Différences entre les versions de « Le rosaire »

De Christ-Roi
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==Histoire==
 
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===Des roses our un rosaire===
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===Des roses pour un rosaire===
 
Au Moyen Age, la contemplation de la Vierge Marie, de ses privilèges et des bienfaits qu’elle accorde à ses enfants, est considérée comme une joie surpassant toutes les joies. C’est cette piété joyeuse des « Saluts Notre-Dame » qui donnera le nom de Rosaire. Au Moyen Age, le symbole de la joie est en effet la rose. Se couronner le front de roses (d’un « chapelet », ou petit chapeau, de roses) est signe de joie. La Vierge Marie est même appelée « un jardin de roses ». Or, en latin médiéval, jardin de roses se dit ''rosarium''.  
 
Au Moyen Age, la contemplation de la Vierge Marie, de ses privilèges et des bienfaits qu’elle accorde à ses enfants, est considérée comme une joie surpassant toutes les joies. C’est cette piété joyeuse des « Saluts Notre-Dame » qui donnera le nom de Rosaire. Au Moyen Age, le symbole de la joie est en effet la rose. Se couronner le front de roses (d’un « chapelet », ou petit chapeau, de roses) est signe de joie. La Vierge Marie est même appelée « un jardin de roses ». Or, en latin médiéval, jardin de roses se dit ''rosarium''.  
  
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====D'après des documents des XIIIe et XIVe siècles ====
 
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Apparition d’une nouvelle coutume :
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=====Apparition d’une nouvelle coutume=====
 
 
 
Nous avons trouvé dans les « Saluts Notre-Dame » l’origine lointaine du chapelet. Cependant, il est facile de démontrer que la coutume de réciter un nombre précis d’Ave Maria n’était pas accréditée, moins encore universelle, qu’en un mot elle ne constituait pas une institution avant l’époque de saint Dominique, tout simplement parce qu’aucun document ni aucune tradition n’en fait état.  
 
Nous avons trouvé dans les « Saluts Notre-Dame » l’origine lointaine du chapelet. Cependant, il est facile de démontrer que la coutume de réciter un nombre précis d’Ave Maria n’était pas accréditée, moins encore universelle, qu’en un mot elle ne constituait pas une institution avant l’époque de saint Dominique, tout simplement parce qu’aucun document ni aucune tradition n’en fait état.  
  
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A la même époque, l’usage des grains enfilés envahit tous les rangs de la société. A Paris, il n’y a pas moins de trois corporations industrielles occupées à la fabrication de cet article 4. Un autre fait intéressant et révélateur concerne Romée de Livia, disciple immédiat de saint Dominique. On lit dans les anciennes chroniques que le bienheureux, clerc très lettré puisqu’il est successivement prieur du couvent de Lyon puis provincial de  
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Les dominicains, dispersés aux quatre coins de la Chrétienté, auront une influence décisive dans l’expansion du Rosaire et sa pénétration dans toutes les classes de la société. Le R.P. Mortier O.P., historien éminent de l’Ordre dominicain, écrit notamment : « L’ordre fondé par saint Dominique a développé dès ses premiers
Provence, et enfin prieur de Bourges, « mourut en serrant très fortement dans ses mains la corde à noeuds sur laquelle il comptait ses Ave Maria, méditant et inculquant aux religieux cette dévotion à la sainte Vierge et à l’Enfant-Jésus 5 ». Ce fait montre que, dès le début, les premiers prêcheurs se montrent très zélés à répandre la dévotion de saint Dominique au Rosaire. Les dominicains, dispersés aux quatre coins de la Chrétienté, auront une influence décisive dans l’expansion du Rosaire et sa pénétration dans toutes les classes de la société. Le R.P. Mortier O.P., historien éminent de l’Ordre dominicain,  
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débuts, de façon extraordinaire, la dévotion pratique à l’Ave Maria. C’est incontestable ».
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=====Une arme de guerre contre les ennemis de l’Église=====
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Un document historique montre saint Dominique employant victorieusement cette prière dans une célèbre bataille contre les hérétiques<ref>Père PETITOT O.P., ''Vie de saint Dominique'', Saint-Maximin, Éditions de La Vie
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Spirituelle, 1925, chapitre IX, p. 187. Ce livre a été réédité par les Editions du Lion (1, rue Sala, 69002 Lyon) en 1996, sous le titre Dominique de Guzman, un saint pour le XXIe siècle</ref>. Il s’agit de la première victoire du
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Rosaire remportée à Muret, près de Toulouse, le 12 septembre 1213, par saint Dominique. Huit cents chevaliers catholiques, appelés par le pape Innocent III, se trouvent en face de 34 000 ennemis environ (des cathares renforcés par des troupes venues d’Espagne avec le roi Pierre II d’Aragon). Dominique monte alors avec le clergé et le peuple dans l’église de Muret, et il fait prier à tous le Rosaire. Cinq mois après l’évènement, un notaire languedocien écrit :
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:''Dominicus rosas afferre''
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:''Dum incipit tam humilis''
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:''Dominicus coronas conferre''
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:''Statim apparet agilis'' <ref>Dominique apporte des roses [à Notre-Dame], il apparaît si humble lorsqu’il commence [à prier] ; Dominique fait des couronnes [chapelets], il apparaît aussitôt agile [à prier]</ref>.
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Le notaire note l’humilité de Dominique qui n’hésite pas à prendre la prière du Rosaire (prière très humble, prière du peuple) ; et il note son agilité à achever les couronnes, c’est-à-dire à faire se succéder les chapelets les uns aux autres. La victoire des chevaliers catholiques – menés par Simon de Montfort – est fulgurante et miraculeuse <ref>Les catholiques n’auront que huit tués, et leurs ennemis 10 000 morts dont le roi d’Aragon lui-même.</ref>. Les chroniques relatent que les ennemis de la religion tombaient les uns sur les autres ainsi que les arbres de la forêt sous la cognée d’une armée de bûcherons.
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Si la croisade <ref>Un excellent livre sur cette question est sans conteste l’ouvrage de M. Dominique PALADILHE, ''Simon de Montfort et le drame cathare'', Paris, Librairie Académique Perrin, 1988. Puisant aux meilleures sources, l’auteur nous révèle le vrai visage de Simon de Montfort, l’un des plus beaux exemples de chevalier chrétien au service de l’Église.</ref>, dont la bataille de Muret est l’un des plus glorieux épisodes, ramena la paix politique, c’est surtout la prédication du Rosaire qui convertit les coeurs et pacifia définitivement la région. Nous arrivons ici à un élément essentiel. Avant d’être une louange à Marie, avant d’être une arme providentielle pour défendre la Chrétienté, le Rosaire fut d’abord, pour saint Dominique :
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Saint Dominique, sur la recommandation de Notre-Dame <ref>Voir le texte des matines du bréviaire romain au 7 octobre (supra)</ref>, prêchait les mystères de la foi et faisait prier dans le même temps ses auditeurs avec des Pater et des Ave. Il agissait ainsi parce que la parole, aussi brillante soit-elle, ne suffit pas pour convertir. Seule la grâce de Dieu peut briser les résistances secrètes de l’âme, et cette grâce ne peut être obtenue que par la prière. C’est d’abord la prière de l’apôtre, et saint Dominique y passait ses nuits. Mais, dit saint Thomas d’Aquin, « il arrive que la prière faite pour autrui n’aboutisse pas [...] par suite d’un obstacle tenant à celui pour qui l’on prie <ref>II-II, q. 83, a. 7.</ref> ». Cependant, si le pécheur lui-même se met à prier, en priant il lève l'obstacle à sa conversion. Il y a en effet « quatre conditions dont la réunion fait qu’on obtient à coup sûr ce qu’on demande : il faut demander pour soi, ce qui est nécessaire au salut éternel, et le faire avec piété et persévérance ». C’est donc l’oeuvre d’un apôtre particulièrement inspiré et surnaturel d’allier ainsi sa prédication avec la prière de celui qui est instruit.
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Comment cette méthode de prédication fut-elle particulièrement appropriée pour détruire l’hérésie cathare ?
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Pour les cathares, le monde sensible et corporel était l’oeuvre du Mal ou du démon. Dieu n’avait donc pu assumer un corps humain dans le sein d’une Vierge et mourir sur une croix pour nous sauver. Ils niaient ainsi les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, blasphémaient contre la très sainte Vierge, et ne reconnaissaient pour seule
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prière que le Pater auquel ils vouaient un attachement superstitieux. Si l’absence de prédication catholique avait favorisé l’implantation du catharisme, la prédication populaire des mystères du Rosaire, jointe à la prière des Pater et des Ave, fut le remède radical à ce fléau. Une multitude de religieux sillonnaient le pays, joignant à leur parole l’exemple d’une vie pauvre. Au cours du XIIIe siècle, ce ne sont pas moins de 118 couvents de religieux mendiants (dominicains, franciscains, carmes, augustins, sachets <ref>Ordre mendiant fondé par un franciscain vers 1240</ref>) qui sont fondés dans le Languedoc. Entre 1216 et 1295, on compte près de 1100 dominicains qui ont vécu dans cette région.
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Cette union de la prière vocale avec la méditation des mystères du Christ et de Notre-Dame se répand alors dans la piété, et si vite qu’en 1236 par exemple, elle se trouve déjà mentionnée dans le livre du psautier mis entre les mains des béguines de Gand. Là encore, on ne trouve rien de semblable avant saint Dominique.
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Comment donc ne pas accorder à saint Dominique l’institution du Rosaire, puisque les souverains pontifes la lui attribuent dans une unanimité qui ne s’est jamais démentie, et que les documents abondent qui prouvent l’apparition de cette dévotion à l’époque du saint et dans l’Ordre qu’il a fondé ?
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Quant à la manière dont le Rosaire fut donné à ce grand saint, fut-ce selon les voies ordinaires de la grâce, c’est-à-dire par une simple inspiration ? Ne fut-ce pas plutôt sous la forme d’une vision céleste dont le saint aurait gardé le secret et pendant laquelle la Vierge Marie aurait instruit et consolé son disciple ? On ne peut rejeter cette dernière solution. Elle doit même avoir notre faveur parce qu’elle est une tradition vénérable, trop
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favorisée par l’Église, trop entrée dans la mémoire des fidèles, pour n’être qu’une pieuse légende.  
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Où cette révélation eut-elle lieu ? Les habitants de Toulouse la plaçaient dans la forêt de Bouconne, non loin de leur ville où saint Dominique fonda son premier couvent. L’Église du Puy dit que ce fut dans sa cathédrale. Le père Petitot, quant à lui, parle d’une tradition situant cet événement dans le sanctuaire de Prouille dans le Languedoc,  
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aux pieds du village de Fanjeaux, là où saint Dominique fonda les moniales dominicaines contemplatives et d’où il dispersa ses premiers frères dans toute l’Europe le 15 août 1217.
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===Le rôle organisateur du bienheureux Alain de la Roche===
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Version du 21 août 2006 à 18:10

Introduction

Extrait d'un entretien de soeur Lucie de Fatima avec le père Fuentès, le 26 décembre 1957 :

« La très sainte Vierge, en ces derniers temps que nous vivons, a donné une efficacité nouvelle à la récitation du Rosaire ; de telle façon qu’il n’y a aucun problème, si difficile soit-il, temporel ou surtout spirituel, se référant à la vie personnelle de chacun de nous, de nos familles, des familles du monde ou des communautés religieuses, ou bien à la vie des peuples et des nations ; il n’y a aucun problème – dis-je – si difficile soit-il, que nous ne puissions résoudre par la prière du saint Rosaire. Avec le saint Rosaire nous nous sauverons, nous nous sanctifierons, nous consolerons Notre-Seigneur et obtiendrons le salut de beaucoup d’âmes. »

Bien sûr, la prière la plus efficace pour toucher le Coeur de Dieu est sans aucun doute la prière liturgique : la sainte Messe entourée de l’Office divin (le bréviaire récité par les prêtres et les religieux). Le Rosaire n’a jamais prétendu remplacer la liturgie. Mais inversement, la liturgie ne supprime pas le Rosaire qui a un caractère propre et irréductible.


Histoire

Des roses pour un rosaire

Au Moyen Age, la contemplation de la Vierge Marie, de ses privilèges et des bienfaits qu’elle accorde à ses enfants, est considérée comme une joie surpassant toutes les joies. C’est cette piété joyeuse des « Saluts Notre-Dame » qui donnera le nom de Rosaire. Au Moyen Age, le symbole de la joie est en effet la rose. Se couronner le front de roses (d’un « chapelet », ou petit chapeau, de roses) est signe de joie. La Vierge Marie est même appelée « un jardin de roses ». Or, en latin médiéval, jardin de roses se dit rosarium.


On avait la conviction qu’à chaque salutation, la Vierge Marie elle-même ressentait comme un nouvel écho de la joie de l’Annonciation. Il ne s’agissait plus seulement de se réjouir soi-même à la pensée de Notre-Dame, on voulait aussi réjouir le Coeur de Marie lui-même. Les « Saluts Notre-Dame » sont alors conçus comme autant de roses spirituelles qu’on présente à la Vierge Marie en lui tressant une couronne, un chapelet. En retour, la Vierge pose sur la tête de ses enfants un invisible diadème de roses, de grâces spirituelles.


Comment est né l’Ave Maria ?

Dans cette ferveur à saluer Notre-Dame, on ne s’étonnera pas que la salutation la plus populaire ait été tirée directement de l’Évangile, des épisodes de l’Annonciation et de la Visitation qui étaient dans tous les esprits :

« Je vous salue, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre (toutes) les femmes » (Lc 1, 28).
« Vous êtes bénie entre (toutes) les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni » (Lc 1, 42).

Ces deux salutations constituèrent la première partie de l’Ave Maria. Elles se joignirent aux alentours du XIe siècle, selon l’opinion commune.

Au commencement du XVIIe siècle, la seconde partie de l’Ave Maria (« Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ») n’était pas encore d’un usage général, et l’Ave demeurait souvent incomplet, ne comportant que la première partie.


L’institution du Rosaire par saint Dominique

On demanderait en vain aux écrivains des XIIIe et XIVe siècles une mention spéciale et circonstanciée de l’institution du Rosaire par saint Dominique. Ce n’était pas le genre littéraire de l’époque. Ces écrivains étaient plus soucieux d’édifier leurs lecteurs – ce qui est le plus important – que de faire oeuvre scientifique. Les origines du Rosaire sont alors comme recouvertes d’une ombre mystérieuse. La Providence l’a voulu ainsi, n’en déplaise aux rationalistes modernes. C’est un secret entre la Vierge Marie et son serviteur Dominique.


Mais ce serait une formidable impiété et une étonnante absence de bon sens et de raison de se servir de cette ombre pour dénier à saint Dominique l’invention de cette prière :

  • formidable impiété car l’institution du Rosaire par saint Dominique appartient à la tradition la plus assurée, non seulement de l’Ordre dominicain, mais surtout de l’Église romaine. C’est l’argument majeur.
  • absence de bon sens et de raison, car les documents des XIIIe et XIVe siècles offrent des indications si nombreuses et si évidentes qu’elles suffisent pour donner à l’institution du Rosaire une place qui n’est ni antérieure ni postérieure à saint Dominique.


D'après la tradition de l’Église romaine

Citons d’abord la bulle Consueverunt romani Pontifices (1569) du pape saint Pie V. Il y écrit très clairement que saint Dominique a « inventé et propagé ensuite dans toute la sainte Église romaine un mode de prière, appelé Rosaire ou psautier de la bienheureuse Vierge Marie, qui consiste à honorer la bienheureuse Vierge par la récitation de cent cinquante Ave Maria, conformément au nombre des psaumes de David, en ajoutant à chaque dizaine d’Ave l’Oraison dominicale et la méditation des mystères de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ ».


Dans la bulle Monet Apostolus (1573) qui instituait la solennité du saint Rosaire, le pape Grégoire XIII rappelle que saint Dominique « institua, pour détourner la colère de Dieu et obtenir le secours de la bienheureuse Vierge, cette pratique si pieuse qu’on appelle le Rosaire ou le psautier de Marie ».


En 1724, des contradicteurs ayant mis en cause l’attribution du Rosaire à saint Dominique, Benoît XIII demanda à la congrégation des Rites d’étudier la question. Le promoteur de la foi Prospero Lambertini, futur Benoît XIV, se plaçant sur le terrain solide de la tradition romaine, réduisit à néant les objections contraires. Le 26 mars 1726, Benoît XIII rendit obligatoires les leçons du bréviaire romain, aux matines de la fête du 7 octobre, enseignant que « Marie recommanda [à saint Dominique] de prêcher le Rosaire au peuple, lui faisant entendre que cette prière serait un secours exceptionnellement efficace contre les hérésies et les vices ». Benoît XIV, ayant pris connaissance des objections faites contre l’attribution du Rosaire à saint Dominique, déclare la tradition romaine fondée sur les bases les plus solides – validissimo fundamento –, et il répond aux adversaires : « Vous nous demandez si réellement saint Dominique est l’instituteur du Rosaire. Vous vous déclarez perplexes et pleins de doutes sur ce point. Mais que faites-vous de tant d’oracles des souverains pontifes, de Léon X, de Pie V, de Grégoire XIII, de Sixte V, de Clément VIII, d’Alexandre VII, d’Innocent XI, de Clément XI, d’Innocent XIII, de Benoît XIII et d’autres encore, tous unanimes pour attribuer à saint Dominique l’institution du Rosaire ? »


D'après des documents des XIIIe et XIVe siècles

Apparition d’une nouvelle coutume

Nous avons trouvé dans les « Saluts Notre-Dame » l’origine lointaine du chapelet. Cependant, il est facile de démontrer que la coutume de réciter un nombre précis d’Ave Maria n’était pas accréditée, moins encore universelle, qu’en un mot elle ne constituait pas une institution avant l’époque de saint Dominique, tout simplement parce qu’aucun document ni aucune tradition n’en fait état.


Mais il est étonnant – et probant – de constater qu’à partir de saint Dominique, les signes de cette dévotion devenue celle de tous, des personnes cultivées et des simples, du cloître comme du monde, se multiplient de mille manières dans les archives de l’époque.


Ainsi le nombre de 50 et de 150 Ave Maria se reproduit dans les archives avec un ensemble tout à fait significatif. « Les documents affluent pour prouver que dans les couvents et monastères de l’Ordre dominicain, dès le XIIIe siècle, on récitait des suites d’Ave Maria, soit 50, soit 150, soit 1000. [...] Qui a donné aux dominicains et dominicaines du XIIIe et du XIVe siècles cette dévotion ? N’est-ce pas celui qui a fondé l’Ordre, Dominique de Guzman ? [1]». Citons aussi ce beau témoignage sur le roi saint Louis : « Li saint roi s’agenoilloit chascun jour au soir cinquante foiz, et à chascune foiz se levait tout droit et donc se regenoilloit, et à chascune foiz que il s’agenoilloit, il disoit moult à loisir, un Ave Maria [2] ».


Les dominicains, dispersés aux quatre coins de la Chrétienté, auront une influence décisive dans l’expansion du Rosaire et sa pénétration dans toutes les classes de la société. Le R.P. Mortier O.P., historien éminent de l’Ordre dominicain, écrit notamment : « L’ordre fondé par saint Dominique a développé dès ses premiers débuts, de façon extraordinaire, la dévotion pratique à l’Ave Maria. C’est incontestable ».


Une arme de guerre contre les ennemis de l’Église

Un document historique montre saint Dominique employant victorieusement cette prière dans une célèbre bataille contre les hérétiques[3]. Il s’agit de la première victoire du Rosaire remportée à Muret, près de Toulouse, le 12 septembre 1213, par saint Dominique. Huit cents chevaliers catholiques, appelés par le pape Innocent III, se trouvent en face de 34 000 ennemis environ (des cathares renforcés par des troupes venues d’Espagne avec le roi Pierre II d’Aragon). Dominique monte alors avec le clergé et le peuple dans l’église de Muret, et il fait prier à tous le Rosaire. Cinq mois après l’évènement, un notaire languedocien écrit :

Dominicus rosas afferre
Dum incipit tam humilis
Dominicus coronas conferre
Statim apparet agilis [4].

Le notaire note l’humilité de Dominique qui n’hésite pas à prendre la prière du Rosaire (prière très humble, prière du peuple) ; et il note son agilité à achever les couronnes, c’est-à-dire à faire se succéder les chapelets les uns aux autres. La victoire des chevaliers catholiques – menés par Simon de Montfort – est fulgurante et miraculeuse [5]. Les chroniques relatent que les ennemis de la religion tombaient les uns sur les autres ainsi que les arbres de la forêt sous la cognée d’une armée de bûcherons.

Si la croisade [6], dont la bataille de Muret est l’un des plus glorieux épisodes, ramena la paix politique, c’est surtout la prédication du Rosaire qui convertit les coeurs et pacifia définitivement la région. Nous arrivons ici à un élément essentiel. Avant d’être une louange à Marie, avant d’être une arme providentielle pour défendre la Chrétienté, le Rosaire fut d’abord, pour saint Dominique :


Une méthode de prédication

Saint Dominique, sur la recommandation de Notre-Dame [7], prêchait les mystères de la foi et faisait prier dans le même temps ses auditeurs avec des Pater et des Ave. Il agissait ainsi parce que la parole, aussi brillante soit-elle, ne suffit pas pour convertir. Seule la grâce de Dieu peut briser les résistances secrètes de l’âme, et cette grâce ne peut être obtenue que par la prière. C’est d’abord la prière de l’apôtre, et saint Dominique y passait ses nuits. Mais, dit saint Thomas d’Aquin, « il arrive que la prière faite pour autrui n’aboutisse pas [...] par suite d’un obstacle tenant à celui pour qui l’on prie [8] ». Cependant, si le pécheur lui-même se met à prier, en priant il lève l'obstacle à sa conversion. Il y a en effet « quatre conditions dont la réunion fait qu’on obtient à coup sûr ce qu’on demande : il faut demander pour soi, ce qui est nécessaire au salut éternel, et le faire avec piété et persévérance ». C’est donc l’oeuvre d’un apôtre particulièrement inspiré et surnaturel d’allier ainsi sa prédication avec la prière de celui qui est instruit.


Comment cette méthode de prédication fut-elle particulièrement appropriée pour détruire l’hérésie cathare ? Pour les cathares, le monde sensible et corporel était l’oeuvre du Mal ou du démon. Dieu n’avait donc pu assumer un corps humain dans le sein d’une Vierge et mourir sur une croix pour nous sauver. Ils niaient ainsi les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, blasphémaient contre la très sainte Vierge, et ne reconnaissaient pour seule prière que le Pater auquel ils vouaient un attachement superstitieux. Si l’absence de prédication catholique avait favorisé l’implantation du catharisme, la prédication populaire des mystères du Rosaire, jointe à la prière des Pater et des Ave, fut le remède radical à ce fléau. Une multitude de religieux sillonnaient le pays, joignant à leur parole l’exemple d’une vie pauvre. Au cours du XIIIe siècle, ce ne sont pas moins de 118 couvents de religieux mendiants (dominicains, franciscains, carmes, augustins, sachets [9]) qui sont fondés dans le Languedoc. Entre 1216 et 1295, on compte près de 1100 dominicains qui ont vécu dans cette région.

Cette union de la prière vocale avec la méditation des mystères du Christ et de Notre-Dame se répand alors dans la piété, et si vite qu’en 1236 par exemple, elle se trouve déjà mentionnée dans le livre du psautier mis entre les mains des béguines de Gand. Là encore, on ne trouve rien de semblable avant saint Dominique.


Comment donc ne pas accorder à saint Dominique l’institution du Rosaire, puisque les souverains pontifes la lui attribuent dans une unanimité qui ne s’est jamais démentie, et que les documents abondent qui prouvent l’apparition de cette dévotion à l’époque du saint et dans l’Ordre qu’il a fondé ?


Quant à la manière dont le Rosaire fut donné à ce grand saint, fut-ce selon les voies ordinaires de la grâce, c’est-à-dire par une simple inspiration ? Ne fut-ce pas plutôt sous la forme d’une vision céleste dont le saint aurait gardé le secret et pendant laquelle la Vierge Marie aurait instruit et consolé son disciple ? On ne peut rejeter cette dernière solution. Elle doit même avoir notre faveur parce qu’elle est une tradition vénérable, trop favorisée par l’Église, trop entrée dans la mémoire des fidèles, pour n’être qu’une pieuse légende.

Où cette révélation eut-elle lieu ? Les habitants de Toulouse la plaçaient dans la forêt de Bouconne, non loin de leur ville où saint Dominique fonda son premier couvent. L’Église du Puy dit que ce fut dans sa cathédrale. Le père Petitot, quant à lui, parle d’une tradition situant cet événement dans le sanctuaire de Prouille dans le Languedoc, aux pieds du village de Fanjeaux, là où saint Dominique fonda les moniales dominicaines contemplatives et d’où il dispersa ses premiers frères dans toute l’Europe le 15 août 1217.


Le rôle organisateur du bienheureux Alain de la Roche

Méthode

Au cours de la récitation du rosaire, on récite les prières suivantes:


Le rosaire débute par la prière du Credo, suivie par celle du Pater, suivie par trois Ave et un Gloria

Prières
Pater
3 Ave
Gloria


Ensuite, le rosaire continue par l'enchainement des trois séries des mystères joyeux, douloureux et glorieux. Si on ne récite qu'une seule série, on parle de chapelet plutôt que de rosaire. On choisit cette série en fonction du jour de la semaine.

Une série comprend cinq mystères, que l'on médite tout en récitant, pour chacun, un Pater, dix Ave, un Gloria et un Ô mon Jésus. On poura s'aider de ces informations pour méditer les mystères.


Prières Mystères joyeux
Lundi et Jeudi
Mystères douloureux
Mardi et Vendredi
Mystères glorieux
Mercredi, Samedi et Dimanche
Pater
10 Ave
Gloria
Ô mon Jésus
Incarnation Agonie de Jésus-Christ Résurrection
Pater
10 Ave
Gloria
Ô mon Jésus
Visitation Flagellation L'ascencion
Pater
10 Ave
Gloria
Ô mon Jésus
Nativité Couronnement d'épines Pentecôte
Pater
10 Ave
Gloria
Ô mon Jésus
Purification Portement de croix Assomption de Marie
Pater
10 Ave
Gloria
Ô mon Jésus
Recouvrement de Jésus-Christ Crucifixion Couronnement de Marie


Notes

  1. Père MORTIER O.P., Histoire abrégée de l’Ordre dominicain en France, Tours, Mame, 1920, Première période IV, p. 8.
  2. Père DANZAS O.P.,Études sur les temps primitifs de l’Ordre de Saint-Dominique, Paris, Oudin frères, 1877, t. 4, p. 402
  3. Père PETITOT O.P., Vie de saint Dominique, Saint-Maximin, Éditions de La Vie Spirituelle, 1925, chapitre IX, p. 187. Ce livre a été réédité par les Editions du Lion (1, rue Sala, 69002 Lyon) en 1996, sous le titre Dominique de Guzman, un saint pour le XXIe siècle
  4. Dominique apporte des roses [à Notre-Dame], il apparaît si humble lorsqu’il commence [à prier] ; Dominique fait des couronnes [chapelets], il apparaît aussitôt agile [à prier]
  5. Les catholiques n’auront que huit tués, et leurs ennemis 10 000 morts dont le roi d’Aragon lui-même.
  6. Un excellent livre sur cette question est sans conteste l’ouvrage de M. Dominique PALADILHE, Simon de Montfort et le drame cathare, Paris, Librairie Académique Perrin, 1988. Puisant aux meilleures sources, l’auteur nous révèle le vrai visage de Simon de Montfort, l’un des plus beaux exemples de chevalier chrétien au service de l’Église.
  7. Voir le texte des matines du bréviaire romain au 7 octobre (supra)
  8. II-II, q. 83, a. 7.
  9. Ordre mendiant fondé par un franciscain vers 1240


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