Différences entre les versions de « La femme au Moyen Age et sous l'Ancien Régime 2 »

De Christ-Roi
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"Il n'était pas sans intérêt de s'étendre un peu sur une législation dont nous retrouvons à chaque instant la conséquence dans la vie économique du temps. On voit les femmes vendre, acheter, conclure des contrats, administrer des domaines, et finalement faire leur testament avec une liberté que seront loin d'avoir leurs sœurs du XVIe et plus encore des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles…" [[Régine Pernoud|Régine Pernoud]], ''La femme au temps des cathédrales'', Stock, Évreux 1980, p. 189).
 
"Il n'était pas sans intérêt de s'étendre un peu sur une législation dont nous retrouvons à chaque instant la conséquence dans la vie économique du temps. On voit les femmes vendre, acheter, conclure des contrats, administrer des domaines, et finalement faire leur testament avec une liberté que seront loin d'avoir leurs sœurs du XVIe et plus encore des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles…" [[Régine Pernoud|Régine Pernoud]], ''La femme au temps des cathédrales'', Stock, Évreux 1980, p. 189).
  
===Le code civil supprimera encore des droits à la femme===
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==Le code civil supprimera encore des droits à la femme==
 
Le [http://fr.wikipedia.org/wiki/Code Code civil] de [http://fr.wikipedia.org/wiki/Napoléon Napoléon Ier], plus romain que nature, aggravera encore cette situation...
 
Le [http://fr.wikipedia.org/wiki/Code Code civil] de [http://fr.wikipedia.org/wiki/Napoléon Napoléon Ier], plus romain que nature, aggravera encore cette situation...
  

Version du 8 octobre 2005 à 11:20

La femme au Moyen Age avait une condition inférieure à celle des hommes entend-on nous partout. "Elle avait moins de droits que les hommes"... Encore une fois, belle surprise, rien n'est plus faux! La femme au Moyen Age avait autant de "droits" et de pouvoir que l'homme aujourd'hui. Elle bénéficiait très certainement même d'une bien meilleure considération que de nos jours...

Là encore, il s'agit donc de la part des ennemis de l'Eglise (la propagande des sociétés de pensée) de noircir cette glorieuse époque et par là atteindre le fondement de notre antique société chrétienne.

Une historienne qui démonte un certain nombre d'idées fausses: Régine Pernoud

L'historienne Régine Pernoud a beaucoup écrit sur le Moyen Âge et sur les femmes de cette époque. Elle est notamment l'auteur d'une agréable biographie sur Aliénor d'Aquitaine [1]. "Les deux filles d'Eleonore d’Aquitaine ou d'Aliénor(e), d'avec Louis VII, Alix de Blois et Marie de Champagne diffusèrent dans les régions septentrionales la poésie courtoise et le roman courtois. Marie, la fille aînée d'Aliénor aurait emmené avec elle son poète, Chrétien de Troyes.

Le Retour du Croisé, Hugues de Vaudémont parti en 1147, retouve son épouse (XIIe siècle), Nancy, Musée Lorrain.JPG

"…Ainsi l'osmose était-elle complète entre le départ pour la croisade qui marquait pour le chevalier le dépassement suprême, et ce thème de l'amour courtois qui fut peut-être la plus haute invention de notre Moyen Age" (Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 222).

"Toutes nos épopées, depuis La Chanson de Roland jusqu'au cycle de Guillaume d'orange, reflètent le souci qui domine l'époque, celui d'arracher les Lieux saints à l'Islam..." (Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 217).

"Alix, femme de Thibaut de Blois, et Marie, femme d'Henri Ier de Champagne, étaient l'une et l'autre, filles d'Aliénor d'Aquitaine; de leur mère elles avaient hérité le goût des lettres, et c'est toute une vie culturelle qui s'épanouit avec elles.

"L'un des plus grands noms de notre littérature, Chrétien, est un clerc, et peut-être un chanoine de Troyes; sa carrière d'écrivain – entre 1160 et 1185 – a été protégée successivement par Marie de Champagne et par son fils Henri Ier d'Angleterre dit Henri Beauclerc; on lui attribue des chansons courtoises, mais surtout il est le grand initiateur de ces romans de chevalerie qui vont créer des types inoubliables, comme celui de Lancelot et de Perceval... On doit à Chrétien de Troyes cinq romans: Éreci, Cligès, Yvain ou le Chevalier au Lion, le conte de La Charrette (Lancelot), et surtout Perceval ou le conte du Graal. Tous sont d'admirables créations poétiques, transposant dans le roman cette 'quête de la Personne' qui fait le centre de la société chevaleresque. Un savant romaniste, Reto Bezzola, a montré de nos jours l'importance de ce premier roman d'Érec, qui commence où finirait un roman moderne: par le mariage des deux héros. Érec épouse Énide à la cour du roi Arthur. Tous deux sont parfaitement heureux, mais ils sentent obscurément que quelque chose manque à cet amour, qui les enferme dans un tête-à-tête. Et c'est le départ, la recherche de l'aventure, de l'épreuve qui "va mettre en valeur le sentiment héroïque de la vie"; après quoi, ils pourront revenir prendre leur place dans la société, l'un étant 'le Chevalier', l'autre 'la Dame': ils ont mis leur amour au service des autres.

"Tout roman de chevalerie est ainsi l'affabulation des grands thèmes qui composent l'idéal chevaleresque:

- la fidélité à la parole donnée,

- la générosité dans le don de soi,

- la recherche de la valeur qui s'affirme par des exploits – le tout à travers un langage symbolique où chaque détail possède sa signification.

"C'est ainsi que, pour le public qui écoutait déclamer ces poèmes, il n'était pas une notation de couleur qui fût indifférente: un chevalier qui revêtait une tunique rouge s'en allait au sacrifice, tel autre pourvu d'une armure blanche allait à la victoire; à travers chacun d'eux surtout, vivait ce 'culte de la femme' qui caractérise l'époque: l'amour qu'on lui voue se tempère de respect; c'est l'amour courtois.

"Il allait être illustré en poésie lyrique par l'un des comtes de Champagne, Thibaut IV, qu'on appelle le Chansonnier, poète délicat qui tomba amoureux de la reine en personne, Blanche de Castille. Il lui dédia ces vers:

Celle que j'aime est de telle seigneurie Que sa beauté me fait outrecuider… La grande beauté qui m'éprend et agrée Et sur toutes est la plus désirée M'a enlacé le cœur en sa prison…

"Blanche de Castille était de celles qui pouvaient inspirer respect autant qu'amour, et la passion du trouvère a joué son rôle dans l'histoire, puisque c'est elle qui permit le règlement d'une sorte de rébellion féodale née lors de la jeunesse de Saint Louis. Thibaut abandonna le parti des mécontents, ce dont ceux-ci ne se relevèrent pas... Par la suite, son fils Thibaut V devait épouser la fille de Saint Louis, Isabelle. Quant au chansonnier, il était mort à Pampelune, ayant recueilli l'héritage de la Navarre à la mort de son cousin Sanche VII. Enfin, un autre mariage allait faire entrer la Champagne dans le domaine royal: celui de Jeanne (fille et unique héritière du dernier comte de Champagne, Henri III, frère de Thibaut V), avec Philippe IV le Bel.

"On peut citer toute une pléiade de poètes champenois à l'époque: Gace Brûlé, Conon de Béthune, Huon d'Oisy. Plusieurs sont de grands seigneurs, comme Conon de Béthune, ou comme ce châtelain de Coucy qui, avec le comte de Champagne, fit entrer la croisade dans l'amour courtois: le poète s'exposait au mépris de sa Dame s'il refusait de partir pour cette grande aventure. S'il partait, c'était les tourments de la séparation. En fait, Guy de Coucy devait mourir en mer lors d'une croisade de barons.

"C'est cette même croisade qui donna lieu à la première grande œuvre de prose écrite dans notre langue. Les chroniqueurs jusqu'alors ne s'étaient exprimés qu'en latin: Geoffroi de Villehardouin, l'un des chefs de l'expédition, la raconta en français dans une langue magnifique. Il faut aller voir, sur la route de Troyes à Nancy, entre Brantigny et Auzon, les restes du château où naquit notre premier grand historien de langue française, dans une région où les noms à chaque pas rappellent la croisade, puisque l'église (restes du XIIIe s.) et le château de Villehardouin ne sont pas loin de Brienne, et qu'un seigneur Jean de Brienne devait être roi de Jérusalem.

"C'est encore la croisade, et c'est encore un Champenois, qui devaient donner naissance à une autre grande œuvre de prose au milieu du XIIIe s. : Joinville en effet accompagna, en 1248, Saint Louis à la croisade, et beaucoup plus tard, à la demande de Jeanne de Navarre, entreprit de raconter ses souvenirs personnels sur le roi qu'il avait appris à connaître, donc à aimer, au cours de cette croisade. Nous retrouvons le souvenir de Joinville dans la ville du même nom. Vaucouleurs même est un souvenir de Joinville, sénéchal de Champagne pour le compte du roi: c'est Joinville qui a donné à la ville sa charte de franchise. Cette charte existe encore aux Archives nationales et porte au revers, de la main du chevalier: "Ce fut fait par moy" (Georges et Régine Pernoud, Le tour de France médiévale, L'histoire buissonnière, Stock, Évreux 1982, p. 248-250).

Le Moyen Age a amélioré la condition féminine et augmenté les droits de la femme

Par rapport à la société antique en général, et la culture romaine en particulier, le Moyen Age voit incontestablement s'améliorer les droits de la femme et ce - n'en déplaise aux prétendus "philosophes", sociétés de pensées et autres féministes des temps "modernes" - grâce à l'action bienfaisante de l'Eglise.

Toutes les traditions de l'ancien monde plaçaient la femme à la tête du mal

"Le genre humain le savait; toutes les traditions de l'ancien monde plaçaient la femme à la tête du mal: toutes les traditions du monde nouveau devront la placer à la tête du bien.

"En se redisant les unes aux autres : C'est la femme qui est la cause de tous nos malheurs (A muliere initium factum est peccati, et per illam omnes morimur. Eccles., XXV, 33.), les générations antiques avaient accumulé sur la tête de la femme une masse de haine et de mépris, qui avait fait de l'ancienne compagne de l'homme le plus abject et le plus misérable des êtres. En se répétant jusqu'au seuil de l'éternité: C'est à la femme que nous devons tous nos biens, les générations nouvelles environneront la femme d'une vénération et d'une reconnaissance, qui en feront l'être le plus respecté et le plus saintement aimé de tous ceux que Dieu a tirés du néant" (Mgr Gaume, Traité du Saint-Esprit, 1865, troisième édition, Gaume et Cie Editeurs, 3 rue de l'Abbaye, tome II, Paris 1890, p. 154-155.)

Une situation inférieure de la femme dans le droit romain

"Pour comprendre ce qu'a été, à l'origine, la libération de la femme, il est bon de savoir ce qu'était la condition féminine en occident, c'est-à-dire dans le monde romain, au Ier siècle de notre ère: juristes et historiens du droit nous renseignent avec une parfaite clarté à ce sujet.

"Mieux qu'aux œuvres littéraires en effet, ou aux exemples individuels cités ici et là, c'est au droit, plus précisément, à l'histoire du droit qu'il convient de se reporter si l'on veut connaître les mœurs; le droit les révèle, et il les modèle aussi: à travers son histoire se reflètent les évolutions, et les perpétuelles interférences entre gouvernants et gouvernés, entre ce qui est voulu et ce qui est vécu.

"Or, le droit romain est sans doute le mieux connu des divers systèmes de la législation antique; il a fait l'objet d'études très abondantes et très détaillées. L'admiration qu'on lui a portée depuis le XIIIe siècle et plus encore depuis le XVIe s'est traduite en de multiples traités, recherches et commentaires; et par la suite ses dispositions ont été pour la plupart adoptées par notre code Napoléon, au XIXe siècle" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 19)

"En ce qui concerne la femme, l'essentiel de ce droit a été lumineusement exposé par le juriste Robert Villers:

"A Rome, la femme, sans exagération, ni paradoxe, n'était pas sujet de droit… Sa condition personnelle, les rapports de la femme avec ses parents ou avec son mari sont de la compétence de la domus dont le père, le beau-père ou le mari sont (p. 20) les chefs tout-puissants… La femme est uniquement un objet (On consultera l'article de Robert Villers: Le statut de la femme à Rome jusqu'à la fin de la République, dans le recueil de la Société Jean-Bodin consacré à la femme, t. Ier, Bruxelles, 1959, p. 177-189. Voir également, dans le même recueil, l'étude de Jean Gaudemet: Le statut de la femme dans l'Empire romain, p. 191-222, et celle de F. Ganshof: Le statut de la femme dans la monarchie franque, t. II, 1962, p. 5-58).

"Même lorsque, sous l'Empire, sa condition s'améliore, le pouvoir absolu du père se faisant un peu moins rigoureux, les historiens constatent:

"L'idée qui prévaut chez les juristes de l'Empire – et ils ne font qu'exprimer sur ce point le sentiment commun des Romains – est celle d'une infériorité naturelle de la femme".

"Aussi bien la femme n'exerce-t-elle aucun rôle officiel dans la vie politique et ne peut-elle remplir aucune fonction administrative: ni dans l'assemblée des citoyens, ni dans la magistrature, ni dans les tribunaux. La femme romaine n'est cependant pas confinée dans le gynécée comme l'était la femme grecque, ni comme le sera plus tard la femme dans les civilisations de l'Islam, claquemurée dans un harem; elle peut prendre part aux fêtes, aux spectacles, aux banquets, encore qu'elle n'ait pas d'autres droits que celui d'être assise, alors que la coutume veut que l'on mange couché à l'époque. Dans les faits, le pouvoir du père quant au droit de vie et de mort sur ses enfants reste entier: sa volonté, par exemple pour le mariage de sa fille, demeure "très importante"; en cas d'adultère, lui seul a le droit de tuer la fille infidèle, l'époux n'ayant que le droit d'occire son complice; l'adultère du fils, en revanche, ne sera sanctionné que sous le Bas-Empire par la restitution de la dot de la femme.

"Somme toute, la femme, pas plus que l'esclave, n'existe pas à proprement parler au regard du droit romain; si le légiste s'occupe de son sort, c'est surtout à propos de la dévolution ou de l'administration de ses biens: il fixe la part qui lui revient de l'héritage paternel, lui interdit (par la loi Voconia en 169 av. J.-C.) d'hériter de grosses fortunes – disposition difficilement contrôlable, et de ce fait peu appliquée; et, vers la fin du IIIe siècle après J.-C., prend quelques mesures pour empêcher que cette dot ne soit totalement confondue avec les biens du mari qui administre tout.

"Les adoucissements à la condition féminine n'interviennent donc que tardivement, sous l'Empire et surtout le Bas-Empire, et ce n'est aussi que durant cette dernière période qu'on prévoit pour elle quelque sanction en matière de rapt ou de viol" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 20).

La protection de la femme dans l'appareil législatif du Bas-Empire est un évènement dans l'histoire du droit des femmes qui se produit avec la prédication de l'Evangile (Régine Pernoud)

"Quelle que soit d'ailleurs cette protection à laquelle l'appareil législatif fait place à peu à peu – et il en a été de même dans beaucoup de civilisations – c'est un évènement décisif qui se produit dans le destin des femmes avec la prédication de l'Évangile. Les paroles du Christ, prêchées par les apôtres à Rome et dans les différentes parties de l'Eglise, ne comportaient pour la femme aucune mesure de "protection", mais énonçaient de la façon la plus simple et la plus bouleversante l'égalité foncière entre l'homme et la femme: "Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère à l'égard de la première; et si une femme répudie son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère" (Marc X, 11-12; Matthieu XIX, 9). A cette équation très catégorique qui avait provoqué dans l'entourage de Jésus une stupeur indignée – ("Si telle est la condition de l'homme vis-à-vis de la femme, mieux vaut ne pas se marier!") – s'ajoutaient de multiples traits rapportés par les Evangiles: c'était à une femme que le Christ avait d'abord fait la révélation, importante entre toutes, de la vie nouvelle: adorer Dieu en esprit et en vérité; il avait refusé de condamner la femme adultère, lui disant simplement: "Va et ne pèche plus", et c'était à des femmes qu'il était d'abord apparu après cette résurrection" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 20-21).

"Cette attitude, cet enseignement sans précédent vont avoir une première conséquence qu'illustre la remarque curieuse faite par le P. Georges Naïdenoff. Ayant relevé dans le Petit Larousse les noms cités pour les IIe et IIIe siècles de notre ère, il trouve beaucoup plus de femmes que d'hommes dans sa liste. Parmi les noms d'hommes, avec celui de Plotin, de l'écrivain Aulu-Gelle et du grand Origène, le dictionnaire ne mentionne guère que celui de saint Sébastien; en revanche, il nomme vingt et une femmes, dont Zénobie, reine de Palmyre, et Faustine, femme de l'empereur Antonin; les dix-neuf autres sont des saintes, des femmes que l'Eglise a mises sur les autels. Cette abondance de noms féminins, qui ont subsisté pour le grand public quand disparaissaient ceux des éphémères empereurs de ces deux siècles, souligne l'importance de ces saintes, presque toutes des jeunes femmes, des jeunes filles mortes pour affirmer leur foi. Agathe, Agnès, Cécile, Lucie, Catherine, (p. 22) Marguerite, Eulalie, et tant d'autres auront donc – et nous chercherions vainement leur équivalent dans le monde antique – survécu dans la mémoire des hommes" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 21-22).

"Somme toute, entre le temps des apôtres et celui des Pères de l'Eglise, pendant ces trois cents ans d'enracinement, de vie souterraine que résume l'image des "catacombes", de qui est-il question dans l'Eglise ? De femmes. Ce sont des femmes que l'on célèbre. Dans la page fameuse des martyrs de Lyon (v. 177), Blandine est présente à côté de l'évêque smyrniote saint Pothin; une telle attention portée à une fille qui n'était qu'une esclave et par conséquent aurait pu être mise à mort sur l'ordre de son maître devait être bien choquante pour les milieux païens. Plus choquante encore, la revendication de filles comme Agnès, issue d'une famille patricienne, ou Cécile ou Lucie ou tant d'autres, que leur légende a certes auréolées, mais dont nous savons en toute certitude qu'elles furent dans leur monde et dans leur milieu des contestataires. Que prétendaient-elles en effet ? Refuser l'époux que leur père leur destinait et garder la virginité "en vue du royaume de Dieu".

"Nous mesurons mal aujourd'hui ce que leurs revendications avaient en leur temps d'anormal, voire de monstrueux: à Rome, la patria potestas, le pouvoir du père, était absolu, nous l'avons vu, sur la famille et notamment sur les enfants à leur naissance; tous les juristes ont relevé ce qu'on appelle la "disparition forcée des cadettes"; en effet, si le père était tenu de conserver à la naissance les enfants mâles en raison des besoins militaires (sauf s'ils étaient mal formés ou jugés trop chétifs), il ne gardait en général qu'une seule fille, l'aînée; c'est tout à fait exceptionnellement qu'on voit mention de deux filles dans une famille romaine. Et il est significatif que chaque garçon reçoive un praenomen (prénom), marque de personnalité qui le distingue de ses frères, tandis que la fille, l'aînée généralement, ne porte qu'un nom, celui de la famille paternelle; ainsi, dans la gens Cornelia, la fille s'appelle Cornelia, ses frères sont Publius Cornelius, Gaius Cornelius, etc. Pas de nom personnel donc pour la fille, mais seulement celui du père.

"Ces filles que leur père n'avait donc laissé vivre à leur (p. 23) naissance que dans un geste de bonté, ou dans le souci de perpétuer la famille, voilà qu'elles désobéissaient à ses ordres, qu'elles refusaient le mariage en vue duquel la vie leur avait été conservée, qu'elles affichaient avec arrogance une volonté propre que toute la société leur déniait. Elles se mettaient en contradiction avec les structures intimes de la civilisation, des lois, des mœurs, du monde romain, c'est-à-dire du monde connu d'alors; nous n'avons guère pour apprécier le scandale que des points de comparaison, malgré tout assez faibles, avec les sociétés islamiques, lesquelles reçoivent cependant aujourd'hui quelques échos du monde occidental où la liberté de la femme n'est généralement plus mise en question. A Rome et dans l'Empire romain, la nouveauté de l'attitude de ces filles était radicale. Nier l'autorité du père de famille, le seul citoyen à part entière, propriétaire, chef militaire et grand prêtre, dans son foyer comme dans sa ville, c'était ébranler le fondement de toute une société; et à l'époque on ne s'y est pas trompé. Il est bien compréhensible que devant une prétention aussi exorbitante leur père ait usé de ce droit de vie et de mort que de toute façon la loi lui conférait" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 22-23).

"Ce n'est que vers l'an 390, à la fin du IVe siècle, que la loi civile retire au père de famille le droit de vie et de mort sur ses enfants (voir Robert Etienne, La conscience médicale antique et la vie des enfants, dans Annales de démographie historique, 1973, numéro consacré à Enfant et Société). Avec la diffusion de l'Evangile, disparaissait la première et la plus décisive des discriminations entre les sexes: le droit de vivre accordé aussi bien aux filles qu'aux garçons. Dès ce moment, la vision chrétienne de l'homme, le respect de la vie proclamé par la Bible, par l'Evangile, sont suffisamment entrés dans les mœurs pour que s'implante peu à peu le respect de la personne, qui pour les chrétiens s'étend à toute vie, même – et c'est presque paradoxal à l'époque – à celle de l'enfant né ou à naître. En effet, comme l'écrit l'un des derniers historiens de la question (Robert Etienne): "La juridiction antique est implacablement logique avec elle-même. Le droit à l'infanticide est un des attributs de la patria potestas. Un père peut refuser l'enfant que la mère vient de mettre au monde, à plus forte raison peut-on lui reconnaître des droits sur un embryon, embryon qui n'a aucune qualité juridique, n'est même pas considéré (p. 24) comme humain. Au contraire, pour les chrétiens, intervenir dans la génération à quelque moment que ce soit, c'est toucher à l'œuvre de Dieu. Et l'on comprend que saint Basile ait jugé que c'était une distinction "tirée par les cheveux" de savoir si "le fœtus est formé ou non" en cas d'avortement" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 23-24).

"Ont-elles, ces contestataires, mesuré dans toute son étendue la valeur de leur revendication ? …historiquement parlant, leur revendication de liberté contenait toutes les autres; prononcer librement le vœu de virginité revenait à proclamer la liberté de la personne et son autonomie de décision. Ces jeunes femmes, ces jeunes filles qui meurent parce qu'elles ont fait un choix libre et se sont vouées à un époux autre que celui qu'on leur destinait fondent l'autonomie de la personne. Saint Paul l'avait dit: "Il n'y a ni Grec, ni Juif, ni homme, ni femme"; ce qui compte désormais, c'est la "personne". Jusqu'à cette époque, persona, c'était le masque qu'on utilisait au théâtre et qui marquait le personnage. Dès lors le terme change se charge d'une signification nouvelle qui répond à une réalité nouvelle: ainsi les chrétiens avaient-ils à se forger un vocabulaire pour la prédication de l'Evangile; et de même que les mots: salut, grâce, charité, eucharistie, ont été forgés, ou que leur sens s'est renouvelé, sous l'influence de la Bonne Nouvelle ou pour la répandre, de même voit-on apparaître ce sens, ce terme de personne. Désormais, non seulement la (p. 26) femme mais encore l'esclave et l'enfant sont des personnes. Le terme est au-delà, lié à chacune des Personnes de la Trinité divine; et ce sens, ardemment discuté à travers les premiers conciles, devient lui-même inséparable de la signification profonde qu'il revêt pour l'humanité" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 25-26).

"Et c'est la femme d'abord qui en bénéficiera. La situation faite aux vierges et aux veuves dès la primitive Elise mérite en effet qu'on s'y arrête. Ce sont là deux types de solitude qui entraînaient dans le monde antique, juif ou païen, une sorte de malédiction. Sans aller jusqu'à immoler la veuve sur le bûcher de son époux défunt comme dans certaines religions asiatiques, on la considère comme l'être sacrifié par excellence; seules quelques veuves riches échappent, en tout cas dans l'Antiquité classique, à la détresse qui est le lot normal de celle qui a perdu son mari. Or, si l'on se reporte aux Actes des Apôtres, on constate que les veuves sont les premières assistées dans la communauté chrétienne. Très tôt d'ailleurs on passera de l'assistance à une véritable fonction dévolue aux veuves comme aux vierges; au point que saint Paul détaillera les qualités nécessaires aux veuves pour tenir leur place dans l'Eglise et y assumer un rôle actif: il suffit de parcourir ses épîtres ou le récit de saint Luc pour constater la place que tiennent les femmes dans la diffusion de l'Evangile dès la primitive Eglise.

"Quant à la virginité, elle faisait l'objet dans la Rome païenne d'un certain respect… Les Vestales, gardiennes du feu sacré dans la Cité, étaient fort honorées, mais celles qui violaient leur vœu de chasteté étaient enterrées vives. Désignées par leur père et conduites par lui au temple dès leur petite enfance, elles y demeuraient trente ans; leur statut portait donc une fois encore la marque de la patria potestas, du pouvoir du père, alors que le vœu de virginité prononcé par les chrétiens, d'ailleurs par des hommes aussi bien que par des femmes, a fondé en fait la valeur de la personne face au couple. C'est d'une importance radicale pour la femme, d'où leur rôle déterminant dans la propagation de la foi, notamment dans les milieux de l'aristocratie romaine: "Une première conversion acquise au milieu du IVe siècle concerne les femmes… Les hommes, dans l'ensemble, restent païens… A la génération suivante, ils acceptent d'épouser des chrétiennes, et par celles-ci la religion nouvelle s'acclimate bientôt, si bien qu'à partir des années 400, elle devient dominante (Jean Daniélou et Henri Marrou, Nouvelle Histoire de l'Eglise, t. Ier, p. 339)". Dans la première génération, on ne peut guère citer comme sénateur chrétien que Pammachius; par la suite, le milieu sénatorial romain, jusqu'alors bastion de la résistance païenne face aux empereurs chrétiens, adopte à son tour l'Evangile" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 26).

La femme au Moyen Age avait autant de droits que l'homme

Il faut relever ici l'influence des femmes, qui fut si vivante au Moyen Age et qui allait voir son plein épanouissement aux XIIe et XIIIe siècles.

Tout en étant exceptionnelle, la vie d'Aliénor témoigne du comportement très libre des femmes au Moyen Âge.

  • Elles ont le droit de vote.
  • Elles étudient,
  • Elles animent des cours, etc.

L'abbaye de Fontevrault réunissait deux communautés d'hommes et une communauté de femmes sous l'autorité... d'une abbesse.

Au Moyen Age, les femmes votaient

"On doit considérer les droits essentiels dont bénéficie la femme au Moyen Age. Dans les assemblées urbaines ou les communes rurales, les femmes, lorsqu'elles sont chefs de famille, possèdent le droit de vote." (Jean Sévillia, Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique, Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 22).

Après la révolution de 1789, censée apporter la Liberté, il faudra attendre 1945 pour voir le droit de vote reconnu à la femme...

Elles administraient

Les femmes administrent et gèrent de grands domaines comme le feraient des hommes.

"Le XVIIIe siècle européen compte une Catherine de Russie, une Marie-Thérèse d'Autriche; mais que dire du pouvoir de la reine en France à la cour de Louis XV comme à celle de Louis XVI ? Dans l'alcôve ou dans la coulisse, sans doute… Qui aurait admis en 1715, en attendant la majorité du Dauphin, une régente au lieu du régent ? Pourtant le règne d'une femme avait paru tout naturel, en semblable circonstance, au XIIIe siècle. Et l'on n'en finirait pas d'énumérer, à l'époque féodale et encore aux temps médiévaux, les femmes qui ont dirigé et administré des domaines parfois très étendus.

"John Gilissen a fait remarquer: "Presque toutes les principautés laïques belges ont été gouvernées par des femmes à l'un ou l'autre moment de leur histoire: citons les comtesses Jeanne (1205-1244) et Marguerite de Constantinople (1244-1280), en Flandre et Hainaut, la duchesse Jeanne en Brabant (1355-1406), Marguerite de Bavière en Hainaut (1345-1356), Marie de Bourgogne pour l'ensemble des principautés (1477-1482)". De combien de fiefs en France pourrait-on en dire autant! (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 215)

"L'exercice du pouvoir suprême ne les empêche pas pour autant d'être pleinement femmes. Elles n'ont aucunement le souci d'imiter ou de copier un modèle masculin. Dans leur comportement, même lorsqu'elles agissent sur le terrain politique ou militaire, elles restent femmes, essentiellement. Rappelons deux exemples bien frappants: celui de Blanche de Castille

Blanche de Castille.jpg

arrivant au siège du château de Bellême en 1229 et constatant que l'armée est littéralement paralysée par le froid; elle fait aussitôt tailler du bois dans les forêts alentour, et réchauffe ses gens qui retrouvent du même coup leur ardeur pour terminer un siège traînant depuis plusieurs semaines" Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 216).

Sainte Jeanne d\'Arc.jpg

"De même chez Jeanne d'Arc trouve-t-on, en même temps que l'élan au combat, la tendresse de la femme quand elle se penche sur un Anglais blessé, et un bon sens quasi maternel devant une armée qui se bat depuis l'aube: "Reposez-vous, mangez et buvez"; après quoi, ce 7 mai 1429, ses compagnons enlèvent la bastille des Tourelles, objet de leurs assauts.

"Plus subtilement, c'est toute une atmosphère correspondant à la vie courtoise qui entoure ces comtesses, ces reines dont l'action politique a été si prudente, si tenace parfois. Elles ne sacrifient rien de ce qui fait l'originalité de la femme. La personne d'Aliénor d'Aquitaine suffirait à le prouver, mais, les exemples abondent en ce domaine" (Régine Pernoud, ibid, p. 216).

"Chez les paysans, les artisans ou les commerçants, il n'est pas rare que la femme dirige l'exploitation, l'atelier ou la boutique. A la fin du XIIIe siècle, à Paris, on trouve des femmes médecins, maîtresses d'école, apothicaires, teinturières ou religieuses (Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique, Perrin? Saint-Amand-Montrond 2003, p. 22-23)

D'Héloïse à Hildegarde de Bingen, on ne compte pas les hautes figures féminines de la chrétienté médiévale. Au XIIe siècle, la première abbesse de Fontevraud, Pétronille de Chemillé, nommée à vingt-deux ans, commande un monastère regroupant une communauté d'hommes et une communauté de femmes. Les moines ne se sont jamais plaints d'être dirigés par une femme...

Et les reines ? Couronnées comme le roi, elles exercent le pouvoir en son absence. Aliénor d'Aquitaine ou Blanche de Castille, quelques-unes de ces femmes dominent leur époque (Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique, Perrin? Saint-Amand-Montrond 2003, p. 23-24).

On se rappellera la réplique du roi Saint Louis prisonnier des Musulmans en Egypte lui demandant combien il voudrait donner d'argent au sultan pour sa libération:

Le roi répondit que si le sultan voulait prendre de lui une somme raisonnable de deniers, il demanderait à la reine qu'elle les payât pour leur délivrance.

"Et ils dirent: "Pourquoi ne voulez-vous pas vous y engager ?"

"Le roi leur répondit qu'il ne savait si la reine (Marguerite de Provence) le voudrait faire, parce qu'elle était la maîtresse..." (Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 297).

La femme au moyen Age travaillait autant que l'homme

"...Au Moyen Age, la femme travaille à peu près autant que l'homme, mais non dans les mêmes opérations. D'après les comptes de drapiers, on s'aperçoit que, par exemple, sur quarante et un ouvriers nommés, il y a vingt femmes pour vingt et un hommes" (Georges et Régine Pernoud, Le tour de France médiévale, L'histoire buissonnière, Stock, Évreux 1982, p. 278).

Mais les métiers trop fatigants lui étaient interdits

"Ce que l'on interdit, ce sont les métiers jugés trop fatigants pour elles. Ainsi du tissage: tant qu'il a été pratiqué de façon artisanale, il a été œuvre de femme, notamment dans l'Antiquité; au moyen Age, il est ouvrage d'homme. De même, dans la tapisserie, défendait-on aux femmes la tapisserie de haute lisse, jugée trop fatigante pour elles puisqu'elle oblige à tenir les bras étendus. Les règlements précisent qu'elles doivent être munies d'un tablier de cuir, cela afin de protéger leurs vêtements et de garantir aussi la netteté de leur travail" (Georges et Régine Pernoud, Le tour de France médiévale, L'histoire buissonnière, Stock, Évreux 1982, p. 278).

Elle était "efficacement protégée"

"L'historien de Lille a pu écrire: 'La moindre ménagère faisant son marché était efficacement protégée'.

"Protégée aussi bien contre la fraude, qui atteint toujours davantage les petites gens, que contre la vie chère, provenant des abus de l'intermédiaire...

"Car, à l'époque, le consommateur direct a priorité absolue sur le revendeur. Ainsi, à Paris – qu'il s'agisse de n'importe quel achat: blé, œufs, fromages, vins –, le consommateur qui intervient avant que le denier à Dieu (les arrhes) ait été remis à l'acheteur ou même pendant qu'il le remet, au moment où on ferme le sac, a le droit de se faire céder la marchandise. Partout, on règle sévèrement le lieu où les revendeurs doivent se tenir pour être facilement distingués de ceux qui vendent le produit de leur propre travail. Ainsi, à Marseille, les revendeurs de poisson ne pouvaient se tenir qu'au grand marché; à la poissonnerie, l'acheteur était sûr de ne rencontrer que des pêcheurs vendant le produit de leur pêche. De plus – et cela se retrouve dans les villes aussi éloignées que Provins et Marseille –, le revendeur ne peut acheter qu'à partir de midi. Toute la matinée est réservée à celui qui achète pour sa consommation familiale.

"C'est, on le voit, le contraire de ce qui se passe de nos jours, où l'acheteur privé ne peut se servir directement chez le marchand de gros, encore moins chez le producteur.

"Pour les matériaux les plus chers, comme les matériaux de construction, bois, tuiles etc., les obligations allaient plus loin encore: pendant quinze jours, lorsque avaient été débarqués sur le port de Marseille des bois de charpente, seuls avaient le droit d'acheter les acheteurs privés; et pendant huit jours encore, ceux qui avaient laissé passer les délais pouvaient se faire rétrocéder au prix coûtant la marchandise acquise par le revendeur" (Georges et Régine Pernoud, Le tour de France médiévale, L'histoire buissonnière, Stock, Évreux 1982, p. 280-281).

Les démêlés matrimoniaux du Roi prouvaient le pouvoir de la Reine

Sous Philippe Auguste (1180-1223), fils de Louis VII et d’Adèle de Champagne, longtemps surnommé Dieudonné car né tard du second mariage de Louis VII (1137-1180) après son divorce d’avec Aliénor d’Aquitaine, les démêlés matrimoniaux du roi prouvent le pouvoir de la reine:

"En 1193, il épouse une jeune princesse du Nord, Isambour, ou Ingeborge ou encore Ingeburge de Danemark. Que se passe-t-ils entre eux pendant la nuit de noces ? En tout cas, le mariage n'est pas consommé... Philippe Auguste prend progressivement Ingeborge en horreur, puis la répudie. Il la brutalise et se comporte très mal avec elle. C'est tragique pour la malheureuse reine: jeune, innocente, ne connaissant ni le pays ni sa langue, elle ne comprend pas ce qui lui arrive et continue d'aimer le roi. Cependant Philippe ne se prive pas d'avoir de nombreuses maîtresses et de nombreux bâtards, mais aucun ne peut lui succéder. Les évêques français tranchent et annulent le mariage, sans difficulté puisque celui-ci n'a pas été consommé. Philippe Auguste épouse alors une princesse flamande, Agnès de Méranie, qui lui donne deux enfants. C'est alors qu'a lieu, symboliquement, peut-être le plus grand bras de fer de l'histoire du mariage. Philippe Auguste a en face de lui Innocent III, le plus grand pape du Moyen Âge, qui refuse l'annulation du mariage et casse la décision des évêques français. Innocent III considère que, selon le droit canon, seule la reine peut demander l'annulation car c'est elle qui est frustrée. Or, Ingeborge ne demande rien. Le pape refuse de céder. Il excommunie Philippe Auguste et place le royaume en interdit: aucune cérémonie religieuse ne peut être célébrée en France. C'est une mesure terrible qui incite le peuple à la révolte. La mort rapide de la seconde reine, nullement coupable puisque le premier mariage a été annulé par les évêques français, aide au règlement de l'affaire. Le roi accepte de reprendre Ingeborge en échange de la reconnaissance des enfants qu'il a eus d'Agnès de Méranie. Celle-ci est comptée comme reine car elle est innocente; elle n'a fait qu'obéir aux évêques; ses enfants sont considérés comme légitimes et peuvent entrer dans la succession. Ingeborge, dont le mariage n'a jamais été annulé, revient: elle finit sa vie en reine et épouse, en brodant pour son cher Philippe, repentant et apaisé, qu'elle a toujours adoré même s'il a été injuste avec elle. Dans cette affaire, les évêques français ont fini par reconnaître qu'Innocent III avait raison. Ils ont un sens du sacrement et de la valeur spirituelle suffisamment grand pour comprendre que la justice et l'égalité entre les hommes et les femmes justifient la position du pape.

"C'est la plus grande victoire jamais remportée par la cause féminine, n'en déplaise aux professionnels du féminisme 'politiquement et intellectuellement correct'..." (Pierre Chaunu, Éric Mension-Rigau, Baptême de Clovis, baptême de la France, De la religion d'État à la laïcité d'État, Éditions Balland, Paris 1996, p. 167-168).

Voir aussi sur Ingeborg, l'ouvrage de Régine Pernoud et de Geneviève de Cant, Isambour, le reine captive, Éditions Stock 1987).

Les femmes perdront leurs droits à la "Renaissance"

"Les femmes perdront leur autonomie à la "Renaissance", quand les juristes ressusciteront le droit romain et le statut d'infériorité féminine qui s'y attache... (Comme quoi la dite 'Renaissance' n'a pas été un progrès pour tout le monde...) (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 171).

Une osmose entre les usages francs germaniques et les coutumes celtiques gauloises

"Les usages des peuples dits barbares qui se sont installés en Gaule par les armes ou pacifiquement aux Ve- VIe siècles étaient de toute évidence beaucoup plus proches des coutumes celtiques que ne pouvaient l'être la loi et l'administration romaine.

"Si bien que l'Empire s'étant effondré, (p. 172) l'osmose s'est faite sans trop de heurts, semble-t-il, entre ces Celtes, qui composent toujours l'ensemble de la population de la Gaule, et les Francs, les Burgondes, les Wisigoths qui s'y implantent" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 171).

Les peuples celtique, germanique, nordique, étaient ouverts à la nouveauté des principes évangéliques

"Pour l'ensemble de ces peuples, le noyau, la structure essentielle de la société, c'est la famille, la parenté des êtres issus d'un même sang. C'est sur la solidarité créée par les liens naturels qu'elle repose, non comme à Rome sur l'autorité du père: différence qui entraîne des conséquences importantes, entre autres la stabilité du groupe familial, indestructible en droit puisque due au sang même de l'individu. La famille est donc un état de fait découlant de l'association naturelle entre parents issus d'un même ménage. Ce type de famille n'a rien à voir avec la tribu, non plus qu'avec la structure autoritaire et "monarchique" que connaissait l'Antiquité.

"Les peuples d'origine celtique, germanique, nordique, étaient donc de par leurs coutumes, et en dépit de moeurs rudes, relativement ouverts à la nouveauté des principes évangéliques.

"Le régime familial le disposait à reconnaître le caractère indissoluble de l'union de l'homme et de la femme, et chez les Francs par exemple, on constate que le wehrgeld, le prix du sang, est le même pour la femme et pour l'homme, ce qui implique un certain sens de l' égalité" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 172).

Le mariage catholique

Egalité des droits dans le mariage catholique: une nouveauté historique améliorant la condition de la femme

"Or, à trois reprises, l'Evangile proclame: "Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni" (saint Matthieu V, 31-32 et XIX, 3-9; saint Luc XVI, 18; saint Marc X, 2-12). La foi chrétienne plus exigeante sur ce point que l'Ancien testament, établissait donc la permanence de l'union de l'homme et de la femme dans une égalité totale et réciproque.

L'Eglise au cours du temps aura donné, aux innombrables difficultés d'ordre pratique qu'entraîne cette prescription, des réponses qui ont souvent varié selon les circonstances, mais non quant au fond. Comme le remarque Gabriel Le Bras, dans la conclusion de sa longue étude (Le mariage dans la théologie et le droit de l'Eglise du XIe au XIIIe siècles, dans Cahiers de civilisation médiévale, XIe année, n°2, avril-juin 1968, p. 191-202. Se reporter aussi à son article Mariage dans le Dictionnaire de Théologie catholique, t. IX, col. 2044, 2317)): "Depuis les origines du chritianisme jusqu'à nos jours, la croyance fondamentale (l'égalité dans le mariage) n'a point changé. Le mariage est un (p. 173) sacrement institué par Dieu pour procurer à la famille les grâces nécessaires". A condition que le terme famille soit entendu dans son sens véritable (catholique), c'est-à-dire que l'on y considère autant le bien de chacune des personnes qui la composent (mari, femme et enfants) que celui de l'ensemble, cette définition est valable pour toute la Chrétienté.

C'est en cela que la conception chrétienne du mariage intéresse au premier chef l'histoire de la femme.

Cette égalité établie joue en sa faveur.

En un temps où l'on considère la femme comme la chose de l'homme, guère plus que l'esclave dans le monde romain, mieux protégée dans le monde "barbare", mais encore loin de l'égalité des droits, on imagine l'anomalie que peuvent constituer les affirmations évangéliques que reprend Saint Paul [2]... Car celui-ci que l'on présente souvent (aujourd'hui) comme misogyne et antiféministe convaincu, a certes multiplié à l'adresse des femmes des recommandations quant à la pudeur, au silence, à la modestie; ..."toutefois la femme n'est pas séparable de l'homme ni l'homme de la femme dans le Seigneur; car, de même que la femme a été tirée de l'homme, l’homme pareillement naît de la femme, et tout vient de Dieu" (Ière épître aux Corinthiens).

Il reste que nous mesurons mal aujourd'hui ce que pouvait avoir de totalement nouveau la symétrie absolue, l' égalité complète que suppose, tiré de la même épître, le résumé lapidaire qu'il (saint Paul) fait des obligations réciproques des deux conjoints dans le mariage:

"La femme n'est pas la maîtresse de son corps, il est à son mari. Le mari n'est pas davantage (p. 174) le maître de son corps, il est à la femme" (I Cor. VII, 4).

"On mesure la distance qui séparait cette conception (l' égalité)de celles (des conceptions) qui régnaient dans le monde (romain) d'alors, lorsqu'on se souvient que selon le droit romain, la fille, perpétuelle mineure, passe de la tutelle de son père à celle de (p. 175) son époux, et que la femme adultère doit être punie de mort, alors que l'adultère du mari n'est pas sanctionné (sinon très tard dans le Bas-Empire: III-Ve s. ap. J.-C.)" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 172)

"Dans la vie quotidienne pourtant, le précepte se heurtait à de dures réalités (persistance du droit romain ou des coutumes barbares). Il reste que la doctrine chrétienne du mariage s'est édifiée peu à peu sur cette base fondamentale de l'union entre deux êtres sur un pied d' égalité [nouveauté alors révolutionnaire dans le monde encore imprégné de droit romain...], union indissoluble et comportant pour chacun des devoirs réciproques..." (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 174).

Honorabilité de la virginité comme du mariage

"...aux yeux des chrétiens, dès les débuts de l'Eglise, virginité et mariage sont également honorés.

"Dès le IIe siècle, saint Irénée de Lyon, face aux gnostiques, montrait que culpabiliser le mariage, voir dans la chair la cause du péché, était faire insulte au Créateur; plus encore, saint Paul donne au mariage un sens mystique: dans l'union de l'homme et de la femme, il voit le symbole de l'union du Christ et de l'Eglise. Telle est la conclusion qu'il développe dans l'épître aux Éphésiens (V, 22-33): "Que les femmes se soumettent à leur mari comme au Christ… Vous, les hommes, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise…" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 174).

Adoucissements apportées aux coutumes barbares

"Les adoucissements apportés aux coutumes "barbares" sont eux-mêmes significatifs... C'est ainsi qu'à la fin de l'époque franque, on ne reconnaît plus au mari le droit de tuer sa femme "que pour juste cause"... Pourtant, répétons-le, ces coutumes franques étaient, dès l'origine, comme les coutumes burgondes, les plus favorables à la femme que la plupart des autres coutumes, saxonnes par exemple, et plus tard normandes" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 175).

Apparition du principe catholique de la liberté du consentement dans le mariage

"Aussi bien, le souci des hommes d'Eglise durant ce que l'on peut appeler la période franque, aux VIe-VIIe siècles, c’est non seulement d'adoucir les mœurs, mais aussi et surtout, tout en maintenant la stabilité du mariage, d'assurer aux futurs époux le libre consentement à l'union conjugale" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 175).

"Dès le VIIIe siècle, l'Eglise a écarté le consentement des parents jusqu'alors considéré comme nécessaire pour la validité du mariage (entendons: des pères, père et mère). L'autorisation du père et de la mère ne paraît plus indispensable aux yeux de l'Eglise, et cela de moins à mesure que se dégage la valeur sacramentelle du mariage: ce sont l'époux et l'épouse qui sont les ministres du sacrement, le prêtre lui-même n'étant là que comme témoin. L'évolution est nette au cours du temps: à mesure qu'est mieux dégagé le sens du sacrement qui fait des époux eux-mêmes les ministres du mariage, on insiste sur l'importance de leur consentement réciproque aux dépens de l'approbation des pères et mères, de la famille, même aux dépens du prêtre dont la présence signifie seulement celle de l'Eglise entière et atteste le caractère sacré de l'union conjugale… D'abord un peu floue, hésitante et influencée durant les premiers siècles de l'Eglise par les habitudes normales et courantes dans le monde romain, la pratique du mariage s'affermit dès le VIIIe siècle lorsque l'on (p. 183) écarte le consentement des parents comme condition de validité. Elle est énoncée avec une grande clarté au XIIe siècle. L'historien du droit René Metz en a bien fait ressortir les principales étapes (René Metz, Le statut de la femme en droit canonique médiéval, dans le Recueil de la société Jean-Bodin sur La femme, IIe partie, t. XII, Bruxelles 1962, p. 59-113): avec un Hugues de Saint-Victor, un Pierre Lombard, l'Eglise dégage nettement que ce qui fait le mariage, c'est la volonté de chacun des époux de réaliser l'association conjugale (Dictionnaire de théologie catholique, t; IX, article 'Mariage')…" Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 182).

Régression du principe du libre consentement à la "Renaissance"

"Et c'est en réalité à une curieuse régression qu'on assistera dans la suite des temps. Car sous l'influence de la renaissance du droit romain, qui en Italie commence à se dessiner dès le XIIe siècle et en France passe dans les mœurs et dans la pratique juridique au XVIe siècle, des tendances se font jour qui restreignent la liberté des jeunes époux...

"Lors du Concile de Trente, en effet, on assiste à des joute oratoires très passionnées à propos du mariage, et les délégués français, porte-parole du pouvoir royal, se font remarquer parmi les plus acharnés pour combattre la liberté des époux et rétablir le consentement des parents en fait de mariage; lors des sessions qui se déroulèrent entre 1547 et 1562 sur le sujet, et qui allaient être reprises en 1563, l'influence de la délégation française fut vivement sentie; un édit de Henri II, dès 1556, avait donné aux parents le droit de déshériter ceux de leurs enfants qui se seraient mariés sans leur accord. C'était restituer, quoique partiellement, l'ancienne patria potestas, et il s'agissait d'obtenir de l'Eglise rassemblée qu'elle ratifie cette tendance, en réalité, on le voit, fort réactionnaire; ce qui fut acquis, en tout cas, c'est toute une législation nouvelle tendant à renforcer la publicité du mariage et à la rendre obligatoire pour sa validité.

"Dans les faits, cela revenait à amplifier aussi bien le rôle des parents que celui du prêtre: le mariage devait être célébré dans l'église par le curé des contractants ou un prêtre qu'il aurait autorisé, en présence d'au moins deux ou trois témoins; le prêtre désormais interroge chacun des époux, et reçoit leur consentement; c'est lui qui prononce les paroles de consécration suivies de la bénédiction nuptiale. On y ajoute le devoir pour ce curé de tenir correctement et régulièrement le registre paroissial, devenu de nos jours registre d'état civil.

"Sans renier les efforts des papes et des canonistes de l'époque féodale pour faire reconnaître que ce sont les époux eux-mêmes qui sont ministres du sacrement, ces diverses prescriptions restreignaient considérablement leur liberté; en concluant son étude, René Metz fait remarquer que "le droit canonique médiéval était plus féministe dans la pratique que ne l'est le droit canonique contemporain..." (il écrit cela en 1962...); il met l'accent sur la méfiance envers la femme qui perce dans la plupart des explications de juristes et canonistes entourant ces dispositions.

"Méfiances qui, du reste, s'étendent aux jeunes époux eux-mêmes, car dans le même temps se trouve reculé considérablement l'âge de la majorité qui détermine l'âge du mariage: (p. 186) pour les garçons, il est fixé à vingt ans, pour les filles à dix-huit ans, cela dans l'église universelle. En France, dans le même temps, l'âge de la majorité redevenait ce qu'il avait été à l'époque romaine: vingt-cinq ans, du moins pour les garçons, puisque le cas des filles était différent et qu'en fait elles n'étaient jamais majeures.

"Or, pendant la période féodale ce n'est pas sans quelques étonnements que nous constatons que les filles sont majeures dans la plupart des coutumes à l'âge de douze ans, les garçons à quatorze ans. Cette question de la majorité, fort importante en ce qui concerne justement la validité du mariage, et pour la vie en général au sein de la société, mérite qu'on y insiste; elle a un peu varié suivant les coutumes. Ainsi, dans certaines régions comme la Champagne, dans les familles nobles, la majorité est reculée à quinze ans pour les filles, dix-huit ans pour les garçons. Mais pour l'ensemble des familles roturières, les âges respectifs de douze et quatorze ans constituent l'usage normal" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 184).

Détérioration de la situation de la femme dans l'administration des biens à la dite "Renaissance"...

"Comme on le voit, la situation de la femme dans le mariage s'est considérablement détériorée entre les temps médiévaux et les temps classiques, et cela se manifeste notamment dans l'administration de ses biens.

Jean Portemer, qui a étudié le statut de la femme entre le XVIe siècle et la rédaction du Code civil, l'a souligné (Jean Portemer, Le statut de la femme en France depuis la réformation des coutumes jusqu'à la rédaction du Code civil, dans l'étude sur La femme, publiée par la société Jean-Bodin, IIe partie, t; XII, Bruxelles 1962, p. 447-497. Voir notamment les pages 454-455); il rappelle que, beaucoup plus sourcilleuse que celle de l'Eglise, la législation royale exige le consentement des parents au mariage, parfois jusqu'à l'âge de trente ans..." (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 188).

A la "Renaissance" la femme devient une personne beaucoup plus effacée de la scène juridique qu'un mineur (résurrection du droit romain)

Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 188: "L'aggravation est sensible, conclut-il (Jean Portemer), par rapport aux siècles antérieurs où seule la communauté de biens, et non la femme elle-même, avait le mari pour seigneur et maître. Sa puissance, le mari l'exerce non pour protéger une incapable, mais dans son intérêt propre, à raison de sa qualité de supérieur et de chef de la société conjugale. Elle fait de la femme mariée, non 'une perpétuelle mineure', selon l'expression consacrée, mais en réalité une personne beaucoup plus effacée qu'un mineur de la scène juridique!". Un mineur peut agir validement dans quelques cas, alors que tous les actes de la femme sont frappés de nullité, s'ils n'ont été approuvés par le mari. Les juristes de l'Ancien Régime, tout imbus de droit romain, n'auront fait que renforcer ces dispositions (qui seront plus tard consacrées par le code Napoléon...)

… "Le mariage, en formant une société entre le mari et la femme dont le mari est le chef, donne au mari, en la qualité qu'il a de chef de cette société, un droit de puissance sur la personne de la femme qui s'étend aussi sur ses biens… La puissance du mari sur la personne de la femme consiste par le (p. 189) droit naturel dans le droit qu'a le mari d'exiger d'elle tous les devoirs de soumission qui sont dus à un supérieur, etc."

On se trouve loin, très loin de la mentalité des temps féodaux, celle où un Vincent de Beauvais, résumant des idées émises dès le VIIe siècle par Isidore de Séville, et reprises largement au XIIe siècle par Hugues de Saint-Victor, disait de la position de la femme par rapport à l'homme: "nec domina, nec ancilla, sed socia (ni maîtresse, ni servante, mais compagne)" [socia ayant le sens qui s'est conservé dans le terme associé].

C'est au XVIe siècle que la femme devient juridiquement une "incapable"...

"Le juriste Pierre Petot, qui a spécialement étudié le statut de la femme dans les pays coutumiers français (toujours dans le même recueil édité par la société Jean-Bodin, voir l'étude de Pierre Petot et André Vandenbossche, Le statut de la femme dans les pays coutumiers français du XIII au XVIIe siècle, IIe partie, t. XII, p. 243-254), fait remarquer que les intérêts pécuniaires de la femme même mariée sont au XIIIe siècle solidement protégés; elle demeure propriétaire de ses biens propres; le mari en a l'administration, la jouissance, ce qu'on appelle alors la saisine, c'est-à-dire l'usage, mais il ne peut en disposer; les biens de sa femme sont totalement inaliénables; en revanche, la femme mariée participe de droit à tout ce que le ménage peut acquérir et, en cas de décès de son époux, elle a la jouissance d'une partie des biens propres de celui-ci: la moitié dans les familles roturières, le tiers chez les nobles dans la plupart des coutumes; il relève aussi qu'une femme qui exerce un commerce peut témoigner en justice pour tout ce qui se rattache à l'exercice de ce commerce. Elle remplace sans autorisation préalable son mari s'il est absent ou empêché. Jusqu'à la fin du XVe siècle, en effet, elle jouit de ce qu'on appelle la "capacité juridique"; ce n'est qu'au XVIe siècle qu'elle devient juridiquement incapable, le contrôle du mari sur les actes de son épouse étant de plus en plus rigoureux: les actes de la femmes sont nuls si elle n'a pas obtenu l'autorisation de son époux. On suit parfaitement à travers les théories des juristes, notamment Tiraqueau et Dumoulin, cette progression du pouvoir marital qui aboutit à faire de la femme mariée une incapable, ce que consacrera au début du XIXe siècle le code Napoléon; il y (p. 190) avait là un retour au droit romain que les auteurs du chapitre consacré à la loi romaine dans l'ouvrage important de Crump et Jacobs sur le Legs du Moyen Age ont analysés non sans humour: Dialecticiens et juristes, disent-ils se sont efforcés de rattacher à la loi et à la pensée romaines des systèmes qui parfois étaient complètement étrangers, "leur désir de réconcilier toutes contradictions et de trouver l'autorité romaine en des solutions pratiques qui étaient l'inverse de celle des Romains a conduit à de puérils coupages de cheveux en quatre et à une grande inexactitude doctrinale".

"C'est néanmoins l'obsession qui a régné, dans les écoles de droit comme à l'université en général, et a eu pour effet de réduire à néant la maîtrise que la femme avait auparavant exercée sur ses biens. Tous les historiens du droit sont ici d'accord: "La femme séparée, par exemple, est moins favorisée [au XVIIe s.] qu'à la fin du Moyen Age, où non seulement elle recouvrait l'administration de ses biens (en cas de séparation), mais encore pouvait en disposer librement. Désormais, la puissance du marie est telle que, malgré sa disqualification, son autorisation est indispensable à sa femme quand celle-ci désire aliéner ses immeubles" (Jean Portemer).

"La question du droit de succession des femmes demanderait, elle aussi, de long développements: n'a-t-on pas, au début du XIVe siècle, invoqué certaine "loi salique" qui eût interdit à la femme de succéder aux fiefs, les hommes y étant seuls autorisés; effectivement, dans le droit franc primitif, (p. 191) telle était la coutume. Mais si l'on sait que dès le milieu du VIe siècle cette restriction est limitée au bien de famille héréditaire (ce que plus tard on nommera le "chef-manoir", la demeure principale); si l'on ajoute que, dès le règne de Childéric Ier (561-584), un édit fameux sous le nom d'édit de Neustrie transforme cette incapacité elle-même en un second rang de succession (c'est-à-dire que les filles peuvent succéder à défaut de fils, les sœurs à défaut de frères) et que, de toute façon, en dehors du manoir principal, les acquisitions de la famille sont également partagées entre filles et garçons; qu'enfin, dans la pratique, et toujours chez les roturiers, toutes discriminations cessent d'être impératives dès le VIIe siècle aussi bien chez les Francs, les Ripuaires que les Wisigoths, Burgondes, Alamans, Bavarois, etc., on jugera combien était spécieuse l'argumentation des légistes du XIVe siècle lorsqu'ils invoquaient solennellement la "loi salique" pour renforcer la première décision, prise par Philippe le Bel à la veille de sa mort, interdisant aux femmes de recueillir la succession de fiefs nobles! Nous aurons l'occasion d'en reparler à propos du pouvoir politique que la femme exerce pendant toute la période féodale.

"Pendant cette période aussi l'usage veut que, si la femme apporte une dot, le mari de son côté lui constitue ce que l'on appelle un douaire; et l'on constate, dans le cas, par exemple, des reines, qui jouissent d'un douaire important, qu'elles l'administrent elles-mêmes pendant la vie et après la mort de leur époux.

"Il n'était pas sans intérêt de s'étendre un peu sur une législation dont nous retrouvons à chaque instant la conséquence dans la vie économique du temps. On voit les femmes vendre, acheter, conclure des contrats, administrer des domaines, et finalement faire leur testament avec une liberté que seront loin d'avoir leurs sœurs du XVIe et plus encore des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles…" Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 189).

Le code civil supprimera encore des droits à la femme

Le Code civil de Napoléon Ier, plus romain que nature, aggravera encore cette situation...

Le livre de Régine Pernoud: "La femme au temps des cathédrales"

(Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980.

Introduction

"...l'idée d'étudier l'histoire de la femme m'était venue lorsque je travaillais à mon livre sur la bourgeoisie en France; une remarque s'est alors peu à peu imposée à moi: la place de la femme au sein de la société semblait en effet s'amenuiser dans la proportion où la puissance du bourgeois s'étendait, s'affermissait, où il joignait au pouvoir économique et administratif le pouvoir politique. Dès ce moment, à travers les soubresauts qui vont de l'Ancien Régime à l'avènement de la Monarchie de Juillet, la femme est tout à fait éclipsée de la scène. Les Mémoires d'une femme intelligente comme le fut Elisa Guizot attestent l'effacement désabusé qui est exigé d'elle.

"C'est donc une réaction naturelle qui m'amena, après des années passées à suivre le bourgeois de sa naissance aux temps modernes, à étudier la place de la femme dans la société, notamment aux époques qu'on pourrait appeler pré-bourgeoises, si le terme n'était pas trop restrictif: au temps d'Héloïse, d'Aliénor, de la reine Blanche de Castille, et même plus tard, lorsqu'entre en scène la femme la plus connue du monde: d'Arc Jeanne d'Arc.

"L'ensemble de son évolution fait penser à ces roues de Fortune où l'on voit un personnage qui monte, qui triomphe quelque temps, puis amorce sa descente pour retomber au plus bas. Selon cette image si familière à l'iconographie médiévale, l'apogée [de la place de la femme dans la société] correspondrait à l'Age féodal: du Xe à la fin du XIIIe siècle…. Les femmes exercent alors, incontestablement, une influence que n'ont pu avoir ni les belles frondeuses du XVIIe siècle, ni les sévères anarchistes du XIXe.

"Cette influence décroît manifestement durant les deux siècles suivants, ceux auxquels je réserve l'appellation de temps médiévaux. Les XIVe et XVe siècles représentent bien en effet un âge "moyen", au cours duquel la mentalité change, spécialement à l'égard de la femme. Et la roue de Fortune ne tarde pas à l'entraîner vers une éclipse dont elle émerge de nouveau en notre XXe siècle.

"Mais, le mouvement constaté, il était indispensable d'en chercher les origines: comment a-t-on pu passer du statut de la femme dans l'Antiquité classique gréco-romaine, voire dans le passé celtique et germanique, à celui de l'Age féodal? D'où est venue cette mutation évidente, encore que lente à s'imposer dans les mœurs (mais l'historien sait, d'expérience, combien toute nouveauté met de temps à s'imposer, et qu'une maturation est nécessaire, inexorablement, du germe au fruit)?" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 7-8).

Clotilde (p.13)

C'est avec l'arrivée d'une femme que notre histoire devient l'histoire de France. Clovis, roi des Francs Saliens, qui originaires des environs de Tournai, ont conquis une bonne partie du nord de la Gaule, envoie chercher à Genève, pour en faire son épouse, Clotilde, nièce de Gondebaud, roi des Burgondes.

"À l'occasion d'une des nombreuses ambassades envoyées par Clovis en Burgondie", écrit Grégoire de Tours, l'historien de ces Francs qui vont "faire la France", "ses envoyés rencontrèrent la jeune Clotilde. Ils informèrent Clovis de la grâce et de la sagesse qu'ils constatèrent en elle et des renseignements qu'ils avaient recueillis sur son origine royale. Sans tarder, il la fit demander en mariage à Gondebaud; celui-ci[…] la remit aux envoyés, qui se hâtèrent de l'amener à Clovis. À sa vue, le roi fut enchanté et l'épousa, bien qu'une concubine lui eût déjà donné auparavant un fils, Thierry".

Lorsqu'en étudie l'histoire de l'Occident, il est frappant de voir à quel point elle a été masculine jusqu'à ce Ve siècle...

Combien de femmes pourrait-on citer à travers les siècles d'existence de Rome et de sa domination ? Certes, on a retenu le nom d'Agrippine, la mère de Néron, mais elle le doit plus à Racine qu'à Tacite. De nombreuses monnaies portent l'effigie de Faustine, mais que sait-on d'elle ? Les manuels d'histoire romaine qu'on infligeait jadis aux (p. 14) écoliers, si prolixes pourtant sur la civilisation antique, ne mentionnaient même pas cette impératrice qui n'a pour elle que son profil de médaille.

Avec Clotilde, la présence de la femme se fait évidente, et son influence certaine; cette jeune fille, qui vient du territoire des Helvètes, est de famille royale; ses parents règnent sur la Burgondie (notre future Bourgogne). Tous les historiens ont relevé le rôle capital qu'elle joue en obtenant de son époux païen qu'il se convertisse à la foi chrétienne. Le baptême de Clovis, pour les érudits les plus scrupuleux comme pour les chroniqueurs les plus divagants, reste le premier jalon de notre histoire, et sa représentation au faîte de la cathédrale de Reims a traversé les siècles. Or, c'est une femme qui l'a obtenu. Décision essentielle dans la mesure où l'ensemble du peuple sur lequel Clovis, par ses victoires successives, va peu à peu exercer une suprématie (peut-être plus nominale que réelle, mais qui lui donnera une première fois son unité) est chrétien. Le pouvoir laïc, celui de l'empereur romain, force militaire ou administration civile, s'est disloqué et effondré au cours du Ve siècle; seule l'organisation religieuse, celle qui d'une cité à l'autre relie entre eux les évêques et à travers eux l'ensemble d'un peuple dont l'évangélisation avait été acquise dès le siècle précédent.

Cette conversion a donc à la fois un caractère religieux et politique. Clotilde ne l'aura pourtant pas arrachée sans peine.

Grégoire de Tours nous fait part successivement de ses supplications, de ses échecs, des méfiances du roi. Telle que nous l'a transmise l'historien, l'argumentation de la reine auprès du païen,a dorant les idoles, n'est pas sans intérêt: "Les dieux que vous vénérez ne sont rien, incapables qu'ils sont de se subvenir ni de pourvoir aux besoins d'autrui. Ce sont des idoles de bois, de pierre ou de métal… Ce sont des magiciens, leur pouvoir n'est pas d'origine divine. Le Dieu à qui il faut rendre un culte, c'est celui dont la parole a tiré du néant le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment… C'est par un effet de sa volonté que les champs produisent (p. 15) des récoltes, les arbres des fruits, les vignes des raisins; c'est de sa main que le genre humain a été créé. Grâce à sa libéralité, la création tout entière est au service de l'homme, lui est soumise et le comble de ses bienfaits". Clovis hésite, veut "une preuve" de la divinité de ce Dieu, une preuve de puissance. Et ce qui va se passer est déchirant pour Clotilde: elle a un premier fils; elle insiste pour qu'il soit baptisé et, devançant l'approbation de Clovis, elle fait, dit Grégoire de Tours, "tapisser l'église de voiles et de tentures pour que le rite incite à la croyance celui que ses paroles ne réussissaient pas à toucher". Clovis, certainement, est sensible à la beauté des choses; il le prouvera plus tard lorsque, entrant dans l'église de Reims, il s'arrêtera interdit sur le seuil, demandant si c'est cela le paradis. L'enfant est donc baptisé et reçoit le nom d'Ingomer; or, il meurt quelques jours après.

La réaction de Clotilde que nous transmet Grégoire de Tours dément de manière écrasante nos préjugés concernant ces époques "superstitieuses": durement atteinte par la mort de son fils, par le courroux de son époux, l'un et l'autre anéantissant ses souhaits les plus ardents, elle déclare sereinement: "Je remercie Dieu Tout-Puissant, créateur de toutes choses, qui a fait à mon indignité l'honneur d'ouvrir son royaume à celui que j'ai engendré. Mon âme n'a pas été atteinte par la douleur, car, je le sais, enlevé de ce monde dans l'innocence baptismale, mon fils se nourrit de la contemplation de Dieu".

Quelque temps après, Clotilde met au monde un autre fils, Clodomir; elle le fait baptiser comme le premier; comme celui-ci, il tombe malade peu après; mais, ajoute le chroniqueur, "grâce aux prières de sa mère, l'enfant se rétablit sur l'ordre du Seigneur".

Ce n'est que plus tard, et après une épreuve personnelle où sa propre force s'est trouvée en échec, que Clovis invoquera "le Dieu de Clotilde" et demandera le baptême. Inutile de s'étendre sur cette scène maintes fois racontée, sinon pour souligner la présence de Clotilde auprès de la cuve baptismale où son époux est plongé, recevant l'onction et l'eau sainte des mains de l'évêque saint Rémi.

(p. 17) … S'il y avait à Paris une personnalité célèbre, c'était bien la Vierge de Nanterre, Geneviève. Née vers 422, Geneviève a près de soixante-dix ans au moment où Clotilde épouse Clovis, mais elle ne mourra qu'un an après Clovis lui-même, le 3 janvier 512, à quatre-vingt-neuf ans.

Clotilde et Clovis rencontrent Geneviève alors qu'elle mène, dans une petite maison proche de l'ancien baptistère de Saint-Jean-le-Rond, la vie des recluses – celles que nous appellerions des religieuses cloîtrées. Trois fois par jour, elle quitte sa demeure pour se rendre à l'église proche y chanter l'office. Vie toute de silence et de prières, de retraite et d'effacement: les recluses font un long carême de l'Épiphanie à Pâques, et l'on n'entend alors d'elles que le chant des psaumes, lorqu'elles se réunissent à l'église. Pourtant Geneviève en une circonstance, a élevé la voix; c'était en 451 – elle avait vingt-huit ans – au moment où la population de Paris, affolée à l'approche des Huns, s'apprêtait à quitter la ville dans un de ces exodes lamentables que notre XXe s. peut mieux qu'un autre imaginer. Les Huns sont des envahisseurs terrifiants, plus terrifiants encore que ceux que nous avons connus en notre temps; ils font partie de ces Mongols contre lesquels les Chinois ont édifié la Grande Muraille; devant eux avaient fui la plupart de ces "peuples barbares" qui au Ve siècle se répartissaient sur tout notre territoire, et c'est à la poussée des Mongols qu'on attribue leur vaste mouvement de migrations.

Rôle actif des femmes dans l'évangélisation de l'Europe

A la suite d'Attila donc, les Huns se dirigeaient vers Paris, après avoir brûlé, le 10 avril précédent, veille de Pâques, la cité de Metz. Or, Sainte Geneviève, devant la porte de son baptistère, exhorte la population à ne pas fuir, promettant à tous que les Huns n'entreraient pas dans leur ville. La prophétie, sur le moment, parut si insensée que quelques-uns s'en prirent à Geneviève; on menace de la jeter dans la Seine; Geneviève tient tête, empêche la population de courir à ce qui eût été son propre désastre – et les évènements lui donnent raison. Les Huns, repoussés devant Orléans et devant Troyes grâce à la résolution des évêques Aignan et (p. 18) Loup qui ont soutenu le courage des assiégés, sont définitivement vaincus dans cette bataille fameuse du Campus Mauriaci (sans doute Méry-sur-Seine). Dès lors, dans tout le monde connu, on parle de Geneviève… Jusqu'en Syrie: on sait de façon certaine que Siméon Stylite, l'ermite à la colonne, a chargé des marchands syriens de saluer pour lui la vierge Geneviève, quand ils parviendront à Paris.

Il est extraordinaire de constater le rôle actif que les femmes jouent dans le domaine de l'évangélisation, en ce temps où l'Occident hésite entre le paganisme, arianisme et foi chrétienne. Sous cette influence, Clovis s'était singularisé parmi les barbares en se faisant baptiser dans la communion avec Rome, alors qu'autour de lui Ostrogoths, Wisigoths, Vandales, Burgondes avaient embrassé l'hérésie d'Arius, laquelle, née deux siècles plus tôt, s'était propagée non seulement en Orient, à Byzance, où plusieurs empereurs l'avaient adoptée, mais encore en Occident parmi les vastes populations "barbares".

En ce VI e siècle, Clotilde n'est pas une isolée: en Italie, Théodelinde, une Bavaroise, qui épouse le roi lombard Agilulf, arien lui aussi, parvient à faire donner le baptême catholique à leur fils Adaloald; la conversion de l'Italie du Nord à la foi chrétienne sera plus ou moins le prolongement de cette action d'une femme. En Espagne, le duc de Tolède, Léovigilde, restaure l'autorité royale et épouse en 573 la catholique Théodosia, qui le convertit au catholicisme. Précisons qu'elle a de qui tenir, puisqu'elle est la sœur de trois évêques: Léandre, Fulgence et le grand Isidore de Séville. Quelque vingt ans plus tard, en 597, Berthe de Kent obtiendra en Angleterre du roi Ethelbert qu'il se fasse baptiser. [Et cette action des femmes est à peu près simultanée dans notre Occident].

C’est résumer un double fait de civilisation: à la fois (p. 19) l'entrée des femmes dans l'histoire lorsque se développe la foi chrétienne et le zèle qu'elles manifestent pour implanter celle-ci. Aux pays énumérés, il faudrait en effet ajouter la Germanie, où des religieuses ont été les ardentes auxiliaires de saint Boniface, et jusqu'à la Russie, où la première baptisée fut Olga, princesse de Kiev, tandis que plus tard les pays baltes devront leur conversion à Hedwige de Pologne. Partout, on constate le lien entre la femme et l'Évangile si l'on suit, étape par étape, évènements et peuples dans leur vie concrète.

À se demander s'il n'y aurait pas là, en effet, plus qu'une coïncidence.


Disparition de l'esclavage sous la double action des femmes et de l'Evangile

Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 27: "On est frappé du dynamisme, de la capacité d'invention de ces femmes que l'Evangile a libérées. Un exemple est frappant: celui de Fabiola… Elle fait partie de ces dames de l'aristocratie romaine qui sont devenues les disciples de saint Jérôme; frappées de voir le nombre de pèlerins qui viennent à Rome et là se trouvent sans ressources, elle fonde une "Maison des malades", nosokomïon, à leur intention. Autrement dit, Fabiola fonde le premier hôpital. C'est une innovation capitale et il est inutile de souligner l'importance qu'elle aura au cours des siècles. Un peu plus tard, de nouveau, elle fera preuve d'invention en créant à Ostie, port de débarquement des pèlerins, le premier centre d'hébergement, xenodochion. On a souvent affecté de reprocher à la femme un certain manque d'imagination: Fabiola offre à cette réputation un démenti éclatant, et lorsqu'on visite ces chefs d'œuvres d'architecture fonctionnelle et de réalisation artistique que sont l'hôpital de Tonnerre ou celui de Beaune, on devrait se souvenir qu'ils sont le fruit, l'aboutissement d'une œuvre de femme attentive aux besoins de son temps qui sont ceux de tous les temps… Le système hospitalier du Moyen Age, extrêmement développé, celui des hospices routiers qui jalonnent les routes de pèlerinage, témoignent de la fécondité de cet héritage. Il y aurait tout un chapitre à écrire sur les religieuses (p. 28) hospitalières; contentons-nous de rappeler ici la fondation à Paris de l'Hôtel-Dieu, l'an 651, où pendant mille deux cents ans des religieuses et religieux soignèrent gratuitement les malades [pas besoin de sécurité sociale] qui se présentaient. Pour donner une idée de son activité, il suffira de rappeler la requête de la prieure de l'Hôtel-Dieu de paris, sœur de Philippe du Bois, rédigée le 13 décembre 1368, où elle indique que la consommation journalière de l'Hôtel-Dieu s'élève à 3500 draps ou autres de toile. A cette même date de 1368, l'Hôpital parisien de Saint-Jacques, non loin de l'Hôtel-Dieu, donnait asile en un an à 16 690 pèlerins.

Pour en revenir aux contemporaines de Fabiola, il faut signaler les deux Mélanie, l'ancienne et sa petite-fille, Mélanie la jeune; celle-ci, héritière des immenses domaines de sa grand-mère (on sait que dans la province d'Afrique, la moitié des terres appartenaient à six propriétaires!), donc Mélanie la jeune et Pinien son époux distribuent cet immense territoire à leurs esclaves (plus d'un millier); Pinien devient évêque sur les pas de l'évêque d 'Hippone, saint Augustin, et Mélanie se retire en Terre sainte où sa grand-mère a fondé une communauté de libération des esclaves, Mélanie a eu une action concrète, certaine.

N'est-il pas surprenant que l'on ait pas souligner cette mutation que représente la disparition de l'esclavage ? Les manuels scolaires sont muets sur un fait social dont l'importance pourtant primordiale semble avoir quelque peu échappé aux historiens...

Le retour de l'esclavage à l'époque de la Renaissance aurait dû cependant attirer leur attention sur le processus inverse qui s'était amorcé dès le IVe siècle...

L'esclave, totalement dépourvu de droit, l'esclave-chose, tel qu'il était dans le monde romain, ne pouvait évidemment survivre longtemps à la diffusion de l'Evangile. Déjà l'affranchissement des esclaves était largement facilité au IVe siècle, et dès Constantin Ier, l'une des réformes stipulant que les membres de la famille de l'esclave ne seraient plus séparés impliquaient pour l'esclave ce droit à la famille et au mariage qui lui avait été refusé jusqu'alors… Enfin, le rôle joué par l'Eglise dans les affranchissements de fait est consacré par le Code Justinienpour lequel le séjour au monastère dans le dessein d'y entrer suspend toute servitude. Justinien avait aboli la loi romaine du Bas-Empire interdisant d'affranchir plus de cent esclaves à la fois. Les conciles ne cesseront d'édicter des mesures pour humaniser le sort de l'esclave et peu à peu amener à le reconnaître en tant que personne humaine. Ainsi mesure-t-on les progrès entre le concile d'Elvira de 305 qui impose sept ans de pénitence à celui qui aurait tué son esclave jusqu'au concile d'Orléans (511) où le droit d'asile des églises est proclamé pour les esclaves fugitifs, ou celui d'Eauze (551) qui affranchit d'autorité le serf que son maître aurait fait travailler le dimanche. Mais pour comprendre l'évolution qui s'est produite, il faut rappeler qu'au moment du concile d'Elvira on se trouve encore en pleine civilisation païenne, où le meurtre d'un esclave n'est aucunement considéré comme un crime puisqu'il est légalement permis.

On peut aussi relever ces canons des conciles d'Orange (441) et Arles (452) dans lesquels il est précisé que les maîtres dont les esclaves auraient cherché asile dans l'église ne pourront pas compenser cette défection en s'emparant des esclaves des prêtres. Il est toute une étude à faire, dont il faut bien constater qu'elle n'a été entreprise que dans le cadre stricte du juridique, pour suivre l'influence de la mentalité chrétienne, imprégnant peu à peu les mœurs, sur la législation civile proprement dite. Au Ve siècle, saint Césaire s'écrie, répondant à ceux qui le blâment d'avoir payé pour l'affranchissement d'esclaves: "Je voudrais bien savoir ce que diraient ceux qui me critiquent s'ils étaient à la place des captifs que je rachète. Dieu, qui s'est donné lui-même pour prix de la rédemption des hommes, ne m'en voudra pas de racheter des captifs avec l'argent de son autel"…

L'esclave qui était une chose devient une personne

Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 29-30: "C'est donc une constatation qui s'impose: au cours de cette époque réputée brutale s'accomplit le changement peut-être le plus important de l'histoire sociale: l'esclave, (p. 30) qui était une chose, devient une personne; et celui qu'on appellera serf désormais jouira des droits essentiels de la personne: soustrait à ce pouvoir de vie et de mort qu'avait sur lui son maître, il pourra avoir une famille, fonder un foyer, mener sa vie avec la seule restriction à sa liberté que sera l'obligation de demeurer sur le sol selon des modalités qu'on étudiera plus aisément à l'époque féodale proprement dite.

Enfin, il faut en revenir aussi à ces pieuses femmes groupées autour de saint Jérôme à la fin du IVe s. pour découvrir les racines de la culture religieuse féminine. En effet, le monastère fondé à Bethléem où se sont retrouvées Paula, Eustochium et leurs compagnes est un véritable centre d'étude; il est vrai que sous l'impulsion de l'infatigable traducteur et exégète auquel on doit le texte de la Vulgate l'activité intellectuelle dont elles témoignent est toute naturelle. Il reste que Paula par exemple apprend l'hébreu: "elle y réussit si bien qu'elle chantait les psaumes en hébreu et parlait cette langue sans y rien mêler de la langue latine", écrira saint Jérôme. L'étude des psaumes, de l'Ecriture sainte, de leurs premiers commentateurs, est familière aux moniales de Bethléem, et c'est à leur demande, par exemple, que Jérôme lui-même compose son Commentaire sur Ezéchiel.

Une tradition de savoir va s'établir, dont le point de départ est ce premier monastère féminin de Bethléem. Les monastères d'hommes rassembleront plutôt des êtres désireux d'austérité, de recueillement, de pénitence, les monastères de femmes, à l'origine, ont été marqués par un intense besoin de vie intellectuelle en même temps que spirituelle.

A considérer la vie de l'Eglise dans la perspective de ce qu'elle fut à l'époque féodale, on constate que les femmes en ont été les auxiliaires sans doute les plus dévouées, les plus ardentes. Et il est curieux de trouver en germe parmi ces femmes qui agissent avec un tel esprit d'invention aux IVe et Ve siècles ce qui va caractériser la civilisation féodale: à travers Fabiola qui crée les premiers hôpitaux, Mélanie qui abolit l'esclavage dans ses domaines, Paula qui veille à sa propre instruction et à celle des filles groupées autour d'elle, (p. 31) on discerne les éléments de la vie domaniale, le début des monastères où s'épanouit une haute culture, ceux de la chevalerie où la double influence de l'Eglise et de la femme contribueront à faire l'éducation du mâle, à lui inculquer l'idéal du prince lettré et le souci de la défense du faible.

C'est pourquoi il nous faut commencer par étudier ce type de femme totalement inconnu de l'Antiquité qu'est la religieuse.

Un nouveau type de femme: la religieuse (p. 33)

"L'une des premières fondations que l'on doive mentionner est celle du monastère Sainte-Croix de Poitiers où allaient naître les premiers signes, les premiers accents de ce qui sera la tradition courtoise, hors de laquelle on ne peut comprendre ni la littérature ni la civilisation féodales.

"Son histoire commence par les mésaventures de la reine Radegonde. Fille du roi de Thuringe Berthaire, elle avait été emmenée comme esclave à la cour du roi franc Clotaire Ier, en même temps que son jeune frère; sa beauté ne tarda pas à la faire remarquer par le roi, qui l'épousa; mais quelque temps après, Clotaire, dans un accès de fureur, faisait massacrer le frère de Radegonde, et celle-ci s'enfuit, d'abord à Soissons auprès de l'évêque Médard qui était honoré comme un saint, puis bientôt à Poitiers, dans le monastère qu'elle-même avait fondé... Clotaire devait tenter en vain de la faire revenir au foyer conjugal [...]; à sa mort, Radegonde prit le voile dans ce même monastère Sainte-Croix où elle vivait dans la retraite, entourée d'un renom de sainteté qui la rendait célèbre dans toute la Gaule. Avec Agnès, l'abbesse du couvent, sa fille spirituelle, elle se rendit à Arles pour étudier la règle de saint Césaire; un exemplaire de cette règle fut rédigé à leur intention par l'abbesse Liliola qui confia le manuscrit au roi franc Chilpéric pour qu'il le remît lui-même au monastère Sainte-Croix, l'an 570.

"Venance Fortunat était alors intendant de Sainte-Croix de Poitiers. Ce poète, qui devait marquer d'une trace si profonde les lettres de l'époque, était né près de Trévise à Valdobiadene, vers 530; il avait fréquenté les écoles d'Aquilée (p. 40) et de Ravenne. Pénétré de poésie antique, celle de Virgile, d'Ovide, il représentait une culture raffinée, encore florissante en Italie, mais qui ne trouvait guère de représentants ailleurs, en ce temps où l'Empire romain s'était effondré et avec lui les restes de la culture qu'il portait. En 565, menacé de cécité, Fortunat entreprend un pèlerinage sur la tombe de Martin de Tours... En Gaule, il ne tarda pas à devenir un peu le poète officiel, se signalant d'abord par un long épithalame à l'occasion du mariage du roi d'Austrasie Sigebert avec Brunehaut, à Metz, en 566. Désormais, tous les évènements officiels à la cour des rois francs seront l'occasion de faire appel au talent de Fortunat, qu'ils 'agisse de festin de noces ou de consolations pour des morts. On a tout dit sur les mœurs brutales à la cour des rois francs – où s'illustra dans ce domaine la terrible Frédégonde – sans mentionner toujours qu'un courant poétique n'y circulait pas moins, stimulé en particulier par les femmes et aussi, notons-le, par les évêques; c'est ainsi que Fortunat devint rapidement le correspondant de Grégoire de Tours et de l'évêque Léonce de Bordeaux; la liste est longue de ses messages adressés à des prélats ou gens d'Eglise pour lesquels il composa aussi des épitaphes en vers.

"Fortunat ne tarde pas à être attiré par la réputation de la reine Radegonde; il arrive à Poitiers en 567, entre dans les ordres, et assure l'intendance du couvent de Sainte-Croix avant d'en devenir l'aumônier vers 576; il compose pour (p. 41) Radegonde et pour Agnès des poèmes qui allaient assurer son renom; c'est à leur demande aussi qu'il rédige les deux hymnes Pange lingua gloriosi et Vexilla Regis prodeunt, qu'on continua de chanter dans l'Eglise jusqu'au Xe siècle, 1500 ans après leur création…

"Ce sont déjà des poèmes courtois que Fortunat adresse à la reine et à l'abbesse, pénétrés d'admiration, d'amour, de respect. Reto Bezolla a montré combien ces sentiments nouveaux doivent au culte de la Vierge, si important dans les cinq premiers siècles chrétiens, qui mène à une vision inédite de la femme, destinée à s'épanouir aux temps féodaux (Reto Bezzola, Les Origines et la Formation de la littérature courtoise en Occident, Bibliothèque de l'Ecole des hautes études, fasc. 286, Paris 1958-1963, 5 vol., grand in-8°. Voir en particulier t. Ier, p. 55 et suiv.).

"À l'occasion de la consécration d'Agnès comme abbesse du couvent (elle n'avait guère plus de vingt ans), Fortunat salue en elle la vierge, la mère, la dame: virgo, mater, domina, ces noms mêmes dont on salue la Vierge Marie.

"Autrement dit, on peut voir dans cette abbaye Sainte-Croix de poitiers une première esquisse de ce que sera dans la poésie courtoise l'idéal de la femme, et en la reine Radegonde la première de ces dames qui, tout en inspirant la poésie, ont influé sur leur temps et l'ont pénétré d'une douceur nouvelle.

"La géographie des moniales comporte pour le VIe s. en France, en dehors de Saint-Jean d'Arles et Sainte-Croix de (p. 42) Poitiers, deux monastères, l'un aux Andelys institué par la reine Clotilde, l'autre à Tours par une noble dame nommée Ingetrude et sa fille Berthegonde; cette dernière étant déjà mariée dut d'ailleurs, sous menace d'excommunication, regagner le foyer conjugal…

"Au siècle suivant, on note, entre autres, dans la partie Nord de la France, le monastère de Chelles fondé par la reine Bathilde qui, comme Radegonde, était une ancienne captive, renommée pour son extrême beauté; cette Anglaise, devenue la femme du roi Clovis II, devait faire la preuve de ses qualités d'administratrice en le remplaçant à la tête du royaume lorsque, terrassé par la maladie, il devint incapable de gouverner. Bathilde se retira ensuite dans son couvent de Chelles. Cette abbaye aura, près de cent ans plus tard, pour abbesse la sœur de Charlemagne, Gisèle, une femme lettrée qui sera en rapport avec le savant Alcuin, lequel lui dédie quelques-uns de ses ouvrages, et aussi avec Théodulfe, l'évêque d'Orléans, qui lui fait cadeau d'un précieux psautier; en cette époque où l'on aime les surnoms poétiques, Gisèle sera appelée Lucia, selon l'usage de l'académie Palatine dont l'empereur fait un instrument de renouveau pour la culture qu'il entend favoriser" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 39-42)

Les femmes et l'éducation (p. 53)

Dhuoda, Manuel pour mon fils

"Pendant des années, les jeunes Français ont appris à l'école que le plus ancien traité d'éducation était dû à Rabelais, suivi de près par Montaigne. Personne ne s'avisait de leur parler de Dhuoda.

"Et pour cause: le nom de Dhuoda n'a été pendant fort longtemps connu que de rares spécialistes du haut Moyen Age. Aujourd'hui, son Manuel pour mon fils est traduit et publié, dans une édition commode (Dhuoda, Manuel pour mon fils. Introduction, texte critique, notes, par Pierre Riché. Traduction par Bernard de Vregille et Claude Mondésert. Coll. "Sources chrétiennes", N° 225, Paris, éd. Du Cerf, 1975).

"Pierre Riché, à qui l'on doit cette initiative, fait remarquer que "c'est la seule œuvre littéraire de ce genre". C'est en tout cas, et de beaucoup, le plus ancien traité d'éducation, puisqu'il fut composé au milieu du IXe siècle (très exactement entre le 30 novembre 841 et le 2 février 843). Qu'il fût l'œuvre d'une femme n'a rien à la réflexion de très surprenant: les questions d'éducation ne sont-elles pas au premier chef du ressort de la femme ?

"Celle qui a porté et nourri l'enfant ne serait-elle pas plus douée que quiconque pour savoir d'instinct comment lui faciliter la pleine maturité, lui permettre d'acquérir sa personnalité propre, de se "réaliser" ?

"C'est en tout cas un témoignage infiniment précieux sur la mentalité et le degré de culture en ce IXe siècle encore si obscur pour nous…

"Dhuoda appartenait à une noble famille, peut-être même à la famille impériale; comme elle a environ quarante ans lorsqu'elle écrit, elle a pu connaître Charlemagne dans son enfance. En 841, l'année où elle entreprend la rédaction de son ouvrage, l'Empire se disloque; le fils de Charlemagne, ce Louis Ier le Pieux, qu'autrefois on surnommait si bien "le Débonnaire", a vu ses enfants se révolter contre son autorité. Après sa mort, en juin 840, ils se disputent le pouvoir. Dhuoda commence à écrire l'année même de la bataille de Fontenay-en Puisaye (22 juin 841), laquelle ne règle pas le conflit entre les trois fils: Charles II qu'on appelle le Chauve, Louis II de Germanie qu'on dit le Germanique et Lothaire qui revendique l'Empire; sans parler de Pépin qui, lui, a reçu l'Aquitaine en partage. C'est même à cette occasion que seront prononcés les fameux serments de Strasbourg en 842, qui lient les soldats de Louis et ceux de Charles; c'est le premier texte en langue française qu'on appelle romane, et en langue allemande qu'on nommera plus tard le haut-allemand. Il fallait bien que les soldats des deux camps puissent comprendre à quoi leur serment les engageait! Dhuoda, elle, écrit en latin, qui reste la langue des gens cultivés" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 54).

Le premier des principes

"Le premier des principes que Dhuoda pose? Aimer: "Aime Dieu, cherche Dieu, aime ton petit frère, aime les amis et les compagnons au milieu desquels tu vis à la cour royale ou impériale, aime les pauvres et les malheureux", enfin "aime tout le monde pour être aimé de tous, chéris-les pour en être chéri; si tu les aimes tous, tous t'aimeront; si tu aimes chacun, ils t'aimeront tous"; et encore: "Quant à toi, mon fils Guillaume, chéris et reconnais celui ou ceux de qui tu désires être reconnu; aime, vénère, accueille et honore tout le monde afin que tu mérites de recevoir de tous la réciprocité" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 56-57)

La Bible, fondement de tout savoir

" ... Dhuoda et son fils sont si intimement imprégnés de l'Ancien et du Nouveau Testament qu'elle ne prend jamais la peine de rappeler l'histoire des personnages évoqués: que Samuel et Daniel jeunes aient été capables de juger des vieillards, que Jonathan ait été le symbole même de la fidélité et Absalon de la révolte, il suffit d'y faire allusion sans plus insister… C'est une première constatation qui s'impose à la lecture du manuel: la Bible est considérée comme la Parole même de Dieu; sa révélation est le fondement de tout savoir, de toute doctrine, à un degré pour nous insoupçonnable. On ne voit (p. 58) pas aujourd'hui qu'au sein du couvent le plus pieux, les allusions que fait Dhuoda auraient chance d'être immédiatement saisies comme elle sait que son fils de seize ans les comprendra..." (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 57-58).

Prier

"Dhuoda recommande à son fils de prier, tout en se déclarant elle-même incapable de se plaire à la prière longue ou courte; elle est pleine d'espoir en Celui qui donne à Ses fidèles le goût de prier pourvu qu'ils le lui demandent...; elle considère comme tout naturel de réciter les heures canoniales, sept fois par jour, et ce sont toujours les psaumes qui lui viennent sous la plume; elle consacrera tout un chapitre (XI) à insister sur les psaumes, montrant comment, dans toutes les circonstances de la vie, leur lecture apporte réconfort et lumière" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 58).

S'instruire de l'enseignement des très saints pères et maîtres

"...(Dhuoda) revient souvent sur ce conseil: "Au milieu des préoccupations mondaines du siècle, ne laisse pas de te procurer beaucoup de livres, où tu puisses, à travers l'enseignement des très saints pères et maîtres, découvrir et apprendre sur Dieu créateur plus qu'il n'est écrit ici…"

"Dhuoda n'a des paroles dures que pour les hypocrites: "Les gens qui apparemment réussissent dans le monde et sont riches de biens, et qui pourtant, par une obscure malice, ne cessent d'envier et de déchirer les autres autant qu'ils le peuvent, et cela en feignant l'honnêteté… Ceux-là je t'invite à les surveiller, les fuir, les éviter" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 58).

Opposer les contraires aux contraires

"Pour le reste, il s'agit d'opposer "les contraires aux contraires", la patience à la colère, etc., et de rechercher et respecter les bons conseillers, les prêtres par exemple.

"Un apologue d'une originalité certaine se trouve développé complaisamment: "Un homme racontant un songe nous dit: 'C'était comme si j'allais à cheval, comme si je courais, comme si dans un banquet, je tenais dans mes mains toutes les coupes... Tiré de mon sommeil, je n'eus plus rien à voir ni à saisir, démuni et faible, égaré, tâtonnant, je restais seul avec mon 'comme si'"...

"Et cela donne matière à toutes sortes de développements sur 'comme si'. "Ceux qui vivent mal courent à l'abîme, et que possèdent-ils, sinon le 'comme si' ? Ceux qui passent leur vie dans une jouissance sans vergogne, que possèdent-ils, sinon le 'comme si' ? A tous les 'comme si', à tout ce qui provoque l'envie et suscite les ambitions désordonnées, Dhuoda oppose "l'arbre véritable, la vraie et authentique vigne". Et de développer l'autre versant de l'apologue: "Un arbre beau et noble produit des feuilles nobles et porte de bons fruits: c'est ce qui se passe pour l'homme capable de grandeur et de fidélité". Elle ajoute: "C'est sur un tel arbre que je t'invite à te greffer, mon fils". Pour conclure enfin: "Si tu t'appliques à proposer à ton coeur ces leçons profitables et d'autres encore, la tristesse s'éloignera de toi, elle qui est 'comme si'; et le 'vrai' surviendra, lui qui est pressentiment de la joie des biens futurs: une joie telle que l'oeil ne l'a pas vue, ni l'oreille entendue, une joie qui n'est jamais montée jusqu'au coeur de l'homme..." (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 59).

Singularité de la mémorisation mnémotechnique

"Pour garder à l'esprit les préceptes, les notions essentielles à ses yeux, Dhuoda a recours à un moyen singulier, une sorte d'arithmétique symbolique fort curieuse, à la fois poésie et mnémotechnie. C'est il est vrai, un procédé familier à son temps, dont les racines encore sont bibliques, que cette science des nombres; mais Dhuoda la développe au point d'en faire à l'usage de son fils comme un traité élémentaire (fort élémentaire, c'est évident!) de comput ou disons de calcul. il y a d'abord les chiffres 1 et 3 qui rappellent la Trinité divine et suscitent les trois vertus: Foi, Espérance et Charité, auxquelles doit correspondre une triple démarche: "Cherche par la pensée, demande par la parole, frappe par les oeuvres". Il y a les sept dons du Saint-Esprit, auxquels elle assimile "les sept jours de la semaine ou les sept âges de l'évolution du monde, les sept lampes sacrées qui éclairent le saint des saints". Ce sont ensuite les huit béatitudes dont le commentaire est l'occasion de docter l'attitude envers les autres: "Si tu rencontres un pauvre et un indigent, porte-leur secours autant que tu le peux, non seulement en paroles, mais aussi en actes. pareillement, je t'invite à accorder généreusement l'hospitalité aux pèlerins ainsi qu'aux veuves et aux orphelins, aux enfants sans secours et aux gens plus dépourvus, ou à tous ceux que tu verras dans la misère. Sois toujours prêt à agir pour les soulager". Aimer la pureté, la justice, l'esprit de paix, la douceur, montrer à tous ceux qui sont dans le besoin compassion fraternelle. "Si tu fais ainsi, ta lumière jaillira comme l'aurore, et la clarté resplendira sans arrêt sur tes pas". Enfin pour lui permettre de mieux se souvenir de ces préceptes, elle se livre à un dernier calcul: "Les sept dons du Saint-Esprit et les huit béatitudes de l'Evangile donnent un total de quinze". la leçon se complète en faisant remarquer que "sept fois deux quatorze, ajoute un et cela fait quinze, et encore sept fois sept, quarante-neuf, ajoute un et cela fait cinquante. Continue à ajouter un et multiplie et ainsi de suite, tu pourras atteindre un chiffre rond... Tu dis encore: trois fois trois égale neuf ajoute un et cela fait dix, et de la même façon tu arriveras à dix mille".

"Il ne s'agit pas seulement d'une simple table d'addition ou de multiplication; pour Dhuoda, arriver à cinquante, c'est parvenir au psaume qui est à la fois celui de la pénitence et de la joie; arriver à cent, c'est atteindre un total qui symbolise la beauté céleste" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 59-60).

"...Enfin, la femme extrêmement cultivée qu'elle est émaille son texte d'expressions tirées du grec, voire de l'hébreu, au point d'avoir plus d'une fois posé des problèmes à ses traducteurs; elle aime aussi - et l'on pense alors à l'esprit d'un Isidore de Séville - tirer une leçon des étymologies. Inutile de le dire, il lui importe peu que ces étymologies soient scientifiques. Là encore, on retrouve une sorte de méthode mnémotechnique qui permet, à propos d'un mot, de faire toute une exégèse, et, par association d'idées, tout un développement: ainsi le terme même de manuel, Manualis, lui fournit-il l'occasion de dire tout ce qu'évoque la main, signe de puissance, signe de perfection, tandis que alis évoque pour elle ales, l'alouette dont le chant accompagne la fin de la nuit et "présage les heures du jour". Ainsi le mot Manualis lui permet-il de parler de la puissance de Dieu et de la lumière qui vient, celle du Christ. Mode de pensée familier de l'époque, celui qui procède par analogies, par allusions, par images qui s'éveillent l'une l'autre et dont chacune appelle la suivante (Il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'aujourd'hui les méthodes de psychanalyse font de nouveau appel à ce processus analogique), hors, inutile de le dire, de tout raisonnement et de toute logique" (Régine Pernoud, ibid., p. 62)

Celles qui lisent et celles qui écrivent

"...Nombreuses sont les nobles dames qui se font copier des psautiers, lesquels d'ailleurs auront presque tous occupé une place dans l'histoire de l'art… On trouve parmi elles des reines ou des princesses comme Marguerite d'Ecosse (morte en 1093), Judith de Flandre (1094), Mathilde de Toscane (1115); parfois seulement des dames de haute naissance comme cette Anglaise nommée Christine qui mène une vie d'ermite dans le voisinage du monastère de Saint-Albans et pour qui a été composé le fameux psautier d'Albani conservé à la bibliothèque de Hildesheim. Aucun historien d'art n'ignore ces œuvres magnifiques que sont le psautier de la reine Mélisande de Jérusalem, aujourd'hui à Londres, au british Museum, ceux de sainte Elisabeth, gardé à Cividale, ou d'Isambour, reine de France, à la bibliothèque nationale à Paris, sans compter celui de la reine Blanche à la bibliothèque de l'Arsenal. Il faut mentionner aussi, à Berlin, ce psautier dit de Salaberge qui appartint sans doute à l'abbesse du monastère de Laon voué à Sainte-Marie-Saint-Jean qui fut, dès le haut Moyen Age, un centre très remarquable d'étude et de prière…" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 66).

Les femmes lisaient plus que les hommes au Moyen Age

"C'est en … relevant les ouvrages copiés pour des dames que le romaniste Karl Bartsch conculait en 1883: "Les femmes lisaient plus que les hommes au Moyen Age..." Il aurait pu aller plus loin et ajouter qu'elles ne se contentaient pas de lire, mais que souvent elles-mêmes écrivaient, et que ces manuscrits qui témoignent du savoir de leur époque ont souvent été copiés par des mains féminines" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 66).

"…Parmi les copistes répertoriés, bon nombre sont des femmes; ce qui nous renseigne de la façon la plus évidente sur la proportion non négligeable de femmes qui non seulement savaient lire, mais écrire" (Régine Pernoud, ibid., p. 69).

"… Il n'y a pas que des religieuses parmi les copistes…, il y a aussi des laïques, encore qu'elles soient moins nombreuses… Il ne faut pas non plus supposer que seules les nobles dames recevaient l'instruction nécessaire pour se mêler d'écrire: on trouve une Marie Coppin, fille d'un écuyer; Marie Regnière, fille du poète Jehan Régnier; Marie Michiels, dont c'est expressément le métier d'être copiste; Mariette, femme de "Person l'écrivain", demeurant à Reims, Jeanne Lefèvre; Jeannette Grebord, etc." (Régine Pernoud, ibid., p. 70).

Comment et par qui étaient éduqués les jeunes filles et garçons?

"Où et par qui les femmes étaient-elles éduquées ? On sait que les filles de grandes familles avaient auprès d'elles une institutrice qui parfois figure dans des actes; ainsi cette Béatrice intitulée magistra comitisse Andegavensis dans une charte d'Arembourge, comtesse d'Anjou, au XIIe siècle.

"Beaucoup plus largement et habituellement, ce sont les couvents de femmes qui se chargent de l'éducation des filles, et aussi souvent – ce qui ne peut manquer de surprendre – des petits garçons.

"Et les exemples abondent, de monastères féminins fréquentés tant par des petites filles que par des petits garçons (consulter Pierre Riché, Education et Culture dans l'Occident barbare, ainsi que les travaux de Mgr Lesne et de Roger, Paré et Tremblay sur les écoles).

"Le monastère de Notre-Dame de Ronceray en Anjou reçoit dès 1116 du comte d'Anjou une dotation pour que treize enfants pauvres de son comté ou de celui du Maine soient nourris et élevés à ses frais dans ce couvent; ils fréquenteront soit l'école monastique, soit l'une des écoles d'Angers. Déjà deux siècles auparavant, deux religieuses (p. 73) célèbres pour leur instruction et aussi, selon leur biographe pour leur habilité de miniaturiste, Harlinde et Relinde, au IXe siècle, avaient été instruites au monastère de Valenciennes, où on leur avait appris le psautier, la lecture, le chant et aussi la peinture (Voir E. de Bruyne, Etudes d'esthétique médiévale, Bruges, 1946, 3 vol. grand in-8, notamment t. II, p. 85).

"Il est question aussi au monastère de Bonn de petites écolières que l'abbesse sainte Adélaïde aimait interroger elle-même; au XIIe siècle, une charte du monastère Notre-Dame de Saintes datée de 1148, a été souscrite non seulement par la bibliothécaire ("librorum custoda") nommée Agnès Morel, mais aussi par plusieurs fillettes qui l'entourent: Ermengarde, Sibylle, Leticia, Agnès et Pétronille.

"De même le monastère de Coyroux, affilié à Obazine, reçoit des petites filles et des petits garçons, mais ceux-ci, après l'âge de cinq ans, sont élevés dans une autre maison.

"Bref, les exemples manquent si peu qu'il serait présomptueux de vouloir tous les citer" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 71).

La mixité n'est pas une invention du XXe siècle

"Notons néanmoins que le souci d'instruire les enfants, garçons et filles, est attesté par de nombreuses prescriptions des évêques, soucieux de réorganiser leur diocèse après le désastre du XIVe siècle. Ainsi, à Soissons, en 1403, l'évêque Simon de Bucy insiste auprès de ses chapelains et curés pour qu'ils veillent à ce que les parents envoient leurs enfants des deux sexes aux écoles de la ville; et d'enjoindre d'en ouvrir s'il n'y en avait pas dans la paroisse. le roman de Jean de Froissart le chroniqueur intitulé L' Epinette amoureuse donnerait à entendre que, au moment où lui-même était jeune garçon, c'est-à-dire vers 1350, il fréquentait avec ses compagnons la même école que l'héroïne de son roman. Il semble donc bien que la mixité dans ce domaine ne soit pas une invention du XXe siècle..." (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 73).

"Encore au XIVe siècle, la chronique de Villani note qu'à Florence, vers 1338, les petites écoles sont fréquentées par un enfant sur deux, garçons et filles, prend-t-il soin de préciser...

"Ce n'est qu'assez tardivement qu'on se posera la question de savoir si ces dernières doivent être isntruites ou non. Une Christine de Pisan reprendra les conseils de Vincent de Beauvais, alors qu'un Philippe de Novare penche pour leur ignorance; Francesco da Barberino, qui, en Italie où se fait déjà sentir l'influence de la "Renaissance", parle de l'éducation en général, préfère qu'on apprenne aux filles "les tâches ménagères, faire le pain, nettoyer un chapeau, faire le beurre, la cuisine, la lessive et le lit, filer et tisser... broder à l'aiguille, etc". Il admet pourtant que les femmes de la noblesse doivent savoir lire et aussi, bien entendu, les religieuses, mais dès cette époque (sous la "Renaissance") la mentalité a changé, et l'influence de l'université (résurrection du droit romain), notamment, s'est fait sentir en ce domaine. De plus en plus l'instruction deviendra l'apanage des hommes" (Régine Pernoud, ibid., p. 75).

Les établissements scolaires tenus par des laïques au Moyen Age

"Mais il faut noter aussi les établissements scolaires tenus par des laïques; d'après les rôles de la taille à la fin du XIIIe siècle on connaît vingt-deux maîtresses d'école à Paris; au XIVe, celui qui a la surveillance des écoles dans le diocèse et qu'on nomme l'écolâtre, s'adressant aux enseignants, mentionne "les dames qui tiennent et enseignent aux écoles l'art de la grammaire".

"Souvent instruites, bien des femmes sont également soucieuses de répandre le savoir; nombreuses sont les fondations (p. 74) faites par elles dans ce but: c'est la dame de Montmirail, Héloïse de Dampierre, qui, dès le début du XIIIe siècle, constitue des réserves de vivres pour les écoliers de Saint-Nicolas de Soissons; ou Jeanne de Châtel, qui dote les petits élèves de Saint-Jean des Vignes étudiant à Paris. A Reims, le collège des Crevés, qui remonte lui aussi au XIIIe siècle, et qui était le collège le plus important de la ville avec celui des Bons Enfants, doit son nom à sa fondatrice, Flandrine La Crevée" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 73).

Nature de l'enseignement

"Resterait à connaître la nature de l'enseignement ainsi dipsensé aux filles comme aux garçons; il semble bien qu'en ce qui concerne en tout cas les étapes élémentaires, on puisse, en le développant quelque peu, se reporter au Manuel de Dhuoda; le psautier et plus généralement l'Ecriture sainte en forment la base, mais les commentaires donnent lieu à une étude plus poussée dans l'analyse et l'expression: tout ce qu'on regroupe sous le nom de grammaire.

"L'étonnante culture d'Héloïse, qui devenue bien malgré elle, abbesse du Paraclet, enseigne à ses moniales le grec et l'hébreu, avait été acquise par elle au couvent d'Argenteuil; elle l'avait quitté vers l'âge de seize ou dix-sept ans parce que les religieuses qui y enseignaient n'avaient plus rien à lui apprendre.

"Au milieu du XIIIe siècle (p. 75), Vincent de Beauvais, génial frère prêcheur au savoir encyclopédique, auquel Saint Louis a confié le soin de sa bibliothèque et l'éducation de ses enfants, conseille d'apprendre les lettres aux filles comme aux garçons; remarquons en passant que c'est à la reine, Marguerite de Provence, qu'il dédie son traité sur l'éducation des enfants" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 74-75).

Marguerite de Provence.JPG

La reine Marguerite, femme de Saint Louis Sculpture: Honoré-Jean-Aristide Husson; Lieu : Sénat et jardin du Luxembourg, Zone centrale et bassin

"L'amour, cette invention du XIIe siècle…"

"Je tiens pour certain que tous les biens de cette vie sont donnés par Dieu pour faire votre volonté et celles des autres dames. Il est évident et pour ma raison absolument clair que les hommes ne sont rien, qu'ils sont incapables de boire à la source du bien s'ils ne sont pas mus par les femmes. Toutefois, les femmes étant l'origine et la cause de tout bien, et Dieu leur ayant donné une si grande prérogative, il faut bien qu'elles se montrent telles que la vertu de ceux qui font le bien incite les autres à en faire autant; si leur lumière n'éclaire personne, elle sera comme la bougie dans les ténèbres (éteinte), qui ne chasse ni n'attire personne. Ainsi il est manifeste que chacun doit s'efforcer de servir les dames afin qu'il puisse être illuminé de leur grâce; et elles doivent faire de leur mieux pour conserver les cœurs des bons dans les bonnes actions et honorer les bons pour leur mérite. Parce que tout le bien que font les êtres vivants est fait par l'amour des femmes, pour être loué par elles, et pouvoir se vanter des dons qu'elles font, sans lesquels rien n'est fait dans cette vie qui soit digne d'éloge".

"Cette pétition de principe est lancée dans un ouvrage bien connu, reflétant parfaitement la mentalité du XIIe siècle, le Traité de l'amour d'André le Chapelain: ouvrage savant, rédigé en latin par un clerc attaché à la comtesse Marie de Champagne, fille d'Aliénor d'Aquitaine et de son premier époux, le roi de France Louis VII; ouvrage, ajoutons-le, assez déroutant pour nous. Il se dit inspiré de l' Art d'aimer (p. 112) d'Ovide, mais ses conceptions n'ont plus grand-chose à voir avec celles du poète antique et prennent leur source uniquement dans les usages de la société féodale. Le nœud, la page essentielle, qui fait le centre de l'ouvrage, est probablement ce tableau élaboré par Le Chapelain, d'un Palais d'amour au milieu du monde, où trône l'amour. Trois portes dans ce palais, devant lesquelles sont groupées les dames: devant la première, celles qui écoutent la voix d'amour; devant la seconde, celles qui refusent de l'écouter; devant la troisième, celles qui n'écoutent que le désir, qui sont mues seulement par la sexualité. Seules les premières sont honorées par les chevaliers; les autres sont abandonnées à leur sort. "Seules les femmes qui entrent dans l'ordre de la chevalerie d'amour sont jugées dignes d'éloges par les hommes et pour leur probité sont renommées dans toutes les cours. Tout ce qu'on voit s'accomplir de grand dans le siècle est inconcevable s'il ne tire son origine de l'amour..." (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 111).

La courtoisie: la dame, "éducatrice de l'Occident"

"Ces "œuvres de courtoisie", quelles sont-elles ? …Qu'est-ce que la courtoisie ? Que doit-on faire pour être courtois et répondre aux exigences de l'étrange doctrine à travers laquelle s'expriment les cœurs et les coutumes de toute une société ? A trois reprises André le Chapelain revient sur la question et énonce règles et théories de cet art délicat.

"Une première fois – et c'est tout à fait significatif – une noble dame explique à un homme du peuple, donc de condition inférieure à elle, ce qu'il doit faire, quelle conduite tenir s'il veut mériter son amour.

"Ici se révèle pleinement la dame éducatrice de l'Occident, et sous un jour inattendu puisque dans la société féodale, qu'on sait par ailleurs (p. 113) très hiérarchisée, le premier énoncé des règles de la courtoisie se trouve précisément combler la distance entre la "haute dame" et l'"homme du commun".

"La première des 'œuvres de courtoisie', c'est ce que la dame appelle la largesse (la générosité): "Qui veut être jugé digne de militer dans l'armée d'amour, il doit d'abord n'avoir aucune trace d'avarice, mais de répandre en largesses et autant que possible étendre cette largesse à tous". Entendons, bien sûr, générosité morale autant que matérielle: celui qui veut être un amant véritable selon les règles de courtoisie doit révérer son seigneur, ne jamais blasphémer Dieu ni les saints, être humble envers tous et servir tout le monde, ne dire du mal de personne (les médisants sont exclus des châteaux de courtoisie), ne pas mentir, ne se moquer de personne, surtout pas des malheureux, éviter les querelles, et faire son possible pour réconcilier ceux qui se disputent. On lui concède, en fait de distractions, le jeu de dés, mais avec modération: qu'il lise plutôt, qu'il étudie ou se fasse raconter les hauts faits des anciens. Il lui faut aussi être courageux, hardi, ingénieux. Il ne doit pas être l'amant de plusieurs femmes, mais le serviteur dévoué d'une seule. Il doit se vêtir et se parer de façon raisonnable, être sage, aimable et doux envers tout le monde.

"Une seconde fois, André le Chapelain répète les règles d'amour, mais alors sous forme de douze sentences énoncées par le roi d'amour lui-même.

"Enfin elles sont redites une troisième fois, à l'occasion d'un conte que tient une large partie de l'ouvrage; André le Chapelain y détaille les aventures d'un chevalier de Bretagne qui, à la cour du roi Arthur, après sa victoire dans les épreuves qu'on lui a imposées, en a recueilli le prix. C'est ce qu'il nomme le prix de l'Epervier: de la perche de l'épervier, il a détaché une charte, où est inscrite la règle d'amour. Le ton en est à peu près le même:


I. Le mariage n'est pas une excuse valable pour ne pas aimer.

II. Qui n'est pas jaloux ne peut aimer.

III. Personne ne peut être lié par deux amours.

IV. L'amour croît ou diminue sans cesse.

V. (p. 114) Ce qu'un amant prend de l'autre contre sa volonté n'a pas de saveur, etc.


"Il est aussi question de l'avarice, de ce qu'on ne peut aimer une personne qu'on ne pourrait épouser, que celui qui aime doit en garder le secret, qu'un amour facile est méprisable, que la difficulté en augmente le prix, que "Amour ne peut rien refuser à l'amour"…

"… Il ne manque pas d'insister sur un aspect de l'amour courtois: à savoir que la noblesse véritable est celle des mœurs et des manières, et qu'elle vaut infiniment plus en courtoisie que celle de la naissance: celui ou celle qui est prié d'amour ne doit pas demander si celui qui l'aime est noble ou non de naissance, mais s'il l'emporte sur les autres en bonnes mœurs et en "probité". Ce terme qui revient maintes fois, s'applique à celui ou celle qui a fait la preuve de sa valeur. A plusieurs reprises cette noblesse de courtoisie reviendra dans les dialogues imaginaires du Traité de l'amour. C'est l'un des thèmes fondamentaux de la courtoisie que l'amour vrai affine l'homme et la femme et que les obstacles rencontrés ne font qu'exalter leur noblesse et leur valeur. Il est bien clair aux yeux du Chapelain "qu'il convient mieux à qui est noble dans ses mœurs de se choisir un amant de mœurs nobles que de chercher quelqu'un de haut placé, mais "inculte" et à l'inverse, il s'indigne contre les femmes qui se donnent le nom de dame, de demoiselle "seulement parce qu'elles sont d'origine noble ou épouses d'un gentilhomme; mais ajoute-t-il, la seule sagesse et la noblesse des mœurs rendent la femme digne d'un tel titre".

"(p. 115) Ainsi, née dans les cours, c'est-à-dire au château, la courtoisie n'est pourtant pas seulement affaire de naissance; bien plutôt de manières, d'éducation, d'une finesse acquise et que l'amour développe parce que c'est essentiellement l'amour qui l'a suscitée.

"Le Traité de l'Amour d'André le Chapelain est un guide sûr pour connaître la courtoisie, ses exigences, ses préceptes et ses usages (ce serait le manifeste de la courtoisie). Mais ce n'est pas, tant s'en faut, l'unique source.

"A parcourir les lettres du temps, on trouve, sous les formes les plus variées, de la poésie la plus haute aux simples divertissements, le témoignage de ce qui oriente toute une société, lui donne sa teinte originale, la marque comme un sceau. C'est encore et toujours la courtoisie, ou si l'on préfère la chevalerie, qui s'exprime dans les cours d'amour.

"Qu'étaient ces fameuses cours d'amour ? … (p. 116) tous les textes du temps les (femmes) montrent exerçant dans ces cours les fonctions de "juge"… On pourrait se demander s'il ne s'agissait pas simplement d'une sorte de jeu de société, et de société surtout féminine.

"C'est d'ailleurs principalement par l'ouvrage d'André le Chapelain que nous connaissons les cours d'amour; il rapporte plusieurs jugements émis par de hautes dames qui nous sont bien connues historiquement, comme Aliénor d'Aquitaine, Adèle de Champagne, Ermengarde de Narbonne ou encore Marie de Champagne, fille d'Aliénor, laquelle eut, comme sa mère, un rôle de premier plan dans les milieux littéraires du temps et exerça sur les lettres et la vie en général, dans les cours, une influence profonde. Et il a fallu une singulière méconnaissance de la vie aux temps féodaux pour que puissent circuler des erreurs comme celles auxquelles nous avons fait allusion. En réalité il en est de la "cour" et du "jugement" comme de l'hommage féodal. L'une des fonctions du seigneur était de rendre la justice; c'était même sa fonction essentielle après la défense du domaine et de "ses hommes", ceux qui lui étaient attachés par un lien personnel.

"Aussi a-t-on imaginé la dame exerçant, à l'image du seigneur, une sorte de fonction judiciaire en ce domaine, attirant entre tous, de la relation amoureuse. Le jugement d'amour, la cour d'amour, sont les compléments et équivalents de la fidélité, de l'hommage vassalique, tels que les exprime aussi la poésie des troubadours; que ces jugements soient rendus par des femmes montre seulement à quel point la transformation de la femme en suzeraine était familière à la mentalité du temps.

"En ces jugements émis dans les cours d'amour répondent aux règles énoncées dans l'ouvrage d'André le Chapelain. Ils développent toute une casuistique amoureuse: un cas suscite un débat suivi de jugement. Imitation, presque parodique, de la cour de justice, dans laquelle d'ailleurs plus d'une fois des femmes ont joué effectivement le rôle du juge lorsqu'elles se trouvaient à la tête d'un domaine seigneurial (p.117) comme ce fut le cas pour Aliénor ou pour Blanche de Castille... Dames et chevaliers examinent les cas qui leur sont soumis, en discutent et recourent au besoin à l'arbitrage de ceux, ou surtout de celles, qui sont réputés les plus experts en courtoisie, cette forme haute et raffinée des rapports amoureux…

"L'une des dames énonce un cas, par exemple l'un de ceux que cite André le Chapelain: "Quelqu'un qui jouit d'un amour comblé demande avec insistance l'amour d'une autre femme, tout comme s'il était libre de son premier amour; celle-ci lui accorde pleinement les désirs de son cœur, qu'il lui avait demandés de façon fort pressante. Lui, une fois pris le fruit de son ardeur, requiert à nouveau les faveurs de la première dame et se refuse à la seconde. Quelle doit être la sanction pour cet homme criminel ?" Entre autres jugements, le Chapelain a retenu celui de la comtesse de Flandre: "L'homme (p. 118) qui a usé d'une pareille fraude mérite d'être entièrement privé de l'amour de toutes les deux et ne doit plus jouir à l'avenir des faveurs d'aucune honnête femme, car c'est la volupté désordonnée qui règne en lui, volupté qui est absolument ennemie de l'amour".

"Autre question: l'absence. "L'absence ne doit pas être empêchement à l'amour, s'accorde-t-on à répondre, et l'amante dont l'amant est absent serait gravement coupable si elle le trompait pendant ce temps; le fait qu'elle ne lui envoie ni lettre ni message peut être seulement une ruse de femme pour éprouver l'amour de cet homme lorsqu'il est au loin; cela peut être aussi prudence pour elle, dans la crainte que quelqu'un n'aille ouvrir ses lettres et découvrir leur amour".

"… (p. 119) Il y a l'amour conjugal, un liens table, et auquel – Marie de Champagne y insiste – ni l'un ni l'autre des époux ne doit se dérober, et il y a cette autre forme d'amour dont il est dit expressément que rien ne lui nuit plus que la volupté, et qui se somme courtoisie. En ce domaine, la femme règne, commande, exige; elle porte des ordonnances et des jugements; les uns et les autres supposent de la part de ceux qui l'entourent une forme de soumission, une observance amoureuse sans défaut, mais encore un raffinement, dans les mœurs et l'expression, qui incite à se dépasser continuellement; la courtoisie est comme un état second de l'amour; elle implique en tout cas que l'on distingue ce qui mérite le nom d'amour de ce qui, dans l'état de mariage ou dans les relations extra-conjugales, est uniquement sexualité.

"(p. 122) Car tel est le trait essentiel de la poésie courtoise: née dans la société féodale, elle en est l'émanation. L'essence même du lien féodal, liant seigneur et vassal, était un engagement de fidélité réciproque, l'un offrant son ide, l'autre sa protection. Et c'est une semblable promesse qui unit le poète à la dame. Celle-ci est pour lui "le seigneur"; il lui voue fidélité; toute sa vie, tous ses actes, tous ses poèmes lui seront offerts en hommage. Le terme "hommage" est aussi celui qui désigne le geste du vassal s'agenouillant devant le seigneur pour en recevoir le baiser qui symbolise la paix, et constitue un engagement d'amour mutuel. La dame est donc pour lui la suzeraine; il s'abandonne à sa volonté et trouvera toute sa joie à l'accomplir, dût-il en souffrir….

"Cette dame si haut placée dans l'esprit du poète inspire naturellement le respect. Mieux encore: une sorte de crainte révérencielle. Elle est inaccessible; le poète s'humilie toujours devant elle, soit qu'il s'agisse effectivement d'une (p. 123) dame de haute noblesse (mais nous avons vu, dans les dialogues d'André le Chapelain que les différences sociales sont gommées par la "chevalerie d'amour"), soit que le poète estime infranchissable la distance qui le sépare d'elle, en raison même de l'admiration qu'il lui a dévouée" (Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 112-122).


Conclusion

"On se demande parfois (rien n'est jamais irréversible dans l'histoire des peuples comme des individus) si l'effort actuel de libération de la femme ne risque pas d'avorter...; car il marque pour elle une tendance suicidaire...: se nier elle-même en tant que femme..., se satisfaire à copier les comportements de son partenaire..., chercher à reproduire comme une sorte de modèle idéal et parfait, en se refusant d'emblée toute originalité.

"... N'est-il pas paradoxal que l'on conserve, d'un héritage dont la richesse est indéniable, précisément le legs le plus percicieux: la tentation totalitaire, celle qui consiste à vouloir réduire tous les individus à un schème unique, qui n'admet d'égalité que dans l'uniformité?...

"Les femmes se contenteront-elles longtemps d'être des hommes forcément manqués – à moins d'une mutation gigantesque de l'humanité qui d'ailleurs serait aussi sa 'fin' ?

"La copie est un bon exercice d'école: elle n'a jamais produit de chef-d'œuvre. Que n'inventons-nous, nous autres femmes, les solutions propres à notre temps ? n'avons-nous rien d'original à proposer au monde, par exemple devant des lacunes qui s'avèrent graves aujourd'hui ? Qui nous dit qu'il ne faudrait pas une solution féminine pour mettre terme à l'injustice généralisée qui fait que, dans notre univers rationnel et planifié, deux êtres humains sur trois ne mangent pas à leur faim ? Est-il sûr que la violence qui jusqu'ici n'a fait que l'aggraver pourra seule résorber ce mal-là ?

"... En combien de domaines la femme pourrait-elle se manifester efficacement: tous ceux qui touchent au respect de la personne (c'est-à-dire, pour chacun de nous, au respect de l'autre), à l'éducation et au bonheur de l'enfance. N'est-il pas curieux en effet que, depuis que le monde est monde, alors que les souvenirs d'enfance – dureté, angoisse ou tendresse – tiennent une telle place chez l'adulte, on se souci tellement peu d'apporter à chaque enfant ce dont il a surtout besoin dans ses premières années: une certaine chaleur, un entourage rassurant?... Ne serait-ce pas aux femmes d'y penser ?

"Mais tout cela nécessite de toute évidence un effort d'invention, d'attention à leur temps. La conviction aussi qu'on ne s'affirme qu'en créant, et – beaucoup le reconnaissent aujourd'hui – que c'est 'la différence qui est créatrice'..." (Jacques de Bourbon-Busset, dans son intervention lors de la séance finale du Colloque d'Orléans, le 12 octobre 1979, cité dans Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, Évreux 1980, p. 287).

La femme en 1789

Sous l'Ancien Régime, les femmes régnaient à la cour et à la ville, sur les mœurs et dans les lettres

"La personnalité la plus importante de la Cour de France sous Louis XVI a été la reine" (Frantz Funck-Brentano, L'Ancien Régime, Les Grandes études Historiques, Librairie Arthème Fayard, Paris 1926, p. 295).

En rédigeant et en proclamant à la face du monde les droits de l'homme, les tribuns de la révolution n'oublient-ils pas les droits "de la femme" ? S'ils se soucient peu d'elles, c'est sans doute par réaction contre ce XVIIIe siècle qui a été un siècle de quasi souveraineté féminine..." (René Sédillot, Le coût de la Révolution française, Vérités et Légendes, Perrin Mesnil-sur-l'Estrée 1987, p. 82).

De Mme de Maintenon à Mme de Pompadour, les femmes ont régné à la cour et à la ville, sur les mœurs et dans les lettres. "Le règne du cotillon", disait Frédéric II. Le règne des salons, bien davantage: Mmes du Deffand, Geoffrin, de Lespinasse, d'Holbach, Helvétius, faisaient la loi sur les beaux esprits, et quelquefois sur les grands esprits. Mlle de Scudéry ne dictait la mode que chez les précieuses, mais Mme d'Épinay comblait Rousseau, Mme du Châtelet éblouissait Voltaire (René Sédillot, ibid., p. 83).

Le Persan de Montesquieu admirait comme, à Versailles ou à Paris, les femmes avaient de poids politique. C'est par leurs mains, écrit-il, que "passent toutes les grâces et quelquefois les injustices". Les femmes "forment une espèce de république dont les membres, toujours actifs, se secourent et se servent mutuellement; c'est comme un nouvel état dans l'État… On se plaint en Perse de ce que le royaume est gouverné par deux ou trois femmes. C'est bien pis en France, où les femmes en général gouvernent, et non seulement prennent en gros, mais même se partagent en détail toute l'autorité..."

"La révolution est anti-féministe" (René Sédillot)

"À l'inverse, à l'enseigne de Rousseau, la révolution est hardiment antiféministe. Jean-Jacques a donné le ton: "La dépendance est un état naturel aux femmes", professe-t-il. "La femme est faite pour céder à l'homme", assure l'Émile...

"Condorcet, qui avait plaidé la cause des femmes avant la Révolution, reste muet pendant la tourmente...

"Les cahiers de doléance, en 1789, présentent fort peu de revendications féminines, peut-être parce que les femmes, comblées par le siècle, n'ont rien à revendiquer. Exception qui confirme la règle, la belle et riche Olympe de Gouges, veuve joyeuse, fondatrice du club des Tricoteuses, rédige en 1791 une "déclaration des droits de la femme et de la citoyenne". Elle y présente cette requête: "puisque la femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir celui de monter à la tribune"... Robespierre, qui lui refuse ce dernier droit, lui reconnaître premier: il fait arrêter et guillotinée l'effrontée Olympe...

"D'autres femmes tiennent leur place dans la révolution. Elles sont émeutières lors des journées d'octobre, victimes avec Mme Roland ou Lucile Desmoulins, agitatrices avec Claire Lacombe, figurantes de grand spectacle quand on en fait la déesse Liberté ou la déesse Raison. Ce ne sont là que des seconds rôles.

"Les femmes d'action sont dans l'autre camp, avec Charlotte Corday ou les amazones de la guerre de Vendée...

"Couronnant l'œuvre misogyne de la révolution, Napoléon apporte sur le continent les traditions patriarcales de son île: en Corse, la femme sert le repas, mange debout, à moins qu'elle ne s'asseye sur la pierre de l'âtre... L'empereur respecte sa mère, mais tient ses sœurs pour des sottes. Dans son code civil, la femme reste une mineure. Elle doit obéissance à son mari (article 213). Sans le secours de celui-ci, elle ne peut ni ester en justice, ni aliéner ses avoirs. Cette incapacité est conforme au sentiment qu'en a Napoléon. "Pour une qui nous inspire quelque chose de bien, il en est cent qui nous font faire des sottises." S'il inscrit le divorce dans le Code, c'est pour permettre à l'homme de se libérer, et d'abord pour se le permettre à lui-même…" (René Sédillot, Le coût de la Révolution française, Vérités et Légendes, Perrin Mesnil-sur-l'Estrée 1987, p. 84).

La femme aujourd'hui

Aujourd'hui, les prétendues "féministes" travaillant soit-disant à la "libération" de la femme ne voient pas qu'elles détruisent en réalité l'image de la femme et ce que la femme a de plus précieux, sa dignité. Elles opèrent un fantastique retour en arrière, bien loin dans le passé, au-delà du "Moyen Age" tant décrié, pour nous retrouver en pleine antiquité !!! Voir à ce sujet le remarquable livre de Régine Pernoud: La femme au temps des cathédrales, qui risque de réserver quelques surprises à d'aucuns...

Elles ne voient pas qu'elles travaillent à l'affichage du corps féminin sur tous les écrans, sur toutes les affiches et sur toutes les publicités; elles ne voient pas que la femme devient un pur objet de consommation dont il s'agit de cultiver l'image pour l'occasion, et celle d'une femme dite "libérée" tant qu'à faire... Elles ne voient pas qu'elles travaillent là à la soumission et à l'esclavage pur et simple de la femme. C'est le retour à une barbarie que tant de siècles de civilisation chrétienne et de civilisation catholique, avait réussi à extirper. Voilà donc le fantastique retour en arrière que nous propose les féministes. Une régression inadmissible.

Nous ne voulons pas que la femme soit renvoyée à son corps, nous ne voulons pas que la société prétendument moderne instrumentalise l'image de la femme, non, nous ne voulons pas de cette société consumériste, athée, apostate et pornocrate. Nous n'en voulons pas. Nous défendons le vrai droit de la femme, le droit d'être respectée et respectée jusque dans son corps. Cela est le droit de la femme et le vrai droit de la femme chrétienne, de la femme catholique, le droit d'être respectée jusque dans son corps. Nous n'avons pas le droit de laisser son image ternie par toutes ces publicités, non nous n'en avons pas le droit ou sinon nous ne sommes plus Catholiques. Alors soyons Chrétiens chers amis, soyons Catholiques, Soyons Français, et dressons l'étendard de l'Amour contre l'étendard de la tyrannie et de l'anarchie.

Ces femmes qui travaillent soit-disant à la "libération de la femme", ces femmes "libérées", toutes ces "féministes", ces "chiennes de garde" comme elle se targuent de s'appeler [...], de quoi sont-elles libérées? Ne sont-elles pas en réalité des véritables tue-l'Amour, de vraies sectaires endoctrinées, fanatisées, adeptes d'une "culture de mort", remplies d'égoïsme, d'égocentisme et de nombrilisme...

N'oublions jamais que depuis 1975 et la légalisation de l'avortement, c'est, à raison de 200 000 avortements par an, plus de six millions d'enfants qui ont été assassinés dans le ventre de leurs mères et à qui l'on a enlevé définitivement toute chance de vie et sans appel possible... Un génocide total du peuple français et au-delà, des peuples occidentaux plus particulièrement touchés par la culture de mort.