Différences entre les versions de « Le Traité du Saint-Esprit (Mgr Gaume), Tome 2, deuxième partie »

De Christ-Roi
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(/* CHAPITRE XXIX LE DON DE SCIENCE. Ce qu'est le don de science. - Il agit sur l'entendement. - Différence entre le don de science, la foi et la science naturelle. - Paroles de Donoso Cortès.- Le don de science fait discerner avec certitude le vrai du f)
(/* CHAPITRE XXIX LE DON DE SCIENCE. Ce qu'est le don de science. - Il agit sur l'entendement. - Différence entre le don de science, la foi et la science naturelle. - Paroles de Donoso Cortès.- Le don de science fait discerner avec certitude le vrai du f)
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de jugement; cette rectitude nous fait apprécier et estimer chaque chose à sa juste valeur; puis, agissant sur la volonté, elle règle ses actes sur les lumières clé l'entendement perfectionné. Or, le don de science nous montre clairement que les biens et les maux de ce monde ne sont ni de vrais biens ni de vrais maux ; que ce qui est appelé mal par les hommes, la pauvreté, l'humiliation, la souffrance, n'est pas un vrai mal; que ce qui est appelé bien par les hommes, les richesses, les honneurs, les plaisirs, n'est pas un vrai bien, mais souvent un mal et toujours un danger.
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de jugement; cette rectitude nous fait apprécier et estimer chaque chose à sa juste valeur; puis, agissant sur la volonté, elle règle ses actes sur les lumières clé l'entendement perfectionné. Or, '''le don de science nous montre clairement que les biens et les maux de ce monde ne sont ni de vrais biens ni de vrais maux ; que ce qui est appelé mal par les hommes, la pauvreté, l'humiliation, la souffrance, n'est pas un vrai mal; que ce qui est appelé bien par les hommes, les richesses, les honneurs, les plaisirs, n'est pas un vrai bien, mais souvent un mal et toujours un danger.'''
  
 
Le chrétien qui, grâce au don de science, sait tout cela et dont la volonté est à l'unisson de sa science, a mille raisons de ne pas se mettre en colère. Telles sont, entre autres, sa dignité compromise, le scandale donné, la paix troublée, la haine enfantée, le péché commis par l'usurpation du droit divin de la vengeance. Il ne trouve aucune raison de s'y mettre. Et qui pourrait l'irriter? L'injure? mais elle est pour lui une précieuse semence de mérite. L'injustice, l'ingratitude? mais il connaît toute la misère humaine, et, sachant que lui-même a besoin d'indulgence, il dit : Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. La perte de ses biens? mais il sait qu'en les perdant, il n'a rien perdu du sien; et, avec le calme de Job, il dit : Le Seigneur m'avait donné, le Seigneur m'a ôté; comme il a plu au Seigneur il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni. Ainsi des autres accidents que le monde appelle revers, calamités, malheurs. Telle est la sérénité de l'âme éclairée par l'Esprit de science.
 
Le chrétien qui, grâce au don de science, sait tout cela et dont la volonté est à l'unisson de sa science, a mille raisons de ne pas se mettre en colère. Telles sont, entre autres, sa dignité compromise, le scandale donné, la paix troublée, la haine enfantée, le péché commis par l'usurpation du droit divin de la vengeance. Il ne trouve aucune raison de s'y mettre. Et qui pourrait l'irriter? L'injure? mais elle est pour lui une précieuse semence de mérite. L'injustice, l'ingratitude? mais il connaît toute la misère humaine, et, sachant que lui-même a besoin d'indulgence, il dit : Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. La perte de ses biens? mais il sait qu'en les perdant, il n'a rien perdu du sien; et, avec le calme de Job, il dit : Le Seigneur m'avait donné, le Seigneur m'a ôté; comme il a plu au Seigneur il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni. Ainsi des autres accidents que le monde appelle revers, calamités, malheurs. Telle est la sérénité de l'âme éclairée par l'Esprit de science.

Version du 28 octobre 2005 à 12:21

Mgr Gaume, Traité du Saint-Esprit, 1865, troisième édition, Gaume et Cie Editeurs, 3 rue de l'Abbaye, tome II, Paris 1890.

CHAPITRE XXVI (SUITE DU PRÉCÉDENT.) Nombre des dons du Saint-Esprit. - Inséparabilité. - Perpétuité. - Dignité. - Ordre des dons en Notre Seigneur. - Ils commencent par la sagesse et finissent à la crainte. - Raison de cet ordre. - Manifestation de chaque don du Saint-Esprit dans la vie de Notre Seigneur. - En nous, les dons commencent par la crainte et finissent à la sagesse. - Raison de cet ordre. - Loi du monde moral. - Nécessité de la connaître et de la suivre. - Effets généraux des dons du Saint-Esprit sur l'humanité.

On ne saurait trop le répéter, sans les dons du Saint-Esprit, l'homme est privé de mouvement surnaturel. Il ne peut convenablement ni connaître le bien, ni l'opérer, ni éviter le mal, ni s'ouvrir les portes du ciel. Mais quel est le nombre de ces dons, plus précieux que tout l'or du monde, plus nécessaires mille fois que la vie naturelle? L'Écriture nous donne la réponse. Parlant de Notre Seigneur, le second Adam, le prophète Isaïe s'exprime en ces termes : « Et sur lui reposera l'Esprit du Seigneur : l'Esprit de sagesse et d'intelligence ; l'Esprit de conseil et de force; l'Esprit de science et de piété, et l'Esprit de la crainte du Seigneur le remplira. » (XI, 2, 3.) Ce qui s'est accompli dans le Verbe incarné doit s'accomplir dans chacun de ses frères. Au jour du baptême, tout chrétien reçoit les sept dons du Saint-Esprit.

Pourquoi ces dons divins sont-ils au nombre de sept

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et non pas au nombre de six ou de huit? Rappelons-nous que les dons du Saint-Esprit ont pour but d'imprimer le mouvement aux vertus. Or, il y a sept vertus : trois théologales et quatre cardinales. Ces vertus comprennent toutes les forces, principes d'actes surnaturels. Ces forces reposent toutes dans l'entendement et dans la volonté. L'entendement doit saisir la vérité, s'en nourrir et la transmettre; la volonté, l'aimer et la réduire en actes.

Pour connaître la vérité d'une connaissance utile, l'entendement a besoin des dons d' intelligence, de conseil, de sagesse et de science. Les dons de piété, de force et de crainte sont les auxiliaires indispensables de la volonté, dans l'amour et la pratique du bien (Corn. a Lap., in Is., XI, 3.) Ainsi, les dons du Saint-Esprit atteignent toutes les facultés de l'âme, toutes les vertus intellectuelles et morales, et les suivent dans leurs actes, de quelque nature qu'ils soient (S. Th., 1a 2ae, q. 68, art. 4, corp.)

Sous une figure d'une profonde vérité, saint Grégoire montre la même raison du nombre sept. « Dieu, dit-il, a créé le monde et l'a rendu parfait en sept jours. Image de Dieu, l'homme est créateur. A chaque jour de sa création spirituelle, correspond un don du Saint-Esprit. Tous ensemble accomplissent et perfectionnent les travaux, tant de la vie active que de la vie contemplative. » (Super Ezech., homil. II.) Il en résulte que le nombre sept

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est celui qui convient aux dons du Saint-Esprit : plus serait inutile, moins pas assez. A cette précision merveilleuse, comment ne pas reconnaître l'infinie sagesse qui, dans l'ordre moral non moins que dans l'ordre physique, fait tout avec nombre?

Elle brille d'un nouvel éclat, si on considère, comme nous le ferons plus tard, que les dons du Saint-Esprit sont opposés aux sept péchés capitaux. Ces sept péchés ou, pour mieux dire, ces sept Esprits mauvais en veulent aux sept vertus ou puissances de l'homme, ainsi qu'à son entendement et à sa volonté, c'est-à-dire qu'ils attaquent l'homme dans tout son être. Pour lutter avec succès contre ces sept puissances infernales, sept forces divines étaient nécessaires à l'homme. Il les trouve, ni plus ni moins, dans les sept dons du Saint-Esprit.

Nouveau trait de sagesse et de bonté : ce brillant cortège de perfections surnaturelles, cette puissante cohorte d'auxiliaires divins est indissoluble. Les dons du Saint-Esprit sont inséparables les uns des autres. « Aucune vertu morale, dit le prince de la théologie, ne peut exister dans l'homme sans la prudence. Toutes se réunissent dans cette vertu, qui les dirige suivant les lumières de la raison. Il en est ainsi du chrétien. Toutes ses vertus, toutes les forces de son âme sont excitées et régies par les dons du Saint-Esprit. Or, le Saint-Esprit habite en nous par la charité. Ainsi, comme les vertus morales sont mises en faisceau par la prudence, les dons du Saint-Esprit se trouvent liés

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ensemble dans la charité. Celui donc qui a la charité possède les sept dons du Saint-Esprit, et celui qui la perd les perd tous les sept; niais il les recouvre en recouvrant la grâce. » (1a 2ae, q. 58, art. 4, Corp.; et q. 68, art. 5, corp.)

Telle est, pour le dire en passant, la raison du nombre sept, si souvent reproduit dans les pénitences canoniques et dans les indulgences accordées par l'Église. (S. Anton., Summa theolog., p. IV, tit. X, c. I, p. 152, edit. in-4 Venet, 1861.)

Non seulement les dons du Saint-Esprit sont inséparables; ils sont encore tellement permanents, qu'ils survivent même à la mort. Moyens nécessaires de sanctification dans l'exil, ils deviennent dans la patrie des sources de gloire et de béatitude. « Les dons du Saint-Esprit, continue saint Thomas, peuvent être considérés dans leur objet actuel ou dans leur essence. En tant qu'ils résident dans l'homme voyageur, ils ont pour objet les œuvres de la vie active, c'est-à-dire la pratique des différents devoirs auxquels le salut est attaché. Sous ce rapport ils ne demeurent pas dans le ciel. La fin étant obtenue, les moyens n'ont plus de raison d'être.

« Il en est autrement, si on les considère dans leur essence. En effet, il est de leur essence de perfectionner l'âme, de manière à la rendre docile à l'impulsion divine. Or, dans le ciel cette docilité sera complète. Là, Dieu sera tout en toutes choses, et l'homme parfaitement soumis à Dieu. Ainsi, non seulement les dons

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du Saint-Esprit, principes de cette docilité, subsisteront dans le ciel; mais, incomparablement plus parfaits qu'ici-bas, ils brilleront dans les élus d'un éclat splendide et seront la mesure de leur bonheur et de leur gloire. » (1a 2ae, q. 68, art. 6, corp.)

Cet éclat ne sera pas le même pour tous les dons ; car tous n'ont pas la même excellence. Tous, il est vrai, sont des pierres précieuses qui formeront la couronne des élus; mais dans le ciel, Comme sur la terre, toutes les pierres précieuses n'ont ni le même prix ni la même splendeur. Le rubis, l'émeraude, la topaze, le diamant, ont chacun sa beauté spécifique et un éclat différent. Qu'une excellence relative, une dignité hiérarchique distingue les dons du Saint-Esprit, rien n'est plus facile à prouver.

Ces dons correspondent aux vertus, c'est-à-dire que chaque don a pour but de mettre en mouvement une vertu particulière et de l'ennoblir, en lui faisant produire des actes, promptement, facilement, constamment, sous l'impulsion du Saint-Esprit. Or, il y a une différence de dignité entre les vertus. Sans parler des vertus théologales, les premières de toutes, les vertus intellectuelles sont supérieures aux vertus morales; et parmi les vertus intellectuelles, les vertus contemplatives sont préférables aux vertus actives. La cause en est que les premières perfectionnent la plus noble faculté de l'homme, la raison; tandis que les secondes ne perfectionnent que la volonté.

C'est une nécessité qu'il en soit de même parmi les dons; car plus noble est la chose à mouvoir, plus

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noble doit être le moteur; plus parfaite est la faculté à perfectionner, plus parfait doit être le principe perfectionnant. « Ainsi, ajoute saint Thomas, dans les dons, la sagesse et l'intelligence, la science et le conseil sont préférés à la piété, à la force et à la crainte. Parmi ces trois derniers, la piété est préférée à la force, et la force à la crainte; comme la justice elle-même est préférée à la force, et la force à la tempérance. Telle est la supériorité relative des dons, pris en eux-mêmes.

« Considérés sous le rapport des actes, la force et le conseil sont préférés à la science et à la piété, parce que la force et le conseil s'exercent dans les cas difficiles; la piété et même la science, dans les cas ordinaires. On voit que la dignité des dons correspond à l'ordre dans lequel ils sont énumérés, partie simplement, en tant que la sagesse et l'intelligence sont préférées à tous; partie suivant leur ordre d'application, en tant que le conseil et la force sont préférés à la science et à la piété. » (S. Th., 1a 2ae, q, 68, art. 7, corp.)

Mais dans quel ordre les dons du Saint-Esprit sont-ils énumérés? On trouve deux manières de les compter : l'une descendante, qui commence par la sagesse et finit par la crainte; l'autre ascendante, qui commence par la crainte et finit par la sagesse. Lorsqu'il les répand sur Notre Seigneur, le Saint-Esprit nomme ses dons par ordre de dignité ; sur nous, par ordre de nécessité. De Notre Seigneur il est dit : Sur lui reposera l'esprit de sagesse, et il sera rempli de, l'Esprit de la crainte du Seigneur. De nous il est dit:

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La crainte est le commencement de la sagesse (Ps., CX, hébr.CXI., 10; Proverbes VIII., 13; IX., 10;) Pourquoi cette double échelle ?

Le Verbe incarné est la sagesse éternelle; et le premier don communiqué à son âme est la sagesse. Par là, le Saint-Esprit a voulu montrer que cette humanité sainte, étant sans péché ni imperfection, participe de prime abord à l'attribut suprême de la personne divine, à laquelle elle est unie. Le dernier don nommé par le Saint-Esprit, c'est la crainte. Le siège de la crainte est surtout dans la partie inférieure de l'âme, c'est-à-dire dans le point qui met Notre Seigneur en contact immédiat avec notre pauvre humanité. Et le Saint-Esprit a voulu nous apprendre que la crainte est le premier degré de l'échelle qui doit nous élever jusqu'à Dieu, la Sagesse infinie. Tel est l'ordre suivant lequel le Saint-Esprit se communique au Dieu homme, l'innocence même et le réparateur de l'innocence.

Quant à nous, nous recevons les dons du Saint-Esprit dans l'ordre inverse ; on le conçoit (St Bonav., ubi supra, p. 241.) Chargé de misère et de péchés, le premier sentiment que l'homme doit éprouver devant Dieu, c'est la crainte. Voilà pourquoi la crainte est le premier don qu'il reçoit, et la sagesse le dernier auquel il parvient. Dans le Verbe incarné, le Saint-Esprit, pour arriver jusqu'à nous, descend de la sagesse à la crainte, et, pour nous relever jusqu'à notre Frère aîné, il nous fait remonter de la crainte à la sagesse.

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Si on veut que le chrétien connaisse l'enchaînement et la dignité relative des dons du Saint-Esprit, tel est l'ordre qu'il importe de suivre en les expliquant. Il est d'autant plus rationnel, que les dons du Saint-Esprit sont directement opposés aux péchés capitaux. Or, l'orgueil est le père de tous les autres : Initium omnis peccati est superbia; il est aussi le premier qu'on explique. La crainte en est le remède, comme nous le montrerons. C'est donc par la crainte que doit commencer l'explication des dons du Saint-Esprit.

Comme il est facile de le voir, ces deux ordres, dont l'un descend et l'autre monte, renferment de grands enseignements et de belles harmonies. Ni les uns ni les autres n'ont échappé au regard pénétrant des docteurs de l'Église. « Par le nombre sept, dit saint Augustin, les dons nous révèlent le Saint-Esprit qui, en descendant à nous, commence par la sagesse et finit par la crainte; tandis que nous, pour monter jusqu'à lui, nous commençons par la crainte et finissons par la sagesse; car la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. » (Serm. 448, c. IV, opp. T. V, p. I, d. 1499.)

Et ailleurs : « Lorsque le prophète Isaïe célèbre les sept dons merveilleux du Saint-Esprit, il commence par la sagesse et arrive à la crainte, descendant du sommet jusqu'à nous, afin de nous apprendre à monter. Il part du point où nous voulons parvenir et il parvient au point d'où nous devons commencer. Sur lui reposera, dit-il, l' Esprit du Seigneur, l'Esprit de sagesse et d'enten-

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dement, l'Esprit de conseil et de force, l'Esprit de science et de piété, l'Esprit de la crainte du Seigneur. Ainsi, comme le Verbe incarné, non en diminuant, mais en nous enseignant, descend depuis la sagesse jusqu'à la crainte; de même nous devons monter, en avançant depuis la crainte jusqu'à la sagesse. La crainte, en effet, est le commencement de la sagesse. Elle est cette vallée des pleurs dont parle le prophète lorsqu'il dit : Il a disposé des ascensions clans son coeur, au fond de la vallée des larmes.

« Cette vallée, c'est l'humilité. Or, quel est l'humble, sinon celui qui craint Dieu et qui, à cause de cette crainte, fait couler de son cœur des larmes de confession et de pénitence ? Dieu ne méprise pas un cœur contrit et humilié. Qu'il ne craigne donc pas de demeurer dans le fond de la vallée. Dans ce cœur contrit et humilié, Dieu a préparé des ascensions, par lesquelles nous nous élevons jusqu'à lui. Où se font ces ascensions ? Dans le cœur, dit le prophète, in corde. D'où faut-il monter ? Du fond de la vallée des pleurs. Où faut-il monter ? Au lieu que Dieu lui-même a préparé, in locum quem disposuit. Quel est ce lieu? Le lieu du repos et de la paix, où habite, resplendissante de lumière, l'immortelle Sagesse.

« Ainsi, pour nous instruire, Isaïe descend par degrés, depuis la sagesse jusqu'à la crainte, c'est-à-dire depuis le séjour de la paix éternelle, jusqu'au fond de la vallée des pleurs, passagers comme le temps. Il veut nous apprendre, pauvres pénitents qui pleurons et qui gémissons, à ne pas demeurer dans les gémissements et dans les larmes ; mais à monter de cette triste vallée jusqu'à la montagne spirituelle, au sommet de laquelle

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est bâtie la sainte Jérusalem, notre mère, où nous ,jouirons d'une joie sans mélange et sans fin. Telle est la raison pour laquelle il place au premier rang la sagesse, c'est-à-dire la vraie lumière de l'âme, et au second l'intelligence. Comme s'il répondait à ceux qui lui demandent, de quel point il faut partir pour arriver à la sagesse, il dit : De l'intelligence. Et pour parvenir à l'intelligence? Du conseil. Et au conseil? De la force. Et à la force? De la science. Et à la science? De la piété. Et à la piété? De la crainte. Donc à la sagesse, depuis la crainte; de la vallée des pleurs, jusqu'à la montagne de la paix. » (Serm. 247, c. III, opp. t. IV, p. 1987.)

Dans la manière dont Isaïe parle du don de crainte en Notre Seigneur, l'abbé Rupert nous fait admirer la profonde condescendance du Verbe incarné, devenu le sauveur et le précepteur du genre humain. Voici ses paroles : « Le prophète dit : Et l'Esprit de la crainte du Seigneur le remplira. Il est digne de remarque qu'en parlant des six premiers dons, Isaïe dit constamment : Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur, l'Esprit de sagesse, l'Esprit d'intelligence, et ainsi des autres. Pourquoi, arrivé au septième, change-t-il le mot et dit-il : L'Esprit de crainte le remplira? Comprenons le mystère : Dieu a voulu montrer à l'univers cet étonnant spectacle, le créateur de l'homme, le Dieu de l'éternité, descendant jusqu'au point duquel doit partir l'homme pécheur, pour

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sortir de l'abîme du vice et se délivrer des chaînes infernales du péché.

« En effet, le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. C'est jusque-là que le Créateur est descendu. L'Esprit de la crainte de Dieu le remplira, dit le prophète. Qu'il ait dit : Sur lui reposera l'Esprit de sagesse et d'intelligence, il n'y a rien d'étonnant. Toutes ces magnifiques qualités conviennent à la majesté d'un Dieu. Mais quel est l'ange ou l'homme qui ne soit pas stupéfait, en voyant le Seigneur descendre jusqu'à la crainte du Seigneur; le Maître souverain et redouté du ciel et de la terre, rempli de crainte, non pas en partie, mais pleinement et dans toute l'étendue que des hommes inspirés du Saint-Esprit peuvent donner an mot plénitude? » (De Spir. sanct., lib. I, C. xxv.)

Telle est la mystérieuse échelle que le Verbe, conduit par le Saint-Esprit, a descendue pour arriver jusqu'à nous, et que nous-mêmes devons monter pour parvenir jusqu'à lui. Un instant arrêtons-nous à considérer ce double mouvement de descente et d'ascension. Intéressante par elle-même, cette étude a trois grands avantages. Le premier : de vérifier par des faits l'énumération hiérarchique d'Isaïe; le second : de nous orienter dans l'exercice des dons du Saint-Esprit; le troisième : de mettre au jour les effets généraux des dons du Saint-Esprit sur le genre humain.

1° Vérifier l'énumération hiérarchique d'Isaïe. Sans doute, la vie du Verbe fait chair est une manifestation

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soutenue de l'Esprit, qui reposait sur lui. On y trouve néanmoins des circonstances, où brille d'un éclat plus marqué chaque don de l'Esprit septiforme, et dans l'ordre même de l'énumération prophétique.

Jésus entre dans sa vie publique, et le premier don qui brille en lui, c'est la sagesse. A peine sorti des eaux du Jourdain, l'Esprit le pousse au désert. Là, il jeûne quarante jours et quarante nuits; permet au démon de venir le tenter, afin d'avoir occasion de le vaincre; repousse ses attaques par des paroles divines, admirablement choisies, et prélude ainsi à toutes les victoires que lui et ses disciples, de tous les siècles et de tous les pays, remporteront sur l'éternel tentateur.

Où est l'homme dont la vie présente une sagesse comparable à celle-là?

Revenu parmi les hommes, un de ses premiers actes est d'entrer dans la synagogue de Nazareth; il se lève pour faire la lecture des livres saints. On lui a donné Isaïe; il l'ouvre et tombe sur ce passage : « L'Esprit du Seigneur est sur moi; il m'a consacré par son onction pour évangéliser les pauvres, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour annoncer aux captifs leur délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour soulager les opprimés et prêcher l'année de grâce du Seigneur et le jour de la justice. » (Luc., IV, 17-19.) Et, quand il eut fermé le livre, il ajouta : Aujourd'hui, cette parole de l'Écriture que vous venez d'entendre est accomplie. Elle est accomplie; car le prophète parle de miracles de l'ordre moral, et en moi et par moi vous allez voir s'opérer tous ces miracles.

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Trouver immédiatement ce passage d'Isaïe et en donner le sens précis, n'est-ce pas le triomphe du don d' Intelligence?

Voici le don de conseil. Soupçonnant l'incrédulité de ses auditeurs, il va leur faire entendre que ces miracles ne sont pas pour eux. « En vérité je vous le dis; il y avait beaucoup de veuves au temps d'Élie en Israël, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois, et qu'une grande famine se fit sentir par toute la terre. Or, à aucune d'elles Élie ne fut envoyé, mais à une femme veuve, en Sarepta des Sidoniens. Et il y avait plusieurs lépreux en Israël au temps du prophète Élisée, et aucun d'entre eux ne fut guéri, mais Naaman Syrien. » (Luc., IV, 25-27.)

Connaissance claire et révélation précise des décrets éternels sur les Juifs et sur les gentils, tout est dans ces paroles. Sur les lèvres du Sauveur elles disent : Par votre orgueil; Juifs, vous fermerez sur vos têtes le ciel de la miséricorde ; toute la pluie de grâces, tombée sur vous par le ministère de Moïse et des prophètes, va prendre sa direction vers les gentils; et votre lèpre, que vous ne voudrez pas guérir, sera la guérison de la lèpre des nations, dont l'Esprit aux sept dons sera le purificateur et le médecin.

Le don de Conseil peut-il briller d'un éclat plus vif?

Le don de Force n'est pas plus difficile à trouver. Irrités de la preuve qu'il venait de leur donner du don de conseil, les Juifs s'emparent du Verbe incarné et le conduisent au sommet de la montagne, sur laquelle leur ville était bâtie, afin de le précipiter; mais il leur coula dans les mains et s'éloigna tranquillement. Ce

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n'était là que le prélude d'actes plus éclatants du don de force.

Chasser le fort armé de sa citadelle, briser les liens de la mort, se ressusciter lui-même à la gloire, qu'est-ce que cela, sinon le don de Force, élevé à sa plus haute puissance?

Chaque pas du Sauveur dans sa vie publique est marqué par le don de Science. Que dis-je? on le voit resplendir comme un rayon de lumière divine, dans l'obscurité de sa vie cachée. Pourrions-nous oublier l'étonnement causé à tous les vieux docteurs de la loi, par les questions et les réponses de cet enfant de douze ans? mais comme le soleil devient plus éclatant à mesure qu'il avance sur l'horizon, avec les années le don de Science brille dans Jésus, d'une splendeur nouvelle. A la fête des Tabernacles, il monte à Jérusalem. Devant la foule réunie dans le temple il enseigne sa doctrine. L'admiration éclate de toutes parts et se traduit par ces mots : Comment sait-il les Écritures, puisqu'il ne les a point apprises?

Peut-on mieux proclamer le don de Science?

Continuant de descendre les degrés, de l'échelle mystérieuse, le Verbe rédempteur arrive au don de Piété. Personne n'ignore ce que révèlent les touchantes paraboles du bon Samaritain ; du Père de famille qui convie à son festin les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux; de la drachme et de la brebis perdues.

Mais la parabole de l'enfant prodigue, n'est-elle pas l'inimitable chef-d'œuvre du don de Piété? Enfin, nous touchons au don de Crainte. Parce qu'il marque au genre humain le premier pas qu'il doit faire pour s'élever à Dieu, ce don paraît le dernier et dans

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les derniers moments du divin Maître. Il est comme le vestige encore chaud, dans lequel l'homme doit commencer par mettre le pied. Ce vestige ineffaçable est empreint au jardin des Olives. Voyez-vous le fort d'Israël, saisi tout à coup de crainte, d'ennui et de tristesse, tombant à genoux et disant: Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de mes lèvres? Le voyez-vous dans les frissons de l'agonie, couvert d'une sueur de sang et réduit, pour ne pas succomber, à accepter le secours d'un ange consolateur?

A la crainte mortelle, ajoutez la soumission la plus respectueuse et la plus entière aux ordres paternels, et dites si jamais le don de Crainte s'est révélé avec une pareille perfection! (Voir Rupert, De Spir. sanct., lib. I, c. XXI.)

2° Nous orienter dans l'exercice, ou la pratique, des dons du Saint-Esprit. Nous connaissons les degrés par lesquels le Verbe divin est descendu du sommet des collines éternelles, jusqu'au fond de la vallée des pleurs. Afin d'accomplir le mouvement contraire, quels sont ceux que nous devons suivre? Le savoir est pour nous d'un intérêt capital. C'est par les dons du Saint-Esprit que le Verbe a sauvé l'homme et créé un monde nouveau (Luc., IV, 17; "Hébr., IX, 14.).

Image du Verbe et petit monde, c'est par les mêmes dons, et par eux uniquement, que le chrétien peut et doit se sauver et faire de lui un monde nouveau. Sous sa main sont les moyens de succès. Comment les mettre en œuvre? Devant ses yeux est l'échelle à gravir. Avoir la prétention de s'élever de prime saut jusqu'à l'échelon supérieur serait folie. Il faut donc commencer par poser le

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pied sur le plus bas. Ce dernier échelon, nous l'avons vu, c'est la crainte. Le Sauveur nous y attend et nous donne la main. Le même Esprit qui l'a fait descendre jusque-là commence par nous élever aussi jusque là. Telle est sa première opération.

Écoutons saint Bernard. « C'est avec raison, dit-il, que la crainte de Dieu est appelée le commencement de la sagesse. En effet, Dieu commence à se faire goûter à l'âme lorsqu'il lui apprend à craindre et non à savoir : car craindre, c'est goûter : Timor, sapor est. Or, le goût rend sage, comme la science rend savant. Craignez-vous la justice et la puissance de Dieu ? vous goûtez Dieu juste et puissant. Sagesse vient de saveur. Voilà pourquoi la crainte, commencement de la sagesse, répand dans les profondeurs de l'être une saveur multiple qui régénère toute la famille intérieure de l'âme, purifie son royaume, le pacifie et le sanctifie. » (Serm. 23 in Cantic.)

L'affirmation du grand mystique est d'autant plus vraie, que le don de Crainte ne produit pas la crainte servile, mais la crainte filiale : crainte respectueuse, résignée et confiante, semblable à celle de l'Homme-Dieu au jardin de Gethsémani.

La crainte est donc le premier degré de notre ascension vers Dieu, la première condition de notre rachat, la première loi de notre régénération. L'Église le sait. Elle qui n'ignore aucun des secrets de l'ordre moral, commence toujours le salut de ses enfants par la crainte. A ses yeux, le travail de régénération ou de création nouvelle imposé à l'homme se divise en trois périodes qu'elle nomme la vie purgative, la vie illuminative et la

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vie contemplative. A chacune correspondent quelques-uns des dons du Saint-Esprit. La crainte est le premier fondement de la vie purgative, et la vie purgative est le commencement de la régénération.

Aussi, lisez tous les auteurs ascétiques, ces officiers du génie dans la guerre spirituelle: pas un qui ne donne aux plans d'attaque et de défense la crainte pour premier centre d'opérations. Écoutez tous les prédicateurs de retraites et de missions, ces capitaines expérimentés qui font manœuvrer toutes les forces spirituelles, contre les puissances ennemies du salut : pas un qui ne commence la bataille sans mettre en avant les fins dernières de l'homme, sources éternelles de la crainte.

Interprètes du Saint-Esprit, les uns et les autres ne font qu'appliquer la loi immuable, qui pose la crainte comme principe de la sagesse. Par l'organe infaillible du concile de Trente, l'Esprit sanctificateur décrit lui-même la manière dont il opère la justification des pécheurs. La crainte de la justice de Dieu leur donne le branle ; de la crainte ils passent à la considération de la miséricorde: cette considération les conduit à la confiance que Dieu leur pardonnera en vue des mérites de son Fils. Alors ils commencent à l'aimer comme source de toute justice, et à détester leurs péchés (Sess. IV, c. VI.)

Il est donc bien établi que c'est par le don de crainte que l'homme se met en contact avec la sagesse éternelle, et qu'il commence l'œuvre de sa nouvelle création. Cette création, chef d'œuvre des sept dons du Saint-Esprit, fut, comme toutes les œuvres de la grâce, figurée dans la création du monde matériel. De même que le premier jour

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de la semaine primitive appelle le second, et le second le troisième, jusqu'au dernier; ainsi le premier don du Saint-Esprit, mis en œuvre, conduit au second, et celui-ci à tous les autres, jusqu'au septième, la sagesse, qui est le repos parfait. Arrivé là, l'homme peut dire, comme Dieu lui-même, en contemplant son ouvrage : Il vit tout ce qu'il avait fait, et il le trouva très bien (S. Aug., De doctr. Christ., c. VII.) Comme nous avons expliqué ailleurs la suite de cet admirable travail, nous n'y reviendrons pas.

3° Effets généraux des dons du Saint-Esprit sur le genre humain. De Notre-Seigneur les dons du Saint-Esprit font un Dieu-homme. Du chrétien ils font un homme-Dieu. La première chose que les apôtres, organes du Saint-Esprit, prêchent aux représentants du genre humain, réunis sur la place du Cénacle, c'est la pénitence : Poenitentiam agite. Or, la pénitence est inséparable du don de crainte. Par ce don, l'humanité unie au Verbe incarné ne tarde pas à recevoir de sa plénitude, de la plénitude de sa Piété, de la plénitude de sa Science, de la plénitude de sa Force, de la plénitude de son Conseil, de la plénitude de son Intelligence, de la plénitude de sa Sagesse. Nous en recevons suivant la capacité de nos âmes et la mesure de notre fidélité. En lui est la source, en nous le ruisseau; en lui le foyer, en nous l'étincelle; en lui l'Esprit aux sept dons dans toute leur abondance; en nous une partie de cette abondance. Voilà pourquoi, remarque saint Chrysostome, le prophète ne dit pas: Je

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donne mon Esprit, mais: Je répandrai de mon Esprit sur toute chair (Exposit., in Ps. 44, n. 2, opp. t. V, p. I, p. 195.)

Et pourtant, voyez ce que produit dans le monde cette goutte de grâce, cette étincelle du Saint-Esprit! « La terre entière en reçoit l'influence, en éprouve la commotion. Tombée d'abord sur la Palestine, elle gagne l'Égypte, la Phénicie, la Syrie, la Cilicie, l'Euphrate, la Mésopotamie, la Cappadoce, la Galatie, la Scythie, la Thrace, la Grèce, la Gaule, l'Italie, toute la Libye, l'Europe, l'Asie et même l'Océan. Qu'est-il besoin d'un plus long discours ? Autant de terre que le soleil éclaire, autant cette grâce en parcourt, et cette grâce et cette étincelle du Saint-Esprit remplit le monde de science. Par elle s'accomplissent les miracles, par elle les péchés sont remis. Toutefois, cette grâce étendue à tant de régions n'est qu'une partie et une arrhe du Don lui-même. ll a déposé dans nos cœurs, dit l'Apôtre, une arrhe de l'Esprit, c'est-à-dire de son opération, car l'Esprit ne se divise pas.

Que dire de la source? A l'un est donné par l'Esprit le discours de la sagesse; à l'autre le discours de la science par le même Esprit; à l'autre la foi; à l'autre la grâce des guérisons; à l'autre le don des miracles par le même Esprit; à l'autre la prophétie; à l'autre le discernement des Esprits; à l'autre le don des langues. Tous ces dons, la grâce reçue au baptême les étend à toutes les nations. Voilà ce que fait une goutte du Saint-Esprit. Que ce soit une goutte seulement, le prophète le déclare en disant : Je répandrai de mon Esprit. Voyez donc quelle est la puissante fécondité de la grâce du Saint-Esprit,

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qui, depuis si longtemps, suffit au monde entier, et qui, ne connaissant ni frontières ni diminution, comble le genre humain d'ineffables richesses, sans s'appauvrir elle-même » (ubi supra).

Avant l'illustre patriarche de Constantinople, le grand Tertullien avait célébré la rapide déification du genre humain par l'Esprit aux sept dons. Pour lui, ce miracle était la preuve irréfutable de la divinité du Verbe fait chair, de qui le monde avait reçu l'Esprit régénérateur. « Les apôtres, dit-il dans son magnifique langage, furent les porte-voix du Saint-Esprit, et leurs paroles ont retenti à tous les échos de l'univers. A qui toutes les nations du globe ont-elles jamais cru? Au Christ, et au Christ seul. C'est devant lui que toutes les portes des villes se sont ouvertes, devant lui que toutes les serrures se sont brisées et que les valves d'airain ont roulé sur leurs gonds, pour lui donner passage. Sans doute ces miracles appartiennent à l'ordre moral, et il faut les entendre en ce sens que les coeurs des habitants de la terre, assiégés, fermés, possédés par le démon, ont été délivrés et ouverts par la foi du Christ. Mais ces miracles n'en sont pas moins réels, puisque dans tous les lieux habite aujourd'hui le peuple chrétien. Or, qui peut étendre son règne à l'univers entier, si ce n'est le Christ, Fils de Dieu, annoncé comme devant régner éternellement sur toutes les nations?

« Salomon a régné, mais dans les frontières de la

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 381

Judée, depuis Dan jusqu'à Bersabée. Darius a régné sur les Babyloniens et les Perses, mais non au delà. Pharaon a régné sur les Égyptiens, mais seulement sur eux. Nabuchodonosor a régné depuis l'Inde jusqu'à l'Éthiopie ; plus loin, son empire était inconnu. Alexandre le Macédonien a régné, mais sur une partie de l'Asie seulement. Que dirai-je des Romains? Ils entourent leur empire de stations militaires, et à ces barrières vivantes finit leur puissance. Quant au Christ, son royaume et son nom s'étendent partout. Partout il est cru, partout adoré, partout il commande, se donnant à tous sans acception de personne, pour tous égal; pour tous roi, pour tous juge, pour tous Dieu et Seigneur. Affirme tout cela sans hésiter, puisque tu le vois de tes yeux. » (Lib. Adv. Judaeos, c. VII.)

Frappé du même spectacle, saint Grégoire s'écrie: « L'Esprit invisible s'est rendu visible dans ses serviteurs. Leurs miracles prouvent sa présence. Personne ne peut fixer le disque éblouissant du soleil à son lever ; mais nous pouvons voir le sommet des montagnes qu'il dore de ses feux et nous savons qu'il est sur l'horizon. Puisque nous ne pouvons contempler en lui-même le Soleil de justice, voyons les montagnes qu'il fait resplendir de sa lumière, les saints apôtres dont les vertus et les miracles annoncent à la terre entière le lever du divin Soleil. S'il est invisible en lui-même, nous voyons les montagnes qu'il éclaire. La vertu de la Divinité en elle-même, c'est le soleil dans le ciel ; la vertu de la

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Divinité dans les hommes, c'est le soleil sur la terre. Contemplons donc le soleil sur la terre, puisque nous ne pouvons le contempler dans le ciel. » (Homil. xxx in Evang.)

Le genre humain, tiré de la barbarie païenne, et établi dans la pleine lumière de l'Évangile : tels sont les effets généraux des dons du Saint-Esprit. Disons-le en passant, devant ce fait toujours ancien et toujours nouveau, que sont les objections de l'incrédule contre le christianisme? Ce que sont les raisonnements de l'aveugle-né contre l'existence du soleil, ce que sont les paroles de l'insensé contre la certitude des axiomes de géométrie. Comment ce grand fait s'est-il accompli dans l'humanité ? Comme il s'accomplit dans chaque homme. Il a commencé par le don de crainte, qui lui-même a appelé tous les autres.

Que prêche Jean-Baptiste, le précurseur de la lumière? La crainte. « Faites de dignes fruits de pénitence. Déjà la cognée est mise à la racine de l'arbre tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » (Luc, III, 8.) Et Pierre, le premier interprète du Rédempteur devant les Juifs : « Faites pénitence et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. » (Act., II, 38.) Et Paul, son apôtre devant les gentils : « Dieu annonce maintenant aux hommes que tous, en tous lieux, fassent pénitence. » (Act., XVII, 30.) Ainsi, partout le don de crainte en première ligne. Le

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 383

commencement de la sagesse, c'est la crainte : telle est la loi immuable de la rédemption.

Par la raison contraire, la perte de la crainte est le commencement de la ruine. Comment le monde chrétien secoue-t-il le joug du christianisme? Comment arrive-t-il même à ce degré d'aberration, de nier l'évidence des faits évangéliques? En perdant les dons du Saint-Esprit. Dans quel ordre les perd-il? Dans le même ordre où il les reçoit. Le premier perdu, comme le premier reçu, c'est la crainte.

Que penser d'une époque qui n'a plus la crainte de Dieu? Les dons du Saint-Esprit étant inséparables; une époque qui perd la crainte de Dieu est une époque qui perd la sagesse, qui perd l'intelligence, qui perd le conseil, qui perd la force de la vertu. C'est une époque qui se trouve livrée aux sept esprits contraires, à l'esprit d'orgueil, à l'esprit d'avarice, à l'esprit de luxure, à l'esprit d'iniquité sous tous les noms et sous toutes les formes. Où va-t-elle? Comment s'étonner de ce que nous voyons ? Comment ne pas pressentir ce que nous verrons? Si la crainte est le commencement de la sagesse, l'absence de crainte est le commencement de la folie. Ici, la folie est le prélude du crime sans remords chez les individus, et de catastrophes sans nom pour les peuples. S'il ne veut pas périr, que le monde revienne donc à la crainte : c'est la première loi de sa conservation, la première, condition de son bonheur (Timeat Dominum omnis terra... Beatus vir qui timet Dominum. Ps. 32 et 111.)

CHAPITRE XXVII. LE DON DE CRAINTE. Les sept dons du Saint-Esprit opposés aux sept péchés capitaux. - Lumineux aperçu. - Ce qu'est le don de crainte. - Ses effets ; respect de Dieu, horreur du péché. - Sa nécessité : il nous donne la liberté on nous délivrant de la crainte servile. - De la crainte mondaine. - De la crainte charnelle. - Il nous arme contre l'esprit d'orgueil.- Ce qu'est l'orgueil et ce qu'il produit.

Lorsqu'il fait connaître à la terre les dons du Saint-Esprit, Isaïe ne les appelle pas Dons, mais Esprits. Saint Thomas nous a montré la parfaite justesse de ce langage. Il prouve que les dons du Saint-Esprit sont comme le souffle permanent de l'Esprit septiforme, qui met en mouvement toutes les vertus et toutes les puissances de l'âme. Un des derniers représentants de la grande théologie du moyen âge, saint Antonin, conserve la même dénomination. « Les sept dons du Saint-Esprit, dit cet illustre docteur, sont les sept Esprits envoyés par toute la terre contre les sept Esprits mauvais dont parle l'Évangile. L'Esprit de crainte chasse l'esprit d'orgueil. L'Esprit de piété chasse l'esprit d'envie. L'Esprit de science chasse l'esprit de colère. L'Esprit de conseil chasse l'esprit d'avarice. L'Esprit de force chasse l'esprit de paresse. L'Esprit

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d'intelligence chasse l'esprit de gourmandise. L'Esprit de sagesse chasse l'esprit de luxure. » (Summ. Theolog., IV p., tit. X, c. I, § 4.)

Ce lumineux aperçu nous découvre et la nature intime des sept dons du Saint-Esprit, et le rôle nécessaire qu'ils remplissent, et la place immense qu'ils occupent dans l'œuvre de la rédemption humaine. D'un seul mot, le saint archevêque révèle et justifie tout le plan de notre ouvrage. En effet, deux esprits opposés se disputent l'empire du monde. Quoi qu'il fasse, l'homme vit nécessairement sous l'empire du bon ou du mauvais esprit. Jésus-Christ, ou Bélial : il n'y a pas de milieu. Telles sont les vérités, fondements de toute philosophie, lumière de toute histoire, que nous ne cessons de démontrer. Or, suivant la révélation du Verbe lui-même, le mauvais Esprit, Satan, marche accompagné de sept autres esprits plus méchants que lui. Ces esprits nous sont connus et par leurs noms et par leurs oeuvres.

Par leurs noms, la langue catholique les appelle

  • l'esprit d'orgueil,
  • l'esprit d'avarice,
  • l'esprit de luxure,
  • l'esprit de gourmandise,
  • l'esprit d'envie,
  • l'esprit de colère,
  • l'esprit de paresse.

Par leurs œuvres, ils sont les inspirateurs et les fauteurs de tous les péchés, de tous les désordres privés et publics, de toutes les hontes, de toutes les bassesses, par conséquent la cause incessante de

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tous les maux du monde. Qui de nous n'a pas été en butte à leurs attaques? Qui, plus d'une fois, n'a pas senti leur maligne influence? Cruels, rusés, infatigables, nuit et jour ils nous assiègent et nous harcèlent. Abandonné à lui-même, il est évident que l'homme est trop faible pour soutenir la lutte ; témoin l'histoire des particuliers et des peuples qui se soustraient à l'influence du Saint-Esprit.

Aussi, un des dogmes les plus consolants de la religion est celui qui nous montre l'Esprit du bien, venant au secours de l'homme avec sept esprits, ou sept puissances opposées aux sept forces de l'Esprit du mal. Ces sept esprits auxiliaires nous sont également connus par leurs noms et par leurs œuvres.

Par leurs noms, ils s'appellent :

  • l'esprit de crainte de Dieu,
  • l'esprit de conseil,
  • l'esprit de sagesse,
  • l'esprit d'intelligence,
  • l'esprit de piété,
  • l'esprit de science
  • et l'esprit de force.

Par leurs oeuvres, ils sont les inspirateurs de toutes les vertus publiques et privées, les promoteurs de tous les dévouements, de tout ce qui honore et embellit l'humanité, par conséquent la cause incessante de tous les biens du monde (S. Basil., De Spir. sanct., p. 66.) Pour tout redire en deux mots, le genre humain est un grand Lazare, frappé de sept blessures mortelles; un soldat débile, nuit et jour aux prises avec sept ennemis formidables. L'Esprit aux sept dons devient l'infaillible médecin du Lazare, en lui apportant les sept remèdes exigés par ses plaies; l'auxiliaire victorieux du soldat, en mettant à sa disposition sept forces divines opposées aux sept forces infernales.

TRAITÉ DU SAI\T-ESPRIT. 387

En dessinant avec cette netteté la condition de l'homme ici-bas, la théologie catholique, qui est aussi la vraie philosophie, peut-elle donner une intelligence plus claire des sept dons du Saint-Esprit, en faire mieux sentir l'absolue nécessité et inspirer aux nations, comme aux particuliers, une crainte plus sérieuse de les perdre?

Il reste à expliquer chacun de ces dons merveilleux en lui-même et dans son opposition spéciale à l'un des péchés capitaux. Le premier qui se présente, c'est la crainte. Afin d'en donner une connaissance pratique, nous allons répondre à trois questions. Qu'est-ce que le don de crainte? quels en sont les effets? quelle en est la nécessité?

1° Qu'est-ce que le don de crainte? La crainte est un don du Saint-Esprit qui nous fait craindre Dieu, comme un Père, et fuir le péché parce qu'il lui déplaît (Vignier, Instit., etc., c. XIII, 416.) Cette crainte précieuse n'est ni la crainte servile, ni la crainte mondaine, ni la crainte charnelle. Quoique Dieu en soit l'objet, elle n'est pas contraire à l'espérance. L'espérance a un double objet, le bonheur futur et les moyens d'y parvenir. Double aussi est l'objet de la crainte : le mal que l'homme redoute, et ce qui peut l'occasionner. Dans le premier cas, Dieu, étant la bonté infinie, ne peut être l'objet de la crainte; dans le second, il peut l'être. En effet, il peut, à cause de nos fautes, nous punir et nous séparer de lui pendant l'éternité. En ce sens,

388 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Dieu peut et doit être craint. Tel est le don de crainte en lui-même. Le voici dans ses rapports avec l'âme.

Dans les sept jours de la création, les docteurs de l'Église ont vu la figure des sept dons du Saint-Esprit. Comme chaque jour de la semaine primitive, le Verbe faisait sortir des éléments, préparés par le Saint-Esprit, une nouvelle créature; ainsi, dans la semaine qu'on appelle la vie, chaque don du Saint-Esprit embellit le monde moral, l'homme, d'une nouvelle merveille: A l'arrivée de chaque don du Saint-Esprit dans une âme, on peut en toute vérité appliquer la parole du prophète: Vous enverrez votre esprit, et tout sera créé, et vous renouvellerez la face de la terre. Ainsi, pour l'homme comme pour le monde, la venue du souffle divin est une heure solennelle de création et de régénération. Justifions cette belle harmonie et commençons par le don de crainte.

L'homme déchu est tellement enfoncé dans les sens, qu'il passe à côté des plus hautes vérités de l'ordre moral sans les voir, ou, s'il les entrevoit, il en est à peine touché. Mais lorsque l'esprit de crainte de Dieu descend en lui, il se passe dans son âme quelque chose qui ressemble à un coup de tonnerre dans une nuit obscure. Ce coup, qui fait tout trembler, est précédé d'un éclair qui déchire les noirs nuages et éclaire l'horizon. Ainsi en est-il dans le cœur de l'homme, lorsque l'Esprit de crainte de Dieu y fait son entrée. Lumière soudaine, il dissipe les ténèbres et montre dans leur clarté la grandeur de Dieu et la laideur du péché. Force, il produit dans l'âme une commotion qui l'ébranle profondément. « Il regarde la terre, dit le prophète, et il la fait trembler. » (Ps. 103.) Cette

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 389

terre est le cœur de l'homme. De cette terre, soudainement illuminée et vivement ébranlée, on voit sortir, comme deux plantes immortelles un profond respect pour Dieu, une horreur extrême du péché. Nous allons les connaître en étudiant la seconde question.

2° Quels sont les effets du don de crainte de Dieu? Comme il vient d'être indiqué, le don de crainte produit deux effets : le respect pour Dieu et l'horreur du péché (Vig., ubu suprà.)

Respect pour Dieu: non pas respect ordinaire, respect de raison plutôt que de cœur, mais respect profond, universel, pratique. Aux yeux de l'âme, remplie de l'esprit de crainte, Dieu seul est grand. Devant sa majesté disparaît toute majesté; devant son autorité, toute autorité ; devant ses droits, tout droit; devant son service, tout service; devant sa parole, toute parole; devant ses promesses, toute promesse ; devant ses menaces, toute menace; devant ses jugements, tout jugement.

Cette majesté infinie, elle ne la contemple pas seulement en elle-même, elle la voit réfléchie dans toutes les puissances établies de Dieu : puissances religieuses et puissances sociales; puissance paternelle et puissance civile, puissances supérieures et puissances inférieures. Elle la voit dans tout ce qui porte le cachet divin: l'homme et le monde.

De là, respect de l'Église, respect des saintes Écritures, respect de la tradition, respect des cérémonies, des temples, des jours et des choses de Dieu. Respect de l'âme et de chacune de ses facultés ; respect du corps et de chacun de ses sens; respect du prochain, de sa foi,

390 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

de ses moeurs, de sa vie, de sa réputation, de ses biens, de sa faiblesse, de sa pauvreté, respect de sa vieillesse, de sa supériorité et de ses droits acquis.

Respect des créatures. Pour l' élève du chrême, alunus chrismatis, toutes sont sacrées ; toutes viennent de Dieu, appartiennent à Dieu, doivent retourner à Dieu. Il use de toutes et de chacune : en esprit de dépendance, car aucune n'est sa propriété ; en esprit de crainte, car il faudra rendre compte de tout; en esprit de reconnaissance, car tout est bienfait, même l'air que nous respirons. Comme on voit, le don de crainte de Dieu est le fondateur de ce qu'il y a de plus nécessaire au monde, et surtout an monde actuel : la religion du respect.

Horreur du péché. Grâce au don de crainte, l'âme se trouve subitement dans un autre état : elle ne se connaît plus. Les grands dogmes de la majesté de Dieu et de l'énormité du péché, de la mort, du jugement, du purgatoire et de l'enfer, naguère pour elle dans l'obscurité ou dans mi demi-jour, brillent d'un éclat si vif, qu'elle s'écrie avec sainte Catherine de Sienne :« Si je voyais d'un côté une mer de feu, et de l'autre le plus petit péché, je me jetterais plutôt mille fois dans le feu, que de commettre ce péché. »

Étonné de n'avoir pas toujours vu ce qu'il voit, affligé de n'avoir pas toujours senti ce qu'il sent, le chrétien, enrichi du don de crainte de Dieu, s'écrie, dans toute la sincérité de son étonnement et dans toute la vivacité de son regret : Qui ne vous craindra, Seigneur, et qui osera vous offenser; vous, seul grand, seul saint, seul bon, seul puissant; vous, maître souverain de la vie et de la mort, juge suprême des rois et des peuples ; vous, qui révisez tous les jugements et jugez les justices mêmes ;

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 391

vous, entre les mains de qui il est horrible de tomber ; Dieu vivant, qui, après avoir fait mourir le corps, pouvez précipiter l'âme dans l'enfer; vous qui, ne pouvant souffrir la vue même de l'iniquité, la poursuivez, depuis six mille ans, de châtiments épouvantables, dans les anges et dans les hommes, et qui la punirez de supplices effrayants, pendant toute l'éternité ?

Tels, et plus énergiques, sont les sentiments de l'âme pénétrée de l'Esprit de crainte de Dieu. Si rien n'est plus noble, rien n est plus indispensable.

3° Quelle est la nécessité du don de crainte ? C'est demander s'il est nécessaire à l'homme de devenir sage et d'opérer le salut de son âme. Or, la crainte est la première condition de la sagesse et du salut (Philip., II, 12.) C'est demander s'il est nécessaire à l'homme de ne rien perdre de ce qui, le faisant homme, l'empêche de se confondre avec l'animal. Or, la crainte de Dieu fait l'homme et tout l'homme (Deum time et mandata ejus observa; hoc est enim omnis homo. Eccl., XII, 13.) C'est demander, enfin, s'il est nécessaire à l'homme de conserver sa liberté et sa dignité d'homme et de chrétien. En effet, il faut bien qu'on le sache, l'Esprit de crainte de Dieu est le seul principe de la liberté, le seul gardien de la dignité humaine. La raison en est que seul il nous délivre de toute autre crainte. Quel qu'il soit, l'homme est exposé à trois sortes de craintes: la crainte servile; la crainte mondaine; la crainte charnelle. Une seule suffit pour faire de l'homme, empereur ou roi, un esclave et un esclave dégradé.

La crainte servile est celle qui fait respecter Dieu par

392 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

peur et fuir le péché à cause des châtiments (Viguier c. XIII, p. 414.). L'amour de soi en est le principe : de sa nature cet amour n'est pas mauvais, car il n'est pas contraire à la charité. Il n'est pas contraire à la charité, puisqu'en vertu même de la charité, l'homme doit s'aimer, après Dieu, plus que les autres ; par conséquent craindre et s'épargner le mal de l'âme et du corps. Née de cet amour personnel, la crainte servile n'est donc pas mauvaise par elle-même. Aussi, en pénétrer les pécheurs est une des principales fonctions des prophètes.

« Encore quarante jours, crie Jonas aux Ninivites, et Ninive sera détruite. » (Jon., III, 4.) Et Dieu approuva leur pénitence, bien que née de la crainte servile. « Race de vipères, dit saint Jean-Baptiste aux Juifs endurcis, qui vous a appris à fuir la colère future ? Déjà la cognée est à la racine de l'arbre. Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » (Mat., III, 10.; Luc., III, 7-9.) Notre Seigneur lui- même, combien de fois n'a-t-il pas attaqué cette fibre de la crainte servile, pour amener les pécheurs à la pénitence ! Tantôt c'est l'enfer avec ses brasiers éternels et ses ténèbres extérieures, qu'il leur rappelle; tantôt, c'est la parabole du figuier stérile et du mauvais riche, qu'il met sous leurs yeux ; tantôt il frappe leurs oreilles de ces foudroyantes paroles: « Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous sans exception. » (Luc., XIII, 3.)

La crainte servile n'est donc pas mauvaise de sa nature. Elle devient telle, lorsque l'homme, mettant sa fin en lui-même, ne respecte Dieu et n'évite le péché qu'à


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raison de son intérêt personnel. Essentiellement contraire à la charité, une pareille disposition constitue la servilité de la crainte et fait l'esclave. Elle dit équivalemment: Si Dieu n'avait pas de foudres et si l'enfer n'existait pas, je pécherais.

C'est le raisonnement de l'esclave qui craint le fouet, mais qui n'aime pas son maître ; du Juif idolâtre au pied du Sinaï; des païens de la Samarie, appelés les prosélytes des lions ; d'Antiochos le scélérat, en face des terreurs de la mort; de tant de chrétiens qui foulent aux pieds les lois de Dieu et de l'Église, parce qu'ils ne voient aucune sanction pénale à leurs prévarications ; ou qui s'en abstiennent, lorsqu'ils croient l'entrevoir, et uniquement parce qu'ils croient l'entrevoir. Inutile d'insister sur ce qu'il y a de honteux et de coupable dans la crainte servile (Viguier, ubi suprà.)

La crainte mondaine est celle qui fait appréhender la perte des biens du monde, des richesses, des dignités, des honneurs et autres semblables (St Anton., p. IV, tit. XIV, c. II, p. 228.) Innocente de sa nature, elle cesse de l'être lorsqu'elle porte à pécher, pour éviter de perdre ces avantages temporels. L'histoire est pleine des cruautés, de lâchetés, des bassesses, des trahisons, des empoisonnements, des assassinats, des ventes de conscience, des crimes de tout genre que la crainte mondaine a fait commettre.

Pharaonvoit les enfants d'Israël se multiplier ; il craint

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pour son royaume, et il ordonne de faire périr tous les fils nouveau-nés des Hébreux. Jéroboam, roi d'Israël, craint que les dix tribus, allant adorer le vrai Dieu à Jérusalem, n'échappent à sa domination. Il les entraîne dans l'idolâtrie, et sous peine de mort, les enfants d'Abraham se prosterneront devant les veaux d'or, depuis Dan jusqu'à Bersabée. Hérode apprend des mages la naissance du roi des Juifs. La crainte de perdre sa couronne lui fait égorger tous les petits enfants de Bethléem et des environs. Au temps de la Passion, les grands prêtres ont peur des Romains, et pour ne pas perdre leurs dignités, leur fortune, leur puissance, ils décrètent la mort du Fils de Dieu. Pilate reconnaît et proclame l'innocence de Notre Seigneur, il résiste même à la fureur des Juifs. Mais Pilate a peur de perdre l'amitié de César et, en la perdant, de perdre sa place : Pilate trahit sa conscience et livre le sang du Juste.

Pas un royaume de l'antiquité et des temps modernes qui ne présente quelques-unes et même un grand nombre de ces iniquités publiques, de ces illustres ignominies, filles de la crainte mondaine. Si on descend à un ordre moins élevé, comment dire les honteuses flatteries, les abdications de conscience et de caractère, les coupables intrigues, les injustices, les crucifiements de la vérité, les dévouements hypocrites des Pilates au petit pied, des Giézi cupides et couverts de lèpre, toujours si nombreux aux époques comme la nôtre, où tout se vend parce que tout s'achète (S. Ambr., apud S. Anton., tit. XIV, c. II, p. 130.)

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 395

Descendons encore et demandons à ces multitudes de jeunes gens, d'hommes et même de femmes, pourquoi ils tournent le dos à la religion et abandonnent jusqu'à leurs devoirs les plus sacrés: la fréquentation des sacrements, la sanctification du dimanche? pourquoi ils sourient à des paroles, se conforment à des modes et se soumettent à des usages que leur conscience désavoue? Pas un de ces transfuges qui ne soit forcé de s'avouer l'esclave du respect humain, c'est-à-dire de la crainte mondaine.

La crainte charnelle est la crainte des incommodités corporelles, des maladies et de la mort. Renfermée dans de justes limites, cette crainte n'a rien de répréhensible ; elle devient coupable lorsque, pour éviter les maux du corps, elle porte à sacrifier, en péchant, les biens de l'âme (S. Anton., ubi suprà, c. III, p. 131.) Rien de plus coupable, rien de plus dégradant, rien de plus commun que la crainte charnelle, prise dans le mauvais sens.

Rien de plus coupable. Le Sauveur est garrotté, emmené dans la maison de Caïphe et livré sans protection aux indignes traitements de la soldatesque. Tu es disciple de cet homme, disent à Pierre les valets du grand prêtre. A ces mots, la crainte charnelle s'empare de Pierre. Il craint pour lui-même le sort de son maître; et Pierre devient renégat, renégat public et blasphémateur. Combien de Pierre dans la suite des siècles !

Rien de plus dégradant. C'est dans la bouche de

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l'esclave de la crainte charnelle que trouvent leur vraie place les paroles du prophète : « La frayeur de la mort est tombée sur moi; la terreur et le tremblement sont venus sur moi et j'ai été couvert de ténèbres. » (Ps. 34.)

La vue des supplices, et même des instruments de supplice, la crainte de la douleur, l'appréhension de la mort, font perdre la tête. Dans cet état, dénégations, protestations, serments, promesses, rien de si indigne que ne soit prêt à faire et que ne fasse l'esclave de la crainte charnelle. Pour sauver le moins, il sacrifie le plus ; pour éviter des peines passagères, il se dévoue à des peines éternelles; pour préserver son corps, il livre son âme et perd son âme et son corps.

Rien de plus commun. Même dans les cas ordinaires d'infirmités et de maladies, de quoi n'est pas capable l'esclave de la crainte charnelle ? Ne l'a-t-on pas vu, et ne le voit-on pas encore tous les jours recourir à des moyens honteux et illicites, soit pour prévenir des incommodités corporelles, soit pour recouvrer une santé que le maître de la vie trouve bon de ne pas lui laisser tout entière ? Que sont, aujourd'hui plus que jamais, toutes ces adorations de la chair, toute cette mollesse de mœurs et d'éducation, toutes ces lâchetés devant le devoir, toutes ces horreurs de la peine et de la mortification, toutes ces recherches antichrétiennes du luxe et du bien-être, toutes ces consultations médicales de mediums plus que suspects ? Les fruits de la crainte charnelle.

Nous délivrer de ces honteuses tyrannies, est le premier bienfait du don de crainte de Dieu. La crainte

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servile, avec l'égoïsme qui l'inspire, avec les défiances et les sombres terreurs qui l'accompagnent, disparaît devant la crainte filiale. Trouvant en lui-même le témoignage qu'il est l'enfant de Dieu, celui qui la possède craint Dieu, comme un fils craint son père. Toujours sa crainte est accompagnée de confiance et d'amour. Pas même après ses fautes, ce double sentiment jamais ne l'abandonne : c'est le prodigue revenant à son père.

Quant à la crainte mondaine et à la crainte charnelle, elles n'ont plus sur lui d'empire illégitime. La crainte filiale les domine, les absorbe, ou même les bannit entièrement. Il ne craint, il ne regrette, il ne déplore sérieusement qu'une chose, le péché. Il le craint, il le regrette, il le déplore non par intérêt égoïste, mais par amour de Dieu et par respect pour sa majesté. La conclusion est que le seul beau caractère, le seul indépendant, c'est le chrétien qui craint Dieu et Dieu seul. En d'autres termes, la vraie formule de la liberté et de la dignité de l'homme est ce vers célèbre:

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte.

Au point de vue purement humain, veut-on comprendre la nécessité et les avantages du don de crainte de Dieu ? Il suffit de se rappeler que l'homme, tel qu'il soit, ne peut vivre sans crainte. S'il ne craint pas Dieu, il craint la créature. Or, tout homme qui craint la créature est un esclave. Sa liberté, sa dignité, sa conscience même appartient à celui dont il a peur : hors de Dieu, l'être redouté n'est et ne peut être qu'un tyran.

Voilà ce que devrait comprendre et ce que ne comprend pas l'homme, qui a la prétention de devenir libre en secouant le joug de Dieu. Voilà ce que devrait com-

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prendre et ce que ne comprend pas notre siècle. Pour conquérir la liberté, il est en fièvre de révolutions. Elles se multiplient, et chacune lui rive plus solidement an cou et aux pieds les chaînes de l'esclavage. Cet esclavage deviendra de plus en plus dur, de plus en plus honteux, de plus en plus général, à mesure que le monde comprendra moins que le don de crainte de Dieu est le principe de la liberté morale, et que la liberté morale est mère de toutes les autres. Où est le Saint-Esprit, là est la liberté, ubi Spiritus Dei, ibi libertas: elle n'est que là.

Un second bienfait de l'Esprit de crainte est de nous armer contre l'Esprit d'orgueil (S. Anton., t. X, c. I, p. 152.)

Si le Saint-Esprit a ses sept dons, sanctificateurs de l'homme et du monde, le démon a aussi ses sept dons, corrupteurs de l'homme et du monde. Chaque don de Satan est la négation ou la destruction d'un don parallèle du Saint-Esprit; et, dans leur ensemble, les dons sataniques forment la contre-partie adéquate de l'économie de notre déification. Il en résulte que la lutte à outrance de ces esprits contraires est toute la vie de l'humanité. Un instant assistons à cette lutte dont nous sommes l'enjeu.

Le premier don que le Saint-Esprit nous communique, c'est la crainte. Que fait le don de crainte ? Avant tout, il nous rend petits sous la puissante main de Dieu. Du sentiment intime de notre néant et de notre culpabilité, jaillit l'humilité. Mère et gardienne de toutes les vertus,

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mater custosque virtutum, l'humilité, à son tour, produit la défiance de nous-mêmes, de notre jugement, de notre volonté; la vigilance sur notre cœur et sur nos sens; la ferveur dans nos rapports avec Dieu ; la modestie, la douceur, l'indulgence à l'égard du prochain ; toutes ces dispositions, filles du don de crainte, sont le fondement de l'édifice que viennent achever, en se superposant, les autres dons du Saint-Esprit (S. Anselm., De Similitud., c. cxxx.)

Par là il demeure évident que l'esprit de crainte, nous constituant dans la vérité, devait nous être donné le premier, et que le premier enseignement sorti de la bouche du Rédempteur devait être l'enseignement de l'humilité (Matth., V, 3, et II, 29.)

En vertu de l'antagonisme perpétuel, que nous avons tant de fois signalé, il ne demeure pas moins évident que la première goutte de virus que Satan nous distillera dans l'âme sera le contraire de l'humilité. Quelle sera-t-elle? L'Orgueil. Pourquoi l'orgueil? Parce que le démon est le père du mensonge et que l'orgueil c'est le mensonge. Que fait l'orgueil? Il nous déplace du vrai et nous constitue dans le faux. Faux à l'égard de nous-mêmes: nous ne sommes rien, et l'orgueil nous persuade que nous sommes quelque chose; il nous enfle, il nous élève, il nous inspire d'injustes préférences, et il nous remplit de confiance et de complaisance en nous-mêmes.

Faux à l'égard de Dieu et du prochain. Plus l'orgueil nous grandit à nos propres yeux, plus il affaiblit en

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nous le sentiment de nos besoins et la connaissance de nos devoirs. Pour l'orgueilleux, plus de prière sérieuse, plus de vigilance sévère et soutenue, plus de conseils demandés ou acceptés; plein de lui-même, il sait tout, il a tout vu, il se suffit en tout : lui et toujours lui. Présomptueux, tranchant, hautain, rampant devant le fort, despote à l'égard du faible, égoïste, querelleur, cruel, disputeur, haïssable à tous et ingouvernable, il devient la preuve vivante de cette vérité : que l'orgueil est la déformation la plus radicale de la nature humaine (Eccli., XXX., 24; Prov., XII, 2; XII, 10; XII, 15; XIII, 1; XIII, 10; Eccli., X, 7.)

Cette déformation conduit à la dissolution de tous les liens sociaux et donne naissance à la religion du mépris, négation adéquate de la religion du respect. L'adepte de cette religion satanique méprise tout : Dieu, ses commandements, ses promesses et ses menaces; l'Église, sa parole, ses droits et ses ministres; les parents, leur autorité, leur tendresse, leurs cheveux blancs ; l'âme, le corps et toutes les créatures. De la vie il use et abuse, comme s'il en était propriétaire et propriétaire irresponsable. Telle fut la religion du monde païen; telle redevient inévitablement celle du monde actuel, à mesure qu'il perd le don de crainte de Dieu. Religion du respect, ou religion du mépris : l'alternative est impitoyable.

Cependant il est écrit que l'humiliation suit l'orgueil,

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comme l'ombre suit le corps (Ubi fuerit superbia, ibi erit et contumelia. Prov., XI, 2.) Humiliation intellectuelle, le jugement faux, l'erreur, l'illusion. Humiliation morale, l'impureté avec ses hontes. Humiliation publique, Aman expire sur une potence haute de cinquante coudées; Nabuchodonosor devient bête. Humiliation sociale, pendant toute son existence, l'antiquité païenne se débat entre le despotisme et l'anarchie. Humiliation religieuse, le monde et l'homme païens sont inévitablement prosternés aux pieds d'idoles immondes et cruelles. Délivrer l'humanité de pareilles ignominies, n'est-ce rien? Qui l'en délivre? Le don de crainte de Dieu. Faut-il demander s'il est nécessaire, surtout aujourd'hui?

CHAPITRE XXVIII. LE DON DE PIETE. Ce qu'est le don de piété. - En quoi il diffère de la vertu de religion et de la charité. - Deux objets du don de piété : Dieu et l'homme. - Ses effets à l'égard de Dieu. A l'égard du prochain : oeuvres de miséricorde corporelle et spirituelle. - Nécessité du don de piété opposé à l'esprit d'envie. - Ce qu'est l'envie.

Le don de crainte est le premier degré de l'échelle mystérieuse, que nous devons parcourir pour retourner à Dieu : le don de piété est le second. La crainte qui vient du Saint-Esprit, ayant quelque chose de filial, contient en germe le don de piété; il en sort comme sa première fleur et son premier fruit. Afin de donner la connaissance pratique de ce nouveau bienfait, nous répondrons à trois questions : Qu'est-ce que le don de piété? quels en sont les effets? quelle en est la nécessité ?

1° Qu'est-ce que le don de piété? La piété est un don du Saint-Esprit qui nous remplit d'affection filiale envers Dieu, et nous le fait honorer comme un père (Viguier, c. XII, p. 413.) Saint Paul chante ce don délicieux, lorsqu'il dit : « Vous n'avez point reçu l'esprit de servitude, pour vous conduire

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encore par la crainte; mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants, dans lequel nous crions : Mon père, mon père. » (Rom., VIII, 15, 16.) Ainsi, comme le don de crainte, le don de piété opère dans l'âme une nouvelle création. Si l'homme est peu sensible à la crainte de Dieu, il l'est moins encore à son amour. L'insensibilité du cœur est un des plus grands obstacles au salut; mais quand survient l'esprit de piété, le cour change à l'instant; cet esprit fait sur le cœur ce que le feu opère sur la cire. Le feu amollit la cire et la rend propre à recevoir toutes sortes d'empreintes, de plus il la liquéfie et la fait couler comme l'eau et l'huile.

Ce miracle du don de piété le distingue de la vertu de religion et constitue sa supériorité. Par la vertu de religion, l'homme honore Dieu, comme créateur et souverain maître de toutes choses; par le don de piété il l'honore, comme père. En Dieu, la vertu de religion voit la majesté ; outre la majesté, le don de piété y voit la paternité. La vertu de religion fait l'adorateur qui respecte; le don de piété fait le fils qui respecte et qui aime, et qui respecte parce qu'il aime (Vig., ubi suprà.).

Ainsi, entre nous et Dieu, le don de piété crée un nouvel ordre de rapports d'une douceur et d'une noblesse infinies. De créatures, il nous élève à la dignité d'enfants; et dans notre cœur il verse les sentiments de cette glorieuse filiation, comme il nous en donne tous

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les droits. A peine soupçonnée du Juif, et complètement inconnue du gentil, cette faveur ravit d'admiration l'apôtre saint Jean. « Voyez, nous dit-il, quelle charité nous a faite le Père, de vouloir que nous ne soyons pas seulement appelés, mais que nous soyons réellement les enfants de Dieu. » (I Joan., III, 1.)

Le don de piété diffère aussi de la charité sous deux rapports : l'esprit de piété est l'excitateur de la charité, comme le vent est l'impulseur du navire. La charité nous fait aimer Dieu, parce qu'il est infiniment parfait et infiniment bienfaisant; le don de piété nous le fait aimer, parce qu'il est père, plus père que tous les pères, père des chrétiens et de tous les hommes que nous aimons comme des frères (S. Anton., XV, c. I, p. 288.)

2° Quels sont les effets particuliers du don de piété? On compte deux effets principaux ou actes particuliers du don de piété, suivant les objets à l'égard desquels il s'exerce. Ces objets sont: Dieu, et tout ce qui lui appartient, ses temples, ses ministres, sa parole; le prochain, son corps et son âme (Id., ibid.) Dieu étant le principal objet du don de piété, il en résulte que l'acte principal de ce don est le culte filial, intérieur et extérieur, que nous rendons à Dieu.

Culte intérieur. Il se compose de tous les sentiments de foi, d'espérance, de charité, imprimés dans un cœur amolli par le feu de la piété filiale. Tous revêtent un caractère particulier qu'il est difficile d'exprimer. En effet, comment dire les élans d'amour, les résolutions héroïques, les larmes délicieuses, les saintes voluptés,

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les douces familiarités, la confiance et les confidences enfantines, les plaintes mêmes et les tendres reproches de l'âme, qui se sent la fille et l'épouse de son Dieu ? Prêtons l'oreille à quelques-uns de ses accents. Dans ses tendresses, elle lui dit : Vous êtes mon bien-aimé, vous êtes à moi, je suis à vous; je vous tiens et je ne vous laisserai point aller (Cantic., III, 4.). Dans ses générosités : Mon cœur est prêt, Seigneur, mon cœur est prêt; vous êtes mon partage; hors de vous, il n'y a rien pour moi au ciel ni sur la terre (Ps. 56, 72.) Dans ses aridités : Jusqu'à quand m'oublierez-vous? vous voyez bien que je suis devant vous comme une bête de somme, comme une outre gelée (Ps. 142, 12, 72, 118.)

Dans ses tristesses : Pourquoi détournez-vous de moi votre visage? pourquoi vous endormez-vous? est-ce que vous n'entendez pas que ma voix est devenue rauque à force de vous appeler? Mais vous avez beau faire, je ne m'en irai pas que vous ne m'ayez bénie (Ps. 43, 68; Gen., XXXII, 26.) Dans ses découragements Quand vous me tueriez, j'espérerais encore en vous (Job, XIII, 15.) Dans ses souffrances : Il faut avouer que vous êtes merveilleusement habile à me tourmenter ; est-ce donc que je suis dure comme les pierres, ou ma chair est-elle d'airain? Vous sied-il de décharger votre puissance sur une feuille que le vent emporte ? (Job, X, 16; VI, 12; XIII, 25.) Dans ses revers de fortune ou dans la perte de ses proches : Je me suis tue et n'ai pas ouvert la bouche, parce que c'est vous qui Lavez fait : oui, père, qu il soit ainsi, puisque

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vous l'avez trouvé bon (Ps., 38; Matth., II, 26.) Dans ses fautes mêmes : Vous êtes mon père et mon rédempteur, vous me pardonnerez mon péché, parce qu'il est bien grand (Is., LXIII, 16; Ps. 24.)

Voilà quelques-uns des sentiments que le don de piété forme dans l'âme, et qui donnent la mesure de la supériorité morale dont le monde chrétien est redevable au Saint-Esprit. » (Enfant de Dieu, le chrétien, grâce au don de piété, apporte dans ses rapports avec son Père céleste une familiarité qui nous étonne, mais qui n'en est pas moins de bon aloi. Elle éclate surtout dans ses prières. En voici une que nous ne résistons pas au plaisir de traduire. L'original italien, écrit grossièrement, avec des fautes d'orthographe et de prononciation, est tombé du livre d'heures d'un paysan de Colle Berardi, près de Casamari, venu à Rome pour les fêtes de Pâques en 1858. Un Français a ramassé, sans trop de scrupule, ce papier. Les traces évidentes d'un long usage permettaient de croire que le contenu ne sortirait pas de la mémoire du propriétaire. « Père éternel! je vous présente deux lettres de change. - Une est l'amère passion de votre cher Fils unique, mort pour nous sur la croix. - L'autre est la douleur de sa très sainte Mère, qui, par amour pour moi et par ma faute, a dû souffrir de si acerbes passions. Donc, sur ces deux lettres de change, Père éternel, payez-vous de ce que je vous dois, et rendez-moi le reste, rifatemi il resto. »)

Culte extérieur. A ces sentiments de piété filiale correspond un ordre de faits, privés et publics, empreints du même caractère. Faits privés : entre le Père céleste et l'homme son fils, tout devient commun; mêmes joies, mêmes tristesses, mêmes intérêts, mêmes pensées, même but. Pénétré de tendresse, cet enfant aime par-dessus tout la gloire de son père. Afin de la procurer ou de la réparer, prières, mortifications, aumônes, bons exemples et bons conseils, travaux, dévouements rien ne lui coûte. A la vue des outrages faits à son père et des âmes que le paganisme moderne lui ravit, la vie - lui pèse. Pour en alléger le fardeau, il s'associe avec

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ardeur à toutes les œuvres réparatrices. La plus précieuse de toutes, la Propagation de la foi, n'a pas de plus zélé partisan. Pas une nouvelle conquête de l'Évangile, dont le récit ne le comble de joie ; pas une persécution qui ne l'émeuve jusqu'aux larmes.

S'il aime la gloire de son père, il aime aussi sa maison. Le son de la cloche qui l'y appelle fait vibrer toutes les fibres de son coeur et amène sur ses lèvres les paroles des vrais Israélites : Quel bonheur! voilà qu'on me dit : Nous irons dans la maison du Seigneur. Son maintien traduit le respect filial dont il est pénétré. La pompe des cérémonies, la magnificence des ornements sacrés, l'éclat des vases de l'autel, forment son plus doux spectacle. Loin de trouver, comme les Judas anciens et modernes, que les splendides étoffes, l'argent, le marbre, les pierres précieuses, offerts à Notre Seigneur dans ses temples, sont une perte, il voudrait avoir les richesses du monde entier pour en faire hommage à son père. Tels sont les dispositions et les faits qui, dans l'ordre privé, traduisent l'esprit de piété filiale.

Faits publics. La plus haute expression du don de piété filiale est le culte catholique; il nage comme dans un océan d'amour. Dans ses fêtes, dans ses sacrements, dans ses cérémonies, rien de sombre, de sec ou d'effrayant; tout, au contraire, respire la douceur et porte à la confiance. L'amour seul chante, et le catholicisme chante toujours. Il chante ses joies et ses tristesses; ses craintes et ses expiations même les plus dures; il chante même la mort et les mystères de la tombe.

Or, il chante toujours, parce qu'il aime toujours et que son amour est toujours plein d'immortalité. Que

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disent tous ses chants, ses hymnes, ses proses, ses préfaces? Une seule chose, l'amour. Que sont-ils, en effet, sinon la traduction, sous mille formes variées, de la divine prière de l'amour filial : Notre Père qui êtes aux cieux? Rien de semblable ne s'est vu et jamais ne se verra, ni chez les païens ni chez les hérétiques. La raison en est que l'esprit de piété ne se trouve que dans l'Église.

Aussi père que vous, mon Dieu, personne; aussi tendre, personne : Tam pater, nemo; tam pius, nemo (Tertull., de poenitent., c. VIII.) Voilà ce que le don de piété est venu mettre dans le cœur et sur les lèvres du genre humain; du genre humain qui, depuis quatre mille ans, disait : Je mourrai, j'ai vu Dieu (Judic., XIII, 22.) Et en face de cette révolution, profonde comme l'abîme, éclatante comme le soleil, inexplicable comme Dieu, il en est qui viennent demander la preuve de la vérité du christianisme et de la divinité du Saint-Esprit!

Cependant le feu n'amollit pas seulement la cire, il la liquéfie et la fait couler : même action de l'esprit de piété sur les âmes. L'amour filial qu'il nous inspire pour Dieu se répand d'abord sur ce qui appartient de plus près à Dieu : les anges, les saints, les prêtres (S. Anton., ubi suprà.) Pour ne parler que des ministres du Seigneur, le don de piété donne le sens pratique de cette parole : « Celui qui vous écoute m'écoute : et celui qui vous méprise me méprise. » (Luc., X, 16.) Et de cette autre : « Que celui qui est catéchisé, fasse part de tous ses biens à celui qui le catéchise. » (Galat., VI, 6.)

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Pour celui qui en est éclairé, le prêtre n'est plus, ce qu'il est malheureusement pour le monde actuel, ni un homme comme un autre, ni un étranger, ni un ennemi des lumières et de la liberté; c'est l'ambassadeur de Dieu, le bienfaiteur de l'humanité, le docteur le plus sûr, le meilleur des amis. De là, dans le cœur des vrais catholiques, une tendresse filiale pour les pères de leurs âmes; la docilité à leurs conseils, la sollicitude de leurs besoins, le bonheur de recevoir leur visite, de leur offrir l'hospitalité, de leur faire partager les joies de la famille, comme ils en partagent toutes les douleurs; les prières pour leur conservation; le zèle à prendre leur défense ou l'empressement à étendre sur leurs fautes le manteau de la charité. Embrassant toute la hiérarchie sacrée, depuis le souverain pontife jusqu'au plus humble clerc, l'esprit de piété filiale assure le bonheur de la société, car il sauvegarde la loi fondamentale de son existence : Père et mère honoreras, afin que tu vives longuement.

L'enfant qui aime son père n'aime pas seulement ses envoyés, il aime encore sa parole (S. Anton., ubi suprà.) Aux yeux du chrétien, animé de l'esprit de piété, la parole de Dieu, comprise ou non, est également chère et respectable. Il sait qu'elle vient de son Père et qu'elle est vérité, cela lui suffit. S'il la comprend, il l'accepte sans discuter. S'il ne la comprend pas, il en demande l'interprétation, non pas à sa raison particulière, mais à l'Église. L'impie qui blasphème l'Écriture sainte, l'hérétique qui la dénature, le mauvais chrétien qui dédaigne, qui critique ou qui tourne en dérision la parole divine, lui font horreur.

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Comme le fils bien né jamais ne lit sans attendrissement le testament de son père chéri; le vrai catholique ne lit jamais l'Ancien et surtout le Nouveau Testament, sans que cette lecture parle à son cœur. Comme saint Charles, c'est à genoux et tête nue qu'il lit le texte sacré. Comme saint Antoine, il s'étonne, non qu'un empereur écrive au dernier de ses sujets, mais que Dieu lui-même ait daigné écrire à l'homme. Souvent même, à l'exemple des premiers fidèles, il porte l'Évangile avec lui : et en voyage comme en repos, chaque jour il en nourrit son esprit et son cœur.

Un autre objet du don de piété, c'est le prochain (S. Ant., ubi suprà.) La vertu naturelle qu'on nomme la piété filiale nous porte à aimer non seulement notre père selon la chair, mais encore tout ce qui lui est uni par les liens du sang. L'esprit de piété produit l'accomplissement du même devoir, d'une manière bien plus parfaite et bien plus étendue. Plus parfaite, la grâce et non la nature en est le principe et le mobile; plus étendue, tous les hommes en sont l'objet. Du cœur où il réside, le don de piété s'épanouit en sept œuvres de miséricorde corporelle, et en sept œuvres de miséricorde spirituelle. C'est le chandelier d'or qui, se développant en sept branches, illuminait le temple de Jérusalem et l'embaumait des plus doux parfums. Filles du don de piété, ces œuvres embrassent tous les besoins de l'humanité. Qu'elles soient fidèlement accomplies, et les sociétés atteignent leur perfection : le ciel est sur la terre. Pour le prouver, il suffit de les nommer.

Les sept œuvres de miséricorde corporelle sont:

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Donner à manger à celui qui à faim, à boire à celui qui a soif. La nourriture, étant le premier besoin de l'homme, est aussi le premier objet et le premier acte du don de piété. Un frère peut-il voir son frère souffrir la faim ou la soif, sans lui donner à manger et à boire? Mais entre l'homme qui soulage son semblable et le chrétien qui exerce la charité, grande est la différence.

Le premier agit par le mobile tout humain de la fraternité naturelle; le second, par l'impulsion supérieure de la fraternité divine. Le premier peut donner, le second seul se donne. Le premier donne à ceux qu'il aime; le second donne même à ses ennemis. Le premier est inconstant; le second, persévérant, comme le principe qui le fait agir. Avoir donné le pain et l'eau, suffit au premier; le bonheur du second est d'ajouter, au strict nécessaire, certaines douceurs, compatibles avec ses ressources et en rapport avec les besoins du pauvre.

Héberger le pèlerin. L'homme peut n'avoir besoin ni de pain pour apaiser sa faim, ni d'eau pour étancher sa soif, mais il est voyageur et étranger. La nuit approche ; il n'a ni abri ni moyen d'en avoir. L'Esprit de piété veut qu'il en ait un, et il l'aura. Bien différente de l'hospitalité naturelle qui, avant d'ouvrir sa porte, regarde aux haillons et à la mine du pauvre, l'hospitalité chrétienne reçoit, les yeux fermés et les bras ouverts. Elle sait que dans le pauvre, quel qu'il puisse être, c'est le divin Mendiant qu'elle accueille, qu'elle abrite et qu'elle réchauffe : Christus est qui in universitate pauperum mendicat.

Vêtir celui qui est nu. L'Esprit de piété filiale a

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donné, il donne encore, chaque jour., sur tous les points de la terre où il se fait sentir, des langes au nouveau-né, au pauvre le vêtement pour se couvrir et la couche pour se reposer. A toutes les oreilles chrétiennes il fait retentir ces paroles d'un grand docteur de l'Église « A l'affamé appartient le pain que vous retenez chez vous; au nu, ce vêtement que vous laissez enfoui dans votre garde-robe; au déchaussé, ces chaussures qui sont mangées aux vers; à l'indigent, cet argent que vous avez enfoui. Aussi nombreux sont les pauvres que vous pouvez soulager et que vous ne soulagez pas aussi nombreuses sont les injustices que vous commettez. » (S. Basil., conc. IV de Eleemosyn.)

Visiter le malade. Le monde païen, qui comptait ses théâtres par centaines de mille, n'avait pas un hôpital. Mais l'Esprit de piété a soufflé, et le monde s'est couvert de palais pour recevoir les victimes des infirmités humaines. De génération en génération, ces palais se sont peuplés d'anges visibles, dont le visage souriant a consolé le malade, dont l'industrieuse charité lui a procuré mille douceurs, et dont la main tour à tour douce et forte a pansé ses plaies ou retourné la paille de son lit. Chaque jour encore le même esprit conduit la dame de charité, l'associé de Saint-Vincent de Paul, dans le réduit de la souffrance; et, en abaissant ainsi le fort vers le faible, contribue plus efficacement que tous les discours à raffermir les liens sociaux.

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Consoler le prisonnier. Le pauvre ordinaire, le malade lui-même, peuvent en bien des circonstances exposer leurs besoins et attirer la compassion. Cette ressource manque au prisonnier. Une double barrière éloigne de lui la charité : les murs de sa prison et la répulsion qu'il inspire. Grâce au don de piété, les affreux cachots du paganisme, les bagnes pourrisseurs du mahométisme ont fait place à des prisons moins meurtrières. Le prisonnier n'est plus seul à dévorer ses larmes, seul il ne portera pas ses fers; et, s'il doit monter à l'échafaud, il aura, pour le soutenir, un bras fraternel et, pour le consoler, un ami dévoué, qui lui ouvrira le ciel en récompense de son sacrifice.

Racheter le captif. Rome païenne donnait au créancier le droit de mettre en pièces le débiteur insolvable. En soufflant sur le monde, l'Esprit de piété n'a pas seulement aboli ce droit barbare, il a inspiré des fondations consacrées au rachat du débiteur. Toute l'antiquité païenne faisait la guerre pour conquérir du butin et des esclaves : rarement on rachetait les soldats prisonniers. Être vendus comme des bêtes de somme, immolés sur la tombe des vainqueurs, ou réservés pour les jeux homicides de l'amphithéâtre, était le sort ordinaire qui les attendait. Grâce au don de piété, la guerre s'est humanisée; la vie des prisonniers est respectée, leur échange ou leur rachat est devenu une loi sacrée des nations chrétiennes. Quel que soit son nom, sa condition ou son pays, le captif chrétien est devenu pour le chrétien un frère et un ami. Les annales de Maroc, de Tanger, de Tunis, d'Alger et de cent autres villes rediront éternellement les miracles de

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rédemption, accomplis, pendant plusieurs siècles, en faveur des captifs chrétiens (De 1103 à 1787, les Trinitaires rachetèrent sur les côtes de Barbarie 900,000 esclaves. De leur côté, les Pères de la Merci en délivrèrent 500,000. En tenant compte des frais de voyage et de transport, des droits à payer, des avanies ou extorsions d'argent, la moyenne du prix d'un esclave allait à 6,000 livres, ce qui, pour 1,200,000, forme le total énorme de 7 milliards. Et on parle de la charité moderne et de la philanthropie! Voir Annales de la Propagation de la foi, n. 233, p. 271, an. 1867.)

Ensevelir les morts. Mettre au nombre des œuvres les plus excellentes tout ce qui répugne le plus à la nature, est le chef-d'œuvre de l'Esprit de piété. Or, le monde chrétien a vu ce que le monde païen n'aurait jamais soupçonné, des associations nombreuses, telles que les Cellites, consacrées à l'ensevelissement et à la sépulture des morts. Dans les soins religieux qui, aujourd'hui encore, doivent entourer la dépouille mortelle du pauvre, non moins que celle du riche : quelle leçon de respect pour l'homme! Quelle prédication incessante de ce dogme, consolation de la vie et base de la société, le dogme de la résurrection de la chair ! C'est ainsi que le cœur du chrétien, fondu par le Saint-Esprit, comme la cire par le feu, se répand sur tous les besoins corporels de l'homme, depuis le berceau jusqu'à la tombe. Avec non moins d'abondance, il se répand sur ses besoins spirituels : sept genres de dévouement ou sept œuvres de miséricorde les soulagent.

Instruire les ignorants. Le premier besoin de l'âme, c'est la vérité. La faire briller à ses yeux, est aussi le premier besoin qu'inspire l'Esprit de piété. La belle antiquité n'était qu'un troupeau de brutes. Composés d'esclaves, les trois quarts du genre humain,

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et au delà, vivaient sans Dieu, sans foi, sans espérance, sans consolation, sans autre loi que les caprices de leurs maîtres. Ces maîtres eux-mêmes, esclaves de l'Esprit de ténèbres, ou dédaignaient, ou ignoraient, ou combattaient, ou travestissaient la vérité. Inspiré par l'Esprit de piété, l'amour fraternel des âmes a changé la face du monde. Il l'a tiré de la barbarie et l'empêche d'y retomber. C'est lui qui d'un pôle à l'autre multiplie les organes de la vérité, et depuis l'entrée jusqu'à la sortie de la vie, allume les phares destinés à éclairer la route ténébreuse de l'humanité. C'est lui qui chaque jour transporte au delà des fiers, et fixe au milieu des tribus sauvages, le missionnaire catholique et la sœur de charité.

Reprendre ceux qui font mal. A peine l'homme s'est éveillé à la raison qu'il sent en lui la loi des membres; par mille sollicitations cette puissance funeste l'entraîne au mal. L'avertir, afin de prévenir la chute; le relever, lorsqu'il tombe : tel est, dans l'ordre spirituel, le second bienfait de l'Esprit de piété. Qui pourrait en mesurer l'étendue ? Préserver ou guérir l'homme d'une maladie mortelle, est un bienfait; donner la vue à un aveugle, est un bienfait; remettre dans son chemin le voyageur égaré qui marche au précipice, est un bienfait.

Mais préserver l'âme ou la guérir de la lèpre mortelle du péché; dessiller les yeux du pécheur qui ne voit pas son mal, qui ne veut pas le voir; lui faire accepter le conseil qu'il repousse, la correction qui l'irrite, le secours de la main qui l'arrête sur le bord de l'abîme n'est-ce pas un bienfait incomparablement plus grand? Pour le réaliser, quelles touchantes industries, quelles

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douces paroles, que de sacrifices coûteux à la nature et que de moyens ingénieux sait inspirer l'Esprit de piété! Mais aussi, jamais on ne connaîtra le nombre des âmes, âmes de jeunes gens et de vieillards, âmes de parents et d'enfants, qu'il a préservées ou retirées du mal, qu'il en préserve ou qu'il en retire encore chaque jour.

Donner conseil à ceux qui en ont besoin. Qui n'a pas besoin de ce nouveau bienfait de l'Esprit de piété? L'homme naît enveloppé de ténèbres. Il n'a, pour se conduire, que les lueurs incertaines de sa vacillante raison. Avec l'âge, il devient le jouet de son imagination et de ses sens. Dans ses rapports avec ses semblables, il est trop souvent exposé à être victime des artifices d'autrui ou de ses propres perplexités. Malheur à lui s'il demeure abandonné à lui-même. Malheur plus grand s'il ne veut pas de conseil. Se prendre soi-même pour maître, c'est se faire le disciple d'un sot. (Qui se sibi magistrum constituit, se stulto discipulum subdit. S.Bern.)

Or, c'est un fait d'expérience, que la sottise, fille de l'orgueil, conduit à la ruine. Ainsi, d'un conseil peut dépendre la fortune, l'honneur et même le salut, par conséquent nulle aumône plus utile qu'un conseil inspiré par l'Esprit de piété. Quand le tribunal de la pénitence n'aurait d'autre but que de la distribuer, il serait encore digne de toutes les bénédictions de la terre.

Consoler les affligés. La souffrance sous tous les noms et sous toutes les formes : telle est la vie de l'homme dans cette terre d'épreuve. Tandis que la


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foule se presse autour des heureux du siècle, trop souvent l'affligé est laissé seul avec ses chagrins. En inspirant à l'homme une véritable compassion pour celui qui souffre, l'Esprit de piété prévient cet acte de cruel égoïsme. Grâce à lui, quelle différence entre le malheur sous l'empire du paganisme, et le malheur sous le règne du christianisme! Là, une insensibilité stoïque, et presque barbare; ici, des coeurs émus et des yeux qui pleurent. Là, tout au plus quelques mots, froids comme l'inexorable destin; ici, des paroles pleines d'espérance, qui relèvent le courage abattu, rendent la croix légère et vont quelquefois jusqu'à la faire préférer aux plus douces jouissances. Du moins, que de larmes rendues moins amères, que de désespoirs prévenus, que de suicides empêchés?

5 Souffrir patiemment les injures et les défauts d'autrui. La consolation nous aide à nous supporter nous-mêmes, la patience nous fait supporter le prochain. Fais à ton frère, dit au chrétien l'Esprit de piété, ce que tu veux qu'il te fasse. Il a ses défauts, tu as les tiens. Si tu veux qu'il te supporte, supporte-le toi-même. En portant mutuellement votre fardeau, vous l'allégerez, surtout vous le rendrez méritoire. Il a parlé, et les caractères les plus opposés peuvent vivre ensemble : et des familles qui, autrement, seraient un enfer anticipé, deviennent le séjour de la concorde et le vestibule du ciel.

6° Pardonner de bon coeur les offenses. Entre supporter patiemment une injure et la pardonner de bon cœur, grande est la différence. La bouche peut se taire, et l'âme être profondément ulcérée. De là, les longues et noires rancunes qui font de la vie une honte

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et un supplice. Mais voici l'Esprit de piété qui dit à l'oreille du cœur blessé : Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. De ces mots tout puissants sont sortis des millions de miracles, plus grands que la résurrection d'un mort. Le bras se désarme; le ressentiment s'apaise; le pardon cesse d'être une lâcheté; et, au lieu de passer pour une gloire, la vengeance répugne comme un honteux forfait.

Prier pour tous et pour ceux qui nous persécutent. Être oublié pendant la vie et surtout après la mort, ou n'être l'objet que d'un souvenir stérile, est un des plus cruels crucifiements du cœur. L'Esprit de piété est venu nous l'épargner. Vous n'oublierez, nous dit-il, ni les morts ni les vivants, pas même ceux qui vous persécutent. Pour tous vous aurez des souvenirs utiles; vos prières leur obtiendront les biens que votre cœur désire, mais que votre impuissance ne vous permet pas de leur donner. Ce qu'ont obtenu de faveurs et soulagé d'infortunes sur la terre et au purgatoire ces simples paroles, nul ne le saura, si ce n'est au jour des grandes manifestations, où il nous sera donné de voir dans toute son étendue la fécondité inépuisable de l'Esprit de piété.

8° Quelle est la nécessité du don de piété? Nous en appelons maintenant à tout homme impartial, et nous lui demandons s'il est possible, même au point de vue purement humain, d'imaginer quelque chose de plus fécond et de plus nécessaire que le don de piété ? Si, par impossible, il hésitait à répondre, qu'il considère le don de piété sous un autre aspect. L'homme, nous ne cesserons de le répéter, est placé entre deux esprits

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opposés : quoi qu'il fasse, il obéit à l'un ou à l'autre. S'il n'est pas inspiré par l'Esprit de piété, il est poussé par l'Esprit contraire. Quel est-il? c'est l'Esprit d'Envie (S. Anton., VI p., tit. X, c. I.) S'attrister du bien des autres, se réjouir de leur mal: voilà l'envie en elle-même (S. Bonav. Diaeta salutis. C. IV.)

Se peut-il imaginer rien de plus pervers, de plus honteux et de plus antisocial ? Non, si ce n'est l'envie considérée dans ses effets. Quels sont-ils ? Tandis que le don de piété attendrit le cœur, l'ennoblit, le dilate et le répand en effusions d'amour sur Dieu et sur l'homme; l'envie endurcit le cœur, le dégrade, le resserre, le rend méchant et malheureux. Ver dans le bois, rouille dans le fer, teigne dans l'étoffe: voilà l'envie dans le cœur. Elle le ronge et le remplit de toute espèce de mal et le dépouille de toute espèce de bien. Les autres vices sont opposés à une vertu particulière ; l'envie est opposée à toutes. Comme ces oiseaux de nuit que la lumière offusque, l'envieux ne peut supporter l'éclat d'aucune vertu, d'aucune supériorité, d'aucun avantage, d'aucune affection qui ne s'adresse pas à lui.

De là vient que l'envie est appelée, non une mauvaise bête, mais une bête très mauvaise (S. Bonav., ubu suprà.) C'est l'envie qui a perdu les anges dans le ciel. C'est l'envie qui a perdu nos premiers parents au paradis terrestre. C'est l'envie qui a rendu Caïn fratricide. C'est l'envie qui a

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vendu Joseph. C'est l'envie qui a crucifié le Fils de Dieu. Si on voulait rapporter toutes les noirceurs, les empoisonnements, les calomnies, les haines, les injustices, les divisions, les actes de cruel égoïsme, c'est-à-dire les hontes, les malheurs enfantés par l'envie, il faudrait citer presque toutes les pages de l'histoire des peuples et des familles. Délivrer l'humanité d'un pareil fléau, est le bienfait réservé à l'Esprit de piété. N'est-ce rien? Comme tous les autres, le don de piété est donc un élément social, que nulle invention humaine ne saurait remplacer.

CHAPITRE XXIX LE DON DE SCIENCE. Ce qu'est le don de science. - Il agit sur l'entendement. - Différence entre le don de science, la foi et la science naturelle. - Paroles de Donoso Cortès.- Le don de science fait discerner avec certitude le vrai du faux et préserve des sophismes de l'erreur. - Il agit sur la volonté, et nous préserve des fascinations mondaines. - Il développe et ennoblit toutes les sciences. - Paroles de Donoso Cortés. - Le don de science plus nécessaire aujourd'hui que jamais. - Opposé à l'esprit de colère. - Preuves de cette opposition. - Le don de science principe de paix universelle.

Amollir la dureté du coeur et lui communiquer une sensibilité exquise pour tout ce qu'il doit aimer; nous rendre filialement soumis et dévoués à l'égard de Dieu.; fraternellement compatissants, doux, affables, indulgents à l'égard du prochain; tuer l'envie et la jalousie, éléments destructeurs du bonheur et de la concorde ; former entre le ciel et la terre, comme entre tous les hommes, le grand lien social de la charité : tels sont les effets généraux du don de piété. Non moins précieux et non moins nécessaire est le don de science. Pour le prouver, il suffit de le faire connaître. De là nos trois questions Qu'est-ce que le don de science? Quels en sont les effets? Quelle en est la nécessité?

1° Qu'est-ce que le don de science? La science est un don du Saint-Esprit qui perfectionne le jugement, et nous fait discerner avec certitude, dans les

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choses spirituelles, le vrai du faux, le bien du mal (Vig., c. XIII, p. 411.)

Nous disons qui perfectionne le jugement. Les dons de crainte et de piété agissent principalement sur la volonté. Aveugle de sa nature, la volonté réclame une direction, soit pour craindre, soit pour aimer. Elle ne peut la recevoir que de l'entendement. Mais notre entendement est enveloppé de ténèbres, sujet à mille illusions et sans cesse exposé à devenir victime de l'erreur. Évidemment son premier besoin est une sérieuse aptitude à discerner le vrai du faux, aptitude qui, en nous faisant apprécier les choses à leur juste valeur, fixe avec certitude la mesure de nos affections et de nos craintes. Qui satisfait à cette première nécessité? Le don de science.

Ce don n'est ni la science divine elle-même, ni la foi, ni la science naturelle. Il n'est pas la science divine, en ce sens qu'il apporte à l'âme la plénitude de toutes les connaissances. Mais, s'il n'est pas la science, il en est le moyen nécessaire. En effet, il communique à l'entendement une impulsion, une vigueur, une étendue, une aptitude qui le rend capable de connaître à la manière de Dieu lui-même, par une simple vue (S. Th., 2a 2ae, q. 9, art. 1, ad l.) De là, une grande facilité d'apprendre et de raisonner la vérité.

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De là, un discernement sûr pour distinguer le vrai du faux, le certain de l'incertain, le solide de l'imaginaire, le réel de ce qui n'est qu'apparent.

Il n'est pas la foi ; mais il la perfectionne, comme tous les dons du Saint-Esprit perfectionnent les vertus théologales. Par la foi, on connaît la vérité et on y adhère. Par le don de science, on connaît la vérité plus clairement, on la raisonne plus sûrement, on l'affirme plus consciencieusement, rationabile obsequium, on la défend plus victorieusement, on la prêche plus efficacement. Le don de science nous fait parvenir à cette perfection par l'étude des choses créées, dont il forme une vaste synthèse, et comme une échelle de lumière qui nous élève jusqu'à Dieu.

Pour le chrétien enrichi du don de science, l'univers est un livre écrit au dedans et au dehors. Au-dessous des corps et de leurs propriétés, au-dessous des proportions chimiques des éléments qui les composent, il voit ce qui se cache: Dieu, Dieu puissant, Dieu sage, Dieu bon, faisant tout avec nombre, poids et mesure, et dirigeant tout à une fin unique. Il entend ce qu'on n'entend pas le concert harmonieux des êtres chantant, chacun à sa manière, les louanges de leur auteur (ibid., art. 2, ad 3.)

Il n'est pas la science naturelle. Par le travail de sa raison, l'homme peut parvenir à juger avec certitude de certaines vérités, c'est-à-dire que la science humaine

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s'acquiert par raisonnement et par démonstration. Mais Dieu juge avec certitude de la vérité, sans discussion ni raisonnement, par une simple vue; ainsi, dans certaines limites, l'homme doué du don de science (S. Th., 2a 2ae, q. 9, art. 1, ad 1.) De là, une différence énorme entre le savant qui n'a pas le don de science et le chrétien qui le possède. Le front sillonné d'algèbre, comme dit le comte de Maistre, la science du premier est laborieuse dans sa marche, incertain, dans ses affirmations, limitée dans son étendue, stérile dans ses résultats.

Bien différente est la science du second. Libre dans ses allures et douée de ce coup d'ail sûr qu'elle doit an Saint-Esprit, elle distingue sans peine la vérité de l'erreur. Elle est nette dans, ses affirmations. L'histoire de la raison, privée du don de science, est un livre à partie double. La première page dit : oui ; la seconde dit : non ; résultat: zéro. Parcourez toutes les écoles de l'antiquité païenne: dans laquelle trouverez-vous une affirmation certaine, une de ces affirmations qui se soutiennent au prix de la vie? Repassez dans ce même monde depuis l'effusion de l'Esprit de science. Partout des affirmations certaines, inébranlables, victorieuses du sophisme et du glaive.

Comme au milieu du système planétaire, vous voyez le soleil étincelant de lumière ; au centre du monde chrétien, vous verrez un magnifique corps de doctrine, composé de douze articles; puis, les plus beaux génies appliquant les vérités qu'il contient à toutes les études matérielles, sociales et philosophiques, composer la grande synthèse de la science catholique, à laquelle l'hu


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inanité chrétienne doit, sous tous les rapports, son évidente supériorité.

Elle est immense dans son étendue. Comme la raison qui en est le principe et le flambeau, la science du savant ordinaire est limitée dans son objet. Le monde surnaturel, c'est-à-dire plus de la moitié du domaine scientifique, ou lui échappe ou ne se montre à lui qu'à travers des nuages obscurs. Avec quelques vérités, péniblement liées en système, elle peut faire des spécialités savantes; un vrai savant, jamais. La profondeur et la synthèse lui manquent. La profondeur : elle voit les surfaces et les applications matérielles des choses; mais le quid divinum, caché dans le brin d'herbe aussi bien que dans le soleil, il ne s'en doute pas plus que des applications morales auxquelles il donne lieu. La synthèse : ne connaissant pas, ou ne connaissant que très imparfaitement Dieu, l'homme, le monde et leurs rapports, elle est incapable de rattacher, comme il convient, les connaissances de l'ordre inférieur aux vérités de l'ordre supérieur, et de donner à ses travaux une utilité vraiment digne de ce nom.

Elle est féconde dans ses résultats. Le plus beau résultat de la science est de conduire l'homme à sa fin. Savoir avec certitude quelle est cette fin, avec la même certitude connaître les moyens qui y conduisent : voilà ce que la science humaine n'a jamais appris à personne, ce qu'elle ne lui apprendra jamais. Non seulement le don de science agrandit toutes les sciences humaines et les coordonne ; mais encore il a doté le monde d'une science dont le nom même fut inconnu des académies païennes; une science qui, à

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elle seule, rend plus de services à la société que toutes les autres ensemble. Nous avons nommé la science des saints, scientia sanctorum.

En effet, de toutes les sciences, la science des saints est la plus magnifique, la plus étendue, la plus utile, la seule nécessaire, la seule qui fasse faire un vrai progrès à l'humanité, la seule à laquelle se rapportent nécessairement, à moins qu'elles ne soient corrompues, toutes les autres sciences sociales, philosophiques, naturelles, mathématiques. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que la science des saints est la seule qui soit pleine de vérité, rien que de vérité, vérité sur Dieu, sur l'homme et sur le monde.

Afin de dissiper une illusion, mère trop féconde d'admirations funestes, achevons de marquer la différence qui existe entre l'entendement riche du don de science, et l'entendement qui en est privé. « La diminution de la foi, dit Donoso Cortès, qui produit la diminution de la vérité, n'entraîne pas forcément la diminution, mais l'égarement de l'entendement humain. Miséricordieux et juste en même temps, Dieu refuse la vérité aux intelligences coupables, il ne leur refuse pas la vie ; il les condamne à l'erreur, non à la mort. Nous avons tous vu passer devant nos yeux ces siècles si prodigieusement incrédules et si parfaitement cultivés, qui ont laissé derrière eux, sur les flots du temps, une trace non moins lumineuse que brûlante, et qui ont brillé d'un éclat phosphorescent dans l'histoire.

« Néanmoins, fixez vos regards sur eux, fixez-les attentivement, et vous verrez que leurs splendeurs sont des incendies, et qu'ils n'ont de lumière que

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comme l'éclair. Le jour qui nous les montre semble venir de l'explosion de matières obscures par elles-mêmes, mais inflammables, plutôt que des pures régions où naît cette lumière paisible, doucement étendue sur les voûtes du ciel, par le souverain pinceau d'un peintre souverain.

« Ce qui se dit des siècles peut se dire des hommes. En leur refusant ou en leur accordant la foi, Dieu leur refuse ou leur ôte la vérité : il ne leur donne ni ne leur refuse l'intelligence. L'intelligence des incrédules peut être très élevée, et celle des croyants très bornée. La première, toutefois, n'est grande qu'à la manière de l'abîme, tandis que la seconde est sainte à la manière d'un tabernacle; dans la première habite l'erreur, dans la seconde la vérité. Dans l'abîme, la mort est avec l'erreur; dans le tabernacle, la vie est avec la vérité. Voilà pourquoi il n'y a pas d'espoir pour ces sociétés qui abandonnent le culte austère de la vérité pour l'idolâtrie de l'esprit. Derrière les sophismes viennent les révolutions, et derrière les révolutions les bourreaux. » (Essai sur le catholicisme, etc., p. 8 et 9.)

Après avoir considéré le don de science en lui-même, il reste à le mieux connaître en l'étudiant dans ses effets.

2° Quels sont les effets ou les applications du don de science? L'ignorant voit la surface des choses, le savant en voit le fond. L'ignorant se laisse fasciner, le savant apprécie.- Ainsi, le premier effet du don de science est, comme nous l'avons indiqué, de nous faire discerner avec certitude le vrai du faux, le solide de l'imaginaire, le vrai de ce qui n'est qu'apparent. Le

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chrétien qui le possède sent d'instinct la fausseté des objections de l'impiété contre la religion. Loin d'ébranler sa foi, ces attaques provoquent en lui le mépris, le dégoût et l'horreur. A ses yeux, l'homme, que le christianisme a tiré de la barbarie, de l'idolâtrie, de l'esclavage, et qui nie le christianisme, qui insulte ou qui laisse insulter le christianisme, qui rougit du christianisme, qui abandonne le christianisme, est de tous les êtres le plus vil et le plus odieux, parce qu'il est le plus ingrat et le plus coupable.

Devant le jugement ferme et droit dont il est doué viennent se briser, tels masques qu'elles empruntent, les subtilités du mensonge et les arguties du sophisme. Ce discernement ne fait pas seulement justice des sophismes de l'incrédule, il s'oppose encore aux sophismes du monde. Dirigé par l'Esprit de science, le vrai catholique voit clairement deux choses que nul autre ne voit.

La première, c'est le néant de tout ce que le monde aime et recherche. Aveugle qui a recouvré la vue, de son regard divinement éclairé il pénètre de part en part la vanité des richesses, des honneurs, des plaisirs : comme il comprend une vérité mathématique, il comprend que toutes ces choses réunies ne peuvent pas plus contenter une âme immortelle, créée pour Dieu, que l'air ne peut rassasier une bête de somme affamée. Pour lui, nulle parole n'est plus vraie que ce cri de désespoir du plus sage et dit plus heureux des rois : Vanité des vanités, et tout est vanité, mécompte et affliction de l'esprit (Eccl., I, 2, 10.)

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La seconde, c'est l'admirable beauté, la grandeur, l'utilité de tout ce que le inonde redoute et fuit avec tant de soin. A la lumière du don de science, il connaît la parfaite harmonie de l'humiliation, de la pauvreté, de la souffrance avec les besoins de l'homme déchu. Il les reçoit, comme le malade reçoit le remède qui doit le sauver de la mort et lui rendre la santé; comme le négociant reçoit le client qui vient lui offrir, en échange de quelques bagatelles, des trésors inamissibles. Sa devise est la parole de saint Paul : « Tout ce qui me paraissait gain, m'a paru perte réelle à cause de Jésus-Christ. Je dis plus : tout me semble perte, au prix de cette haute science de Jésus-Christ mon Seigneur, pour l'amour duquel j'ai résolu de perdre toutes choses, les regardant comme du fumier, afin de gagner Jésus-Christ. » (Philipp., III, 7, 8.)

Le second effet du don de science est d'agir sur la volonté et de mettre ses actes en harmonie avec les lumières de l'entendement. Dans le chrétien animé de l'Esprit de science, la haine de l'erreur, de l'hérésie, de l'incrédulité, du rationalisme n'est pas une science spéculative. Par la vigilance sur soi-même, par l'éloignement de toute lecture, de toute conversation anti-catholique, par l'exemple, par la prière, par tous les moyens en son pouvoir, il oppose une barrière aux bêtes sauvages qui ravagent le champ de la vérité.

Telles sont les dispositions de tous les justes, c'est-à-dire de tous les hommes en état de grâce. En faveur de quelques-uns, Dieu ajoute la faculté supérieure de communiquer la science par la parole. C'est ce que saint

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Paul appelle le discours de la science : sermo scientiae. L'élève du Saint-Esprit qui en est doué emploie sa voix et sa plume, non plus seulement à se défendre, mais à défendre ses frères. Veilles, études, dépenses, fatigues, rien ne coûte à son zèle. C'est ainsi qu'à la science qui tue, il oppose la science qui sauve.

Même conduite à l'égard des fascinations mondaines. Si le néant des honneurs, des richesses et des plaisirs lui en inspire le mépris, le danger qu'ils présentent lui fait prendre en aversion tout ce que le monde estime. C'est le voyageur de nuit qui donne du pied contre une grosse bourse. Il la ramasse et se croit heureux, pensant avoir trouvé un trésor. Mais, le jour venu, il voit que cette bourse est pleine de morceaux de verre et de reptiles venimeux, et il la jette loin de lui avec indignation.

Comme il prend en pitié cette foule tumultueuse qu'on appelle le monde! Insensé qui se consume à poursuivre des fantômes et à tisser des toiles d'araignées, qui s'irrite pour une injure, qui se désole pour une maladie ou un revers de fortune. Pour lui, content de la position que la Providence lui a faite, il ne désire point en sortir. S'il est pauvre, méconnu, persécuté, il se trouve heureux de ces traits de ressemblance avec son divin frère, le Verbe incarné; s'il a des richesses, il n'y attache ni sa pensée ni son cœur. Souvent même, par un acte de sublime folie, il met entre lui et les biens dangereux et trompeurs d'ici-bas l'infranchissable barrière des trois vœux d'obéissance, de chasteté et de pauvreté.

Le troisième effet du don de science est de rayonner sur toutes les sciences humaines, de les orienter, de les

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féconder, de les ennoblir et de les affirmer. Seul le savant chrétien affirme ; les philosophes païens n'ont rien affirmé. L'affirmation est d'origine chrétienne. Nous faire connaître scientifiquement la fin de l'homme et du monde, la nature et l'harmonie des êtres, tel est le privilège exclusif de l'Esprit de science. Or, sans cette connaissance préalable, nulle science n'existe. De là ce mot de nos livres saints : « Vains, c'est-à-dire sans solidité ni d'esprit ni de cœur, sont tous les hommes en qui n'est pas d'abord la science de Dieu. » (Sap., XIII, 1.)

Bavards muets, loquaces muti, ajoute saint Augustin, ils sont pleins de mots et vides d'idées. De son côté, dans ses Confessions d'un révolutionnaire, Proudhon écrit ces remarquables paroles : « Il est surprenant qu'au fond de notre politique nous trouvions toujours la théologie. » Sur quoi Donoso Cortès s'exprime ainsi : « Il n'y a ici de surprenant que la surprise de M. Proudhon. La théologie, par cela même qu'elle est la science de Dieu, est l'océan qui contient et embrasse toutes les sciences, comme Dieu est l'océan qui contient et embrasse toutes les choses. » (Essai, etc., p.1.)

Mais la théologie suppose le don de science, comme l'enfant suppose le père. Celui qui le possède est théologien et possède en germes toutes les sciences. « En effet, ajoute Donoso Cortès, celui-là possède la vérité politique qui connaît les lois auxquelles sont assujettis les gouvernements ; celui-là possède la vérité sociale qui connaît les lois auxquelles sont soumises les sociétés humaines (Il en est de même des science naturelles); celui-là connaît ces lois qui connaît

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Dieu; celui-là connaît Dieu qui entend ce que Dieu affirme de lui-même et qui croit ce qu'il entend. La science qui a pour objet ces affirmations est la théologie. D'où il suit que toute affirmation relative à la société ou au gouvernement suppose une affirmation relative à Dieu, ou, ce qui est la même chose, que toute vérité politique ou sociale se convertit nécessairement en une vérité théologique.

« Si tout s'explique en Dieu et par Dieu, et si la théologie est la science de Dieu, en qui et par qui tout s'explique, la théologie est la science de tout (Par conséquent, le principe de tout savoir est le don de science.) Cela étant, il n'y a rien hors de cette science, qui n'a point de pluriel, parce que le Tout, qui est son objet, n'en a point. La science politique, la science sociale n'existent que comme des classifications arbitraires de l'entendement humain. L'homme, dans sa faiblesse, distingue ce qui en Dieu est uni de l'unité la plus simple. C'est ainsi qu'il distingue les affirmations politiques, des affirmations sociales et des affirmations religieuses, tandis qu'en Dieu il n'y a qu'une affirmation unique, indivisible et souveraine. Celui qui, parlant explicitement de quelque chose, ignore qu'il parle implicitement de Dieu, et qui, parlant explicitement de quelque science, ignore qu'il parle implicitement de théologie, que celui-là le sache, il n'a reçu de Dieu que l'intelligence absolument nécessaire pour être homme. » (Essai, etc., p. 1 et 9.)

Grâce au don de science répandu sur le monde, combien de fois les siècles chrétiens ont vu de ces théologiens admirables, par conséquent de ces vrais savants, dans tous les âges et dans toutes les conditions.

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Bernard, François d'Assise, Catherine de Sienne. Colette, bergers, laboureurs, enfants, sans lettres humaines, mais doués, qu'on nous passe le mot, du flair de la vérité, ils surent la découvrir avec un merveilleux instinct, en parler tour à tour avec une simplicité qui semblait leur être naturelle, avec une force qui entraînait les convictions, les plus rebelles, avec une profondeur qui étonnait les savants et avec un bon sens tellement sûr; que leurs appréciations devenaient autant d'axiomes et de règles de conduite.

Ce don précieux n'est pas perdu. Aujourd'hui encore, où faut-il chercher la science de la vie, la rectitude du jugement, la certitude des affirmations, le coup d'œil d'ensemble qui rattache la fin aux moyens et les moyens à la fin, le sens pratique des choses, ce grand maître de la vie, comme parle Bossuet? Ce n'est ni dans les académies littéraires, ni dans les assemblées politiques, ni dans les corps prétendus savants, mais chez les vrais chrétiens.

« La science de Dieu, continue l'illustre publiciste espagnol, donne à qui la possède sagacité et force, parce que tout à la fois elle aiguise et dilate l'esprit. Ce qu'il y a de plus admirable pour moi dans la vie des saints et particulièrement dans celle des Pères du désert, c'est une circonstance qui, je crois, n'a pas encore été convenablement appréciée. L'homme habitué à converser avec Dieu et à s'exercer dans les contemplations divines, toutes circonstances égales d'ailleurs, surpasse les autres ou par l'intelligence et la force de sa raison, ou par la sûreté de son jugement, ou par l'élévation et la force de son esprit, mais surtout, je n'en sais aucun qui, en circonstances égales, ne l'emporte

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sur les autres par ce sens pratique et sage qu'on appelle le bon sens. » (Essai sur le Catholicisme, etc., p. 199.)

3° Quelle est la nécessité du don de science? Nous l'avons vu, le don de science nous fait discerner avec certitude le vrai du faux, le réel de l'imaginaire. Fut-il jamais plus nécessaire qu'aujourd'hui? Dans un monde qui nie Dieu, qui nie Jésus-Christ, qui nie l'Église, qui, proclamant l'égalité de toutes les religions, enveloppe la vérité et l'erreur dans un commun mépris, qui nie la distinction absolue du bien et du mal, qui appelle progrès ce qui est déviation, lumières ce qui est ténèbres, liberté ce qui est servitude, comment discerner le vrai du faux? Dans un monde qui ne vit que pour les richesses, pour les honneurs, pour les plaisirs, qui compte pour rien les biens de l'âme et de l'éternité, qui en est venu jusqu'à traiter de chimère le monde surnaturel tout entier, comment échapper à la fascination générale? N'est-ce pas du milieu d'un pareil Babélisme qu'il faut sans cesse regarder le ciel et crier au Saint-Esprit : « Tenez mes yeux ouverts, de peur que je ne m'endorme dans la mort et que mon ennemi ne dise Je l'ai vaincu. » (Ps. 12.)

Ce devoir est d'autant plus pressant que l'homme se trouve placé dans l'alternative impitoyable de vivre sous l'empire de l'Esprit de science, ou sous la tyrannie de l'Esprit contraire. Quel est cet esprit directement opposé au don de science? Suivant saint Antonin, c'est le cinquième don de Satan, qu'on appelle la Colère. « L'Esprit de science, dit le grand théologien, repousse l'Esprit de colère, qui empêche de voir la vérité, ce qui

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est le but du don de science. » Comme la nuit succède infailliblement an jour, lorsque le soleil quitte l'horizon; ainsi l'Esprit de colère s'empare de l'âme qui perd l'Esprit de science. Cette affirmation paraît étrange. On ne voit pas d'abord l'opposition qui existe entre le don de science et la colère. Pour la saisir, il faut distinguer deux sortes de colère et se rappeler les principaux effets du don de science.

Il y a une colère juste et sainte, qui n'est nullement contraire à l'Esprit de science. Telle fut la colère ou mieux l'indignation de Notre Seigneur contre les vendeurs du temple; telle la véhémence de prédicateur qui tonne contre le vice, ou la résistance énergique du propriétaire au voleur et à l'assassin. Une pareille colère, si tant est qu'elle mérite ce nom, loir d'être contraire au don de science, n'est que la science armée pour défendre, par des moyens légitimes, un bien véritable; elle n'est pas contraire au don de science, puisqu'elle ne trouble pas la raison et qu'elle n'excède en rien les limites de la justice.

Mais il y a une autre colère qui accuse un fond de mécontentement et d'irritation, qui s'exhale pour des causes non légitimes, qui excède dans ses mouvements, qui trouble la raison et qui tend à remplacer la force du droit par le droit de la force. C'est l'ignorance armée pour la défense d'un bien ou la répulsion d'un mal plus imaginaire que réel.

Quant au don de science, qui a pour but la connaissance raisonnée et certaine de la vérité, son premier effet consiste à nous communiquer une grande rectitude

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de jugement; cette rectitude nous fait apprécier et estimer chaque chose à sa juste valeur; puis, agissant sur la volonté, elle règle ses actes sur les lumières clé l'entendement perfectionné. Or, le don de science nous montre clairement que les biens et les maux de ce monde ne sont ni de vrais biens ni de vrais maux ; que ce qui est appelé mal par les hommes, la pauvreté, l'humiliation, la souffrance, n'est pas un vrai mal; que ce qui est appelé bien par les hommes, les richesses, les honneurs, les plaisirs, n'est pas un vrai bien, mais souvent un mal et toujours un danger.

Le chrétien qui, grâce au don de science, sait tout cela et dont la volonté est à l'unisson de sa science, a mille raisons de ne pas se mettre en colère. Telles sont, entre autres, sa dignité compromise, le scandale donné, la paix troublée, la haine enfantée, le péché commis par l'usurpation du droit divin de la vengeance. Il ne trouve aucune raison de s'y mettre. Et qui pourrait l'irriter? L'injure? mais elle est pour lui une précieuse semence de mérite. L'injustice, l'ingratitude? mais il connaît toute la misère humaine, et, sachant que lui-même a besoin d'indulgence, il dit : Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. La perte de ses biens? mais il sait qu'en les perdant, il n'a rien perdu du sien; et, avec le calme de Job, il dit : Le Seigneur m'avait donné, le Seigneur m'a ôté; comme il a plu au Seigneur il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni. Ainsi des autres accidents que le monde appelle revers, calamités, malheurs. Telle est la sérénité de l'âme éclairée par l'Esprit de science.

Au contraire, l'âme vide de l'Esprit de science est aussitôt remplie de l'Esprit de colère. La raison en est

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simple : cette âme se fait une fausse idée des choses. Aveugle dans ses appréciations, elle estime. elle aime, elle craint, sans règle sûre. Pour elle, les maux sont des biens, et réciproquement. Comme il lui est aussi impossible de jouir paisiblement, sans contradiction et sans inquiétude de ce qu'elle appelle bien, que de n'être pas chaque jour exposée à ce qu'elle appelle mal, elle se trouble, elle murmure, elle s'irrite, elle repousse avec violence ce qui porte atteinte à son bonheur; en un mot, elle tombe sous l'empire de la colère ; elle y tombe par une fausse idée de son droit, ou par une appréciation inexacte des biens et des maux.

Ceci est tellement vrai que dans toutes les langues la colère reçoit l'épithète d' aveugle; nulle n'est mieux appliquée. Fille de l'ignorance, la colère empêche l'homme de raisonner. En lui, le flambeau de la raison s'obscurcit et fait place à la force. La vie se concentre sur les lèvres qui injurient, au bout du pied qui frappe, dans le poignet qui renverse (S. Th., 2, 2, q. 158, art. 6, ad 3.)

Ce qui est vrai de l'individu est vrai des peuples, vrai de l'humanité. Retirez de la terre le don de science, qu'aurez-vous ? L'ignorance des vrais biens et des vrais maux, et avec l'ignorance la colère, et avec la colère la guerre. Qu'est-ce que la guerre ? c'est la colère des rois et des peuples. Pourquoi le monde païen fut-il toujours en guerre? Parce qu'il fut toujours en colère. Pourquoi toujours en colère? parce que le don de science lui manquait. Toute son existence a été définie par saint Paul : les temps d'ignorance,

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tempora ignorantiae. Appréciateur aveugle, il se passionna constamment pour de faux biens, toujours en armes pour les conquérir ou pour les défendre. Par la même raison la guerre, dans l'ordre des idées, ne fut ni moins vive ni moins permanente que la guerre dans l'ordre des faits. Cette ignorance fit périr le monde des Césars, comme elle avait fait périr le monde des géants (Baruch., III, 26, 28.)

Pourquoi depuis quatre siècles le monde moderne est-il en guerre intellectuelle et matérielle ? Parce qu'il ne cesse pas d'être en colère. Pourquoi ne cesse-t-il pas d'être en colère? Parce que le don de science lui manque. Ce don lui manquant, son estime des choses devient païenne, ses appréciations païennes, ses jugements païens; ses affections, ses tendances, ses affirmations et ses négations, païennes. Vu autrement qu'à la surface, qu'est-ce que l'affreux pêle-mêle dont nous sommes témoins? Suivant la profonde parole de l'Écriture, ce n'est pas autre chose que la grande guerre de l'ignorance, magnum inscientiae bellum.

Guerre des idées, parce que la science divine manque; guerre des intérêts, parce que l'aveugle passion des biens terrestres remplace l'amour des biens spirituels; guerre de l'homme contre Dieu, parce qu'il ne connaît plus la vérité; guerre de l'homme contre l'homme, parce qu'il ne connaît plus la charité; guerre de tous contre tous, qui finira par des catastrophes inconnues, à moins qu'elle ne soit arrêtée par l'Esprit de

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science, régnant dans la plénitude de sa lumière et de sa force. Mettre fin à un pareil fléau, conjurer de semblables malheurs, n'est-ce rien? Voilà cependant le service que seul peut rendre au monde le cinquième don du Saint-Esprit.

CHAPITRE XXX. LE DON DE FORCE. Ce qu'est le don de force. - Différence entre la vertu de force et le don de force. - La place qu'il occupe au milieu des sept dons. - Deux objets du don de force : agir et souffrir. - Ce que l'homme doit faire : reconquérir le ciel. - Trois ennemis à vaincre : le démon, la chair, le monde. - Ce que l'homme doit souffrir. - Faiblesse de l'homme. - Effets du don de force soit pour agir, soit pour souffrir. - Parole de saint Paul. - Nécessité du don de force. - Opposé à la paresse. - Ce qu'est l'esprit de paresse. - Ce qu'il opère. - Portrait du monde, esclave de l'esprit de paresse.