies du Cardinal Pie, Introduction LXI, flétrit avec énergie cette influence funeste de la société athée sur les individus : «Tant que le Christ ne règne pas sur les sociétés, son influence sur les individus eux-mêmes demeure superficielle et précaire. S'il est vrai que I'oeuvre de l'apostolat se ramène, en définitive, à des conversions individuelles et que ce ne sont pas les nations qui vont au ciel, mais les âmes, une par une, il ne faut cependant pas oublier que l'individu vit profondément engagé dans une organisation sociale qui perpétuellement influe sur lui. Chrétienne elle le rend chrétien : non chrétienne, elle l'empêche de croire, ou s'il est croyant elle tend à ruiner sa foi. Supposez des institutions sociales maintenues chrétiennes, alors que le Christ ne vit plus au fond des cœurs : la religion n'est plus là que comme une enseigne déplaisante, on ne tardera pas à l'arracher. Mais par contre, essayez de convertir les individus sans vouloir christianiser les institutions sociales, votre œuvre reste fragile : ce que vous avez édifié le matin, d'autres le soir viennent le renverser. Est-ce que la tactique des ennemis de Dieu n'est pas pour nous instruire ? Ils veulent toujours l'arracher du coeur des individus ; ils font encore plus d'efforts pour le chasser des institutions sociales. Une seule défaite de Dieu dans le domaine, c'est l'ébranlement de la foi, sinon sa ruine, dans un grand nombre d'âmes». Si nous étudions maintenant la situation actuelle de la France et si nous nous demandons pourquoi, suivant la remarque de Taine, «la foi a augmenté dans le groupe restreint et diminué dans le groupe large ? Pourquoi encore, par un recul insensible et lent, la grosse masse rurale à l'exemple de la grosse masse urbaine est en train de devenir païenne ?», Mgr Baunard nous répond : «Si la France redevient païenne, ce n'est pas de son propre mouvement, mais plutôt sous l'écrasante dépression que lui fait subir le poids de l'État sans Dieu, de l'école sans Dieu, de la presse sans Dieu... Ce n'est pas la foi qui dépérit par une dégénérescence spontanée, c'est la foi qui est violemment arrachée des âmes et surtout de l'âme des enfants. La tentative des adversaires consiste à détruire la religion en stérilisant les germes de la foi». Un siècle de l’Église de France. Ch 21. p. 500.
  36. X, 445 Sur cette loi de talion : Comme les nations font à Dieu, Dieu fait aux nations, voyez : Lettre de Mgr Pie à M. Foisset : Vie II, L. III, ch. 2. p. 65-66, à l'archevêque de Turin (26 décembre 1858) communiquée par ce dernier et insérée dans l'ouvrage «L'infaillibilité» de Blanc de Saint-Bonnet : p. 485-486-487. Voyez : Œuvres sacerdot., Il, p. 353-627 et V, 176 ; VII, 361-539-540 ; VIII, 90 ; X, 259-445.
  37. V, 176.
  38. VIII, 90.
  39. I, 101-102. «C'est là et non ailleurs qu'il faut chercher la cause de tous nos maux. C’est là le triste début de toutes nos fautes et par conséquent le point de départ de tous nos malheurs. Nous avons depuis bien longtemps renversé un premier trône, celui de Dieu, nié une première souveraineté : la souveraineté divine... Tous nos torts pâlissent à côté de ce premier attentat. C'est contre Dieu que nous avons péché.»
  40. VII, 22-23. Hélas! Mgr Pie le constate avec douleur, cette leçon des désastres de 70 ne fut pas comprise. «A l'heure présente, écrivait-il le 31/10/1870, parmi ceux de nos concitoyens qui ne ferment pas les yeux à la lumière des enseignements terribles donnés à notre nation, que voyons-nous et qu'entendons-nous ? A la vérité, il n'est pas rare de rencontrer des hommes qui confessent, qui déplorent, qui condamnent et enfin veulent réparer les fautes et les omissions personnelles de leur vie, quant à l'accomplissement du devoir religieux. Il en est un assez grand nombre encore qui voient dans ces dures épreuves un châtiment et un remède aux idées d'orgueil, aux habitudes de cupidité, de luxe, aux excès de sensualisme et de naturalisme qui avaient envahi presque toutes les conditions sociales. Mais à qui vient-il en pensée de se demander si cet effondrement complet d'une grande nation, n'aurait pas sa cause dans un grand péché national ; si l'abandon momentané où Dieu nous laisse ne serait pas sa réponse aux systèmes politiques qui lui donnent congé ?» VII, 4
  41. Œuvres sacerdotales, Il, 627-628-629. 2° Conférence sur le Symbole, Chartres 1847.
  42. Dans l'instruction pastorale de 1871, il écrivait qu'il est «trop évident que l'irréligion a multiplié et aggravé au sein de la société un grand nombre de vices mal déguisés sous un certain vernis de décence».
  43. Instruction pastorale sur l'esprit de renoncement et de sacrifice. Carême 1853. I, 590-622.
  44. I.p. 597-601
  45. Fustel de Coulanges cité par Mgr DELASSUS : Vérités sociales et erreurs démocratiques. p. 95.
  46. IX, 226-227 ; II, 312
  47. V, 199. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  48. VII, 379. Instruction pastorale sur l'opposition à Dieu manifestée par l'opposition au prêtre (Carême 1872).
  49. VIII, 52-53. Homélie sur le caractère de l'autorité dans le christianisme (25 décembre 1873).
  50. Le Concile du Vatican, dans sa première Constitution, avait signalé le socialisme ou la destruction des bases mêmes de la société, comme la conséquence du naturalisme. Quelques mois après, le mouvement révolutionnaire de la Commune venait justifier la clairvoyance des Pères du Concile. «Nous ne pensions pas toutefois, écrit à ce sujet Mgr Pie, qu'avant une année écoulée, nous dussions lire, transcrites en caractères de sang et de feu ces déductions naturalistes pacifiquement exposées dans nos actes, et que les événements dussent fournir au texte du concile une démonstration si prochaine et un si effrayant commentaire.» VII, 197.
  51. VII, 196. Instruction synodale sur la première constitution du Concile du Vatican, 17 juillet 1871. Dans la première synodale sur les erreurs du temps présent, Mgr Pie avait prouvé par l'histoire des révolutions du dernier siècle que c'était bien notre droit public athée, hostile aux libertés essentielles de l'Église et tout particulièrement à son droit de propriété, qui avait donné naissance chez nous au socialisme et au communisme. Ce passage doit être cité : «Il fut dit à la France, dès le début de la révolution : «En spoliant l'Église, vous jetez la première pierre à la propriété : l'attaque ne s'arrêtera pas là, et, avant un demi-siècle, un assaut général lui sera livré». Cet oracle était prophétique. «Que l'ébranlement de la propriété aujourd'hui ne soit pas sans rapport avec les coups portés au principe de la propriété par la négation des droits de l'Église ; c'est une vérité dont l'un de nos hommes d'État les plus éminents s'est fait l'interprète, il y a quarante ans bientôt lorsqu'il disait (CHATEAUBRIAND, Opinion sur la vente des forêts, prononcée à la chambre des Pairs, le 21 mars 1817) dans la haute chambre : «Messieurs, j'ose vous le prédire, sous un gouvernement qui représente l'Ordre, si vous n'arrêtez pas la vente de ces biens, aucun de vous ne peut être assuré que ses enfants jouiront paisiblement de leur héritage... Je sais que, dans ce siècle, on est peu frappé des raisons placées au-delà du terme de notre vie : le malheur journalier nous a appris à vivre au jour le jour. Nous vendons les bois de l'Église ; nous voyons la conséquence physique et prochaine», qui est l'argent dans les caisses de l'État ; «quant à la conséquence morale et éloignée qui ne doit pas nous atteindre, peu nous importe. Messieurs, ne nous fions pas tant à la tombe ; le temps fuit rapidement dans ce pays : en France l'avenir est toujours prochain : il arrive souvent plus vite que la mort». Deux ou trois révolutions survenues depuis que ce discours fut prononcé, révolutions dont la dernière est plus sociale encore que politique, disent si la prévision de l'orateur était le fruit de cette logique à outrance que les faits ne justifient jamais». Il, p.351 et 352. Même doctrine dans les deux admirables sermons, prononcés à Chartres en 1849 pour le droit de propriété. OEuvres sacerd., II, 666-717. Sur le rapport de la question sociale et de la question religieuse, voyez encore Instruction pastorale sur l'aumône Il, 94-96. Allocution à la bénédiction du cercle catholique de Parthenay IX, 226-227, de celui de Chatellerault, 250-251.
  52. IV, 526-527 ; VII, 97-102 ; IX, 126. «Qu'est-ce qui tient parmi les sociétés modernes ? Et ce qui semble tenir, où prend-il cette ombre de consistance ?
  53. VIII, 18-19. Homélie (25 novembre 1873). Ailleurs, Mgr Pie fait observer que nous vivons dans un temps où l'on prétend follement arracher le sceptre aux principes qui sont immuables et qui forment le patrimoine divin de nos esprits, pour le remettre à l'opinion. L'opinion, c'est-à-dire, quant à son origine, l'acte le plus infime de la raison humaine, et, quant à la conduite qu'elle détermine, la règle la plus mouvante, la plus incertaine et la plus aisément déréglée». IX, 125. Lettre pastorale et mandement concernant la consécration générale au Sacré-Coeur (1er juin 1875).
  54. IX, 345-346. Homélie prononcée dans la solennité du couronnement de N.D. de Lourdes (3 juillet 1876).
  55. IX, 345-346. Homélie prononcée dans la solennité du couronnement de N.D. de Lourdes (3 juillet 1876).
  56. VII, 289. Homélie sur les alliances de Dieu avec les peuples (13 août 1871).
  57. VII, 353. Homélie (Noël 1871). Dans une lettre à M. de I'Estoile, Mgr Pie constate ainsi la nullité des hommes. «Pas plus de 1830 à 1849 que de 1792 à 1815, les hommes que l'on a appelés bien pensants n'ont pu parvenir à bien penser. C'est lamentable !» Histoire du Cardinal Pie L, ch. VII p. 221.
  58. V, 206. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  59. On doit dire qu'il n'y a de vrais conservateurs que ceux qui veulent tout d'abord conserver Dieu, Jésus-Christ, l'Église.
  60. VIII, 2-3 Lettre pastorale qui ordonne les prières publiques demandées par l'assemblée nationale (15 octobre 1873).
  61. VII, 65. Homélie sur l'action simultanée du bien et du mal. (8 décembre 1870).
  62. C'est-à-dire imbus des principes de la Révolution dont ils combattent néanmoins les conséquences extrêmes, «incendiaires et pompiers à la fois». Selon la fine remarque de Mgr Pie : «Est-on jamais bien sûr de son fait quand on s'est donné le double rôle d'incendiaire et de pompier ? La flamme ne peut-elle pas dépasser la stratégie de ceux qui s'imaginent toujours arriver à temps pour l'éteindre parce qu'ils l'ont allumée eux-mêmes». VI, 216. Entretien sur l'état actuel des intérêts de la société et de l'Église (12 juillet 1868).
  63. VIII, 14. Homélie sur l'urgence du secours divin (1er novembre 1873). Avant son épiscopat, Mgr Pie avait mis ces paroles dans la bouche de l'Église : «Ce que je redoute le plus, ce ne sont pas les doctrines violentes et par conséquent peu durables de mes adversaires, mais c'est l'absence de vraies et salutaires doctrines chez mes partisans. Ce n'est point dans la rue, c'est dans l'assemblée de mes défenseurs, de mes législateurs que se préparent contre moi les coups les plus meurtriers. Non le temps des malheurs n'est pas fini, puisque le jour de la vérité n'est pas encore venu». Œuvres sacerdot., Il, 707.
  64. Ce jugement du Cardinal Pie, sur la Restauration semblera peut-être sévère. Il ne l'est pas. La Restauration, tout en rendant à l'Église d'inestimables services, n'a pas toujours et complètement brisé avec les principes de la Révolution, et par conséquent n'a pas rétabli le trône de Dieu. Nous portons ce jugement d'après les paroles mêmes de Pie VII dans son bref «Post tam diuturrnas» à Mgr de Boulogne, évêque de Troyes : «Nous avions espéré qu'à la faveur de l'heureux changement qui venait de s'accomplir, non seulement la religion catholique serait délivrée sans aucun retard de toutes les entraves qu'on lui avait imposées en France malgré nos constantes réclamations ; mais qu'on profiterait de circonstances si favorables pour la rétablir dans tout son lustre et pourvoir à sa dignité. Or, nous avons remarqué en premier lieu que, dans la constitution mentionnée, la religion catholique est entièrement passée sous silence, et qu'il n'y est pas même fait mention du Dieu tout-puissant par qui règnent les rois, par qui les princes commandent. «Vous comprendrez facilement, vénérable Frère, ce qu'une telle omission a dû nous faire éprouver de peine, de chagrin, d'amertume, à nous que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, Notre-Seigneur, a chargé du suprême gouvernement de la société chrétienne. Et comment ne serions-nous pas désolé ? Cette religion catholique, établie en France dès les premiers siècles de l'Église, scellée dans ce royaume même par le sang de tant de glorieux martyrs, professée par la très grande partie du peuple français, à laquelle ce même peuple a gardé avec courage et constance un invincible attachement à travers les calamités, les persécutions et les périls des dernières années, cette religion enfin que la race à laquelle appartient le roi désigné professe elle-même, et qu'elle a toujours défendue avec tant de zèle, non seulement elle n'est pas déclarée la seule ayant droit dans toute la France, à l'appui des lois et de l'autorité du gouvernement, mais elle est entièrement omise dans l'acte même du rétablissement de la monarchie ! Un nouveau sujet de peine, dont notre cœur est encore plus vivement affligé, et qui, nous l'avouons, nous cause un tourment, un accablement et une angoisse extrêmes, c'est le 22è article de la Constitution. Non seulement on y permet la «liberté des Cultes et de la conscience», pour nous servir des termes mêmes de l’article, mais on promet appui et protection à cette liberté, et en outre aux ministres de ce qu'on nomme «les cultes». Il n'est certes pas besoin de longs discours, nous adressant à un évêque tel que vous, pour vous faire reconnaître clairement de quelle mortelle blessure la religion catholique en France se trouve frappée par cet article. Par cela même qu'on établit la liberté de tous les cultes sans distinction, on confond la vérité avec l'erreur, et l'on met au rang des sectes hérétiques et même de la perfidie judaïque, l'Épouse sainte et immaculée du Christ, Église hors de laquelle il ne peut y avoir de salut. En outre, en promettant faveur et appui aux sectes des hérétiques et à leurs ministres, on tolère et on favorise non seulement leurs personnes, mais encore leurs erreurs. C'est implicitement la désastreuse et à jamais déplorable hérésie que saint Augustin mentionne en ces termes : «Elle affirme que tous les hérétiques sont dans la bonne voie et disent vrai. Absurdité si monstrueuse que je ne puis croire qu'une secte la professe réellement». «Notre étonnement et notre douleur n'ont pas été moindres quand nous avons lu le 23è article de la constitution, qui maintient et permet «la liberté de la presse», liberté qui menace la foi et les mœurs des plus grands périls et d'une ruine certaine. Si quelqu'un pouvait en douter, l'expérience des temps passés suffirait seule pour le lui apprendre. C'est un fait pleinement constaté : cette liberté de la presse a été l'instrument principal, qui a premièrement dépravé les mœurs des peuples, puis corrompu et renversé leur foi, enfin soulevé les séditions, les troubles, les révoltes. Ces malheureux résultats seraient encore actuellement à craindre, vu la méchanceté si grande des hommes, si, ce qu'à Dieu ne plaise, on accordait à chacun la liberté d'imprimer tout ce qui lui plairait». Lettres apostoliques de PIE IX, GRÉGOIRE XVI, PIE VII (Édition Bonne Presse) (242-245). Ce précieux document, rapproché de l'entretien de Mgr Pie avec l'empereur, nous montre que l'évêque de Poitiers n'était, dans son réquisitoire contre nos gouvernements du XIXè siècle, que l'interprète très fidèle de la pensée même de l'Église.
  65. Histoire du Cardinal Pie T I, Liv. Il. ch. 11, 697-699.
  66. VII, 380 (Carême 1872).
  67. VIII, 63. Homélie sur l'étendue universelle de la Royauté de Jésus-Christ (18 janvier 1874).