Différences entre les versions de « Garrigou-Lagrange, Réginald Fr., La Mère du Sauveur et notre vie intérieure »

De Christ-Roi
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===DEUXIÈME PARTIE - Marie, Mère de tous les hommes. Sa médiation universelle et notre vie intérieure===
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==DEUXIÈME PARTIE - Marie, Mère de tous les hommes. Sa médiation universelle et notre vie intérieure==
 
Après avoir considéré en la Sainte Vierge son plus grand titre de gloire, celui de ''Mère de Dieu'', et la pléni­tude de grâce qui lui a été accordée, ainsi que tous ses privilèges, pour qu'elle fût la digne Mère de Dieu, il fàut la considérer par rapport à nous.<br>
 
Après avoir considéré en la Sainte Vierge son plus grand titre de gloire, celui de ''Mère de Dieu'', et la pléni­tude de grâce qui lui a été accordée, ainsi que tous ses privilèges, pour qu'elle fût la digne Mère de Dieu, il fàut la considérer par rapport à nous.<br>
 
De ce point de vue, la Tradition attribue à Marie les titres de Mère du Rédempteur, de Mère de tous les hom­mes, de médiatrice à l'égard de tous ceux qui sont en voyage vers l'éternité, et de reine universelle à l'égard surtout des bienheureux.<br>
 
De ce point de vue, la Tradition attribue à Marie les titres de Mère du Rédempteur, de Mère de tous les hom­mes, de médiatrice à l'égard de tous ceux qui sont en voyage vers l'éternité, et de reine universelle à l'égard surtout des bienheureux.<br>
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Nous parlerons donc d'abord de ses titres de Mère du Rédempteur comme tel et de Mère de tous les hommes; puis de sa médiation universelle sur terre d'abord et ensuite au ciel; finalement de sa royauté universelle. Tous ces titres, mais surtout celui de Mère de Dieu, fon­dent le culte d'hyperdulie dont nous parlerons en der­nier lieu.<br>
 
Nous parlerons donc d'abord de ses titres de Mère du Rédempteur comme tel et de Mère de tous les hommes; puis de sa médiation universelle sur terre d'abord et ensuite au ciel; finalement de sa royauté universelle. Tous ces titres, mais surtout celui de Mère de Dieu, fon­dent le culte d'hyperdulie dont nous parlerons en der­nier lieu.<br>
 
En ces questions, comme dans les précédentes, nous ne cherchons pas les vues originales, particulières et capti­vantes de tel ou tel auteur; mais l'enseignement com­mun de l'Eglise, transmis par les Pères et expliqué par les théologiens. C'est seulement sur ce fondement certain qu'on peut bâtir; on ne commence pas une cathédrale par ses tours ou par ses flèches, mais par ses premières assises.<br>
 
En ces questions, comme dans les précédentes, nous ne cherchons pas les vues originales, particulières et capti­vantes de tel ou tel auteur; mais l'enseignement com­mun de l'Eglise, transmis par les Pères et expliqué par les théologiens. C'est seulement sur ce fondement certain qu'on peut bâtir; on ne commence pas une cathédrale par ses tours ou par ses flèches, mais par ses premières assises.<br>
Lu superficiellement, cet exposé peut dès lors paraître banal ou très élémentaire; mais c'est le cas de rappeler que les vérités philosophiques les plus élémentaires comme les principes de causalité et de finalité, et aussi les véri­tés religieuses les plus élémentaires, comme celles expri­mées par le Pater, apparaissent, lorsqu'on les scrute et lorsqu'on les met en pratique, comme les plus profondes et les plus vitales. Ici comme partout, nous devons aller du plus certain et du plus connu au moins connu, du facile au difficile; autrement, si l'on voulait aborder trop vite les choses difficiles sous une forme dramatique et captivante par ses antinomies, on finirait peut-être, comme il est arrivé ici à bien des protestants, par nier les plus faciles et les plus certaines. L'histoire de la théo­logie comme celle de la philosophie montre qu'il en a été souvent ainsi. Il faut remarquer aussi que si, dans les choses humaines, où le vrai et le faux, le bien et le mal sont mêlés, la simplicité reste superficielle et expose à l'erreur, dans les choses divines, au contraire, où il n'y a que du vrai et du bien, la simplicité s'unit parfaite­ment à la profondeur et à une grande élévation, et même elle seule peut conduire à cette élévation<ref> Sur les rapports de la Vierge Marie et de notre vie intérieure, voir le livre du P. M.-V. BERNARDOT, O. P., Notre-Dame dans ma vie, qui expose avec grande simplicité et onction tout ce qui touche à la piété mariale; l'auteur a eu le souci constant de fournir des règles de conduite simples et efficaces. Voir aussi aux mêmes éditions de la Vie Spirituelle : L'année mariale, du P. MORINEAU; Le Dieu de Marie dans le saint Rosaire, par le P. BOULENGER, O. P.; L'union mystique à Marie, par MARIE DE SAINTE-THERESE; La doctrine mariale du P Chaminade, par le P. E. NEUBERT, maria­niste.</ref>.<br>
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Lu superficiellement, cet exposé peut dès lors paraître banal ou très élémentaire; mais c'est le cas de rappeler que les vérités philosophiques les plus élémentaires comme les principes de causalité et de finalité, et aussi les véri­tés religieuses les plus élémentaires, comme celles expri­mées par le Pater, apparaissent, lorsqu'on les scrute et lorsqu'on les met en pratique, comme les plus profondes et les plus vitales. Ici comme partout, nous devons aller du plus certain et du plus connu au moins connu, du facile au difficile; autrement, si l'on voulait aborder trop vite les choses difficiles sous une forme dramatique et captivante par ses antinomies, on finirait peut-être, comme il est arrivé ici à bien des protestants, par nier les plus faciles et les plus certaines. L'histoire de la théo­logie comme celle de la philosophie montre qu'il en a été souvent ainsi. Il faut remarquer aussi que si, dans les choses humaines, où le vrai et le faux, le bien et le mal sont mêlés, la simplicité reste superficielle et expose à l'erreur, dans les choses divines, au contraire, où il n'y a que du vrai et du bien, la simplicité s'unit parfaite­ment à la profondeur et à une grande élévation, et même elle seule peut conduire à cette élévation<ref> Sur les rapports de la Vierge Marie et de notre vie intérieure, voir le livre du P. M.-V. BERNARDOT, O. P., Notre-Dame dans ma vie, qui expose avec grande simplicité et onction tout ce qui touche à la piété mariale; l'auteur a eu le souci constant de fournir des règles de conduite simples et efficaces. Voir aussi aux mêmes éditions de la Vie Spirituelle : L'année mariale, du P. MORINEAU; Le Dieu de Marie dans le saint Rosaire, par le P. BOULENGER, O. P.; L'union mystique à Marie, par MARIE DE SAINTE-THERESE; La doctrine mariale du P Chaminade, par le P. E. NEUBERT, maria­niste.</ref>.
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CHAPITRE PREMIER<br>
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<br>La Mère du Rédempteur<br>
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===CHAPITRE PREMIER - La Mère du Rédempteur et de tous les hommes===
et de tous les hommes<br>
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Ces deux titres sont évidemment, intimement connexes, le second dérive du premier. .II importe de les considérer l'un après l'autre.
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Ces deux titres sont évidemment, intimement connexes, le second dérive du premier. .II importe de les considérer l'un après l'autre.<br>
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====Article I - LA MÈRE DU SAUVEUR ASSOCIÉE A SON ŒUVRE RÉDEMPTRICE====
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Article I<br>
 
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LA MÈRE DU SAUVEUR<br>
 
ASSOCIÉE A SON ŒUVRE RÉDEMPTRICE<br>
 
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L'Eglise appelle Marie non seulement Mère de Dieu, mais aussi Mère du Sauveur. Dans les litanies de Lorette, par exemple, après les invocations ''Sancta Dei Genitrix'' et ''Mater Creatoris'', on lit ''Mater Salvatoris, ora pro nobis''.<br>
 
L'Eglise appelle Marie non seulement Mère de Dieu, mais aussi Mère du Sauveur. Dans les litanies de Lorette, par exemple, après les invocations ''Sancta Dei Genitrix'' et ''Mater Creatoris'', on lit ''Mater Salvatoris, ora pro nobis''.<br>
 
Il n'y a pas là, comme quelques-uns ont pu le pen­ser<ref> Le professeur BITTREMIEUX, De supremo principio Mariologiae in Eph. theol Lovan., 1931, bien qu'il ne nie pas que la Mariologie puisse en un sens se réduire à un seul principe, insiste surtout sur cette dualité. Voir en sens contraire MERKELBACH, Mariologia, pp. 91 ss.</ref>, nous le verrons mieux plus loin, une dualité qui diminuerait l'unité de la Mariologie dominée par deux principes distincts : « Mère de Dieu » et « Mère du Sau­veur, associée à son œuvre rédemptrice ». L'unité de la Mariologie est maintenue, parce que Marie est « Mère de Dieu Rédempteur ou Sauveur ». De même les deux mystères de l'Incarnation et de la Rédemption ne constituent pas une dualité qui diminuerait l'unité du traité du Christ ou de la christologie, car il s'agit de « l'Incarna­tion rédemptrice »; le motif de l'Incarnation est suffisam­ment indiqué dans le Credo où il est dit du Fils de Dieu qu'il est descendu du ciel pour notre salut : « Qui prop­ter nos homines et propter nostram salutem descendit de cœlis » (Symbole de Nicée-Constantinople).<br>
 
Il n'y a pas là, comme quelques-uns ont pu le pen­ser<ref> Le professeur BITTREMIEUX, De supremo principio Mariologiae in Eph. theol Lovan., 1931, bien qu'il ne nie pas que la Mariologie puisse en un sens se réduire à un seul principe, insiste surtout sur cette dualité. Voir en sens contraire MERKELBACH, Mariologia, pp. 91 ss.</ref>, nous le verrons mieux plus loin, une dualité qui diminuerait l'unité de la Mariologie dominée par deux principes distincts : « Mère de Dieu » et « Mère du Sau­veur, associée à son œuvre rédemptrice ». L'unité de la Mariologie est maintenue, parce que Marie est « Mère de Dieu Rédempteur ou Sauveur ». De même les deux mystères de l'Incarnation et de la Rédemption ne constituent pas une dualité qui diminuerait l'unité du traité du Christ ou de la christologie, car il s'agit de « l'Incarna­tion rédemptrice »; le motif de l'Incarnation est suffisam­ment indiqué dans le Credo où il est dit du Fils de Dieu qu'il est descendu du ciel pour notre salut : « Qui prop­ter nos homines et propter nostram salutem descendit de cœlis » (Symbole de Nicée-Constantinople).<br>
 
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Voyons comment Marie est devenue Mère du Sauveur par son consentement, et ensuite comment, en cette qua­lité de Mère du Sauveur, elle doit être associée à son œuvre rédemptrice.­<br>
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Voyons comment Marie est devenue Mère du Sauveur par son consentement, et ensuite comment, en cette qua­lité de Mère du Sauveur, elle doit être associée à son œuvre rédemptrice.­
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=====Marie est devenue Mère du Sauveur par son consentement=====<br>
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=====Marie est devenue Mère du Sauveur par son consentement=====
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Au jour de l'Annonciation la Sainte Vierge a donné son consentement à l'Incarnation rédemptrice, lorsque l'archange Gabriel (Luc, I, 31) lui dit : « Voici que vous concevrez en votre sein et que vous enfanterez un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus », qui veut dire sau­veur.<br>
 
Au jour de l'Annonciation la Sainte Vierge a donné son consentement à l'Incarnation rédemptrice, lorsque l'archange Gabriel (Luc, I, 31) lui dit : « Voici que vous concevrez en votre sein et que vous enfanterez un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus », qui veut dire sau­veur.<br>
 
Marie n'ignorait certes pas les prophéties messianiques, notamment celles d'Isaïe, qui annonçaient nettement les souffrances rédemptrices du Sauveur promis. En disant son ''fiat'', le jour de l'Annonciation, elle a généreusement accepté d'avance toutes les douleurs qu'entraîneraient pour son Fils et pour elle l'œuvre de la rédemption.<br>
 
Marie n'ignorait certes pas les prophéties messianiques, notamment celles d'Isaïe, qui annonçaient nettement les souffrances rédemptrices du Sauveur promis. En disant son ''fiat'', le jour de l'Annonciation, elle a généreusement accepté d'avance toutes les douleurs qu'entraîneraient pour son Fils et pour elle l'œuvre de la rédemption.<br>
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Toute la Tradition le reconnaît en l'appelant ''la Nou­velle Eve''. Elle ne peut l'être effectivement que si, par son consentement, elle est devenue Mère du Sauveur pour l'œuvre rédemptrice, comme Eve, en consentant à la ten­tation, porta le premier homme au péché qui lui fit per­dre et pour lui et pour nous la justice originelle.<br>
 
Toute la Tradition le reconnaît en l'appelant ''la Nou­velle Eve''. Elle ne peut l'être effectivement que si, par son consentement, elle est devenue Mère du Sauveur pour l'œuvre rédemptrice, comme Eve, en consentant à la ten­tation, porta le premier homme au péché qui lui fit per­dre et pour lui et pour nous la justice originelle.<br>
 
Des protestants ont objecté : les ascendants de la Sainte Vierge peuvent à ce compte être appelés père ou mère du Rédempteur et être dits « associés à son œuvre ré­demptrice ». - Il est facile de répondre que seule Marie a été éclairée pour consentir à devenir Mère du Sauveur et associée à son œuvre de salut; car ses ascendants ne savaient pas que le Messie naîtrait de leur propre famille.<br>
 
Des protestants ont objecté : les ascendants de la Sainte Vierge peuvent à ce compte être appelés père ou mère du Rédempteur et être dits « associés à son œuvre ré­demptrice ». - Il est facile de répondre que seule Marie a été éclairée pour consentir à devenir Mère du Sauveur et associée à son œuvre de salut; car ses ascendants ne savaient pas que le Messie naîtrait de leur propre famille.<br>
Sainte Anne ne pouvait prévoir que son enfant devien­drait un jour la Mère du Sauveur promis.<br>
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Sainte Anne ne pouvait prévoir que son enfant devien­drait un jour la Mère du Sauveur promis.
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Comment la Mère du Rédempteur doit-elle être associée à son œuvre?<br>
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=====Comment la Mère du Rédempteur doit-elle être associée à son œuvre&nbsp;?=====
 
D'après ce que les Pères de l'Eglise nous ont transmis sur Marie, nouvelle Eve, que beaucoup d'entre eux ont vue annoncée dans les paroles divines de la Genèse (III, 15) : « La postérité de la femme écrasera la tête du ser­pent », c'est une doctrine commune et certaine dans l'E­glise et même proche de la foi que la Sainte Vierge, Mère du Rédempteur, lui est associée dans l'œuvre rédemp­trice comme cause secondaire et subordonnée, ainsi qu'Eve fut associée à Adam dans l'œuvre déperdition<ref> Plusieurs Pères et ensuite bien des théologiens ont noté aussi que si Eve seule avait péché et non pas Adam, il n'y aurait pas eu de péché ori­ginel, et que de même si seule Marie, sans le Christ, avait donné le con­sentement dont nous parlons, il n'y aurait pas eu de rédemption.</ref>.<br>
 
D'après ce que les Pères de l'Eglise nous ont transmis sur Marie, nouvelle Eve, que beaucoup d'entre eux ont vue annoncée dans les paroles divines de la Genèse (III, 15) : « La postérité de la femme écrasera la tête du ser­pent », c'est une doctrine commune et certaine dans l'E­glise et même proche de la foi que la Sainte Vierge, Mère du Rédempteur, lui est associée dans l'œuvre rédemp­trice comme cause secondaire et subordonnée, ainsi qu'Eve fut associée à Adam dans l'œuvre déperdition<ref> Plusieurs Pères et ensuite bien des théologiens ont noté aussi que si Eve seule avait péché et non pas Adam, il n'y aurait pas eu de péché ori­ginel, et que de même si seule Marie, sans le Christ, avait donné le con­sentement dont nous parlons, il n'y aurait pas eu de rédemption.</ref>.<br>
 
Déjà, en effet, au II° siècle cette doctrine de Marie, nou­velle Eve, est universellement reçue, et les Pères qui l'ex­posent ne la donnent pas comme une spéculation person­nelle, mais comme la doctrine traditionnelle de l'Eglise qui s'appuie sur les paroles de saint Paul, où le Christ est appelé nouvel Adam, et opposé au premier, comme la cause du salut à celle de la chute (I Cor., XV, 45 sq.; Rom., V, 12 sq.; I Cor., XV, 20-23). Les Pères rapprochent de ces paroles de saint Paul le récit de la chute, la promesse de la rédemption, de la victoire sur le démon (Genèse, III, 15) et le récit de l'Annonciation (Luc, I, 26-38), où il est parlé du consentement de Marie à la réalisation du mystère de l'Incarnation rédemptrice. On peut donc et même on doit voir dans cette doctrine de Marie, nouvelle Eve, associée. à l'œuvre rédemptrice de son Fils une tradition divino­-apostolique<ref> Cf. MERKELBACH, Mariologia, pp. 74-89.</ref>.<br>
 
Déjà, en effet, au II° siècle cette doctrine de Marie, nou­velle Eve, est universellement reçue, et les Pères qui l'ex­posent ne la donnent pas comme une spéculation person­nelle, mais comme la doctrine traditionnelle de l'Eglise qui s'appuie sur les paroles de saint Paul, où le Christ est appelé nouvel Adam, et opposé au premier, comme la cause du salut à celle de la chute (I Cor., XV, 45 sq.; Rom., V, 12 sq.; I Cor., XV, 20-23). Les Pères rapprochent de ces paroles de saint Paul le récit de la chute, la promesse de la rédemption, de la victoire sur le démon (Genèse, III, 15) et le récit de l'Annonciation (Luc, I, 26-38), où il est parlé du consentement de Marie à la réalisation du mystère de l'Incarnation rédemptrice. On peut donc et même on doit voir dans cette doctrine de Marie, nouvelle Eve, associée. à l'œuvre rédemptrice de son Fils une tradition divino­-apostolique<ref> Cf. MERKELBACH, Mariologia, pp. 74-89.</ref>.<br>
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On voit ainsi que l'unité de la Mariologie n'est pas di­minuée comme si elle était dominée par deux principes (Mère de Dieu et Corédemptrice) et non par un seul. Le principe qui la domine est celui-ci : ''Marie est Mère du Dieu Rédempteur ''et par là même associée à son œuvre. De même les deux mystères de l'Incarnation et de la Ré­demption ne constituent pas une dualité qui diminuerait l'unité de la Christologie, car ils s'unissent dans l'Incar­nation rédemptrice; leur union est exprimée dans le Credo lui-même en ces termes : « Filius Dei qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de caelis, et ''incarnatus'' est » (Symbole de Nicée-Constantinople).<br>
 
On voit ainsi que l'unité de la Mariologie n'est pas di­minuée comme si elle était dominée par deux principes (Mère de Dieu et Corédemptrice) et non par un seul. Le principe qui la domine est celui-ci : ''Marie est Mère du Dieu Rédempteur ''et par là même associée à son œuvre. De même les deux mystères de l'Incarnation et de la Ré­demption ne constituent pas une dualité qui diminuerait l'unité de la Christologie, car ils s'unissent dans l'Incar­nation rédemptrice; leur union est exprimée dans le Credo lui-même en ces termes : « Filius Dei qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de caelis, et ''incarnatus'' est » (Symbole de Nicée-Constantinople).<br>
De plus comme en Jésus-Christ la Filiation divine na­turelle ou la grâce d'union hypostatique est supérieure à la plénitude de grâce habituelle et à notre rédemption, de même en Marie la maternité divine reste supérieure à la plénitude de gràce qui déborde sur nous, comme il a été montré au chapitre premier de cet ouvrage. L'unité du savoir théologique contribue à sa certitude, ce savoir ne peut être dominé par des premiers principes coordonnés, mais par des principes subordonnés. II en est ainsi de cha­cun de ses traités, qui se subordonnent eux-mêmes dans l'ensemble à une vérité suprême.<br>
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De plus comme en Jésus-Christ la Filiation divine na­turelle ou la grâce d'union hypostatique est supérieure à la plénitude de grâce habituelle et à notre rédemption, de même en Marie la maternité divine reste supérieure à la plénitude de gràce qui déborde sur nous, comme il a été montré au chapitre premier de cet ouvrage. L'unité du savoir théologique contribue à sa certitude, ce savoir ne peut être dominé par des premiers principes coordonnés, mais par des principes subordonnés. II en est ainsi de cha­cun de ses traités, qui se subordonnent eux-mêmes dans l'ensemble à une vérité suprême.
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Article II<br>
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LA MÈRE DE TOUS LES HOMMES<br>
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====Article II - LA MÈRE DE TOUS LES HOMMES====
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Marie a reçu, selon la Tradition, non seulement le titre de nouvelle Eve, mais celui de Mère de la divine grâce, Mère, aimable, Mère admirable, comme le disent ses lita­nies, et encore Mère de Miséricorde; les Pères ont dit souvent Mère de tous les chrétiens et même de tous les hommes. En quel sens faut-il entendre cette maternité ? Quand Marie est-elle devenue notre Mère ? Comment sa maternité s'étend-t-elle à tous les fidèles, même s'ils ne sont pas en état de grâce, et comment à tous les hommes, même s'ils n'ont pas la foi ? Ce sont les questions qu'il convient ici d'examiner.
Marie a reçu, selon la Tradition, non seulement le titre de nouvelle Eve, mais celui de Mère de la divine grâce, Mère, aimable, Mère admirable, comme le disent ses lita­nies, et encore Mère de Miséricorde; les Pères ont dit souvent Mère de tous les chrétiens et même de tous les hommes. En quel sens faut-il entendre cette maternité ? Quand Marie est-elle devenue notre Mère ? Comment sa maternité s'étend-t-elle à tous les fidèles, même s'ils ne sont pas en état de grâce, et comment à tous les hommes, même s'ils n'ont pas la foi ? Ce sont les questions qu'il convient ici d'examiner.<br>
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=====En quel sens Marie est-elle notre Mère ?=====
=====En quel sens Marie est-elle notre Mère ?=====<br>
 
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Elle ne l'est évidemment pas au point de vue naturel, puisqu'elle ne nous a pas donné la vie naturelle. A ce point de vue, c'est Eve qui mérite d'être appelée mère de tous les hommes, qui descendent d'elle par les générations successives.<br>
 
Elle ne l'est évidemment pas au point de vue naturel, puisqu'elle ne nous a pas donné la vie naturelle. A ce point de vue, c'est Eve qui mérite d'être appelée mère de tous les hommes, qui descendent d'elle par les générations successives.<br>
 
Mais Marie est notre Mère spirituelle et adoptive, en ce sens que, par son union au Christ rédempteur, elle nous a communiqué la vie surnaturelle de la grâce. De ce point de vue, elle est beaucoup plus que notre sœur, et l'on doit dire, par analogie avec la vie naturelle, qu'elle nous a enfantés à la vie divine.<br>
 
Mais Marie est notre Mère spirituelle et adoptive, en ce sens que, par son union au Christ rédempteur, elle nous a communiqué la vie surnaturelle de la grâce. De ce point de vue, elle est beaucoup plus que notre sœur, et l'on doit dire, par analogie avec la vie naturelle, qu'elle nous a enfantés à la vie divine.<br>
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C'est une maternité adoptive, comme la paternité spi­rituelle de Dieu à l'égard des justes, mais cette adoption est beaucoup plus intime et féconde que l'adoption hu­maine par laquelle un riche sans postérité déclare consi­dérer un pauvre orphelin comme son fils et son héritier. Cette déclaration reste d'ordre juridique et bien qu'elle soit le signe de l'affection de celui qui adopte, elle ne pro­duit rien dans l'âme de l'enfant adopté. Au contraire, la paternité adoptive de Dieu à l'égard du juste, produit dans l'âme de celui-ci la grâce sanctifiante, participation de la nature divine, ou de la vie intime de Dieu et germe de la vie éternelle, germe par lequel le juste est agréable aux yeux de Dieu comme un fils appelé à le voir immédia­tement et à l'aimer éternellement. En ce sens, il est dit dans, le Prologue de saint Jean (I, 12), que ceux qui croient au Fils de Dieu fait homme sont « nés non pas de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu ». Cela nous montre la fécondité de la paternité spirituelle; à cette fécondité participe la mater­nité spirituelle et adoptive de Marie, car en union ayec le Christ rédempteur elle nous a vraiment, réellement com­muniqué la vie de la gràce, germe de la vie éternelle. Elle peut donc et doit être appelée ''Mater gratiae, Mater mise­ricordiae''. C'est ce qu'ont voulu dire les Pères qui l'appel­lent la nouvelle Eve, et disent qu'elle a volontairement coopéré à notre salut, comme Eve à notre déchéance.<br>
 
C'est une maternité adoptive, comme la paternité spi­rituelle de Dieu à l'égard des justes, mais cette adoption est beaucoup plus intime et féconde que l'adoption hu­maine par laquelle un riche sans postérité déclare consi­dérer un pauvre orphelin comme son fils et son héritier. Cette déclaration reste d'ordre juridique et bien qu'elle soit le signe de l'affection de celui qui adopte, elle ne pro­duit rien dans l'âme de l'enfant adopté. Au contraire, la paternité adoptive de Dieu à l'égard du juste, produit dans l'âme de celui-ci la grâce sanctifiante, participation de la nature divine, ou de la vie intime de Dieu et germe de la vie éternelle, germe par lequel le juste est agréable aux yeux de Dieu comme un fils appelé à le voir immédia­tement et à l'aimer éternellement. En ce sens, il est dit dans, le Prologue de saint Jean (I, 12), que ceux qui croient au Fils de Dieu fait homme sont « nés non pas de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu ». Cela nous montre la fécondité de la paternité spirituelle; à cette fécondité participe la mater­nité spirituelle et adoptive de Marie, car en union ayec le Christ rédempteur elle nous a vraiment, réellement com­muniqué la vie de la gràce, germe de la vie éternelle. Elle peut donc et doit être appelée ''Mater gratiae, Mater mise­ricordiae''. C'est ce qu'ont voulu dire les Pères qui l'appel­lent la nouvelle Eve, et disent qu'elle a volontairement coopéré à notre salut, comme Eve à notre déchéance.<br>
 
Cet enseignement est celui de la prédication univer­selle depuis le II° siècle, il se trouve chez saint Justin, saint Irénée, Tertullien, saint Cyrille de Jérusalem, saint Epiphane, saint Jean Chrysostome, saint Pruclus, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin, là où ils ont parlé de la nouvelle Eve dans les textes cités à l'article précédent. Cette doctrine est particulièrement développée au IV° siècle par saint Ephrem, qui appelle, Marie la « Mère de la vie et du salut, la Mère des vivants, et de tous les hommes », parce qu'elle nous a donné le Sauveur et s'est unie à lui au Calvaire<ref> Opera S. Ephraem Syr., ed. Assemani, t. II, syr. lat., pp. 324, 327; III, 607.</ref>. Parlent de même saint Germain de Constantinople<ref> Sermo in Dorm. Deip., 2 et 5.</ref>, saint Pierre Chysolo­gue<ref> Serm. 140 et 142.</ref>, Eadmer<ref> De Exc. V. M., c. 11, 5.</ref>, saint Bernard<ref> Serm. de Aquaed., n.4 sq.</ref>, Richard de Saint-­Laurent<ref> De Laud. B. M. V., 1. VI. c. I, n. 12; l. IV, c. 14, n.1.</ref>, saint Albert le Grand, qui appellent Marie : ''Mater misericordiae, Mater regenerationis, totius humani generis mater spiritualis<ref> Mariale, q. 29, n. 3; q. 42,43</ref>''; de même saint Bonaven­ture<ref> Serm. VI in Ass. B. M. V., et I Sent., d. 48,, a. 2, q..2, dub. 4.</ref>.<br>
 
Cet enseignement est celui de la prédication univer­selle depuis le II° siècle, il se trouve chez saint Justin, saint Irénée, Tertullien, saint Cyrille de Jérusalem, saint Epiphane, saint Jean Chrysostome, saint Pruclus, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin, là où ils ont parlé de la nouvelle Eve dans les textes cités à l'article précédent. Cette doctrine est particulièrement développée au IV° siècle par saint Ephrem, qui appelle, Marie la « Mère de la vie et du salut, la Mère des vivants, et de tous les hommes », parce qu'elle nous a donné le Sauveur et s'est unie à lui au Calvaire<ref> Opera S. Ephraem Syr., ed. Assemani, t. II, syr. lat., pp. 324, 327; III, 607.</ref>. Parlent de même saint Germain de Constantinople<ref> Sermo in Dorm. Deip., 2 et 5.</ref>, saint Pierre Chysolo­gue<ref> Serm. 140 et 142.</ref>, Eadmer<ref> De Exc. V. M., c. 11, 5.</ref>, saint Bernard<ref> Serm. de Aquaed., n.4 sq.</ref>, Richard de Saint-­Laurent<ref> De Laud. B. M. V., 1. VI. c. I, n. 12; l. IV, c. 14, n.1.</ref>, saint Albert le Grand, qui appellent Marie : ''Mater misericordiae, Mater regenerationis, totius humani generis mater spiritualis<ref> Mariale, q. 29, n. 3; q. 42,43</ref>''; de même saint Bonaven­ture<ref> Serm. VI in Ass. B. M. V., et I Sent., d. 48,, a. 2, q..2, dub. 4.</ref>.<br>
La liturgie dit tous les jours : « ''Salve Regina, Mater misericordiae...; Monstra te esse Matrem...; Salve Mater misericordiae, Mater Dei et Mater veniae, Mater spei et Mater gratiae.'' »<br>
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La liturgie dit tous les jours : « ''Salve Regina, Mater misericordiae...; Monstra te esse Matrem...; Salve Mater misericordiae, Mater Dei et Mater veniae, Mater spei et Mater gratiae.'' »
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=====Quand Marie est-elle devenue notre Mère ?=====<br>
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=====Quand Marie est-elle devenue notre Mère ?=====
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Selon les témoignages que nous venons de citer, elle l'est devenue en consentant librement à être la Mère du Sauveur, auteur de la grâce, qui nous a régénérés spiri­tuellement. A ce moment elle nous a spirituellement con­çus, si bien qu'elle aurait été notre Mère adoptive de ce fait, même si elle était morte avant son Fils.<br>
 
Selon les témoignages que nous venons de citer, elle l'est devenue en consentant librement à être la Mère du Sauveur, auteur de la grâce, qui nous a régénérés spiri­tuellement. A ce moment elle nous a spirituellement con­çus, si bien qu'elle aurait été notre Mère adoptive de ce fait, même si elle était morte avant son Fils.<br>
 
Lorsque ensuite Jésus a consommé son œuvre rédemp­trice par le sacrifice de la croix, Marie, en s'unissant à ce sacrifice, par le plus grand acte de foi, de confiance et d'amour de Dieu et des âmes, est devenue plus parfaite­ment notre Mère, par une coopération plus directe, plus intime et plus profonde à notre salut.<br>
 
Lorsque ensuite Jésus a consommé son œuvre rédemp­trice par le sacrifice de la croix, Marie, en s'unissant à ce sacrifice, par le plus grand acte de foi, de confiance et d'amour de Dieu et des âmes, est devenue plus parfaite­ment notre Mère, par une coopération plus directe, plus intime et plus profonde à notre salut.<br>
 
De plus c'est à ce moment qu'elle a été proclamée notre Mère par Notre-Seigneur, lorsqu'il lui dit en parlant de saint Jean qui personnifiait tous ceux qui devaient être rachetés par son sang : « Femme, voici votre fils », et à Jean : « Voici votre mère » (Joan., XIX, 26, 27). C'est ainsi que la Tradition a entendu ces paroles, car à ce moment devant tant de témoins le Sauveur de tous les hommes n'accordait pas seulement une grâce particulière à saint Jean, mais il considérait en lui tous ceux qui devaient être régénérés par le sacrifice de la croix<ref> Cette explication, suggérée par Origène au III° siècle, Praef. in Joan., I, 6, est explicitement proposée par beaucoup d'auteurs, surtout depuis XII° siècle; Cf. RUPERT, in Joan., lect. 13; saint ALBERT LE GRAND, Mariale, q. 29, 3; Serm. de Sanctis, 53; dès lors elle devient commune, et elle est reconnue par les Papes comme la croyance générale de l'Eglise, sf. BENOIT XIV, bulle Gloriosae Dominae, 27 sept, 1748, GREGOIRE XVI, bulle Pracstantissimum; LEON XIII, enc. Octobri mense, 22 sept. 1891; Adjutricem, 5 sept. 1895; Augustissimae Virginis, 12 sept. 1897; PIE X, Ad diem illum, 2 février 1904; BENOIT XV, Inter sodalicia, 22 mars 1918; PIE XI, Explorata res, 2 février 1923.</ref>.<br>
 
De plus c'est à ce moment qu'elle a été proclamée notre Mère par Notre-Seigneur, lorsqu'il lui dit en parlant de saint Jean qui personnifiait tous ceux qui devaient être rachetés par son sang : « Femme, voici votre fils », et à Jean : « Voici votre mère » (Joan., XIX, 26, 27). C'est ainsi que la Tradition a entendu ces paroles, car à ce moment devant tant de témoins le Sauveur de tous les hommes n'accordait pas seulement une grâce particulière à saint Jean, mais il considérait en lui tous ceux qui devaient être régénérés par le sacrifice de la croix<ref> Cette explication, suggérée par Origène au III° siècle, Praef. in Joan., I, 6, est explicitement proposée par beaucoup d'auteurs, surtout depuis XII° siècle; Cf. RUPERT, in Joan., lect. 13; saint ALBERT LE GRAND, Mariale, q. 29, 3; Serm. de Sanctis, 53; dès lors elle devient commune, et elle est reconnue par les Papes comme la croyance générale de l'Eglise, sf. BENOIT XIV, bulle Gloriosae Dominae, 27 sept, 1748, GREGOIRE XVI, bulle Pracstantissimum; LEON XIII, enc. Octobri mense, 22 sept. 1891; Adjutricem, 5 sept. 1895; Augustissimae Virginis, 12 sept. 1897; PIE X, Ad diem illum, 2 février 1904; BENOIT XV, Inter sodalicia, 22 mars 1918; PIE XI, Explorata res, 2 février 1923.</ref>.<br>
 
Ces paroles de Jésus mourant, comme des paroles sacra­mentelles, produisirent ce qu'elles signifiaient : en l'âme de Marie une grande augmentation de charité ou d'amour maternel pour nous; en l'âme de Jean une affection filiale profonde, pleine de respect pour la Mère de Dieu. C'est l'origine de la grande dévotion à Marie.<br>
 
Ces paroles de Jésus mourant, comme des paroles sacra­mentelles, produisirent ce qu'elles signifiaient : en l'âme de Marie une grande augmentation de charité ou d'amour maternel pour nous; en l'âme de Jean une affection filiale profonde, pleine de respect pour la Mère de Dieu. C'est l'origine de la grande dévotion à Marie.<br>
Enfin la Sainte Vierge continue à exercer sa fonction de Mère à notre égard, en veillant sur nous pour que nous, grandissions dans la charité et y persévérions, en intercé­dant pour nous et en nous distribuant toutes les grâces que nous recevons.<br>
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Enfin la Sainte Vierge continue à exercer sa fonction de Mère à notre égard, en veillant sur nous pour que nous, grandissions dans la charité et y persévérions, en intercé­dant pour nous et en nous distribuant toutes les grâces que nous recevons.
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=====Quelle est l'extension de sa maternité ?=====<br>
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=====Quelle est l'extension de sa maternité ?=====
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Elle est d'abord Mère des fidèles, de tous ceux qui croient en son Fils et reçoivent par lui la vie de la grâce. Mais elle est aussi Mère de tous les hommes, en tant qu'elle nous a donné le Sauveur de tous et qu'elle s'est unie à l'oblation de son Fils qui versait son sang pour tous. C'est ce qu'affirment Léon XIII, Benoit XV et Pie XI<ref> Léon XIII appelle Marie mère, non seulement des chrétiens, mais du genre humain, enc. Octobri mense, 22 sept 1891; ep. Amantissimae voluntatis, 14 avril 1895; enc. Adjutricem populi, 25 sept. 1895. Benoit XV l'appelle Mère de tous les hommes, litt. ap. Inter sodalicia, 22 mars 1918; de même Pie XI, litt. ap. Explorata res, 2 février 1923; enc. Rerum Eccle­siae, 21 février 1926.</ref>.<br>
 
Elle est d'abord Mère des fidèles, de tous ceux qui croient en son Fils et reçoivent par lui la vie de la grâce. Mais elle est aussi Mère de tous les hommes, en tant qu'elle nous a donné le Sauveur de tous et qu'elle s'est unie à l'oblation de son Fils qui versait son sang pour tous. C'est ce qu'affirment Léon XIII, Benoit XV et Pie XI<ref> Léon XIII appelle Marie mère, non seulement des chrétiens, mais du genre humain, enc. Octobri mense, 22 sept 1891; ep. Amantissimae voluntatis, 14 avril 1895; enc. Adjutricem populi, 25 sept. 1895. Benoit XV l'appelle Mère de tous les hommes, litt. ap. Inter sodalicia, 22 mars 1918; de même Pie XI, litt. ap. Explorata res, 2 février 1923; enc. Rerum Eccle­siae, 21 février 1926.</ref>.<br>
 
De plus, elle n'est pas seulement Mère des hommes en général, comme on petit le dire d'Eve au point de vite naturel, mais elle est Mère de chacun d'eux en particulier, car elle intercède pour chacun, et obtient les grâces que chacun de nous reçoit au cours des générations humaines. Jésus dit de lui qu'il est le bon pasteur « qui appelle ses brebis chacune par son nom, ''nominatim ''» (Jean, X, 3); il y a quelque chose de semblable pour Marie, mère spiri­tuelle de chaque homme en particulier.<br>
 
De plus, elle n'est pas seulement Mère des hommes en général, comme on petit le dire d'Eve au point de vite naturel, mais elle est Mère de chacun d'eux en particulier, car elle intercède pour chacun, et obtient les grâces que chacun de nous reçoit au cours des générations humaines. Jésus dit de lui qu'il est le bon pasteur « qui appelle ses brebis chacune par son nom, ''nominatim ''» (Jean, X, 3); il y a quelque chose de semblable pour Marie, mère spiri­tuelle de chaque homme en particulier.<br>
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« Qu'il y a de différence entre une âme formée en Jésus-­Christ par les voies ordinaires de ceux qui, comme les sculpteurs, se fient en leur savoir-faire et s'appuient sur leur industrie, et une âme bien maniable, bien déliée, bien fondue, et qui, sans aucun appui sur elle-même, se jette en Marie et s'y laisse manier à l'opération du Saint-­Esprit ! Qu'il y a de taches, qu'il y a de défauts, qu'il y a de ténèbres, qu'il y a d'illusions, qu'il y a de naturel, qu'il y a d'humain dans la première âme et que la seconde est pure, divine et semblable à Jésus-Christ...<br>
 
« Qu'il y a de différence entre une âme formée en Jésus-­Christ par les voies ordinaires de ceux qui, comme les sculpteurs, se fient en leur savoir-faire et s'appuient sur leur industrie, et une âme bien maniable, bien déliée, bien fondue, et qui, sans aucun appui sur elle-même, se jette en Marie et s'y laisse manier à l'opération du Saint-­Esprit ! Qu'il y a de taches, qu'il y a de défauts, qu'il y a de ténèbres, qu'il y a d'illusions, qu'il y a de naturel, qu'il y a d'humain dans la première âme et que la seconde est pure, divine et semblable à Jésus-Christ...<br>
 
« Heureuse et mille fois heureuse est l'âme, ici-bas, à qui le Saint-Esprit révèle le secret de Marie, pour le con­naître, et à qui il ouvre ce jardin clos, pour y entrer; cette fontaine scellée pour y puiser et y boire à longs traits les eaux vives de la grâce ! Cette âme ne trouvera que Dieu seul, sans créature, dans cette aimable créa­ture ; mais Dieu en même temps infiniment saint et infi­niment condescendant et proportionné à sa faiblesse… C'est Dieu seul qui vit en elle, et tant s'en faut qu'elle arrête une âme à elle-même, au contraire elle la jette en Dieu et l'unit à lui. »<br>
 
« Heureuse et mille fois heureuse est l'âme, ici-bas, à qui le Saint-Esprit révèle le secret de Marie, pour le con­naître, et à qui il ouvre ce jardin clos, pour y entrer; cette fontaine scellée pour y puiser et y boire à longs traits les eaux vives de la grâce ! Cette âme ne trouvera que Dieu seul, sans créature, dans cette aimable créa­ture ; mais Dieu en même temps infiniment saint et infi­niment condescendant et proportionné à sa faiblesse… C'est Dieu seul qui vit en elle, et tant s'en faut qu'elle arrête une âme à elle-même, au contraire elle la jette en Dieu et l'unit à lui. »<br>
Ainsi la doctrine chrétienne sur Marie devient, avec le B<sup>x</sup> de Montfort, l'objet d'une foi pénétrante et savoureuse, d'une contemplation qui porte elle-même à une vraie et forte charité.<br>
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Ainsi la doctrine chrétienne sur Marie devient, avec le B<sup>x</sup> de Montfort, l'objet d'une foi pénétrante et savoureuse, d'une contemplation qui porte elle-même à une vraie et forte charité.
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=====Marie, cause exemplaire des élus=====<br>
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=====Marie, cause exemplaire des élus=====
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Le Christ est notre modèle, sa prédestination à la filia­tion divine naturelle est la cause exemplaire de notre prédestination à la filiation adoptrice, car « Dieu nous a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils pour que celui-ci soit le premier-né entre plusieurs frè­res » (Rom., VIII, 29). De même Marie, notre Mère, asso­ciée à son Fils, est la cause exemplaire de la vie des élus, c'est en ce sens que saint Augustin et le B<sup>x</sup> de Montfort après lui disent qu'elle est le moule ou le modèle à l'image duquel Dieu forme les élus. Il faut être marqué de son sceau et reproduire ses traits pour avoir place parmi les bien-aimés du Seigneur; c'est pourquoi les théologiens enseignent communément qu'une vraie dévotion à Marie est un des signes de prédestination. Le B<sup>x</sup> Hugues de Saint-Cher dit même que Marie est comme le livre de vie<ref> Comm. in Eccles., XXIV.</ref>, ou le reflet de ce livre éternel; car Dieu a gravé en elle le nom des élus, comme il a voulu former en elle et par elle le Christ son premier élu.<br>
 
Le Christ est notre modèle, sa prédestination à la filia­tion divine naturelle est la cause exemplaire de notre prédestination à la filiation adoptrice, car « Dieu nous a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils pour que celui-ci soit le premier-né entre plusieurs frè­res » (Rom., VIII, 29). De même Marie, notre Mère, asso­ciée à son Fils, est la cause exemplaire de la vie des élus, c'est en ce sens que saint Augustin et le B<sup>x</sup> de Montfort après lui disent qu'elle est le moule ou le modèle à l'image duquel Dieu forme les élus. Il faut être marqué de son sceau et reproduire ses traits pour avoir place parmi les bien-aimés du Seigneur; c'est pourquoi les théologiens enseignent communément qu'une vraie dévotion à Marie est un des signes de prédestination. Le B<sup>x</sup> Hugues de Saint-Cher dit même que Marie est comme le livre de vie<ref> Comm. in Eccles., XXIV.</ref>, ou le reflet de ce livre éternel; car Dieu a gravé en elle le nom des élus, comme il a voulu former en elle et par elle le Christ son premier élu.<br>
 
Le B<sup>x</sup> Grignion de Montfort<ref> Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch. I, a. 1, § 2.</ref> écrit : « Dieu le Fils dit à sa Mère : In Israel hereditare... (Eccli., XXIV, 8). Ayez Israël pour héritage. C'est comme s'il lui disait : Dieu mon Père m'a donné pour héritage toutes les nations de la terre, tous les hommes bons et mauvais, prédestinés et réprouvés; je conduirai les uns par la verge d'or et les autres par la verge de fer; je serai le père et l'avocat des uns, le juste vengeur à l'égard des autres, et le juge de tous; mais pour vous, ma chère Mère, vous n'aurez pour votre héritage et possession que les prédestinés, figurés par Israël, et, comme leur bonne mère, vous les enfante­rez, nourrirez, élèverez; et, comme leur souveraine, vous les conduirez, gouvernerez et défendrez. »<br>
 
Le B<sup>x</sup> Grignion de Montfort<ref> Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch. I, a. 1, § 2.</ref> écrit : « Dieu le Fils dit à sa Mère : In Israel hereditare... (Eccli., XXIV, 8). Ayez Israël pour héritage. C'est comme s'il lui disait : Dieu mon Père m'a donné pour héritage toutes les nations de la terre, tous les hommes bons et mauvais, prédestinés et réprouvés; je conduirai les uns par la verge d'or et les autres par la verge de fer; je serai le père et l'avocat des uns, le juste vengeur à l'égard des autres, et le juge de tous; mais pour vous, ma chère Mère, vous n'aurez pour votre héritage et possession que les prédestinés, figurés par Israël, et, comme leur bonne mère, vous les enfante­rez, nourrirez, élèverez; et, comme leur souveraine, vous les conduirez, gouvernerez et défendrez. »<br>
 
C'est en ce sens qu'il faut entendre ce que dit le même auteur un peu plus loin<ref> Ibid., § II.</ref> pour montrer que Marie, ainsi que Jésus, choisit toujours conformément au bon plaisir divin qui inspire leur choix : « Le Très-Haut l'a faite l'unique trésorière de ses trésors et l'unique dis­pensatrice de ses grâces, pour anoblir, élever et enri­chir qui elle veut, pour faire entrer qui elle veut dans la voie étroite du ciel, pour faire passer malgré tout qui elle veut par la porte étroite de la vie, et pour donner le trône, le sceptre et la couronne de roi à qui elle veut... C'est Marie seule à qui Dieu a donné les clefs des cel­liers<ref> Cant. des cant., I, 3.</ref> du divin amour, et le pouvoir d'entrer dans les voies les plus sublimes et les plus secrètes de la perfection et d'y faire entrer les autres. »<br>
 
C'est en ce sens qu'il faut entendre ce que dit le même auteur un peu plus loin<ref> Ibid., § II.</ref> pour montrer que Marie, ainsi que Jésus, choisit toujours conformément au bon plaisir divin qui inspire leur choix : « Le Très-Haut l'a faite l'unique trésorière de ses trésors et l'unique dis­pensatrice de ses grâces, pour anoblir, élever et enri­chir qui elle veut, pour faire entrer qui elle veut dans la voie étroite du ciel, pour faire passer malgré tout qui elle veut par la porte étroite de la vie, et pour donner le trône, le sceptre et la couronne de roi à qui elle veut... C'est Marie seule à qui Dieu a donné les clefs des cel­liers<ref> Cant. des cant., I, 3.</ref> du divin amour, et le pouvoir d'entrer dans les voies les plus sublimes et les plus secrètes de la perfection et d'y faire entrer les autres. »<br>
 
Nous voyons en cela toute l'extension de la maternité spirituelle, par laquelle elle forme les élus et les conduit au terme de leur destinée.<br>
 
Nous voyons en cela toute l'extension de la maternité spirituelle, par laquelle elle forme les élus et les conduit au terme de leur destinée.<br>
Nous verrons d'abord en quoi consiste cette médiation en général, quels sont ses principaux caractères, puis comme elle s'est exercée pendant la vie terrestre de Marie de deux façons, par le mérite et la satisfaction.<br>
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Nous verrons d'abord en quoi consiste cette médiation en général, quels sont ses principaux caractères, puis comme elle s'est exercée pendant la vie terrestre de Marie de deux façons, par le mérite et la satisfaction.
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CHAPITRE II<br>
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===CHAPITRE II - La médiation universelle de Marie pendant sa vie terrestre===
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Nous verrons d'abord en quoi consiste cette médiation en général, quels sont les principaux caractères, puis comme elle s'est exercée pendant la vie terrestre de Marie de deux façons, par le mérite et la satisfaction.
La médiation universelle de Marie<br>
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pendant sa vie terrestre<br>
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====Article I - LA MÉDIATION UNIVERSELLE DE MARIE EN GÉNÉRAL====
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Nous verrons d'abord en quoi consiste cette médiation en général, quels sont les principaux caractères, puis comme elle s'est exercée pendant la vie terrestre de Marie de deux façons, par le mérite et la satisfaction.<br>
 
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Article I<br>
 
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LA MÉDIATION UNIVERSELLE DE MARIE EN GÉNÉRAL<br>
 
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L'Eglise a approuvé sous Benoît XV, le 21 janvier 1921, l'office et la messe propres de Marie médiatrice de toutes les grâces<ref> Voir le décret du 21 janvier 1921 de la Sacrée Congrégation des Rites : « De festo Beatae Mariae Virginis Mediatricis omnium gratiarum. »</ref>, et beaucoup de théologiens considèrent cette doctrine comme suffisamment contenue dans le dé­pôt de la Révélation pour être un jour solennellement pro­posée comme objet de foi par l'Eglise infaillible ; elle est enseignée de fait par le magistère ordinaire qui se mani­feste par la liturgie, les encycliques, les lettres des évê­ques, la prédication universelle et les ouvrages de théolo­giens approuvés par l'Eglise.<br>
 
L'Eglise a approuvé sous Benoît XV, le 21 janvier 1921, l'office et la messe propres de Marie médiatrice de toutes les grâces<ref> Voir le décret du 21 janvier 1921 de la Sacrée Congrégation des Rites : « De festo Beatae Mariae Virginis Mediatricis omnium gratiarum. »</ref>, et beaucoup de théologiens considèrent cette doctrine comme suffisamment contenue dans le dé­pôt de la Révélation pour être un jour solennellement pro­posée comme objet de foi par l'Eglise infaillible ; elle est enseignée de fait par le magistère ordinaire qui se mani­feste par la liturgie, les encycliques, les lettres des évê­ques, la prédication universelle et les ouvrages de théolo­giens approuvés par l'Eglise.<br>
Voyons ce qu'il faut entendre par cette médiation, puis comment elle est affirmée par la Tradition et établie par la raison théologique.<br>
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Voyons ce qu'il faut entendre par cette médiation, puis comment elle est affirmée par la Tradition et établie par la raison théologique.
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=====Que faut-il entendre par cette médiation?=====<br>
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=====Que faut-il entendre par cette médiation ?=====
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Saint Thomas nous dit en parlant de la médiation du Sauveur (III<sup>a</sup>, q. 26, a. 1) : « A l'office de médiateur entre Dieu et les hommes, il appartient de les unir. » C'est-à­-dire, comme il est expliqué au même endroit (a. 2), le mé­diateur doit offrir à Dieu les prières des hommes et sur­tout le sacrifice, acte principal de la vertu de religion, et il doit aussi distribuer aux hommes les dons de Dieu qui sanctifient, la lumière divine et la grâce.<br>
 
Saint Thomas nous dit en parlant de la médiation du Sauveur (III<sup>a</sup>, q. 26, a. 1) : « A l'office de médiateur entre Dieu et les hommes, il appartient de les unir. » C'est-à­-dire, comme il est expliqué au même endroit (a. 2), le mé­diateur doit offrir à Dieu les prières des hommes et sur­tout le sacrifice, acte principal de la vertu de religion, et il doit aussi distribuer aux hommes les dons de Dieu qui sanctifient, la lumière divine et la grâce.<br>
 
Il y a ainsi une double médiation, l'une ascendante sous forme de prière et de sacrifice, l'autre descendante par la distribution des dons divins aux hommes.<br>
 
Il y a ainsi une double médiation, l'une ascendante sous forme de prière et de sacrifice, l'autre descendante par la distribution des dons divins aux hommes.<br>
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Elle reste, en effet, parce que créature, toujours infé­rieure à Dieu et au Christ, mais elle est très élevée au-­dessus de tous les hommes par la grâce de la maternité divine qui est par son terme d'ordre hypostatique, par la plénitude de grâce, reçue à l'instant de sa conception immaculée et qui n'a cessé de grandir ensuite, enfin par le privilège de la préservation de toute faute.<br>
 
Elle reste, en effet, parce que créature, toujours infé­rieure à Dieu et au Christ, mais elle est très élevée au-­dessus de tous les hommes par la grâce de la maternité divine qui est par son terme d'ordre hypostatique, par la plénitude de grâce, reçue à l'instant de sa conception immaculée et qui n'a cessé de grandir ensuite, enfin par le privilège de la préservation de toute faute.<br>
 
On voit donc ce qu'il faut entendre par cette média­tion que la liturgie et le sens chrétien des fidèles attri­buent à Marie. Il s'agit d'une médiation à proprement par­ler subordonnée et non pas coordonnée à celle du Sauveur, de telle sorte qu'elle dépend entièrement des mérites du Christ rédempteur universel; il s'agit aussi d'une média­tion non nécessaire (car celle (le Jésus est déjà surabon­dante et n'a pas besoin de complément); mais elle a été voulue par la Providence, comme un rayonnement de celle du Sauveur, et le rayonnement de tous le plus excel­lent. L'Eglise la considère comme très utile et efficace pour nous obtenir de Dieu tout ce qui peut nous conduire directement ou indirectement à la perfection et au salut. Enfin il s'agit d'une médiation perpétuelle, qui s'étend à tous les hommes et à toutes les grâces, sans en excepter aucune, comme on le verra par la suite.<br>
 
On voit donc ce qu'il faut entendre par cette média­tion que la liturgie et le sens chrétien des fidèles attri­buent à Marie. Il s'agit d'une médiation à proprement par­ler subordonnée et non pas coordonnée à celle du Sauveur, de telle sorte qu'elle dépend entièrement des mérites du Christ rédempteur universel; il s'agit aussi d'une média­tion non nécessaire (car celle (le Jésus est déjà surabon­dante et n'a pas besoin de complément); mais elle a été voulue par la Providence, comme un rayonnement de celle du Sauveur, et le rayonnement de tous le plus excel­lent. L'Eglise la considère comme très utile et efficace pour nous obtenir de Dieu tout ce qui peut nous conduire directement ou indirectement à la perfection et au salut. Enfin il s'agit d'une médiation perpétuelle, qui s'étend à tous les hommes et à toutes les grâces, sans en excepter aucune, comme on le verra par la suite.<br>
C'est en ce sens précis que la médiation universelle est attribuée à Marie par la liturgie, en la fête de Marie mé­diatrice, et par les théologiens qui ont récemment publié de nombreux travaux sur ce point.<br>
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C'est en ce sens précis que la médiation universelle est attribuée à Marie par la liturgie, en la fête de Marie mé­diatrice, et par les théologiens qui ont récemment publié de nombreux travaux sur ce point.
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=====Le témoignage de la Tradition=====<br>
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=====Le témoignage de la Tradition=====
 
Cette doctrine a été affirmée d'une façon générale et implicite dès les premiers siècles, en tant que Marie a été appelée dès le II° siècle la nouvelle Eve, la Mère des vi­vants, comme nous l'avons dit plus haut, d'autant qu'on lui a toujours reconnu ce titre, non seulement parce qu'elle a physiquement conçu et enfanté le Sauveur, mais aussi parce qu'elle a moralement coopéré à son œuvre rédemptrice, surtout en s'unissant très intimement au sacrifice de la croix<ref> Cf.. S. JUSTIN, Dial., 100; P. G., l. VI, col. 711 . - S. IRÉNÉE, Contr. haer., III, XXII, 4; V, XIX, 1; P. G., t. VII, col. 958 sq., 1175. - TERTULIEN, De carne Christi, 17; P L., t. II, col. 782.</ref>.<br>
 
Cette doctrine a été affirmée d'une façon générale et implicite dès les premiers siècles, en tant que Marie a été appelée dès le II° siècle la nouvelle Eve, la Mère des vi­vants, comme nous l'avons dit plus haut, d'autant qu'on lui a toujours reconnu ce titre, non seulement parce qu'elle a physiquement conçu et enfanté le Sauveur, mais aussi parce qu'elle a moralement coopéré à son œuvre rédemptrice, surtout en s'unissant très intimement au sacrifice de la croix<ref> Cf.. S. JUSTIN, Dial., 100; P. G., l. VI, col. 711 . - S. IRÉNÉE, Contr. haer., III, XXII, 4; V, XIX, 1; P. G., t. VII, col. 958 sq., 1175. - TERTULIEN, De carne Christi, 17; P L., t. II, col. 782.</ref>.<br>
 
A partir du IV° siècle et surtout du V°, les Pères affir­ment distinctement que Marie intercède pour nous; que tous les bienfaits et secours utiles au salut nous viennent par elle, par son intervention et sa protection spéciale. Depuis la même époque, on l'appelle médiatrice entre Dieu et les hommes ou entre le Christ et nous.<br>
 
A partir du IV° siècle et surtout du V°, les Pères affir­ment distinctement que Marie intercède pour nous; que tous les bienfaits et secours utiles au salut nous viennent par elle, par son intervention et sa protection spéciale. Depuis la même époque, on l'appelle médiatrice entre Dieu et les hommes ou entre le Christ et nous.<br>
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Au XII° siècle, saint Anselme<ref> Orat 47, 52 P L., t CLVIII, c 945, 955, 964</ref>, Eadmer<ref> De excellentia B. M.., IX, XI; P L., t CLIX, c. 573, 578</ref>, saint Bernard s'expriment de même. Ce dernier appelle Marie ''gratiae inventrix, mediatrix salutis, restauratrix saecu­lorum<ref> Ep. 174, 2; P L, t. CLXXXII c 333; Super Missus est. hom. IV, 8, P. L., t CLXXXIII, c. 83</ref>''.<br>
 
Au XII° siècle, saint Anselme<ref> Orat 47, 52 P L., t CLVIII, c 945, 955, 964</ref>, Eadmer<ref> De excellentia B. M.., IX, XI; P L., t CLIX, c. 573, 578</ref>, saint Bernard s'expriment de même. Ce dernier appelle Marie ''gratiae inventrix, mediatrix salutis, restauratrix saecu­lorum<ref> Ep. 174, 2; P L, t. CLXXXII c 333; Super Missus est. hom. IV, 8, P. L., t CLXXXIII, c. 83</ref>''.<br>
 
Depuis le milieu du XII° siècle et surtout depuis le XIV° fréquente est l'affirmation très explicite de la coopération de Marie à notre rédemption, consommée par son propre sacrifice consenti au moment de l'annoncia­tion et accompli sur le Calvaire. C'est ce qu'on trouve chez Arnaud de Chartres, Richard de Saint-Victor, saint Albert le Grand<ref> Mariale, q. 42. Il appelle Marie coadjutrix et socia Christi.</ref>, Richard de Saint-Laurent. C'est indiqué par saint Thomas<ref> Il dit qu'au jour de l'Annonciation Marie a donné son consente­ment au nom de l'humanité, loco totius humanae naturae. Voir aussi son Expos. Salut. angelicae.</ref>, et. c'est affirmé ensuite de plus en plus nettement par saint Bernardin de Sienne, par saint Anto­nin<ref> Il appelle Marie adjutrix nostrae redemptionis et Mater nostrae spi­ritualis generationis. Summa theol.. part. IV, tit. XV, c. XIV, 2.</ref>, par Suarez<ref> In IIIam S. Thomae, t. II, disp. XXIII, sect. I, n. 4. Il montre par la Tradition que Marie a mérité de congruo notre salut que Jésus-Christ nous a mérité de condigno. Le même enseignement se trouve chez Jean de Car­thagène, Novato, Christophe de Vega, Théophile Raynaud, Georges de Rhodes, etc.</ref>, par Bossuet<ref> IV° sermon sur la fête de l'Annonciation, et voir table des œuvres de Bossuet, au mot Marie.</ref>, par saint Alphonse. Au XVIII° siècle le B<sup>x</sup> Grignion de Montfort est un de ceux qui a le plus répandu cette doctrine en en montrant toutes les conséquences pratiques<ref> Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, ch. I, et II.</ref>. Depuis lors c'est un enseignement commun des théologiens ca­tholiques.<br>
 
Depuis le milieu du XII° siècle et surtout depuis le XIV° fréquente est l'affirmation très explicite de la coopération de Marie à notre rédemption, consommée par son propre sacrifice consenti au moment de l'annoncia­tion et accompli sur le Calvaire. C'est ce qu'on trouve chez Arnaud de Chartres, Richard de Saint-Victor, saint Albert le Grand<ref> Mariale, q. 42. Il appelle Marie coadjutrix et socia Christi.</ref>, Richard de Saint-Laurent. C'est indiqué par saint Thomas<ref> Il dit qu'au jour de l'Annonciation Marie a donné son consente­ment au nom de l'humanité, loco totius humanae naturae. Voir aussi son Expos. Salut. angelicae.</ref>, et. c'est affirmé ensuite de plus en plus nettement par saint Bernardin de Sienne, par saint Anto­nin<ref> Il appelle Marie adjutrix nostrae redemptionis et Mater nostrae spi­ritualis generationis. Summa theol.. part. IV, tit. XV, c. XIV, 2.</ref>, par Suarez<ref> In IIIam S. Thomae, t. II, disp. XXIII, sect. I, n. 4. Il montre par la Tradition que Marie a mérité de congruo notre salut que Jésus-Christ nous a mérité de condigno. Le même enseignement se trouve chez Jean de Car­thagène, Novato, Christophe de Vega, Théophile Raynaud, Georges de Rhodes, etc.</ref>, par Bossuet<ref> IV° sermon sur la fête de l'Annonciation, et voir table des œuvres de Bossuet, au mot Marie.</ref>, par saint Alphonse. Au XVIII° siècle le B<sup>x</sup> Grignion de Montfort est un de ceux qui a le plus répandu cette doctrine en en montrant toutes les conséquences pratiques<ref> Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, ch. I, et II.</ref>. Depuis lors c'est un enseignement commun des théologiens ca­tholiques.<br>
Pie X dit dans l'encyclique ''Ad diem illum'' du 2 février 1904 que Marie est la toute-puissante médiatrice et récon­ciliatrice de toute la terre auprès de son Fils unique : « ''Totius terrarum orbis potentissima apud Unigenitum Filium suum mediatrix et conciliatrix.'' » Le titre est dé­sormais consacré parla fête de Marie médiatrice instituée le 21 janvier 1921.<br>
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Pie X dit dans l'encyclique ''Ad diem illum'' du 2 février 1904 que Marie est la toute-puissante médiatrice et récon­ciliatrice de toute la terre auprès de son Fils unique : « ''Totius terrarum orbis potentissima apud Unigenitum Filium suum mediatrix et conciliatrix.'' » Le titre est dé­sormais consacré parla fête de Marie médiatrice instituée le 21 janvier 1921.
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=====Les raisons théologiques de cette doctrine=====<br>
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=====Les raisons théologiques de cette doctrine=====
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Ces raisons souvent invoquées par les Pères et plus explicitement par les théologiens sont les suivantes<br>
 
Ces raisons souvent invoquées par les Pères et plus explicitement par les théologiens sont les suivantes<br>
 
Marie mérite le nom de médiatrice universelle subor­donnée au Sauveur, si elle est l'intermédiaire entre lui et les hommes, présentant leurs prières et leur obtenant les bienfaits de son Fils.<br>
 
Marie mérite le nom de médiatrice universelle subor­donnée au Sauveur, si elle est l'intermédiaire entre lui et les hommes, présentant leurs prières et leur obtenant les bienfaits de son Fils.<br>
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Ajoutons qu'il convient que Marie, qui a été rachetée par le Sauveur par une rédemption souveraine et préser­vatrice de toute faute originelle et actuelle, coopérât ainsi à notre salut, c'est-à-dire à notre délivrance du péché, à notre justification et à notre persévérance jusqu'à la fin.<br>
 
Ajoutons qu'il convient que Marie, qui a été rachetée par le Sauveur par une rédemption souveraine et préser­vatrice de toute faute originelle et actuelle, coopérât ainsi à notre salut, c'est-à-dire à notre délivrance du péché, à notre justification et à notre persévérance jusqu'à la fin.<br>
 
Sa médiation dépasse ainsi beaucoup celle des saints, car elle seule nous a donné le Sauveur, elle seule a été aussi intimement unie avec un cœur de mère au sacrifice de la croix, elle seule est médiatrice universelle pour tous les hommes, et, nous le verrons plus loin, pour toutes les grâces non seulement en général, mais en particulier, jusqu'à la plus particulière de toutes, qui est, pour cha­cun de nous, celle du moment présent, qui assure notre fidélité de minute en minute.<br>
 
Sa médiation dépasse ainsi beaucoup celle des saints, car elle seule nous a donné le Sauveur, elle seule a été aussi intimement unie avec un cœur de mère au sacrifice de la croix, elle seule est médiatrice universelle pour tous les hommes, et, nous le verrons plus loin, pour toutes les grâces non seulement en général, mais en particulier, jusqu'à la plus particulière de toutes, qui est, pour cha­cun de nous, celle du moment présent, qui assure notre fidélité de minute en minute.<br>
Nous verrons mieux cette universalité après avoir mon­tré que Marie nous a mérité d'un mérite de convenance tout ce que Jésus nous a mérité en stricte justice, qu'elle a satisfait avec lui pour nous d'une satisfaction de conve­nance, et qu'ensuite, pour l'application des fruits de la rédemption, elle continue d'intercéder pour chacun de nous, plus spécialement pour ceux qui l'invoquent, et que toutes les grâces particulières qui sont accordées à chacun de nous, de fait ne le sont pas sans son intervention.<br>
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Nous verrons mieux cette universalité après avoir mon­tré que Marie nous a mérité d'un mérite de convenance tout ce que Jésus nous a mérité en stricte justice, qu'elle a satisfait avec lui pour nous d'une satisfaction de conve­nance, et qu'ensuite, pour l'application des fruits de la rédemption, elle continue d'intercéder pour chacun de nous, plus spécialement pour ceux qui l'invoquent, et que toutes les grâces particulières qui sont accordées à chacun de nous, de fait ne le sont pas sans son intervention.
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Article II<br>
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====Article II - LES MÉRITES DE MARIE POUR NOUS====
LES MÉRITES DE MARIE POUR NOUS<br>
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=====Nature et extension de ces mérites=====
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Ce n'est pas seulement au ciel que la Sainte Vierge exerce ses fonctions de médiatrice universelle par l'inter­cession et la distribution des grâces, elle les a déjà exer­cées sur la terre, selon l'expression reçue, « pour l'acqui­sition de ces grâces », en coopérant à notre rédemption, par le mérite et la satisfaction. En cela elle est associée à Notre-Seigneur qui a été d'abord médiateur pendant sa vie terrestre, surtout par le sacrifice de la croix, et c'est même le fondement de la médiation qu'il exerce au ciel par son intercession, pour nous appliquer les fruits de la rédemption qu'il nous transmet. Voyons quel est l'en­seignement commun des théologiens sur les mérites de Marie pour nous, en partant des principes mêmes de la théologie sur les différents genres de mérites.
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Nature et extension de ces mérites<br>
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Ce n'est pas seulement au ciel que la Sainte Vierge exerce ses fonctions de médiatrice universelle par l'inter­cession et la distribution des grâces, elle les a déjà exer­cées sur la terre, selon l'expression reçue, « pour l'acqui­sition de ces grâces », en coopérant à notre rédemption, par le mérite et la satisfaction. En cela elle est associée à Notre-Seigneur qui a été d'abord médiateur pendant sa vie terrestre, surtout par le sacrifice de la croix, et c'est même le fondement de la médiation qu'il exerce au ciel par son intercession, pour nous appliquer les fruits de la rédemption qu'il nous transmet. Voyons quel est l'en­seignement commun des théologiens sur les mérites de Marie pour nous, en partant des principes mêmes de la théologie sur les différents genres de mérites.<br>
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=====Les trois genres de mérites proprement dits=====
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=====Les trois genres de mérites proprement dits=====<br>
 
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Le mérite en général est un droit à une récompenses il ne la produit pas, il l'obtient; l'acte méritoire y donne droit. Le mérite surnaturel qui suppose l'état de grâce et la charité est un droit à une récompense surnaturelle. Il se distingue de la satisfaction, qui a pour but de répa­rer par l'expiation l'outrage fait par le péché à la ma­jesté infinie de Dieu et de nous le rendre favorable. Le mérite, qui suppose l'état de grâce, se distingue aussi de la prière, qui, par une grâce actuelle, peut exister dans le pécheur en état de péché mortel, et qui s'adresse non pas à la justice divine, mais à la miséricorde. Du reste, même chez le juste, la force impétratoire de la prière se distingue du mérite, c'est ainsi qu'elle peut obtenir des grâces qui ne sauraient être méritées, comme celle de la persévérance finale, qui est la continuation de l'état de grâce au moment de la mort.<br>
 
Le mérite en général est un droit à une récompenses il ne la produit pas, il l'obtient; l'acte méritoire y donne droit. Le mérite surnaturel qui suppose l'état de grâce et la charité est un droit à une récompense surnaturelle. Il se distingue de la satisfaction, qui a pour but de répa­rer par l'expiation l'outrage fait par le péché à la ma­jesté infinie de Dieu et de nous le rendre favorable. Le mérite, qui suppose l'état de grâce, se distingue aussi de la prière, qui, par une grâce actuelle, peut exister dans le pécheur en état de péché mortel, et qui s'adresse non pas à la justice divine, mais à la miséricorde. Du reste, même chez le juste, la force impétratoire de la prière se distingue du mérite, c'est ainsi qu'elle peut obtenir des grâces qui ne sauraient être méritées, comme celle de la persévérance finale, qui est la continuation de l'état de grâce au moment de la mort.<br>
 
Mais il importe de distinguer trois genres de mérites proprement dits.<br>
 
Mais il importe de distinguer trois genres de mérites proprement dits.<br>
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Ainsi au-dessous des mérites infinis du Christ, qui seul peut en stricte justice nous mériter le salut, au-dessous du mérite de condignité du juste pour lui-même, qui lui donne droit en justice à une augmentation de charité, et (s'il meurt en état de grâce) à la vie éternelle, il y a le mérite de convenance ''de congruo proprie'', fondé sur les droits de l'amitié, et qui est encore un mérite proprement dit qui suppose l'état de grâce et la charité<ref> On a parfois traduit le latin meritum de condigno par les mots « mérite proprement dit », c'était inexact, car c'était faire entendre que le mérite dit de congruo proprie n'est plus un mérite proprement dit. Il l'est encore, quoiqu'il soit moins parfait que le précédent, comme celui-ci est moins parfait que le mérite du Christ.</ref>.<br>
 
Ainsi au-dessous des mérites infinis du Christ, qui seul peut en stricte justice nous mériter le salut, au-dessous du mérite de condignité du juste pour lui-même, qui lui donne droit en justice à une augmentation de charité, et (s'il meurt en état de grâce) à la vie éternelle, il y a le mérite de convenance ''de congruo proprie'', fondé sur les droits de l'amitié, et qui est encore un mérite proprement dit qui suppose l'état de grâce et la charité<ref> On a parfois traduit le latin meritum de condigno par les mots « mérite proprement dit », c'était inexact, car c'était faire entendre que le mérite dit de congruo proprie n'est plus un mérite proprement dit. Il l'est encore, quoiqu'il soit moins parfait que le précédent, comme celui-ci est moins parfait que le mérite du Christ.</ref>.<br>
 
Ce qui est un mérite improprement dit, c'est celui qui se trouve dans la prière du pécheur en état de péché mor­tel, prière qui a une valeur impétratoire qui s'adresse, non pas à la justice de Dieu mais à sa miséricorde, et qui se fonde, non pas sur les droits de l'amitié divine de charité, mais sur la grâce actuelle qui porte à prier. Ce dernier mérite est dit de convenance au sens large seule­ment, ''de congruo improprie'', ce n'est plus un mérite pro­prement dit.<br>
 
Ce qui est un mérite improprement dit, c'est celui qui se trouve dans la prière du pécheur en état de péché mor­tel, prière qui a une valeur impétratoire qui s'adresse, non pas à la justice de Dieu mais à sa miséricorde, et qui se fonde, non pas sur les droits de l'amitié divine de charité, mais sur la grâce actuelle qui porte à prier. Ce dernier mérite est dit de convenance au sens large seule­ment, ''de congruo improprie'', ce n'est plus un mérite pro­prement dit.<br>
Tels sont donc les trois genres de mérites proprement dits : celui du Christ pour nous, celui du juste pour lui-­même celui du juste pour autrui.<br>
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Tels sont donc les trois genres de mérites proprement dits : celui du Christ pour nous, celui du juste pour lui-­même celui du juste pour autrui.
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=====Le mérite proprement dit de convenance de Marie pour nous=====
Le mérite proprement dit de convenance<br>
 
de Marie pour nous<br>
 
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Si tel est l'enseignement général des théologiens sur les différents genres de mérite, si sainte Monique a pu méri­ter à proprement parler d'un mérite de convenance, ''de congruo proprie'', la conversion d'Augustin, comment la Sainte Vierge, mère de tous les hommes, a-t-elle pu méri­ter pour nous ? Poser ainsi cette question à la lumière des principes déjà énoncés, c'est déjà la résoudre.<br>
 
Si tel est l'enseignement général des théologiens sur les différents genres de mérite, si sainte Monique a pu méri­ter à proprement parler d'un mérite de convenance, ''de congruo proprie'', la conversion d'Augustin, comment la Sainte Vierge, mère de tous les hommes, a-t-elle pu méri­ter pour nous ? Poser ainsi cette question à la lumière des principes déjà énoncés, c'est déjà la résoudre.<br>
 
Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'à partir surtout du XVI° siècle, les théologiens enseignent communément de façon explicite que ce que le Christ nous a mérité ''de con­digno'', la Sainte Vierge nous l'a mérité d'un mérite de convenance, ''de congruo proprie''.<br>
 
Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'à partir surtout du XVI° siècle, les théologiens enseignent communément de façon explicite que ce que le Christ nous a mérité ''de con­digno'', la Sainte Vierge nous l'a mérité d'un mérite de convenance, ''de congruo proprie''.<br>
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Finalement Pie X, dans l'encyclique ''Ad diem illum ''du 2 février 1904, dit : « Marie... parce qu'elle dépasse toutes les autres créatures par la sainteté et l'union au Christ, et parce qu'elle a été associée par lui à l'œuvre de notre salut, nous a mérité d'un mérite de convenance, ''de con­gruo, ut aiunt'', ce que lui-même nous a mérité d'un mé­rite de condignité, et elle est la principale trésorière des grâces à distribuer<ref> Le texte latin porte : « Maria... quoniam universis sanctitate praesta conjunctioneque cum Christo, atque a Christo adscita in humanae salutis opus, de congruo, ut aiunt, promeret nobis quae Christus de condigno promeruit estque princeps largiendarum gratiarum ministra » (Denzinger, n° 3034). Sur ce texte, cf. Merkelbach, Mariologia, p. 328.</ref>. »<br>
 
Finalement Pie X, dans l'encyclique ''Ad diem illum ''du 2 février 1904, dit : « Marie... parce qu'elle dépasse toutes les autres créatures par la sainteté et l'union au Christ, et parce qu'elle a été associée par lui à l'œuvre de notre salut, nous a mérité d'un mérite de convenance, ''de con­gruo, ut aiunt'', ce que lui-même nous a mérité d'un mé­rite de condignité, et elle est la principale trésorière des grâces à distribuer<ref> Le texte latin porte : « Maria... quoniam universis sanctitate praesta conjunctioneque cum Christo, atque a Christo adscita in humanae salutis opus, de congruo, ut aiunt, promeret nobis quae Christus de condigno promeruit estque princeps largiendarum gratiarum ministra » (Denzinger, n° 3034). Sur ce texte, cf. Merkelbach, Mariologia, p. 328.</ref>. »<br>
 
Comme on l'a noté<ref> Cf. Merkelbach, Mariologia, p. 329.</ref>, il y a une double différence entre ce mérite de convenance de Marie pour les autres et le nôtre : c'est que la Sainte Vierge a pu ainsi nous mériter non seulement quelques grâces, mais toutes et chacune, et qu'elle ne nous en a pas seulement mérité l'applica­tion mais l'acquisition, car elle a été unie au Christ ré­dempteur dans l'acte même de la rédemption ici-bas; avant d'intercéder pour nous au ciel.<br>
 
Comme on l'a noté<ref> Cf. Merkelbach, Mariologia, p. 329.</ref>, il y a une double différence entre ce mérite de convenance de Marie pour les autres et le nôtre : c'est que la Sainte Vierge a pu ainsi nous mériter non seulement quelques grâces, mais toutes et chacune, et qu'elle ne nous en a pas seulement mérité l'applica­tion mais l'acquisition, car elle a été unie au Christ ré­dempteur dans l'acte même de la rédemption ici-bas; avant d'intercéder pour nous au ciel.<br>
Cette conclusion, telle qu'elle est approuvée par Pie X, n'est que l'application à Marie de la doctrine communé­ment reçue sur les conditions du mérite de convenance, ''de congruo proprie'', fondé ''in jure amicabili'', sur l'amitié qui unit le juste avec Dieu. Aussi certains théologiens considèrent cette conclusion comme moralement cer­taine, d'autres comme une vraie conclusionn théologique tout à fait certaine, d'autres même comme une vérité formellement et implicitement révélée et définissable comme dogme. C'est au moins, pensons-nous, une con­clusion théologique certaine. Nous y reviendrons, pp. 259-­265.<br>
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Cette conclusion, telle qu'elle est approuvée par Pie X, n'est que l'application à Marie de la doctrine communé­ment reçue sur les conditions du mérite de convenance, ''de congruo proprie'', fondé ''in jure amicabili'', sur l'amitié qui unit le juste avec Dieu. Aussi certains théologiens considèrent cette conclusion comme moralement cer­taine, d'autres comme une vraie conclusionn théologique tout à fait certaine, d'autres même comme une vérité formellement et implicitement révélée et définissable comme dogme. C'est au moins, pensons-nous, une con­clusion théologique certaine. Nous y reviendrons, pp. 259-­265.
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=====Quelle est l'extension de ce mérite de convenance de Marie pour nous ?=====
Quelle est l'extension de ce mérite de convenance<br>
 
de Marie pour nous ?<br>
 
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Comme elle a été associée à toute l'œuvre rédemptrice du Christ et comme les théologiens que nous venons de citer disent généralement que tout ce que le Christ nous a mérité de condigno, Marie nous l'a mérité de congruo, comme enfin Pie X, sanctionnant cette doctrine, n'y met pas de restriction, il suffit de se rappeler ce que Jésus nous a mérité<ref> Dans l'Ancien Testament, les gràces ont été données comme à cré­dit, en vertu des mérites futurs du Rédempteur, auxquels sont toujours unis, dans le plan divin, ceux de sa sainte Mère. Le mérite de convenance de Marie s'est donc étendu aussi par anticipation aux justes de l'ancienne foi.</ref>.<br>
 
Comme elle a été associée à toute l'œuvre rédemptrice du Christ et comme les théologiens que nous venons de citer disent généralement que tout ce que le Christ nous a mérité de condigno, Marie nous l'a mérité de congruo, comme enfin Pie X, sanctionnant cette doctrine, n'y met pas de restriction, il suffit de se rappeler ce que Jésus nous a mérité<ref> Dans l'Ancien Testament, les gràces ont été données comme à cré­dit, en vertu des mérites futurs du Rédempteur, auxquels sont toujours unis, dans le plan divin, ceux de sa sainte Mère. Le mérite de convenance de Marie s'est donc étendu aussi par anticipation aux justes de l'ancienne foi.</ref>.<br>
 
Or Jésus nous a mérité en justice toutes les grâces suffisantes nécessaires pour que tous les hommes puis­sent réellement observer les préceptes, alors même qu'ils ne les observent pas de fait<ref> C'est le cas de rappeler que, si l'homme résiste par sa propre défec­tibilité à la grâce suffisante, il mérite d'être privé de la grâce efficace, qui lui était offerte dans la suffisante, comme le fruit dans la fleur. La résistance ou le péché est comme la grêle qui tombe sur un arbre en fleur, qui promettait beaucoup de fruits.</ref>, toutes les grâces efficaces suivies de leur effet, c'est-à-dire de l'accomplissement, effectif de la volonté divine, et enfin Jésus a mérité aux élus tous les effets de leur prédestination : la vocation chrétienne, la justification, la persévérance finale et la glorification ou la vie éternelle<ref> Cf. saint Thomas, IIIa, q. 24, a. 4 « Si considerelur praedestinatio (nostra) secundum terminum praedestinationis (scil. secundum effectus ejus), sic praedestinatio Clristi est causa praedestinationis nostrae. Sic enim Deus praeordinavit nostram salutem, ab aeterno praedestinando, ut per Jesum Christum compleretur. » Voir sur cet article les commentateurs, par exemple Gonet et Billuart qui montrent bien, par ce que dit ici et ailleurs saint Thomas, que le Christ, sous l'inspiration divine, nous a mérité tous les effets de notre prédestination, de même qu'il a spéciale­ment et efficacement prié pour les élus.<br>
 
Or Jésus nous a mérité en justice toutes les grâces suffisantes nécessaires pour que tous les hommes puis­sent réellement observer les préceptes, alors même qu'ils ne les observent pas de fait<ref> C'est le cas de rappeler que, si l'homme résiste par sa propre défec­tibilité à la grâce suffisante, il mérite d'être privé de la grâce efficace, qui lui était offerte dans la suffisante, comme le fruit dans la fleur. La résistance ou le péché est comme la grêle qui tombe sur un arbre en fleur, qui promettait beaucoup de fruits.</ref>, toutes les grâces efficaces suivies de leur effet, c'est-à-dire de l'accomplissement, effectif de la volonté divine, et enfin Jésus a mérité aux élus tous les effets de leur prédestination : la vocation chrétienne, la justification, la persévérance finale et la glorification ou la vie éternelle<ref> Cf. saint Thomas, IIIa, q. 24, a. 4 « Si considerelur praedestinatio (nostra) secundum terminum praedestinationis (scil. secundum effectus ejus), sic praedestinatio Clristi est causa praedestinationis nostrae. Sic enim Deus praeordinavit nostram salutem, ab aeterno praedestinando, ut per Jesum Christum compleretur. » Voir sur cet article les commentateurs, par exemple Gonet et Billuart qui montrent bien, par ce que dit ici et ailleurs saint Thomas, que le Christ, sous l'inspiration divine, nous a mérité tous les effets de notre prédestination, de même qu'il a spéciale­ment et efficacement prié pour les élus.<br>
Cf. saint Thomas, IIIa, q. 19, a. 4 : « Meritum Christi se extendit ad alios, in quantum sunt membra ejus, sicut etiam in uno homine actio capitis aliqualiter pertinet ad omnia membra ejus, quia non solum sibi sentit, sed omnibus membris. »<br>
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Cf. saint Thomas, IIIa, q. 19, a. 4 : « Meritum Christi se extendit ad alios, in quantum sunt membra ejus, sicut etiam in uno homine actio capitis aliqualiter pertinet ad omnia membra ejus, quia non solum sibi sentit, sed omnibus membris. »<br>
Nous ne pouvons pas mériter pour nous-mêmes la grâce de la persévé­rance finale, et notre prédestination, selon saint Augustin et saint Tho­mas, ne dépend pas de la prévision divine de nos mérites, car ceux-ci, étant l'effet de notre prédestination, ne peuvent en être la cause. Cf. saint Thomas, Ia, q. 23, a. 5;  Ia IIae, q. 114, a. 9.<br>
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Nous ne pouvons pas mériter pour nous-mêmes la grâce de la persévé­rance finale, et notre prédestination, selon saint Augustin et saint Tho­mas, ne dépend pas de la prévision divine de nos mérites, car ceux-ci, étant l'effet de notre prédestination, ne peuvent en être la cause. Cf. saint Thomas, Ia, q. 23, a. 5;  Ia IIae, q. 114, a. 9.<br>
Mais si nous ne pouvons à proprement parler mériter notre persévé­rance finale (qui ne peut s'obtenir que par la prière dont la valeur est dis­tincte du mérite), Notre-Seigneur, lui, l'a méritée en justice à ceux qui persévéreront, et la Sainte Vierge la leur a méritée aussi, d'un mérite de con­venance. Les thomistes disent communément : « Praedestinatio nostra non est ex praevisis nostris meritis, sed effectus ejus sunt ex praevisis meritis Christi. » En d'autres termes, le Christ est cause méritoire de notre salut, et Marie lui est toujours associée.</ref>.<br>
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Mais si nous ne pouvons à proprement parler mériter notre persévé­rance finale (qui ne peut s'obtenir que par la prière dont la valeur est dis­tincte du mérite), Notre-Seigneur, lui, l'a méritée en justice à ceux qui persévéreront, et la Sainte Vierge la leur a méritée aussi, d'un mérite de con­venance. Les thomistes disent communément : « Praedestinatio nostra non est ex praevisis nostris meritis, sed effectus ejus sunt ex praevisis meritis Christi. » En d'autres termes, le Christ est cause méritoire de notre salut, et Marie lui est toujours associée.</ref>.<br>
 
Il suit de là que Marie nous a mérité d'un mérite de convenance toutes ces grâces, et qu'au ciel elle en de­mande l'application et les distribue<ref> Le Christ, d'après ce qui vient d'être dit, a mérité lui-même pour Marie tous les effets de sa prédestination à elle, sauf la maternité divine, car il aurait ainsi mérité l'Incarnation, c'est-à-dire il se serait mérité lui-­même (cf. saint Thomas, IIIa, q. 19, a. 3); en cet endroit, il est montré que « le Christ n'a pu se mériter ni la grâce, ni la béatitude de l'âme, ni sa divinité (ni sa personnalité divine), car le mérite porte sur ce qu'on n'a pas encore, et il aurait fallu alors que le Christ, au premier instant de sa conception, n'eût pas ces dons divins, ce qui diminuerait sa dignité, plus que le mérite ne peut l'accroître. Mais il a mérité la gloire de son corps ou sa résurrection, son ascension et l'exaltation de son nom. »<br>
 
Il suit de là que Marie nous a mérité d'un mérite de convenance toutes ces grâces, et qu'au ciel elle en de­mande l'application et les distribue<ref> Le Christ, d'après ce qui vient d'être dit, a mérité lui-même pour Marie tous les effets de sa prédestination à elle, sauf la maternité divine, car il aurait ainsi mérité l'Incarnation, c'est-à-dire il se serait mérité lui-­même (cf. saint Thomas, IIIa, q. 19, a. 3); en cet endroit, il est montré que « le Christ n'a pu se mériter ni la grâce, ni la béatitude de l'âme, ni sa divinité (ni sa personnalité divine), car le mérite porte sur ce qu'on n'a pas encore, et il aurait fallu alors que le Christ, au premier instant de sa conception, n'eût pas ces dons divins, ce qui diminuerait sa dignité, plus que le mérite ne peut l'accroître. Mais il a mérité la gloire de son corps ou sa résurrection, son ascension et l'exaltation de son nom. »<br>
Les commentateurs de saint Thomas, in IIIam, q. 2, a: 11, « utrum ali­qua merita incarnationem praecesserint », montrent que le Christ, qui n'a pu se mériter lui-même, n'a pu mériter ni l'Incarnation, ni les circons­tances qui appartiennent, pour ainsi parler, à la substance et à l'indivi­duation de l’Incarnation, par exemple il n'a pas mérité d'être conçu par l'opération du Saint-Esprit, de naître de la Vierge Marie, ainsi il n'a pas mérité la maternité divine de la Sainte Vierge (cf. SALMATICENSES, ibid.); mais il a mérité les circonstances qui n'appartiennent pas à la substance de l'Incarnation : les prédictions des prophètes, l'Annonciation par l'ange, etc , ou celles qui ont suivi, comme l'adoration des mages, les soins à lui donnés par Marie et Joseph - Il a mérité très certainement pour Marie la plénitude initiale de grâce, la préservation du péché originel, toutes les grâces actuelles par laquelle la plénitude initiale a grandi en elle, enfin la persévérance finale et la gloire.</ref>.<br>
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Les commentateurs de saint Thomas, in IIIam, q. 2, a: 11, « utrum ali­qua merita incarnationem praecesserint », montrent que le Christ, qui n'a pu se mériter lui-même, n'a pu mériter ni l'Incarnation, ni les circons­tances qui appartiennent, pour ainsi parler, à la substance et à l'indivi­duation de l’Incarnation, par exemple il n'a pas mérité d'être conçu par l'opération du Saint-Esprit, de naître de la Vierge Marie, ainsi il n'a pas mérité la maternité divine de la Sainte Vierge (cf. SALMATICENSES, ibid.); mais il a mérité les circonstances qui n'appartiennent pas à la substance de l'Incarnation : les prédictions des prophètes, l'Annonciation par l'ange, etc , ou celles qui ont suivi, comme l'adoration des mages, les soins à lui donnés par Marie et Joseph - Il a mérité très certainement pour Marie la plénitude initiale de grâce, la préservation du péché originel, toutes les grâces actuelles par laquelle la plénitude initiale a grandi en elle, enfin la persévérance finale et la gloire.</ref>.<br>
 
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Tout cela nous montre en quel sens très élevé, très intime et très étendu, Marie est notre Mère spirituelle, la Mère de tous les hommes, et combien par suite elle doit veiller sur ceux qui, non seulement l'invoquent de temps à autre, mais qui se consacrent à elle, pour être conduits par elle à l'intimité du Christ, comme l'explique admi­rablement le bienheureux Grignion de Montfort (cf. ''Traité de la vraie dévotion à la Sainte. Vierge'', chap. I, a. 2) « Marie est nécessaire aux hommes pour arriver à leur fin dernière. » La dévotion à son égard n'est donc pas de surérogation, comme celle à tel ou tel saint, elle est nécessaire, et lorsqu'elle est vraie, fidèle, persévérante, elle est un signe de prédestination. « Cette dévotion est encore plus nécessaire à ceux qui sont appelés à une perfection particulière, et je ne crois pas, dit (''ibid''.) le bienheureux de Montfort, qu'une personne puisse acqué­rir une union intime avec Notre-Seigneur et une parfaite fidélité au Saint-Esprit, sans une très grande union à la Très Sainte Vierge et une grande dépendance de son secours... J'ai dit, ajoute-t-il, que cela arriverait parti­culièrement à la fin du monde .., parce que le Très-Haut avec sa sainte Mère doivent alors se former de grands saints... Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la Très Sainte Vierge, éclairées par sa lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras et gardées sous sa protection, en sorte qu'el­les combattront d'une main et édifieront de l'autre... Cela leur attirera beaucoup d'ennemis, mais aussi beaucoup de victoires et de gloire pour Dieu seul. »<br>
 
Tout cela nous montre en quel sens très élevé, très intime et très étendu, Marie est notre Mère spirituelle, la Mère de tous les hommes, et combien par suite elle doit veiller sur ceux qui, non seulement l'invoquent de temps à autre, mais qui se consacrent à elle, pour être conduits par elle à l'intimité du Christ, comme l'explique admi­rablement le bienheureux Grignion de Montfort (cf. ''Traité de la vraie dévotion à la Sainte. Vierge'', chap. I, a. 2) « Marie est nécessaire aux hommes pour arriver à leur fin dernière. » La dévotion à son égard n'est donc pas de surérogation, comme celle à tel ou tel saint, elle est nécessaire, et lorsqu'elle est vraie, fidèle, persévérante, elle est un signe de prédestination. « Cette dévotion est encore plus nécessaire à ceux qui sont appelés à une perfection particulière, et je ne crois pas, dit (''ibid''.) le bienheureux de Montfort, qu'une personne puisse acqué­rir une union intime avec Notre-Seigneur et une parfaite fidélité au Saint-Esprit, sans une très grande union à la Très Sainte Vierge et une grande dépendance de son secours... J'ai dit, ajoute-t-il, que cela arriverait parti­culièrement à la fin du monde .., parce que le Très-Haut avec sa sainte Mère doivent alors se former de grands saints... Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la Très Sainte Vierge, éclairées par sa lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras et gardées sous sa protection, en sorte qu'el­les combattront d'une main et édifieront de l'autre... Cela leur attirera beaucoup d'ennemis, mais aussi beaucoup de victoires et de gloire pour Dieu seul. »<br>
Cette haute doctrine spirituelle, dont nous verrons de mieux en mieux les fruits, apparaît dans le domaine de la contemplation et de l'union intime avec Dieu comme la conséquence normale de cette vérité reconnue par tous les théologiens et affirmée aujourd'hui dans tous leurs ouvrages : Marie nous a mérité d'un mérite de conve­nance tout ce que Notre-Seigneur nous a mérité en stricte justice, en particulier pour les élus tous les effets de leur prédestination.<br>
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Cette haute doctrine spirituelle, dont nous verrons de mieux en mieux les fruits, apparaît dans le domaine de la contemplation et de l'union intime avec Dieu comme la conséquence normale de cette vérité reconnue par tous les théologiens et affirmée aujourd'hui dans tous leurs ouvrages : Marie nous a mérité d'un mérite de conve­nance tout ce que Notre-Seigneur nous a mérité en stricte justice, en particulier pour les élus tous les effets de leur prédestination.
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====Article III - LES SOUFFRANCES DE MARIE CORÉDEMPTRICE====
Article III<br>
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=====Comment a-t-elle satisfait pour nous ?=====
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LES SOUFFRANCES DE MARIE CORÉDEMPTRICE<br>
 
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Comment a-t-elle satisfait pour nous?<br>
 
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La satisfaction a pour but de réparer l'offense faite à Dieu par le péché et de nous le rendre favorable. Or l'offense qui provient du péché mortel, par lequel la créature raisonnable se détourne de Dieu et lui préfère un bien créé, a une gravité infinie. L'offense en effet est d'autant plus grave que la dignité de la personne offen­sée est plus élevée, et le péché mortel, en nous détournant de Dieu notre fin dernière, dénie pratiquement à Dieu la dignité infinie de souverain bien et détruit son règne en nous.<br>
 
La satisfaction a pour but de réparer l'offense faite à Dieu par le péché et de nous le rendre favorable. Or l'offense qui provient du péché mortel, par lequel la créature raisonnable se détourne de Dieu et lui préfère un bien créé, a une gravité infinie. L'offense en effet est d'autant plus grave que la dignité de la personne offen­sée est plus élevée, et le péché mortel, en nous détournant de Dieu notre fin dernière, dénie pratiquement à Dieu la dignité infinie de souverain bien et détruit son règne en nous.<br>
 
Il suit de là que seul le Verbe fait chair a pu offrir à Dieu une satisfaction parfaite ou adéquate pour l'offense qui provient du péché mortel<ref> Il est plus facile de détruire que de réédifier. L'offense qui provient du péché mortel a une gravité infinie, car elle dénie pratiquement à Dieu une perfection infinie, tandis que notre amour de Dieu n'a pas une valeur infinie, il reste limité du côté de la personne qui en est le principe. Nos négations relativement à Dieu vont plus loin que nos affirmations ; de plus, une offense grave faite à Dieu détruit en nous la vie de la grâce et de la charité, et lorsque nous l'avons perdue nous ne pouvons pas nous la rendre.</ref>. Pour être une satis­faction parfaite, il fallait que l'amour et l'oblation du Sauveur plussent à Dieu autant ou plus que ne lui déplai­sent tous les péchés réunis, comme le dit saint Tho­mas<ref> IIIa, q. I a. 2 ad 2, et q. 48, a. 2.</ref>. Il en était ainsi de tout acte de charité du Christ, car il puisait en la personne divine du Verbe une valeur infinie pour satisfaire comme pour mériter. L'œuvre méritoire devient satisfactoire ou réparatrice et expia­trice, lorsqu'elle a quelque chose d'afflictif ou de péni­ble, et Jésus, en offrant sa vie au milieu des plus grandes souffrances physiques et morales, a offert dès lors à son Père une satisfaction d'une valeur infinie et surabon­dante. Lui seul pouvait ainsi satisfaire pleinement en stricte justice, car la valeur dela satisfaction comme celle du mérite provient de l'excellence de la personne qui, en Jésus, a une dignité infinie.<br>
 
Il suit de là que seul le Verbe fait chair a pu offrir à Dieu une satisfaction parfaite ou adéquate pour l'offense qui provient du péché mortel<ref> Il est plus facile de détruire que de réédifier. L'offense qui provient du péché mortel a une gravité infinie, car elle dénie pratiquement à Dieu une perfection infinie, tandis que notre amour de Dieu n'a pas une valeur infinie, il reste limité du côté de la personne qui en est le principe. Nos négations relativement à Dieu vont plus loin que nos affirmations ; de plus, une offense grave faite à Dieu détruit en nous la vie de la grâce et de la charité, et lorsque nous l'avons perdue nous ne pouvons pas nous la rendre.</ref>. Pour être une satis­faction parfaite, il fallait que l'amour et l'oblation du Sauveur plussent à Dieu autant ou plus que ne lui déplai­sent tous les péchés réunis, comme le dit saint Tho­mas<ref> IIIa, q. I a. 2 ad 2, et q. 48, a. 2.</ref>. Il en était ainsi de tout acte de charité du Christ, car il puisait en la personne divine du Verbe une valeur infinie pour satisfaire comme pour mériter. L'œuvre méritoire devient satisfactoire ou réparatrice et expia­trice, lorsqu'elle a quelque chose d'afflictif ou de péni­ble, et Jésus, en offrant sa vie au milieu des plus grandes souffrances physiques et morales, a offert dès lors à son Père une satisfaction d'une valeur infinie et surabon­dante. Lui seul pouvait ainsi satisfaire pleinement en stricte justice, car la valeur dela satisfaction comme celle du mérite provient de l'excellence de la personne qui, en Jésus, a une dignité infinie.<br>
Mais à la satisfaction parfaite du Sauveur a pu s'ajou­ter une satisfaction de convenance, comme à son mérite s'est ajouté un mérite de convenance. Il faut y insister pour mieux voir ensuite quelle a été la profondeur et l'étendue des souffrances de la Sainte Vierge.<br>
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Mais à la satisfaction parfaite du Sauveur a pu s'ajou­ter une satisfaction de convenance, comme à son mérite s'est ajouté un mérite de convenance. Il faut y insister pour mieux voir ensuite quelle a été la profondeur et l'étendue des souffrances de la Sainte Vierge.
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=====Marie a offert pour nous une satisfaction de convenance de la plus grande valeur après celle de son Fils=====
Marie a offert pour nous une satisfaction de convenance<br>
 
de la plus grande valeur après celle de son Fils<br>
 
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Le mérite devient le fondement de la satisfaction, lors­que l'œuvre méritoire prend un caractère afflictif. Aussi d'après les principes exposés à l'article précédent, les théologiens enseignent communément cette proposition : ''Beata Maria Virgo satisfecit de congruo ubi Christus de condigno'', Marie a offert pour nous une satisfaction de convenance pendant que Jésus-Christ satisfaisait pour nous en stricte justice.<br>
 
Le mérite devient le fondement de la satisfaction, lors­que l'œuvre méritoire prend un caractère afflictif. Aussi d'après les principes exposés à l'article précédent, les théologiens enseignent communément cette proposition : ''Beata Maria Virgo satisfecit de congruo ubi Christus de condigno'', Marie a offert pour nous une satisfaction de convenance pendant que Jésus-Christ satisfaisait pour nous en stricte justice.<br>
 
En sa qualité de Mère de Dieu rédempteur, elle lui a été en effet unie par une parfaite conformité de volonté, par l'humilité, la pauvreté, les souffrances, les larmes, au Calvaire surtout; en ce sens elle a satisfait avec lui, et cette satisfaction de convenance tire sa très grande valeur de son éminente dignité de Mère de Dieu, de la perfection de sa charité, du fait qu'elle n'avait rien, à expier pour elle-même et de l'intensité de ses souffran­ces.<br>
 
En sa qualité de Mère de Dieu rédempteur, elle lui a été en effet unie par une parfaite conformité de volonté, par l'humilité, la pauvreté, les souffrances, les larmes, au Calvaire surtout; en ce sens elle a satisfait avec lui, et cette satisfaction de convenance tire sa très grande valeur de son éminente dignité de Mère de Dieu, de la perfection de sa charité, du fait qu'elle n'avait rien, à expier pour elle-même et de l'intensité de ses souffran­ces.<br>
Ligne 264 : Ligne 220 :
 
Pie X l'appelle « la réparatrice du monde déchu »<ref> Encycl. Ad diem illum, 2 février 1904 : « Reparatrix perditi orbis. »</ref> et montre comment elle a été unie au sacerdoce de son Fils : « Non seulement parce qu'elle a consenti à deve­nir la Mère du Fils unique de Dieu pour rendre possible un sacrifice destiné au salut des hommes; mais la gloire de Marie consiste aussi en ce qu'elle a accepté la mis­sion de protéger, de nourrir l'Agneau du sacrifice, et, quand le moment en fut venu, de le conduire à l'autel de l'immolation. De la sorte, la communauté de vie et de souffrances de Marie et de son Fils ne fut jamais inter­rompue. A elle comme à lui s'appliquèrent pareillement les paroles du prophète : Ma vie s'est passée en douleurs et mes jours se sont écoulés en gémissements. »<br>
 
Pie X l'appelle « la réparatrice du monde déchu »<ref> Encycl. Ad diem illum, 2 février 1904 : « Reparatrix perditi orbis. »</ref> et montre comment elle a été unie au sacerdoce de son Fils : « Non seulement parce qu'elle a consenti à deve­nir la Mère du Fils unique de Dieu pour rendre possible un sacrifice destiné au salut des hommes; mais la gloire de Marie consiste aussi en ce qu'elle a accepté la mis­sion de protéger, de nourrir l'Agneau du sacrifice, et, quand le moment en fut venu, de le conduire à l'autel de l'immolation. De la sorte, la communauté de vie et de souffrances de Marie et de son Fils ne fut jamais inter­rompue. A elle comme à lui s'appliquèrent pareillement les paroles du prophète : Ma vie s'est passée en douleurs et mes jours se sont écoulés en gémissements. »<br>
 
Benoît XV enseigne enfin : « En s'unissant à la Pas­sion et à la mort de son Fils, elle a souffert comme à en mourir... pour apaiser la justice divine; autant qu'elle le pouvait, elle a immolé son Fils, de telle façon qu'on peut dire qu'avec lui elle a racheté le genre humain<ref> Litt. Inter Sodalicia : « Ita cum Filio patiente et moriente.passa est et poene commortua, sic materna in Filium jura pro hominum salute abdicavit, placandaeque Dei justitiae, quantum ad se pertinebat, Filium immolavit; ut dici merito queat, ipsam cum Christo humanum genus redemisse. »</ref>. » C'est l'équivalent du titre de corédemptrice<ref> Cf. Denzinger, n° 3034, n. 4, où est rapporté le texte de Benoît XV, Au même endroit, il estt indiqué quo Pie XI (Litt. Apost., 2 février 1923), écrivit aussi « Virgo perdolens redemptionis opus Jesu Christo partici­pavit », et qu'un décret du Saint-Office du 26 juin 1913 a loué « l'habitude d'ajouter au nom de .Jésus celui de sa Mère, notre corédemptrice, la bien­heureuse Vierge Marie »,  « nomen Matris suae, coredemptricis nostrae, beatae Mariae ». La même Congrégation a indulgencié enfin l'oraison où Marie est appelée « corredentrice del genere humano » (22 janvier 1914).<br>
 
Benoît XV enseigne enfin : « En s'unissant à la Pas­sion et à la mort de son Fils, elle a souffert comme à en mourir... pour apaiser la justice divine; autant qu'elle le pouvait, elle a immolé son Fils, de telle façon qu'on peut dire qu'avec lui elle a racheté le genre humain<ref> Litt. Inter Sodalicia : « Ita cum Filio patiente et moriente.passa est et poene commortua, sic materna in Filium jura pro hominum salute abdicavit, placandaeque Dei justitiae, quantum ad se pertinebat, Filium immolavit; ut dici merito queat, ipsam cum Christo humanum genus redemisse. »</ref>. » C'est l'équivalent du titre de corédemptrice<ref> Cf. Denzinger, n° 3034, n. 4, où est rapporté le texte de Benoît XV, Au même endroit, il estt indiqué quo Pie XI (Litt. Apost., 2 février 1923), écrivit aussi « Virgo perdolens redemptionis opus Jesu Christo partici­pavit », et qu'un décret du Saint-Office du 26 juin 1913 a loué « l'habitude d'ajouter au nom de .Jésus celui de sa Mère, notre corédemptrice, la bien­heureuse Vierge Marie »,  « nomen Matris suae, coredemptricis nostrae, beatae Mariae ». La même Congrégation a indulgencié enfin l'oraison où Marie est appelée « corredentrice del genere humano » (22 janvier 1914).<br>
Cf. Dict. Théol. cath., art. Marie, col. 2396 : « Le mot corédemptrice signifiant par lui-même une simple coopération à la rédemption de Jésus-­Christ, et ayant reçu, depuis plusieurs siècles, dans le langage théologique, le sens très déterminé d'une coopération secondaire et dépendante, selon les témoignages précités, il n'y a point de difficulté sérieuse à s'en servir, à condition que l'on ait soin de l'accompagner de quelques expressions indiquant que le rôle de Marie, dans cette coopération, est un rôle secondaire et dépendant. »</ref>.<br>
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Cf. Dict. Théol. cath., art. Marie, col. 2396 : « Le mot corédemptrice signifiant par lui-même une simple coopération à la rédemption de Jésus-­Christ, et ayant reçu, depuis plusieurs siècles, dans le langage théologique, le sens très déterminé d'une coopération secondaire et dépendante, selon les témoignages précités, il n'y a point de difficulté sérieuse à s'en servir, à condition que l'on ait soin de l'accompagner de quelques expressions indiquant que le rôle de Marie, dans cette coopération, est un rôle secondaire et dépendant. »</ref>.
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=====La profondeur et la fécondité des souffrances de Marie corédemptrice=====
La profondeur et la fécondité des souffrances<br>
 
de Marie corédemptrice<br>
 
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Le caractère de satisfaction ou d'expiation des souf­frances de la Sainte Vierge provient de ce que, comme Notre-Seigneur et avec lui, elle a souffert du péché ou de l'offense faite à Dieu. Or elle en a souffert dans la mesure de son amour pour Dieu offensé, de son amour pour son Fils crucifié à cause de nos fautes, et de son amour pour nos âmes que le péché ravage et fait mourir. Cette me­sure fut donc celle de la plénitude de grâce et de cha­rité, qui dès l'instant de sa conception immaculée dépas­sait la grâce finale de tous les saints réunis, et qui depuis lors n'avait cessé de grandir. Déjà, par les actes les plus faciles, Marie méritait plus que les martyrs dans leurs tourments, parce qu'elle y mettait plus d'amour ; quel ne fut pas dès lors le prix de ses souffrances au pied de la croix, étant donnée la connaissance qu'elle y recevait du mystère de la Rédemption !<br>
 
Le caractère de satisfaction ou d'expiation des souf­frances de la Sainte Vierge provient de ce que, comme Notre-Seigneur et avec lui, elle a souffert du péché ou de l'offense faite à Dieu. Or elle en a souffert dans la mesure de son amour pour Dieu offensé, de son amour pour son Fils crucifié à cause de nos fautes, et de son amour pour nos âmes que le péché ravage et fait mourir. Cette me­sure fut donc celle de la plénitude de grâce et de cha­rité, qui dès l'instant de sa conception immaculée dépas­sait la grâce finale de tous les saints réunis, et qui depuis lors n'avait cessé de grandir. Déjà, par les actes les plus faciles, Marie méritait plus que les martyrs dans leurs tourments, parce qu'elle y mettait plus d'amour ; quel ne fut pas dès lors le prix de ses souffrances au pied de la croix, étant donnée la connaissance qu'elle y recevait du mystère de la Rédemption !<br>
 
Dans la lumière surnaturelle qui éclairait son intelli­gence, Marie voyait que toutes les âmes sont appelées à chanter la gloire de Dieu, incomparablement mieux que les étoiles du ciel. Chaque âme devrait être comme un rayon de la divinité, rayon spirituel plein de pensée et d'amour, puisque notre intelligence est faite pour con­naître Dieu et notre cœur pour l'aimer. Or, tandis que les astres suivent régulièrement leur voie fixée par la Pro­vidence et racontent la gloire du Créateur, des milliers d'âmes, dont chacune vaut un monde, se détournent, de Dieu. A la place de ce rayonnement divin, de cette gloire extérieure du Très-Haut ou de son règne, on trouve en des cœurs innombrables les trois plaies appelées par saint Jean ''la concupiscence de la chair'', comme s'il n'y avait d'autre amour désirable que l'amour charnel, ''la concupiscence des yeux'', comme s'il n'y avait d'autre gloire que celle de la fortune et des honneurs, ''l'orgueil de la vie'', comme si Dieu n'existait pas, comme s'il n'é­tait ni notre Créateur et maître, ni notre fin, comme si nous n'avions d'autre fin que nous-mêmes.<br>
 
Dans la lumière surnaturelle qui éclairait son intelli­gence, Marie voyait que toutes les âmes sont appelées à chanter la gloire de Dieu, incomparablement mieux que les étoiles du ciel. Chaque âme devrait être comme un rayon de la divinité, rayon spirituel plein de pensée et d'amour, puisque notre intelligence est faite pour con­naître Dieu et notre cœur pour l'aimer. Or, tandis que les astres suivent régulièrement leur voie fixée par la Pro­vidence et racontent la gloire du Créateur, des milliers d'âmes, dont chacune vaut un monde, se détournent, de Dieu. A la place de ce rayonnement divin, de cette gloire extérieure du Très-Haut ou de son règne, on trouve en des cœurs innombrables les trois plaies appelées par saint Jean ''la concupiscence de la chair'', comme s'il n'y avait d'autre amour désirable que l'amour charnel, ''la concupiscence des yeux'', comme s'il n'y avait d'autre gloire que celle de la fortune et des honneurs, ''l'orgueil de la vie'', comme si Dieu n'existait pas, comme s'il n'é­tait ni notre Créateur et maître, ni notre fin, comme si nous n'avions d'autre fin que nous-mêmes.<br>
Ligne 295 : Ligne 248 :
 
Sans doute, les vertus théologales grandirent encore en Marie jusqu'à sa mort, car ces actes de foi, d'espérance et de charité, loin d'être interrompus, continuèrent en elle comme un état. Ils prirent même, dans le calme, une plus grande amplitude, comme lorsqu'un grand fleuve, après le bouillonnement des passages les plus difficiles de son parcours, devient de plus en plus puissant et ma­jestueux jusqu'à ce qu'il se jette dans l'océan.<br>
 
Sans doute, les vertus théologales grandirent encore en Marie jusqu'à sa mort, car ces actes de foi, d'espérance et de charité, loin d'être interrompus, continuèrent en elle comme un état. Ils prirent même, dans le calme, une plus grande amplitude, comme lorsqu'un grand fleuve, après le bouillonnement des passages les plus difficiles de son parcours, devient de plus en plus puissant et ma­jestueux jusqu'à ce qu'il se jette dans l'océan.<br>
 
Ce que souligne ici la théologie, c'est qu'en Marie au pied de la croix le sacrifice égale le mérite; l'un et l'au­tre sont d'une valeur inestimable et leur fécondité dé­passe en cette ligne, sans atteindre celle du Christ, tout ce que l'on pourrait dire<ref> Telle une asymptote ou ligne droite qui, indéfiniment prolongée, s'approche continuellement d'une courbe, sans pouvoir jamais l'atteindre. De même les côtés du polygone inscrit dans la circonférence peuvent tou­jours être multipliés, sans devenir un point, et sans que le polygone rejoigne la circonférence ou s'identifie avec elle. De même encore les forces inconnues de la nature produisent des effets que la science décou­vre incessamment, comme elle a découvert récemment ceux du radium; mais jamais ces forces naturelles ne peuvent produire les effets propres de Dieu, comme la création proprement dite ex nihilo, ou la résurrection d'un mort.</ref>. C'est ce que les théologiens expriment en disant : Marie a satisfait pour nous d'une satisfaction de convenance, fondée sur son immense cha­rité, comme Jésus a satisfait en stricte justice pour notre salut.<br>
 
Ce que souligne ici la théologie, c'est qu'en Marie au pied de la croix le sacrifice égale le mérite; l'un et l'au­tre sont d'une valeur inestimable et leur fécondité dé­passe en cette ligne, sans atteindre celle du Christ, tout ce que l'on pourrait dire<ref> Telle une asymptote ou ligne droite qui, indéfiniment prolongée, s'approche continuellement d'une courbe, sans pouvoir jamais l'atteindre. De même les côtés du polygone inscrit dans la circonférence peuvent tou­jours être multipliés, sans devenir un point, et sans que le polygone rejoigne la circonférence ou s'identifie avec elle. De même encore les forces inconnues de la nature produisent des effets que la science décou­vre incessamment, comme elle a découvert récemment ceux du radium; mais jamais ces forces naturelles ne peuvent produire les effets propres de Dieu, comme la création proprement dite ex nihilo, ou la résurrection d'un mort.</ref>. C'est ce que les théologiens expriment en disant : Marie a satisfait pour nous d'une satisfaction de convenance, fondée sur son immense cha­rité, comme Jésus a satisfait en stricte justice pour notre salut.<br>
Les saints qui ont été le plus associés aux souffrances du Sauveur ne sont pas entrés autant que Marie dans les dernières profondeurs de la Passion. Sainte Catherine de Ricci eut tous les vendredis pendant douze ans une extase de douleur qui durait vingt-huit heures et pendant la­quelle elle revivait toutes les souffrances du chemin de la croix. Or les souffrances de sainte Catherine de Ricci et des autres stigmatisés n'approchent pas de celles de la Vierge. Tous les déchirements du Coeur de Jésus reten­tirent dans le cœur de Marie, qui serait morte d'une pareille torture si elle n'avait été surnaturellement sou­tenue par un secours exceptionnel. Elle est ainsi deve­nue la consolatrice des afligés, car elle a souffert beau­coup plus qu'eux, la patronne de la bonne mort, et nous ne pouvons certes pas soupçonner combien ses souffrances depuis vingt siècles ont été fécondes.<br>
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Les saints qui ont été le plus associés aux souffrances du Sauveur ne sont pas entrés autant que Marie dans les dernières profondeurs de la Passion. Sainte Catherine de Ricci eut tous les vendredis pendant douze ans une extase de douleur qui durait vingt-huit heures et pendant la­quelle elle revivait toutes les souffrances du chemin de la croix. Or les souffrances de sainte Catherine de Ricci et des autres stigmatisés n'approchent pas de celles de la Vierge. Tous les déchirements du Coeur de Jésus reten­tirent dans le cœur de Marie, qui serait morte d'une pareille torture si elle n'avait été surnaturellement sou­tenue par un secours exceptionnel. Elle est ainsi deve­nue la consolatrice des afligés, car elle a souffert beau­coup plus qu'eux, la patronne de la bonne mort, et nous ne pouvons certes pas soupçonner combien ses souffrances depuis vingt siècles ont été fécondes.
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=====La participation de Marie corédemptrice au sacerdoce du Christ=====
La participation de Marie corédemptrice<br>
 
au sacerdoce du Christ<br>
 
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Si Marie peut être dite corédemptrice au sens que nons venons d'expliquer, on ne saurait dire qu'elle est ''prêtre'' au sens propre du mot, car elle n'a pas reçu le caractère sacerdotal et ne pourrait consacrer l'Eucharistïe ; ni don­ner l'absolution sacramentelle. Mais, comme nous l'a­vons vu en parlant de la maternité divine, celle-ci est supérieure au sacerdoce des prêtres du Christ, en ce sens ''qu'il est plus parfait de donner à Notre-Seigneur sa nature humaine que de rendre son corps présent dans l'Eucharistie''. Marie nous a donné le Prêtre du sacrifice de la croix, le prêtre principal du sacrifice de la messe et la victime offerte sur nos autels.<br>
 
Si Marie peut être dite corédemptrice au sens que nons venons d'expliquer, on ne saurait dire qu'elle est ''prêtre'' au sens propre du mot, car elle n'a pas reçu le caractère sacerdotal et ne pourrait consacrer l'Eucharistïe ; ni don­ner l'absolution sacramentelle. Mais, comme nous l'a­vons vu en parlant de la maternité divine, celle-ci est supérieure au sacerdoce des prêtres du Christ, en ce sens ''qu'il est plus parfait de donner à Notre-Seigneur sa nature humaine que de rendre son corps présent dans l'Eucharistie''. Marie nous a donné le Prêtre du sacrifice de la croix, le prêtre principal du sacrifice de la messe et la victime offerte sur nos autels.<br>
 
''Il est plus parfait aussi d'offrir son Fils unique et son Dieu sur la croix, en s'offrant avec lui dans la plus grande douleur, que de rendre le corps de Notre-Seigneur pré­sent et de l'offrir sur l'autel, ''comme le fait le prêtre pen­dant le sacrifice de la messe.<br>
 
''Il est plus parfait aussi d'offrir son Fils unique et son Dieu sur la croix, en s'offrant avec lui dans la plus grande douleur, que de rendre le corps de Notre-Seigneur pré­sent et de l'offrir sur l'autel, ''comme le fait le prêtre pen­dant le sacrifice de la messe.<br>
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Marie a donc exercé sur terre sa médiation universelle, en méritant pour nous d'un mérite de convenance tout ce que Jésus-Christ nous a mérité en stricte justice, et aussi en offrant pour nous une satisfaction de convenance, fon­dée sur son immense charité, pendant que Notre-Seigneur satisfaisait en justice pour toutes nos fautes et nous réconciliait avec Dieu. Pour Jésus et pour sa sainte Mère cette médiation universelle exercée pendant leur vie ter­restre est le fondement de celle qu'ils exercent du haut du ciel, et dont nous devons parler maintenant.<br>
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Marie a donc exercé sur terre sa médiation universelle, en méritant pour nous d'un mérite de convenance tout ce que Jésus-Christ nous a mérité en stricte justice, et aussi en offrant pour nous une satisfaction de convenance, fon­dée sur son immense charité, pendant que Notre-Seigneur satisfaisait en justice pour toutes nos fautes et nous réconciliait avec Dieu. Pour Jésus et pour sa sainte Mère cette médiation universelle exercée pendant leur vie ter­restre est le fondement de celle qu'ils exercent du haut du ciel, et dont nous devons parler maintenant.
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CHAPITRE III<br>
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===CHAPITRE III - La médiation universelle de Marie au Ciel===
La médiation universelle de Marie au Ciel<br>
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Cette médiation qu'exerce la Sainte Vierge depuis l'As­somption a pour but de nous obtenir en temps opportun l'application des mérites passés, acquis par Jésus et par elle pendant leur vie terrestre et surtout au Calvaire. Nous parlerons à ce sujet de la puissance d'intercession de Marie, de la manière dont elle distribue toutes les grâ­ces ou du mode de son influence sur nous, et enfin de l'universalité de sa médiation et de sa définibilité.
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Cette médiation qu'exerce la Sainte Vierge depuis l'As­somption a pour but de nous obtenir en temps opportun l'application des mérites passés, acquis par Jésus et par elle pendant leur vie terrestre et surtout au Calvaire. Nous parlerons à ce sujet de la puissance d'intercession de Marie, de la manière dont elle distribue toutes les grâ­ces ou du mode de son influence sur nous, et enfin de l'universalité de sa médiation et de sa définibilité.<br>
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====Article I - LA PUISSANCE D'INTERCESSION DE MARIE====
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Article I<br>
 
<br>LA PUISSANCE D'INTERCESSION DE MARIE<br>
 
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Dès sa vie terrestre, la Sainte Vierge apparaît dans l'Evangile comme la distributrice des grâces. Par elle, Jésus sanctifie le précurseur lorsqu'elle vient voir sa cou­sine Elisabeth et chante le ''Magnificat''. Par elle, il con­firme la foi des disciples à Cana, en accordant le miracle qu'elle demandait. Par elle, il affermit la foi de Jean au Calvaire, en disant : « Mon fils, voici votre mère. » Par elle, enfin, le Saint-Esprit se répandit sur les Apôtres, car il est dit (''Act. Ap.'', I, 14) qu'elle priait avec eux au Cénacle, lorsqu'ils se préparaient à l'apostolat pour lequel ils furent éclairés et fortifiés par les grâces de la Pentecôte.<br>
 
Dès sa vie terrestre, la Sainte Vierge apparaît dans l'Evangile comme la distributrice des grâces. Par elle, Jésus sanctifie le précurseur lorsqu'elle vient voir sa cou­sine Elisabeth et chante le ''Magnificat''. Par elle, il con­firme la foi des disciples à Cana, en accordant le miracle qu'elle demandait. Par elle, il affermit la foi de Jean au Calvaire, en disant : « Mon fils, voici votre mère. » Par elle, enfin, le Saint-Esprit se répandit sur les Apôtres, car il est dit (''Act. Ap.'', I, 14) qu'elle priait avec eux au Cénacle, lorsqu'ils se préparaient à l'apostolat pour lequel ils furent éclairés et fortifiés par les grâces de la Pentecôte.<br>
 
A plus forte raison, après l'Assomption, depuis qu'elle est entrée au ciel et qu'elle a été élevée au-dessus des chœurs des anges, Marie est-elle puissante par son inter­cession.<br>
 
A plus forte raison, après l'Assomption, depuis qu'elle est entrée au ciel et qu'elle a été élevée au-dessus des chœurs des anges, Marie est-elle puissante par son inter­cession.<br>
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Au sujet enfin de ''l'efficacité des prières de Marie'', il faut rappeler un principe qui s'applique même à la prière de Jésus-Christ. Celle-ci est ''toujours exaucée'' en ce qu'elle demande, non pas d'une façon conditionnelle comme il pria au jardin des Oliviers, mais de façon ''absolue ''et con­forme aux intentions divines bien connues de lui<ref> Cf. saint Thomas, IIIa, q. 21, a. 4­.</ref>. Il faut dire de même : Marie par son intercession obtient infailliblement de son Fils tout ce qu'elle lui demande de façon, non conditionnelle, mais absolue en conformité avec les intentions divines, qu'elle n'ignore pas.<br>
 
Au sujet enfin de ''l'efficacité des prières de Marie'', il faut rappeler un principe qui s'applique même à la prière de Jésus-Christ. Celle-ci est ''toujours exaucée'' en ce qu'elle demande, non pas d'une façon conditionnelle comme il pria au jardin des Oliviers, mais de façon ''absolue ''et con­forme aux intentions divines bien connues de lui<ref> Cf. saint Thomas, IIIa, q. 21, a. 4­.</ref>. Il faut dire de même : Marie par son intercession obtient infailliblement de son Fils tout ce qu'elle lui demande de façon, non conditionnelle, mais absolue en conformité avec les intentions divines, qu'elle n'ignore pas.<br>
 
Il peut y avoir à la réalisation de certaines prières un obstacle que la divine Providence pourrait empêcher, mais que de fait elle n'empêche pas toujours. Cet obsta­cle peut provenir de ce que l'on ne prie point la Sainte Vierge avec les dispositions voulues, avec humilité, con­fiance et persévérance, ou que l'on demande une chose qui n'est pas jugée utile au bien spirituel, ou que la volonté de celui pour lequel on prie refuse opiniâtrement la con­version demandée<ref> Cf. saint Thomas, IIa IIae, q. 83, a. 15, ad 2.</ref>. Cela même est permis pour un bien supérieur qui apparaîtra clairement au ciel : la ma­nifestation des perfections divines, la splendeur de la. Miséricorde ou de la Justice.<br>
 
Il peut y avoir à la réalisation de certaines prières un obstacle que la divine Providence pourrait empêcher, mais que de fait elle n'empêche pas toujours. Cet obsta­cle peut provenir de ce que l'on ne prie point la Sainte Vierge avec les dispositions voulues, avec humilité, con­fiance et persévérance, ou que l'on demande une chose qui n'est pas jugée utile au bien spirituel, ou que la volonté de celui pour lequel on prie refuse opiniâtrement la con­version demandée<ref> Cf. saint Thomas, IIa IIae, q. 83, a. 15, ad 2.</ref>. Cela même est permis pour un bien supérieur qui apparaîtra clairement au ciel : la ma­nifestation des perfections divines, la splendeur de la. Miséricorde ou de la Justice.<br>
On voit par ces explications que la toute-puissance d'intercession de Marie, reposant sur les mérites du Sauveur et sur son amour pour sa Mère, loin de porter atteinte à sa médiation universelle, en est le rayonne­ment splendide, et manifeste la rédemption souveraine accomplie par le Rédempteur parfait en celle qui lui est le plus intimement associée dans l'œuvre du salut de l'humanité.<br>
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On voit par ces explications que la toute-puissance d'intercession de Marie, reposant sur les mérites du Sauveur et sur son amour pour sa Mère, loin de porter atteinte à sa médiation universelle, en est le rayonne­ment splendide, et manifeste la rédemption souveraine accomplie par le Rédempteur parfait en celle qui lui est le plus intimement associée dans l'œuvre du salut de l'humanité.
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Article II<br>
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====Article II - LA DISTRIBUTRICE DE TOUTES LES GRACES, SON MODE D'INFLUENCE====
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LA DISTRIBUTRICE DE TOUTES LES GRACES,<br>
 
SON MODE D'INFLUENCE<br>
 
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La Sainte Vierge est-elle la distributrice de toutes les grâces par cela seul qu'elle intercède pour chacun de nous, afin que les mérites passés du Sauveur et les siens nous soient appliqués au moment opportun, ou bien nous transmet-elle aussi les grâces que nous recevons à la ma­nière dont le fait l'humanité de Jésus, qui est selon saint Thomas et beaucoup de théologiens « cause instrumentale physique de ces grâces » ou l'instrument toujours uni à la divinité, supérieur aux sacrements qui sont des instru­ments séparés ?<br>
 
La Sainte Vierge est-elle la distributrice de toutes les grâces par cela seul qu'elle intercède pour chacun de nous, afin que les mérites passés du Sauveur et les siens nous soient appliqués au moment opportun, ou bien nous transmet-elle aussi les grâces que nous recevons à la ma­nière dont le fait l'humanité de Jésus, qui est selon saint Thomas et beaucoup de théologiens « cause instrumentale physique de ces grâces » ou l'instrument toujours uni à la divinité, supérieur aux sacrements qui sont des instru­ments séparés ?<br>
 
Par rapport au Christ Jésus lui-même, tête de l'Eglise, cette doctrine a été souvent exposée par saint Thomas<ref> Cf. saint Thomas, IIIa, q. 8, a. 1, ad 1 ; q. 13, a. 2; q. 48, a. 6; q. 49, a. 1; q. 50, a. 6; q. 62, a, 1, et de Potentia, q. 6, a. 4.</ref>; on se demande s'il faut l'admettre aussi pour Marie en tant qu'elle est, selon la Tradition, dans le Corps mysti­que du Christ comme le cou qui réunit la tête aux mem­bres et leur transmet l'influx vital.<br>
 
Par rapport au Christ Jésus lui-même, tête de l'Eglise, cette doctrine a été souvent exposée par saint Thomas<ref> Cf. saint Thomas, IIIa, q. 8, a. 1, ad 1 ; q. 13, a. 2; q. 48, a. 6; q. 49, a. 1; q. 50, a. 6; q. 62, a, 1, et de Potentia, q. 6, a. 4.</ref>; on se demande s'il faut l'admettre aussi pour Marie en tant qu'elle est, selon la Tradition, dans le Corps mysti­que du Christ comme le cou qui réunit la tête aux mem­bres et leur transmet l'influx vital.<br>
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Dans son Explication de l'Ave Maria, il attribue à la Sainte Vierge une plénitude de grâce qui déborde sur les hommes pour les sanctifier, mais il ne dit pas explicite­ment si cette influence contient quelque chose de plus que la causalité morale du mérite et de la satisfaction passés et de l'intercession actuelle<ref> Cf. Expositionem Salutationis angelicae.</ref>.<br>
 
Dans son Explication de l'Ave Maria, il attribue à la Sainte Vierge une plénitude de grâce qui déborde sur les hommes pour les sanctifier, mais il ne dit pas explicite­ment si cette influence contient quelque chose de plus que la causalité morale du mérite et de la satisfaction passés et de l'intercession actuelle<ref> Cf. Expositionem Salutationis angelicae.</ref>.<br>
 
La causalité instrumentale physique pour la production de la grâce n'étant pas, au jugement de saint Thomas et de ses commentateurs, impossible en l'humanité du Christ, ni dans les sacrements, par exemple dans les paroles du prêtre pour la consécration et l'absolution sacramentelle, elle n'est pas non plus impossible en Marie<ref> Pour le Christ lui-même celle doctrine s'appuie sur ceci : il est dit en saint Luc, VI, 19 : « Toute celte foule cherchait à le toucher, parce qu'il sortait de lui une vertu qui les guérissait tous. » Il dit lui-même (Luc, VIII, 46) : « Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti qu'une force était sortie de moi », ce qui ne peut s'entendre d'une force morale comme celle de la prière, qui, étant spirituelle, ne sort pas du corps.<br>
 
La causalité instrumentale physique pour la production de la grâce n'étant pas, au jugement de saint Thomas et de ses commentateurs, impossible en l'humanité du Christ, ni dans les sacrements, par exemple dans les paroles du prêtre pour la consécration et l'absolution sacramentelle, elle n'est pas non plus impossible en Marie<ref> Pour le Christ lui-même celle doctrine s'appuie sur ceci : il est dit en saint Luc, VI, 19 : « Toute celte foule cherchait à le toucher, parce qu'il sortait de lui une vertu qui les guérissait tous. » Il dit lui-même (Luc, VIII, 46) : « Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti qu'une force était sortie de moi », ce qui ne peut s'entendre d'une force morale comme celle de la prière, qui, étant spirituelle, ne sort pas du corps.<br>
De même lorsque Jésus ne se contentait pas de prier pour obtenir des miracles, mais il les faisait en touchant les malades et il disait (Jean, X, 25) : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi. »<br>
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De même lorsque Jésus ne se contentait pas de prier pour obtenir des miracles, mais il les faisait en touchant les malades et il disait (Jean, X, 25) : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi. »<br>
Le premier Concile d'Éphèse (Denz., 123) dit aussi que « la chair du Christ, à cause de son union au Verbe, est vivifiante, vivificatrix »; or la chair du Christ ne produit pas la vie de la grâce par la causalité morale du mérite ou de la prière, mais par une causalité physique instrumen­tale. C'est ainsi que portent à l'entendre les paroles de saint Cyrille, de saint Jean Chrysostome, de saint Augustin, citées par les thomistes, no­tamment par le P. Rugon, op. cit., pp. 87 ss.­<br>
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Le premier Concile d'Éphèse (Denz., 123) dit aussi que « la chair du Christ, à cause de son union au Verbe, est vivifiante, vivificatrix »; or la chair du Christ ne produit pas la vie de la grâce par la causalité morale du mérite ou de la prière, mais par une causalité physique instrumen­tale. C'est ainsi que portent à l'entendre les paroles de saint Cyrille, de saint Jean Chrysostome, de saint Augustin, citées par les thomistes, no­tamment par le P. Rugon, op. cit., pp. 87 ss.­<br>
De plus, la raison théologique nous dit : agir non seulement moralement mais physiquement est plus parfait qu'agir seulement par causalité morale. Or il faut concéder à l'humanité du Christ ce qui est plus parfait, lorsque cela ne répugne pas à la fin de l'Incarnation rédemptrice. (Les objections faites contre cette causalité instrumentale sont bien réso­lues par les thomistes in IIIam, q 13, a. 2 )<br>
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De plus, la raison théologique nous dit : agir non seulement moralement mais physiquement est plus parfait qu'agir seulement par causalité morale. Or il faut concéder à l'humanité du Christ ce qui est plus parfait, lorsque cela ne répugne pas à la fin de l'Incarnation rédemptrice. (Les objections faites contre cette causalité instrumentale sont bien réso­lues par les thomistes in IIIam, q 13, a. 2 )<br>
Le même argument de convenance vaut, toute proportion gardée pour Marie, à titre d'argument de convenance, qui fournit une probabilité.</ref>. Le saint Docteur admet même que le thauma­turge est aussi parfois cause instrumentale du miracle, qui s'opère par exemple par sa bénédiction<ref> Cf IIa IIae, q. 178, de gratia miraculorum, a. 1, ad 1  « Potest con­tingere quod mens miracula facientis moveatur ad faciendum aliquid, ad quod sequitur effectus miraculi, quod Deus sua virtute facit.  » Cf. ibid.</ref>. Non seu­lement il l'obtient par sa prière, mais parfois il le fait comme instrument de Dieu.<br>
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Le même argument de convenance vaut, toute proportion gardée pour Marie, à titre d'argument de convenance, qui fournit une probabilité.</ref>. Le saint Docteur admet même que le thauma­turge est aussi parfois cause instrumentale du miracle, qui s'opère par exemple par sa bénédiction<ref> Cf IIa IIae, q. 178, de gratia miraculorum, a. 1, ad 1  « Potest con­tingere quod mens miracula facientis moveatur ad faciendum aliquid, ad quod sequitur effectus miraculi, quod Deus sua virtute facit.  » Cf. ibid.</ref>. Non seu­lement il l'obtient par sa prière, mais parfois il le fait comme instrument de Dieu.<br>
 
On ne peut donc pas avoir la certitude que la Sainte Vierge n'exerce pas cette influence. Il faut de plus se dire que les chefs-d'œuvre de Dieu contiennent plus de riches­ses, de beauté et de vitalité que nous ne pouvons le dire. Nous ne pensons pas cependant qu'on puisse prouver d'une façon certaine, l'existence de cette causalité en Marie. C'est un des points sur lesquels la théologie ne saurait, semble-t-il, dépasser une sérieuse probabilité. Pourquoi ? Parce qu'il est bien difficile ici de voir, dans les textes traditionnels invoqués, où finit le sens propre et où commence la métaphore. Ceux qui s'expriment même d'habitude d'une façon métaphorique là où ils pourraient et devraient employer des termes propres, ne font guère attention à la difficulté que nous signalons ici. Mais plus on tient à la propriété des termes, plus on sai­sit la vérité de cette remarque. Lorsque la Tradition nous dit que Marie, dans le Corps mystique, est comparable au cou qui réunit la tête aux membres et leur transmet l'influx vital, c'est là certainement au moins une méta­phore très expressive, mais nous ne pouvons affirmer avec certitude qu'il y a plus.<br>
 
On ne peut donc pas avoir la certitude que la Sainte Vierge n'exerce pas cette influence. Il faut de plus se dire que les chefs-d'œuvre de Dieu contiennent plus de riches­ses, de beauté et de vitalité que nous ne pouvons le dire. Nous ne pensons pas cependant qu'on puisse prouver d'une façon certaine, l'existence de cette causalité en Marie. C'est un des points sur lesquels la théologie ne saurait, semble-t-il, dépasser une sérieuse probabilité. Pourquoi ? Parce qu'il est bien difficile ici de voir, dans les textes traditionnels invoqués, où finit le sens propre et où commence la métaphore. Ceux qui s'expriment même d'habitude d'une façon métaphorique là où ils pourraient et devraient employer des termes propres, ne font guère attention à la difficulté que nous signalons ici. Mais plus on tient à la propriété des termes, plus on sai­sit la vérité de cette remarque. Lorsque la Tradition nous dit que Marie, dans le Corps mystique, est comparable au cou qui réunit la tête aux membres et leur transmet l'influx vital, c'est là certainement au moins une méta­phore très expressive, mais nous ne pouvons affirmer avec certitude qu'il y a plus.<br>
 
Cependant ces paroles ne paraissent avoir leur signi­fication complète, comme dit le P. Hugon, que si l'on admet la causalité physique instrumentale dont nous par­lons<ref> La causalité instrumentale en théologie, p. 201.</ref>.<br>
 
Cependant ces paroles ne paraissent avoir leur signi­fication complète, comme dit le P. Hugon, que si l'on admet la causalité physique instrumentale dont nous par­lons<ref> La causalité instrumentale en théologie, p. 201.</ref>.<br>
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NOTE<br>
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====NOTE -LE MODE DE PRÉSENCE DE LA SAINTE VIERGE DANS LES AMES QUI LUI SONT UNIES====
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Pour préciser cette doctrine, il faut dire brièvement ce que les théologiens entendent par contact virtuel d'une part, et par pré­sence affective de l'autre.
LE MODE DE PRÉSENCE DE LA SAINTE VIERGE<br>
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DANS LES AMES QUI LUI SONT UNIES<br>
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=====Le contact virtuel ou dynamique=====
Pour préciser cette doctrine, il faut dire brièvement ce que les théologiens entendent par contact virtuel d'une part, et par pré­sence affective de l'autre.<br>
 
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=====Le contact virtuel ou dynamique=====<br>
 
 
A propos de la présence de Dieu en toutes choses ou de celle des anges dans les corps sur lesquels ils agissent, on distingue géné­ralement le ''contact virtuel ''(''contactus virtutis'') du ''contact quanti­tatif''. Deux corps sont présents l'un à l'autre par le contact quan­titatif, c'est-à-dire par celui de leur propre quantité ou étendue.<br>
 
A propos de la présence de Dieu en toutes choses ou de celle des anges dans les corps sur lesquels ils agissent, on distingue géné­ralement le ''contact virtuel ''(''contactus virtutis'') du ''contact quanti­tatif''. Deux corps sont présents l'un à l'autre par le contact quan­titatif, c'est-à-dire par celui de leur propre quantité ou étendue.<br>
 
Un esprit pur, n'ayant pas de corps, ni par suite de quantité ou étendue, est présent là où il opère par le contact virtuel, par sa vertu, principe de son action. C'est le contact dynamique d'une force spirituelle qui possède ce sur quoi elle agit.<br>
 
Un esprit pur, n'ayant pas de corps, ni par suite de quantité ou étendue, est présent là où il opère par le contact virtuel, par sa vertu, principe de son action. C'est le contact dynamique d'une force spirituelle qui possède ce sur quoi elle agit.<br>
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A ce titre, on peut dire que nous sommes constamment sous leur influence dans l'ordre spirituel, comme dans l'ordre corporel notre corps est constamment sous l'influence du soleil qui nous éclaire et nous réchauffe et sous l'influence permanente de l'air que nous respirons sans cesse<ref> La vertu instrumentale qui produit la grâce est d'ordre spirituel et surnaturel, elle peut cependant de façon transitoire, ainsi qu'une vibra­tion. dire dans un geste corporel, par exemple d'adoration extérieure ou de bénédiction, et passer par les cicatrices glorieuses du corps du Christ. Elle peut être aussi dans des paroles sensibles comme celles de l'absolu­tion sacramentelle transmises par le milieu sonore qui se trouve entre le prêtre et le pénitent. Cette vertu instrumentale productrice de la grâce peut être transmise elle aussi par le milieu (air ou éther) qui se trouve entre nous et le corps du Christ ou celui de sa sainte Mère présents au ciel.<br>
 
A ce titre, on peut dire que nous sommes constamment sous leur influence dans l'ordre spirituel, comme dans l'ordre corporel notre corps est constamment sous l'influence du soleil qui nous éclaire et nous réchauffe et sous l'influence permanente de l'air que nous respirons sans cesse<ref> La vertu instrumentale qui produit la grâce est d'ordre spirituel et surnaturel, elle peut cependant de façon transitoire, ainsi qu'une vibra­tion. dire dans un geste corporel, par exemple d'adoration extérieure ou de bénédiction, et passer par les cicatrices glorieuses du corps du Christ. Elle peut être aussi dans des paroles sensibles comme celles de l'absolu­tion sacramentelle transmises par le milieu sonore qui se trouve entre le prêtre et le pénitent. Cette vertu instrumentale productrice de la grâce peut être transmise elle aussi par le milieu (air ou éther) qui se trouve entre nous et le corps du Christ ou celui de sa sainte Mère présents au ciel.<br>
 
Mais, comme le dit saint Thomas, IIa IIae, q. 178, a. 1, ad 1, et de Potentia, q. 6, a. 4, Dieu peut aussi se servir comme instrument d'un acte purement spirituel, d'une prière intérieure du Sauveur ou de sa Mère; alors la vertu instrumentale productrice de la grâce est transmise sans milieu corporel. Comment ? Dieu, qui est partout présent, dans les esprits comme dans les corps qu'il conserve les uns et les autres dans l'existence, peut rendre présente là où elle doit opérer cette vertu instru­mentale d'ordre spirituel, qui de soi n'est pas dans un lieu, mais qui est comme l'esprit dans une zone supra-spatiale du réel. Les thomistes disent que Dieu la porte là où elle doit opérer, mais il ne peut jouer lui-même le rôle de milieu, car le milieu, comme l'air ou l'éther, est une cause matérielle mise en mouvement, et Dieu ne peut être que cause efficiente et finale.</ref>.<br>
 
Mais, comme le dit saint Thomas, IIa IIae, q. 178, a. 1, ad 1, et de Potentia, q. 6, a. 4, Dieu peut aussi se servir comme instrument d'un acte purement spirituel, d'une prière intérieure du Sauveur ou de sa Mère; alors la vertu instrumentale productrice de la grâce est transmise sans milieu corporel. Comment ? Dieu, qui est partout présent, dans les esprits comme dans les corps qu'il conserve les uns et les autres dans l'existence, peut rendre présente là où elle doit opérer cette vertu instru­mentale d'ordre spirituel, qui de soi n'est pas dans un lieu, mais qui est comme l'esprit dans une zone supra-spatiale du réel. Les thomistes disent que Dieu la porte là où elle doit opérer, mais il ne peut jouer lui-même le rôle de milieu, car le milieu, comme l'air ou l'éther, est une cause matérielle mise en mouvement, et Dieu ne peut être que cause efficiente et finale.</ref>.<br>
''En la présence spirituelle ''dont nous venons de parler peuvent s'unir l'influence de la causalité instrumentale dite physique, qui est ici spirituelle, et la ''présence ''dite ''affective ''sur laquelle nous allons insister, et qui, elle, n'est pas seulement probable, mais certaine.<br>
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''En la présence spirituelle ''dont nous venons de parler peuvent s'unir l'influence de la causalité instrumentale dite physique, qui est ici spirituelle, et la ''présence ''dite ''affective ''sur laquelle nous allons insister, et qui, elle, n'est pas seulement probable, mais certaine.
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=====La présence affective=====<br>
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=====La présence affective=====
 
Même si la Sainte Vierge n'était pas cause physique instrumen­tale des grâces que nous recevons, elle serait présente en nous d'une « présence affective » comme l'objet connu et aimé en ceux qui l'aiment, et cela à des degrés très divers d'intimité selon la profondeur et la force de cet amour.<br>
 
Même si la Sainte Vierge n'était pas cause physique instrumen­tale des grâces que nous recevons, elle serait présente en nous d'une « présence affective » comme l'objet connu et aimé en ceux qui l'aiment, et cela à des degrés très divers d'intimité selon la profondeur et la force de cet amour.<br>
 
Même une âme très imparfaite est sous l'influence dite physi­que de la Sainte Vierge, si celle-ci est cause physique instrumen­tale des grâces reçues par cette âme. Mais plus notre amour pour Marie devient profond, plus sa présence affective en nous devient intime Il importe d'y insister, car ce mode de présence est cer­tain, et saint Thomas l'a admirablement expliqué I<sup>a</sup> II<sup>ae</sup>, q. 28, a. 1 et 2, là où il se demande si l'union est l'effet de l'amour, et si une mutuelle inhésion ou inhérence est effet de l'amour.<br>
 
Même une âme très imparfaite est sous l'influence dite physi­que de la Sainte Vierge, si celle-ci est cause physique instrumen­tale des grâces reçues par cette âme. Mais plus notre amour pour Marie devient profond, plus sa présence affective en nous devient intime Il importe d'y insister, car ce mode de présence est cer­tain, et saint Thomas l'a admirablement expliqué I<sup>a</sup> II<sup>ae</sup>, q. 28, a. 1 et 2, là où il se demande si l'union est l'effet de l'amour, et si une mutuelle inhésion ou inhérence est effet de l'amour.<br>
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Plus l'amour est désintéressé et en même temps fort et intime, plus le second aspect tend à prévaloir. Alors l'âme est plus en Dieu que Dieu n'est en elle; et il y a quelque chose de semblable à l'égard de l'humanité de Jésus et de la Sainte Vierge.<br>
 
Plus l'amour est désintéressé et en même temps fort et intime, plus le second aspect tend à prévaloir. Alors l'âme est plus en Dieu que Dieu n'est en elle; et il y a quelque chose de semblable à l'égard de l'humanité de Jésus et de la Sainte Vierge.<br>
 
Finalement, cet amour désintéressé et fort produit, dit saint Thomas (''ibid''., a. 3) l'extase d'amour (avec ou sans suspension de l'usage des sens), l'extase spirituelle, par laquelle celui qui aime sort pour ainsi dire de soi, parce qu'il veut le bien de son ami, comme le sien, et s'oublie lui-même<ref> Ia IIae, q. 28, a. 3 : « Extasim secundum vim appetitivam facit amor directe, simpliciter amor amicitiae ; amor autem concupiscentiae secundum quid... In amore amicitiae affectus alicujus simpliciter exit extra se, quia vult amico bonum, et operatur bonum, quasi gerens curam et providentiam ipsius propter amicum. »</ref>.<br>
 
Finalement, cet amour désintéressé et fort produit, dit saint Thomas (''ibid''., a. 3) l'extase d'amour (avec ou sans suspension de l'usage des sens), l'extase spirituelle, par laquelle celui qui aime sort pour ainsi dire de soi, parce qu'il veut le bien de son ami, comme le sien, et s'oublie lui-même<ref> Ia IIae, q. 28, a. 3 : « Extasim secundum vim appetitivam facit amor directe, simpliciter amor amicitiae ; amor autem concupiscentiae secundum quid... In amore amicitiae affectus alicujus simpliciter exit extra se, quia vult amico bonum, et operatur bonum, quasi gerens curam et providentiam ipsius propter amicum. »</ref>.<br>
On voit par là quelle peut être l'intimité de cette union d'a­mour et de cette présence non pas corporelle, mais affective. Il est vrai pourtant que cette union affective tend à l'union réelle dont nous jouirons au ciel en voyant immédiatement l'humanité du Sauveur et la Sainte Vierge. Dès ici-bas, il y en a comme un pré­lude dans l'influence physique de l'humanité de Jésus et proba­blement de la Sainte Vierge, qui nous transmet une grâce tou­jours plus éleée et une charité qui s'enracine toujours plus inti­mement en notre volonté. - Voir à la fin de cet ouvrage l'avant­-dernier chapitre sur ''l'Union mystique avec Marie'', pp. 326-334.<br>
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On voit par là quelle peut être l'intimité de cette union d'a­mour et de cette présence non pas corporelle, mais affective. Il est vrai pourtant que cette union affective tend à l'union réelle dont nous jouirons au ciel en voyant immédiatement l'humanité du Sauveur et la Sainte Vierge. Dès ici-bas, il y en a comme un pré­lude dans l'influence physique de l'humanité de Jésus et proba­blement de la Sainte Vierge, qui nous transmet une grâce tou­jours plus éleée et une charité qui s'enracine toujours plus inti­mement en notre volonté. - Voir à la fin de cet ouvrage l'avant­-dernier chapitre sur ''l'Union mystique avec Marie'', pp. 326-334.
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====Article III - L'UNIVERSALITÉ DE LA MÉDIATION DE MARIE ET SA DÉFINIBILITÉ====
Article III<br>
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Après avoir parlé des caractères généraux de la média­tion de la Sainte Vierge, de son mérite et de sa satisfac­tion pour nous durant sa vie mortelle, de son intercession au ciel, de la façon dont elle nous transmet les grâces que nous recevons, il faut considérer l'universalité de sa médiation, sa certitude et le sens exact selon lequel elle doit être entendue.
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L'UNIVERSALITÉ DE LA MÉDIATION DE MARIE<br>
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ET SA DÉFINIBILITÉ<br>
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=====Certitude de cette universalité=====
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Après avoir parlé des caractères généraux de la média­tion de la Sainte Vierge, de son mérite et de sa satisfac­tion pour nous durant sa vie mortelle, de son intercession au ciel, de la façon dont elle nous transmet les grâces que nous recevons, il faut considérer l'universalité de sa médiation, sa certitude et le sens exact selon lequel elle doit être entendue.<br>
 
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=====Certitude de cette universalité=====<br>
 
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Etant donné ce que nous avons vu, cette universalité dérive de tous les principes admis, à tel point qu'elle ne demande pas une preuve spéciale; c'est plutôt ses adver­saires qui devraient prouver leur position<ref> Elle fut niée par les jansénistes qui voulurent modifier, dans l'Ave maris stella, le vers Bona cuncta posce, par lequel nous prions Marie de demander pour nous toutes les grâces qui doivent nous conduire à Dieu.</ref>.<br>
 
Etant donné ce que nous avons vu, cette universalité dérive de tous les principes admis, à tel point qu'elle ne demande pas une preuve spéciale; c'est plutôt ses adver­saires qui devraient prouver leur position<ref> Elle fut niée par les jansénistes qui voulurent modifier, dans l'Ave maris stella, le vers Bona cuncta posce, par lequel nous prions Marie de demander pour nous toutes les grâces qui doivent nous conduire à Dieu.</ref>.<br>
 
Nous avons vu en effet qu'en sa qualité de Mère de Dieu rédempteur et de Mère de tous les hommes, Marie coré­demptrice nous a mérité d'un mérite de convenance tout ce que Notre-Seigneur nous a mérité en justice et qu'elle a satisfait pour nous de même en union avec lui. Il suit de là qu'elle peut au ciel, par son intercession, nous obte­nir l'application de ces mérites passés et qu'elle nous obtient de fait, non seulement toutes les grâces en géné­ral, mais toutes les grâces particulières que chacun de nous reçoit, sans exclure évidemment l'intervention su­bordonnée des saints auxquels nous avons aussi recours.<br>
 
Nous avons vu en effet qu'en sa qualité de Mère de Dieu rédempteur et de Mère de tous les hommes, Marie coré­demptrice nous a mérité d'un mérite de convenance tout ce que Notre-Seigneur nous a mérité en justice et qu'elle a satisfait pour nous de même en union avec lui. Il suit de là qu'elle peut au ciel, par son intercession, nous obte­nir l'application de ces mérites passés et qu'elle nous obtient de fait, non seulement toutes les grâces en géné­ral, mais toutes les grâces particulières que chacun de nous reçoit, sans exclure évidemment l'intervention su­bordonnée des saints auxquels nous avons aussi recours.<br>
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Ainsi, par elle nous sont accordées toutes les catégories de grâces nécessaires aux uns et aux autres, à chacun dans sa condition. En d'autres termes, toutes les grâces que Notre-Seigneur nous a méritées en justice et qu'elle-­même nous a méritées d'un mérite de convenance, Marie nous les distribue incessamment au cours des générations humaines depuis vingt siècles, et il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde pour nous aider dans notre voyage vers l'éternité.<br>
 
Ainsi, par elle nous sont accordées toutes les catégories de grâces nécessaires aux uns et aux autres, à chacun dans sa condition. En d'autres termes, toutes les grâces que Notre-Seigneur nous a méritées en justice et qu'elle-­même nous a méritées d'un mérite de convenance, Marie nous les distribue incessamment au cours des générations humaines depuis vingt siècles, et il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde pour nous aider dans notre voyage vers l'éternité.<br>
 
Bien plus, en chacune de ces catégories de grâces, nécessaires aux apôtres, aux martyrs, aux confesseurs, aux vierges, la plus particulière de toutes les grâces pour chacun de nous, c'est-à-dire la grâce du moment présent, ne nous est pas accordée sans l'intervention de Marie. Tous les jours en effet et plusieurs fois le jour nous la lui demandons, cette grâce, en lui disant dans l'Ave Maria : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort; ainsi soit-il. » Par cet adverbe « maintenant », nous demandons la grâce qui nous est nécessaire pour le de­voir de la minute présente, pour bien prier ou pratiquer telle autre vertu, et, si nous ne sommes pas attentifs à ce mot, la Sainte Vierge, qui connaît, au ciel, les besoins actuels de chacune de nos âmes, y est attentive; lorsque ensuite nous obtenons cette grâce du moment (par exem­ple celle nécessaire pour continuer à bien prier), c'est par son intercession que nous l'avons obtenue, et c'est un signe que, en cela, nous avons été exaucés. Cette grâce du moment présent est évidemment la plus particulière de toutes et, pour chacun de nous, elle varie de minute en minute, comme les ondulations de l'air qui arrive in­cessamment à nos poumons pour que la respiration con­tinuelle renouvelle notre sang.<br>
 
Bien plus, en chacune de ces catégories de grâces, nécessaires aux apôtres, aux martyrs, aux confesseurs, aux vierges, la plus particulière de toutes les grâces pour chacun de nous, c'est-à-dire la grâce du moment présent, ne nous est pas accordée sans l'intervention de Marie. Tous les jours en effet et plusieurs fois le jour nous la lui demandons, cette grâce, en lui disant dans l'Ave Maria : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort; ainsi soit-il. » Par cet adverbe « maintenant », nous demandons la grâce qui nous est nécessaire pour le de­voir de la minute présente, pour bien prier ou pratiquer telle autre vertu, et, si nous ne sommes pas attentifs à ce mot, la Sainte Vierge, qui connaît, au ciel, les besoins actuels de chacune de nos âmes, y est attentive; lorsque ensuite nous obtenons cette grâce du moment (par exem­ple celle nécessaire pour continuer à bien prier), c'est par son intercession que nous l'avons obtenue, et c'est un signe que, en cela, nous avons été exaucés. Cette grâce du moment présent est évidemment la plus particulière de toutes et, pour chacun de nous, elle varie de minute en minute, comme les ondulations de l'air qui arrive in­cessamment à nos poumons pour que la respiration con­tinuelle renouvelle notre sang.<br>
La médiation de Marie est donc selon la Tradition véri­tablement universelle, puisqu'elle s'étend à toute l'œuvre du salut, tant à l'acquisition des grâces par le mérite et la satisfaction passés, qu'à leur application par la prière toujours actuelle et à leur distribution. Cette médiation n'est pas limitée à certaines sortes de grâces, elle s'étend à toutes. Il y a même sur ce point l'unanimité morale des Pères, des Docteurs, et de la croyance des fidèles expri­mée par la liturgie.<br>
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La médiation de Marie est donc selon la Tradition véri­tablement universelle, puisqu'elle s'étend à toute l'œuvre du salut, tant à l'acquisition des grâces par le mérite et la satisfaction passés, qu'à leur application par la prière toujours actuelle et à leur distribution. Cette médiation n'est pas limitée à certaines sortes de grâces, elle s'étend à toutes. Il y a même sur ce point l'unanimité morale des Pères, des Docteurs, et de la croyance des fidèles expri­mée par la liturgie.
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=====Définibilité de cette vérité=====<br>
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=====Définibilité de cette vérité=====
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Cette doctrine parait même non seulement théologi­quement certaine, mais définissable comme dogme de foi, car elle est d'abord implicitement révélée dans les titres généraux que la Tradition donne à Marie, dans ceux de Mère de Dieu très puissante par son intercession auprès de son Fils, de nouvelle Eve intimement associée au Christ rédempteur, de Mère de tous les hommes. De plus, c'est une vérité explicitement et formellement affir­mée d'un consentement moralement unanime par les Pères, les Docteurs, la prédication universelle, la liturgie.<br>
 
Cette doctrine parait même non seulement théologi­quement certaine, mais définissable comme dogme de foi, car elle est d'abord implicitement révélée dans les titres généraux que la Tradition donne à Marie, dans ceux de Mère de Dieu très puissante par son intercession auprès de son Fils, de nouvelle Eve intimement associée au Christ rédempteur, de Mère de tous les hommes. De plus, c'est une vérité explicitement et formellement affir­mée d'un consentement moralement unanime par les Pères, les Docteurs, la prédication universelle, la liturgie.<br>
 
Léon XIII, ''loc. cit''., après avoir affirmé que « rien ne nous est accordé que par Marie », ajoute que « comme personne ne peut venir au Père que par son Fils, de même pour ainsi dire nul ne peut venir au Christ que par Marie<ref> Encycl. Octobri mense, 22 sept 1891, (Denz., 3033) : « Nihil nobis nisi per Mariam, Deo sic volente impertiri; ut, quo modo ad summum Patrem nisi per Filium nemo potest accedere, ita fere nisi per Mariam accedere nemo possit ad Christum ».</ref> », car elle est « la Médiatrice auprès du Média­teur<ref> Encycl , 20 sept. 1896 (Denz., 3033).</ref> ».<br>
 
Léon XIII, ''loc. cit''., après avoir affirmé que « rien ne nous est accordé que par Marie », ajoute que « comme personne ne peut venir au Père que par son Fils, de même pour ainsi dire nul ne peut venir au Christ que par Marie<ref> Encycl. Octobri mense, 22 sept 1891, (Denz., 3033) : « Nihil nobis nisi per Mariam, Deo sic volente impertiri; ut, quo modo ad summum Patrem nisi per Filium nemo potest accedere, ita fere nisi per Mariam accedere nemo possit ad Christum ».</ref> », car elle est « la Médiatrice auprès du Média­teur<ref> Encycl , 20 sept. 1896 (Denz., 3033).</ref> ».<br>
 
Pie X l'appelle « la dispensatrice de toutes les grâces que Jésus nous a acquises par son sang<ref> Cf. Denzinger, 3034 : « Universorum munerum dispensatrix, quae nobis Jesus nece et sanguine comparavit. » Encycl. Ad diem, 2 févr. ,1904.</ref> ».<br>
 
Pie X l'appelle « la dispensatrice de toutes les grâces que Jésus nous a acquises par son sang<ref> Cf. Denzinger, 3034 : « Universorum munerum dispensatrix, quae nobis Jesus nece et sanguine comparavit. » Encycl. Ad diem, 2 févr. ,1904.</ref> ».<br>
C'est cette doctrine que Benoît XV a sanctionnée le 21 janvier 1921 par l'institution de la fête universelle de Marie médiatrice de toutes les grâces. Elle parait donc définissable comme dogme de foi, car elle est du moins implicitement révélée et déjà universellement proposée par le magistère ordinaire de l'Eglise.<br>
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C'est cette doctrine que Benoît XV a sanctionnée le 21 janvier 1921 par l'institution de la fête universelle de Marie médiatrice de toutes les grâces. Elle parait donc définissable comme dogme de foi, car elle est du moins implicitement révélée et déjà universellement proposée par le magistère ordinaire de l'Eglise.
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=====Quel est le sens exact de cette universalité=====<br>
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=====Quel est le sens exact de cette universalité=====
 
Il faut à ce sujet faire plusieurs remarques pour bien déterminer le sens de l'expression « médiation univer­selle ».<br>
 
Il faut à ce sujet faire plusieurs remarques pour bien déterminer le sens de l'expression « médiation univer­selle ».<br>
 
Tout d'abord, les grâces déjà reçues par les hommes depuis la chute jusqu'à l'Incarnation du Verbe ont été accordées par Dieu à cause des mérites futurs du Sau­veur, auxquels devaient s'unir ceux de Marie, mais ni Notre-Seigneur, ni sa sainte Mère ne les ont distribuées et transmises, puisqu'il s'agit de grâces passées.<br>
 
Tout d'abord, les grâces déjà reçues par les hommes depuis la chute jusqu'à l'Incarnation du Verbe ont été accordées par Dieu à cause des mérites futurs du Sau­veur, auxquels devaient s'unir ceux de Marie, mais ni Notre-Seigneur, ni sa sainte Mère ne les ont distribuées et transmises, puisqu'il s'agit de grâces passées.<br>
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Par contre, il ne suffirait pas de dire qu'elle nous obtient par sa médiation presque toutes les grâces, ou moralement parlant toutes les grâces. Cette expression vague pourrait signifier 9/10 ou 8/10, ce qui n'a aucun fondement. Il faut dire que, par une loi générale établie par la Providence, toutes les grâces et chacune nous viennent par la médiation de Marie, et on ne voit pas d'indice manifestant qu'il y ait des exceptions<ref> Cf. Merkelbach, Mariologia, p. 375.</ref>.<br>
 
Par contre, il ne suffirait pas de dire qu'elle nous obtient par sa médiation presque toutes les grâces, ou moralement parlant toutes les grâces. Cette expression vague pourrait signifier 9/10 ou 8/10, ce qui n'a aucun fondement. Il faut dire que, par une loi générale établie par la Providence, toutes les grâces et chacune nous viennent par la médiation de Marie, et on ne voit pas d'indice manifestant qu'il y ait des exceptions<ref> Cf. Merkelbach, Mariologia, p. 375.</ref>.<br>
 
Il faut remarquer en outre que la médiation de Marie diffère de celle des saints, non seulement par son univer­salité, mais parce que, comme Mère de tous les hommes, elle est de droit et non seulement de fait médiatrice pour coopérer à l'œuvre de notre salut, ce qui rend son inter­cession toute-puissante; et non seulement elle a droit d'obtenir, mais elle obtient de fait toutes les grâces que nous recevons. Ses prières sont plus efficaces que celles de tous les saints réunis, puisque d'après cette doctrine de la médiation universelle, les saints ne peuvent rien obtenir sans son intercession<ref> C'est ce que saint Anselme, or 46, affirmait en disant :<br>
 
Il faut remarquer en outre que la médiation de Marie diffère de celle des saints, non seulement par son univer­salité, mais parce que, comme Mère de tous les hommes, elle est de droit et non seulement de fait médiatrice pour coopérer à l'œuvre de notre salut, ce qui rend son inter­cession toute-puissante; et non seulement elle a droit d'obtenir, mais elle obtient de fait toutes les grâces que nous recevons. Ses prières sont plus efficaces que celles de tous les saints réunis, puisque d'après cette doctrine de la médiation universelle, les saints ne peuvent rien obtenir sans son intercession<ref> C'est ce que saint Anselme, or 46, affirmait en disant :<br>
Te tacente, nullus (sanctus) orabit, nullus invocabit. <br>
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:Te tacente, nullus (sanctus) orabit, nullus invocabit. <br>
Te orante, omnes orabunt, onmes invocabunt.</ref>.<br>
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:Te orante, omnes orabunt, onmes invocabunt.</ref>.<br>
 
Enfin il faut noter que cette médiation universelle s'é­tend aux âmes du purgatoire. Comme l'explique le P. E. Hugon<ref> Marie, pleine de grâce, 5e éd., 1926, p 201.</ref> : « Il est certain que la Mère de miséri­corde connaît tous les besoins de ces âmes... Elle peut appuyer ses prières sur ses satisfactions d'autrefois,... elle n'en a jamais eu besoin pour elle-même, elle les abandonne au domaine de l'Eglise, qui les distribue aux âmes par les indulgences... Lors donc que les satisfactions de Marie sont appliquées aux pauvres débiteurs du purgatoire, elle a un certain droit à leur délivrance, puis­qu'elle paie leur dette avec ses propres trésors... Elle obtient par ses maternelles industries que ses enfants de la terre prient pour ses clients du purgatoire, offrent à cette intention leurs bonnes oeuvres, et fassent célébrer l'auguste sacrifice de la délivrance... Elle peut obtenir encore que les suffrages destinés à des âmes qui n'en ont plus besoin ou qui sont incapables de les recevoir profi­tent aux enfants de sa prédilection. »<br>
 
Enfin il faut noter que cette médiation universelle s'é­tend aux âmes du purgatoire. Comme l'explique le P. E. Hugon<ref> Marie, pleine de grâce, 5e éd., 1926, p 201.</ref> : « Il est certain que la Mère de miséri­corde connaît tous les besoins de ces âmes... Elle peut appuyer ses prières sur ses satisfactions d'autrefois,... elle n'en a jamais eu besoin pour elle-même, elle les abandonne au domaine de l'Eglise, qui les distribue aux âmes par les indulgences... Lors donc que les satisfactions de Marie sont appliquées aux pauvres débiteurs du purgatoire, elle a un certain droit à leur délivrance, puis­qu'elle paie leur dette avec ses propres trésors... Elle obtient par ses maternelles industries que ses enfants de la terre prient pour ses clients du purgatoire, offrent à cette intention leurs bonnes oeuvres, et fassent célébrer l'auguste sacrifice de la délivrance... Elle peut obtenir encore que les suffrages destinés à des âmes qui n'en ont plus besoin ou qui sont incapables de les recevoir profi­tent aux enfants de sa prédilection. »<br>
 
C'est ainsi qu'un docteur de l'Eglise, saint Pierre Da­mien<ref> Epist. 52 et Opusc XXIV Disput. de variis apparit et miraculis. </ref>, assure que chaque année, au jour de l'Assomp­tion, Marie délivre plusieurs milliers de ces captifs. Saint Alphonse de Liguori<ref> Les gloires de Marie, Ire partie, c. VIII.</ref> ajoute, en citant Denys le Char­treux, que ces délivrances ont lieu particulièrement aux fêtes de la naissance du Seigneur et de sa Résurrection. Ces derniers témoignages, sans exiger notre croyance, tra­duisent et expliquent à leur manière une conclusion qui est théologiquement certaine.<br>
 
C'est ainsi qu'un docteur de l'Eglise, saint Pierre Da­mien<ref> Epist. 52 et Opusc XXIV Disput. de variis apparit et miraculis. </ref>, assure que chaque année, au jour de l'Assomp­tion, Marie délivre plusieurs milliers de ces captifs. Saint Alphonse de Liguori<ref> Les gloires de Marie, Ire partie, c. VIII.</ref> ajoute, en citant Denys le Char­treux, que ces délivrances ont lieu particulièrement aux fêtes de la naissance du Seigneur et de sa Résurrection. Ces derniers témoignages, sans exiger notre croyance, tra­duisent et expliquent à leur manière une conclusion qui est théologiquement certaine.<br>
Ainsi peut se fixer le sens des termes « médiation uni­verselle ».<br>
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Ainsi peut se fixer le sens des termes « médiation uni­verselle ».
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=====Difficultés=====<br>
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Quelques-uns ont objecté : la mère d'un roi n'a pas, du fait de sa maternité, le droit de disposer des biens de celui-ci, et donc la Mère du Christ-Roi n'a pas positive­ment le droit de disposer de ses grâces.<br>
 
Quelques-uns ont objecté : la mère d'un roi n'a pas, du fait de sa maternité, le droit de disposer des biens de celui-ci, et donc la Mère du Christ-Roi n'a pas positive­ment le droit de disposer de ses grâces.<br>
 
On a justement répondu<ref> Cf. Merkelbach, Mariologia, p.377.</ref> : il n'y a pas ici de parité la mère d'un roi a été seulement la mère d'un enfant qui ensuite est devenu roi, et le plus souvent elle n'a pas intimement coopéré à son gouvernement. Au contraire, Marie est, par sa maternité divine elle-même, la Mère de Dieu rédempteur, Roi universel de toutes les créatures, elle lui a donné sa nature humaine et elle a été intime­ment associée à ses mérites, à ses souffrances réparatri­ces; elle participe par suite à sa royauté spirituelle avec le droit subordonné au sien de disposer des grâces acqui­ses par lui et par elle.<br>
 
On a justement répondu<ref> Cf. Merkelbach, Mariologia, p.377.</ref> : il n'y a pas ici de parité la mère d'un roi a été seulement la mère d'un enfant qui ensuite est devenu roi, et le plus souvent elle n'a pas intimement coopéré à son gouvernement. Au contraire, Marie est, par sa maternité divine elle-même, la Mère de Dieu rédempteur, Roi universel de toutes les créatures, elle lui a donné sa nature humaine et elle a été intime­ment associée à ses mérites, à ses souffrances réparatri­ces; elle participe par suite à sa royauté spirituelle avec le droit subordonné au sien de disposer des grâces acqui­ses par lui et par elle.<br>
 
On a objecté encore que cette médiation n'est qu'une pure convenance et donc qu'elle n'est pas certaine.<br>
 
On a objecté encore que cette médiation n'est qu'une pure convenance et donc qu'elle n'est pas certaine.<br>
 
Il est facile de répondre : il s'agit d'une convenance, d'une connaturalité qui dérive de la maternité divine de Marie, de sa maternité spirituelle à l'égard des hommes, de son union au Christ rédempteur, et qui en dérive de telle manière que l'opposé ne conviendrait pas, comme il convient pour Notre-Seigneur qu'il ait eu dès le pre­mier instant de sa conception la vision béatifique. Il est connaturel à la Mère spirituelle de tous les hommes de veiller spirituellement sur eux et de leur distribuer les fruits de la rédemption.<br>
 
Il est facile de répondre : il s'agit d'une convenance, d'une connaturalité qui dérive de la maternité divine de Marie, de sa maternité spirituelle à l'égard des hommes, de son union au Christ rédempteur, et qui en dérive de telle manière que l'opposé ne conviendrait pas, comme il convient pour Notre-Seigneur qu'il ait eu dès le pre­mier instant de sa conception la vision béatifique. Il est connaturel à la Mère spirituelle de tous les hommes de veiller spirituellement sur eux et de leur distribuer les fruits de la rédemption.<br>
De plus, selon la Tradition, c'est une convenance qui a motivé de fait le choix divin et dans laquelle il s'est complu. C'est ainsi qu'elle a été considérée par les Pères et par les Docteurs du moyen âge, notamment par saint Albert le Grand (''Mariale'', q. 29, 33, 147, 150, 164), par saint Bonaventure (''Sermo I in Nat. Dom''.), par saint Tho­mas dans son Explication de l'Ave Maria, et par les théo­logiens postérieurs, qui ont mis de mieux en mieux en relief l'universalité de cette médiation.<br>
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De plus, selon la Tradition, c'est une convenance qui a motivé de fait le choix divin et dans laquelle il s'est complu. C'est ainsi qu'elle a été considérée par les Pères et par les Docteurs du moyen âge, notamment par saint Albert le Grand (''Mariale'', q. 29, 33, 147, 150, 164), par saint Bonaventure (''Sermo I in Nat. Dom''.), par saint Tho­mas dans son Explication de l'Ave Maria, et par les théo­logiens postérieurs, qui ont mis de mieux en mieux en relief l'universalité de cette médiation.
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=====Conclusion=====
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Aucune difficulté sérieuse ne s'oppose donc à la défi­nition de la médiation universelle de Marie, entendue comme il vient d'être dit : médiation subordonnée à celle du Sauveur et dépendante de ses mérites; médiation qui n'ajoute pas un complément nécessaire à ces mérites de Jésus dont la valeur est infinie et surabondante, mais qui en montre le rayonnement et tout le fruit dans une âme très parfaite pleinement configurée à lui.<br>
 
Aucune difficulté sérieuse ne s'oppose donc à la défi­nition de la médiation universelle de Marie, entendue comme il vient d'être dit : médiation subordonnée à celle du Sauveur et dépendante de ses mérites; médiation qui n'ajoute pas un complément nécessaire à ces mérites de Jésus dont la valeur est infinie et surabondante, mais qui en montre le rayonnement et tout le fruit dans une âme très parfaite pleinement configurée à lui.<br>
 
Les difficultés qui ont été soulevées contre cette média­tion universelle sont certainement moindres que celles qui furent formulées au XIII° siècle contre l'Immaculée Conception, qui a pourtant été définie comme dogme de foi.<br>
 
Les difficultés qui ont été soulevées contre cette média­tion universelle sont certainement moindres que celles qui furent formulées au XIII° siècle contre l'Immaculée Conception, qui a pourtant été définie comme dogme de foi.<br>
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Cette médiation, loin de voiler celle de Notre-Seigneur, en manifeste le rayonnement, puisque les plus grands mérites suscités par Jésus-Christ sont ceux de sa sainte Mère et que c'est lui qui lui communique la dignité de la causalité dans l'ordre de la sanctification et du salut. Du reste l'histoire montre que ce sont précisément les na­tions qui ont perdu la foi en la divinité de Jésus-Christ, qui ont abandonné la dévotion à sa Mère, tandis que celles qui ont toujours été les premières à honorer la Mère de Dieu ont gardé la foi au dogme de l'Incarnation ré­demptrice. L'anglican Pusey condamnait cette parole de Faber : « Jésus est voilé parce que Marie est gardée à l'ar­rière-plan. » Newman répondait : « Attestée par l'his­toire, cette vérité est rendue très manifeste par la vie et les écrits des saints qui ont vécu dans la période mo­derne<ref> Certain difliculties felt by anglicans in catholic teaching considered, Londres, 1910, t. II, pp. 91 sq.</ref>. » Il citait comme exemple saint Alphonse de Liguori et saint Paul de la Croix dont l'amour ardent pour Jésus Rédempteur était inséparable d'une grande dévotion à Marie.<br>
 
Cette médiation, loin de voiler celle de Notre-Seigneur, en manifeste le rayonnement, puisque les plus grands mérites suscités par Jésus-Christ sont ceux de sa sainte Mère et que c'est lui qui lui communique la dignité de la causalité dans l'ordre de la sanctification et du salut. Du reste l'histoire montre que ce sont précisément les na­tions qui ont perdu la foi en la divinité de Jésus-Christ, qui ont abandonné la dévotion à sa Mère, tandis que celles qui ont toujours été les premières à honorer la Mère de Dieu ont gardé la foi au dogme de l'Incarnation ré­demptrice. L'anglican Pusey condamnait cette parole de Faber : « Jésus est voilé parce que Marie est gardée à l'ar­rière-plan. » Newman répondait : « Attestée par l'his­toire, cette vérité est rendue très manifeste par la vie et les écrits des saints qui ont vécu dans la période mo­derne<ref> Certain difliculties felt by anglicans in catholic teaching considered, Londres, 1910, t. II, pp. 91 sq.</ref>. » Il citait comme exemple saint Alphonse de Liguori et saint Paul de la Croix dont l'amour ardent pour Jésus Rédempteur était inséparable d'une grande dévotion à Marie.<br>
 
Ces faits montrent une fois de plus que le véritable culte rendu à, la Mère de Dieu, comme l'action qu'elle-­même exerce sur nous, conduit sûrement à l'intimité du Christ. Bien loin de la diminuer, elle l'affermit, elle la rend plus profonde et plus fructueuse comme l'influence de la sainte âme du Sauveur augmente en nous l'union avec la Sainte Trinité.<br>
 
Ces faits montrent une fois de plus que le véritable culte rendu à, la Mère de Dieu, comme l'action qu'elle-­même exerce sur nous, conduit sûrement à l'intimité du Christ. Bien loin de la diminuer, elle l'affermit, elle la rend plus profonde et plus fructueuse comme l'influence de la sainte âme du Sauveur augmente en nous l'union avec la Sainte Trinité.<br>
L'universalité de cette médiation de Marie nous appa­raîtra de plus en plus en considérant comment elle est Mère de miséricorde et quelle est l'extension de sa royauté universelle.<br>
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L'universalité de cette médiation de Marie nous appa­raîtra de plus en plus en considérant comment elle est Mère de miséricorde et quelle est l'extension de sa royauté universelle.
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CHAPITRE IV<br>
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Mère de miséricorde<br>
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===CHAPITRE IV - Mère de miséricorde===
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Nous considérerons ce titre d'abord en lui-même, puis dans ses principales, manfestations qui sont comme le rayonnement de la doctrine révélée sur Marie et qui la rendent accessible à tous.<br>
 
Nous considérerons ce titre d'abord en lui-même, puis dans ses principales, manfestations qui sont comme le rayonnement de la doctrine révélée sur Marie et qui la rendent accessible à tous.<br>
 
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Version du 7 décembre 2006 à 18:06

DEUXIÈME PARTIE - Marie, Mère de tous les hommes. Sa médiation universelle et notre vie intérieure

Après avoir considéré en la Sainte Vierge son plus grand titre de gloire, celui de Mère de Dieu, et la pléni­tude de grâce qui lui a été accordée, ainsi que tous ses privilèges, pour qu'elle fût la digne Mère de Dieu, il fàut la considérer par rapport à nous.
De ce point de vue, la Tradition attribue à Marie les titres de Mère du Rédempteur, de Mère de tous les hom­mes, de médiatrice à l'égard de tous ceux qui sont en voyage vers l'éternité, et de reine universelle à l'égard surtout des bienheureux.
La théologie[1] a montré que ces titres correspondent à ceux du Christ rédempteur. Il a en effet accompli son œuvre rédemptrice comme tête de l'humanité à régéné­rer, comme médiateur premier qui a le pouvoir de sacri­fier et de sanctifier par son sacerdoce, d'enseigner par son magistère, et comme roi universel, qui a le pouvoir de porter des lois pour tous les hommes, de juger les vivants et les morts et de gouverner toutes les créatures, y compris les anges.
Marie, en tant que Mère du Dieu-Rédempteur, lui est associée à ce triple point de vue. Elle est associée au Christ, tête de l'eglise, comme Mère spirituelle de tous les hommes, au Christ premier médiateur comme média­trice secondaire et subordonnée, au Christ-Roi comme reine de l'univers. Telle est la triple mission de la Mère de Dieu par rapport à nous que nous devons considérer maintenant.
Nous parlerons donc d'abord de ses titres de Mère du Rédempteur comme tel et de Mère de tous les hommes; puis de sa médiation universelle sur terre d'abord et ensuite au ciel; finalement de sa royauté universelle. Tous ces titres, mais surtout celui de Mère de Dieu, fon­dent le culte d'hyperdulie dont nous parlerons en der­nier lieu.
En ces questions, comme dans les précédentes, nous ne cherchons pas les vues originales, particulières et capti­vantes de tel ou tel auteur; mais l'enseignement com­mun de l'Eglise, transmis par les Pères et expliqué par les théologiens. C'est seulement sur ce fondement certain qu'on peut bâtir; on ne commence pas une cathédrale par ses tours ou par ses flèches, mais par ses premières assises.
Lu superficiellement, cet exposé peut dès lors paraître banal ou très élémentaire; mais c'est le cas de rappeler que les vérités philosophiques les plus élémentaires comme les principes de causalité et de finalité, et aussi les véri­tés religieuses les plus élémentaires, comme celles expri­mées par le Pater, apparaissent, lorsqu'on les scrute et lorsqu'on les met en pratique, comme les plus profondes et les plus vitales. Ici comme partout, nous devons aller du plus certain et du plus connu au moins connu, du facile au difficile; autrement, si l'on voulait aborder trop vite les choses difficiles sous une forme dramatique et captivante par ses antinomies, on finirait peut-être, comme il est arrivé ici à bien des protestants, par nier les plus faciles et les plus certaines. L'histoire de la théo­logie comme celle de la philosophie montre qu'il en a été souvent ainsi. Il faut remarquer aussi que si, dans les choses humaines, où le vrai et le faux, le bien et le mal sont mêlés, la simplicité reste superficielle et expose à l'erreur, dans les choses divines, au contraire, où il n'y a que du vrai et du bien, la simplicité s'unit parfaite­ment à la profondeur et à une grande élévation, et même elle seule peut conduire à cette élévation[2].


CHAPITRE PREMIER - La Mère du Rédempteur et de tous les hommes

Ces deux titres sont évidemment, intimement connexes, le second dérive du premier. .II importe de les considérer l'un après l'autre.


Article I - LA MÈRE DU SAUVEUR ASSOCIÉE A SON ŒUVRE RÉDEMPTRICE

L'Eglise appelle Marie non seulement Mère de Dieu, mais aussi Mère du Sauveur. Dans les litanies de Lorette, par exemple, après les invocations Sancta Dei Genitrix et Mater Creatoris, on lit Mater Salvatoris, ora pro nobis.
Il n'y a pas là, comme quelques-uns ont pu le pen­ser[3], nous le verrons mieux plus loin, une dualité qui diminuerait l'unité de la Mariologie dominée par deux principes distincts : « Mère de Dieu » et « Mère du Sau­veur, associée à son œuvre rédemptrice ». L'unité de la Mariologie est maintenue, parce que Marie est « Mère de Dieu Rédempteur ou Sauveur ». De même les deux mystères de l'Incarnation et de la Rédemption ne constituent pas une dualité qui diminuerait l'unité du traité du Christ ou de la christologie, car il s'agit de « l'Incarna­tion rédemptrice »; le motif de l'Incarnation est suffisam­ment indiqué dans le Credo où il est dit du Fils de Dieu qu'il est descendu du ciel pour notre salut : « Qui prop­ter nos homines et propter nostram salutem descendit de cœlis » (Symbole de Nicée-Constantinople).

Voyons comment Marie est devenue Mère du Sauveur par son consentement, et ensuite comment, en cette qua­lité de Mère du Sauveur, elle doit être associée à son œuvre rédemptrice.­


Marie est devenue Mère du Sauveur par son consentement

Au jour de l'Annonciation la Sainte Vierge a donné son consentement à l'Incarnation rédemptrice, lorsque l'archange Gabriel (Luc, I, 31) lui dit : « Voici que vous concevrez en votre sein et que vous enfanterez un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus », qui veut dire sau­veur.
Marie n'ignorait certes pas les prophéties messianiques, notamment celles d'Isaïe, qui annonçaient nettement les souffrances rédemptrices du Sauveur promis. En disant son fiat, le jour de l'Annonciation, elle a généreusement accepté d'avance toutes les douleurs qu'entraîneraient pour son Fils et pour elle l'œuvre de la rédemption.
Elle les a connues plus explicitement quelques jours plus tard, lorsque le saint vieillard Siméon a dit (Luc, II, 30) : « Maintenant, ô Maître, vous laissez partir votre serviteur en paix selon votre parole, puisque mes yeux ont vu votre salut, que vous avez préparé à la face de tous les peuples. » Elle a saisi plus profondément encore quelle part elle devait avoir aux souffrances rédemptrices, lorsque le saint vieillard ajouta pour elle : « Cet Enfant est au monde pour la chute et la résurrection d'un grand nombre en Israël et pour être un signe en butte à la con­tradiction; - vous-même, un glaive transpercera votre âme. » Il est dit un peu plus loin en saint Luc (II, 51) que « Marie conservait toutes ces choses en son cœur »; le plan divin s'éclairait de mieux en mieux pour sa foi contemplative, qui devenait par les illuminations du don d'intelligence de plus en plus pénétrante.
Marie est donc devenue volontairement la Mère du Ré­dempteur comme tel; et de mieux en mieux elle saisit que le Fils de Dieu s'était fait homme pour notre salut comme le dira le Credo. Dès lors, elle s'unit à lui, comme seule une Mère et une Mère très sainte le peut, dans une parfaite conformité de volonté et d'amour pour Dieu et pour les âmes. C'est la forme spéciale que prend pour elle le précepte suprême : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même » (Dent., VI, 5; Luc, X, 27). Rien de plus simple, de plus profond et de plus grand.
La Tradition l'a bien compris, puisqu'elle n'a cessé de dire : comme Eve a été unie au premier homme dans l'œu­vre de perdition, Marie doit être unie au Rédempteur dans l'œuvre de réparation.
Mère du Sauveur, elle saisit de plus en plus comment il doit accomplir son œuvre rédemptrice. Il lui suffit de se rappeler les prophéties messianiques bien connues de tous. Isaie (LIII, 1-12) a annoncé les humiliations et les souffrances du Messie, il a dit qu'il les endurerait pour expier nos fautes, lui qui serait l'innocence même, et que, par sa mort généreusement offerte, il acquerrait des multitudes[4].
David dans le psaume XXII (XXI) : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous, abandonné ? » a décrit la prière suprême du Juste par excellence, son cri d'an­goisse dans l'accablement, et en même temps sa con­fiance en Yahweh, son appel suprême, son apostolat et ses effets en Israël et parmi les nations[5]. Marie connaît évidemment ce psaume et l'a médité en son cœur.
Daniel (VII, 13-14) a décrit aussi le règne du Fils de l'homme, le pouvoir qui lui sera donné : « Il lui fut donné domination et gloire et règne, et tous les peuples, nations et langues le servirent. Sa domination est une domina­tion éternelle, qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit. »
Toute la Tradition a vu dans ce Fils de l'homme, comme dans l'homme de douleur d'Isaïe, le Messie pro­mis comme Rédempteur.
Marie, qui n'ignorait pas ces promesses, est donc deve­nue par son consentement au jour de l'Annonciation, Mère du Rédempteur comme tel. De ce consentement : fiat mihi secundum verbum tuum, dépend tout ce qui suit dans la vie de la Sainte Vierge, comme toute la vie de Jésus dépend du consentement qu'il a donné « en entrant en ce monde » lorsqu'il a dit : « Vous n'avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m'avez formé un corps... Me voici, je viens, ô Dieu, pour faire votre vo­lonté » (Hébr., X, 6, 7).
Aussi les Pères ont-ils dit que notre salut dépendait du consentement de Marie, qui a conçu son Fils par l'esprit, avant de le concevoir corporellement[6].
Quelques-uns pourraient objecter qu'un décret divin, comme celui de l'Incarnation, ne peut pas dépendre du libre consentement d'une créature, qui pourrait ne pas le donner.
La théologie répond : selon le dogme de la Providence, Dieu a efficacement voulu et infailliblement prévu tout le bien qui arrivera de fait dans la suite des temps. Il a donc efficacement voulu et infailliblement prévu le consente­ment de Marie, condition de la réalisation du mystère de l'Incarnation. De toute éternité Dieu qui opère tout « avec force et suavité », a décidé d'accorder à Marie une grâce efficace qui lui fera donner ce consentement libre, salu­taire et méritoire. Comme il fait fleurir les arbres, Dieu fait fleurir aussi notre libre volonté en lui faisant produire ses actes bons; loin de la violenter en cela, il l'actualise et produit en elle et avec elle le mode libre de nos actes, qui est encore de l'être. C'est le secret du Dieu tout-puissant. Comme par l'opération du Saint-Esprit Marie a conçu le Sauveur sans perdre la virginité, de même par la motion de la grâce efficace elle a dit infailliblement son fiat sans que sa liberté soit en rien lésée, diminuée; bien au contraire, par ce contact virginal de la motion divine et de la liberté de Marie, celle-ci fleurit très spontanément en ce libre consentement donné au nom dé l'humanité.
Ce fiat était tout entier de Dieu comme de la cause première et tout entier de Marie comme de la cause se­conde. Ainsi une fleur ou un fruit sont tout entiers de Dieu, comme de l'auteur de la nature, et tout entiers de l'arbre qui les porte, comme de la cause seconde.
En ce consentement de Marie, nous voyons un parfait exemple de ce que dit saint Thomas (Ia, q. 19, a. 8) : « Comme la volonté de Dieu est souverainement efficace, il suit non seulement que ce que Dieu veut (efficacement) se réalise, mais que cela se réalise comme il le veut, et il veut que certaines choses arrivent nécessairement et que d'autres arrivent librement. » - (Ibid., ad 2) : « De ce que rien ne résiste à la volonté efficace de Dieu, il suit que non seulement ce qu'il veut se réalise, mais que cela se réalise soit nécessairement, soit librement, comme il le veut. »
Marie par son fiat le jour de l'Annonciation est donc volontairement devenue la Mère du Rédempteur comme tel.
Toute la Tradition le reconnaît en l'appelant la Nou­velle Eve. Elle ne peut l'être effectivement que si, par son consentement, elle est devenue Mère du Sauveur pour l'œuvre rédemptrice, comme Eve, en consentant à la ten­tation, porta le premier homme au péché qui lui fit per­dre et pour lui et pour nous la justice originelle.
Des protestants ont objecté : les ascendants de la Sainte Vierge peuvent à ce compte être appelés père ou mère du Rédempteur et être dits « associés à son œuvre ré­demptrice ». - Il est facile de répondre que seule Marie a été éclairée pour consentir à devenir Mère du Sauveur et associée à son œuvre de salut; car ses ascendants ne savaient pas que le Messie naîtrait de leur propre famille.
Sainte Anne ne pouvait prévoir que son enfant devien­drait un jour la Mère du Sauveur promis.


Comment la Mère du Rédempteur doit-elle être associée à son œuvre ?

D'après ce que les Pères de l'Eglise nous ont transmis sur Marie, nouvelle Eve, que beaucoup d'entre eux ont vue annoncée dans les paroles divines de la Genèse (III, 15) : « La postérité de la femme écrasera la tête du ser­pent », c'est une doctrine commune et certaine dans l'E­glise et même proche de la foi que la Sainte Vierge, Mère du Rédempteur, lui est associée dans l'œuvre rédemp­trice comme cause secondaire et subordonnée, ainsi qu'Eve fut associée à Adam dans l'œuvre déperdition[7].
Déjà, en effet, au II° siècle cette doctrine de Marie, nou­velle Eve, est universellement reçue, et les Pères qui l'ex­posent ne la donnent pas comme une spéculation person­nelle, mais comme la doctrine traditionnelle de l'Eglise qui s'appuie sur les paroles de saint Paul, où le Christ est appelé nouvel Adam, et opposé au premier, comme la cause du salut à celle de la chute (I Cor., XV, 45 sq.; Rom., V, 12 sq.; I Cor., XV, 20-23). Les Pères rapprochent de ces paroles de saint Paul le récit de la chute, la promesse de la rédemption, de la victoire sur le démon (Genèse, III, 15) et le récit de l'Annonciation (Luc, I, 26-38), où il est parlé du consentement de Marie à la réalisation du mystère de l'Incarnation rédemptrice. On peut donc et même on doit voir dans cette doctrine de Marie, nouvelle Eve, associée. à l'œuvre rédemptrice de son Fils une tradition divino­-apostolique[8].
Les Pères qui l'exposent plus explicitement sont saint Justin[9], saint Irénée[10], Tertullien[11], saint Cy­prien[12], Origène[13], saint Cyrille de Jérusalem[14], saint Ephrem[15], saint Epiphane[16], saint Jean Chysos­tome[17], saint Proclus[18], saint Jérôme[19], saint Ambroise[20], saint Augustin[21], Basile de Sél.[22], saint Germain de Constantinople[23], saint Jean Damas­cène[24], saint Anselme[25], saint Bernard[26]. Ensuite tous les docteurs du moyen âge et les théologiens moder­nes parlent de même[27].
En quel sens selon la Tradition, Marie, nouvelle Eve, a-t-elle été associée sur terre à l'œuvre rédemptrice de son Fils ?
Ce n'est pas seulement pour l'avoir physiquement conçu, enfanté et nourri, mais moralement par ses actes libres, salutaires et méritoires.
Comme Eve a moralement coopéré à la chute en cédant à la tentation du démon, par un acte de désobéissance et en portant Adam au péché, par opposition Marie, nouvelle Eve, selon le plan divin, a moralement coopéré à notre rédemption, en croyant aux paroles de l'archange Gabriel, en consentant librement au mystère de l'Incarnation ré­demptrice et à tout ce qu'il entraînerait de souffrances pour son Fils et pour elle.
Marie n'est certes pas la cause principale et perfective de la rédemption; elle ne pouvait nous racheter de condi­gno, en justice, car il fallait pour cela un acte théandri­que de valeur intrinsèquement infinie, qui ne pouvait appartenir qu'à une personne divine incarnée. Mais Marie est réellement cause secondaire, subordonnée au Christ et dispositive de notre rédemption. Elle est même dite « subordonnée au Christ », non seulement en ce sens qu'elle lui est inférieure, mais parce qu'elle concourt à notre salut par une grâce qui provient des mérites du Christ, et donc elle agit en lui, avec lui et par lui, in ipso, cum ipso et per ipsum. Il ne faut en effet jamais perdre de vue que le Christ est le médiateur universel su­prême, que Marie a été rachetée par ses mérites selon une rédemption, non pas libératrice, mais préservatrice, puisqu'elle a été par les mérites futurs du Sauveur de tous les hommes, préservée du péché originel et ensuite de toute faute. De même elle ne concourt à notre rédemp­tion que par lui, c'est en ce sens qu'elle en est, cause se­condaire, subordonnée, et non pas perfective, mais dis­positive, car elle nous dispose à recevoir l'influence de son Fils qui, étant l'auteur de notre salut, doit achever en nous la rédemption.
Marie est donc associée à l'œuvre de son Fils, non pas comme l'ont été les Apôtres, mais en sa qualité de Mère du Rédempteur comme tel, après avoir donné son consen­tement au mystère de l'Incarnation rédemptrice et à tout ce qu'il comporterait de souffrances; elle lui est dès lors associée de la manière la plus intime, comme seule une Mère sainte peut l'être en, la profondeur de son cœur et de son âme surnaturalisée par la plénitude de grâce. C'est ce qu'affirme en termes très exacts saint Albert le Grand dans une formule que nous avons déjà citée : « Beata Virgo Maria non est assumpta in ministerium a Domino, sed in consortium et in adjutorium, secundum illud : Faciamus ei adjutorium simile. sibi » (Mariale, q.42).


On voit ainsi que l'unité de la Mariologie n'est pas di­minuée comme si elle était dominée par deux principes (Mère de Dieu et Corédemptrice) et non par un seul. Le principe qui la domine est celui-ci : Marie est Mère du Dieu Rédempteur et par là même associée à son œuvre. De même les deux mystères de l'Incarnation et de la Ré­demption ne constituent pas une dualité qui diminuerait l'unité de la Christologie, car ils s'unissent dans l'Incar­nation rédemptrice; leur union est exprimée dans le Credo lui-même en ces termes : « Filius Dei qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de caelis, et incarnatus est » (Symbole de Nicée-Constantinople).
De plus comme en Jésus-Christ la Filiation divine na­turelle ou la grâce d'union hypostatique est supérieure à la plénitude de grâce habituelle et à notre rédemption, de même en Marie la maternité divine reste supérieure à la plénitude de gràce qui déborde sur nous, comme il a été montré au chapitre premier de cet ouvrage. L'unité du savoir théologique contribue à sa certitude, ce savoir ne peut être dominé par des premiers principes coordonnés, mais par des principes subordonnés. II en est ainsi de cha­cun de ses traités, qui se subordonnent eux-mêmes dans l'ensemble à une vérité suprême.


Article II - LA MÈRE DE TOUS LES HOMMES

Marie a reçu, selon la Tradition, non seulement le titre de nouvelle Eve, mais celui de Mère de la divine grâce, Mère, aimable, Mère admirable, comme le disent ses lita­nies, et encore Mère de Miséricorde; les Pères ont dit souvent Mère de tous les chrétiens et même de tous les hommes. En quel sens faut-il entendre cette maternité ? Quand Marie est-elle devenue notre Mère ? Comment sa maternité s'étend-t-elle à tous les fidèles, même s'ils ne sont pas en état de grâce, et comment à tous les hommes, même s'ils n'ont pas la foi ? Ce sont les questions qu'il convient ici d'examiner.


En quel sens Marie est-elle notre Mère ?

Elle ne l'est évidemment pas au point de vue naturel, puisqu'elle ne nous a pas donné la vie naturelle. A ce point de vue, c'est Eve qui mérite d'être appelée mère de tous les hommes, qui descendent d'elle par les générations successives.
Mais Marie est notre Mère spirituelle et adoptive, en ce sens que, par son union au Christ rédempteur, elle nous a communiqué la vie surnaturelle de la grâce. De ce point de vue, elle est beaucoup plus que notre sœur, et l'on doit dire, par analogie avec la vie naturelle, qu'elle nous a enfantés à la vie divine.
Si saint Paul peut dire aux Corinthiens en parlant de sa paternité spirituelle : « C'est moi qui vous ai engen­drés en Jésus-Christ par l'Évangile » (I Cor., IV, 15), et à Philémon : « Je te supplie pour mon fils, que j'ai engen­dré dans les fers, pour Onésime »[28], à plus forte raison pouvons-nous parler de la maternité spirituelle de Marie, maternité qui transmet une vie qui doit durer non pas soixante ou quatre-vingts ans, mais toujours, éternelle­ment.
C'est une maternité adoptive, comme la paternité spi­rituelle de Dieu à l'égard des justes, mais cette adoption est beaucoup plus intime et féconde que l'adoption hu­maine par laquelle un riche sans postérité déclare consi­dérer un pauvre orphelin comme son fils et son héritier. Cette déclaration reste d'ordre juridique et bien qu'elle soit le signe de l'affection de celui qui adopte, elle ne pro­duit rien dans l'âme de l'enfant adopté. Au contraire, la paternité adoptive de Dieu à l'égard du juste, produit dans l'âme de celui-ci la grâce sanctifiante, participation de la nature divine, ou de la vie intime de Dieu et germe de la vie éternelle, germe par lequel le juste est agréable aux yeux de Dieu comme un fils appelé à le voir immédia­tement et à l'aimer éternellement. En ce sens, il est dit dans, le Prologue de saint Jean (I, 12), que ceux qui croient au Fils de Dieu fait homme sont « nés non pas de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu ». Cela nous montre la fécondité de la paternité spirituelle; à cette fécondité participe la mater­nité spirituelle et adoptive de Marie, car en union ayec le Christ rédempteur elle nous a vraiment, réellement com­muniqué la vie de la gràce, germe de la vie éternelle. Elle peut donc et doit être appelée Mater gratiae, Mater mise­ricordiae. C'est ce qu'ont voulu dire les Pères qui l'appel­lent la nouvelle Eve, et disent qu'elle a volontairement coopéré à notre salut, comme Eve à notre déchéance.
Cet enseignement est celui de la prédication univer­selle depuis le II° siècle, il se trouve chez saint Justin, saint Irénée, Tertullien, saint Cyrille de Jérusalem, saint Epiphane, saint Jean Chrysostome, saint Pruclus, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin, là où ils ont parlé de la nouvelle Eve dans les textes cités à l'article précédent. Cette doctrine est particulièrement développée au IV° siècle par saint Ephrem, qui appelle, Marie la « Mère de la vie et du salut, la Mère des vivants, et de tous les hommes », parce qu'elle nous a donné le Sauveur et s'est unie à lui au Calvaire[29]. Parlent de même saint Germain de Constantinople[30], saint Pierre Chysolo­gue[31], Eadmer[32], saint Bernard[33], Richard de Saint-­Laurent[34], saint Albert le Grand, qui appellent Marie : Mater misericordiae, Mater regenerationis, totius humani generis mater spiritualis[35]; de même saint Bonaven­ture[36].
La liturgie dit tous les jours : « Salve Regina, Mater misericordiae...; Monstra te esse Matrem...; Salve Mater misericordiae, Mater Dei et Mater veniae, Mater spei et Mater gratiae. »


Quand Marie est-elle devenue notre Mère ?

Selon les témoignages que nous venons de citer, elle l'est devenue en consentant librement à être la Mère du Sauveur, auteur de la grâce, qui nous a régénérés spiri­tuellement. A ce moment elle nous a spirituellement con­çus, si bien qu'elle aurait été notre Mère adoptive de ce fait, même si elle était morte avant son Fils.
Lorsque ensuite Jésus a consommé son œuvre rédemp­trice par le sacrifice de la croix, Marie, en s'unissant à ce sacrifice, par le plus grand acte de foi, de confiance et d'amour de Dieu et des âmes, est devenue plus parfaite­ment notre Mère, par une coopération plus directe, plus intime et plus profonde à notre salut.
De plus c'est à ce moment qu'elle a été proclamée notre Mère par Notre-Seigneur, lorsqu'il lui dit en parlant de saint Jean qui personnifiait tous ceux qui devaient être rachetés par son sang : « Femme, voici votre fils », et à Jean : « Voici votre mère » (Joan., XIX, 26, 27). C'est ainsi que la Tradition a entendu ces paroles, car à ce moment devant tant de témoins le Sauveur de tous les hommes n'accordait pas seulement une grâce particulière à saint Jean, mais il considérait en lui tous ceux qui devaient être régénérés par le sacrifice de la croix[37].
Ces paroles de Jésus mourant, comme des paroles sacra­mentelles, produisirent ce qu'elles signifiaient : en l'âme de Marie une grande augmentation de charité ou d'amour maternel pour nous; en l'âme de Jean une affection filiale profonde, pleine de respect pour la Mère de Dieu. C'est l'origine de la grande dévotion à Marie.
Enfin la Sainte Vierge continue à exercer sa fonction de Mère à notre égard, en veillant sur nous pour que nous, grandissions dans la charité et y persévérions, en intercé­dant pour nous et en nous distribuant toutes les grâces que nous recevons.


Quelle est l'extension de sa maternité ?

Elle est d'abord Mère des fidèles, de tous ceux qui croient en son Fils et reçoivent par lui la vie de la grâce. Mais elle est aussi Mère de tous les hommes, en tant qu'elle nous a donné le Sauveur de tous et qu'elle s'est unie à l'oblation de son Fils qui versait son sang pour tous. C'est ce qu'affirment Léon XIII, Benoit XV et Pie XI[38].
De plus, elle n'est pas seulement Mère des hommes en général, comme on petit le dire d'Eve au point de vite naturel, mais elle est Mère de chacun d'eux en particulier, car elle intercède pour chacun, et obtient les grâces que chacun de nous reçoit au cours des générations humaines. Jésus dit de lui qu'il est le bon pasteur « qui appelle ses brebis chacune par son nom, nominatim » (Jean, X, 3); il y a quelque chose de semblable pour Marie, mère spiri­tuelle de chaque homme en particulier.
Cependant Marie n'est pas de la même manière Mère des fidèles et des infidèles, des justes et des pécheurs. Il faut faire ici la distinction admise au sujet du Christ par rap­port aux divers membres de son corps mystique[39]. A l'égard des infidèles, elle est leur Mère en tant qu'elle est destinée à les engendrer à la vie de la grâce, et en tant qu'elle leur obtient des grâces actuelles qui les disposent à la foi et à la justification. A l'égard des fidèles qui sont en état de péché mortel, elle est leur Mère en tant qu'elle veille actuellement sur eux en leur obtenant les grâces nécessaires pour faire des actes de foi, d'espérance et se disposer à la conversion; à l'égard de ceux qui sont morts dans l'impénitence finale, elle n'est plus leur Mère, mais elle le fut. A l'égard des justes elle est parfaitement leur Mère puisqu'ils ont reçu par sa coopération volontaire et très méritoire la grâce sanctifiante et la charité; avec une tendre sollicitude elle veille sur eux pour qu'ils restent en état de grâce et grandissent dans la charité. Enfin elle est excellemment Mère des bienheureux qui ne peuvent plus perdre la vie de la grâce.
On voit dès lors tout le sens des paroles que l'Eglise chante tous les jours à Complies : « Salve Regina, Mater misericordiae; vita, dulcedo et spes nostra salve. Ad te clamamus exsules filii Hevae. Ad te suspiramus gementes et flentes in hac lacrimarum valle... »



Le Bx Grignion de Montfort a admirablement exprimé les conséquences de cette doctrine dans son beau livre Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch. I, art. 1, 2° § : Dieu veut se servir de Marie dans la sanctification des âmes. Il se résume ainsi dans Le Secret de Marie (I° p., B. Pourquoi Marie nous est nécessaire) : « C'est elle qui a donné la vie à l'Auteur de toute grâce, et à cause de cela elle est appelée la Mère de la grâce. Dieu le Père, de qui tout don parfait et toute grâce descend comme de sa source essentielle, en lui donnant son Fils, lui a donné toutes ses grâces; en sorte que, comme dit saint Bernard, la volonté de Dieu lui est donnée en lui et avec lui.
« Dieu l'a choisie pour la trésorière, l'économe, la dis­pensatrice de toutes ses grâces, en sorte que toutes ses grâces et tous ses dons passent par ses mains... Puisque Marie a formé le Chef des prédestinés, qui est Jésus­-Christ, c'est à elle aussi de former les membres de ce Chef, qui sont les vrais chrétiens... Elle a reçu de Dieu une domination particulière sur les âmes pour les nour­rir et les faire croitre en Dieu. Saint Augustin dit même que, dans ce monde, les prédestinés sont tous enfermés dans le sein de Marie et qu'ils ne viennent au jour que lorsque cette bonne Mère les enfante à la vie éternelle... C'est à elle que le Saint-Esprit dit : In electis meis mitte radices (Eccli., XXIV, 13). Jetez des racines en mes élus,... les racines d'une profonde humilité, d'une ardente cha­rité et de toutes les vertus.
« Marie est appelée par saint Augustin, et est en effet le moule vivant de Dieu, forma Dei, c'est-à-dire que c'est en elle seule que Dieu fait homme a été formé... et c'est aussi en elle seule que l'homme peut être formé en Dieu...
Quiconque est jeté dans ce moule et se laisse manier, y reçoit tous les traits de Jésus-Christ, vrai Dieu, d'une ma­nière proportionnée à la faiblesse humaine, sans beaucoup d'agonie et de travaux; d'une manière sûre, sans crainte d'illusion, car le démon n'a point eu et n'aura jamais accès en Marie, sainte et immaculée, sans ombre de la moindre tache de péché.
« Qu'il y a de différence entre une âme formée en Jésus-­Christ par les voies ordinaires de ceux qui, comme les sculpteurs, se fient en leur savoir-faire et s'appuient sur leur industrie, et une âme bien maniable, bien déliée, bien fondue, et qui, sans aucun appui sur elle-même, se jette en Marie et s'y laisse manier à l'opération du Saint-­Esprit ! Qu'il y a de taches, qu'il y a de défauts, qu'il y a de ténèbres, qu'il y a d'illusions, qu'il y a de naturel, qu'il y a d'humain dans la première âme et que la seconde est pure, divine et semblable à Jésus-Christ...
« Heureuse et mille fois heureuse est l'âme, ici-bas, à qui le Saint-Esprit révèle le secret de Marie, pour le con­naître, et à qui il ouvre ce jardin clos, pour y entrer; cette fontaine scellée pour y puiser et y boire à longs traits les eaux vives de la grâce ! Cette âme ne trouvera que Dieu seul, sans créature, dans cette aimable créa­ture ; mais Dieu en même temps infiniment saint et infi­niment condescendant et proportionné à sa faiblesse… C'est Dieu seul qui vit en elle, et tant s'en faut qu'elle arrête une âme à elle-même, au contraire elle la jette en Dieu et l'unit à lui. »
Ainsi la doctrine chrétienne sur Marie devient, avec le Bx de Montfort, l'objet d'une foi pénétrante et savoureuse, d'une contemplation qui porte elle-même à une vraie et forte charité.


Marie, cause exemplaire des élus

Le Christ est notre modèle, sa prédestination à la filia­tion divine naturelle est la cause exemplaire de notre prédestination à la filiation adoptrice, car « Dieu nous a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils pour que celui-ci soit le premier-né entre plusieurs frè­res » (Rom., VIII, 29). De même Marie, notre Mère, asso­ciée à son Fils, est la cause exemplaire de la vie des élus, c'est en ce sens que saint Augustin et le Bx de Montfort après lui disent qu'elle est le moule ou le modèle à l'image duquel Dieu forme les élus. Il faut être marqué de son sceau et reproduire ses traits pour avoir place parmi les bien-aimés du Seigneur; c'est pourquoi les théologiens enseignent communément qu'une vraie dévotion à Marie est un des signes de prédestination. Le Bx Hugues de Saint-Cher dit même que Marie est comme le livre de vie[40], ou le reflet de ce livre éternel; car Dieu a gravé en elle le nom des élus, comme il a voulu former en elle et par elle le Christ son premier élu.
Le Bx Grignion de Montfort[41] écrit : « Dieu le Fils dit à sa Mère : In Israel hereditare... (Eccli., XXIV, 8). Ayez Israël pour héritage. C'est comme s'il lui disait : Dieu mon Père m'a donné pour héritage toutes les nations de la terre, tous les hommes bons et mauvais, prédestinés et réprouvés; je conduirai les uns par la verge d'or et les autres par la verge de fer; je serai le père et l'avocat des uns, le juste vengeur à l'égard des autres, et le juge de tous; mais pour vous, ma chère Mère, vous n'aurez pour votre héritage et possession que les prédestinés, figurés par Israël, et, comme leur bonne mère, vous les enfante­rez, nourrirez, élèverez; et, comme leur souveraine, vous les conduirez, gouvernerez et défendrez. »
C'est en ce sens qu'il faut entendre ce que dit le même auteur un peu plus loin[42] pour montrer que Marie, ainsi que Jésus, choisit toujours conformément au bon plaisir divin qui inspire leur choix : « Le Très-Haut l'a faite l'unique trésorière de ses trésors et l'unique dis­pensatrice de ses grâces, pour anoblir, élever et enri­chir qui elle veut, pour faire entrer qui elle veut dans la voie étroite du ciel, pour faire passer malgré tout qui elle veut par la porte étroite de la vie, et pour donner le trône, le sceptre et la couronne de roi à qui elle veut... C'est Marie seule à qui Dieu a donné les clefs des cel­liers[43] du divin amour, et le pouvoir d'entrer dans les voies les plus sublimes et les plus secrètes de la perfection et d'y faire entrer les autres. »
Nous voyons en cela toute l'extension de la maternité spirituelle, par laquelle elle forme les élus et les conduit au terme de leur destinée.
Nous verrons d'abord en quoi consiste cette médiation en général, quels sont ses principaux caractères, puis comme elle s'est exercée pendant la vie terrestre de Marie de deux façons, par le mérite et la satisfaction.


CHAPITRE II - La médiation universelle de Marie pendant sa vie terrestre

Nous verrons d'abord en quoi consiste cette médiation en général, quels sont les principaux caractères, puis comme elle s'est exercée pendant la vie terrestre de Marie de deux façons, par le mérite et la satisfaction.


Article I - LA MÉDIATION UNIVERSELLE DE MARIE EN GÉNÉRAL

L'Eglise a approuvé sous Benoît XV, le 21 janvier 1921, l'office et la messe propres de Marie médiatrice de toutes les grâces[44], et beaucoup de théologiens considèrent cette doctrine comme suffisamment contenue dans le dé­pôt de la Révélation pour être un jour solennellement pro­posée comme objet de foi par l'Eglise infaillible ; elle est enseignée de fait par le magistère ordinaire qui se mani­feste par la liturgie, les encycliques, les lettres des évê­ques, la prédication universelle et les ouvrages de théolo­giens approuvés par l'Eglise.
Voyons ce qu'il faut entendre par cette médiation, puis comment elle est affirmée par la Tradition et établie par la raison théologique.


Que faut-il entendre par cette médiation ?

Saint Thomas nous dit en parlant de la médiation du Sauveur (IIIa, q. 26, a. 1) : « A l'office de médiateur entre Dieu et les hommes, il appartient de les unir. » C'est-à­-dire, comme il est expliqué au même endroit (a. 2), le mé­diateur doit offrir à Dieu les prières des hommes et sur­tout le sacrifice, acte principal de la vertu de religion, et il doit aussi distribuer aux hommes les dons de Dieu qui sanctifient, la lumière divine et la grâce.
Il y a ainsi une double médiation, l'une ascendante sous forme de prière et de sacrifice, l'autre descendante par la distribution des dons divins aux hommes.
Cet office de médiateur ne convient parfaitement qu'au Christ, Homme-Dieu, qui, seul a pu nous réconcilier avec Dieu en lui offrant, pour toute l'humanité, un sacrifice d'une valeur infinie, celui de la croix, qui est perpétué en substance en celui de la messe; lui seul aussi, comme tête de l'humanité, a pu nous mériter en justice les grâ­ces nécessaires au salut et il les distribue à tous les hom­mes qui ne se soustraient pas à son action sanctificatrice. Il est donc médiateur comme homme, en tant que son humanité est personnellement unie au Verbe, et qu'elle a reçu la plénitude de grâce, la grâce capitale, qui doit déborder sur nous. Aussi saint Paul dit-il (I Tim., II, 5, 6) : « Il y a un seul Dieu et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus fait homme, qui s'est donné lui-même en rançon pour tous. »
« Mais rien n'empêche, dit saint Thomas, loc. cit., a. 1, qu'il y ait entre Dieu et les hommes, au-dessous du Christ, des médiateurs secondaires qui coopèrent à leur union d'une façon dispositive ou ministérielle » c'est-à-dire en disposant les hommes à recevoir l'influence du médiateur principal ou en la transmettant, mais toujours en dépen­dance des mérites du Christ.
Ainsi dans l'Ancien Testament les prophètes et les prê­tres du sacerdoce lévitique étaient des médiateurs pour le peuple élu en annonçant le Sauveur et en offrant des sacrifices qui étaient la figure du grand sacrifice de la croix. Les prêtres du Nouveau Testament peuvent aussi être dits médiateurs entre Dieu et les hommes, en tant qu'ils sont les ministres dû médiateur suprême, car, en son nom; ils offrent le saint Sacrifice et administrent les sacrements.
On se demande alors si Marie, d'une façon subordonnée et en dépendance des mérites du Christ, est médiatrice universelle pour tous les hommes depuis la venue de Notre-Seigneur et pour l'obtention et la distribution de toutes les grâces en général, et même en particulier. Ne l'est-elle pas, non pas précisément en qualité de ministre, mais comme associée à l'œuvre rédemptrice de son Fils, selon l'expression de saint Albert le Grand « non in mi­nisterium, sed in consortium et in adjutorium » (Mariale, q. 42).
Les protestants le nient.
Au contraire, à la question ainsi posée, le sens chré­tien des fidèles formés depuis plusieurs siècles par la li­turgie catholique, expression du magistère ordinaire de l'Eglise, est tout de suite porté à répondre : Marie, en sa qualité de Mère de Dieu, Rédempteur de tous les hommes, est toute désignée pour être médiatrice universelle, car elle est vraiment intermédiaire entre Dieu et les hommes, plus particulièrement entre son Fils et nous.
Elle reste, en effet, parce que créature, toujours infé­rieure à Dieu et au Christ, mais elle est très élevée au-­dessus de tous les hommes par la grâce de la maternité divine qui est par son terme d'ordre hypostatique, par la plénitude de grâce, reçue à l'instant de sa conception immaculée et qui n'a cessé de grandir ensuite, enfin par le privilège de la préservation de toute faute.
On voit donc ce qu'il faut entendre par cette média­tion que la liturgie et le sens chrétien des fidèles attri­buent à Marie. Il s'agit d'une médiation à proprement par­ler subordonnée et non pas coordonnée à celle du Sauveur, de telle sorte qu'elle dépend entièrement des mérites du Christ rédempteur universel; il s'agit aussi d'une média­tion non nécessaire (car celle (le Jésus est déjà surabon­dante et n'a pas besoin de complément); mais elle a été voulue par la Providence, comme un rayonnement de celle du Sauveur, et le rayonnement de tous le plus excel­lent. L'Eglise la considère comme très utile et efficace pour nous obtenir de Dieu tout ce qui peut nous conduire directement ou indirectement à la perfection et au salut. Enfin il s'agit d'une médiation perpétuelle, qui s'étend à tous les hommes et à toutes les grâces, sans en excepter aucune, comme on le verra par la suite.
C'est en ce sens précis que la médiation universelle est attribuée à Marie par la liturgie, en la fête de Marie mé­diatrice, et par les théologiens qui ont récemment publié de nombreux travaux sur ce point.


Le témoignage de la Tradition

Cette doctrine a été affirmée d'une façon générale et implicite dès les premiers siècles, en tant que Marie a été appelée dès le II° siècle la nouvelle Eve, la Mère des vi­vants, comme nous l'avons dit plus haut, d'autant qu'on lui a toujours reconnu ce titre, non seulement parce qu'elle a physiquement conçu et enfanté le Sauveur, mais aussi parce qu'elle a moralement coopéré à son œuvre rédemptrice, surtout en s'unissant très intimement au sacrifice de la croix[45].
A partir du IV° siècle et surtout du V°, les Pères affir­ment distinctement que Marie intercède pour nous; que tous les bienfaits et secours utiles au salut nous viennent par elle, par son intervention et sa protection spéciale. Depuis la même époque, on l'appelle médiatrice entre Dieu et les hommes ou entre le Christ et nous.
Des études récentes portent une grande lumière sur ce point[46].
L'antithèse entre Eve, cause de mort, et Marie, cause de salut pour toute l'humanité, est reproduite par saint Cyrille de Jérusalem[47], saint Epiphane[48], saint Jé­rôme[49], saint Chrysostome[50]. Il faut citer cette prière de saint Ephrem : « Ave Dei et hominum Mediatrix optima. Ave totius orbis conciliatrix efficacissima », et « post mediatorem mediatrix totius mundi ». Je vous salue, médiatrice du monde entier, réconciliatrice très bonne et très puissante, après le Médiateur suprême[51].
Chez saint Augustin, Marie est appelée mère de tous les membres de notre chef Jésus-Christ, et il est dit qu'elle « a coopéré par sa charité à la naissance spiri­tuelle des fidèles, qui sont les membres du Christ »[52]. Saint Pierre Chrysologue dit que « Marie est la mère des vivants par la grâce, tandisque Eve est mère des mou­rants par nature »[53], et l'on voit que pour lui Marie est associée au plan divin de notre rédemption.
Au VIII° siècle, saint Bède parle de même[54]; saint André de Crète appelle Marie médiatrice de la grâce, dis­pensatrice et cause de la vie[55], saint Germain de Cons­tantinople dit que personne n'a été racheté sans la coopé­ration de la Mère de Dieu[56]. Saint Jean Damascène donne aussi à Marie le titre de médiatrice et affirme que nous lui devons tous les biens qui nous sont conférés par Jésus-Christ[57].
Au XI° siècle saint Pierre Damien enseigne que dans l'œuvre de notre rédemption rien n'est accompli sans elle[58].
Au XII° siècle, saint Anselme[59], Eadmer[60], saint Bernard s'expriment de même. Ce dernier appelle Marie gratiae inventrix, mediatrix salutis, restauratrix saecu­lorum[61].
Depuis le milieu du XII° siècle et surtout depuis le XIV° fréquente est l'affirmation très explicite de la coopération de Marie à notre rédemption, consommée par son propre sacrifice consenti au moment de l'annoncia­tion et accompli sur le Calvaire. C'est ce qu'on trouve chez Arnaud de Chartres, Richard de Saint-Victor, saint Albert le Grand[62], Richard de Saint-Laurent. C'est indiqué par saint Thomas[63], et. c'est affirmé ensuite de plus en plus nettement par saint Bernardin de Sienne, par saint Anto­nin[64], par Suarez[65], par Bossuet[66], par saint Alphonse. Au XVIII° siècle le Bx Grignion de Montfort est un de ceux qui a le plus répandu cette doctrine en en montrant toutes les conséquences pratiques[67]. Depuis lors c'est un enseignement commun des théologiens ca­tholiques.
Pie X dit dans l'encyclique Ad diem illum du 2 février 1904 que Marie est la toute-puissante médiatrice et récon­ciliatrice de toute la terre auprès de son Fils unique : « Totius terrarum orbis potentissima apud Unigenitum Filium suum mediatrix et conciliatrix. » Le titre est dé­sormais consacré parla fête de Marie médiatrice instituée le 21 janvier 1921.


Les raisons théologiques de cette doctrine

Ces raisons souvent invoquées par les Pères et plus explicitement par les théologiens sont les suivantes
Marie mérite le nom de médiatrice universelle subor­donnée au Sauveur, si elle est l'intermédiaire entre lui et les hommes, présentant leurs prières et leur obtenant les bienfaits de son Fils.
Or tel est précisément à notre égard le rôle de la Mère de Dieu, qui, tout en restant une créature, atteint par sa divine maternité aux frontières de la Déité et a reçu la plénitude de grâce qui doit déborder sur nous. Elle a de fait coopéré à notre salut, en consentant librement à être la Mère du Sauveur et en s'unissant aussi intime­ment que possible à son sacrifice. Nous verrons plus loin qu'elle a mérité et satisfait avec lui pour nous.
Enfin, selon la doctrine de l'Eglise, elle continue d'in­tercéder pour nous obtenir toutes les grâces utiles au salut. En cela elle exerce sa maternité spirituelle, dont nous avons parlé plus haut.
Le Christ reste ainsi le médiateur principal et par­fait, puisque c'est seulement en dépendance de ses méri­tes que Marie exerce sa médiation subordonnée, qui n'est pas absolument nécessaire, puisque les mérites dit Sau­veur sont surabondants[68], mais qui a été voulue par la Providence à cause de notre faiblesse et pour communi­quer à Marie la dignité de la causalité dans l'ordre de la sanctification et du salut.
Ainsi l'œuvre rédemptrice, est toute de Dieu comme de la cause première de la grâce, elle est toute du Christ comme du médiateur principal et parfait, elle est toute de Marie, comme médiatrice subordonnée. Ce sont trois causes, non pas partielles et coordonnées, comme trois hommes tirant un navire, mais totales et subordonnées, de telle sorte que la seconde n'agit que par l'influx de la première et la troisième que par l'influx des deux autres. Ainsi le fruit d'un arbre est, à des titres divers, tout entier de Dieu auteur de la nature, et tout entier de l'arbre et du rameau qui le porte. Il n'y a pas une partie du fruit qui est de l'arbre et une autre du rameau, de même dans le cas qui nous occupe[69].
Ajoutons qu'il convient que Marie, qui a été rachetée par le Sauveur par une rédemption souveraine et préser­vatrice de toute faute originelle et actuelle, coopérât ainsi à notre salut, c'est-à-dire à notre délivrance du péché, à notre justification et à notre persévérance jusqu'à la fin.
Sa médiation dépasse ainsi beaucoup celle des saints, car elle seule nous a donné le Sauveur, elle seule a été aussi intimement unie avec un cœur de mère au sacrifice de la croix, elle seule est médiatrice universelle pour tous les hommes, et, nous le verrons plus loin, pour toutes les grâces non seulement en général, mais en particulier, jusqu'à la plus particulière de toutes, qui est, pour cha­cun de nous, celle du moment présent, qui assure notre fidélité de minute en minute.
Nous verrons mieux cette universalité après avoir mon­tré que Marie nous a mérité d'un mérite de convenance tout ce que Jésus nous a mérité en stricte justice, qu'elle a satisfait avec lui pour nous d'une satisfaction de conve­nance, et qu'ensuite, pour l'application des fruits de la rédemption, elle continue d'intercéder pour chacun de nous, plus spécialement pour ceux qui l'invoquent, et que toutes les grâces particulières qui sont accordées à chacun de nous, de fait ne le sont pas sans son intervention.


Article II - LES MÉRITES DE MARIE POUR NOUS

Nature et extension de ces mérites

Ce n'est pas seulement au ciel que la Sainte Vierge exerce ses fonctions de médiatrice universelle par l'inter­cession et la distribution des grâces, elle les a déjà exer­cées sur la terre, selon l'expression reçue, « pour l'acqui­sition de ces grâces », en coopérant à notre rédemption, par le mérite et la satisfaction. En cela elle est associée à Notre-Seigneur qui a été d'abord médiateur pendant sa vie terrestre, surtout par le sacrifice de la croix, et c'est même le fondement de la médiation qu'il exerce au ciel par son intercession, pour nous appliquer les fruits de la rédemption qu'il nous transmet. Voyons quel est l'en­seignement commun des théologiens sur les mérites de Marie pour nous, en partant des principes mêmes de la théologie sur les différents genres de mérites.


Les trois genres de mérites proprement dits

Le mérite en général est un droit à une récompenses il ne la produit pas, il l'obtient; l'acte méritoire y donne droit. Le mérite surnaturel qui suppose l'état de grâce et la charité est un droit à une récompense surnaturelle. Il se distingue de la satisfaction, qui a pour but de répa­rer par l'expiation l'outrage fait par le péché à la ma­jesté infinie de Dieu et de nous le rendre favorable. Le mérite, qui suppose l'état de grâce, se distingue aussi de la prière, qui, par une grâce actuelle, peut exister dans le pécheur en état de péché mortel, et qui s'adresse non pas à la justice divine, mais à la miséricorde. Du reste, même chez le juste, la force impétratoire de la prière se distingue du mérite, c'est ainsi qu'elle peut obtenir des grâces qui ne sauraient être méritées, comme celle de la persévérance finale, qui est la continuation de l'état de grâce au moment de la mort.
Mais il importe de distinguer trois genres de mérites proprement dits.
Il y a d'abord, au sommet, dans le Christ, le mérite parfaitement digne de sa récompense, ou de parfaite con­dignité, perfecte de condigno, parce que la valeur de l'œu­vre ou de l'acte de charité théandrique, qui, en l'âme de Jésus, procède de la personne divine du Verbe, égale au moins la valeur de la rétribution en stricte justice. Les actes méritoires du Christ qui étaient, en sa sainte âme, des actes de charité ou inspirés par elle, ont eu une valeur infinie et surabondante à raison de la personne du Verbe dont ils dérivaient. Et il a pu en stricte justice mériter pour nous les grâces du salut, parce qu'il était constitué tête de l'humanité, par la plénitude de grâce qui devait déborder sur nous pour notre salut.
En second lieu, il est de foi[70] que tout juste ou toute personne en état de grâce qui a l'usage de la raison et du libre arbitre et qui est encore en état de voie peut mériter l'augmentation de la charité et la vie éternelle, d'un mérite réel, communément appelé de condignité, de con­digno, car il est digne de sa récompense, non pas qu'il soit égal à elle, comme dans le Christ, mais parce qu'il lui est réellement proportionné, en tant qu'il procède de la grâce habituelle, germe de la vie éternelle promise par Dieu à ceux qui observent ses commandements. Ce mé­rite de condignité est encore un droit en justice distribu­tive à la récompense, bien qu'il ne soit pas, selon toute la rigueur de la justice, comme celui du Christ. C'est pourquoi la vie éternelle est appelée une couronne de justice[71], une rétribution qui doit se faire d'après les œuvres[72], la récompense d'un labeur que la justice divine ne peut oublier[73].
Mais le juste ne peut mériter de condigno, d'un mérite de condignité fondé en justice, la grâce pour un autre homme, la conversion d'un pécheur ou l'augmentation de la charité dans une autre personne ; la raison en est qu'il n'est pas constitué tête de l'humanité pour la régénérer et la conduire au salut, cela n'appartient qu'au Christ[74]. En d'autres termes, le mérite de condignité des justes et même celui de Marie, par opposition à celui du Christ, est incommunicable.
Cependant tout juste peut mériter la grâce pour les autres d'un mérite de convenance, de congruo proprie, qui est fondé, non pas sur la justice, mais sur la charité, ou amitié qui l'unit à Dieu ; les théologiens disent qu'il est fondé sur les droits de l'amitié, in jure amicabili, Saint Thomas l'explique en disant : « Parce que l'homme constitué en état de grâce fait la volonté de Dieu, il convient selon la proportion (ou les droits) de l'amitié que Dieu accomplisse la volonté de cet homme en sauvant une autre personne, bien que quelquefois il puisse y avoir un obstacle du côté de cette dernière » à tel point qu'elle ne se convertira pas de fait[75]. En d'autres termes : si le juste accomplit la volonté de Dieu son ami, il convient selon les droits de l'amitié que Dieu son ami accomplisse le désir de ce bon serviteur. C'est ainsi qu'une bonne mère chrétienne peut, par ses bonnes œuvres, par son amour de Dieu et du prochain, mériter de congruo pro­prie, d'un mérite de convenance, la conversion de son fils ; ainsi sainte Monique obtint la conversion d'Augustin non seulement par ses prières adressées à l'infinie Miséri­corde, mais par ce genre de mérite, « Le fils de tant de larmes, lui dit saint Ambroise, ne saurait périr. »
Nous voyons ici ce que doit être le mérite de Marie pour nous; il faut noter à ce sujet que ce troisième genre de mérite, dit de congruo proprie ou de convenance, est encore un mérite proprement dit, fondé in jure amicabili, sur les droits de l'amitié divine, qui suppose l'état de grâce.
La raison en est que la notion de mérite n'est pas univo­que, ou susceptible d'être prise en un seul sens, mais elle est analogique, c'est-à-dire qu'elle a des sens divers, mais proportionnellement semblables, qui sont encore des sens propres, et non pas seulement larges ou métaphoriques, tout comme la sagesse des saints, sans être celle de Dieu, est encore au sens propre une vraie sagesse; de même la sensation, sans être une connaissance intellectuelle, est encore au sens propre une vraie connaissance dans son ordre.
Ainsi au-dessous des mérites infinis du Christ, qui seul peut en stricte justice nous mériter le salut, au-dessous du mérite de condignité du juste pour lui-même, qui lui donne droit en justice à une augmentation de charité, et (s'il meurt en état de grâce) à la vie éternelle, il y a le mérite de convenance de congruo proprie, fondé sur les droits de l'amitié, et qui est encore un mérite proprement dit qui suppose l'état de grâce et la charité[76].
Ce qui est un mérite improprement dit, c'est celui qui se trouve dans la prière du pécheur en état de péché mor­tel, prière qui a une valeur impétratoire qui s'adresse, non pas à la justice de Dieu mais à sa miséricorde, et qui se fonde, non pas sur les droits de l'amitié divine de charité, mais sur la grâce actuelle qui porte à prier. Ce dernier mérite est dit de convenance au sens large seule­ment, de congruo improprie, ce n'est plus un mérite pro­prement dit.
Tels sont donc les trois genres de mérites proprement dits : celui du Christ pour nous, celui du juste pour lui-­même celui du juste pour autrui.


Le mérite proprement dit de convenance de Marie pour nous

Si tel est l'enseignement général des théologiens sur les différents genres de mérite, si sainte Monique a pu méri­ter à proprement parler d'un mérite de convenance, de congruo proprie, la conversion d'Augustin, comment la Sainte Vierge, mère de tous les hommes, a-t-elle pu méri­ter pour nous ? Poser ainsi cette question à la lumière des principes déjà énoncés, c'est déjà la résoudre.
Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'à partir surtout du XVI° siècle, les théologiens enseignent communément de façon explicite que ce que le Christ nous a mérité de con­digno, la Sainte Vierge nous l'a mérité d'un mérite de convenance, de congruo proprie.
Cet enseignement est très explicitement formulé par Suarez, qni montre par de multiples témoignages de la tradition que Marie, bien qu'elle ne nous ait rien mérité de condigno, car elle n'était pas constituée tête de l'E­glise, a cependant coopéré à notre salut, par le mérite de convenance, ou de congruo[77]. Jean de Carthagène[78], Novato[79], Christophore de Véga[80], Théophile Ray­naud[81], Georges de Rhodes[82], reproduisent cette doc­trine.
Le même enseignement est communément donné par les théologiens postérieurs, notamment aux XIX° et XX° siècles par Ventura, Scheeben, Terrien, Billot, Lépicier, Campana, Hugon, Bittremieux, Merkelbach, Friet­hoff, et tous ceux qui ont écrit ces dernières années sur la médiation universelle de la Sainte Vierge.
Finalement Pie X, dans l'encyclique Ad diem illum du 2 février 1904, dit : « Marie... parce qu'elle dépasse toutes les autres créatures par la sainteté et l'union au Christ, et parce qu'elle a été associée par lui à l'œuvre de notre salut, nous a mérité d'un mérite de convenance, de con­gruo, ut aiunt, ce que lui-même nous a mérité d'un mé­rite de condignité, et elle est la principale trésorière des grâces à distribuer[83]. »
Comme on l'a noté[84], il y a une double différence entre ce mérite de convenance de Marie pour les autres et le nôtre : c'est que la Sainte Vierge a pu ainsi nous mériter non seulement quelques grâces, mais toutes et chacune, et qu'elle ne nous en a pas seulement mérité l'applica­tion mais l'acquisition, car elle a été unie au Christ ré­dempteur dans l'acte même de la rédemption ici-bas; avant d'intercéder pour nous au ciel.
Cette conclusion, telle qu'elle est approuvée par Pie X, n'est que l'application à Marie de la doctrine communé­ment reçue sur les conditions du mérite de convenance, de congruo proprie, fondé in jure amicabili, sur l'amitié qui unit le juste avec Dieu. Aussi certains théologiens considèrent cette conclusion comme moralement cer­taine, d'autres comme une vraie conclusionn théologique tout à fait certaine, d'autres même comme une vérité formellement et implicitement révélée et définissable comme dogme. C'est au moins, pensons-nous, une con­clusion théologique certaine. Nous y reviendrons, pp. 259-­265.


Quelle est l'extension de ce mérite de convenance de Marie pour nous ?

Comme elle a été associée à toute l'œuvre rédemptrice du Christ et comme les théologiens que nous venons de citer disent généralement que tout ce que le Christ nous a mérité de condigno, Marie nous l'a mérité de congruo, comme enfin Pie X, sanctionnant cette doctrine, n'y met pas de restriction, il suffit de se rappeler ce que Jésus nous a mérité[85].
Or Jésus nous a mérité en justice toutes les grâces suffisantes nécessaires pour que tous les hommes puis­sent réellement observer les préceptes, alors même qu'ils ne les observent pas de fait[86], toutes les grâces efficaces suivies de leur effet, c'est-à-dire de l'accomplissement, effectif de la volonté divine, et enfin Jésus a mérité aux élus tous les effets de leur prédestination : la vocation chrétienne, la justification, la persévérance finale et la glorification ou la vie éternelle[87].
Il suit de là que Marie nous a mérité d'un mérite de convenance toutes ces grâces, et qu'au ciel elle en de­mande l'application et les distribue[88].


Tout cela nous montre en quel sens très élevé, très intime et très étendu, Marie est notre Mère spirituelle, la Mère de tous les hommes, et combien par suite elle doit veiller sur ceux qui, non seulement l'invoquent de temps à autre, mais qui se consacrent à elle, pour être conduits par elle à l'intimité du Christ, comme l'explique admi­rablement le bienheureux Grignion de Montfort (cf. Traité de la vraie dévotion à la Sainte. Vierge, chap. I, a. 2) « Marie est nécessaire aux hommes pour arriver à leur fin dernière. » La dévotion à son égard n'est donc pas de surérogation, comme celle à tel ou tel saint, elle est nécessaire, et lorsqu'elle est vraie, fidèle, persévérante, elle est un signe de prédestination. « Cette dévotion est encore plus nécessaire à ceux qui sont appelés à une perfection particulière, et je ne crois pas, dit (ibid.) le bienheureux de Montfort, qu'une personne puisse acqué­rir une union intime avec Notre-Seigneur et une parfaite fidélité au Saint-Esprit, sans une très grande union à la Très Sainte Vierge et une grande dépendance de son secours... J'ai dit, ajoute-t-il, que cela arriverait parti­culièrement à la fin du monde .., parce que le Très-Haut avec sa sainte Mère doivent alors se former de grands saints... Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la Très Sainte Vierge, éclairées par sa lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras et gardées sous sa protection, en sorte qu'el­les combattront d'une main et édifieront de l'autre... Cela leur attirera beaucoup d'ennemis, mais aussi beaucoup de victoires et de gloire pour Dieu seul. »
Cette haute doctrine spirituelle, dont nous verrons de mieux en mieux les fruits, apparaît dans le domaine de la contemplation et de l'union intime avec Dieu comme la conséquence normale de cette vérité reconnue par tous les théologiens et affirmée aujourd'hui dans tous leurs ouvrages : Marie nous a mérité d'un mérite de conve­nance tout ce que Notre-Seigneur nous a mérité en stricte justice, en particulier pour les élus tous les effets de leur prédestination.


Article III - LES SOUFFRANCES DE MARIE CORÉDEMPTRICE

Comment a-t-elle satisfait pour nous ?

La satisfaction a pour but de réparer l'offense faite à Dieu par le péché et de nous le rendre favorable. Or l'offense qui provient du péché mortel, par lequel la créature raisonnable se détourne de Dieu et lui préfère un bien créé, a une gravité infinie. L'offense en effet est d'autant plus grave que la dignité de la personne offen­sée est plus élevée, et le péché mortel, en nous détournant de Dieu notre fin dernière, dénie pratiquement à Dieu la dignité infinie de souverain bien et détruit son règne en nous.
Il suit de là que seul le Verbe fait chair a pu offrir à Dieu une satisfaction parfaite ou adéquate pour l'offense qui provient du péché mortel[89]. Pour être une satis­faction parfaite, il fallait que l'amour et l'oblation du Sauveur plussent à Dieu autant ou plus que ne lui déplai­sent tous les péchés réunis, comme le dit saint Tho­mas[90]. Il en était ainsi de tout acte de charité du Christ, car il puisait en la personne divine du Verbe une valeur infinie pour satisfaire comme pour mériter. L'œuvre méritoire devient satisfactoire ou réparatrice et expia­trice, lorsqu'elle a quelque chose d'afflictif ou de péni­ble, et Jésus, en offrant sa vie au milieu des plus grandes souffrances physiques et morales, a offert dès lors à son Père une satisfaction d'une valeur infinie et surabon­dante. Lui seul pouvait ainsi satisfaire pleinement en stricte justice, car la valeur dela satisfaction comme celle du mérite provient de l'excellence de la personne qui, en Jésus, a une dignité infinie.
Mais à la satisfaction parfaite du Sauveur a pu s'ajou­ter une satisfaction de convenance, comme à son mérite s'est ajouté un mérite de convenance. Il faut y insister pour mieux voir ensuite quelle a été la profondeur et l'étendue des souffrances de la Sainte Vierge.


Marie a offert pour nous une satisfaction de convenance de la plus grande valeur après celle de son Fils

Le mérite devient le fondement de la satisfaction, lors­que l'œuvre méritoire prend un caractère afflictif. Aussi d'après les principes exposés à l'article précédent, les théologiens enseignent communément cette proposition : Beata Maria Virgo satisfecit de congruo ubi Christus de condigno, Marie a offert pour nous une satisfaction de convenance pendant que Jésus-Christ satisfaisait pour nous en stricte justice.
En sa qualité de Mère de Dieu rédempteur, elle lui a été en effet unie par une parfaite conformité de volonté, par l'humilité, la pauvreté, les souffrances, les larmes, au Calvaire surtout; en ce sens elle a satisfait avec lui, et cette satisfaction de convenance tire sa très grande valeur de son éminente dignité de Mère de Dieu, de la perfection de sa charité, du fait qu'elle n'avait rien, à expier pour elle-même et de l'intensité de ses souffran­ces.
C'est ce qu'exposent les Pères lorsqu'ils parlent de « Marie debout au pied de la croix », comme l'affirme saint Jean (XIX, 25); ils rappellent les paroles du vieillard Siméon : « Un glaive transpercera votre âme. » (Luc; II, 35), et ils nous montrent que Marie a souffert dans la mesure de son amour pour son Fils crucifié à cause de nos péchés, à proportion aussi de la cruauté des bourreaux et de l'atrocité du supplice infligé à celui qui était l'innocence même[91].
La liturgie depuis fort longtemps dit aussi que Marie, par le martyre du cœur le plus douloureux, a mérité le titre de Reine des martyrs; c'est ce que rappellent les fêtes de la Compassion de la Sainte Vierge, de Notre-­Dame des Sept-Douleurs et le Stabat.
Léon XIII résume cette doctrine en disant qu'elle a été associée au Christ dans l'œuvre douloureuse de la ré­demption du genre humain[92].
Pie X l'appelle « la réparatrice du monde déchu »[93] et montre comment elle a été unie au sacerdoce de son Fils : « Non seulement parce qu'elle a consenti à deve­nir la Mère du Fils unique de Dieu pour rendre possible un sacrifice destiné au salut des hommes; mais la gloire de Marie consiste aussi en ce qu'elle a accepté la mis­sion de protéger, de nourrir l'Agneau du sacrifice, et, quand le moment en fut venu, de le conduire à l'autel de l'immolation. De la sorte, la communauté de vie et de souffrances de Marie et de son Fils ne fut jamais inter­rompue. A elle comme à lui s'appliquèrent pareillement les paroles du prophète : Ma vie s'est passée en douleurs et mes jours se sont écoulés en gémissements. »
Benoît XV enseigne enfin : « En s'unissant à la Pas­sion et à la mort de son Fils, elle a souffert comme à en mourir... pour apaiser la justice divine; autant qu'elle le pouvait, elle a immolé son Fils, de telle façon qu'on peut dire qu'avec lui elle a racheté le genre humain[94]. » C'est l'équivalent du titre de corédemptrice[95].


La profondeur et la fécondité des souffrances de Marie corédemptrice

Le caractère de satisfaction ou d'expiation des souf­frances de la Sainte Vierge provient de ce que, comme Notre-Seigneur et avec lui, elle a souffert du péché ou de l'offense faite à Dieu. Or elle en a souffert dans la mesure de son amour pour Dieu offensé, de son amour pour son Fils crucifié à cause de nos fautes, et de son amour pour nos âmes que le péché ravage et fait mourir. Cette me­sure fut donc celle de la plénitude de grâce et de cha­rité, qui dès l'instant de sa conception immaculée dépas­sait la grâce finale de tous les saints réunis, et qui depuis lors n'avait cessé de grandir. Déjà, par les actes les plus faciles, Marie méritait plus que les martyrs dans leurs tourments, parce qu'elle y mettait plus d'amour ; quel ne fut pas dès lors le prix de ses souffrances au pied de la croix, étant donnée la connaissance qu'elle y recevait du mystère de la Rédemption !
Dans la lumière surnaturelle qui éclairait son intelli­gence, Marie voyait que toutes les âmes sont appelées à chanter la gloire de Dieu, incomparablement mieux que les étoiles du ciel. Chaque âme devrait être comme un rayon de la divinité, rayon spirituel plein de pensée et d'amour, puisque notre intelligence est faite pour con­naître Dieu et notre cœur pour l'aimer. Or, tandis que les astres suivent régulièrement leur voie fixée par la Pro­vidence et racontent la gloire du Créateur, des milliers d'âmes, dont chacune vaut un monde, se détournent, de Dieu. A la place de ce rayonnement divin, de cette gloire extérieure du Très-Haut ou de son règne, on trouve en des cœurs innombrables les trois plaies appelées par saint Jean la concupiscence de la chair, comme s'il n'y avait d'autre amour désirable que l'amour charnel, la concupiscence des yeux, comme s'il n'y avait d'autre gloire que celle de la fortune et des honneurs, l'orgueil de la vie, comme si Dieu n'existait pas, comme s'il n'é­tait ni notre Créateur et maître, ni notre fin, comme si nous n'avions d'autre fin que nous-mêmes.
Ce mal, Marie le voyait dans les âmes comme nous voyons, nous, des plaies purulentes dans un corps malade. Or la plénitude de grâce, qui n'avait cessé de grandir en elle, avait considérablement augmenté en Marie sa capacité de souffrir du plus grand des maux, qu'est le péché, puisqu'on en souffre d'autant plus qu'on aime davantage Dieu que le péché offense et les âmes que le péché mortel détourne de leur fin et rend dignes d'une mort éternelle.
Surtout Marie vit sans illusion possible se préparer et se consommer le plus grand des crimes, le déicide ; elle vit le paroxysme de la haine contre celui qui est la Lumière même et l'Auteur du salut.
Pour saisir un peu ce qu'a été la souffrance de Marie, il faut penser à son amour naturel et surnaturel, théolo­gal, pour son Fils unique non seulement chéri, mais légitimement adoré, qu'elle aimait beaucoup plus que sa propre vie, puisqu'il était son Dieu. Elle l'avait mira­culeusement conçu, elle l'aimait avec un cœur de Vierge, le plus pur, le plus tendre, le plus riche de charité qui fut jamais.
Avec cela elle n'ignorait rien des causes du crucifie­ment ; rien des causes humaines : l'acharnement des Juifs, le peuple élu, son peuple à elle; rien des causes supérieures : la rédemption des âmes pécheresses. On entrevoit dès lors de loin la profondeur et l'étendue des souffrances de Marie corédemptrice.
Si Abraham a héroïquement souffert en s'apprêtant à immoler son fils, ce ne fut que pendant quelques heu­res, et un ange descendit du ciel pour empêcher l'immo­lation d'Isaac. Au contraire, depuis le moment où le vieil­lard Siméon a prédit à Marie la Passion de son Fils déjà clairement annoncée par Isaïe, et sa Passion à elle, elle n'a pas cessé d'offrir celui qui devait être Prêtre et vi­time, et de s'offrir avec lui. Cette oblation douloureuse dura non seulement quelques heures, mais des années, et, si un ange descendit du ciel pour arrêter l'immolation d'Isaac, nul ne descendit pour empêcher celle de Jésus.
Bossuet, dans son sermon sur la Compassion de la Sainte Vierge, dit excellemment : « C'est la volonté du Père éternel que Marie soit non seulement immolée avec cette victime innocente, et attachée à la croix du Sau­veur par les mêmes clous qui le percent, mais encore associée à tout le mystère qui s'y accomplit par sa mort...
« ... Trois choses concourent ensemble au sacrifice de notre Sauveur, et en font la perfection. Il y a, première­ment, les souffrances par lesquelles son humanité est toute brisée; il y a, secondement, la résignation par la­quelle il se soumet humblement à la volonté de son Père (en s'offrant à lui); il y a, troisièmement, la fécondité par laquelle il nous engendre à la grâce et nous donne la vie en mourant. Il souffre comme la victime qui doit être détruite et froissée de coups; il se soumet comme le prêtre qui doit sacrifier volontairement : voluntarie sacri­ficabo tibi (Ps. LIII, 8); enfin, il nous engendre en souf­frant, comme le Père d'un peuple nouveau qu'il enfante par ses blessures, et voilà les trois grandes choses que le Fils de Dieu achève en la croix...
« Marie se met auprès de la croix; de quels yeux elle y regarde son Fils tout sanglant, tout couvert de plaies, et qui n'a plus figure d'homme. Cette vue lui donne la mort; si elle s'approche de cet autel, c'est qu'elle veut y être immolée; et c'est là, en effet, qu'elle sent le coup du glaive tranchant, qui, selon la prophétie du bon Siméon, devait... ouvrir son cœur maternel par de si cruelles blessures...
« Mais la douleur l'a-t-elle abattue, l'a-t-elle jetée à terre par défaillance ? Au contraire, Stabat juxta crucem elle est debout auprès de la croix. Non, le glaive qui a percé son cœur n'a pu diminuer ses forces : la constance et l'affliction vont d'un pas égal et elle témoigne par sa contenance qu'elle n'est pas moins soumise qu'elle est affligée.
« Que reste-t-il donc, chrétiens, sinon que son Fils bien-­aimé qui lui voit sentir ses souffrances et imiter sa rési­gnation, lui communique encore sa fécondité. C'est aussi dans cette pensée qu'il lui donne saint Jean pour son fils Mulier, ecce filius tuus (Joan., XIX, 26) : « Femme, dit-il, voilà votre fils. » O femme, qui souffrez avec moi, soyez aussi féconde avec moi, soyez la mère de mes enfants, que je vous donne tous sans réserve en la personne de ce seul disciple; je les enfante par mes douleurs; comme vous en goûtez l'amertume, vous en aurez aussi l'efficace, et votre affliction vous rendra féconde[96]. »
Dans ce même sermon, Bossuet développe ces trois grandes pensées en montrant que l'amour de Marie pour son Fils crucifié suffit pour son martyre : « Il ne faut qu'une même croix pour son Fils bien-aimé et pour elle »; elle y est clouée par son amour pour lui, qui lui fait ressentir toutes ses souffrances physiques et morales, plus que les stigmatisés ne les ont ressenties. Sans un secours exceptionnel, elle en serait morte véritablement.
Une grande douleur est comme une mer en furie, des personnes sont devenues folles de douleur ; mais Jésus a dompté les eaux, et comme il garde la paix sur la croix au milieu de la tempête, il donne à sa sainte Mère de la garder.
Enfin Marie, qui a enfanté son Fils sans douleur, enfante les chrétiens au milieu des plus grandes souf­frances. « A quel prix elle les achète ! continue Bossuet. Il faut qu'il lui en coûte son Fils unique : elle ne peut être Mère des chrétiens, qu'elle ne donne son bien-aimé à la mort ô fécondité douloureuse !... C'était la volonté du Père éternel de faire naître les enfants adoptifs par la mort du Fils véritable... II donne son propre Fils à la mort pour faire naître les adoptifs. Qui voudrait adopter à ce prix et donner un fils pour des étrangers ? C'est néan­moins ce qu'a fait le Père éternel... C'est Jésus qui nous le dit : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Joan., III, 16).
« (De même Marie) est l'Eve de la nouvelle alliance, et la Mère commune de tous les fidèles; mais il faut qu'il lui en coûte la mort de son premier-né, il faut qu'elle se joigne au Père éternel, et qu'ils livrent leur commun Fils d'un commun accord au supplice. C'est pour cela que la Providence l'a appelée au pied de la croix; elle y vient immoler son Fils véritable, afin que les hommes vivent... Elle devient Mère des chrétiens par l'effort d'une affliction sans mesure. » Le chrétien doit s'en souvenir toujours, et il y trouvera le motif d'un vrai repentir de ses fautes. La régénération de nos âmes a coûté à Notre-Seigneur et à sa sainte Mère beaucoup plus que nous ne saurions le penser.


On doit dire, pour conclure, que Marie corédemptrice nous a enfantés au pied de la croix par le plus grand acte de foi, d'espérance et d'amour qu'elle pouvait faire en un pareil moment.
On peut même dire que c'est le plus grand acte de foi qui ait jamais existé, car Jésus n'avait pas la foi, mais la vision béatifique qu'il conservait au Calvaire. En cette heure d'obscurité, qui a été appelée l'heure des ténèbres, lorsque la foi des Apôtres eux-mêmes parait chanceler, lorsque Jésus semble tout à fait vaincu et son œuvre à jamais anéantie, lorsque le ciel paraît ne plus répondre à ses supplications, Marie ne cesse pas un instant de croire que son Fils est le Sauveur de l'humanité et que dans trois jours il ressuscitera comme il l'a annoncé. Lorsqu'il prononce ses dernières paroles : Tout est con­sommé, dans la plénitude de sa foi la Vierge comprend que l'œuvre du salut est accomplie par la plus doulou­reuse immolation, que toutes les messes rappelleront jus­qu'à la fin du monde. Jésus, la veille, a institué ce sacri­fice eucharistique et le sacerdoce chrétien, elle entrevoit le rayonnement indéfini du sacrifice de la croix. Elle comprend que son Fils agonisant est vraiment « l'Agneau qui efface les péchés du monde », qu'il est le vainqueur du péché et du démon et que, dans trois jours, il sera le vainqueur de la mort, suite du péché. Elle voit l'inter­vention suprême de Dieu là où les plus croyants ne voient que ténèbres et désolation. C'est le plus grand acte de foi assurément qui ait existé en une créature, une foi bien supérieure à celle des anges, lorsqu'ils étaient en état de voie.
Ce fut aussi pour elle l'acte suprême d'espérance au moment où tout paraissait désespéré. Elle entendit tout le sens de la parole dite au bon larron : « Ce soir, tu seras avec moi en paradis » ; le ciel allait s'ouvrir pour les élus.
Ce fut enfin pour elle le plus grand acte de charité aimer Dieu jusqu'à lui offrir son fils unique et innocent, au milieu des pires tortures; aimer Dieu par-dessus tout au moment où, à cause de nos fautes, elle était frappée par lui dans son affection la plus profonde et la plus haute, dans l'objet même de sa légitime adoration; aimer les âmes jusqu'à donner pour elles son propre fils.
Sans doute, les vertus théologales grandirent encore en Marie jusqu'à sa mort, car ces actes de foi, d'espérance et de charité, loin d'être interrompus, continuèrent en elle comme un état. Ils prirent même, dans le calme, une plus grande amplitude, comme lorsqu'un grand fleuve, après le bouillonnement des passages les plus difficiles de son parcours, devient de plus en plus puissant et ma­jestueux jusqu'à ce qu'il se jette dans l'océan.
Ce que souligne ici la théologie, c'est qu'en Marie au pied de la croix le sacrifice égale le mérite; l'un et l'au­tre sont d'une valeur inestimable et leur fécondité dé­passe en cette ligne, sans atteindre celle du Christ, tout ce que l'on pourrait dire[97]. C'est ce que les théologiens expriment en disant : Marie a satisfait pour nous d'une satisfaction de convenance, fondée sur son immense cha­rité, comme Jésus a satisfait en stricte justice pour notre salut.
Les saints qui ont été le plus associés aux souffrances du Sauveur ne sont pas entrés autant que Marie dans les dernières profondeurs de la Passion. Sainte Catherine de Ricci eut tous les vendredis pendant douze ans une extase de douleur qui durait vingt-huit heures et pendant la­quelle elle revivait toutes les souffrances du chemin de la croix. Or les souffrances de sainte Catherine de Ricci et des autres stigmatisés n'approchent pas de celles de la Vierge. Tous les déchirements du Coeur de Jésus reten­tirent dans le cœur de Marie, qui serait morte d'une pareille torture si elle n'avait été surnaturellement sou­tenue par un secours exceptionnel. Elle est ainsi deve­nue la consolatrice des afligés, car elle a souffert beau­coup plus qu'eux, la patronne de la bonne mort, et nous ne pouvons certes pas soupçonner combien ses souffrances depuis vingt siècles ont été fécondes.


La participation de Marie corédemptrice au sacerdoce du Christ

Si Marie peut être dite corédemptrice au sens que nons venons d'expliquer, on ne saurait dire qu'elle est prêtre au sens propre du mot, car elle n'a pas reçu le caractère sacerdotal et ne pourrait consacrer l'Eucharistïe ; ni don­ner l'absolution sacramentelle. Mais, comme nous l'a­vons vu en parlant de la maternité divine, celle-ci est supérieure au sacerdoce des prêtres du Christ, en ce sens qu'il est plus parfait de donner à Notre-Seigneur sa nature humaine que de rendre son corps présent dans l'Eucharistie. Marie nous a donné le Prêtre du sacrifice de la croix, le prêtre principal du sacrifice de la messe et la victime offerte sur nos autels.
Il est plus parfait aussi d'offrir son Fils unique et son Dieu sur la croix, en s'offrant avec lui dans la plus grande douleur, que de rendre le corps de Notre-Seigneur pré­sent et de l'offrir sur l'autel, comme le fait le prêtre pen­dant le sacrifice de la messe.
Aussi faut-il dire comme l'affirmait récemment un bon théologien qui étudia pendant des années ces ques­tions[98] : « C'est une conclusion théologique certaine que Marie coopéra, de quelque manière, à l'acte principal du sacerdoce de Jésus-Christ, en donnant, comme l'exi­geait le plan divin, son consentement au sacrifice de la croix, tel qu'il a été accompli par Jésus-Christ. » - « A ne considérer que certains effets immédiats de l'action du prêtre comme la consécration eucharistique ou la rémission des péchés par le sacrement de pénitence, il est vrai que le prêtre peut accomplir des actes que Marie, ne possédant point le pouvoir sacerdotal, n'aurait jamais pu accomplir. Mais, en ceci, il ne s'agit plus de compa­raison des dignités, mais seulement d'effets particuliers, procédant d'un pouvoir que Marie ne possédait point, mais qui ne comportent pas une dignité supérieure[99]. »
Si elle ne peut être dite « prêtre » au sens propre du mot, du fait qu'elle n'a pas reçu le caractère sacerdotal et n'en peut accomplir les actes, il reste, comme le dit M. Olier, « qu'elle a reçu la plénitude de l'esprit du sacer­doce, qui est l'esprit du Christ rédempteur ». C'est pour­quoi on lui donne le titre de corédemptrice, qui, comme celui de Mère de Dieu, surpasse la dignité conférée par le sacerdoce chrétien[100].
La participation de Marie à l'immolation et à l'oblation de Jésus prêtre et victime ne saurait être mieux exprimée que par le Stabat du franciscain Jacopone de Todi (1228-­1306).
Cette séquence manifeste d'une façon singulièrement frappante combien la contemplation surnaturelle du mys­tère du Christ crucifié est dans la voie normale de la sain­teté. Elle a des formes précises, ardentes et splendides pour exprimer la blessure du Cœur du Sauveur et nous montrer l'influence si intime et si pénétrante de Marie pour nous conduire à lui. Et non seulement la Très Sainte Vierge nous conduit à cette divine intimité, mais, en un sens, elle la fait en nous; c'est ce que nous dit, en ces strophes, la répétition admirable du Fac, qui est l'ex­pression de la prière ardente :

Eia, Mater, fons amoris, O Mère, source d'amour,
Me sentire vim doloris Faites-moi sentir la violence
Fac ut tecum lugeam. De votre douleur, afin que je pleure avec vous.

Fac ut ardeat cor meum, Faites que mon cœur s'embrase
In amando Christum Deum, D'amour pour le Christ Dieu,
Ut sibi complaceam. Afin que je lui plaise.

Fac ut portem Christi mortem, Faites que je porte la mort du Christ,
Passionis fac consortem Faites-moi partager sa Passion
Et plagas recolere. Et vénérer ses saintes plaies.

Fac me plagsis vulnerari, Faites que, blessé de ses blessures,
Fac me cruce inebriari, Je sois enivré de la croix
Et cruore Filii. Et du sang de votre Fils.

C'est la prière de l'âme qui, sous une inspiration spé­ciale, veut connaître elle aussi spirituellement la blessure d'amour et être associée à ces douloureux mystères de l'adoration réparatrice comme le furent, auprès de Marie, saint Jean et les saintes femmes sur le Calvaire, et aussi saint Pierre quand il versa d'abondantes larmes.
Ce sont ces larmes de l'adoration et de la contrition que demande la fin du Stabat

Fac me tecum pie flere Faites-moi avec vous pieusement pleurer,
Crucifixi condolere, Et compatir au Crucifié
Donec ego vixero. Tant que durera ma vie.

Juxta crucem tecum stare, Je veux avec vous me tenir près de la Croix,
Et me tibi sociare et être plus intimement associé
In planctu desidero. à vos saintes dou­leurs. Ainsi soit-il



Marie a donc exercé sur terre sa médiation universelle, en méritant pour nous d'un mérite de convenance tout ce que Jésus-Christ nous a mérité en stricte justice, et aussi en offrant pour nous une satisfaction de convenance, fon­dée sur son immense charité, pendant que Notre-Seigneur satisfaisait en justice pour toutes nos fautes et nous réconciliait avec Dieu. Pour Jésus et pour sa sainte Mère cette médiation universelle exercée pendant leur vie ter­restre est le fondement de celle qu'ils exercent du haut du ciel, et dont nous devons parler maintenant.


CHAPITRE III - La médiation universelle de Marie au Ciel

Cette médiation qu'exerce la Sainte Vierge depuis l'As­somption a pour but de nous obtenir en temps opportun l'application des mérites passés, acquis par Jésus et par elle pendant leur vie terrestre et surtout au Calvaire. Nous parlerons à ce sujet de la puissance d'intercession de Marie, de la manière dont elle distribue toutes les grâ­ces ou du mode de son influence sur nous, et enfin de l'universalité de sa médiation et de sa définibilité.


Article I - LA PUISSANCE D'INTERCESSION DE MARIE

Dès sa vie terrestre, la Sainte Vierge apparaît dans l'Evangile comme la distributrice des grâces. Par elle, Jésus sanctifie le précurseur lorsqu'elle vient voir sa cou­sine Elisabeth et chante le Magnificat. Par elle, il con­firme la foi des disciples à Cana, en accordant le miracle qu'elle demandait. Par elle, il affermit la foi de Jean au Calvaire, en disant : « Mon fils, voici votre mère. » Par elle, enfin, le Saint-Esprit se répandit sur les Apôtres, car il est dit (Act. Ap., I, 14) qu'elle priait avec eux au Cénacle, lorsqu'ils se préparaient à l'apostolat pour lequel ils furent éclairés et fortifiés par les grâces de la Pentecôte.
A plus forte raison, après l'Assomption, depuis qu'elle est entrée au ciel et qu'elle a été élevée au-dessus des chœurs des anges, Marie est-elle puissante par son inter­cession.
Le sens chrétien de tous les fidèles estime qu'une mère béatifiée connaît au ciel les besoins spirituels des enfants qu'elle a laissés sur la terre et qu'elle prie pour leur salut. Universellement dans l'Eglise les chrétiens se recom­mandent aux prières des saints parvenus au terme du voyage. Comme le dit saint Thomas[101], lorsqu'ils étaient sur la terre, leur charité les portait à prier pour le pro­chain, à plus forte raison au ciel, puisque leur charité, éclairée non plus seulement par la foi, mais par la vision béatifique, est plus grande, puisque son acte est ininter­rompu et puisqu'ils connaissent beaucoup mieux nos be­soins spirituels et le prix de la vie éternelle, l'unique nécessaire.
Le Concile de Trente, sess. XXV (Denz., 984), a même défini que les saints au ciel prient pour nous et qu'il est utile de les invoquer. Au ciel le mérite et l'expiation ont cessé, mais non pas la prière; ce n'est plus, il est vrai, la prière de supplication avec larmes, mais la prière d'in­tercession.
« Jésus-Christ toujours vivant ne cesse d'intercéder pour nous », dit saint Paul[102]. Il est sans doute l'interces­seur nécessaire et principal. Mais la Providence et lui-même ont voulu que nous ayons recours à Marie, pour que nos prières présentées par elle aient plus de valeur.
En sa qualité de Mère de tous les hommes, elle connaît tous leurs besoins spirituels et ce qui a rapport à leur salut ; à raison de son immense charité, elle prie pour eux ; et, comme elle est toute puissante sur le cœur de son Fils à cause de l'amour mutuel qui les unit; elle nous obtient toutes les grâces que nous recevons, toutes celles que reçoivent ceux qui ne veulent pas s'obstiner dans le mal.
Le sens chrétien formé par les grandes prières de l'E­glise, expression de la Tradition, l'affirme en recourant quotidiennement à l'intercession de la Sainte Vierge par l'Ave Maria.



La théologie explique cette croyance universelle des fidèles en considérant les trois raisons fondamentales de la puissance d'intercession de Marie.
Tout d'abord, comme Mère de tous les hommes, elle connaît tous leurs, besoins spirituels.
C'est un principe admis par tous les théologiens que la béatitude des saints au ciel ne serait pas complète, comme elle doit l'être, s'ils ne pouvaient connaître tout ce qui peut les intéresser ici-bas à raison de leur office, de leur rôle, de leurs relations avec nous. Cette connais­sance est l'objet d'un désir légitime qui doit être satis­fait par la béatitude parfaite, d'autant que, s'il s'agit de la connaissance de nos besoins spirituels, ce désir procède de la charité des saints à notre égard; c'est elle qui les porte à désirer notre salut, pour que nous glorifiions Dieu éternellement avec eux et que nous ayons part à leur béatitude.
C'est ainsi qu'un père et une mère parvenus au ciel connaissent les besoins de leurs enfants, surtout ceux de l'ordre du salut et ce qui y touche directement ou indi­rectement. De même, un fondateur d'ordre entré dans la gloire connaît les intérêts de sa famille spirituelle et de chacun tics membres de celle-ci. A plus forte raison Marie, mère de tous les hommes, qui a le plus haut degré de gloire après Notre-Seigneur, doit-elle connaître tout ce qui a rapport directement ou indirectement à la vie surnaturelle qu'elle est chargée de nous donner et d'en­tretenir en nous : les actes bons et méritoires qui la font grandir, les fautes qui la diminuent ou la détruisent, par suite toutes nos pensées, désirs, les dangers qui nous me­nacent, les grâces dont nous avons besoin, même les inté­rêts temporels qui ont quelque rapport avec notre salut, comme le pain quotidien.
Cette connaissance universelle, certaine et précise de tout ce qui concerne notre destinée, est une prérogative qui appartient à Marie de par sa maternité divine et sa maternité spirituelle à l'égard de tous les hommes[103].
Connaissant tous nos besoins spirituels et même ceux d'ordre temporel qui ont rapport avec notre salut, Marie est évidemment portée par son immense charité à inter­céder pour nous. Il suffit à une mère de soupçonner les besoins de son enfant, pour qu'elle essaie de les soulager. Pour notre Mère du ciel, comme pour Notre-Seigneur, il ne s'agit plus d'acquérir de nouveaux mérites, mais d'ob­tenir que les mérites passés de son Fils et les siens nous soient appliqués au moment opportun.
Cette prière de la Sainte Vierge est-elle toute-puissante ?
La Tradition a appelé Marie omnipotentia supplex, la toute puissance dans l'ordre de la supplication[104].
C'est en effet un principe certain que la puissance d'intercession des saints est proportionnée à leur degré de gloire au ciel, ou d'union à Dieu[105]. Aussi, selon le té­moignage constant de la Tradition, Marie, dont la gloire surpasse incomparablement celle de tous les autres saints, possède la toute puissance d'intercession. Avant le VIII° siècle cette doctrine se trouve de façon explicite chez saint Ephrem; au VIII° siècle, les affirmations les plus nettes sont celles de saint André de Crète, de saint Germain de Constantinople, de saint Jean Damascène. A la fin du XI° saint Anselme et son disciple Eadmer affir­ment formellement cette toute puissance d'intercession, que saint Bernard explique et transmet aux théologiens qui le suivent.
Bossuet, dans son Sermon sur la Compassion de la Sainte Vierge[106], montre admirablement les fondements de cette doctrine en rappelant cette vérité de foi : « Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils uni­que[107] », et « s'il l'a livré à la mort pour nous tous, com­ment avec lui ne nous donnera-t-il pas toutes choses[108] », comment ne donnera-t-il pas les grâces nécessaires au salut à ceux qui les lui demandent avec humilité, con­fiance et persévérance ? Or Marie a aimé Dieu et nos âmes jusqu'à donner elle aussi son propre Fils au Calvaire. Elle est donc toute puissante sur le cœur de Dieu le Père et sur celui de son Fils pour obtenir les biens nécessaires au salut à ceux qui ne s'obstinent pas dans la résistance à la grâce, mais qui, au contraire, la demandent comme il convient.
En ce sermon, Bossuet s'exprime ainsi : « Intercédez pour nous, ô bienheureuse Marie : vous avez en vos mains, si j'ose le dire, la clef des bénédictions divines. C'est votre Fils qui est cette clef mystérieuse par laquelle sont ouverts les coffres du Père éternel : il ferme, et per­sonne n'ouvre; il ouvre, et personne ne ferme : c'est son sang innocent qui fait inonder sur nous les trésors des grâces célestes. Et à quel autre donnera-t-il plus de droit sur ce sang, qu'à celle dont il a tiré tout son sang... Au reste, vous vivez avec lui dans une amitié si parfaite, qu'il est impossible que vous n'en soyez pas exaucée. » Il suf­fit, comme dit saint Bernard, que Marie parle au, cœur de son Fils.
Cet enseignement de la Tradition ainsi formulé par Bossuet a été proclamé par Léon XIII dans la première encyclique sur le Rosaire, 1er septembre 1883, où Marie est appelée dispensatrice des grâces, célestes, coelestium administra gratiarum. Dans l'encyclique Jucunda sem­per du 8 septembre 1894 le même pape fait siennes ces deux phrases de saint Bernard, que Dieu, dans sa bien­veillante miséricorde, a établi Marie notre médiatrice, et qu'il a voulu que toutes les grâces nous viennent par elle. Le même enseignement se retrouve au début de la lettre Diuturni temporis du 5 septembre 1898. Pie X parle de même dans l'encyclique Ad diem illum, du 2 février 1904, Marie y est appelée « la dispensatrice de toutes les grâces qui nous ont été acquises par le sang de Jésus ». Notre-­Seigneur est la source de ces grâces, Marie en est comme l'aqueduc, ou selon une autre image comme le cou qui, dans le corps mystique, unit la tête aux membres en leur transmettant l'influx vital : « Ipsa est collum capitis nos­tri, per quod omnia spiritualia dona corpori ejus mystico communicantur » (ibid.). Benoît XV consacre cet ensei­gnement en approuvant, pour l'Eglise universelle, la messe et l'office liturgique de Marie médiatrice de toutes les grâces.
Comme le montre le P. Merkelbach[109], trois choses sont ici à noter.
Tout d'abord il est de foi que la Sainte Vierge prie pour nous et même pour chacun de nous, en sa qualité de Mère du Rédempteur et de tous les hommes, et que son intercession nous est très utile; selon le dogme général de l'intercession des saints (Concile de Trente, sess. 25). Aussi l'Eglise chante-t-elle : Sancta Maria, ora pro nobis. - « Lex orandi statuit legem credendi », le dogme et la prière ont une même loi (Denz., 139).
En second lieu, il est certain d'après la Tradition que cette puissante intercession de Marie peut obtenir à ceux qui l'invoquent bien, toutes les grâces du salut[110] et que nul n'est sauvé sans elle. Aussi l'Eglise dit-elle : « Sen­tiant omnes tuum juvamen. »
Troisièmement, enfin, c'est une doctrine commune et sûre, enseignée par les Papes, par la prédication univer­selle et la liturgie, que nulle grâce ne nous est accordée sans l'intervention de Marie ; c'est ce qu'exprime l'Of­fice et la messe de « Marie médiatrice de toutes les grâ­ces » (31 mai) et il serait au moins téméraire de le nier.
Cette doctrine approuvée par l'Eglise est implicite­ment contenue jusqu'au VIII° siècle, dans l'affirmation générale de la médiation universelle de Marie. Ensuite, du VIII° au XV° siècle, elle est plus explicitement affir­mée sous cette forme que tous les dons de Dieu nous viennent par l'intermédiaire de la Sainte Vierge. Depuis le XVI° siècle, à nos jours cette vérité a été théologiquement exposée sous ses divers aspects, et l'on remarque qu'il s'agit de toutes les grâces surnaturelles provenant de la rédemption de Jésus-Christ, même des grâces sacra­mentelles, en ce sens que les dispositions que l'on doit apporter à la réception des sacrements sont obtenues par l'intercession de Marie[111]. Si, du reste, la Sainte Vierge nous a mérité de congruo tout ce que le Christ nous a mérité de condigno, comme nous l'avons vu plus haut, elle nous a mérité d'un mérite de convenance les grâces sacramentelles elles-mêmes.
On voit par là que l'intercession de Marie est beaucoup plus puissante et plus efficace que celle de tous les autres saints, même réunis, car les autres saints n'obtiennent rien sans elle. Leur médiation reste restreinte sous la sienne qui est universelle, bien que toujours subordon­née à celle de Notre-Seigneur. De plus les grâces que Marie demande pour nous, elle nous les a déjà méritées; il n'en est pas de même des saints : ils demandent sou­vent pour nous des secours qu'ils ne nous ont point mérités. Leur prière n'a pas, dès lors la même efficacité que celle de Marie.
Au sujet enfin de l'efficacité des prières de Marie, il faut rappeler un principe qui s'applique même à la prière de Jésus-Christ. Celle-ci est toujours exaucée en ce qu'elle demande, non pas d'une façon conditionnelle comme il pria au jardin des Oliviers, mais de façon absolue et con­forme aux intentions divines bien connues de lui[112]. Il faut dire de même : Marie par son intercession obtient infailliblement de son Fils tout ce qu'elle lui demande de façon, non conditionnelle, mais absolue en conformité avec les intentions divines, qu'elle n'ignore pas.
Il peut y avoir à la réalisation de certaines prières un obstacle que la divine Providence pourrait empêcher, mais que de fait elle n'empêche pas toujours. Cet obsta­cle peut provenir de ce que l'on ne prie point la Sainte Vierge avec les dispositions voulues, avec humilité, con­fiance et persévérance, ou que l'on demande une chose qui n'est pas jugée utile au bien spirituel, ou que la volonté de celui pour lequel on prie refuse opiniâtrement la con­version demandée[113]. Cela même est permis pour un bien supérieur qui apparaîtra clairement au ciel : la ma­nifestation des perfections divines, la splendeur de la. Miséricorde ou de la Justice.
On voit par ces explications que la toute-puissance d'intercession de Marie, reposant sur les mérites du Sauveur et sur son amour pour sa Mère, loin de porter atteinte à sa médiation universelle, en est le rayonne­ment splendide, et manifeste la rédemption souveraine accomplie par le Rédempteur parfait en celle qui lui est le plus intimement associée dans l'œuvre du salut de l'humanité.


Article II - LA DISTRIBUTRICE DE TOUTES LES GRACES, SON MODE D'INFLUENCE

La Sainte Vierge est-elle la distributrice de toutes les grâces par cela seul qu'elle intercède pour chacun de nous, afin que les mérites passés du Sauveur et les siens nous soient appliqués au moment opportun, ou bien nous transmet-elle aussi les grâces que nous recevons à la ma­nière dont le fait l'humanité de Jésus, qui est selon saint Thomas et beaucoup de théologiens « cause instrumentale physique de ces grâces » ou l'instrument toujours uni à la divinité, supérieur aux sacrements qui sont des instru­ments séparés ?
Par rapport au Christ Jésus lui-même, tête de l'Eglise, cette doctrine a été souvent exposée par saint Thomas[114]; on se demande s'il faut l'admettre aussi pour Marie en tant qu'elle est, selon la Tradition, dans le Corps mysti­que du Christ comme le cou qui réunit la tête aux mem­bres et leur transmet l'influx vital.


La causalité morale de Marie par la satisfaction, le mérite passés, et par l'intercession toujours actuelle, est communément admise. Mais plusieurs théologiens s'en tiennent là et refusent d'admettre que Marie transmette les grâces par une causalité physique instrumentale, ana­logue dans l'ordre spirituel à ce qu'est dans l'ordre sen­sible l'action de la harpe qui, touchée par l'artiste, pro­duit des sons harmonieux[115].
D'autres théologiens lui attribuent aussi cette seconde influence d'une façon subordonnée à l'humanité du Christ, en insistant sur ceci que, d'après la Tradition, Marie est vraiment dans le corps mystique comme le cou, qui, en, réunissant la tête aux membres, leur transmet l'influx vital[116].


Il est certain que saint Thomas a enseigné explicite­ment que l'humanité du Sauveur et les sacrements de la loi nouvelle sont cause physique instrumentale de la grâce, dont Dieu seul peut être la cause principale, puis­qu'elle est une participation de sa vie intime.
Mais nous ne voyons pas que le saint Docteur ait posi­tivement rien affirmé de semblable pour Marie. Au dire de certains auteurs, il l'exclurait même dans un texte, où nous ne pensons pas qu'il y ait cette exclusion[117].
Dans son Explication de l'Ave Maria, il attribue à la Sainte Vierge une plénitude de grâce qui déborde sur les hommes pour les sanctifier, mais il ne dit pas explicite­ment si cette influence contient quelque chose de plus que la causalité morale du mérite et de la satisfaction passés et de l'intercession actuelle[118].
La causalité instrumentale physique pour la production de la grâce n'étant pas, au jugement de saint Thomas et de ses commentateurs, impossible en l'humanité du Christ, ni dans les sacrements, par exemple dans les paroles du prêtre pour la consécration et l'absolution sacramentelle, elle n'est pas non plus impossible en Marie[119]. Le saint Docteur admet même que le thauma­turge est aussi parfois cause instrumentale du miracle, qui s'opère par exemple par sa bénédiction[120]. Non seu­lement il l'obtient par sa prière, mais parfois il le fait comme instrument de Dieu.
On ne peut donc pas avoir la certitude que la Sainte Vierge n'exerce pas cette influence. Il faut de plus se dire que les chefs-d'œuvre de Dieu contiennent plus de riches­ses, de beauté et de vitalité que nous ne pouvons le dire. Nous ne pensons pas cependant qu'on puisse prouver d'une façon certaine, l'existence de cette causalité en Marie. C'est un des points sur lesquels la théologie ne saurait, semble-t-il, dépasser une sérieuse probabilité. Pourquoi ? Parce qu'il est bien difficile ici de voir, dans les textes traditionnels invoqués, où finit le sens propre et où commence la métaphore. Ceux qui s'expriment même d'habitude d'une façon métaphorique là où ils pourraient et devraient employer des termes propres, ne font guère attention à la difficulté que nous signalons ici. Mais plus on tient à la propriété des termes, plus on sai­sit la vérité de cette remarque. Lorsque la Tradition nous dit que Marie, dans le Corps mystique, est comparable au cou qui réunit la tête aux membres et leur transmet l'influx vital, c'est là certainement au moins une méta­phore très expressive, mais nous ne pouvons affirmer avec certitude qu'il y a plus.
Cependant ces paroles ne paraissent avoir leur signi­fication complète, comme dit le P. Hugon, que si l'on admet la causalité physique instrumentale dont nous par­lons[121].
Le P. R. Bernard, O. P., s'exprime de même en cette page de son livre Le Mystère de Marie, 1933, p. 462 : « Dieu et son Christ se servent d'elle (de Marie) en ce sens qu'ils font passer par elle toutes les grâces qu'ils nous destinent... Leur action, en cette intermédiaire, se tempère de plus d'humanité, sans rien perdre, bien en­tendu, de sa force divine. Ils font vivre à notre Mère la vie qu'ils ont dessein de nous faire vivre. Elle en est d'a­bord remplie et débordante, La grâce est préformée en elle et s'y empreint d'une spéciale beauté. Toute la grâce et toutes les grâces, secours et états, vertus et dons, nous arrivent ainsi canalisés et distribués par elle, imprégnés de cette particulière suavité qu'elle donne à tout ce qu'elle touche et laisse en tout ce qu'elle fait.
« Marie est donc, par son action, mêlée à tout dans notre vie et porteuse de tout le divin en nous. Sur tout le cours de notre existence, du berceau et même avant, jus­qu'à la tombe et même au-delà, grâce habituelle et grâces actuelles, grâce et gloire, on ne voit pas. ce qui pourrait être ôté à son domaine. Elle donne forme et figure à tout notre être dans le Christ... Elle imprime sa façon à tout et donne comme un surcroît de perfection à ce qui lui passe ainsi par les mains. J'ai dit que nous tenions tout entiers dans sa prière : nous tenons pareillement dans son action et, si l'on peut dire, dans ses mains. Tout chré­tien est un enfant de Marie, or un enfant n'est digne de ce nom que s'il est réellement façonné par sa mère. »
Si l'on admet que la Sainte Vierge, non seulement nous obtient par sa prière, mais nous transmet toutes les grâces que nous recevons, on donne un sens plus complet aux titres de trésorière et dispensatrice de toutes les grâ­ces qui lui sont généralement attribués.
Cela parait aussi indiqué en certaines paroles très bel­les et très fortes de la liturgie, surtout dans le Stabat, où la répétition admirable du Fac montre que Marie, non seulement nous obtient par sa prière la grâce d'arriver à l'intimité du Christ, mais qu'elle fait en quelque ma­nière en nous cette divine intimité :

Eia, Mater, fons amoris, O Mère, source d'amour,
Me sentire vim doloris Faites-moi sentir la violence
Fac ut tecum lugeam. De votre douleur, afin que je pleure avec vous.

Fac ut ardeat cor meum, Faites que mon cœur s'embrase
In amando Christum Deum, D'amour pour le Christ Dieu,
Ut sibi complaceam. Afin que je lui plaise.

Fac ut portem Christi mortem, Faites que je porte la mort du Christ,
Passionis fac consortem Faites-moi partager sa Passion
Et plagas recolere. Et vénérer ses saintes plaies.

Fac me plagsis vulnerari, Faites que, blessé de ses blessures,
Fac me cruce inebriari, Je sois enivré de la croix
Et cruore Filii. Et du sang de votre Fils.


Cette influence de Marie sur nos âmes reste sans doute mystérieuse, mais il semble bien qu'elle n'est pas seule­ment morale, qu'elle intervient dans la production même de la grâce, à titre d'instrument conscient et libre, comme lorsque le thaumaturge guérit par son contact et sa bénédiction. Déjà, dans l'ordre naturel, le sourire, le regard, l'inflexion de la voix, le ton transmettent quelque chose de la vie de l'âme.



A cette interprétation des termes traditionnels communément reçus s'ajoutent des raisons théologiques qui ne sont pas sans valeur.
Comme le dit le P. Hugon[122] : « Une fois établi que les anges et les saints sont bien souvent les causes physi­ques secondaires des miracles, il semble tout naturel que nous revendiquions cette efficacité pour la Mère de Dieu et à un degré supérieur. » Et si elle est cause instrumen­tale physique des miracles que Dieu seul produit comme cause principale, pourquoi ne pas admettre qu'elle est de la même manière cause de la grâce ? Comme le remar­que (ibid.) le théologien que nous venons de citer : « Toute prérogative qui est possible et qui convient au rôle, à l'office, à la dignité d'une Mère de Dieu, doit se trouver dans la Sainte Vierge... Elle reçoit à titre secon­daire tout ce que le Christ possède à un titre plénier et principal : mérites, satisfactions, intercession...; pour­quoi la relation devrait-elle cesser dans l'ordre de la cau­salité physique ? Qu'est-ce qui nécessite cette excep­tion ?[123] Ne semble-t-il pas, au contraire, que le parallé­lisme surnaturel doive se poursuivre jusqu'au bout, et que la Mère doive être l'instrument secondaire partout où le Fils est l'instrument premier et conjoint ?... Il sem­ble assez naturel que les actes (de Marie) dont Dieu veut se servir à chaque instant dans l'ordre d'intercession soient élevés, transformés par la fécondité infinie et char­gés de communiquer instrumentalement la vie céleste aux âmes. »
De plus, si le prêtre par l'absolution sacramentelle est cause instrumentale de la grâce, à raison de son union au Christ rédempteur, Marie ne lui est pas moins unie en sa qualité de Mère de Dieu et de corédemptrice, car il est plus parfait d'avoir donné au Verbe sa nature humaine et de l'avoir offert sur la croix que de le rendre présent sur l'autel et de l'y offrir.
L'influence très certaine du Christ, tête du Corps mys­tique, reste aussi fort mystérieuse, puisqu'elle est essen­tiellement surnaturelle. Celle que paraît exercer Marie en dehors de son intercession n'est pas moins secrète, bien sûr, mais elle est sérieusement probable, pensons-­nous, sans qu'on puisse rien affirmer de plus. Ainsi, lors­qu'il s'agit des dernières ondulations du son ou de la lumière dans l'air, il est difficile de dire avec certitude où elles existent encore et où elles finissent vraiment.
Notons enfin que l'influence propre de Marie parait s'exercer surtout sur notre sensibilité parfois égarée, dis­traite, pour la calmer, la subordonner à nos facultés supé­rieures et faciliter en celles-ci la docilité à suivre l'im­pulsion du Christ, tête de l'Eglise, qui nous transmet l'in­flux de la grâce divine[124].
Bien que le mode d'influence de Marie reste caché, le fait même de son influence n'est pas douteux.
Ce qui est sûr, c'est que la Sainte Vierge est la dispen­satrice de toutes les grâces, au moins par son interces­sion. Et il faut remarquer avec le P. Merkelbach[125] que ce n'est pas à la façon des autres saints qu'elle intercède, ce n'est pas par une demande qui pourrait ne pas être exaucée, c'est plutôt comme le Christ, constitué Média­teur et Sauveur, dont l'intercession est toujours entendue non seulement de fait, mais de droit. L'intercession du Christ, dit saint Thomas[126], est l'expression de son désir de notre salut acquis au prix de son sang. Comme Marie médiatrice a été associée très intimement à l'œuvre ré­demptrice de son Fils, elle est associée de même à son intercession, elle exprime son désir que Dieu a décidé de considérer comme toujours uni à celui du Christ. En ce sens, la Sainte Vierge dispose des grâces qu'elle demande; sa prière est la cause efficace de leur obtention, et elle paraît être associée aussi à l'influence du Christ pour la transmission de ces grâces.
Aussi l'Eglise chante-t-elle dans l'hymne des matines de l'Office de Marie médiatrice de toutes les grâces :
Cuncta, quae nobis meruit Redemptor,
Dona partitur genitrix Maria,
Cujus ad votum sua fundit ultro
Munere Natus.

Elle nous distribue tous les dons que nous a mérités son Fils, et qu'elle nous a mérités avec lui.



Si, comme il semble, Marie, par une causalité physique instrumentale, nous transmet toutes les grâces que nous recevons, toutes les grâces actuelles qui nous sont don­nées pour la respiration de l'âme, comme l'air arrive incessamment dans les poumons pour la respiration du corps, nous sommes ainsi constamment sous son in­fluence subordonnée à celle du Christ, tête de l'Eglise; elle nous transmet continuellement l'influx vital qui vient de lui.
Mais même si elle n'agit sur nous actuellement que par la causalité morale de l'intercession, elle est présente dans les âmes en état de grâce qui la prient selon une présence affective, comme l'objet aimé, même s'il est physique­ment distant, est présent en celui qui l'aime. Marie est présente corps et âme au ciel, elle est donc physique­ment distante de nous, mais elle est présente d'une pré­sence affective dans les âmes intérieures qui l'aiment, comme l'objet aimé qui attire vers lui notre affection est présent en nous[127].


Cette influence de Marie devient toujours plus intime dans les âmes intérieures très fidèles.
Le bienheureux Grignion de Montfort l'a souvent re­marqué. Il dit[128] : « Le Saint-Esprit est devenu fécond par Marie, qu'il a épousée. C'est avec elle et en elle et d'elle qu'il a produit son chef-d'œuvre, qui est un Dieu fait homme, et qu'il produit tous les jours jusqu'à la fin du monde les prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable : c'est pourquoi plus il trouve Marie, sa chère et indissoluble épouse, dans une âme, plus il devient opérant pour produire Jésus-Christ en cette âme et cette âme en Jésus-Christ.
« Ce n'est pas qu'on veuille dire que la Très Sainte Vierge donne au Saint-Esprit la fécondité... Mais on veut dire que le Saint-Esprit, par l'entremise de la Sainte Vierge, dont il veut bien se servir, quoiqu'il n'en ait pas absolument besoin, réduit à l'acte sa fécondité, en produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres : mystère de grâce inconnu même aux plus savants et spi­rituels d'entre les chrétiens. »
Comme le remarque le P. Hugon[129] au sujet de ces paroles du bienheureux de Montfort : « La fécondité exté­rieure du divin Paraclet, c'est la production de la grâce, non pas dans l'ordre de la causalité morale, car le Saint-­Esprit n'est pas une cause méritoire ni impétratoire, mais dans l'ordre de la causalité physique. Réduire à l'acte cette fécondité, c'est produire physiquement la grâce et ces œuvres de sainteté qui sont appropriées à la troisième Personne. S'il est vrai que le Saint-Esprit réduit à l'acte sa fécondité par l'intermédiaire de Marie, s'il devient opé­rant par elle, c'est par elle qu'il produit physiquement la grâce dans les âmes : Marie est donc l'instrument physi­que secondaire de l'Esprit-Saint. Telle nous semble la portée de ces fortes paroles du saint auteur; telle serait cette haute doctrine qu'il appelle « un mystère de grâce inconnu même aux plus savants et spirituels d'entre les chrétiens. »
Ainsi, comme l'Incarnation se prolonge en quelque sorte indéfiniment par l'influence vivificatrice du Christ, tête de l'Eglise, sur ses membres, la maternité virginale de Marie s'achèverait par le fait qu'elle nous transmettrait toutes les grâces que sa prière nous obtient.
Le bienheureux de Montfort parle toujours ainsi[130]. Il faut citer aussi à ce sujet L'union mystique à Marie, écrit par une recluse flamande qui l'a personnellement expéri­mentée, Marie de Sainte-Thérèse (1623-1677). Ces écrits montrent qu'il y a une influence très profonde, des tou­ches secrètes de Marie, médiatrice de toutes les grâces, pour conduire les âmes intérieures très fidèles à une inti­mité toujours plus grande avec Notre-Seigneur[131]. L'âme qui suit cette voie entre ainsi de plus en plus dans le mystère de la communion des saints et participe aux sen­timents les plus élevés qu'avait la Mère de Dieu au pied de la croix et après la mort de Notre-Seigneur, à la Pen­tecôte ou plus tard lorsqu'elle priait pour les Apôtres et leur obtenait les grandes grâces de lumière, d'amour et de force dont ils avaient besoin pour porter le nom de Jésus jusqu'aux extrémités du monde connu des anciens. Or l'influence de Marie, médiatrice universelle, est plus grande encore, plus universelle et plus rayonnante depuis qu'elle est montée au ciel.



NOTE -LE MODE DE PRÉSENCE DE LA SAINTE VIERGE DANS LES AMES QUI LUI SONT UNIES

Pour préciser cette doctrine, il faut dire brièvement ce que les théologiens entendent par contact virtuel d'une part, et par pré­sence affective de l'autre.


Le contact virtuel ou dynamique

A propos de la présence de Dieu en toutes choses ou de celle des anges dans les corps sur lesquels ils agissent, on distingue géné­ralement le contact virtuel (contactus virtutis) du contact quanti­tatif. Deux corps sont présents l'un à l'autre par le contact quan­titatif, c'est-à-dire par celui de leur propre quantité ou étendue.
Un esprit pur, n'ayant pas de corps, ni par suite de quantité ou étendue, est présent là où il opère par le contact virtuel, par sa vertu, principe de son action. C'est le contact dynamique d'une force spirituelle qui possède ce sur quoi elle agit.
La vertu divine n'est pas distincte de l'être même de Dieu, donc Dieu est réellement et substantiellement présent, par contact vir­tuel, en tout ce qu'il produit lui-même immédiatement, ou sans l'intermédiaire d'un instrument, c'est-à-dire en ce qu'il crée par création proprement dite ex nihilo et conserve immédiatement dans l'existence; il est ainsi présent dans la matière, dans les âmes spirituelles et les anges, qui ne peuvent être produits que par créa­tion ex nihilo, laquelle ne peut se faire par l'intermédiaire d'un instrument (cf. Ia, q. 8, a. 1, 2, 3, 4; q. 45, a. 5; q. 104, a. 2).
Pour la même raison, les théologiens admettent généralement que l'ange, qui de soi n'est pas dans un lieu puisqu'il est esprit pur, est réellement présent lui-même là où il agit, car il touche par un contact virtuel (contactus virtutis) le corps qu'il meut localement (cf. Ia, q. 52). Un ange peut aussi éclairer une intelli­gence humaine et agir sur elle par l'imagination, comme un maître qui enseigne.
La présence de l'âme de Jésus et celle de l'âme de la Sainte Vierge dans les personnes qui leur sont unies ressemblent à celle des anges, mais en diffèrent pourtant à un point de vue. La diffé­rence provient de ceci qu'une âme humaine unie à son corps, comme l'âme de Jésus et celle de sa sainte Mère, est réellement présente (definitive) là où est son corps et non pas ailleurs; or le corps de Jésus depuis l'Ascension n'est qu'au ciel selon son lieu naturel, et de même le corps de Marie depuis l'Assomption. Et l'âme, étant par sa nature unie à son propre corps, n'agit sur les autres que par lui. En cela elle diffère de l'ange qui n'a point de corps
Mais comme Dieu peut se servir des anges pour produire ins­trumentalement un effet proprement divin comme le miracle, il peut se servir aussi de l'âme de Jésus, de ses actes, et même du corps de Jésus, ou encore l'âme de Marie, de ses actes, de son corps.
Lorsque Dieu se sert de l'humanité du Sauveur comme d'une cause physique instrumentale pour produire la grâce en nous, ainsi que l'admet saint Thomas (IIIa, q. 43, a. 2; q. 48, a. 6; q. 62, a. 4), nous sommes sous l'influence même physique de l'huma­nité du Christ. Cependant elle ne nous touche pas, car elle est au ciel. De même si quelqu'un de loin nous parle par un porte-voix, ce porte-voix ne nous touche pas immédiatement; dans ce cas, il y a seulement contact virtuel et non pas contact quantitatif de l'instrument et du sujet sur lequel il opère; contact virtuel sem­blable à celui du soleil qui de loin nous éclaire et nous réchauffe.



Si la Sainte Vierge est cause physique instrumentale de la grâce, d'une façon subordonnée à l'humanité du Christ, nous sommes aussi sous son influence même physique, sans pourtant qu'elle nous touche autrement que par contact virtuel.
Il faut noter cependant que l'âme humaine, en tant qu'elle est spirituelle et domine son corps, n'est pas comme telle dans un lieu. De ce point de vue, toutes les âmes, dans la mesure où elles vivent davantage de la vie spirituelle et sont plus dégagées des sens, en se rapprochant spirituellement de Dieu, se rapprochent spirituellement les unes des autres. On s'explique par là la pré­sence spirituelle de la sainte âme du Christ et de l'âme de Marie, surtout si l'on admet que l'une et l'autre sont causes physiques instrumentales des grâces que nous recevons.
A ce titre, on peut dire que nous sommes constamment sous leur influence dans l'ordre spirituel, comme dans l'ordre corporel notre corps est constamment sous l'influence du soleil qui nous éclaire et nous réchauffe et sous l'influence permanente de l'air que nous respirons sans cesse[132].
En la présence spirituelle dont nous venons de parler peuvent s'unir l'influence de la causalité instrumentale dite physique, qui est ici spirituelle, et la présence dite affective sur laquelle nous allons insister, et qui, elle, n'est pas seulement probable, mais certaine.


La présence affective

Même si la Sainte Vierge n'était pas cause physique instrumen­tale des grâces que nous recevons, elle serait présente en nous d'une « présence affective » comme l'objet connu et aimé en ceux qui l'aiment, et cela à des degrés très divers d'intimité selon la profondeur et la force de cet amour.
Même une âme très imparfaite est sous l'influence dite physi­que de la Sainte Vierge, si celle-ci est cause physique instrumen­tale des grâces reçues par cette âme. Mais plus notre amour pour Marie devient profond, plus sa présence affective en nous devient intime Il importe d'y insister, car ce mode de présence est cer­tain, et saint Thomas l'a admirablement expliqué Ia IIae, q. 28, a. 1 et 2, là où il se demande si l'union est l'effet de l'amour, et si une mutuelle inhésion ou inhérence est effet de l'amour.
Il répond (a. 1) : L'amour, comme l'a dit Denys, est une force unitive. Il y a deux unions possibles entre ceux qui s'aiment : 1° une union réelle, lorsqu'ils sont réellement présents l'un à l'autre (comme deux personnes qui sont au même endroit et qui se voient immédiatement); 2° une union affective (comme celle qui existe entre deux personnes physiquement très distantes l'une de l'autre), celle-ci procède de la connaissance (du souvenir actuel de la personne aimée) et de l'amour de cette personne.
« ... L'amour suffit à constituer formellement l'union affective, et il porte à désires l'union réelle. » Il y a donc une union affec­tive qui résulte de l'amour, malgré l'éloignement des personnes. ­Si Monique et Augustin, même très éloignés l'un de l'autre, étaient spirituellement très unis, et par là affectivement présents l'un à l'autre d'une manière plus ou moins profonde selon le degré ou l'intensité de leur affection, combien plus encore une âme qui vit chaque jour davantage dans l'intimité de notre Mère du ciel lui est-elle affectivement unie ?
Saint Thomas va plus loin, ibid , a 2, corp. et ad. 1, il montre qu'une mutuelle inhésion ou inhérence spirituelle peut être un effet de l'amour, malgré l'éloignement des personnes. Et il dis­tingue très bien deux aspects de cette union affective : 1° amatum est in amante, la personne aimée est en celui qui aime, comme impriméee en l'affection de celui-ci par la complaisance qu'elle lui inspire; 2° au contraire, amans est in amato, celui qui aime est dans la personne aimée, en tant qu'il se réjouit très fort et inti­mement de ce qui fait son bonheur à elle.
Le premier mode est souvent plus senti, et, à l'égard de Dieu, on risque ici de simuler avant l'heure, une telle union; de plus, même lorsqu'elle est véritablement le fruit d'une grâce, elle peut avoir un trop grand retentissement sur la sensibilité proprement dite, ce qui expose à la gourmandise spirituelle.
Plus l'amour est désintéressé et en même temps fort et intime, plus le second aspect tend à prévaloir. Alors l'âme est plus en Dieu que Dieu n'est en elle; et il y a quelque chose de semblable à l'égard de l'humanité de Jésus et de la Sainte Vierge.
Finalement, cet amour désintéressé et fort produit, dit saint Thomas (ibid., a. 3) l'extase d'amour (avec ou sans suspension de l'usage des sens), l'extase spirituelle, par laquelle celui qui aime sort pour ainsi dire de soi, parce qu'il veut le bien de son ami, comme le sien, et s'oublie lui-même[133].
On voit par là quelle peut être l'intimité de cette union d'a­mour et de cette présence non pas corporelle, mais affective. Il est vrai pourtant que cette union affective tend à l'union réelle dont nous jouirons au ciel en voyant immédiatement l'humanité du Sauveur et la Sainte Vierge. Dès ici-bas, il y en a comme un pré­lude dans l'influence physique de l'humanité de Jésus et proba­blement de la Sainte Vierge, qui nous transmet une grâce tou­jours plus éleée et une charité qui s'enracine toujours plus inti­mement en notre volonté. - Voir à la fin de cet ouvrage l'avant­-dernier chapitre sur l'Union mystique avec Marie, pp. 326-334.


Article III - L'UNIVERSALITÉ DE LA MÉDIATION DE MARIE ET SA DÉFINIBILITÉ

Après avoir parlé des caractères généraux de la média­tion de la Sainte Vierge, de son mérite et de sa satisfac­tion pour nous durant sa vie mortelle, de son intercession au ciel, de la façon dont elle nous transmet les grâces que nous recevons, il faut considérer l'universalité de sa médiation, sa certitude et le sens exact selon lequel elle doit être entendue.


Certitude de cette universalité

Etant donné ce que nous avons vu, cette universalité dérive de tous les principes admis, à tel point qu'elle ne demande pas une preuve spéciale; c'est plutôt ses adver­saires qui devraient prouver leur position[134].
Nous avons vu en effet qu'en sa qualité de Mère de Dieu rédempteur et de Mère de tous les hommes, Marie coré­demptrice nous a mérité d'un mérite de convenance tout ce que Notre-Seigneur nous a mérité en justice et qu'elle a satisfait pour nous de même en union avec lui. Il suit de là qu'elle peut au ciel, par son intercession, nous obte­nir l'application de ces mérites passés et qu'elle nous obtient de fait, non seulement toutes les grâces en géné­ral, mais toutes les grâces particulières que chacun de nous reçoit, sans exclure évidemment l'intervention su­bordonnée des saints auxquels nous avons aussi recours.
Cette assertion n'est pas seulement une pieuse opinion, sérieusement probable, c'est une certitude théologique, en vertu des principes exposés plus haut, déjà affirmés par les Pères, communément reçus par les théologiens, exprimés dans la prédication générale et confirmés par les encycliques des Papes. Léon XIII, dans l'encyclique Octobri mense, sur le Rosaire, 22 septembre 1891 (Denz., 3033), dit en particulier : « Nihil nobis nisi per Mariam, Deo sic volente, impertiri. » Aucune grâce ne nous est accordée sans l'intervention de Marie, parce que Dieu l'a voulu ainsi.
L'universalité de cette médiation est affirmée aussi par les prières de l'Eglise, qui sont l'expression de sa foi. Elle nous fait demander à Marie les grâces de toutes sor­tes, temporelles et spirituelles, et, parmi ces dernières, toutes celles qui conduisent à Dieu, depuis les premières qui portent à la conversion, jusqu'à celle de la persévé­rance finale, sans omettre celles nécessaires en particu­lier aux apôtres pour leur apostolat, aux martyrs pour rester fermes dans la persécution, aux confesseurs de la foi pour y conformer toute leur vie, aux vierges pour gar­der intacte la virginité, etc. Marie, en effet, dans les lita­nies de Lorette, universellement récitées dans l'Eglise, est appelée salut des infirmes, refuge des pécheurs, con­solatrice des affligés, secours des chrétiens, reine des apô­tres, des martyrs, des confesseurs, des vierges, de tous les saints.
Ainsi, par elle nous sont accordées toutes les catégories de grâces nécessaires aux uns et aux autres, à chacun dans sa condition. En d'autres termes, toutes les grâces que Notre-Seigneur nous a méritées en justice et qu'elle-­même nous a méritées d'un mérite de convenance, Marie nous les distribue incessamment au cours des générations humaines depuis vingt siècles, et il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde pour nous aider dans notre voyage vers l'éternité.
Bien plus, en chacune de ces catégories de grâces, nécessaires aux apôtres, aux martyrs, aux confesseurs, aux vierges, la plus particulière de toutes les grâces pour chacun de nous, c'est-à-dire la grâce du moment présent, ne nous est pas accordée sans l'intervention de Marie. Tous les jours en effet et plusieurs fois le jour nous la lui demandons, cette grâce, en lui disant dans l'Ave Maria : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort; ainsi soit-il. » Par cet adverbe « maintenant », nous demandons la grâce qui nous est nécessaire pour le de­voir de la minute présente, pour bien prier ou pratiquer telle autre vertu, et, si nous ne sommes pas attentifs à ce mot, la Sainte Vierge, qui connaît, au ciel, les besoins actuels de chacune de nos âmes, y est attentive; lorsque ensuite nous obtenons cette grâce du moment (par exem­ple celle nécessaire pour continuer à bien prier), c'est par son intercession que nous l'avons obtenue, et c'est un signe que, en cela, nous avons été exaucés. Cette grâce du moment présent est évidemment la plus particulière de toutes et, pour chacun de nous, elle varie de minute en minute, comme les ondulations de l'air qui arrive in­cessamment à nos poumons pour que la respiration con­tinuelle renouvelle notre sang.
La médiation de Marie est donc selon la Tradition véri­tablement universelle, puisqu'elle s'étend à toute l'œuvre du salut, tant à l'acquisition des grâces par le mérite et la satisfaction passés, qu'à leur application par la prière toujours actuelle et à leur distribution. Cette médiation n'est pas limitée à certaines sortes de grâces, elle s'étend à toutes. Il y a même sur ce point l'unanimité morale des Pères, des Docteurs, et de la croyance des fidèles expri­mée par la liturgie.


Définibilité de cette vérité

Cette doctrine parait même non seulement théologi­quement certaine, mais définissable comme dogme de foi, car elle est d'abord implicitement révélée dans les titres généraux que la Tradition donne à Marie, dans ceux de Mère de Dieu très puissante par son intercession auprès de son Fils, de nouvelle Eve intimement associée au Christ rédempteur, de Mère de tous les hommes. De plus, c'est une vérité explicitement et formellement affir­mée d'un consentement moralement unanime par les Pères, les Docteurs, la prédication universelle, la liturgie.
Léon XIII, loc. cit., après avoir affirmé que « rien ne nous est accordé que par Marie », ajoute que « comme personne ne peut venir au Père que par son Fils, de même pour ainsi dire nul ne peut venir au Christ que par Marie[135] », car elle est « la Médiatrice auprès du Média­teur[136] ».
Pie X l'appelle « la dispensatrice de toutes les grâces que Jésus nous a acquises par son sang[137] ».
C'est cette doctrine que Benoît XV a sanctionnée le 21 janvier 1921 par l'institution de la fête universelle de Marie médiatrice de toutes les grâces. Elle parait donc définissable comme dogme de foi, car elle est du moins implicitement révélée et déjà universellement proposée par le magistère ordinaire de l'Eglise.


Quel est le sens exact de cette universalité

Il faut à ce sujet faire plusieurs remarques pour bien déterminer le sens de l'expression « médiation univer­selle ».
Tout d'abord, les grâces déjà reçues par les hommes depuis la chute jusqu'à l'Incarnation du Verbe ont été accordées par Dieu à cause des mérites futurs du Sau­veur, auxquels devaient s'unir ceux de Marie, mais ni Notre-Seigneur, ni sa sainte Mère ne les ont distribuées et transmises, puisqu'il s'agit de grâces passées.
Il n'en est pas de même s'il s'agit des grâces reçues par les hommes depuis la venue du Christ. Il faut même dire que c'est surtout depuis l'Assomption que Marie, con­naissant les besoins spirituels de chacun de nous, inter­cède pour chacun et nous distribue les grâces que nous recevons.
Même les grâces sacramentelles nous sont obtenues par elle en ce sens qu'elle nous obtient tout ce qu'elle nous a mérité, et nous avons vu qu'elle nous a mérité d'un mé­rite de convenance tout ce que Jésus nous a mérité en justice, et donc aussi les grâces sacramentelles. De plus, elle nous les distribue et nous les transmet au moins en tant qu'elle nous accorde les grâces qui nous disposent à nous approcher des sacrements, à bien les recevoir, et parfois elle envoie le prêtre sans lequel ce secours sacra­mentel ne nous serait pas donné[138].
I1 ne faut pas entendre l'universalité de cette média­tion en ce sens qu'aucune grâce ne nous serait accordée sans que nous l'ayons explicitement demandée à Marie; ce serait confondre notre prière qui s'adresse à elle avec celle qu'elle adresse à Dieu. Marie peut en effet prier pour nous sans que nous l'invoquions explicitement. Il est sûr que bien des grâces sont accordées non seu­lement aux enfants, mais aussi aux adultes avant même qu'ils aient prié, en particulier celle nécessaire pour commencer à prier. On peut aussi dire le Pater sans invo­quer explicitement la Sainte Vierge, mais on l'invoque alors implicitement, si l'on prie selon l'ordre établi par la Providence.
Il ne faudrait pas croire non plus que Marie a été médiatrice, pour elle-même.
Par contre, il ne suffirait pas de dire qu'elle nous obtient par sa médiation presque toutes les grâces, ou moralement parlant toutes les grâces. Cette expression vague pourrait signifier 9/10 ou 8/10, ce qui n'a aucun fondement. Il faut dire que, par une loi générale établie par la Providence, toutes les grâces et chacune nous viennent par la médiation de Marie, et on ne voit pas d'indice manifestant qu'il y ait des exceptions[139].
Il faut remarquer en outre que la médiation de Marie diffère de celle des saints, non seulement par son univer­salité, mais parce que, comme Mère de tous les hommes, elle est de droit et non seulement de fait médiatrice pour coopérer à l'œuvre de notre salut, ce qui rend son inter­cession toute-puissante; et non seulement elle a droit d'obtenir, mais elle obtient de fait toutes les grâces que nous recevons. Ses prières sont plus efficaces que celles de tous les saints réunis, puisque d'après cette doctrine de la médiation universelle, les saints ne peuvent rien obtenir sans son intercession[140].
Enfin il faut noter que cette médiation universelle s'é­tend aux âmes du purgatoire. Comme l'explique le P. E. Hugon[141] : « Il est certain que la Mère de miséri­corde connaît tous les besoins de ces âmes... Elle peut appuyer ses prières sur ses satisfactions d'autrefois,... elle n'en a jamais eu besoin pour elle-même, elle les abandonne au domaine de l'Eglise, qui les distribue aux âmes par les indulgences... Lors donc que les satisfactions de Marie sont appliquées aux pauvres débiteurs du purgatoire, elle a un certain droit à leur délivrance, puis­qu'elle paie leur dette avec ses propres trésors... Elle obtient par ses maternelles industries que ses enfants de la terre prient pour ses clients du purgatoire, offrent à cette intention leurs bonnes oeuvres, et fassent célébrer l'auguste sacrifice de la délivrance... Elle peut obtenir encore que les suffrages destinés à des âmes qui n'en ont plus besoin ou qui sont incapables de les recevoir profi­tent aux enfants de sa prédilection. »
C'est ainsi qu'un docteur de l'Eglise, saint Pierre Da­mien[142], assure que chaque année, au jour de l'Assomp­tion, Marie délivre plusieurs milliers de ces captifs. Saint Alphonse de Liguori[143] ajoute, en citant Denys le Char­treux, que ces délivrances ont lieu particulièrement aux fêtes de la naissance du Seigneur et de sa Résurrection. Ces derniers témoignages, sans exiger notre croyance, tra­duisent et expliquent à leur manière une conclusion qui est théologiquement certaine.
Ainsi peut se fixer le sens des termes « médiation uni­verselle ».


Difficultés

Quelques-uns ont objecté : la mère d'un roi n'a pas, du fait de sa maternité, le droit de disposer des biens de celui-ci, et donc la Mère du Christ-Roi n'a pas positive­ment le droit de disposer de ses grâces.
On a justement répondu[144] : il n'y a pas ici de parité la mère d'un roi a été seulement la mère d'un enfant qui ensuite est devenu roi, et le plus souvent elle n'a pas intimement coopéré à son gouvernement. Au contraire, Marie est, par sa maternité divine elle-même, la Mère de Dieu rédempteur, Roi universel de toutes les créatures, elle lui a donné sa nature humaine et elle a été intime­ment associée à ses mérites, à ses souffrances réparatri­ces; elle participe par suite à sa royauté spirituelle avec le droit subordonné au sien de disposer des grâces acqui­ses par lui et par elle.
On a objecté encore que cette médiation n'est qu'une pure convenance et donc qu'elle n'est pas certaine.
Il est facile de répondre : il s'agit d'une convenance, d'une connaturalité qui dérive de la maternité divine de Marie, de sa maternité spirituelle à l'égard des hommes, de son union au Christ rédempteur, et qui en dérive de telle manière que l'opposé ne conviendrait pas, comme il convient pour Notre-Seigneur qu'il ait eu dès le pre­mier instant de sa conception la vision béatifique. Il est connaturel à la Mère spirituelle de tous les hommes de veiller spirituellement sur eux et de leur distribuer les fruits de la rédemption.
De plus, selon la Tradition, c'est une convenance qui a motivé de fait le choix divin et dans laquelle il s'est complu. C'est ainsi qu'elle a été considérée par les Pères et par les Docteurs du moyen âge, notamment par saint Albert le Grand (Mariale, q. 29, 33, 147, 150, 164), par saint Bonaventure (Sermo I in Nat. Dom.), par saint Tho­mas dans son Explication de l'Ave Maria, et par les théo­logiens postérieurs, qui ont mis de mieux en mieux en relief l'universalité de cette médiation.


Conclusion

Aucune difficulté sérieuse ne s'oppose donc à la défi­nition de la médiation universelle de Marie, entendue comme il vient d'être dit : médiation subordonnée à celle du Sauveur et dépendante de ses mérites; médiation qui n'ajoute pas un complément nécessaire à ces mérites de Jésus dont la valeur est infinie et surabondante, mais qui en montre le rayonnement et tout le fruit dans une âme très parfaite pleinement configurée à lui.
Les difficultés qui ont été soulevées contre cette média­tion universelle sont certainement moindres que celles qui furent formulées au XIII° siècle contre l'Immaculée Conception, qui a pourtant été définie comme dogme de foi.
On admet aussi généralement aujourd'hui la définibi­lité de l'Assomption, dont la fête, qui remonte au moins au VIII° siècle, est un témoignage de la Tradition. Or la médiation universelle de Marie paraît plus certaine encore par les principes qui la fondent : la maternité di­vine et la maternité spirituelle à l'égard de tous les hom­mes, et plus certaine aussi par les documents de la plus ancienne tradition sur l'opposition entre Eve et Marie.
La médiation universelle de la Sainte Vierge a été beau­coup moins attaquée que l'Immaculée Conception et que l'Assomption, elle est déjà très certaine de par le magis­tère ordinaire de l'Eglise et l'on ne peut que souhaiter sa définition pour mieux promouvoir la dévotion de tous à l'égard de celle qui est vraiment la Mère spirituelle, de tous les hommes et qui veille incessamment sur eux.
Cette médiation, loin de voiler celle de Notre-Seigneur, en manifeste le rayonnement, puisque les plus grands mérites suscités par Jésus-Christ sont ceux de sa sainte Mère et que c'est lui qui lui communique la dignité de la causalité dans l'ordre de la sanctification et du salut. Du reste l'histoire montre que ce sont précisément les na­tions qui ont perdu la foi en la divinité de Jésus-Christ, qui ont abandonné la dévotion à sa Mère, tandis que celles qui ont toujours été les premières à honorer la Mère de Dieu ont gardé la foi au dogme de l'Incarnation ré­demptrice. L'anglican Pusey condamnait cette parole de Faber : « Jésus est voilé parce que Marie est gardée à l'ar­rière-plan. » Newman répondait : « Attestée par l'his­toire, cette vérité est rendue très manifeste par la vie et les écrits des saints qui ont vécu dans la période mo­derne[145]. » Il citait comme exemple saint Alphonse de Liguori et saint Paul de la Croix dont l'amour ardent pour Jésus Rédempteur était inséparable d'une grande dévotion à Marie.
Ces faits montrent une fois de plus que le véritable culte rendu à, la Mère de Dieu, comme l'action qu'elle-­même exerce sur nous, conduit sûrement à l'intimité du Christ. Bien loin de la diminuer, elle l'affermit, elle la rend plus profonde et plus fructueuse comme l'influence de la sainte âme du Sauveur augmente en nous l'union avec la Sainte Trinité.
L'universalité de cette médiation de Marie nous appa­raîtra de plus en plus en considérant comment elle est Mère de miséricorde et quelle est l'extension de sa royauté universelle.



CHAPITRE IV - Mère de miséricorde

Nous considérerons ce titre d'abord en lui-même, puis dans ses principales, manfestations qui sont comme le rayonnement de la doctrine révélée sur Marie et qui la rendent accessible à tous.




Article I

GRANDEUR ET FORCE DE CETTE MATERNITE

Ce titre de Mère de miséricorde est un des plus grands de Marie. On s'en rend compte si l'on considère la diffé­rence de la miséricorde, qui est une vertu de la volonté, et de la pitié sensible, qui n'est qu'une louable inclination de la sensibilité. Cette pitié sensible, qui n'existe pas en Dieu, puisqu'il est esprit pur, nous porte à compatir aux souffrances du prochain, comme si nous les ressentions nous-mêmes et de fait elles peuvent nous atteindre. C'est une louable inclination, mais elle est généralement ti­mide, elle s'accompagne de la crainte du mal qui nous menace aussi, et elle est souvent incapable de porter effectivement secours.
Au contraire, la miséricorde est une vertu, qui se trouve, non pas dans la sensibilité, mais dans la volonté spirituelle; et, comme le remarque saint Thomas[146], si la pitié sensible se trouve surtout chez les êtres faibles et timides, qui se sentent vite menacés par le mal qu'ils voient dans le prochain, la vertu de miséricorde est le propre des êtres puissants et bons, capables de porter réel­lement secours. C'est pourquoi elle se trouve surtout en Dieu, et comme le dit une oraison du Missel, elle est une des plus grandes manifestations de sa puissance et de sa bonté[147]. Saint Augustin remarque qu'il est plus glorieux pour Dieu de tirer le bien du mal que de créer quelque chose de rien; il est plus grand de convertir un pécheur en lui donnant la vie de la grâce, que de créer de rien tout l'univers physique, le ciel et la terre[148].
Marie participe éminemment à cette perfection divine, et en elle la miséricorde s'unit à la pitié sensible, qui lui est parfaitement subordonnée et qui nous la rend plus accessible, car nous n'atteignons les choses spirituelles que par les choses sensibles.
La Sainte Vierge est Mère de miséricorde, parce qu'elle est Mère de la divine grâce, Mater divinae gratiae, et ce titre lui convient parce qu'elle est Mère de Dieu, auteur de la grâce, Mère du Rédempteur, et qu'elle a été asso­ciée plus intimement que personne, au Calvaire, à l'œu­vre de la rédemption.
Comme Mère de miséricorde, elle nous rappelle que, si Dieu est l'Etre, la Vérité et la Sagesse, il est aussi la Bonté et l'Amour, et que sa Miséricorde infinie, qui est la diffusion de sa Bonté, dérive de son Amour avant la justice vengeresse, qui proclame les droits imprescriptibles du Souverain Bien à être aimé par-dessus tout. C'est ce qui fait dire à l'apôtre saint Jacques (Ep., II, 13) : « La misé­ricorde s'élève au-dessus de la justice. »
Marie nous fait comprendre que la miséricorde, loin d'être contraire à la justice, comme l'injustice, s'unit à elle en la dépassant, surtout dans le pardon, car pardon­ner, c'est donner au-delà de ce qui est dû, en remettant une offense[149].
Nous saisissons alors que toute œuvre de justice divine suppose une œuvre de miséricorde ou de bonté toute gra­tuite[150]. Si, en effet, Dieu doit quelque chose à sa créa­ture, c'est en vertu d'un don précédent purement gratuit; s'il doit récompenser nos mérites, c'est qu'il nous a d'a­bord donné la grâce pour mériter, et s'il punit, c'est après nous avoir donné un secours qui rendait réellement possible l'accomplissement de ses préceptes, car il ne com­mande jamais l'impossible.
La Sainte Vierge nous fait entendre que Dieu par pure miséricorde nous donne souvent au-delà du nécessaire, qu'il se doit en justice de nous accorder; elle nous mon­tre qu'il nous donne souvent aussi au-delà de nos mérites, comme, par exemple, la grâce de la communion qui n'est pas méritée.
Elle nous fait saisir que la miséricorde s'unit à la jus­tice dans les peines de cette vie, qui sont comme un re­mède pour nous guérir, nous corriger et nous ramener au bien.
Enfin elle nous fait entendre que souvent la miséricorde compense l'inégalité des conditions naturelles par les grâces accordées, comme le disent les béatitudes évangéli­ques, aux pauvres, à ceux qui sont doux, à ceux qui pleu­rent, à ceux qui ont faim et soif de justice, aux miséricor­dieux, à ceux qui ont le cœur pur, aux pacifiques et à ceux qui souffrent persécution pour la justice.



Article II

PRINCIPALES MANIFESTATIONS DE SA MISÉRICORDE

Marie apparaît Mère de miséricorde, en tant qu'elle est « le salut des infirmes, le refuge des pécheurs, la conso­latrice des affligés, le secours des chrétiens ». Cette grada­tion, exprimée dans les litanies,est très belle; elle montre que Marie exerce sa miséricorde à l'égard de ceux qui souffrent dans leur corps pour guérir leur âme, et qu'en­suite elle les console dans leurs afflictions et les fortifie au milieu de toutes les difficultés à surmonter. Rien dans les créatures n'est à la fois plus élevé et plus accessible à tous, plus pratique et plus doux pour nous relever[151].


=====Salut des infirmes=====

Elle est le salut des infirmes par les innombrables gué­risons providentielles ou même vraiment miraculeuses, obtenues par son intercession en tant de sanctuaires de la chrétienté au cours des siècles et de nos jours. Le nom­bre incalculable de ces guérisons est tel qu'on peut dire que Marie est une mer insondable de guérisons miracu­leuses. Mais elle ne guérit les corps que pour porter re­mède aux infirmités de l'âme.
Elle guérit surtout des quatre blessures spirituelles qui sont les suites du péché originel et de nos péchés per­sonnels, blessures de concupiscence, d'infirmité, d'igno­rance et de malice[152].
Elle guérit de la concupiscence ou de la convoitise, qui est dans la sensibilité, en assoupissant l'ardeur des pas­sions, en brisant les habitudes criminelles; elle fait que l'homme commence à vouloir assez fortement le bien pour repousser les mauvais désirs, et aussi pour rester insen­sible à la griserie des honneurs ou à l'attrait des riches­ses. Elle guérit ainsi de « la concupiscence de la chair et de celle des yeux ».
Elle porte remède aussi à la blessure d'infirmité, qui est la faiblesse pour le bien, la paresse spirituelle; elle donne à la volonté de la constance pour s'appliquer à la vertu, et mépriser les attraits du monde en se jetant dans les bras de Dieu. Elle affermit ceux qui chancellent, relève ceux qui sont tombés.
Elle dissipe les ténèbres de l'ignorance, fournit les moyens pour abandonner l'erreur; elle rappelle les véri­tés religieuses à la fois très simples et très profondes, exprimées dans le Pater. Elle éclaire par là l'intelligence et l'élève vers Dieu. Saint Albert le Grand, qui avait reçu d'elle la lumière pour persévérer dans sa vocation et sur­monter les tromperies du démon, dit souvent qu'elle nous préserve des déviations qui enlèvent la rectitude et la fer­meté du jugement, qu'elle nous guérit de la lassitude dans la recherche de la vérité, et qu'elle nous fait parve­nir à une connaissance savoureuse des choses divines. Lui-même, dans son Mariale, parle de Marie avec une spontanéité, une admiration, une fraîcheur, une abon­dance, qu'on trouve rarement chez les hommes d'étude.
Enfin elle guérit de la blessure spirituelle de malice, en poussant vers Dieu les volontés rebelles, tantôt par de tendres avertissements, tantôt par des reproches sévères. Par sa douceur, elle arrête les emportements de la colère, par son humilité elle étouffe l'orgueil, et écarte les tenta­tions du démon. Elle inspire à celui-ci de renoncer à la vengeance, de se réconcilier avec ses frères, elle lui fait entrevoir la paix qui se trouve dans la maison de Dieu.
En un mot elle guérit l'homme des blessures du péché originel, aggravées par nos péchés personnels.
Quelquefois même cette guérison spirituelle est mira­culeuse par son instantanéité, comme il arriva dans la conversion du jeune Alphonse Ratisbonne, israélite fort éloigné de la foi catholique, qui visitait en curieux l'é­glise de Sant Andrea delle Frate à Rome, et à qui la Sainte Vierge apparut comme elle est représentée sur la médaille miraculeuse, avec des rayons de lumière qui sortaient de ses mains. Avec bonté elle lui fit signe de s'agenouiller. Il s'agenouilla, perdit l'usage de ses sens, et quand il le re­trouva, il exprima le vif désir qu'il éprouvait de recevoir le baptême au plus tôt. Il fonda plus tard, avec son frère converti avant lui, les Pères de Sion et les Religieuses de Sion pour prier; souffrir et travailler pour la conversion des Juifs, en disant tous les jours à la messe : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »
En cela Marie s'est splendidement montré le salut des infirmes.


=====Refuge des pécheurs=====

Elle est le refuge des pécheurs précisément parce qu'elle est leur mère et qu'elle est très sainte. Justement parce qu'elle déteste le péché qui ravage les âmes, loin d'abhorrer les pécheurs eux-mêmes, elle les accueille, les invite au repentir; elle les délivre des chaînes des mau­vaises habitudes par la puissance de son intercession; elle leur obtient la réconciliation avec Dieu, par les mérites de son Fils, qu'elle rappelle à leur souvenir.
Ensuite elle protège les pécheurs convertis contre le démon, contre tout ce qui entrainerait des rechutes. Elle les exhorte à la pénitence et leur y fait trouver de la dou­ceur.
C'est à elle, après Notre-Seigneur, que tous les pé­cheurs qui se sauvent doivent leur salut. Elle en a con­verti d'innombrables en particulier dans les lieux de pèle­rinages, à Lourdes où elle dit : « Priez et faites péni­tence » ; plus récemment à Fatima, en Portugal, où le nombre des conversions, depuis 1917, est incalculable.
Beaucoup de criminels au moment du dernier supplice lui doivent leur conversion in extremis.
Elle a suscité des ordres religieux voués à la prière, à la pénitence et à l'apostolat pour la conversion des pé­cheurs, les ordres de saint Dominique, de saint François, celui des Rédemptoristes, des Passionistes, et combien d'autres.
Quels sont les pécheurs qu'elle ne protège pas ? Ceux­-là seulement qui méprisent la miséricorde de Dieu et qui s'attirent sa malédiction. Elle n'est pas le refuge de ceux qui s'obstinent à persévérer dans le mal, le blasphème, le parjure, la magie, la luxure, l'envie, l'ingratitude, l'ava­rice, l'orgueil de l'esprit. Mais cependant comme Mère de miséricorde, elle leur envoie de temps en temps des grâ­ces de lumière et d'attrait, et, s'ils n'y résistaient pas, ils seraient conduits de grâce en grâce jusqu'à celle de la conversion. Elle suggère à quelques-uns d'entre eux par leur mère mourante de dire au moins chaque jour un Ave Maria; plusieurs, sans changer leur vie, ont dit cette prière qui n'exprimait en eux qu'une très faible velléité de conversion, et il est arrivé qu'au dernier moment ils ont été recueillis dans un hôpital où on leur a demandé voulez-vous voir le prêtre et recevoir l'absolution, ils l'ont reçue comme les ouvriers du dernier moment de la der­nière heure appelés et sauvés par Marie[153]. Depuis près de deux mille ans, Marie est ainsi le refuge des pécheurs.



=====Consolatrice des affligés=====

Consolatrice des affligés, elle le fut déjà pendant sa vie terrestre à l'égard de Jésus surtout au Calvaire, puis, après l'Ascension, à l'égard des Apôtres au milieu des immenses difficultés qu'ils rencontraient pour la conver­sion du monde païen. Elle leur obtenait de Dieu l'esprit de force et une sainte joie dans la souffrance. Pendant la lapidation de saint Etienne, premier martyr, elle dut l'assister spirituellement par ses prières. Elle relevait les malheureux de leur abattement, leur obtenait la patience pour souffrir la persécution. En voyant tout ce qui mena­çait l'Eglise naissante, elle restait ferme, gardant un vi­sage toujours serein, expression de la tranquillité de son âme, de sa confiance en Dieu; la tristesse ne s'emparait jamais de son coeur. Ce que nous connaissons de la force de son amour de Dieu fait penser, disent de pieux auteurs, qu'elle restait joyeuse dans les afflictions, qu'elle ne se plaignait pas de l'indigence et du dénûment, que les injures ne pouvaient pas ternir les grâces de sa douceur. Rien que par son exemple, elle soulageait beaucoup de malheureux accablés de tristesse.
Elle a suscité souvent des saintes qui ont été, comme elle, consolatrices des affligés, telles sainte Geneviève, sainte Elisabeth, sainte Catherine de Sienne, sainte Ger­maine de Pibrac.
L'Esprit-Saint est appelé consolateur surtout parce qu'il fait verser les larmes de la contrition, qui lavent nos péchés et nous rendent la joie de la réconciliation avec Dieu. Pour la même raison, la Sainte Vierge est consola­trice des affligés, en les portant à pleurer saintement leurs fautes.
Non seulement elle console les pauvres par l'exemple de sa pauvreté et par son secours, mais elle est particulièrement attentive à notre pauvreté cachée, elle com­prend le dénûment secret du cœur et nous y assiste. Elle a l'intelligence de tous nos besoins et donne la nourriture du corps et de l'âme aux indigents qui l'implorent.
Elle a consolé combien de chrétiens dans les persécu­tions, délivré combien de possédés ou d'âmes tentées, sauvé de l'angoisse combien de naufragés; elle a assisté et fortifié combien de mourants en leur rappelant les mérites infinis de son Fils.
Elle vient aussi au devant des âmes après la mort. Saint Jean Damascène dit dans son sermon sur l'Assomp­tion : « Ce n'est pas la mort, ô Marie, qui vous a rendue bienheureuse, c'est vous qui l'avez embellie et rendue toute gracieuse, en la débarrassant de ce qu'elle avait de lugubre. »
Elle adoucit les rigueurs du purgatoire, et procure à ceux qui y souffrent les prières des fidèles, auxquels elle inspire de faire célébrer des messes pour les défunts.
Enfin, comme consolatrice des affligés, Marie, souve­raine sans restriction, fait sentir en un sens sa miséri­corde jusqu'en enfer. Saint Thomas dit que les damnés sont punis moins qu'ils ne l'ont mérité, « puniuntur citra condignum »[154], car la miséricorde divine s'unit tou­jours à la justice même dans les rigueurs de celle-ci. Et cet adoucissement provient des mérites du Sauveur et de ceux de sa sainte Mère. Selon saint Odilon de Cluny[155], le jour de l'Assomption est en enfer moins pénible que les autres.
Consolatrice des affligés, elle l'est au cours des siècles dans les formes les plus variées selon l'étendue de la con­naissance qu'elle a de l'affliction des âmes humaines dans leurs divers états de vie.


=====Secours des chrétiens=====

Elle est enfin le secours des chrétiens, parce que le secours est l'effet de l'amour, et que Marie a la plénitude consommée de la charité, qui dépasse celle de tous les saints et anges réunis.
Elle aime les âmes rachetées par le sang de son Fils plus qu'on ne saurait le dire, elle les assiste dans leurs peines et les aide pour la pratique de toutes les vertus.
D'où l'exhortation de saint Bernard dans sa deuxième homélie sur le Missus est : « Si le vent de la tentation s'élève contre toi, si le torrent des tribulations cherche à t'emporter, regarde l'étoile, invoque Marie. Si les flots de l'orgueil et de l'ambition, de la médisance et de la jalou­sie te ballottent pour t'engloutir dans leurs tourbillons, regarde l'étoile, invoque la Mère de Dieu. Si la colère, l'avarice ou les fureurs de la concupiscence se jouent du frêle navire de ton esprit et menacent de le briser, tourne tes regards vers Marie. Que son souvenir ne s'éloigne jamais de ton cœur et que son nom se trouve toujours sur ta bouche... Mais pour profiter du bénéfice de sa prière, n'oublie pas que tu dois marcher sur ses traces. »
Elle a été souvent le secours, non seulement des âmes individuelles, mais des peuples chrétiens. Au témoignage de Baronius, Narsès, le chef des armées de l'empereur Justinien, avec l'aide de la Mère de Dieu, délivra l'Italie, en 553, de l'asservissement des Goths de Totila. Selon le même témoignage, en 718, la ville de Constantinople fut débarrassée de la même manière des Sarrasins, qui, en plusieurs occasions semblables, furent mis en déroute par le secours de Marie.
De même encore, au XIII° siècle, Simon, comte de Mont­fort, battit près de Toulouse une armée considérable d'Al­bigeois pendant que saint Dominique priait la Mère de Dieu.
La ville de Dijon, en 1513, fut de même miraculeuse­ment délivrée.
En 1571, le 7 octobre, à Lépante, à l'entrée du golfe de Corinthe, par le secours de Marie obtenu par le Rosaire, une flotte turque bien plus nombreuse et plus puissante que celle des chrétiens fut complètement détruite.
Le titre de Notre-Dame des Victoires nous rappelle que souvent son intervention a été décisive sur les champs de bataille pour délivrer des peuples chrétiens opprimés.
Dans les Litanies de Lorette, ces quatre invocations salut des infirmes, refuge des pécheurs, consolatrice des affligés, secours des chrétiens, rappellent incessamment aux fidèles combien Marie est Mère de la divine grâce, et par suite Mère de miséricorde.
Aussi l'Eglise chante qu'elle est aussi notre espérance : « Salve Regina, Mater misericordiae, vita dulcedo et spes nostra, salve. » Elle est notre espérance, en tant qu'elle nous a mérité avec son Fils et par lui le secours de Dieu, qu'elle nous l'obtient par son intercession tou­jours actuelle et qu'elle nous le transmet. Elle est ainsi l'expression vivante et l'instrument de la Miséricorde auxiliatrice, qui est le motif formel de notre espérance.
La confiance ou l'espérance affermie a une « certitude de tendance vers le salut[156] » qui ne cesse d'augmenter, et qui dérive de notre foi à la bonté de Dieu tout-puissant, toujours secourable, à la fidélité de ses promesses; d'où, chez les saints, le sentiment presque toujours actuel de sa Paternité qui incessamment veille sur nous. L'influence de Marie, sans bruit de paroles, nous initie progressive­ment à cette confiance parfaite et nous en manifeste de mieux en mieux le motif.
La Sainte Vierge est même appelée « Mater sanctae laetitiae » et « causa nostrae laetitiae » cause de notre joie. Elle obtient en effet aux âmes les plus généreuses ce trésor caché qui est la joie spirituelle au milieu même de la souffrance. Elle leur obtient de temps à autre de porter leur croix avec allégresse en suivant le Seigneur Jésus; elle les initie à l'amour de la croix, et sans tou­jours leur faire sentir cette joie, elle leur accorde de la communiquer aux autres.



CHAPITRE V

La Royauté universelle de Marie



Selon le langage de l'Eglise, dans sa liturgie et la pré­dication universelle, la Sainte Vierge n'est pas seulement Mère et médiatrice, mais reine de tous les hommes et même des anges et de tout l'univers.
En quel sens cette royauté universelle lui est-elle attri­buée ? Est-ce au sens propre ou en un sens métaphorique ?
Il faut d'abord rappeler que Dieu seul, comme auteur de toutes choses, a par son essence même la royauté uni­verselle sur toutes les créatures, qu'il gouverne pour les conduire à leur fin. Mais le Christ et Marie participent à cette royauté universelle. Comment ?
Le Christ, même comme homme, y participe pour trois raisons : à raison de sa personnalité divine[157], de la plénitude de grâce qui déborde sur nous et sur les anges, et de par sa victoire sur le péché, sur le démon et sur la mort[158]. Il est roi de tous les hommes et de toutes les créatures, y compris les anges, qui sont « ses anges ». Aussi a-t-il dit (Marc, XIII, 26) en parlant de son second avènement : « Alors on verra le Fils de l'homme venir dans les nuées avec une grande puissance et une grande gloire. Et, alors il enverra ses anges rassembler ses élus­ des quatre vents, de l'extrémité de la terre jusqu'à l'ex­trémité du ciel. » Le Christ est en effet Fils de Dieu, non pas par adoption, mais par nature, tandis que les anges ne sont que serviteurs et fils adoptifs de Dieu.
Jésus a dit aussi (Matth., XXVIII, .18) : « Toute puis­sance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre »; et il est appelé (Apoc., XIX, 16) : « Roi des rois, Seigneur des seigneurs. »
Comment Marie, au-dessous du Christ et par lui, par­ticipe-t-elle à la royauté universelle ? Est-ce au sens pro­pre du mot ?



Article I

SA ROYAUTÉ EN GÉNÉRAL

Peut-on dire que la Sainte Vierge, surtout depuis l'As­somption et son couronnement au ciel, participe à la royauté universelle de Dieu, en ce sens que, d'une façon subordonnée au Christ, elle est à proprement parler reine de toutes les créatures ? [159]
Déjà on pourrait l'appeler ainsi au sens impropre du mot, du fait qu'elle est, par ses qualités spirituelles, par sa plénitude de grâce, de gloire et de charité, supérieure à toutes les autres créatures. On dit, au sens impropre du mot, que le lion est le roi des animaux qui ne sont pas doués de raison, pour signifier seulement sa supériorité sur eux.
On peut dire aussi, au moins au sens large, que Marie est reine de l'univers parce qu'elle est la Mère du Christ-­Roi.
Mais ce titre lui convient-il au sens propre en tant qu'elle a reçu l'autorité et la puissance royale ? A-t-elle, au-dessous du Christ et par lui, non seulement une pri­mauté d'honneur sur les saints et les anges, mais un véri­table pouvoir de commander aux hommes et aux anges ?
Si l'on examine les divers témoignages de la Tradition exprimés par la prédication universelle; par les Pères, les papes, par la liturgie, et si l'on considère les raisons théologiques invoquées par les Docteurs, on doit répon­dre affirmativement.
Les Pères d'Orient et d'Occident ont très souvent appelé Marie Domina, Regina, Regina nostrae salutis, en particulier, en Orient, saint Ephrem[160], saint Germain de Constantinople[161], saint André de Crète[162], saint Jean Damascène[163] ; en Occident, saint Pierre Chrysologue[164], le vénérable Bède[165], saint Anselme[166], saint Pierre Da­mien[167], saint Bernard[168].
Ensuite, ces titres reviennent fréquemment chez tous les théologiens, chez saint Albert le Grand[169], saint Bonaventure, saint Thomas[170], Gerson, saint Bernar­din de Sienne, Denys le Chartreux, saint Pierre Canisius, Suarez, le Bx Grignion de Montfort, saint Alphonse.
Les souverains pontifes ont toujours employé les mê­mes expressions[171].
La liturgie romaine et les liturgies orientales procla­ment aussi Marie reine des cieux, reine des anges, reine du monde, reine de tous les saints. Parmi les mystères du Rosaire, communément récités dans l'Eglise depuis le XIII° siècle, le dernier de tous est celui du couronnement de Marie au ciel, qui a été représenté par une des plus belles fresques du Bx Angelico de Fiesole.
Enfin, les raisons théologiques invoquées par les théo­logiens pour montrer que la royauté universelle lui con­vient au sens propre du mot sont vraiment probantes. Elles se réduisent aux trois suivantes.
Jésus-Christ homme, en tant que sa personnalité est divine, est, par l'union hypostatique, roi de l'univers. Or Marie, comme Mère de Dieu fait homme, appartient à l'ordre d'union hypostatique et participe à là dignité de son Fils, car la personne de celui-ci est le terme même de la maternité divine. Elle participe donc connaturellement, en sa qualité de Mère de Dieu, à sa royauté universelle[172]. Et, par gratitude, le Christ se devait à lui-même de recon­naître cette prérogative à celle qui lui avait donné sa nature humaine.
De plus, Jésus-Christ est roi de l'univers par sa plé­nitude de grâce et par sa victoire au Calvaire sur le dé­mon et sur le péché, victoire de son humilité ét de son obéissance jusqu'à la mort de la croix, à cause de laquelle « Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur[173] ». Or Marie, au Calvaire surtout, en s'unissant aux souffrances et aux humiliations du Verbe fait chair, a été associée aussi intimement que possible à sa victoire sur le démon et sur le péché, puis à celle sur la mort. Elle est donc associée aussi véritablement à sa royauté universelle.
On arrive à la même conclusion si l'on considère la trés étroite relation qui unit la Sainte Vierge avec Dieu le Père dont elle est la première fille adoptive, la plus élevée en grâce, et avec le Saint-Esprit, puisque c'est par son opération qu'elle a conçu le Verbe fait chair.
On a objecté : la mère d'un roi, appelée souvent reine­ mère, n'est pas de ce fait reine au sens propre, elle n'a pas de ce fait l'autorité royale; de même la Mère du Christ roi ne participe pas par là même à proprement parler à sa royauté.
Nous avons vu plus haut la réponse qui a été donnée à cette objection : il n'y a pas parité, car la mère d'un roi a été seulement la mère d'un enfant qui ensuite est devenu roi, tandis que Marie est Mère de Dieu fait homme qui, dès l'instant de sa conception, est, par l'union hypos­tatique et la plénitude de grâce, roi de l'univers. De plus, Marie a été associée aussi intimement que possible à sa victoire sur le démon, et le péché, à raison de laquelle il a cette royauté universelle par droit de conquête, bien qu'il l'eut déjà par droit d'héritage comme Fils de Dieu. Elle est donc associée aussi à sa royauté universelle au sens propre, quoique d'une façon subordonnée à lui.



De nombreuses conséquences dérivent de cette vérité. De même que Jésus est roi universel, non seulement parce qu'il a le pouvoir d'établir et de promulguer la loi nouvelle, de proposer la doctrine révélée, de juger les vivants et les morts, mais encore le pouvoir de donner la grâce sanctifiante qu'il nous a méritée, la foi, l'espérance, la charité, les autres vertus, pour observer la loi di­vine[174], Marie participe à sa royauté universelle en tant surtout que, d'une façon intérieure et cachée, elle nous dispense toutes les grâces que nous recevons et qu'elle nous a méritées en union avec son Fils; elle y participe aussi extérieurement en tant qu'elle a donné autrefois l'exemple de toutes les vertus, qu'elle a contribué à éclairer par ses paroles les Apôtres et qu'elle continue à nous éclairer lorsque, par exemple, elle se manifeste extérieu­rement en des sanctuaires comme celui de Lourdes, de la Salette, de Fatima et d'autres lieux. Mais les théologiens notent qu'elle ne paraît pas participer spécialement au pouvoir judiciaire qui inflige la peine due au péché, car la Tradition n'appelle pas Marie reine de justice, mais « reine de miséricorde », ce qui lui convient en qualité de médiatrice de toutes les grâces[175]. Jésus paraît s'être réservé le règne de justice[176], qui lui convient comme « juge des vivants et des morts » (Act. Ap., X,42)[177].
Marie a un droit radical à cette royauté universelle depuis qu'elle est devenue Mère de Dieu, mais, selon les dispositions de la Providence, elle devait aussi la méri­ter en s'unissant au sacrifice de son Fils, et elle ne l'exerce pleinement que depuis qu'elle a été élevée et cou­ronnée au ciel comme reine de toute la création.
C'est un royaume plus spirituel et surnaturel que tem­porel et naturel, bien qu'il s'étende secondairement aux choses temporelles considérées dans leur rapport avec la sanctification et le salut.
Cette royauté s'exerce sur terre, par la distribution de toutes les grâces que nous recevons, par les interven­tions de Marie dans les sanctuaires où elle multiplie ses bienfaits. Elle s'exerce au ciel à l'égard des bienheureux dont la gloire essentielle dépend des mérites du Sauveur et de ceux de sa sainte Mère. Leur gloire accidentelle et celle des anges augmente aussi par les lumières qu'elle leur communique, par la joie qu'ils ont de sa présence, par tout ce qu'elle fait pour le salut des âmes. Aux anges et aux saints elle manifeste les volontés du Christ pour l'extension de son règne.
Cette royauté de Marie s'exerce, nous l'avons dit, sur le purgatoire en ce sens qu'elle porte les fidèles de la terre à prier pour les âmes retenues dans ce lieu de souffrance; elle nous inspire de faire célébrer des messes pour elles; elle présente aussi à Dieu nos suffrages, ce qui augmente leur valeur. Elle applique encore au nom du Seigneur à ces âmes qui souffrent le fruit des mérites et des satisfactions du Christ et celui de ses propres mérites et satisfactions.
Enfin cette royauté de la Sainte Vierge s'exerce à l'é­gard des démons, qui sont obligés de reconnaître en trem­blant sa puissance, car elle peut écarter les tentations qu'ils provoquent, faire éviter leurs pièges, repousser leurs attaques; « ils souffrent plus, dit le Bx Grignion de Montfort, d'être vaincus par l'humilité de Marie que d'être immédiatement écrasés par la toute-puissance divine ». Son règne de miséricorde s'étend aussi, nous l'a­vons vu plus haut, en enfer, en ce sens que les damnés sont punis moins qu'ils ne le méritent[178], et que certains jours, comme peut-être celui de l'Assomption, leurs souf­frances sont adoucies ou moins pénibles à supporter.
Ce dernier point montre que la royauté de Marie est vraiment universelle, car il n'est pas d'endroit où elle ne s'exerce en quelque manière.



Article II

LES ASPECTS PARTICULIERS DE LA ROYAUTÉ DE MARIE

Cette doctrine de la royauté universelle de la Mère de Dieu se concrétise davantage si l'on considère ses divers aspects exprimés dans les litanies de Lorette : « Reine des anges, des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs, des confesseurs, des vierges, de tous les saints, reine de la paix. »


=====Reine des anges=====

Elle l'est, parce que sa mission est supérieure à la leur; elle est Mère de Dieu, dont les anges ne sont que les serviteurs. Elle se trouve autant élevée au-dessus d'eux qu'il y a de différence entre le nom de mère et celui de serviteur. Elle seule avec Dieu le Père peut dire à Jésus-Christ : « Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré. »
Elle est ensuite supérieure aux anges par sa plénitude de grâce et de gloire, qui dépasse celle de tous les anges réunis. Elle les surpasse en pureté, car elle l'a reçue non seulement pour elle, mais pour la communiquer aux autres. Elle a été plus parfaite et plus prompte dans l'o­béissance aux commandements de Dieu, et en suivant ses conseils. En coopérant à la rédemption de l'humanité, en union avec Notre-Seigneur, elle a mérité d'un mérite de convenance aux anges eux-mêmes les grâces accidentel­les par lesquelles ils nous aident dans la voie du salut, et la joie qu'ils éprouvent d'y prendre part. Cela est cer­tain; si l'on se rappelle que Marie a mérité de congruo tout ce que le Christ a mérité de condigno.
Comme le dit Justin de Miéchow[179], si les anges ont servi Notre-Seigneur, combien plus Marie, qui le conçut, l'enfanta, le nourrit dans ses bras, l'emporta en Egypte pour le préserver de la fureur d'Hérode.
De plus, les anges n'ont chacun que la garde d'un homme ou d'une communauté, tandis que Marie est la céleste gardienne de tout le genre humain et de chacun de nous en particulier.
Si les anges sont les messagers de Dieu, ce privilège appartient à Marie d'une façon bien supérieure, puis­qu'elle nous a porté, non seulement une parole créée, expression de la pensée divine, mais la parole incréée qui est le Verbe fait chair.
Les archanges sont préposés à la garde de telle ou telle cité, la Sainte Vierge protège toutes les cités et toutes les églises qui s'y trouvent. Beaucoup de villes se sont mises sous son patronage.
Les principautés sont à la tête des provinces, Marie prend sous sa protection l'Eglise universelle.
Les « puissances » repoussent les démons; Marie a écrasé la tête du serpent infernal; elle est terrible aux démons par la profondeur de son humilité et l'ardeur de sa charité.
Les « vertus » opèrent des miracles, comme, instru­ments du Très-Haut, mais le plus grand miracle a été celui de concevoir, le Verbe de Dieu incarné pour notre salut.
Les dominations commandent les anges inférieurs; Marie commande à tous les chœurs célestes.
Les trônes sont des esprits dans lesquels Dieu habite d'une manière plus intime; Marie, qui a donné naissance à Notre-Seigneur, est le siège de la Sagesse et la Sainte Trinité habite en elle d'une façon bien plus intime que dans les anges les plus élevés, c'est-à-dire selon le degré de grâce consommée qu'elle a reçu.
Les chérubins brillent par l'éclat de la science; mais la Sainte Vierge a pénétré davantage les mystères divins, elle possède la lumière de gloire et la vision béatifique à un degré bien supérieur au plus parfait des chérubins. De plus, elle a porté en son sein « celui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu ». Elle s'est entretenue familièrement avec lui, pen­dant plus de trente ans ici-bas, et au ciel elle est plus près de lui que personne.
Les séraphins brûlent des feux du saint amour; mais la vive flamme de la charité est beaucoup plus ardente dans le cœur de Marie. Elle aime Dieu plus que toutes les créatures ensemble, car elle l'aime non seulement comme son Créateur et Père, mais encore comme son enfant, comme son Fils chéri et légitimement adoré.
Elle est donc vraiment Reine des anges; ils la servent avec fidélité, l'entourent de vénération, admirent sa ten­dre sollicitude à garder chacun de nous, à veiller sur les royaumes, sur l'Eglise universelle; les séraphins admi­rent l'ardeur de son amour, son zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ainsi parle Justin de Miéchow que nous venons de résumer.


=====Reine des patriarches=====

D'après tout ce qui précède, on ne saurait évidemment douter de la supériorité de Marie sur Adam innocent, Elle a reçu la grâce à un degré bien plus élevé, et elle eut de même les principaux effets de la justice originelle : la parfaite subordination de la sensibilité aux facultés supé­rieures, intelligence et volonté, comme la subordination constante de celles-ci à Dieu aimé par-dessus tout. La charité de Marie, dès le premier instant de sa conception, dépassait de beaucoup celle d'Adam innocent, et elle avait reçu en outre, quoique dans une chair passible et mortelle, le privilège d'éviter tout péché, si léger soit-il.
Son intimité avec Dieu dépassait beaucoup aussi celle qu'ont eue Abel, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph. L'acte le plus héroïque d'Abraham fut celui par lequel il s'apprêta à immoler son fils Isaac, qui était le fils de la promesse. Avec un mérite beaucoup plus grand, Marie offrit son Fils qui lui était incomparablement plus cher que sa propre vie, et un ange du ciel ne vint pas, comme pour Isaac, empêcher l'immolation sanglante de Jésus sur la croix.
Marie au milieu des patriarches brille donc comme un astre sans égal par son titre de Mère de Dieu, par l'élé­vation de sa charité et l'héroïcité de toutes ses vertus.


=====Reine des prophètes=====

La prophétie au sens propre est le don de connaître certainement et de prédire l'avenir par inspiration di­vine. Ce don fut accordé à Abraham, à Moïse, à David, à Elie, à Elisée, aux grands prophètes, Isaïe, Jérémie, Ezé­chiel et Daniel, et aux douze petits prophètes. Dans le Nouveau Testament, saint Jean et saint Paul furent à la fois prophètes et apôtres. Ce don de prédire l'avenir n'a pas été le seul partage des hommes, l'Ecriture le recon­naît à Marie, sœur de Moïse, à Déborah, à Anne, mère de Samuel, à Elisabeth, mère de saint Jean-Baptiste.
Marie est reine des prophètes, car non seulement elle a prédit elle-même l'avenir lorsqu'elle chanta dans le Magni­ficat, « Toutes les nations m'appelleront bienheureuse », mais les prophètes qui ont annoncé le mystère de l'Incarnation ont parlé d'elle : celui que les prophètes ont annoncé, elle a eu l'honneur de le concevoir, de le porter dans son sein, de le nourrir, de le serrer sur son cœur, d'habiter longtemps avec lui, d'entendre ses paroles sur les mystères du royaume de Dieu, paroles dont elle a reçu l'intelligence plus que les disciples d'Emmaüs, et les apôtres eux-mêmes.
Elle a eu le don de prophétie à son degré le plus élevé après Jésus, et en même temps l'intelligence parfaite de la plénitude de la révélation que Notre-Seigneur est venu apporter au monde.


=====Reine des apôtres=====

Il s'agit des douze apôtres choisis par le Sauveur pour prêcher l'Evangile et fonder l'Eglise naissante. Comment Marie est-elle appelée leur reine ?
La dignité de Mère de Dieu, étant par son terme d'or­dre hypostatique, dépasse celle des apôtres. L'apostolat est un ministère[180]. Or, selon la remarque de saint Albert le Grand, la Sainte Vierge n'est pas seulement ministre de Dieu, mais, en sa qualité de Mère du Sauveur, elle lui est plus intimement associée[181].
De plus, après l'Ascension, les apôtres avaient encore besoin de direction, de conseils, de secours, et personne ne pouvait mieux les leur prodiguer que Marie. Elle les a consolés dans la tristesse immense qu'ils éprouvèrent après le départ de Notre-Seigneur pour le ciel, quand ils se sentirent seuls et impuissants pour travailler à l'évan­gélisation du monde païen, au milieu de difficultés insur­montables, avec la perspective des persécutions annon­cées. Jésus leur avait laissé sa Mère pour les fortifier. Elle fut pour eux, a-t-on dit, comme un second Paraclet, un Paraclet visible, une médiatrice assurée; elle fut leur étoile au milieu de la tempête. Elle remplit les devoirs d'une Mère à leur égard. Nul d'entre eux ne devait la quitter sans avoir été éclairé, consolé, sans être devenu meilleur et plus fort.
Par son exemple à supporter les calomnies, par son expérience des choses divines, elle dut les soutenir contre les injures, les moqueries, les persécutions, leur obtenir par ses prières la grâce de la persévérance jusqu'au mar­tyre.
Personne n'était plus miséricordieux qu'elle, plus fort dans les épreuves, plus humble, plus pieux, plus chari­table.
Enfin personne mieux qu'elle ne pouvait leur parler de la conception virginale du Christ, de sa naissance, de son enfance, de sa vie cachée à Nazareth, et de ce qui s'é­tait passé en la sainte âme du Sauveur sur la croix. C'est ce qui fait dire à saint Ambroise[182] : « Il n'est pas extra­ordinaire que saint Jean ait parlé du mystère de l'Incar­nation mieux que les autres; il se trouvait à la source même des secrets célestes[183]. » C'est dans l'intimité de la Mère de Dieu qu'il vécut de ce qu'il rapporte dans le quatrième évangile.


=====Reine des martyrs=====

Ce titre a été donné à Marie par saint Ephrem, saint Jérôme, saint Ildefonse, saint Anselme, saint Bernard. Il s'agit du martyre du cœur prédit par le vieillard Siméon : « Un glaive de douleur transpercera votre âme » (Luc, III, 35).
Sa douleur fut proportionnée à son amour pour son Fils lorsqu'on l'appelait séducteur du peuple, violateur de la loi, possédé du démon, lorsqu'on lui préférait Barabbas, lorsqu'elle le vit cloué sur la croix, torturé par la cou­ronne d'épines, par la soif, par toutes les angoisses de son âme de prêtre et de victime.
Tous les coups que recevait son Fils flagellé et crucifié, elle les recevait elle-même, car elle ne faisait qu'un avec lui par la profondeur de son amour pour lui. Comme le dit Bossuet, « une seule croix suffit ainsi pour qu'ils fus­sent martyrs l'un et l'autre ». Ils n'offraient qu'un seul et même sacrifice, et comme elle aimait son Fils plus qu'elle-même, elle souffrit plus que si elle avait été tourmentée elle-même par les bourreaux.
Elle supporta ce martyre pour confesser la foi au mys­tère de l'Incarnation rédemptrice, et en elle, en ce mo­ment, la foi de l'Eglise resta ferme, vive, ardente et péné­trante plus que dans tous les martyrs.
Il faut ajouter que la cause de ses souffrances fut celle même de la Passion de son Fils, l'accumulation des cri­mes de l'humanité et l'ingratitude des hommes qui ren­drait ces souffrances en partie inutiles.
Il ne faut pas oublier non plus qu'elle souffrit depuis la conception du Sauveur, plus encore depuis la prophé­tie du vieillard Siméon, ensuite d'une façon plus vive en voyant pendant la vie publique de Jésus l'opposition croissante des pharisiens, et jusqu'au paroxysme durant la Passion et au pied de la Croix.
Alors quoiqu'elle fut remplie d'une immense douleur, son zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes lui donna une sainte joie de voir son Fils consommer son œuvre rédemptrice par le plus parfait des holocaustes.
Enfin elle assiste les martyrs dans leur supplice : si on l'appelle Notre Dame de la bonne mort parce qu'elle veille près des mourants qui l'invoquent, à plus forte raison assiste-t-elle ceux qui meurent pour confesser leur foi au Christ rédempteur.


Reine des confesseurs
Marie et les prêtres

Elle est reine de tous ceux qui confessent la foi au Christ, parce qu'elle l'a confessée elle-même plus que per­sonne depuis l'Annonciation jusqu'à la mort de Jésus et ensuite jusqu'à l'Assomption.
Mais il convient de parler ici surtout de ce qu'elle est à l'égard des prêtres du Christ. Le prêtre, pour représen­ter vaiment Notre-Seigneur qu'il doit rendre présent sur l'autel et offrir sacramentellement à la messe, doit s'unir de plus en plus à ses sentiments, à l'oblation toujours vivante au cœur de Jésus, « qui ne cesse d'intercéder pour nous ». De plus le prêtre doit par les divers sacrements distribuer la grâce qui est le fruit des mérites du Christ et de ceux de sa sainte Mère.
Aussi Marie a-t-elle un zèle particulier pour la sanctification des prêtres. Elle voit en eux la participation du sacerdoce de son Fils et elle veille très spécialement sur leur âme pour qu'ils fassent fructifier la grâce de leur ordination, pour qu'ils deviennent une vivante image du Sauveur.
Elle les garde contre les périls qui les entourent, elle les relève avec une grande bonté s'ils viennent à défaillir. Elle les aime comme des fils de prédilection, ainsi qu'elle a aimé saint Jean qui lui fut confié au Calvaire. Elle attire leur cœur pour l'élever et pour les conduire de plus en plus à l'intimité du Christ, pour qu'un jour ils puisssent dire en toute vérité : « Je vis, mais non, ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. »
Elle les assiste surtout à l'autel, pour qu'ils prennent de plus en plus conscience de ce que doit être leur union au Prêtre principal du sacrifice de la messe. Elle est spi­rituellement présente à cette oblation sacramentelle, qui perpétue en substance le sacrifice de la croix, et elle dis­tribue les grâces actuelles qui disposent à la faire avec le recueillement voulu et le don généreux de soi, pour que le prêtre ne participe pas seulement au sacerdoce du Sau­veur; mais aussi à sa vie de victime, dans la mesure vou­lue pour lui par la Providence.
Par là elle forme le cœur des prêtres à l'image du Cœur de Jésus[184].
De plus, avec lui, elle suscite les vocations sacerdotales et les cultive, car là où il n'y a pas de prêtres, il n'y a pas de baptême, pas d'absolution, pas de messe, pas de ma­riage chrétien, ni d'extrême-onction, pas de vie chré­tienne, c'est le retour au paganisme.
Le Christ, qui a voulu avoir besoin de Marie pour l'ai­der dans l'œuvre de la rédemption, a voulu avoir besoin aussi de ses prêtres, et Marie les forme à la sainteté. On le voit particulièrement par la vie de certains saints comme saint Jean l'évangéliste, saint Ephrem, saint Jean Damascène, saint Bernard, saint Dominique, l'apôtre du Rosaire, saint Bernardin de Sienne, saint Alphonse, le Bx de Montfort et beaucoup d'autres.


Reine des vierges
Marie et les âmes consacrées

Reine des vierges, elle l'est parce qu'elle a eu la virgi­nité au degré le plus éminent, parce qu'elle l'a conservée dans la conception, dans l'enfantement du Sauveur, et toujours ensuite. Dès lors elle fait comprendre aux âmes le prix de la virginité, qui n'est pas seulement, comme la pudeur, une louable inclination de la sensibilité, mais qui est une vertu, c'est-à-dire une force spirituelle[185]. Elle leur montre que la virginité consacrée à Dieu est ­supérieure à la simple chasteté, parce qu'elle promet à Dieu l'intégrité du corps et la pureté du cœur pour toute la vie; ce qui fait dire à saint Thomas que la virginité est à la chasteté comme la munificence à la simple libéralité, car elle est un don de soi excellent qui manifeste une parfaite générosité.
Marie préserve les vierges au milieu des dangers, les soutient dans leurs luttes et les conduit, si elles sont fidè­les, à une grande intimité avec son Fils.
Quel est son rôle à l'égard des âmes consacrées ? Ces âmes sont appelées par l'Eglise « les épouses du Christ ». Leur parfait modèle est évidemment la Très Sainte Vierge. A son exemple, elles doivent avoir en union avec Notre-Seigneur, une vie de prière et de réparation ou d'immolation pour le monde et les pécheurs. Elles doi­vent aussi consoler les affligés, en rappelant ce que dit l'Evangile, que la consolation qu'elles apportent surnatu­rellement aux membres souffrants du Christ, c'est à lui qu'elles l'apportent, pour lui faire oublier tant d'ingrati­tudes, de froideurs et même de profanations.
Dès lors la vie de ces âmes doit s'attacher à reproduire les vertus de Marie et à continuer dans une mesure son rôle vis-à-vis de Notre-Seigneur et des fidèles.
Si les âmes consacrées savent et veulent suivre cette direction, elles chercheront auprès de Marie, et trouve­ront en elle tout ce qui sera une compensation magnifi­que à tous les renoncements et privations, acceptés, d'a­bord en bloc, et qu'on estime parfois trop durs lorsqu'ils se présentent au jour le jour.
La Sainte Vierge fait entendre enfin aux vierges consa­crées à Dieu qu'elles peuvent humblement aspirer à une maternité spirituelle, qui est un reflet de la sienne, à l'é­gard des enfants abandonnés, des pauvres, des pécheurs, qui ont besoin de trouver l'assistance d'une grande bonté surnaturelle. A cette maternité spirituelle Jésus fait allu­sion lorsqu'il dit (Matth., XXV, 35) : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli; nu, vous m'avez vêtu; malade, vous m'avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi. »
Cette maternité spirituelle s'exerce aussi, dans la vie contemplative et réparatrice, par l'apostolat par la prière et la souffrance, qui féconde celui par la prédication pour la conversion des pécheurs et l'extension du règne du Christ. Cette maternité cachée a ses grandes souffrances, mais la Sainte Vierge inspire comment il faut les offrir et elle en fait entrevoir la fécondité.
Enfin Marie assiste les mères chrétiennes, pour qu'a­près avoir donné le jour à leurs enfants, elles forment leur âme à la vie de la foi, de la confiance et de l'amour de Dieu, pour qu'elles les ramènent s'ils se sont égarés, comme le fit Monique à l'égard d'Augustin.
Nous voyons ainsi quelle est la royauté universelle de la Mère de Dieu : elle est la reine de tous les saints, par sa mission unique dans le plan provinênrel, par la perfec­tion de la grâce et de la gloire et par celle de ses vertus.

Elle est la reine de tous les saints connus et inconnus, de tous ceux du ciel, canonisés, béatifiés ou non, et de tous ceux qui se sanctifient sur la terre et dont elle con­naît la prédestination, les épreuves, les joies, la persévé­rance et les fruits qui en seront le couronnement pour l'é­ternité[186].



CHAPITRE VI

La vraie dévotion à la Sainte Vierge



Dans ce chapitre nous parlerons : 1° du culte d'hyper­dulie dû à la Mère de Dieu; 2° des formes habituelles de la dévotion mariale, spécialement du Rosaire, comme école de contemplation; 3° de la consécration à Marie telle que l'explique le Bx Grignion de Montfort; 4° de l'union intime et mystique avec la Sainte Vierge.



Article I

LE CULTE D'HYPERDULIE ET SES BIENFAITS[187]

Le culte en général est un honneur rendu avec soumis­sion et dépendance à une personne qui nous est supé­rieure et à cause de son excellence[188]. Qu'il soit seule­ment intérieur ou en même temps extérieur, le culte dif­fère donc selon l'excellence même de la personne à la­ quelle il est dû. A Dieu, à cause de son excellence infinie, de premier principe et souverain maitre de toutes choses, est dû le culte suprême de latrie ou d'adoration, acte de la vertu de religion. Il est dû aussi à l'humanité du Sau­veur en tant qu'elle appartient à la personne incréée du Verbe, et d'une façon relative au crucifix et autres images du Sauveur, en tant qu'ils le représentent.
Aux personnes créées qui ont une certaine excellence est dû un culte appelé de dulie ou de respect, qui est l'acte de la vertu de dulie subordonnée à celle de religion. C'est ainsi que déjà dans l'ordre naturel le respect est dû aux parents, aux rois, à un chef d'armée, à un maître, à un sage, et dans l'ordre surnaturel la vénération est due aux saints, à cause de l'excellence de leurs vertus dont l'héroïcité est reconnue, et ce culte rendu aux serviteurs de Dieu honore Dieu lui-même qui se manifeste par eux et qui par eux nous attire vers lui[189]. Le Concile de Trente l'affirme contre les protestants qui ont voulu voir de la superstition dans cette vénération pour les saints (cf. Denzinger, nos 941, 952, 984).
De plus on enseigne communément dans l'Eglise qu'à la Très Sainte Vierge est dû un culte d'hyperdulie ou de dulie suprême, à cause de son éminente dignité de Mère de Dieu (Denzinger, nos 1255 sq., 1316, 1570)[190].



=====Nature et fondement de ce culte=====

Il y a eu au sujet de ce culte dû à Marie deux dévia­tions absolument contraires l'une à l'autre. Selon le té­moignage de saint Epiphane (Haer., 78-79), les collyri­diens voulurent rendre à la Sainte Vierge un culte pro­prement divin et lui offrir des sacrifices. Cette erreur mé­riterait le nom de Mariolatrie; elle n'a pas duré.
Par opposition les protestants ont déclaré que le culte d'hyperdulie rendu par les catholiques à la Très Sainte Vierge est une superstition.
Il est facile de répondre que le culte de latrie ou d'ado­ration ne peut être rendu qu'à Dieu seul; si l'on adore l'humanité de Jésus c'est parce qu'elle est unie personnel­lement au Verbe, si l'on rend un culte d'adoration rela­tive au crucifix c'est parce qu'il représente Notre-Sei­gneur (cf. saint Thomas, IIIa, q. 25, a. 3 et 5). Il est clair, en effet, que le crucifix ou les images du Sauveur n'ont d'autre excellence que de le représenter. Si l'on rendait ce culte d'adoration relative à la Sainte Vierge à cause de son rapport au Verbe fait chair, il serait facilement pris par beaucoup comme une adoration qui s'adresse à Marie à cause de sa propre excellence, et il serait ainsi occasion d'erreur grave et d'idolatrie, comme le remarque saint Thomas (ibid., a. 3, ad 3).
Le culte qui est dû à la Sainte Vierge est donc un culte de dulie. Ce point de doctrine est même de foi, selon le magistère universel de l'Eglise; d'où la condamnation de trois propositions contraires de Molinos (Denz., 1255 sq., 1316).
De plus, c'est une doctrine commune et certaine qu'on doit à Marie un culte éminent de dulie, ou d'hyperdulie, qui lui est propre, en tant qu'elle est la Mère de Dieu. C'est l'enseignement traditionnel qui apparait de plus en plus explicitement dans les écrits de saint Modeste[191] au VII° siècle, de saint Jean Damascène[192] au VIII°, puis de saint Thomas[193], de saint Bonaventure[194], de Scot[195], de Suarez[196], de presque tous les théologiens catholi­ques[197]. La Sacrée Congrégation des Rites l'a affirmé dans un décret du 1er juin 1884[198], et la liturgie aussi dans l'office de la Sainte Vierge[199].
On voit par là que le culte d'hyperdulie est dû formel­lement à Marie pour cette raison qu'elle est la Mère de Dieu, parce que la maternité divine est, par son terme de l'ordre hypostatique, très supérieur à celui de la grâce et de la gloire. Si donc la Sainte Vierge avait seulement reçu la plénitude de grâce et de gloire sans être la Mère de Dieu, en d'autres termes si elle était seulement supérieure aux saints par le degré de gloire consommé, ce culte spé­cial d'hyperdulie ne lui serait pas dû[200].
Enfin c'est une doctrine plus probable et plus commune que ce culte d'hyperdulie n'est pas seulement un degré supérieur du culte de dulie dû aux saints, mais qu'il en est spécifiquement distinct, comme la maternité divine est par son terme de l'ordre hypostatique, spécifiquement distinct de celui de la grâce et de la gloire[201].
Ce culte d'hyperdulie est rendu à Marie formellement parce qu'elle est la Mère de Dieu, Mère du Sauveur; mais c'est parce qu'elle a ce titre suprême qu'elle a aussi ceux de Mère de tous les hommes, de médiatrice universelle et de corédemptrice.


======Quels sont les fruits de ce culte ?======

Il attire sur ceux qui le rendent à la Mère de Dieu une plus grande bienveillance de sa part, il les porte à imiter ses vertus; il les conduit ainsi efficacement au salut, car Marie peut obtenir à ceux qui l'implorent fidèlement la grâce de la persévérance finale. C'est pourquoi la vraie dévotion à la Sainte Vierge est comptée communément parmi les signes de la prédestination. Bien qu'elle ne donne pas une certitude absolue et infaillible d'être sauvé (ce que réprouve le Concile de Trente, Denz., n° 805), elle nous donne le ferme espoir d'obtenir le salut. Cette ferme espérance repose sur la grande puissance d'intercession de Marie et sur sa grande bienveillance pour ceux qui l'invoquent[202]. En ce sens saint Alphonse affirme (Gloires de Marie, Ire p., c. VIII), qu'il est moralement impossible que ceux-là se perdent qui, avec le désir de s'amender, sont fidèles à honorer la Mère de Dieu et à se recomman­der à sa protection. S'il n'y avait seulement que velléité de rompre avec le péché, il n'y aurait pas encore un signe probable de prédestination. Mais si les pécheurs s'effor­cent de sortir du péché, où ils sont encore, et s'ils cher­chent pour cela l'aide de Marie, elle ne manquera pas de les secourir et de les ramener en grâce avec Dieu. Ainsi parle avec saint Alphonse (ibid., Ire p., c. I, 4) la généralité des théologiens plus récents[203].
D'une manière générale, dans l'Eglise, ce culte rendu à Marie confirme les fondements de la foi, du fait qu'il dé­rive de la foi à l'Incarnation rédemptrice; il écarte par là les hérésies; aussi est-il dit de Marie : « Cunctas haereses interemisti in mundo. » Il porté à la sainteté par l'imita­tion des vertus de la Sainte Vierge, et il glorifie Notre-­Seigneur en honorant sa Mère.



=====Objections=====

Des rationalistes ont objecté que la première origine du culte religieux envers Marie parait devoir être attri­buée à l'influence des conceptions semi-païennes appor­tées dans l'Eglise par les conversions en masse opérées au IV° siècle.
Cette théorie était déjà mentionnée et combattue par saint Pierre Canisius, De Maria Deipara virgine. l. V, c. XV, Lyon, 1584, pp. 519 sq. Elle a été examinée ré­cemment dans le Dict. apologétique, art. Mariolâtrie, col. 319 sq., Dict. théol. cath., art. Marie, col. 2445 ss. par le P. Merkelbach, op. cit., pp. 408 ss., et les auteurs, par lui cités, ibid.
Bien certainement au point de vue dogmatique le culte de la Sainte Vierge n'est pas venu au IV° siècle du paga­nisme, mais il est fondé sur l'excellence même du Christ. Au moins, dès le IIe siècle en Occident les paroles natus ex Maria Virgine sont insérées dans le symbole qui est expliqué au catéchumène. Dès l'époque de saint Justin, saint Irénée, Tertullien, Marie, Mère du Sauveur, est appelée la nouvelle Eve, la Mère spirituelle des chrétiens. Ce culte est né spontanément chez les fidèles à raison de leur foi au mystère de l'Incarnation rédemptrice[204].
Au point de vue historique il faut ajouter que la pre­mière représentation de la Vierge tenant l'Enfant Jésus sur sa poitrine que l'on trouve à Rome au cimetière de Priscille, ainsi qu'une peinture de l'Annonciation au même endroit, selon les juges les plus compétents, remon­tent au II° siècle; d'autres sont du III°, avant les conver­sions en masse des païens opérées au IV° [205].
De plus le culte de Marie est tout différent de celui d'Isis en Egypte, d'Artémis à Ephèse, d'Istar en Babylo­nie; ces déesses représentaient en effet la vie et la fécon­dité naturelle de la terre, et à leur culte se mêlaient des rites et pratiques immorales, non pas l'amour de la chas­teté et de la virginité.
En outre, les païens considéraient l'objet de ces cultes comme des déesses, tandis que Marie a toujours été regar­dée comme une pure créature qui a donné au Verbe fait chair sa nature humaine.
S'il y a quelques analogies elles sont purement exté­rieures du fait que tout culte vrai ou faux a quelque con­formité avec certaines aspirations du cœur et s'exprime par des images; mais il n'y a pas pour cela imitation. Enfin toute l'Eglise étant opposée à la religion païenne, n'a pu lui faire un tel emprunt.


L'objection des protestants, selon laquelle le culte de Marie nuit au culte divin, n'est pas plus fondée. L'Eglise catholique maintient en effet que le culte de latrie ou d'a­doration ne peut être rendu qu'à Dieu seul, et la dévo­lion à la Sainte Vierge, loin de s'opposer au culte divin, le favorise, car elle reconnaît que Dieu est l'auteur de tous les dons que nous vénérons en Marie ; l'honneur rendu à la Mère remonte à son Fils et la Médiatrice uni­verselle nous fait mieux connaître que Dieu est l'auteur de toutes les grâces.
L'expérience montre du reste que la foi en la divinité du Christ se conserve chez les catholiques qui ont le culte de Marie, tandis qu'elle dépérit chez les protestants. Tous les saints enfin ont uni le culte de Notre-Seigneur et celui de sa Mère.
La dévotion à Marie, étant plus sensible, est chez cer­taines personnes plus intense que celle envers Dieu, mais le culte divin lui est supérieur, puisque Dieu est aimé par-dessus tout d'un amour d'estime, qui tend à devenir plus intense et qui le devient au fur et à mesure que l'âme vit davantage d'une vie spirituelle plus dégagée des sens.
La confiance en Marie, Mère de Miséricorde, et en la puissance de son intercession, loin de diminuer la con­fiance en Dieu, l'augmente. Si la confiance que les pèle­rins d'Ars avaient dans le Curé d'Ars, au lieu de diminuer leur confiance en Dieu, l'augmentait, à plus forte raison celle, que les fidèles ont en Marie. Ces objections n'ont donc absolument aucun fondement.
Le culte d'hyperdulie repose au contraire sur la foi en la divinité du Christ, laquelle s'exprime dans le titre le plus glorieux de Marie, celui de Mère de Dieu.
Ce serait un manque d'humilité, comme le dit le Bx de Montfort, de négliger les médiateurs que Dieu nous a don­nés à cause de notre faiblesse. Bien loin de nuire à notre intimité avec Dieu, ils nous y disposent. Comme Jésus ne fait rien dans les âmes que pour les conduire à son Père, Marie n'exerce son influence sur les intelligences et les cœurs que pour les conduire à l'intimité de son Fils. Dieu a voulu se servir d'elle constamment pour la sanc­tification des âmes.



Article II

LE ROSAIRE
Ecole de contemplation

Parmi les formes habituelles de la dévotion mariale, comme le sont l'Angelus, l'office de la Sainte Vierge, le Rosaire, nous parlerons spécialement de ce dernier, en tant qu'il nous dispose et nous conduit à la contempla­lion des grands mystères du salut.
C'est, après le sacrifice de la messe, une des plus belles prières et des plus efficaces, à condition de la bien enten­dre et d'en vivre véritablement.
Il arrive souvent que le chapelet, qui est un reste amoindri du Rosaire, devient une prière machinale, pen­dant laquelle l'esprit, n'étant pas assez occupé des choses divines, est la proie des distractions, prière parfois préci­pitée et sans âme, ou par laquelle on demande les biens temporels sans voir assez leur rapport avec les biens spi­rituels, la sanctification et le salut.
Alors, en entendant réciter ainsi d'une façon trop mé­canique et négligente le chapelet, on se demande : que reste-t-il en cette prière ainsi faite de l'enseignement con­tenu dans les grandes et nombreuses encycliques de Léon XIII sur le Rosaire, encycliques que rappelait Pie XI dans une de ses dernières lettres apostoliques avant de mourir.
On peut sans doute faire déjà une bonne prière, en pensant confusément à la bonté de Dieu et à la grâce de­mandée, mais pour rendre au chapelet son âme et sa vie, il faut se rappeler qu'il n'est qu'une des trois parties du Rosaire, et qu'il doit s'accompagner de la méditation, facile du reste, des mystères joyeux, douloureux et glo­rieux, qui nous rappellent toute la vie de Notre-Seigneur, celle de sa sainte Mère et leur élévation au ciel.


=====Les trois grands mystères du salut=====

Les quinze mystères du Rosaire, ainsi divisés en trois groupes ne sont autre chose que les divers aspects des trois grands mystères du salut : celui de l'Incarnation, celui de la Rédemption et celui de la vie éternelle.
Le mystère de l'Incarnation nous est rappelé par les joies de l'Annonciation, de la Visitation, de la Nativité de Jésus, par sa présentation au temple et son recouvre­ment parmi les docteurs de la synagogue.
Le mystère de la Rédemption nous est rapporté par les divers moments de la Passion : l'agonie au jardin des Oliviers, la flagellation, le couronnement d'épines, le por­tement de la croix, le crucifiement.
Le mystère de la vie éternelle nous est redit par la ré­surrection, l'ascension, la pentecôte, l'assomption de Marie et son couronnement au ciel.
C'est tout le Credo qui passe sous nos yeux, non pas d'une façon abstraite, par des formules dogmatiques, mais d'une façon concrète par la vie du Christ, qui des­cend vers nous et remonte vers son Père pour nous con­duire à lui. C'est tout le dogme chrétien dans son éléva­tion et sa splendeur, pour que nous puissions ainsi tous les jours le pénétrer, le savourer et en nourrir notre âme.
Par là, le Rosaire est une école de contemplation, car il nous élève peu à peu au-dessus de la prière vocale et de la méditation raisonnée ou discursive. Les anciens théologiens ont comparé ce mouvement de contemplation au mouvement en spirale[206] que décrivent certains oiseaux comme l'hirondelle pour s'élever très haut. Ce mouvement en spirale est aussi comme un chemin qui serpente pour faire sans fatigue l'ascension d'une monta­gne. Les mystères joyeux de l'enfance du Sauveur conduisent à sa Passion et sa Passion au ciel.
C'est donc une prière très élevée, si on l'entend bien, puisqu'elle remet tout le dogme sous nos yeux de façon accessible à tous.


Elle est aussi très pratique, parce qu'elle nous rappelle toute la morale et la spiritualité chrétienne vues d'en haut par l'imitation de Jésus rédempteur et de Marie médiatrice, qui sont nos grands modèles.
Ces mystères doivent en effet se reproduire en notre vie dans une certaine mesure voulue pour chacun de nous par la divine Providence. Chacun d'eux nous rappelle une vertu, surtout l'humilité, la confiance, la patience et la charité.
On peut dire même qu'il y a trois moments dans notre voyage vers Dieu : on entrevoit d'abord la fin dernière, d'où le désir du salut et la joie qui accompagne ce désir ; c'est ce que nous rappellent les mystères joyeux, la bonne nouvelle de l'Incarnation du Fils de Dieu qui nous ouvre la voie du salut.
On doit prendre ensuite les moyens souvent doulou­reux pour la délivrance du péché et la conquête du ciel. C'est ce que nous redisent les mystères douloureux.
On se repose enfin dans la fin dernière conquise, dans l'éternelle vie, dont celle-ci doit être le prélude. C'est ce que nous font prévoir les mystères glorieux.
Le Rosaire est ainsi très pratique, car il vient nous prendre au milieu de nos joies trop humaines, parfois dangereuses, pour nous faire penser à celles beaucoup plus hautes de la venue du Sauveur. Il vient nous pren­dre aussi au milieu de nos souffrances souvent déraison­nables, parfois accablantes, presque toujours mal sup­portées, pour nous rappeler que Jésus a souffert beaucoup plus que nous par amour pour nous, et pour apprendre à le suivre, en portant la croix que la Providence a choisie pour nous purifier. Le Rosaire vient enfin nous prendre au milieu de nos espoirs trop terrestres, pour nous faire penser au véritable objet de l'espérance chrétienne, à la vie éternelle et aux grâces nécessaires pour y parvenir par l'accomplissement des grands préceptes de l'amour de Dieu et du prochain.
Le Rosaire bien compris est ainsi non pas seulement une prière de demande, mais une prière d'adoration à la pensée du mystère de l'Incarnation, une prière de répara­tion, en souvenir de la Passion du Sauveur, une prière d'action de grâces, en pensant aux mystères glorieux qui continuent de se reproduire incessamment par l'entrée au ciel des élus.


=====Le Rosaire et l'oraison contemplative=====

D'une façon plus simple encore et plus élevée, il con­vient de réciter le Rosaire en regardant par les yeux de la foi Jésus toujours vivant, qui ne cesse d'intercéder pour nous, et qui influe toujours sur nous, soit sous la forme de sa vie d'enfance, ou de sa vie douloureuse ou de sa vie glorieuse. Il vient actuellement à nous pour nous assimi­ler à lui. Arrêtons le regard de notre esprit sur celui de Notre-Seigneur qui se fixe sur nous. Son regard est non seulement plein d'intelligence et de bonté, mais c'est le regard même de Dieu, qui purifie, qui pacifie, qui sancti­fie. C'est le regard de notre juge, mais plus encore de notre Sauveur, de notre meilleur ami, du véritable époux de notre âme. Le Rosaire ainsi récité dans la solitude et le silence se transforme en un entretien des plus fruc­tueux avec Jésus, toujours vivant pour nous vivifier et nous attirer à lui. C'est aussi une conversation avec Marie qui nous conduit à l'intimité de son Fils.
On voit assez souvent dans la vie des saints que Jésus­ vient à eux d'abord pour reproduire en eux sa vie d'en­fance, puis sa vie cachée, ensuite sa vie apostolique, et enfin sa vie douloureuse avant de les faire participer à sa vie glorieuse. Par le Rosaire, il vient à nous d'une façon semblable, de sorte que cette prière bien faite se trans­forme peu à peu en une conversation intime avec Jésus et Marie.
On s'explique dès lors que des saints y aient vu une école de contemplation[207]
Quelques personnes objectent qu'on ne peut à la fois réfléchir aux paroles et contempler les mystères. A cela on a répondu souvent : il n'est pas nécessaire de réfléchir aux paroles de l'Ave Maria, quand on médite ou regarde spirituellement tel ou tel mystère. Ces paroles sont comme une cantilène, qui berce l'oreille, nous isole des bruits du monde, pendant que les doigts sont occupés à égrener le rosaire et nous indiquent matériellement à quelle dizaine nous en sommes. Ainsi l'imagination est occupée pendant que l'intelligence et la volonté sont unies à Dieu.
On a objecté aussi que la forme monotone du chapelet engendre la routine. Cette objection, qui porte contre le chapelet mal dit, ne porte pas contre. le Rosaire qui nous familiarise avec les divers mystères du salut, en nous rap­pelant, dans nos joies, nos tristesses et nos espoirs, com­ment ces mystères doivent se reproduire en nous.
Toute prière peut dégénérer en routine, même l'ordi­naire de la messe, même le Prologue de l'Évangile de saint Jean lu presque tous les jours à la fin du saint Sa­crifice. Mais cela provient non pas certes de ce que ces grandes prières sont imparfaites, mais de ce que nous ne les disons pas comme il faudrait, avec foi, confiance, et amour.



=====L'esprit du Rosaire tel qu'il fut conçu=====

Pour mieux voir ce que doit être le Rosaire, il faut se rappeler comment saint Dominique l'a conçu sous l'inspi­ration de la Sainte Vierge, à un moment où le midi de la France était ravagé par l'hérésie des Albigeois, imbus des erreurs manichéennes, qui niaient la bonté infinie et la toute-puissance de Dieu, par l'affirmation d'un principe du mal souvent victorieux.
Ce n'était pas seulement la morale chrétienne qui était attaquée; mais le dogme, les grands mystères de la créa­tion, de l'Incarnation rédemptrice, de la descente du Saint-Esprit, de la vie éternelle à laquelle nous sommes tous appelés.
C'est alors que la Sainte Vierge fit connaître à saint Dominique un mode de prédication inconnu jusqu'alors, qu'elle lui affirma être pour l'avenir une des armes les plus puissantes contre l'erreur et l'adversité. Arme très humble, qui fait sourire l'incrédule; car il ne comprend pas les mystères de Dieu.
Sous l'inspiration qu'il avait reçue, saint Dominique s'en allait par les villages hérétiques, rassemblait le peu­ple, et il prêchait sur les mystères du salut, sur ceux de l'Incarnation, de la Rédemption, de la vie éternelle. Comme le lui avait inspiré Marie, il distinguait les divers mystères joyeux, douloureux et glorieux. Il prêchait quel­ques instants sur chacun de ces quinze mystères, et après la prédication de chacun, il faisait réciter une dizaine d'Ave Maria, un peu comme on prêche aujourd'hui l'heure sainte en plusieurs parties intercalées de prières ou de chants religieux.
Alors ce que la parole du prédicateur ne parvenait pas à faire admettre, la douce prière de l'Ave Maria l'insi­nuait au fond des cœurs. Ce genre de prédication fut des plus fructueux[208].
En France cette forme de prière fut prêchée avec un grand zèle par le Bx Alain de la Roche en Bretagne et ensuite par le Bx Grignion de Montfort surtout en Vendée et en Poitou.
Si nous vivons de cette prière, nos joies, nos tristesses et nos espoirs seront purifiés, élevés, surnaturalisés; nous verrons de mieux en mieux, en contemplant ces mystères, que Jésus, notre Sauveur et notre modèle, veut nous assi­miler à lui, nous communiquer d'abord quelque chose de sa vie d'enfance et de sa vie cachée, puis quelque ressem­blance avec sa vie douloureuse, pour nous faire participer ensuite à sa vie glorieuse pour l'éternité.



Article III

LA CONSÉCRATION A MARIE

Dans son Traité de la vraie dévotion â la Sainte Vierge, le Bx Grignion de Montfort a justement distingué plu­sieurs degrés de la vraie dévotion à la Mère de Dieu. Il ne parle que rapidement, ch. III, des formes de la fausse, qui est tout extérieure, présomptueuse, inconstante, hypo­crite ou intéressée; il ne considère guère que la vraie.
Ainsi que les autres vertus chrétiennes, elle grandit en nous avec la charité, qui est d'abord celle des commen­çants, puis des progressants et des parfaits.
Au premier degré la vraie dévotion à Marie consiste à la prier de temps en temps avec recueillement, par exem­ple à bien dire l'Angelus, quand il sonne. Au second degré, elle devient le principe de sentiments plus parfaits d'es­time, de vénération, de confiance et d'amour, qui portent, par exemple, à bien dire le chapelet ou même le rosaire chaque jour. Au troisième degré, elle porte à se donner tout entier à la Sainte Vierge en se consacrant à elle, pour être tout entier par elle à Notre-Seigneur[209].



=====En quoi consiste cette consécration ?=====

Elle consiste à promettre à Marie de recourir filiale­ment et constamment à elle et de vivre dans une habi­tuelle dépendance à son égard, pour arriver à une plus intime union avec Notre-Seigneur et par, lui avec la Sainte Trinité présente en nous.
La raison en est, dit le Bienheureux (ibid., ch. I, a. 1, n° 44), que Dieu veut se servir de Marie dans la sancti­fication des âmes, après s'être servi d'elle dans l'Incar­nation, et il ajoute : « Je ne crois pas qu'une personne puisse acquérir une union intime avec Notre-Seigneur et une parfaite fidélité au Saint-Esprit, sans une très grande union avec la Très Sainte Vierge et une grande dépen­dance de son secours... Elle était pleine de grâce quand elle fut saluée par l'archange Gabriel, et elle fut surabondamment remplie de grâce par le Saint-Esprit quand il la couvrit de son ombre ineffable ; et elle a [tellement] augmenté de jour en jour et de moment en moment cette plénitude double, qu'elle est arrivée à un point de grâce immense et inconcevable ; en sorte que le Très-Haut l'a faite l'unique trésorière de ses trésors, et l'unique dis­pensatrice de ses grâces, pour anoblir, élever et enrichir qui elle veut, pour faire entrer qui elle veut dans la voie étroite du ciel... Jésus est partout et toujours le fruit et le Fils de Marie ; et Marie est partout l'arbre véritable qui porte le fruit de vie et la vraie mère qui le produit. »
Au même chapitre, un peu plus haut, n° 33, le Bienheu­reux dit aussi : « On peut lui appliquer plus véritable­ment que saint Paul ne se les applique, ces paroles : « Quos iterum parturio, donec formetur Christus in vobis » (Gal., IV, 19) : J'enfante tous les jours les enfants de Dieu, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en eux dans la plénitude de son âge. Saint Augustin dit que tous les prédestinés, pour être conformes à l'image du Fils de Dieu, sont en ce monde cachés dans le sein de là Très Sainte Vierge, où ils sont gardés, nourris, entretenus et agrandis par cette bonne Mère, jusqu'à ce qu'elle les enfante à la gloire après la mort, qui est proprement le jour de leur naissance, comme l'Eglise appelle la mort des justes. O mystère de grâce inconnu aux réprouvés, et peu connu des prédestinés ! »
Marie est en effet leur Mère spirituelle, elle les enfante donc spirituellement, et leur naissance spirituelle défini­tive, est, après leur mort, leur entrée dans la gloire.
On conçoit dès lors que ce serait un manque d'humi­lité de ne pas recourir fréquemment à la Médiatrice uni­verselle que la Providence nous a donnée comme une vraie Mère spirituelle pour former le Christ en nous, ou pour nous former spirituellement à l'image du Fils de Dieu.
La théologie ne peut donc que reconnaître la parfaite légitimité de cette consécration[210], légitimité qui repose sur deux titres de Marie, celui de Mère de tous les hommes et de souveraine.
Cette forme élevée de la dévotion à la Sainte Vierge, qui est une reconnaissance pratique de sa médiation uni­verselle, est un gage de sa particulière protection. Elle nous dispose à un perpétuel et filial recours à elle, à la contemplation et à l'imitation de ses vertus et de sa par­faite union à Notre-Seigneur.
Dans la pratique de cette dépendance totale à l'égard de Marie, on peut comprendre, comme y invite le Bx de Montfort, l'abandon fait à la Sainte Vierge de tout ce qu'il y a de communicable à d'autres âmes dans nos bonnes œuvres, pour qu'elle en dispose selon la volonté de son divin Fils et pour sa plus grande gloire. Il conseille, en effet, cette formule de consécration (ibid., fin : appen­dice)
« Je vous choisis aujourd'hui, ô Marie, en présence de toute la Cour céleste, pour ma Mère et Maîtresse. Je vous livre et consacre en qualité d'esclave, mon corps et mon âme, mes biens intérieurs et extérieurs, et la valeur même de mes bonnes actions passées, présentes et futures, vous laissant un entier et plein droit de disposer de moi et de tout ce qui m'appartient, sans exception, selon votre bon plaisir, à la plus grande gloire de Dieu, dans le temps et l'éternité. »
Cet abandon est en réalité la pratique de ce qu'on a appelé l'acte héroïque, sans qu'il y ait ici un vœu, mais seulement une promesse à la Sainte Vierge[211].
Il nous est ainsi conseillé de donner à Marie nos biens extérieurs, si nous en avons, pour qu'elle nous préserve de toute attache aux choses terrestres et nous inspire d'en faire le meilleur usage. Il convient de lui consacrer notre corps, nos sens, pour qu'elle les conserve dans une par­faite pureté, de lui livrer aussi notre âme, nos facultés, nos biens spirituels, vertus et mérites, toutes nos bon­nes œuvres passées, présentes et futures.
Comment donner nos mérites à la Sainte Vierge, pour qu'elle en fasse bénéficier d'autres âmes de la terre ou du purgatoire ? La théologie l'explique facilement en distin­guant dans nos bonnes œuvres ce qu'il y a d'incommuni­cable aux autres et ce qui est communicable.


=====Qu'est-ce qu'il y a de communicable=====
en nos bonnes œuvres?

Tout d'abord ce qui, en elles, est incommunicable, c'est le mérite de condignité, de condigno, qui constitue un droit en justice à une augmentation de grâce et à la vie éternelle. Ce mérite strictement personnel est incommu­nicable; il diffère en cela de ceux de Notre-Seigneur, qui, en justice, nous a communiqué ses mérites parce qu'il était constitué tête de l'humanité[212].
Si donc nous offrons à Marie nos mérites de condignité, ce n'est pas pour qu'elle les communique à d'autres âmes, mais pour qu'elle nous les conserve, pour qu'elle nous aide à les faire fructifier, et, si nous avions le malheur de les perdre par un péché mortel, pour qu'elle nous obtienne la grâce d'une contrition vraiment fervente, qui nous fasse recouvrer, non pas seulement l'état de grâce, mais le degré de grâce perdu[213].
Mais dans nos bonnes œuvres il y a quelque chose de communicable aux autres âmes de la terre ou du purga­toire[214]. C'est d'abord le mérite de convenance, de con­grue proprio, qui est encore, nous l'avons vu plus haut[215], un mérite proprement dit, fondé in jure amicabili, sur les droits de l'amitié qui unit à Dieu l'âme en état de grâce. Ainsi une mère chrétienne, par sa vie vertueuse, peut mériter d'un mérite de convenance, comme sainte Moni­que, la conversion de son fils. Dieu a égard aux intentions pures et aux bonnes œuvres de cette excellente mère qui lui est unie par la charité, et il accorde à cause de cela à son fils la grâce de la conversion[216].
De même nous pouvons et devons prier pour le pro­chain, pour sa conversion, son avancement, pour les ago­nisants, pour les âmes du purgatoire. Ici, la valeur impé­tratoire de la prière s'ajoute au mérite dont nous venons de parler.
Enfin nous pouvons satisfaire d'une satisfaction de con­venance, de congruo, pour les autres, accepter les con­trariétés quotidiennes, pour les aider à expier leurs fau­tes ; nous pouvons même, si nous en recevons l'inspiration, accepter volontairement la peine due à leurs péchés, comme Marie le fit pour nous au pied de la croix, et atti­rer ainsi sur eux la miséricorde divine[217]. Les saints l'ont fait souvent; sainte Catherine de Sienne dit par exemple à un jeune Siennois qui avait le cœur plein de haine contre, ses adversaires politiques : « Pierre, je prends sur moi tous tes péchés, je ferai pénitence à ta place, mais accorde-moi une grâce, confesse-toi. » - « Je viens de me confesser dernièrement », dit le Siennois. « Ce n'est pas vrai, répond la sainte, il y a sept ans que tu ne t'es pas confessé », et elle lui énumère toutes les fautes de sa vie. Stupéfait, il se repent et pardonne à ses ennemis. - Sans avoir une si grande générosité qu'une sainte Catherine de Sienne, nous pouvons accepter les peines quotidiennes qui se présentent pour aider d'au­tres âmes à payer leurs dettes à la justice divine.
Nous pouvons aussi gagner des indulgences pour les âmes du purgatoire, leur ouvrir le trésor des mérites et des satisfactions du Christ et des saints, et hâter ainsi leur délivrance.
Il y a donc dans nos bonnes œuvres trois choses qui sont communicables à d'autres âmes : le mérite de con­venance, la prière et la satisfaction. Il se peut du reste qu'un seul et même acte, comme une prière unie à l'aus­térité (telles l'adoration nocturne ou les matines la nuit, ou un chemin de croix), aient la triple valeur : méritoire, impétratoire, satisfactoire, sans parler des indulgences.
Si nous offrons ainsi à Marie tout ce qu'il y a de com­municable dans nos bonnes œuvres, il ne faudra pas s'é­tonner qu'elle nous envoie des croix proportionnées à nos forces aidées de la grâce, pour nous faire travailler ainsi au salut des âmes.
A qui convient-il de conseiller cette consécration et cet abandon ? - Il ne faudrait pas le conseiller à ceux qui le feraient par sentimentalité ou orgueil spirituel et n'en comprendraient pas la portée. Mais il convient de suggé­rer à des âmes vraiment pieuses et ferventes de le faire, d'abord pour quelques jours, puis pour une durée plus longue, et quand elles seront entrées dans cet esprit, pour toute la vie.
On objecte parfois : mais faire cet abandon, c'est nous dépouiller et ne pas payer notre propre dette, ce qui aug­mentera notre purgatoire. C'est l'objection que fit le démon à sainte Brigitte lorsqu'elle se disposait à faire cet acte. Notre-Seigneur lui fit comprendre que c'est l'objec­tion de l'amour-propre, qui oublie la bonté de Marie; elle ne se laissera pas vaincre en générosité, elle nous aidera beaucoup plus. En nous dépouillant ainsi, nous recevrons d'elle cent pour un. Et même l'amour dont témoigne cet acte généreux nous obtient déjà la remise d'une partie de notre purgatoire.
D'autres personnes objectent encore : comment prier ensuite pour nos parents, nos frères et sœurs, nos amis, si nous avons une fois pour toutes donné nos prières à Marie.
C'est oublier que la Sainte Vierge connaît mieux que nous nos devoirs de charité, et qu'elle sera la première à nous les rappeler. Mais parmi nos parents et amis sur la terre ou au purgatoire, il y a des âmes qui ont un besoin urgent de prière et de satisfaction, et nous ne savons pas quelles sont ces âmes, tandis que la Sainte Vierge les con­naît; elle pourra ainsi les faire bénéficier de ce qu'il y a de communicable dans nos bonnes œuvres, si nous le lui avons abandonné[218].
Ainsi conçue, cette consécration et cet abandon nous font entrer de plus en plus, sous la direction de Marie, dans le mystère de la communion des saints. C'est une parfaite rénovation des promesses du baptême[219].



=====Fruits de cette consécration=====

« Cette dévotion, dit le Bx de Montfort[220], nous livre entièrement au service de Dieu, nous fait imiter l'exem­ple donné par Jésus-Christ, qui a voulu être « soumis » à l'égard de sa sainte Mère (Luc, II, 51). Elle nous procure la protection spéciale de Marie, qui purifie nos bonnes œuvres, les embellit en les présentant à son Fils. Elle nous conduit à l'union avec Notre-Seigneur; elle est un chemin aisé, court, parfait et assuré. Elle donne une grande liberté intérieure, procure de grands biens au prochain et est un moyen admirable de persévérance. » Chacun de ces points est développé au même endroit de la façon la plus pratique.
Il est dit en particulier au ch. V, a, 5 : « C'est un che­min aisé, que Jésus-Christ a frayé en venant à nous, et où il n'y a aucun obstacle pour arriver à lui. On peut, à la vérité, arriver à l'union divine par d'autres chemins; mais ce sera par beaucoup plus de croix et de morts étran­ges, et avec beaucoup plus de difficultés, que nous ne vaincrons que difficilement. Il faudra passer par des nuits obscures, par des combats et des agonies étranges, par des montagnes escarpées, par des épines très piquan­tes et des déserts affreux. Mais par le chemin de Marie on passe plus doucement et plus tranquillement.
« On y trouve, à la vérité, de rudes combats à donner et de grandes difficultés à vaincre; mais cette bonne Mère et Maîtresse se rend si proche et si présente à ses fidèles serviteurs, pour les éclairer dans leurs ténèbres, les affer­mir dans leurs craintes, les soutenir dans leurs combats, qu'en vérité ce chemin virginal pour trouver Jésus-Christ est un chemin de rose et de miel, à vue des autres chemins. » On le voit, ajoute le bienheureux, par les saints qui ont plus particulièrement suivi cette voie : saint Ephrem, saint Jean Damascène, saint Bernard, saint Bonaventure, saint Bernardin de Sienne, saint François de Sales, etc.
Le bienheureux reconnait un peu plus loin que les ser­viteurs de Marie « reçoivent d'elle les plus grandes grâ­ces et faveurs du ciel, qui sont les croix; mais je soutiens, dit-il, que ce sont aussi les serviteurs de Marie qui por­tent ces croix avec plus de facilité, de mérite et de gloire; ce qui arrêterait un autre, les fait avancer », parce qu'ils sont plus aidés par la Mère de Dieu, qui leur obtient dans leurs épreuves l'onction du pur amour. Chose étonnante, la Sainte Vierge rend la croix plus facile à porter et plus méritoire : plus facile, parce qu'elle nous soutient de sa mansuétude; plus méritoire, parce qu'elle nous obtient une plus grande charité, qui est le principe du mérite.
On peut dire aussi que c'est un chemin qui, par l'hu­milité qu'il demande, est contraire à celui de « l'arri­visme » et il comporte même un échec apparent, comme celui qui se remarque dans la vie de Notre-Seigneur. Mais il a de très grands avantages surnaturels.
« C'est un chemin court... car on avance plus, en peu de temps de soumission et de dépendance à l'égard de Marie, que dans des années entières de propre volonté et d'appui sur soi-même... On avancera à pas de géant en ce chemin par lequel Jésus est venu à nous... On parvien­dra en peu d'années jusqu'à la plénitude de l'âge par­fait » (ibid.) [221]
« C'est un chemin parfait, choisi par Dieu lui-même... Le Très-Haut est descendu par l'humble Marie jusqu'à nous, sans rien perdre de sa divinité; et c'est par Marie que les très petits doivent monter parfaitement et divi­nement au Très-Haut sans rien appréhender » (ibid.).
C'est enfin un chemin assuré, car la Sainte Vierge pré­serve des illusions du démon, de celles de la rêverie, du sentimentalisme, elle calme et règle notre sensibilité, lui donne un objet très pur et très saint, et la subordonne pleinement à la volonté vivifiée par la charité, en vue de l'union à Dieu.
On y trouve une grande liberté intérieure, qui est la récompense de la dépendance complète où l'on se met. Les scrupules sont écartés, le cœur est élargi par la con­fiance, par un amour tendre et filial. Le bienheureux le confirme par ce qu'il a lu dans la vie de Mère Agnès de Langeac, dominicaine, « qui, souffrant de grandes pei­nes d'esprit, entendit une voix qui lui dit que si elle voulait être délivrée de toutes ses peines et être protégée con­tre tous ses ennemis, elle se fît au plus tôt esclave de Jésus et de sa sainte Mère... Après cette action, toutes ses pei­nes et ses scrupules cessèrent, et elle se trouva dans une grande paix et dilatation de cœur, ce qui l'engagea à enseigner cette dévotion à plusieurs autres... entre autres à M. Olier, instituteur du séminaire de Saint-Sulpice, et à plusieurs prêtres du même séminaire » (ibid., a. 6, fin).
C'est en cette maison que le bienheureux fut formé.
« Enfin, dit-il (ibid., ch. V, art. 8), cette dévotion qui procure de grands biens au prochain est pour celui qui en vit un moyen admirable de persévérance... parce qu'on confie à la Sainte Vierge, qui est fidèle, tout ce qu'on pos­sède... C'est à sa fidélité qu'on se fie... afin qu'elle con­serve et augmente nos mérites, malgré tout ce qui pourrait nous les faire perdre. On reconnaît qu'on est trop faible et trop misérable pour les conserver soi-même... Quoique vous m'entendiez, âmes prédestinées, je parle plus ouvertement. Ne confiez pas l'or de votre charité, l'argent de votre pureté, les eaux des grâces célestes, ni les vins de vos mérites et vertus à un sac percé, à un coffre vieux et brisé, à un vaisseau gâté et corrompu comme vous êtes : autrement, vous serez pillés par les voleurs, c'est-à-dire les démons, qui cherchent et épient, nuit et jour, le temps propre pour le faire; autrement, vous gâterez, par votre mauvaise odeur d'amour de vous­-même, de confiance en vous-même et de propre volonté, tout ce que Dieu vous donne de plus pur. Mettez, versez dans le sein et le cœur de Marie tous vos trésors, toutes vos grâces et vertus : c'est un vaisseau d'esprit, c'est un vaisseau d'honneur, c'est un vaisseau insigne de dévotion Vas spiritualle, vas honorabile, vas insigne devotionis.
« Les âmes qui ne sont pas nées du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu et de Marie, me comprennent et me goûtent; et c'est pour elles aussi que j'écris... Si une âme se donne à Marie sans réserve, elle se donne à cette âme sans réserve, elle aussi », et lui fait trouver le chemin qui conduit les pré­destinés à la persévérance finale (ibid., ch. V, art. 8).
Tels sont les fruits de cette consécration; Marie aime ceux qui se confient à elle totalement, elle les entretient, les conduit, les dirige, les défend, les protège, et intercède pour eux (ibid., ch. VI, a. 2). Il convient de nous offrir à elle pour qu'elle-même nous offre à son Fils selon la plé­nitude de sa prudence et de son zèle.
Elle produit même en ses protégés des fruits plus éle­vés qui sont proprement d'ordre mystique, comme nous allons l'indiquer (ibid., ch. VII) [222].



Article IV

=====L'UNION MYSTIQUE A MARIE=====

Une âme fidèle à la dévotion dont nous venons de parler fait toutes ses actions par Marie, avec elle, en elle et pour elle, et arrive ainsi à une grande intimité avec Notre­-Seigneur[223].
Les fruits supérieurs de cette consécration, lorsqu'on en vit pleinement, sont les suivants par rapport à l'hu­milité, aux trois vertus théologales et aux dons du Saint­-Esprit qui les accompagnent. On reçoit peu à peu une participation à l'humilité et à la foi de Marie, une grande confiance en Dieu par elle, la grâce du pur amour et de la transformation de l'âme à l'image de Jésus-Christ[224].


=====Participation à l'humilité et à la foi de Marie=====

Par la lumière du Saint-Esprit, l'âme connaîtra son mauvais fond, elle verra par expérience qu'elle est natu­rellement incapable de tout bien salutaire et surnaturel, et quels sont les obstacles qu'elle met encore souvent, sans presque y prendre garde, au travail de la grâce en elle, par suite de son amour-propre. Elle arrivera ainsi au mépris de soi, dont parle saint Augustin dans la Cité de Dieu (l. XIV, c. 28), lorsqu'il dit : « Deux amours ont fait deux cités, l'amour de soi poussé jusqu'au mépris de Dieu a fait la cité de Babylone, tandis que l'amour de Dieu, poussé jusqu'au mépris de soi, fait la cité de Dieu. »
« L'humble Marie, dit le Bx de Montfort[225], vous fera part de sa profonde humilité, qui fera que vous vous mépriserez, vous ne mépriserez personne, et vous aime­rez le mépris. »
« Elle vous donnera aussi part à sa foi, qui a été plus grande sur la terre que la foi de tous les patriarches, les prophètes, les apôtres et de tous les saints : Présente­ment..., elle n'a plus cette foi, parce qu'elle voit claire­ment toutes choses en Dieu, par la lumière de gloire ; mais elle la garde... dans l'Eglise militante, à ses plus fidèles serviteurs et servantes. Plus donc vous gagnerez sa bienveillance,... plus vous aurez une foi pure, qui fera que vous ne vous soucierez guère du sensible et de l'ex­traordinaire ; une foi vive et animée par la charité, qui fera que vous ne ferez vos actions que par le motif du pur amour ; une foi ferme et inébranlable comme un ro­cher, qui fera que vous demeurerez ferme et constant au milieu des orages et des tourments ; une foi agissante et perçante[226], qui, comme un mystérieux passe-partout, vous donnera entrée dans tous les mystères de Jésus­Christ, dans les fins dernières de l'homme et dans le cœur de Dieu même; une foi courageuse, qui vous fera entre­prendre et venir à bout de grandes choses pour Dieu et le salut des âmes, sans hésiter; enfin une foi qui sera votre flambeau enflammé, votre vie divine, votre trésor caché de la divine sagesse, votre arme toute-puissante, dont vous vous servirez pour éclairer ceux qui sont dans les ténèbres et l'ombre de la mort, pour embraser ceux qui sont tièdes et qui ont besoin de l'or embrasé de la charité, pour donner la vie à ceux qui sont morts par le péché, pour toucher et renverser, par vos paroles douces et puissantes, les cœurs de marbre et les cèdres du Liban, et enfin pour résister au diable et à tous les ennemis du salut » (ibid., ch. VII, a. 2).
Page admirable, qui montre le plein épanouissement de la foi infuse, éclairée par les dons d'intelligence et de sagesse, « fides donis illustrata », comme disent les théo­logiens.



=====Grande confiance en Dieu par Marie=====

La confiance en Dieu est l'espérance affermie, qui a une « certitude de tendance », celle de tendre précisé­ment vers le salut. Or la Sainte Vierge, est-il dit au même endroit (a. 4), vous remplira d'une grande confiance en Dieu et en elle-même : 1° parce que vous n'approcherez plus de Jésus-Christ par vous-même, mais toujours par cette bonne Mère; 2° parce que lui ayant donné tous vos mérites, grâces et satisfactions, pour en disposer à sa volonté, elle vous communiquera ses vertus et vous revê­tira de ses mérites; 3° parce que vous étant donné tout à elle, elle se donnera à vous d'une façon merveilleuse; vous pourrez lui dire : « Je suis à vous, Sainte Vierge, sauvez-moi. » Vous pourrez dire à Dieu avec le psalmiste (Ps. CXXX, 1) : « Seigneur, mon cœur ne s'est pas enflé d'orgueil et mes regards n'ont pas été hautains. Je ne recherche point les grandes choses, ni ce qui est élevé au­-dessus de moi. Non ! je tiens mon âme dans le calme et le silence, comme un enfant sevré (des plaisirs de la terre et appuyé) sur le sein de sa mère (et confiant en elle). » Après lui avoir donné tout ce que vous avez de bon, pour qu'elle le garde ou le communique à d'autres âmes, « vous aurez moins de confiance en vous et beaucoup plus en elle, qui est votre trésor » (ibid.). Vous recevrez de plus en plus les inspirations du don de science, qui montre la vanité des choses terrestres, notre fragilité, et par opposition le prix de la vie éternelle et du secours divin, qui est le motif formel de notre espérance. - Voir plus loin, p. 381, une formule d'oblation de nous-même à Marie pour qu'elle nous offre pleinement à son Fils.



Grâce de pur amour
et de transformation de l'âme

Dans cette voie, la charité s'épanouira de plus en plus, sous l'influence de celle qui est appelée Mater pulchrae dilectionis (Eccli., XXIV, 24). « Elle ôtera de votre cœur tout scrupule et toute crainte servile; elle l'ouvrira et l'é­largira pour courir dans les commandements de son Fils (Ps. CXVIII, 32), avec la sainte liberté des enfants de Dieu, et pour y introduire le pur amour, dont elle a le trésor, en sorte que vous ne vous conduirez plus, tant que vous avez fait, par crainte à l'égard de Dieu charité, mais par le pur amour. Vous le regarderez comme votre bon Père, auquel vous tâcherez de plaire incessamment, avec qui vous converserez confidemment. Si vous venez par mal­heur à l'offenser,... aussitôt vous lui en demanderez hum­blement. pardon, vous lui tendrez simplement la main,... et vous continuerez à marcher vers lui sans décourage­ment ». (ibid., ch. VII, a. 3).
L'âme de Marie se communiquera à vous pour glo­rifier le Seigneur et vous réjouir en lui, pour vivre du Magnificat. Le chrétien fidèle « respire alors spirituelle­ment Marie, autant que son corps respire l'air » (ibid., a. 5). Son esprit de sagesse se communique si bien que le serviteur et fils pleinement docile devient une copie vi­vante de sa Mère spirituelle. Elle le tranquillise sur le mystère de la prédestination.
Cette communication produit enfin une transformation de l'âme à l'image de Jésus-Christ, comme il est expliqué au même endroit (ch. VII, a. 6) « Saint Augustin appelle la Sainte Vierge forma Dei, le moule de Dieu[227]... Celui qui est jeté dans ce moule divin est bientôt formé et moulé en Jésus-Christ... Certains directeurs sont compa­rables à des sculpteurs, qui, mettant leur confiance dans leur art, donnent une infinité de coups de marteau et de ciseau à une pierre dure ou à une pièce de bois, pour en faire l'image de Jésus-Christ, et quelquefois ils ne réus­sissent pas... quelque coup mal donné peut gâter l'ou­vrage. Mais, pour ceux qui embrassent ce secret de la grâce que je leur présente, je les compare avec raison à des fondeurs et mouleurs, qui, ayant trouvé le beau moule de Marie, où Jésus-Christ a été naturellement et divinement formé, sans se fier à leur propre industrie, mais uniquement à la bonté du moule, se jettent et se perdent en Marie pour devenir le portrait au naturel de Jésus-Christ... Mais souvenez-vous qu'on ne jette en moule que ce qui est fondu et liquide : c'est-à-dire qu'il faut détruire et fondre en vous le vieil Adam, pour devenir le nouveau en Marie. »
On ne se lasserait pas de citer ces paroles simples et profondes, pleines de saveur surnaturelle et qui vraiment coulent de source.
La pureté d'intention grandit enfin beaucoup par cette voie, car on quitte ses propres intentions, quoique bon­nes, pour se perdre en celles de la Sainte Vierge, qu'elles soient connues où inconnues. « On entre ainsi en parti­cipation de la sublimité de ses intentions, qui ont été si pures, qu'elle a donné plus de gloire à Dieu par la moindre de ses actions, par exemple en filant sa quenouille, en faisant un point d'aiguille, qu'un saint Laurent sur son gril, par son cruel martyre, et même que tous les saints par leurs actions les plus héroïques... et que tous les anges... On compterait plutôt les étoiles du firmament que ses mérites... En voulant bien recevoir en ses mains virginales le présent de nos actions, elle leur donne une beauté et un éclat, qui glorifient Notre-Seigneur beaucoup plus que si nous les offrions nous-mêmes... Enfin vous ne pensez jamais à Marie, qu'elle ne pense à Dieu en votre place... Elle est toute relative à Dieu, et je l'appellerai fort bien la relation de Dieu... ou l'écho de Dieu, qui ne dit et ne répète que Dieu... Quand on la loue, Dieu est loué et aimé, on donne à Dieu par Marie et en Marie » (ch. VII, a. 7).



=====Grâce d'intimité mariale=====

Certaines âmes reçoivent une vie d'union à Marie par une grâce spéciale, au sujet de laquelle le P. E. Neubert, marianiste, a réuni plusieurs témoignages très significa­tifs[228]. Il faut aussi citer sur ce point L'union mystique à Marie, écrit par une recluse flamande qui l'a person­nellement expérimentée, Marie de Sainte-Thérèse (1623-­1677)[229].
Le P. Chaminade, qui exerça le ministère avec le plus grand zèle à Bordeaux pendant la Révolution française, et qui fonda les Marianistes, eut aussi cette expérience. Il a écrit : « Il est un don de présence habituelle de la Sainte Vierge comme il est un don de présence habituelle de Dieu, très rare, il est vrai, accessible cependant à une grande fidélité. » Comme l'explique le P. Neubert, qui rapporte ce texte (loc. cit., p. 15), il s'agit de l'union mys­tique normale et habituelle à Marie.
Le vénérable L.-Ed. Cestac eut aussi ce don et disait : « Je ne la vois pas, mais je la sens comme le cheval sent la main du cavalier qui le mène » (cité ibidem, p. 19).
Il est donné à ces serviteurs de Dieu de prendre ainsi conscience de l'influence qu'exerce constamment Marie sur nous en nous transmettant les grâces actuelles qui assurent une constante fidélité.
Marie de Sainte-Thérèse dit aussi : « Cette douce Mère ... m'a prise sous sa maternelle conduite et direc­tion, pareille à la maîtresse d'école qui conduit la main de l'enfant pour lui apprendre à écrire... Elle demeure presque sans interruption en face de mon âme, m'attirant de si aimable et maternelle façon, me souriant, me stimu­lant, me conduisant, et m'instruisant dans le chemin de l'esprit et dans la pratique de la perfection des vertus. Et de la sorte je ne perds plus un seul instant le goût de sa présence à côté de celle de Dieu » (op. cit., pp. 55-66; cf. pp. 67, 65).
« Elle produit la vie divine par un influx perceptible de grâces opérantes, prévenantes, fortifiantes, excitantes ou sollicitantes » (ibid., p. 64). - « La nature de l'amour est d'unir à l'objet aimé... Dans ce sens, l'amour très ten­dre, violent, brûlant et unifiant, conduit l'âme qui aime Marie à vivre en elle, à se fondre en elle, à lui être unie et à d'autres effets et transformations » (ibid., p. 56). - « Alors Dieu se montre en Marie et par elle comme dans un miroir » (ibid., p.63).
Il en fut ainsi pendant une bonne partie de la vie de cette servante de Dieu.
Certaines âmes qui ont une grande intimité mariale disent : « Je n'ai jamais expérimenté la présence de Marie en moi, mais sa présence toute proche, le plus proche pos­sible; et une grande joie de la savoir heureuse. » Nous avons connu un saint chartreux qui disait : « Je souffre, mais elle est heureuse. »
Dans un très bel article déjà cité de La Vie Spirituelle (avril 1941, pp. 278 ss.), le P. M.-l. Nicolas, O. P., dit de même au sujet d'un saint religieux, le P. Vayssière, pro­vincial des dominicains de Toulouse, mort en 1940 : « Marie était le moyen universel, l'atmosphère même de sa vie spirituelle. Cet état de dépouillement et de toute pure union à Dieu seul, dans lequel il était, c'est elle qui l'établis­sait en lui et qui le maintenait et qui l'avait voulu. « C'est la Sainte Vierge qui a tout fait. Je lui dois tout, tout », disait-il souvent. Elle avait été la Mère qui exigeait le sentiment de sa petitesse, la douceur suprême au plus profond de son renoncement, la fécondité de sa solitude et l'inspiratrice de son oraison. Il ne prenait conscience d'aucune des grâces de Dieu sans prendre en même temps conscience de la voie par laquelle elles lui venaient. Tous les saints ne se placent pas ainsi dans le cœur de la Sainte Vierge comme au centre de leur vie spirituelle. Il faut pour y parvenir une lumière, une révélation de la Sainte Vierge qui suppose un choix de sa part... « C'est elle, disait-il, qui nous forme. La voie de fidélité filiale à Marie, c'est revivre la vie même de Jésus à Nazareth; » Le P. Vayssière disait encore : « Plus on est petit, plus on lui permet d'être mère. L'enfant est d'autant plus à sa mère qu'il est plus faible et plus petit... La perfection de la voie d'enfance dans le plan divin, c'est la vie en Marie » (art cité, p. 281).
Enfin, bien des âmes saintes ici-bas ont, dans une voie douloureuse, une intimité mariale profonde et très forti­fiante, dont elles n'ont pas l'occasion de parler. Pour beaucoup de ces âmes, il y a une disposition très parti­culière, un élan vers Marie, un regard suivi de sa pré­sence sensible, parfois d'un instant, comme le passage d'une mère qui vient voir, dans la pièce où sont ses enfants, s'ils font bien leur devoir. Elle communique alors une piété ineffable, elle inspire des sacrifices, plus généreux, des dépouillements qui enrichissent et qui font entrer dans les profondeurs du Magnificat et aussi du Stabat Mater.
L'auteur de cette séquence devait avoir cette intimité mariale et sentir en quelque sorte l'influence de la Mère du Sauveur, qui non seulement nous conduit à l'union avec Notre-Seigneur, mais qui en un sens, par la transmission de la grâce, fait en nous cette union. C'est ce qui est exprimé, nous l'avons déjà noté, en ce Stabat par la répétition du fac : « Fac ut tecum lugeam. Fac ut ardeat cor meum. Fac ut portem Christi mortem. Fac me plagis vulnerari. Fac me cruce inebriari et cruore Filii. Fac me tecum pie flere... crucifixi condolere, donec ego vixero. »
C'est ici, que nous saisissons les rapports profonds de la Mariologie et de la vie intérieure; vérité élémentaire pour tout chrétien; mais les vérités élémentaires, lors­qu'on les scrute et les met en pratique, apparaissent les plus vitales et les plus hautes, telles celles qui sont expri­mées dans le Pater.



Article V

LA CONSÉCRATION DU GENRE HUMAIN A MARIE,
POUR LA PACIFICATION DU MONDE

La gravité des événements de ces dernières années, depuis la révolution russe, la révolution espagnole et la guerre mondiale, montre que les âmes croyantes doivent de plus en plus recourir à Dieu par les grands médiateurs, qu'il nous a donnés à cause de notre faiblesse.
Ces événements et leur atrocité montrent d'une façon singulièrement frappante ce à quoi aboutissent les hom­mes lorsqu'ils veulent absolument se passer de Dieu, lorsqu'ils veulent organiser leur vie sans lui, loin de lui, contre lui. Lorsque, au lieu de croire en Dieu, d'espérer en lui, de l'aimer par-dessus tout et d'aimer le prochain en lui, nous voulons croire à l'humanité, espérer en elle, l'aimer d'une façon exclusivement terrestre, elle ne tarde pas à se montrer à nous avec ses tares profondes, avec ses plaies toujours ouvertes : l'orgueil de la vie, la concupis­cence de la chair, celle des yeux, et toutes les brutalités qui s'ensuivent. Lorsque, au lieu de mettre sa fin dernière en Dieu, qui peut être simultanément possédé par tous, comme nous pouvons tous posséder, sans nous nuire, la même vérité et la même vertu, on met sa fin dernière dans les biens terrestres, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'ils nous divisent profondément, car la même maison, le même champ, le même territoire ne peuvent appartenir simultanément et intégralement à plusieurs. Plus la vie se matérialise, Plus les appétits inférieurs sont excités, sans aucune subordination à un amour supérieur, plus les conflits entre les individus, les classes et les peuples s'exaspèrent; finalement, la terre devient un véritable enfer.
Le Seigneur montre ainsi aux hommes ce qu'ils peu­vent faire sans lui. C'est un singulier commentaire de ces paroles du Sauveur : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean, XV, 5). « Qui n'est pas avec moi est contre moi, et qui n'amasse pas avec moi disperse » (Matth., XII, 30). « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Matth., VII, 33). Le Psalmiste disait de même : « Si le Seigneur ne bâtit pas la maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent. Si Dieu ne garde pas la cité, en vain la sentinelle veille à ses portes. » (Ps. CXXVI, 1).
Les deux grands maux de l'heure actuelle, comme l'a dit Pie XI, sont d'une part le communisme matérialiste et athée, selon le programme des « sans Dieu », et d'au­tre part un nationalisme sans frein qui veut établir la suprématie des peuples forts sur les faibles, sans respect de la loi divine et naturelle. D'où le conflit très aigu, où le monde entier se trouve.
Pour remédier à de tels maux, les meilleurs, les plus zélés parmi les catholiques, dans les peuples actuellement divisés, sentent le besoin d'une prière commune, qui réu­nisse devant Dieu les âmes profondément chrétiennes des divers pays, pour obtenir que le règne de Dieu et du Christ s'établisse de plus en plus à la place du règne de l'orgueil et de la convoitise.
Dans ce but, on offre tous les jours des messes et l'a­doration du Saint-Sacrement; celle-ci s'est établie en divers pays d'une façon si prompte et si étendue qu'on doit y voir le fruit d'une grande grâce de Dieu.
On n'obtiendra la pacification extérieure du monde que par la pacification intérieure des âmes, qu'en les rame­nant à Dieu, qu'en travaillant à établir en elles le règne du Christ, au plus intime, de leur intelligence, de leur cœur, de leur volonté agissante.
Pour ce retour des âmes égarées à Celui seul qui peut les sauver, il importe de recourir à l'intercession de Marie, médiatrice universelle et Mère de tous les hommes. On dit des pécheurs qui semblent à jamais perdus, qu'il faut les confier à Marie, il en est de même des peuples chrétiens qui s'égarent.
Toute l'influence de la bienheureuse Vierge a pour but de conduire les âmes à son Fils, comme celle du Christ. médiateur universel, a pour but de les conduire à son Père.
La prière de Marie, surtout depuis qu'elle est au ciel, est universelle au plus grand sens du mot. Elle prie non seulement pour les âmes individuelles de la terre et du purgatoire, mais aussi pour les familles et pour tous les peuples qui doivent vivre sous le rayonnement de la lumière de l'Évangile, sous l'influence de l'Eglise. De plus, sa prière est d'autant plus puissante, qu'elle est plus éclairée et qu'elle procède d'un amour de Dieu et des âmes que rien ne peut atténuer ou interrompre. L'amour miséricordieux de Marie pour tous les hommes dépasse celui de tous les saints et anges réunis, de même la puis­sance de son intercession sur le Cœur de son Fils.
C'est pourquoi, de divers côtés, bien des âmes intérieu­res, devant les désordres inouïs et les souffrances tragi­ques de l'heure présente, sentent le besoin de recourir, par l'intercession de Marie médiatrice, à l'Amour rédemp­teur du Christ.
En divers pays, en particulier dans les couvents de vie contemplative fervente, on se rappelle que bien des évê­ques français réunis à Lourdes, au deuxième Congrès marial national, le 27 juillet 1929, ont exprimé au Souve­rain Pontife le désir d'une consécration du genre humain au Cœur immaculé de Marie. On se souvient aussi que le P. Deschamps, S. J., en 1900, le cardinal Richard, arche­vêque de Paris, en 1906, le P. Le Doré, supérieur général des Eudistes, en 1908 et 1912, le P. Lintelo, S. J., en 1914, prirent l'initiative de pétitions au Souverain Pontife pour obtenir la consécration universelle du genre humain au cœur immaculé de Marie.
Par un acte collectif, les évêques de France, au début de la guerre de 1914, en décembre de cette même année, consacrèrent la France à Marie. Le cardinal Mercier, en 1915, dans sa lettre pastorale sur Marie Médiatrice, salua la Sainte Vierge, Mère du genre humain, comme la Souve­raine du monde. Le Rme P. Lucas, nouveau supérieur géné­ral des Eudistes, obtint enfin en quelques mois plus de trois cent mille signatures, pour hâter, par cette consé­cration, la paix du Christ dans, le règne du Christ.


La force dont nous avons besoin, dans le bouleverse­ment où se trouve le monde à l'heure actuelle, c'est la prière de Marie, Mère de tous les hommes, qui nous l'ob­tiendra du Sauveur.
Son intercession est très puissante contre l'esprit du mal qui dresse les uns contre les autres les individus, les classes et les peuples.
Si un pacte formel et pleinement consenti avec le démon peut avoir des conséquences formidables dans la vie d'une âme et la perdre pour toujours, quel effet spi­rituel ne produira pas une consécration à Marie faite avec grand esprit de foi et souvent renouvelée avec une fidélité plus grande.
On se rappelle qu'en décembre 1836, le vénérable curé de Notre-Dame des Victoires, à Paris, célébrant la messe à l'autel de la Très Sainte Vierge, le cœur brisé à la pen­sée de l'inutilité de son ministère, entendit ces paroles : « Consacre ta paroisse au très saint et immaculé Cœur de Marie », et, la consécration faite, la paroisse fut trans­formée.
La supplication de Marie pour nous est celle d'une Mère très éclairée, très aimante, très forte, qui,veille incessamment sur tous ses enfants, sur tous les hommes appelés à recevoir les fruits de la Rédemption.
Celui-là en fait l'expérience qui consacre chaque jour à Marie tous ses travaux, ses œuvres spirituelles et tout ce qu'il entreprend. Il retrouve foi et confiance, quand tout paraissait perdu.
Or, si la consécration individuelle d'une âme à Marie lui obtient journellement de grandes grâces de lumière, d'attrait, d'amour et de force, quels ne seraient pas les fruits d'une consécration du genre humain faite au Sau­veur par Marie elle-même, à la demande du Père com­mun des fidèles, du Pasteur suprême ? Quel ne serait pas l'effet de cette consécration ainsi faite, surtout si les croyants des différents peuples s'unissaient, pour en vi­vre, dans une fervente prière souvent renouvelée au moment de la messe ?
Pour obtenir cet acte du Souverain Pontife, il faut qu'un assez grand nombre de fidèles ait compris les le­çons récentes de la Providence ; en d'autres termes; il faut qu'un assez grand nombre ait saisi le sens et la portée de la consécration demandée. Autrement elle ne saurait pro­duire les effets attendus. Dans le plan divin, les épreuves finissent lorsqu'elles ont produit l'effet qu'elles devaient produire, lorsque les âmes en ont profité, comme le pur­gatoire cesse pour les âmes qui sont purifiées.
Comme le disait une sainte religieuse[230] : « Nous ne vivons pas-pour nous, il faut tout voir dans les desseins de Dieu; nos douleurs actuelles - iraient-elles au comble et serions-nous sacrifiés nous-mêmes dans le désastre - achètent et préparent les triomphes futurs et assurés de l'Eglise... L'Eglise va ainsi de lutte en lutte, et de victoire en victoire, l'une succédant à l'autre jusqu'à l'Eternité qui sera le triomphe définitif. » - « Il a fallu que Jésus souffrit et qu'il entrât ainsi dans sa gloire » (Luc, XXIV, 26); il faut que l'Eglise et les âmes passent par le même chemin. L'Eglise ne vit pas seulement un jour; quand les martyrs tombaient comme tombent l'hiver les flocons de neige, n'eût-on pas pu croire que tout était perdu ? Non, leur sang préparait les triomphes de l'avenir. »
Dans la période difficile que nous traversons, l'Eglise a besoin d'âmes très généreuses, vraiment saintes ? C'est Marie, Mère de la divine grâce, Mère très pure, Vierge très prudente et forte, qui doit les former.
De divers côtés, le Seigneur suggère à des âmes inté­rieures, une prière dont la forme varie, mais dont la subs­tance est la même : « En ce temps ou un esprit d'orgueil poussé, jusqu'à l'athéisme cherche à se répandre dans tous les peuples, Seigneur, soyez comme l'âme de mon âme, la vie de ma vie, donnez-moi une intelligence plus profonde du mystère de la Rédemption et de vos saints abaissements, remède de tout orgueil. Donnez-moi le dé­sir sincère de participer, dans la mesure voulue pour moi par la Providence, à ces abaissements salutaires, et faites-­moi trouver dans ce désir la force, la paix et, quand vous le voudrez, la joie, pour relever mon courage et la con­fiance autour de moi. »
Pour entrer ainsi pratiquement dans les profondeurs du mystère de la Rédemption, il faut que Marie, qui y est entrée plus qu'aucune autre créature, au pied de la Croix, nous instruise sans bruit de paroles, et nous découvre dans la lettre de I'Evangile l'esprit dont elle-même a si profondément vécu.
Daigne la Mère du Sauveur, par sa prière, mettre les âmes croyantes des différents peuples sous le rayonne­ment de cette parole du Christ : « La lumière que vous m'avez donnée, ô mon Père, je la leur ai donnée, pour qu'ils soient un comme nous-mêmes nous sommes un » (Jean, XVII, 22).
On peut espérer qu'un jour, lorsque l'heure providen­tielle sera venue, lorsque les âmes seront prêtes, le Pas­teur suprême, ayant égard aux vœux des évêques et des fidèles, voudra consacrer le genre humain au Cœur imma­culé et miséricordieux de Marie, pour qu'elle-même nous présente plus instamment à son Fils et nous obtienne la pacification du monde. Ce serait une affirmation nouvelle de la médiation universelle de la Très Sainte Vierge.
Adressons-nous à elle avec la plus grande confiance; elle a été appelée « l'espérance des désespérés », et, en allant à elle comme à la meilleure des Mères et à la plus éclairée, nous irons à Jésus comme à notre unique et mi­séricordieux Sauveur.




CHAPITRE VII

La prédestination de saint Joseph
et son éminente sainteté

« Qui minor est inter vos, hic major est. »
(Luc, IX, 48.)


On ne peut écrire un livre sur la Sainte Vierge sans parler de la prédestination de saint Joseph, de son émi­nente perfection, du caractère propre de sa mission excep­tionnelle, de ses vertus et de son rôle actuel pour la sanc­tification des âmes.



Sa prééminence sur tout autre saint
de plus en plus-affirmée dans l'Eglise

La doctrine selon laquelle saint Joseph est le plus grand des saints après Marie tend à devenir une doctrine communément reçue dans l'Eglise. Elle ne craint pas de déclarer l'humble charpentier supérieur en grâce et en béatitude aux patriarches, à Moïse, aux plus grands des prophètes, à saint Jean Baptiste, et aussi aux apôtres, à saint Pierre, à saint Jean; à saint Paul, et à plus forte rai­son supérieur en sainteté aux plus grands martyrs et aux plus grands docteurs de l'Eglise. Le plus petit, par la pro­fondeur de son humilité, est, à raison de la connexion des vertus, le plus grand par l'élévation de sa charité : « Qui minor est inter vos, hic major est » (Luc, IX, 48).
Cette doctrine a été enseignée par Gerson[231], par saint Bernardin de Sienne[232]. Elle devient de plus en plus courante à partir du XVI° siècle, elle est admise par sainte Thérèse, par le dominicain Isidore de Isolanis, qui paraît avoir écrit le premier traité sur saint Joseph[233], par saint François de Sales, par Suarez[234], plus tard par saint Alphonse de Liguori[235], plus récemment par Ch. Sau­vé[236], par le cardinal Lépicier[237], par Mgr Sinibaldi[238]; et elle est bien exposée dans le Dictionnaire de Théologie catholique, à l'article Joseph (saint) par M.-A. Michel.
De plus cette doctrine a reçu l'approbation de Léon XIII dans l'Encyclique Quanquam pluries, du 15 août 1899, écrite pour proclamer le patronage de saint Joseph sur l'Eglise universelle. Il y est dit : « Certes la dignité de Mère de Dieu est si haute qu'il ne peut être créé rien au-dessus. Mais, toutefois, comme Joseph a été uni à la bienheureuse Vierge par le lien conjugal, il n'est pas douteux qu'il ait approché, plus que personne, de cette dignité suréminente par laquelle la Mère de Dieu surpasse de si haut toutes les natures créées. L'union conju­gale est en effet la plus grande de toutes; à raison de sa nature même, elle s'accompagne de la communication ré­ciproque des biens des deux époux. Si donc Dieu a donné à la Vierge Joseph comme époux, bien certainement il ne le lui a pas donné seulement comme soutien dans la vie, comme témoin de sa virginité, gardien de son honneur, mais il l'a fait aussi participer par le lien conjugal à l'é­minente dignité qu'elle avait reçue[239]. »
De ce que Léon XIII affirme que saint Joseph approche plus que personne de la dignité suréminente de la Mère de Dieu, s'ensuit-il qu'il est, dans la gloire, au-dessus de tous les anges ? On ne saurait l'affirmer avec certitude; contentons-nous d'exprimer la doctrine de plus en plus reçue dans l'Eglise, en disant : De tous les saints, Joseph est le plus élevé au ciel, après Jésus et Marie ; il est parmi les anges et les archanges.
L'Eglise dans l'oraison A cunctis le nomme immédiate­ment après Marie et avant les apôtres. S'il n'est pas men­tionné dans le canon de la messe, non seulement il a une préface spéciale, mais le mois de mars lui est consacré, comme au protecteur et défenseur de l'Eglise universelle.
A lui, en un sens très réel quoique caché, est particuliè­rement confiée la multitude des chrétiens dans toutes les générations qui se succèdent. C'est ce qu'expriment les belles litanies approuvées par l'Eglise qui résument ses prérogatives : « Saint Joseph, illustre descendant de David, lumière des Patriarches, Epoux de la Mère de Dieu, gardien de sa virginité, père nourricier du Fils de Dieu, vigilant défenseur du Christ, chef de la sainte fa­mille ; Joseph très juste, très chaste, très prudent, très fort, très obéissant, très fidèle, miroir de patience, amant de la pauvreté, modèle des ouvriers, honneur de la vie domestique ; gardien des vierges, soutien des familles, consolation des malheureux, espoir des malades, patron des mourants, terreur des démons, protecteur de la sainte Eglise. » Nul n'est aussi grand après Marie.



=====La raison de cette prééminence=====

Quel est le principe de cette doctrine de plus en plus admise depuis cinq siècles?
Le principe invoqué de façon de plus en plus explicite par saint Bernard, saint Bernardin de Sienne, Isidore de Isolanis, Suarez et les auteurs plus récents, est un prin­cipe aussi simple qu"il est élevé ; il a été formulé par saint Thomas à propos de la plénitude de grâce en Jésus et de la sainteté de Marie. Il s'exprime brièvement ainsi : Une mission divine, exceptionnelle requiert une sainteté proportionnée.
Ce principe explique pourquoi la sainte âme de Jésus, étant unie personnellement au Verbe, à la source de toute grâce, a reçu la plénitude absolue de grâce, qui devait dé­border sur nous, selon la parole de saint Jean (I, 16) « De plenitudine ejus omnes accepimus[240]. »
C'est aussi la raison pour laquelle Marie, appelée à être Mère de Dieu, a reçu dès l'instant de sa conception une plénitude initiale de grâce, qui dépassait déjà la grâce finale de tous les saints réunis. Plus près de la source de toute grâce, elle devait en bénéficier plus qu'au­cune autre créature[241].
C'est encore la raison pour laquelle les Apôtres, plus près de Notre-Seigneur que les saints venus de la suite, ont plus parfaitement connu les mystères de la foi. Pour prêcher infailliblement l'Evangile au monde, ils ont reçu à la Pentecôte une foi très éminente, très éclairée et iné­branlable, principe de leur apostolat[242].
Ce même principe explique encore la prééminence de saint Joseph sur tout autre saint.
Pour le bien entendre, il faut remarquer que les œu­vres de Dieu qui relèvent immédiatement de lui sont parfaites. On ne saurait trouver en elles ni désordre, ni même imperfection.
Il en fut ainsi de l'œuvre divine au jour de la création, depuis les plus hautes hiérarchies angéliques jusqu'aux créatures les plus infimes[243].
Il en est encore ainsi des grands serviteurs de Dieu qu'il se choisit lui-même exceptionnellement et immédia­tement, sans l'intermédiaire d'aucun choix humain, et qui sont suscités par lui pour restaurer l'œuvre divine troublée parle péché. Dans le principe énoncé plus haut tous les mots doivent être pesés : « Une mission divine exceptionnelle requiert une sainteté proportionnée. »
Il ne s'agit pas de mission humaine si haute soit-elle, ni de mission angélique, mais de mission proprement di­vine, et non pas d'une mission divine ordinaire, mais si exceptionnelle, que dans le cas de Joseph elle est unique au monde dans toute la suite, des temps.
On saisit mieux encore la vérité de ce principe aussi simple qu'il est élevé, lorsqu'on considère par contraste, comment se fait souvent le choix humain. Les hommes choisissent souvent, pour les plus hautes fonctions d'un gouvernement difficile, des incapables, des médiocres, des imprévoyants. Cela mène un pays à sa ruine, s'il n'y a pas une salutaire réaction.
In ne saurait se trouver rien de pareil en ceux qui sont immédiatement choisis par Dieu lui-même et préparés par lui pour être ses ministres exceptionnels dans l'œuvre de la rédemption. Le Seigneur leur donne une sainteté pro­portionnée, car il opère tout avec mesure, force et suavité.
Comme la sainte âme de Jésus a reçu dès l'instant de sa conception la plénitude absolue de grâce, qui n'a pas grandi dans la suite; comme Marie, dès l'instant de sa conception immaculée, a reçu une plénitude initiale de grâce qui était déjà supérieure à la grâce finale de tous les saints et qui n'a cessé de grandir jusqu'à sa mort; ainsi, toute proportion gardée, saint Joseph a dit recevoir une plénitude relative de grâce proportionnée à sa mis­sion, puisqu'il fut directement et immédiatement choisi, non par les hommes, par aucune créature, mais par Dieu même et par lui seul pour cette mission unique au monde. On ne saurait préciser à quel moment eut lieu la sanctifi­cation de Joseph, mais ce qu'on est en droit d'affirmer, c'est qu'en raison de sa mission, il fut confirmé en grâce dès son mariage avec la Sainte Vierge[244].



A quel ordre appartient
la mission tout exceptionnelle de Joseph ?

Il est évident qu'elle dépasse l'ordre de la nature, non seulement de la nature humaine, mais de la nature angé­lique. Est-elle seulement de l'ordre de la grâce, comme telle de saint Jean Baptiste, qui prépare les voies du sa­lut, comme la mission universelle des Apôtres dans l'E­glise pour la sanctification des âmes ou la mission parti­culière des fondateurs d'ordres ?
Si l'on y regarde de près, on voit que la mission de saint Joseph dépasse l'ordre même de la grâce, et qu'elle confine par son terme à l'ordre hypostatique constitué par le mystère même de l'incarnation. Mais il faut bien l'entendre, en évitant toute exagération, comme toute di­minution.
A l'ordre hypostatique se termine la mission unique de Marie, la maternité divine, et aussi en un sens la mission cachée de Joseph. Ce point de doctrine est affirmé de plus en plus explicitement par saint Bernard, par saint Bernardin de Sienne, par le dominicain Isidore de Isola­nis, par Suarez et par plusieurs auteurs récents.
Saint Bernard dit de Joseph : « Il est le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a constitué comme le soutien de sa Mère, le père nourricier de sa chair, et le seul coo­pérateur très fidèle sur terre du grand dessein de l'In­carnation[245]. »
Saint Bernardin de Sienne écrit : « Quand Dieu choisit par grâce quelqu'un pour une mission très élevée, il lui accorde tous les dons nécessaires à cette mission. Ce qui s'est vérifié éminemment en saint Joseph, père nourricier de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et époux de Marie...[246]. »
Isidore de Isolanis place de même la vocation de saint Joseph au-dessus de celle des Apôtres; il remarque que celle-ci a pour but de prêcher l'Evangile, d'éclairer les âmes, de les réconcilier, mais que la vocation de Joseph est plus immédiatement relative au Christ lui-même, puisqu'il est l'époux de la Mère de Dieu, le père nourri­cier et le défenseur du Sauveur[247].
Suarez dit aussi : « Certains offices relèvent de l'ordre même de la grâce sanctifiante, et, dans ce genre, les Apô­tres tiennent le degré le plus élevé : aussi ont-ils eu be­soin de plus de secours gratuits que les autres, surtout en ce qui concerne les dons gratuitement donnés et la sa­gesse. Mais il y a d'autres offices qui confinent à l'ordre de l'union hypostatique, en soi plus parfait, ainsi qu'on le voit clairement de la maternité divine en,la bienheu­reuse vierge Marie, et c'est à cet ordre d'offices qu'appar­tient le ministère de saint Joseph[248]. »
Il y a quelques années Mgr Sinibaldi, évêque titulaire de Tibériade, et secrétaire de la Sacrée Congrégation des Etudes, précisait ce point de doctrine. Il remarque que le ministère de Joseph appartient, en un sens, par son terme à l'ordre hypostatique : non pas que Joseph ait intrinsèquement coopéré, comme instrument physique de l'Esprit-Saint à la réalisation du mystère de l'Incarna­tion; de ce point de vue son rôle est très inférieur à celui de Marie, Mère de Dieu; mais enfin il a été prédestiné à être, dans l'ordre des causes morales, le gardien de la virginité et de l'honneur de Marie, en même temps que le père nourricier et le protecteur du Verbe fait chair. « Sa mission appartient par son terme à l'ordre hyposta­tique, non pas par une coopération intrinsèque, physique et immédiate, mais par une coopération extrinsèque, mo­rale et médiate (par Marie) qui est encore pourtant une vraie coopération[249]. »



La prédestination de Joseph
ne fait qu'un avec le décret même de l'Incarnation

Ce que nous venons de dire apparaît plus clairement encore si l'on considère que le décret éternel de l'Incarnation ne porte pas seulement sur l'Incarnation en géné­ral, abstraction faite des circonstances de temps et de lieu, mais sur l'Incarnation hic et nunc, c'est-à-dire sur l'incarnation du Fils de Dieu, qui, en vertu de l'opération du Saint-Esprit, doit être conçu à tel instant par la Vierge Marie, unie à un homme de la maison de David nommé Joseph : « Missus est angelus Gabriel a Deo in civitate Galilææ ? cui nomen Nazareth, ad virginem desponsatam viro, cui nomen erat Joseph, de domo David » (Luc, I, 26-27).
Tout porte donc à penser que Joseph a été prédestiné à être le père nourricier du Verbe fait chair avant d'être prédestiné à la gloire. La raison en est que la prédestina­tion du Christ comme homme à la filiation divine natu­relle, est antérieure à celle de tout homme élu, car le Christ est le premier des prédestinés[250]. Or la prédestination du Christ à la filiation divine naturelle n'est autre que le décret même de l'Incarnation, lequel porte sur l'Incarna­tion à réaliser hic et nunc. Ce décret implique par là-­même la prédestination de Marie à la maternité divine, et celle de Joseph à être le père nourricier et le protec­teur du Fils de Dieu fait homme.
Comme la prédestination du Christ à la filiation divine naturelle est supérieure à sa prédestination à la gloire et la précède, ainsi que l'admettent les thomistes (in IIIam, q. 24, a. 1 et 2); et comme la prédestination de Marie à la maternité divine précède (in signo priori) sa prédesti­nation à la gloire, nous l'avons vu au début de cet ouvrage; de même la prédestination de Joseph a être le père nourricier du Verbe fait chair précède pour lui celle à la gloire et à la grâce. En d'autres termes il a été pré­destiné au plus haut degré de gloire après Marie, et ensuite au plus haut degré de grâce et de charité, parce qu'il était appelé à être le digne père nourricier et protec­teur de l'Homme-Dieu.
On voit par là-même l'élévation de sa mission unique au monde, puisque sa prédestination première ne fait qu'un avec le décret même de l'Incarnation. C'est ce qu'on dit couramment lorsqu'on affirme que Joseph a été créé et mis au monde pour être le père nourricier du Verbe fait chair, et pour qu'il fût ce digne père, Dieu a voulu pour lui un très haut degré de gloire et de grâce.



=====Le caractère propre de la mission de Joseph=====

Ce point est admirablement mis en lumière par Bos­suet dans le premier panégyrique de ce grand saint (3° point), lorsqu'il nous dit : « Entre toutes les vocations, j'en remarque deux, dans les Écritures, qui semblent directement opposées : la première, celle des apôtres, la seconde, celle de Joseph. Jésus est révélé aux apôtres, pour l'annoncer par tout l'univers; il est révélé â Joseph pour le taire et pour le cacher. Les apôtres sont des lu­mières, pour faire voir Jésus-Christ au monde. Joseph est un voile pour le couvrir; et sous ce voile mystérieux on nous cache la virginité de Marie et la grandeur du Sau­veur des âmes... Celui qui glorifie les apôtres par l'hon­neur de la prédication, glorifie Joseph par l'humilité du silence. » L'heure de la manifestation du mystère de l'In­carnation n'est pas encore venue; cette heure doit être préparée par trente ans de vie cachée.
La perfection consiste à faire ce que Dieu veut, chacun selon sa vocation; mais dans le silence et l'obscurité la vocation de Joseph dépasse celle des apôtres, parce qu'elle touche de plus près au mystère de l'Incarnation rédemp­trice. Joseph après Marie fut rapprochée plus que per­sonne de l'auteur de la grâce, et dans le silence de Beth­léem, pendant le séjour en Egypte et dans la petite maison de Nazareth, il reçut plus de grâces que n'en recevra jamais aucun saint.
Sa mission fut double.
Par rapport à Marie, il préserva sa virginité en contrac­tant avec elle un véritable mariage, mais absolument saint. L'ange du Seigneur lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains point de prendre avec toi Marie, ton épouse; car ce qui est formé en elle est l'ouvrage du Saint-Esprit » (Matth., I, 20; item, Luc, II, 5). Marie est bien son épouse, C'est un véritable mariage, comme l'explique saint Tho­mas (IIIa, q. 29, a. 2) en en montrant les convenances aucun soupçon ne devait effleurer, si léger fût-il, l'hon­neur du Fils et celui de la Mère; si jamais cet honneur était en cause, Joseph, le témoin le plus autorisé et le moins suspect, serait là pour en attester l'intégrité. De plus, Marie trouvait en Joseph aide et protection. Il l'a aimée de l'amour le plus pur, le plus dévoué, d'un amour théologal, car il l'aimait en Dieu et pour Dieu. C'était l'union sans tache la plus respectueuse avec la créature la plus parfaite qui fut jamais, dans le cadre le plus simple, celui d'un pauvre artisan de village. Joseph a ainsi appro­ché plus intimement qu'aucun saint de celle qui est la Mère de Dieu et la Mère spirituelle de tous les hommes, de lui-même Joseph, et la distributrice de toutes les grâ­ces. La beauté de tout l'univers n'était rien à côté de la sublime union de ces deux âmes, union créée par le Très­-Haut, qui ravissait les anges et réjouissait le Seigneur lui-même.
Par rapport au Verbe fait chair, Joseph a veillé sur lui, il l'a protégé, il a contribué à son éducation humaine. On l'appelle son père nourricier, ou encore père adoptif, mais ces noms ne sauraient exprimer pleinement cette relation mystérieuse et pleine de grâce. C'est accidentel­lement qu'un homme devient le père adoptif ou le père nourricier d'un enfant, tandis que ce n'est pas accidentellement que Joseph est devenu le père nourricier du Verbe fait chair; il a été créé et mis au monde pour cela; c'est l'objet premier de sa prédestination et la raison de toutes les grâces qu'il a reçues. Bossuet l'exprime admi­rablement[251] : « Quand la nature ne le donne pas elle­-même, où aller prendre un cœur paternel ? En un mot, saint Joseph n'étant pas père, comment aura-t-il un cœur de père pour Jésus ? C'est ici qu'il nous faut entendre que la puissance divine agit en cette œuvre. C'est par un effet de cette puissance que Joseph a un cœur de père, et si la nature ne le donne pas, Dieu lui en fait un de sa propre main. Car c'est de lui dont il est écrit qu'il tourne où il lui plaît les inclinations... il fait un cœur de chair dans les uns, quand il les amollit par la charité... Ne fait-il-pas dans tous les fidèles, non un cœur d'esclave, mais un cœur d'enfant, quand il envoie en eux l'Esprit de son Fils ? Les apôtres tremblaient au moindre péril, mais Dieu leur fait un cœur tout nouveau et leur courage de­vient invincible... C'est donc cette même main qui fait un cœur de père en Joseph et un cœur de fils en Jésus. C'est pourquoi Jésus obéit et Joseph ne craint pas de lui commander. Et d'où lui vient cette hardiesse de com­mander à son Créateur ? C'est que le vrai Père de Jésus­Christ, ce Dieu qui l'engendre de toute éternité, ayant choisi le divin Joseph pour servir de père au milieu des temps à son Fils unique, a fait en quelque sorte couler en son sein quelque rayon ou quelque étincelle de cet amour infini qu'il a pour son Fils ; c'est ce qui lui change le cœur, c'est ce qui lui donne un amour de père ; si bien que le juste Joseph qui sent en lui-même un cœur pater­nel, formé tout à coup par la main de Dieu, sent aussi que Dieu lui ordonne d'user d'une autorité paternelle, et il ose bien commander à celui qu'il reconnaît pour son maître. » C'est dire équivalemment que Joseph a été prédestiné d'abord à « servir de père au Sauveur qui n'en pouvait avoir ici-bas », et ensuite à tous les dons qui lui ont été accordés pour qu'il fùt ce digne protecteur du Verbe fait chair[252].
Après cela est-il besoin de dire avec quelle fidélité Joseph a gardé le triple dépôt qui lui avait été confié : la virginité de Marie, la personne de Jésus-Christ et le secret du Père éternel, celui de l'incarnation de son Fils, secret à garder jusqu'à ce que l'heure soit venue de la manifestation de ce mystère[253].
Sa Sainteté Pie XI, en un discours prononcé dans la salle consistoriale le jour de la fête de saint Joseph, 19 mars 1928, disait, après avoir parlé de la mission de Jean Baptiste et de celle de saint Pierre : « Entre ces deux missions, apparaît. celle de saint Joseph, mission recueillie, tacite, presque inaperçue, inconnue, qui ne devait s'illuminer que quelques siècles plus tard; un silence auquel devait succéder sans doute, mais bien longtemps après, un retentissant chant de gloire. Et de fait, là où est plus profond le mystère, plus épaisse la nuit qui le recouvre, plus grand le silence, c'est juste­ment là qu'est la plus haute mission, plus brillant le cor­tège des vertus requises et des mérites appelés, par une heureuse nécessité, à leur faire écho. Mission unique, très haute, celle de garder le Fils de Dieu, le Roi du monde, la mission de garder la virginité, la sainteté de Marie, la mission unique d'entrer en participation du grand mystère caché aux yeux des siècles et de coopérer ainsi à l'Incarnation et à la Rédemption ! » - C'est dire équivalemment que c'est en vue de cette mission unique que la Providence a accordé à Joseph toutes les grâces qu'il a reçues; en d'autres termes : Joseph a été prédes­tiné d'abord à servir de père au Sauveur, puis à la gloire et à la grâce qui convenaient à une si exceptionnelle voca­tion.



=====Les vertus et des dons de saint Joseph=====

Ce sont surtout les vertus de la vie cachée, à un degré proportionné à celui de la grâce sanctifiante : la virgi­nité, l'humilité, la pauvreté, la patience, la prudence, la fidélité, qui ne peut être ébranlée par aucun péril, la sim­plicité, la foi éclairée par les dons du Saint-Esprit, la con­fiance en Dieu et la parfaite charité. Il a gardé le dépôt qui lui était confié avec une fidélité proportionnée au prix de ce trésor inestimable. Il a compris le précepte : Depo­situm custodi.
Sur ces vertus de la vie cachée, Bossuet fait cette remar­que générale[254] : « C'est un vice ordinaire aux hommes de se donner entièrement au dehors et de négliger le de­dans; de travailler à la montre et à l'apparence, et de mépriser l'effectif et le solide; de songer souvent quels ils paraissent, et de ne point penser quels ils doivent être. C'est pourquoi les vertus qui sont estimées, ce sont cel­les qui se mêlent d'affaires, et qui entrent dans le commerce des hommes; au contraire, les vertus cachées et intérieures, où le public n'a point de part, où tout se passe entre Dieu et l'homme, non seulement ne sont pas suivies, mais ne sont même pas entendues. Et toutefôis, c'est dans ce secret que consiste tout le mystère de la vertu véritable... Il faut composer un homme en lui-même, avant que de méditer quel rang on lui donnera parmi les autres; et si l'on ne travaille sur ce fonds, toutes les autres vertus, si éclatantes qu'elles puissent être, ne seront que des vertus de parade..., elles ne font pas l'homme selon le cœur de Dieu. - Au contraire, Joseph, homme simple, a cherché Dieu; Joseph, homme détaché, a trouvé Dieu ; Joseph, homme retiré, a joui de Dieu. »
L'humilité de Joseph dut être confirmée par la pensée de la gratuité de sa vocation exceptionnelle. Il dut se dire : pourquoi le Très-Haut m'a-t-il donné son Fils uni­que à garder à moi Joseph plutôt qu'à tel ou tel autre homme de Judée, de Galilée, ou d'une autre région et d'un autre siècle ? C'est là uniquement le bon plaisir de Dieu, bon plaisir qui est à lui-même sa raison, et par lequel Joseph a été librement préféré, choisi, prédestiné de toute éternité plutôt que tel ou tel autre homme, au­quel le Seigneur aurait pu accorder les mêmes dons et une même fidélité pour le préparer à cette exceptionnelle mission. Nous voyons en cette prédestination un reflet de la gratuité de la prédestination du Christ et de celle de Marie.
La connaissance du prix de cette grâce et de sa gratuité absolue, loin de nuire à l'humilité de Joseph, l'a confir­mée. Il a pensé en son cœur : « Qu'as-tu que tu ne l'aies reçu ? ».
Joseph apparaît comme le plus humble de tous les saints après Marie, plus humble qu'aucun des anges; et, s'il est le plus humble, il est par là même le plus grand de tous, car les vertus étant connexes, la profondeur de l'humilité est proportionnée à l'élévation de la charité, comme la racine de l'arbre est d'autant plus profonde qu'il est plus haut : « Celui d'entre vous tous qui est le plus petit, dit Jésus, c'est celui-là qui est le plus grand » (Luc, IX, 48).
Comme le remarque encore Bossuet : « Possédant le plus, grand trésor, par une grâce extraordinaire du Père éternel, Joseph, bien loin de se vanter de ses dons ou de faire connaître ses avantages, se cache autant qu'il peut aux yeux des mortels, jouissant paisiblement avec Dieu du mystère qui lui est révélé, et des richesses infinies qu'il met en sa garde[255]. » - « Joseph a dans sa maison de quoi attirer les yeux de toute la terre, et le monde ne le connaît pas; il possède un Dieu-Homme, et il n'en dit mot; il est témoin, d'un si grand mystère, et il le goûte en secret sans le divulguer[256]. »
Sa foi est inébranlable malgré l'obscurité du mystère inattendu. La parole de Dieu transmise par l'ange fait la lumière sur la conception virginale du Sauveur : Joseph aurait pu hésiter à croire une chose si extraordinaire; il y croit fermement dans la simplicité de son cœur. Par sa simplicité et son humilité, il entre dans les hauteurs de Dieu.
L'obscurité ne tarde pas à reparaître : Joseph, était pauvre avant d'avoir reçu le secret du Très-Haut; il de­vient plus pauvre encore, remarque Bossuet, lorsque Jésus vient au monde, car il vient avec son dénuement et détache de tout pour unir à Dieu. Il n'y à point de place pour le Sauveur dans la dernière des auberges de Bethléem. Joseph doit souffrir de n'avoir rien à donner à Marie et à son Fils.
Sa confiance en Dieu se manifeste dans l'épreuve, car la persécution commence peu après la naissance de Jésus. Hérode cherche à le faire mourir. Le chef de la sainte Famille doit cacher Notre-Seigneur, partir pour un pays lointain, où nul ne le connaît et où il ne sait pas comment il pourra gagner sa vie. Il part, mettant toute sa confiance en la Providence.
Son amour de Dieu et des âmes ne cesse de grandir dans la vie cachée de Nazareth, sous l'influence constante du Verbe fait chair, foyer de grâces toujours nouvelles et toujours plus hautes pour les âmes dociles qui ne met­tent pas d'obstacle à ce qu'il veut leur donner. Nous avons dit plus haut, à propos du progrès spirituel en Marie, que l'ascension de ces âmes est uniformément accélérée, c'est-à-dire qu'elles se portent d'autant plus vite vers Dieu qu'elles se rapprochent de lui et qu'elles sont plus attirées par lui. Cette loi de la gravitation spi­rituelle des âmes justes se réalisa en Joseph; la charité ne cessa de s'accroître en lui, toujours plus prompte­ment jusqu'à sa mort; le progrès de ses dernières années fut beaucoup plus rapide que celui des premières années, car se trouvant plus près de Dieu, il était plus fortement attiré par lui.
Avec les vertus théologales grandirent aussi incessam­ment en lui les sept dons du Saint-Esprit, qui sont con­nexes avec la charité. Ceux d'intelligence et de sagesse rendaient sa foi vive de plus en plus pénétrante et savou­reuse. En des formes extrêmement simples, mais très éle­vées, sa contemplation se portait vers l'infinie bonté du Très-Haut. Ce fut, en sa simplicité, la contemplation sur­naturelle la plus haute après celle de Marie.
Cette contemplation aimante lui était très douce, mais elle lui demandait la plus parfaite abnégation et le plus douloureux sacrifice, lorsqu'il se rappelait les paroles du vieillard Siméon : « Cet enfant sera un signe en butte à la contradiction », et celles dites à Marie : « Et vous, un glaive transpercera votre âme. » L'acceptation du mystère de la Rédemption par la souffrance apparaissait à Joseph comme la consommation douloureuse du mystère de l'In­carnation, et il avait besoin de toute la générosité de son amour pour offrir à Dieu, en sacrifice suprême, l'Enfant Jésus et sa sainte Mère, qu'il aimait incomparablement plus que sa propre vie.
La mort de saint Joseph fut une mort privilégiée ; comme celle de la Sainte Vierge, elle fut, dit saint Fran­çois de Sales, une mort d'amour[257]. Il admet aussi avec Suarez que Joseph aurait été parmi les saints qui, selon saint Matthieu (XXVII, 52 ss.), ressuscitèrent après la ré­surrection du Seigneur et se manifestèrent dans la ville de Jérusalem; il tient que ces résurrections ont été défi­nitives et que Joseph est entré au ciel corps et âme. Saint Thomas est beaucoup plus réservé sur ce point : après avoir admis que les résurrections qui ont suivi celle de Jésus étaient définitives (in Matth., XXVII, 52, et IV Sent., l. IV, dist. 42, q. l, a. 3), plus tard, examinant les raisons inverses données par saint Augustin, il trouve celles-ci beaucoup plus solides (cf. IIIa, q. 53, a. 3, ad 2).



Le rôle actuel de Joseph
pour la sanctification des âmes

Autant l'humble charpentier a eu une vie cachée sur la terre, autant il est glorifié dans le ciel. Celui à qui le Verbe fait chair a été « soumis » ici-bas, conserve au ciel une puissance d'intercession incomparable.
Léon XIII, dans l'encyclique Quamquam pluries, trouve dans la mission de saint Joseph à l'égard de la sainte Famille « les raisons pour lesquelles il est patron et pro­tecteur de l'Eglise universelle... De même que Marie, Mère du Sauveur, est Mère spirituelle de tous les chré­tiens... Joseph regarde comme lui étant confiée la multi­tude des chrétiens... Il est défenseur de la sainte Eglise, qui est vraiment la maison du Seigneur et le royaume de Dieu sur la terre. »
Ce qui frappe en ce rôle actuel de Joseph jusqu'à la fin des temps, c'est qu'il unit admirablement les préroga­tives en apparence les plus opposées.
Son influence est universelle sur toute l'Eglise qu'il protège, et pourtant, à l'exemple de la Providence, elle s'étend aux moindres détails; « modèle des ouvriers », il s'intéresse à chacun de ceux qui l'implorent. Il est le plus universel des saints par son influence et il fait trou­ver à un pauvre la paire de chaussures dont il a besoin.
Son action est évidemment surtout d'ordre spirituel, mais elle s'étend aussi aux choses temporelles; il est « le soutien des familles, des communautés, la consolation dès malheureux, l'espoir des malades ».
Il veille sur les chrétiens, de toutes conditions, de tous pays, sur les pères de famille, les époux, comme sur les vierges consacrées; sur les riches, pour leur inspirer une charitable distribution de leurs biens, comme sur les pauvres pour les secourir.
Il est attentif aux plus grands pécheurs et aux âmes les plus avancées. Il est le patron de la bonne mort, celui des causes désespérées, il est terrible au démon qui sem­ble triompher, et il est aussi, dit sainte Thérèse, le guide des âmes intérieures dans les voies de l'oraison.
Il y a dans son influence un reflet merveilleux de « la divine Sagesse qui atteint avec force d'une extrémité du monde à l'autre et dispose tout avec douceur » (Sagesse, VIII, 1).
La splendeur de Dieu a été et demeure éternellement sur lui; la grâce n'a cessé de fructifier en lui et il veut y faire participer tous ceux qui aspirent vraiment « à la vie cachée en Dieu avec le Christ » (Col., III, 3).



APPENDICE

La Sainte Vierge et la France



Nous achèverons cet ouvrage en rappelant les prin­cipales bénédictions que la France a reçues de la Mère de Dieu.
Après les années si douloureuses que nous venons de traverser de 1939 à 1945, pour retrouver la vitalité et les énergies nécessaires au relèvement intellectuel, mo­ral et spirituel de notre patrie, nous avons grandement besoin du secours de Dieu; nous l'obtiendrons par l'in­tercession de Marie; en nous rappelant ce qu'elle a fait pour la France au cours de notre histoire, lorsque tout paraissait perdu. Rappelons d'abord les centres de prière de notre patrie.



Les sanctuaires anciens et nouveaux
de Notre-Dame

Depuis, le haut moyen âge, l'ancienne France était cons­tellée de sanctuaires de la Sainte Vierge. Il suffit de rap­peler les principaux : Notre-Dame de Paris, commencée au début du VI° siècle, continuée sous saint Louis; Notre-­Dame de Chartres, plus ancienne encore; Notre-Dame de Rocamadour, où allèrent prier Blanche de Castille et saint Dominique; Notre-Dame du Puy, que visita saint, Louis; Notre-Dame de la Garde à Marseille; Notre-Dame de Fourvière à Lyon; beaucoup de sanctuaires connus sous le nom de Notre-Dame du Bon Secours, Notre-Dame de Pitié, Notre-Dame de la Délivrande, Notre-Dame de Recouvrance, Notre-Dame de Toutes-Aides. Que de miracles et de grâces accordés au cours des siècles en ces lieux de pèlerinages !
Les sanctuaires plus récents de Notre-Dame du Laus, dans les Alpes, de Notre-Dame de la Salette, Notre-Dame de Lourdes, Notre-Dame de Pontmain, Notre-Dame de Pellevoisin, et combien d'autres, nous disent que la béné­diction de Marie est toujours sur nous. Récemment, qua­rante-trois paroisses, quarante-trois nouvelles Notre-­Dame ont été construites autour de Paris.
C'est elle aussi qui a inspiré autrefois sainte Geneviève; patronne de Paris, et Jeanne d'Arc, la sainte de la patrie.
Aux moments les plus difficiles, elle a suscité des Ordres religieux, comme celui de Cîteaux, illustré par saint Bernard; celui de saint Dominique, fondé à Tou­louse; elle a donné au Carmel de France une admirable vitalité, ainsi qu'à beaucoup de congrégations religieuses fondées avant ou après la tourmente révolutionnaire, et qui souvent portent son nom.
Comme le rappelait Pie XI, en proclamant en 1922 Notre-Dame de l'Assomption patronne principale de notre patrie, la France a été justement appelée « le royaume de Marie », car elle lui fut consacrée par Louis XIII, qui ordonna que chaque année des fonctions solennelles se fassent le 15 août en la fête de l'Assomp­tion. Dans le même discours, Pie XI rappelait que trente-­cinq de nos églises cathédrales sont placées sous le voca­ble de Notre-Dame; il évoquait, comme une réponse du ciel à la piété française, les apparitions et les miracles de Marie sur notre sol et saluait en Clovis et plusieurs de nos rois les défenseurs et les promoteurs de cette dévo­tion à la Mère de Dieu.
Dans un livre récent, La Vierge Marie dans l'histoire de France, 1939, écrit par M. A.-L. de la Franquerie, on trouve l'exposé des interventions multipliées de la Sainte Vierge pour le salut de notre patrie. Comme le dit dans la préface de ce livre S. Em. le cardinal Baudrillart : « On tourne les pages de cet ouvrage, on s'étonne, on se demande : est-ce possible ? Et puis le regard descend au bas de ces pages, vers d'abondantes références, vers des lectures innombrables, vers les sources, vers une érudition de première main... Nous devons aussi à M. de la Franquerie un étonnant tableau, à travers les âges, un éclatant et merveilleux bouquet des vertus religieuses et de la piété mariale en France... C'est le flux et le reflux incessant, un mouvement entraînant l'autre, de la nation qui invoque et du ciel qui exauce. Vision d'espérance pour le présent et pour l'avenir »
Nous rappellerons les principaux documents recueillis par M. de la Franquerie, ceux relatifs aux grandes pério­des de notre histoire, pour souligner les principales inter­ventions de la Sainte Vierge en notre faveur.



De Clovis et de saint Remi
jusqu'à la mort de Jeanne d'Arc

Ce que nous savons du sanctuaire de Ferrières dans le Sénonais, que visita Clovis, à la reconstruction duquel il contribua, et où venait prier sainte Clotilde, montre assez clairement l'action de Marie dans la conversion de Clo­vis et l'établissement de la royauté chrétienne[258]. Les paroles de saint Remi qui nous ont été conservées et qu'explique son testament sont bien connues : « Le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l'Eglise romaine qui est la seule véritable Église du Christ... Il sera victorieux et prospère tant qu'il sera fidèle à la foi romaine. Mais il sera rudement châtié tou­tes les fois qu'il sera infidèle à sa vocation[259]. » Cette prophétie s'est incessamment réalisée.
De tous les rois de France, le plus fidèle à cette voca­tion fut incontestablement saint Louis, qui eut pour la Sainte Vierge la plus grande dévotion, comme le mon­trent les églises qu'il fit construire en son honneur (cf. op. cit., pp. 63-75). Il venait souvent prier Marie à Notre­-Dame de Paris et quand il, eut construit la Sainte-Cha­pelle, attenante à son palais, pour y recevoir les précieu­ses reliques de la Passion du Sauveur, sa piété ne sépa­rant pas la Mère du Fils, il tint à ce que la crypte de la chapelle soit dédiée à la Sainte Vierge. Avant sa première croisade, il vint s'agenouiller à Notre-Dame de Pontoise devant l'image miraculeuse pour lui consacrer le sort de la France, de son armée et de sa personne (p. 70). Au cours de la croisade, au milieu des pires dangers, le calme ne l'abandonna jamais. C'est au prestige de sa sainteté qu'il dut aussi l'universelle influence qu'il exerça sur ses contemporains et put mener à bien les réformes fondamentales qu'il imposa. Pendant la dernière croisade, à laquelle il prit part, il mourut de la peste à Tunis, le samedi 25 août 1270, en manifestant une dernière fois sa piété pour la Mère de Dieu (p. 74).
Son fils, Philippe III le Hardi, se montre son digne héritier. Mais dans la suite les fautes de Philippe le Bel à l'égard du pape Boniface VIII sont châtiées comme l'a­vait annoncé saint Remi. Ses trois fils lui succèdent sur le trône sans laisser d'héritier. La couronne passe à la branche des Valois et la guerre de Cent ans commence du fait que le roi d'Angleterre refuse de reconnaître la loi salique qui régit l'ordre de succession au trône de France (op. cit., pp. 77-79).
Pendant toute cette période, les Valois règnent, con­naissant le plus souvent la défaite malgré leur incontes­table courage, et ne cessant d'invoquer le secours de Marie, jusqu'au jour où, les fautes enfin expiées, la Reine du ciel interviendra par Jeanne d'Arc pour maintenir inviolée la loi salique et sauver la France du joug de l'Angleterre, qui aurait pu nous entraîner dans l'héré­sie, car elle passa au protestantisme au siècle suivant.
Sous Philippe VI de Valois et sous Jean le Bon, les désastres vont s'amplifiant, c'est la déroute de Crécy, puis celle de Poitiers. Le roi Jean est fait prisonnier. Le peu­ple se jette aux pieds de Marie. Humainement, la France est perdue; en 1360, elle est presque réduite à l'état de province anglaise. La situation est désespérée, Marie y pourvoit. L'armée anglaise se dispose à mettre le siège devant Chartres, lorsqu'un ouragan des plus violents ne lui permet pas d'avancer. Le roi d'Angleterre voit dans ce fléau l'intervention de Notre-Dame de Chartres et fait la paix, qui ne dure guère.
Sous Charles V le Sage, qui a une foi profonde et une grande piété envers Marie, Bertrand du Guesclin et Oli­vier de Clisson réorganisent l'armée et libèrent une grande partie du territoire du joug anglais.
Mais le règne de Charles VI est marqué par l'invasion anglaise, la trahison de la reine, Isabeau de Bavière, et celle du duc de Bourgogne, la guerre civile, la famine; la folie du roi met le comble au désarroi général. Finale­ment, le roi meurt en 1422. La situation paraît désespérée.
Le peuple supplie la Sainte Vierge de venir au secours, et Charles VII n'a plus d'autre espoir. C'est le moment où Jeanne d'Arc vient nous sauver de l'invasion anglaise : « Je suis venue au roi de France de par la bienheureuse Vierge Marie ! » dira-t-elle à ses juges; et de fait il n'est pas de grand événement de la vie de la Pucelle auquel Marie ne soit mêlée. Sur son étendard, deux noms sont inscrits : « Jhésus-Maria ! » A Orléans, c'est après avoir prié Marie, près de la chapelle de Notre-Dame des Aides, que Jeanne remporte sur les Anglais la grande victoire qui sauve la France. Aussitôt après, elle fait chanter le Te Deum dans l'église de Notre-Dame des Miracles. Elle renouvelle le pacte conclu à Tolbiac ; elle demande son royaume à Charles VII, qui le lui donne; elle-même l'of­fre à Jésus-Christ, qui par elle le remet au roi (cf. op. cit., p. 100). Ce pacte proclame la royauté universelle du Christ sur le monde et particulièrement sur notre patrie.
Mais après le sacre du roi à Reims, le reste de la mis­sion de Jeanne d'Arc : l'achèvement de la délivrance de la France et la reconnaissance de la royauté du Christ, ne pouvait s'accomplir que par son martyre, qui est le point culminant de la vie de Jeanne et la preuve de la sainteté de sa mission scellée par son sang. Après la déli­vrance du territoire, Charles VII tient à venir faire hom­mage de ses victoires à Notre-Dame du Puy, au pied de laquelle il était venu si souvent prier au temps de ses malheurs. Jeanne d'Arc avait catégoriquement affirmé que, « nonobstant sa mort, tout ce pourquoi elle était venue s'accomplirait » (op. cit., p. 107).



Depuis la mort de Jeanne d'Arc
jusqu'aux martyrs de la Révolution

Louis XI réunit à la Couronne : le Berry, la Norman­die, la Guyenne, la Bourgogne, l'Anjou, le Maine et la Provence. Malheureusement, il commet un abus de pou­voir doublé d'un crime, il participe au meurtre du prince évêque de Liège. Saint François de Paule annonce alors au roi qu'il a un an pour expier son crime. Louis XI, pen­dant cette année, se livre à une rude pénitence, fait construire une chapelle réparatrice et meurt le jour annoncé. Son crime était pardonné, mais l'expiation devait suivre sa descendance fut rejetée : son fils Charles VIII n'eut pas d'héritier salique et le trône passa à son cousin Louis XII. Saint Remi avait écrit dans son testament, au sujet du roi infidèle à sa vocation : « Que ses jours soient abrégés et qu'un autre reçoive la royauté » (op. cit., p. 115). C'est la seconde fois que cette prophétie se réa­lise, elle se réalisera encore et prochainement.
Louis XII témoigne sa reconnaissance à Marie pour plusieurs faveurs qu'il avait reçues. François Ier fait de même après l'éclatante victoire de Marignan, il construit à Milan une église en l'honneur de la Mère de Dieu. Mais la protection divine l'abandonne quand il favorise la renaissance païenne, pactise avec les protestants, érige en dogme le droit à l'erreur. Il est fait prisonnier à Pavie (1525). Il se repent, offre une réparation à la Sainte Vierge en trois églises, de Bayonne, du Puy, de Paris; mais il retombe dans ses erreurs et de nouveau la protection divine lui fait défaut, la prophétie de saint Remi se réa­lise une fois de plus : coup sur coup, six sur sept de ses enfants meurent, et le pays est mûr pour les guerres de religion.
La situation s'aggrave avec Catherine de Médicis. Les protestants ne tardent pas à ravager la France, à incen­dier et détruire les églises, les monastères, mais ils ont compté sans Marie; c'est à la dévotion de la France à la Sainte Vierge que le protestantisme doit sa défaite. L'un des premiers attentats des Huguenots avait été une sacri­lège profanation d'une statue de la Sainte Vierge. Par contre, le traité de Péronne, qui organise la Ligue, est confié à Celle qui triompha toujours de l'hérésie. Sous son influence, l'âme de la France se réveille. Les princes de la maison royale sont les premiers à s'inscrire. Cha­que ligueur s'engage par serment : « A maintenir la dou­ble et inséparable unité catholique et monarchique du saint royaume de France telle qu'elle fut fondée mira­culeusement au baptistère de Reims, par saint Remi; telle qu'elle fut restaurée miraculeusement par Jeanne d'Arc; telle qu'elle est inscrite dans la loi salique.
« A faire dans ce but le sacrifice de leurs biens et de leur vie... »
Finalement, après bien des luttes, c'est aux pieds de Notre-Dame que vient échouer l'hérésie par la conversion d'Henri IV, qui revient au catholicisme, et par son sacre à Notre-Dame de Chartres (op. cit., p. 130).
Avec son premier ministre Sully, il restaure complète­ment le royaume, réduit les impôts, réorganise l'agriculture, relève le commerce et l'industrie, favorise les entre­prises coloniales, et grâce à son appui, Champlain fonde Québec. A la fin de son règne la France était redevenue le pays le plus riche, le plus prospère, le plus peuplé.



Après Henri IV, Louis XIII, le juste, modèle du roi très chrétien, consacre la France à Marie. Ayant appris la ferveur avec laquelle on récitait le Rosaire à Paris dans l'église des Frères Prêcheurs tous les samedis pour le royaume, il fait pratiquer la même dévotion dans son armée, pour triompher des protestants.
La victoire sur les Calvinistes soutenus par l'Angle­terre est si éclatante que l'Université de Paris, le 1er no­vembre 1628, déclare : « Nous attestons hautement que la plus grande partie de notre France infectée par la peste de l'hérésie a été assainie par le Rosaire de saint Dominique » (cf. op. cit., p. 144).
Louis XIII, ayant été ainsi exaucé, fonda Notre-Dame des Victoires, le 9 décembre 1629.
Le 5 septembre 1638, la naissance de Louis XIV est l'occasion déterminante de l'acte officiel par lequel Louis XIII consacre la France à la Sainte Vierge et ins­titue la procession solennelle du 15 août.
Le règne même de Louis XIII s'achève dans la gloire et une pléiade de saints est donnée à la France : saint François de Sales, sainte Jeanne de Chantal, saint Vin­cent de Paul, sainte Louise de Marillac, saint Jean Eudes. Tout le renouveau chrétien du XVIIe siècle, comme le grand siècle lui-même, sont issus directement du règne de Louis le Juste et de son acte de consécration de la France à Marie.
L'auteur de l'ouvrage que nous résumons conclut (p. 166) : « En consacrant la France à la Sainte Vierge, Louis XIII donnait à la Reine du ciel un droit de pro­priété total et irrévocable sur notre pays, et Marie ne peut pas abandonner définitivement au pouvoir de Satan ce qui lui appartient spécialement, sans encourir du même coup une diminution définitive de sa toute-puis­sance d'intercession, de sa souveraineté et de sa royauté, ce qui est une impossibilité. »
Louis XIV vint à Chartres le 25 août 1643, dès le début de son règne, pour le placer sous la protection de Marie; il renouvela cette consécration chaque année et, même au temps de ses erreurs, il conserva une réelle dévotion à la Mère de Dieu; c'est ainsi qu'il s'imposa l'obligation de réciter quotidiennement le chapelet. Comme le mon­tre Mgr Prunel dans son livre, La Renaissance catholique en France au XVIIe siècle, l'épiscopat eut dans son ensem­ble une vie profondément digne et apostolique, il prit pour modèle saint François de Sales. Les Ordres reli­gieux furent réformés : bénédictins, cisterciens, augus­tins, dominicains, rivalisent d'ardeur pour refaire une France nouvelle. Saint Francois de Sales et sainte Chan­tal fondent la Visitation; les carmélites sont introduites en France par Mme Acarie; le cardinal de Bérulle institue l'Oratoire, saint Jean Eudes la congrégation des Eudistes, saint Vincent de Paul les Prêtres de la Mission et les Fil­les de la Charité. M. Olier établit le séminaire de Saint­-Sulpice et peu à peu s'organise un séminaire en chaque diocèse. A la fin du règne de Louis XIV, le Bx de Montfort, fondateur de la Compagnie de Marie et des Sœurs de la Sagesse, évangélise le Poitou, l'Anjou, la Vendée, et en ces contrées inculque aux âmes une profonde dévotion au Sacré-Coeur et à Marie, qui les protégera contre les habiletés des philosophes du XVIIIe siècle et contre l'impiété révolutionnaire, d'où l'héroïsme de ces populations pendant les guerres de Vendée sous la Terreur.
Le tableau de la renaissance catholique en France au XVIIe siècle serait incomplet si l'on ne parlait pas de l'évangélisation du Canada par les religieux et les reli­gieuses françaises, qui de Québec rayonnent dans toutes ces régions; c'est ainsi qu'en 1642 commence à s'établir Montréal sous le nom de Ville-Marie (cf. G. Goyau, L'E­popée française au Canada).
Saint Vincent de Paul envoie des Lazaristes évangéli­ser Alger, Bizerte, Tunis et même Madagascar. Des jésui­tes français, des carmes, des capucins, partent pour la Chine et le Tonkin. Le séminaire des Missions étrangères est fondé et aussi la Congrégation du Saint-Esprit, pour former également des missionnaires.
Ce renouveau catholique au XVIIe siècle montre les fruits de la consécration du royaume de France à Marie, consécration renouvelée par Louis XIV lorsqu'il plaça son règne sous la protection de la Mère de Dieu.
Dans son Histoire du culte de la Sainte Vierge en France (I, pp. 128 ss.), Hamon remarque : « Jusqu'au XVIIe siècle, la dévotion à Marie va toujours croissant, et là, plus que jamais, elle resplendit de toutes parts... (Mais peu après) l'esprit religieux et par une conséquence nécessaire l'amour de la Sainte Vierge, s'affaiblirent sous la Régence, diminuèrent sous le souffle glacé du Jansé­nisme; les jours néfastes de la France se préparaient. »
Débauché et sans convictions religieuses, le Régent laissa les incrédules et les libertins préparer le terrain aux sociétés secrètes et battre en brèche les traditions les plus sacrées. Les premières loges maçonniques s'instal­lent en France et. vont essaimer dans tout le royaume, formant un réseau formidable et secret qui minera sour­dement l'édifice et le fera s'écrouler lors de la Révolution. La prophétie de saint Remi va se réaliser de nouveau.
Comme le confirment des travaux récents sur les socié­tés secrètes, avec une duplicité et une adresse sataniques la Maçonnerie flatte l'orgueil, l'ambition, la jalousie, se sert des esprits chimériques. Elle pousse ses adeptes aux plus hautes charges et mine peu à peu toutes les administrations, jusqu'à l'armée et la marine. Tous les philo­sophes du XVIIIe siècle sont ses adeptes, et l'Encyclopé­die est la somme de ses erreurs. Elle travaille sans relâche à la déchristianisation de la France.
A la mort de Louis XV, les loges, par la bouche de Turgot, cherchent à obtenir la suppression du sacre, pour laïciser la royauté très chrétienne. On calomnie grave­ment la reine.
Louis XVI s'aperçoit que la tourmente commence; le 10 février 1790, il renouvelle le vœu de Louis XIII en consacrant la France au Cœur immaculé de Marie.
Plus tard, en opposant son veto au décret de déporta­tion des prêtres, il comprend qu'il joue sa couronne et s'expose à la mort; mais devant l'émeute déchaînée, il répond fièrement aux meneurs : « Plutôt renoncer à la couronne que de participer à une semblable tyrannie des consciences. » Il meurt plutôt que de trahir la mission confiée par Dieu à sa race.
La Révolution est alors le signal des crimes les plus atroces; dans sa haine satanique contre Dieu, elle va beaucoup plus loin que ceux qui l'ont déclenchée, elle les mène et veut déchristianiser à jamais la France. Satan semble triompher. Mais sa victoire ne peut être défini­tive : la France a été consacrée à Marie. C'est un des grands motifs qui permettent d'espérer sa résurrection, lorsque l'expiation aura été suffisante.
Au point de vue de la foi, qui est celui de Dieu, ce qu'il y a de plus grand sous la Terreur c'est évidemment le martyre de beaucoup de victimes qui consommèrent leur sacrifice en invoquant la Sainte Vierge, telles les marty­res d'Orange et les carmélites de Compiègne, les ursuli­nes de Valenciennes.
Comme l'a montré M. Gautherot dans son livre L'Epo­pée vendéenne, après la résistance la plus héroïque et souvent victorieuse, c'est en chantant le Salve Regina, le Magnificat ou les cantiques populaires à la Sainte Vierge, que les Vendéens versèrent leur sang.
En dix ans, le Bx de Montfort avait remué si profondé­ment, à la fin du XVIIe siècle, ces provinces de l'Ouest, que les petits-fils de ses auditeurs se levèrent d'un bond pour défendre leur foi, portant sur la poitrine le scapu­laire du Sacré-Coeur et le chapelet à la main. Si bien que, de son propre aveu, Napoléon a négocié le Concordat parce qu'il n'aurait pu venir à bout de ces provinces sans y rétablir la religion. Chouans et Vendéens sauvèrent ainsi la religion en France, malgré leur défaite.
Mgr Freppel, dans son Panégyrique du Bx de Montfort prononcé à Saint-Laurent-sur-Sèvre le 8 juin 1888, con­cluait : « On peut dire que la résistance de la Vendée à l'œuvre satanique de la Révolution sauva l'honneur de la France... Contre le désordre révolutionnaire issu des utopies dangereuses d'un Jean-Jacques Rousseau et des philosophes du XVIIIe siècle, elle défendit, au prix de son sang, cet ordre social chrétien, qui avait fait, pendant des siècles, l'honneur et la force de la France. Surtout, c'est grâce à la résistance acharnée et indomptable de la Vendée que la France put recouvrer ses libertés religieu­ses. Infructueux en apparence, leur sacrifice ne restera pas stérile. Car s'il est vrai que le sang des martyrs de­vient une semence féconde et que Dieu mesure son par­don à nos expiations: si, quelques années après cette guerre de géants, comme l'appelait un homme qui s'y entendait, vous avez vu vos autels se relever, vos prêtres revenir de l'exil et l'Eglise de France se relever de ses ruines, plus forte que jamais, c'est que le sang des justes avait mérité toutes ces restaurations. »



=====Depuis la Révolution jusqu'à nos jours=====

C'est en la fête de l'Assomption, le 15 août 1801, que Pie VII ratifia le Concordat, et le 8 septembre suivant, autre fête de la Sainte Vierge, le Premier Consul y apposa sa signature. Marie résolut de sauver la France, dont la résurrection avait été achetée par les plus pures victimes sous la Terreur.
Les régimes politiques qui, dans la suite, ne voulurent pas reconnaître les droits de Dieu et nos devoirs, s'écrou­lèrent misérablement pour montrer que Dieu seul peut donner la stabilité et la durée.
Marie manifesta son action par la restauration ou la fondation d'instituts religieux pleins de zèle, en suscitant de vaillants défenseurs de la foi, et par des interventions personnelles comme celles de la Salette, de Lourdes et de Pontmain.
Tout d'abord, l'abbé Émery restaure Saint-Sulpice, où se forment la plupart des grands évêques de la première moitié du XIXe siècle; peu à peu reparaissent en 1808 les Frères des Ecoles chrétiennes, en 1814 les Jésuites, en 1815 les Missions étrangères, la Trappe; en 1816 les Char­treux, en 1837 les Bénédictins avec Dom Guéranger, en 1839 les Dominicains avec le P. Lacordaire.
Puis surgit un nombre considérable de congrégations nouvelles, en particulier celles des Maristes, des Oblats de Marie Immaculée; des Marianistes, des Pères du Sacré-­Coeur de Bétharram, celles des Dames du Sacré-Coeur, des religieuses de l'Assomption, des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, des Oblats et des Oblates de saint François de Sales, celle du Bon Pasteur d'Angers, etc.
Dès 1825, à Lyon, Pauline Jaricot organise l'œuvre du « Rosaire vivant » et trois ans après fonde la Propaga­tion de la Foi.
Pour évangéliser la classe ouvrière restée sans défense depuis que la Révolution avait supprimé les corporations, qui assuraient aux ouvriers la sécurité dans l'honnêteté, d'admirables œuvres sont fondées: les conférences de Saint-Vincent-de-Paul, établies par Ozanam, l'Institut des Frères de Saint-Vincent-de-Paul, les cercles ouvriers, les œuvres de patronage. Pour assister les pauvres et les vieillards, plusieurs congrégations sont fondées, en parti­culier en 1840 les Petites Sœurs des Pauvres, qui assis­tent aujourd'hui quarante mille vieillards, et ensuite les Petites Sœurs de l'Assomption.
La France a repris aussi depuis la Révolution sa noble mission d'évangéliser le monde entier, par les anciens Ordres restaurés, par les fondations nouvelles des Mis­sions africaines de Lyon, des Pères Blancs du cardinal Lavigerie, des Missionnaires de la Salette, des Mission­naires Franciscaines de Marie.
La Sainte Vierge a suscité encore d'éminents défen­seurs de la foi comme Joseph de Maistre, de Bonald, La­cordaire, Montalembert, Louis Veuillot, Dom Guéranger, le cardinal Pie, qui vit dans la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception le signe certain des prochains triomphes de l'Eglise et de la France.


Marie est enfin personnellement intervenue de façon exceptionnelle plusieurs fois au cours du XIXe siècle. En 1830, au moment où les secousses de la Révolution agitent le sol de la patrie et renversent le trône, la Sainte Vierge apparaît à une humble fille de Saint-Vincent de Paul, encore novice, Catherine Labouré, et lui révèle la médaille miraculeuse qui porte l'inscription : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ! » Elle prélude ainsi à la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception, aux apparitions de Lourdes et aux prodiges qui en seront la conséquence. Sur cette mé­daille sont aussi représentés le coeur sacré de Jésus, entouré d'une couronne d'épines, et le coeur immaculé de Marie, percé d'un glaive.
En 1836, la Sainte Vierge inspire à son serviteur l'abbé Desgenettes, curé de Notre-Dame-des-Victoires, l'idée de l'archiconfrérie de son Coeur Immaculé, pour la conver­sion des pécheurs. Cette paroisse à partir de cet instant est transformée; et aujourd'hui cette archiconfrérie compte, plus de cinquante millions de membres répartis dans l'univers entier.
En 1842, la Sainte Vierge suscite un grand mouvement pour la conversion des Juifs, en apparaissant telle qu'elle est sur la médaille miraculeuse au jeune israélite Alphonse Ratisbonne, pendant qu'il visitait en curieux l'église de Saint-André delle Fratte à Rome et ne pensait nullement à se convertir. Marie lui fait signe de s'age­nouiller, il sent une force irrésistible, qui le convertit instantanément et lui fait ardemment désirer le baptême. Comme son frère aîné Théodore, Alphonse Ratisbonne entre peu après dans les Ordres et tous deux fondent l'Institut des Prêtres et des Religieuses de Notre-Dame de Sion dont l'action est très efficace en France et s'étend fort loin à l'étranger, notamment au Brésil.
En 1846, Marie apparaît à deux enfants à la Salette, elle leur donne un message pour « son peuple ». « Elle ne peut plus, dit-elle, retenir le bras de son Fils. » Elle énu­mère les fautes qui vont provoquer les châtiments divins, si l'on ne se repent pas; elle signale comme des crimes « le blasphème, la profanation du dimanche, la violation de l'abstinence et du jeûne, l'oubli de la prière. » - L'a­vertissement de la Mère de miséricorde est peu compris, mais cette indifférence ne lasse pas son amour.
Le 8 décembre 1854, le jour même de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception, l'évêque du Puy posait la première pierre de la statue gigantesque qu'il voulait élever à Notre-Dame de France sur le mont Cor­neille et qui fut faite avec deux cent treize canons pris sur l'ennemi pendant l'expédition de Crimée par le maré­chal Pélissier.
En 1858, Marie apparaît à Lourdes dix-huit fois à Ber­nadette, elle se nomme « l'Immaculée Conception » comme pour dire : je suis la seule créature humaine qui ait échappé complètement à la domination infernale. En vertu de ce privilège qui lui assure la victoire sur l'en­nemi de notre salut, elle nous apporte le pardon de son Fils en disant : « Priez et faites pénitence. »
Ce deuxième avertissement est encore peu entendu. Aussi la France ne tarde-t-elle pas à connaître en 1870 l'invasion allemande et la guerre civile. Il en coûte de n'avoir pas suivi les conseils de la Vierge de la Salette et de Lourdes.
Cependant, de divers côtés, plusieurs personnes reçoi­vent alors l'inspiration du vœu national au Sacré-Cœur dont la basilique de Montmartre perpétue le souvenir.
Le 17 janvier 1871, Marie se montre à des enfants à Pontmain et leur dit : « Priez, mes enfants, Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher. » Or, c'est un fait certain qu'à partir du moment où la Vierge apparait à Pontmain l'ennemi ne fait plus un pas en avant sur le sol français. Deux mois plus tard la paix était faite, et six mois après la Commune était vaincue, la France était sauvée.
En 1876, à Pellevoisin. Marie se montre à Estelle Fa­guette, paralysée et phtisique, elle la guérit, et lui fait entendre qui elle veut aussi guérir la France, dont Satan a fait, au point de vue spirituel, une, phtisique et une pa­ralysée, par de fausses doctrines et des lois impies. Dé­barrassée de ces chaînes, la France doit revenir à la santé, à la prière, aux traditions séculaires de la foi. Marie, en même temps, demande la diffusion du scapulaire du Sacré-Cœur, car les mérites de son Fils sont la source du salut, et elle promet son assistance.
Malgré ces interventions surnaturelles, le travail sata­nique opéré par les loges pour la déchristianisation de notre patrie continue. Mais la générosité des âmes les plus croyantes est telle, que la France est plus encore victime que coupable; la qualité l'emporte sur la quantité dans les plateaux de la balance du bien et du mal. Aussi Marie n'abandonne pas son royaume. La France est encore sauvée malgré une nouvelle invasion allemande en 1914. Lors de la victoire de la Marne, l'arrêt subit des troupes alle­mandes reste humainement inexplicable, puisqu'elles possédaient une artillerie très supérieure en nombre et en puissance à la nôtre et que nos troupes étaient privées de munitions[260].

Depuis 1918, nous avons encore commis bien des fautes, qui méritaient une nouvelle leçon de la Providence. L'esprit de jouissance, le divorce, la dénatalité, la lutte des classes conduisent les peuples à la désagrégation et attirent les châtiments de Dieu. Seuls l'Evangile et la grâce divine peuvent nous relever, par la réorganisation du travail, de la famille et de la patrie.



Toutes ces grâces accordées par Marie au cours des siècles depuis près de deux mille ans pour rétablir la paix parmi les peuples lui ont fait décerner le titre de Reine de la paix. C'est pour nous une nouvelle raison de deman­der au Souverain Pontife la consécration du genre humain au Cœur immaculé de Marie pour obtenir aux peuples et à ceux qui les dirigent les grâces de lumière, d'attrait, d'union, de stabilité et de force, qui, dans les temps si troublés où nous sommes, sont indispensables pour la pacification du monde, que Dieu seul peut réaliser.



Formule d'oblation de soi-même à Marie
pour qu'elle-même nous offre pleinement à son Fils

Il convient que les âmes intérieures, surtout les âmes consacrées, qui vivent de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, telle que l'a exposée le Bx de Montfort, s'offrent à Marie, pour qu'elle-même les offre pleinement à son Fils selon sa parfaite prudence et l'étendue de son zèle mater­nel. Nous n'irons ainsi ni trop vite par présomption, ni trop lentement par manque de générosité. On peut pour cela se servir par exemple de cette formule :
« Sainte Mère de Dieu, je m'offre à vous, pour que vous-même m'offriez pleinement et sans réserve à votre Fils selon l'étendue de votre zèle et selon votre prudence parfaite, qui connaît bien mes limites, ma faiblesse, ma fragilité, mais qui connaît aussi toutes les grâces qui me sont offertes et les desseins de Dieu sur chacun de nous. - Daignez m'offrir de plus en plus et je m'offre moi-­même à l'amour miséricordieux et consumant du Sau­veur, qui détruit tout ce qui en nous doit être brùlé, et qui surtout nous attire de plus en plus en nous vivifiant et en nous incorporant à Lui. Préparez-nous, sainte Mère de Dieu, à cette rencontre vivifiante de notre amour puri­fié et de celui de votre Fils, préparez-nous à cette ren­contre qui est le prélude de la vie du ciel, et faites-nous comprendre que plus nous nous offrons ainsi à Lui sans réserve, plus Il nous prend pour nous vivifier et nous faire travailler avec lui à la régénération des âmes. Ainsi soit-il. »

On voit, pour finir, comment il faut répondre à la ques­tion : Peut-on trop aimer la Sainte Vierge ? Il faut répon­dre comme un Petit catéchisme de la Sainte Vierge très bien fait : « Non, si Marie est un chemin vers Dieu, plus on l'aime, plus on aime Dieu, et le véritable amour de la Sainte Vierge, qui est un amour, non d'adoration, mais de vénération, doit toujours grandir. »





=====TABLE DES MATIERES=====


Avant-propos


PREMIÈRE PARTIE
La maternité divine et la plénitude de grâce

                1. CHAPITRE PREMIER

L'éminente dignité de la maternité divine 3

La position du problème. 3-6

ART. I. - La prédestination de Marie (6). - Elle a été prédestinéee d'abord à la maternité divine et, par voie de conséquence, à la plé­nitude de gloire et de grâce (6-12). - Enseignement de Pie IX, bulle Ineffabilis Deus : par le décret de l'Incarnation « ex Maria virgine », Dieu a prédestiné Jésus à la filiation divine naturelle et Marie à la maternité divine (6 ss.). - Selon saint Thomas, Marie, qui a mérité la vie éternelle, n'a pu mériter d'un mérite proprement dit l'Incarnation (principe de tout mérite), ni par suite la maternité divine, qui dépasse la sphère du mérite (10 ss.). - Gratuité de la prédestination de Marie (12-16).

ART. II. - Autres raisons de l'éminente dignité de la maternité di­vine (16). - C'est une dignité qui, par son terme, appartient à l'ordre hypostatique, très supérieur à celui de la grâce et de la gloire (17-20). - Elle est de plus la raison de toutes les grâces accordées à Marie, elle est par suite leur mesure et leur fin (20-­23). - Elle est aussi le motif du culte d'hyperdulie (23-26). - Conséquences des principes énoncés : la maternité divine est donc, même prise isolément, supérieure à la plénitude de grâce qui a été accordée à Marie pour qu'elle fût la digne Mère de Dieu (24-29).



CHAPITRE Il
=====La plénitude initiale de grâce en Marie30=====

ART. I. - Les diverses plénitudes de grâce (30-36). - La plénitude absolue propre au Christ; celle de surabondancee qui est le pri­vilège de Marie; celle de suffisance, qui est commune à tous les saints (34-36).

ART. II. - Le privilège de l'Immaculée Conception (36). - La défi­nition dogmatique (36-38). - Le témoignage de l'Écriture (39-­43). - Le témoignage de la Tradition (43-46). - Raisons théolo­giques de ce privilège - Conséquences de ce privilège (49-51). - De la pensée de saint Thomas sur l'immaculée Con­ception : trois périodes dans sa carrière théologique (51-56).

ART. III. - Marie a été exempte de toute faute, même vénielle (56). Elle a été exempte aussi de toute imperfection, elle n'a jamais été moins généreuse, moins prompte à suivre une inspiration di­vine, donnée par manière de conseil. Il n'y a pas eu chez elle d'acte imparfait (remissus) de charité (56-59). - Note sur le pro­blème de l'imperfection distincte du péché véniel (59 ss.).

ART. IV. - La perfection de la première grâce en Marie, comparée à celle des saints (61). - Affirmation de Pie IX dans la bulle Ineffabilis Deus; fondement de cette assertion dans l'Écriture et la Tradition - La grâce initiale de Marie fut plus grande que la grâce finale de chacun des saints au moment de leur mort et de chacun des anges (64-66). - La grâce initiale de Marie fut même supérieure à la grâce finale de tous les saints et anges pris ensemble; elle était plus aimée de Dieu qu'eux tous réunis, et pouvait sans eux plus obtenir par ses prières et ses mérites qu'eux tous réunis sans elle (66-73).

ART. V. - Les suites de la plénitude initiale de grâce (73). - Les vertus infuses et les sept dons connexes avec la charité existent comme celle-ci au même degré que la grâce sanctifiante (74 ss.). - Marie, selon beaucoup de théologiens, a eu très probablement, par science infuse, l'usage de la raison et du libre arbitre dès le premier instant de sa conception, pour s'offrir à Dieu et faire fructifier par le mérite la plénitude initiale de grâce (75-80). - Il est probable qu'elle n'a pas été privée ensuite de cet usage du libre arbitre, car elle serait ainsi sans sa faute devenue moins parfaite (80-82). - Témoignages des docteurs sur ce point, no­tamment de saint François de Sales, de saint Alphonse (ibid.).


CHAPITRE III
La plénitude de grâce
à l'instant de l'Incarnation et après 83

ART. I. - Le progrès spirituel en Marie jusqu'à l'Annonciation (83). - L'accélération de ce progrès en la Sainte Vierge (84-89). - Comme la pierre tombe d'autant plus vite qu'elle se rapproche de la terre qui l'attire le juste se porte d'autant plus prompte­ment vers Dieu, qu'il se rapproche de lui et qu'il est plus attiré par lui (ibid.). - Le progrès spirituel en Marie par le mérite (89-94) et par la prière (94-98). - Note sur l'augmentation de charité due à nos actes imparfaits (remissi) de charité (98 ss.).

ART. II. - L'augmentation considérable de la grâce en Marie à l'ins­tant de l'Incarnation (100). - Convenance de l'Annonciation (100-103). Les raisons de cette grande augmentation de grâce et de charité (103-106). - Elle se produisit ex opere operato du fait de l'Incarnation, comme l'augmentation de charité fruit de la communion eucharistique (ibid.).

ART. III. - Le Magnificat (106). - La Visitation (106 ss.). Dieu a fait de grandes choses en Marie (108 ss.). - Dieu élève les hum­bles, et par eux triomphe de l'orgueil des puissants (109 ss.).

ART. IV. - De la perpétuelle virginité de Marie (110). - La concep­tion virginale (111 ss.). - L'enfantement virginal (112 ss.). - La virginité perpétuelle de Marie après la naissance du Sauveur (113 ss.).

ART. V. - Des principaux mystères par lesquels augmenta la pléni­tude de grâce après l'Incarnation (115). - La nativité du Sau­veur (115). - La présentation de Jésus au temple (116). - La fuite en Égypte (118). - La vie cachée de Nazareth La cause des douleurs de Marie au Calvaire et l'intensité de son amour de Dieu, de son Fils et des âmes (121-124). - La Pente­côte (124 ss.). - Marie, modèle de dévotion eucharistique; com­ment elle assistait à la messe célébrée par saint Jean; la ferveur de sa communion; les effets de sa communion (125-132).

ART. VI. - Les dons intellectuels et les principales vertus de Marie (132). - La foi éclairée par les dons d'intelligence, de sagesse, de science (132-135). - Privilèges particuliers de son intelligence. grâces gratuites (135-139); connaissance profonde de l'Écriture; connaissance de la nature, de ses rapports avec la grâce; sa con­naissance avait des limites, non des lacunes, elle était exempte d'ignorance proprement dite et d'erreur. Très probablement elle eut la science infuse dès le sein maternel, et pendant le som­meil; au moins de façon transitoire, et probablement de façon permanente. La prophétie; le don du discernement des esprits. - Elle a peut-être eu sur terre, à la fin de sa vie, la vision béa­tifique de façon transitoire, on ne peut ni l'affirmer avec certi­tude, ni le nier (139-141). - Les principales vertus de Marie (141-148). - Son espérance très confiante; sa charité éminente, son zèle; ses vertus morales infuses : prudence et don de con­seil, justice, miséricorde, religion et don de piété; force et don de force; tempérance, virginité parfaite; son humilité, sa douceur. Marie, modèle de la vie contemplative, son apostolat caché. L'harmonie de ces vertus montre concrètement comment la plé­nitude de grâce a considérablement augmenté en elle par le mystère de l'Incarnation et ceux qui ont suivi, très spécialement an Calvaire, à la Pentecôte et par la communion (148)


CHAPITRE IV
La plénitude finale de grâce en Marie 149

ART. I. - Cette plénitude au moment de la mort de la Sainte Vierge (149). - La mort en elle fut une suite, non pas du péché origi­nel, mais de la nature humaine, car l'homme par nature est mortel (150); en union avec son Fils elle avait offert pour nous le sacrifice de sa vie au Calvaire (ibid.), et, selon le témoignage de saint Jean Damascène expliqué par saint François de Sales et par Bossuet, elle est morte d'amour (151-154).

ART. II - L'Assomption de la Sainte Vierge (154). - Par les documents de la Tradition, ce privilège apparaît au moins implicite­ment révélé (156-161). - Cela résulte aussi des raisons théologi­ques traditionnellement alléguées (161-167), en particulier de celle prise de la plénitude de glace unie à 1a bénédiction excep­tionnelle qui exclut la malédiction : « Tu retourneras en pous­sière »; cela résulte aussi de ce que Marie a été intimement associée au Calvaire à la victoire parfaite du Christ sur le démon et sur le péché, ce qui entraîne la victoire parfaite et non pas éloignée sur la mort (ibid.). - La définibilité de l'Assomption (166 ss.).

ART. III. - La plénitude, finale au ciel (167). La béatitude essen­tielle de Marie, son très haut degré de gloire (168-170). _ Sa béatitude accidentelle (171).


DEUXIÈME PARTIE

Marie, Mère de tous les hommes.
Sa médiation et sa royauté universelles

Prologue

CHAPITRE PREMIER
Marie, Mère de Dieu-Rédempteur
et de tous les hommes 177

Art. I. - La Mère du Rédempteur, associée comme telle à son œuvre rédemptrice (177). - Marie est devenue Mère du sauveur par son consentement (178-182). - Comment la Mère du Ré­dempteur doit-elle être associée à son œuvre (183-187). - La Tradition et les raisons théologiques (ibid.).

Art. II. - La Mère de tous les hommes (187). - En quel sens Marie est-elle notre Mère ? (187-190). - Quand est-elle devenue notre Mère ? (190 ss.). - Quelle est l'extension de sa maternité ? (191-194). - Marie, cause exemplaire des élus (195-196).


CHAPITRE II
La médiation universelle de Marie pendant sa vie terrestre

ART. I. - La médiation universelle de Marie en général (197). - C'est une médiation subordonnée à celle du Christ, non nécessaire, mais très utile et efficace (197-200). - Lé témoignage de la Tradition (200-204). - Les raisons théologiques de cette doctrine 204-206).

ART. II. - Les mérites de Marie pour nous; nature et extension de ces mérites (206). - Les trois genres de mérites proprement dits (206-210). - Le mérite proprement dit de convenance (de con­gruo proprie) de Marie pour nous (210-213). - Quelle est l'ex­tension de ce mérite de convenance de Marie pour nous, soit pour tous les hommes, soit pour les élus (213-216).

ART. III. -Les souffrances de Marie corédemptrice (216). - Marie a offert pour nous une satisfaction de convenance de la plus grande valeur après celle de son Fils (217-220). - Profondeur et fécondité des souffrances de Marie corédemptrice (220-227). - La participation de Marie corédemptrice au sacerdoce du Christ. Bien qu'elle ne soit pas prêtre au sens propre du mot, sa dignité de Mère de Dieu et son rôle de corédemptrice sont su­périeurs au sacerdoce des prêtres du Christ (227-229) – Le Stabat (229-230).


CHAPITRE II
=====La médiation universelle de Marie au ciel231=====

ART. I. - Le puissance d'intercession de Marie (231). - Croyance universelle des fidèles. Trois raisons fondamentales de cette puissance d'intercession : Marie, Mère de tous les hommes, con­viait tous leurs besoins spirituels; à raison de son immense cha­rité, elle prie pour eux; comme elle est toute puissante sur le Cœur de son Fils, elle nous obtient toutes les grâces que nous recevons (233-238). - Sa prière, comme celle du Christ, est tou­jours exaucée en ce qu'elle demande, non pas d'une façon con­ditionnelle, mais de façon absolue, et conforme aux intentions divines, qu'elle n'ignore pas (239-240)

ART. II. - La distributrice de toutes les grâces (240). - N'y a-t-il ici que la causalité morale de l'intercession ? Plusieurs théologiens admettent en outre que Marie, comme Notre-Seigneur et d'une façon subordonnée à lui, nous transmet les grâces que nous recevons par une causalité physique instrumentale. Probabilité de cet enseignement, qui ne peut ni être nié avec certitude, ni démontré (240-249). - Si le prêtre en donnant l'absolution, et plusieurs fois le thaumaturge, en faisant un miracle, sont cause physique instrumentale de l'effet produit, il est probable que cette causalité est aussi attribuable à la Sainte Vierge (ibid.). L'influence de Marie devient toujours plus intime dans les âmes intérieures très fidèles (249-251). - Son mode de présence - le contact virtuel ou dynamique (251-254). La présence affec­tive de Marie (254-255).

ART. III. - L'universalité de la médiation de Marie (256). - Certi­tude de cette universalité (256-259). - Définibilité de cette vérité (259). - Quel est le sens. exact de cette universalité ? Marie, par une loi générale établie par la Providence, est médiatrice de toutes les grâces et de chacune, et on ne voit pas d'indice manifestant qu'il y ait des exceptions. Elle est médiatrice universelle, non seulement de fait, mais de droit (259-263). - Difficultés (263). - Conclusion (264-265).


CHAPITRE IV
Mère de miséricorde 266

ART. I. - Grandeur et force de cette maternité (266). - Comment la vertu de miséricorde l'emporte beaucoup sur la pitié sensi­ble, qui souvent l'accompagne. Marie est Mère de miséricorde, parce qu'elle est Mère de la divine grâce (266-269).

ART. II. - Principales manifestations de sa miséricorde (269). - Salut des infirmes (269-271). - Refuge des pécheurs (271-273). - Consolatrice des affligés (273-275). - Secours des chrétiens. (275-277) - Mater sanctae laetitiae, cause de notre joie (277).


CHAPITRE V
La royauté universelle de Marie 278

ART. I. - Sa royauté en général (179).- Ce titre lui convient au sens propre, car elle a reçu l'autorité et la puissance royale (279-284). - Elle y a un droit radical comme Mère de Dieu, et de plus elle a mérité ce titre en s'unissant au sacrifice de son Fils (283-286).

ART. II. - Les aspects particuliers de la royauté de Marie (286). - Reine des anges (286-288). - Reine des patriarches (288). Reine des prophètes (289). - Reine des apôtres (290-293). Reine des confesseurs; Marie et les prêtres (293-294). - Reine des vierges, Marie et les âmes consacrées (295-297)


CHAPITRE VI
La vraie dévotion à la sainte Vierge 298

ART. I. - Le culte dhyperdulie et ses bienfaits (298). - Nature et fondement de ce culte (300-303). - Quels sont les fruits de ce culte ? (302-303). - Objections et réponses (303-306).

ART. II. - Le Rosaire (306). - Le Rosaire école de contemplation; les trois grands mystères du salut, et les cinq aspects de cha­cun d'eux (307-309). - Les trois moments de notre voyage vers Dieu (309-310). - Le Rosaire et l'oraison contemplative (310-­312). - L'esprit du Rosaire tel qu'il fut conçu (312-314).

ART. III. - La consécration à Marie selon le Bx de Montfort (314). - En quoi elle consiste (315-318). - Qu'est-ce qu'il y a en nos bonnes œuvres de communicable aux autres âmes de la terre ou du purgatoire ? (318-322). - Fruits de cette consécration (322-326).

ART. IV. - L'union mystique à Marie (326). - Participation à l'hu­milité et à la foi de Marie (327-328). - Grande confiance en Dieu Par Marie (328). - Grâce de pur amour et de transforma­tion de l'âme (329-331) - Grâce d'intimités mariale (331-335).

ART. V. - La consécration du genre humain à Marie pour la pacifi­cation du monde (335). - Les grands maux de l'heure présente (336). - Marie, Mère spirituelle de tous les hommes et média­trice universelle, peut y porter remède (337-341).


CHAPITRE VII
La prédestination de saint Joseph
et son éminente sainteté 342

Sa prééminence sur tout autre saint de plus en plus affirmée par l'Eglise (342-345). - La raison de cette prééminence (345-347). - A quel ordre appartient la mission tout exceptionnelle de Jo­seph ? (347-350). - La prédestination de Jospeh ne fait qu'un avec le décret même de l'Incarnation (350-353). - Le caractère propre de la mission de Joseph à l'égard de Jésus et de Marie (353-356). - Les vertus et les dons de saint Joseph (356-360) - ­Rôle actuel de Joseph pour la sanctification des âmes (360-361).


=====Appendice=====

La Sainte Vierge et la France (362). - Les sanctuaires anciens et nouveaux de Notre Dame (363-365). - De Clovis et de saint Remi jusqu'à la mort de Jeanne d'Arc (365-368). - Depuis la mort de Jeanne d'Arc jusqu'aux martyrs de la Révolution (368-375). - Depuis la Révolution jusqu'à nos jours (375-381)

Formule d'oblation de soi-même à Marie, pour qu'elle-même nous offre pleinement à son Fils (381).







Imprimé à l'œuvre de presse dominicaine
5375, av. N.-D. de Grâce
Montréal-28, P. Q. (Canada)



  1. Cf. MERKELBACH, Mariologia, p, 295.
  2. Sur les rapports de la Vierge Marie et de notre vie intérieure, voir le livre du P. M.-V. BERNARDOT, O. P., Notre-Dame dans ma vie, qui expose avec grande simplicité et onction tout ce qui touche à la piété mariale; l'auteur a eu le souci constant de fournir des règles de conduite simples et efficaces. Voir aussi aux mêmes éditions de la Vie Spirituelle : L'année mariale, du P. MORINEAU; Le Dieu de Marie dans le saint Rosaire, par le P. BOULENGER, O. P.; L'union mystique à Marie, par MARIE DE SAINTE-THERESE; La doctrine mariale du P Chaminade, par le P. E. NEUBERT, maria­niste.
  3. Le professeur BITTREMIEUX, De supremo principio Mariologiae in Eph. theol Lovan., 1931, bien qu'il ne nie pas que la Mariologie puisse en un sens se réduire à un seul principe, insiste surtout sur cette dualité. Voir en sens contraire MERKELBACH, Mariologia, pp. 91 ss.
  4. Isaie, LIII, 3-12 : « Il était méprisé et abandonné des hommes, homme de douleurs et familier de la souffrance... Vraiment c'était nos maladies qu'il portait, et nos douleurs dont il était chargé... Il a été transpercé à cause de nos péchés, broyé à cause de nos iniquités; le châtiment qui nous donne la paix a été sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous som­mes guéris... Yahweh a fait retomber sur lui l'iniquité de nous tous... Il a plu à Yahweh de le briser par la souffrance, mais quand son âme aura offert le sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours, et le dessein de Yahweh prospérera entre ses mains... Il justifiera beau­coup d'hommes... il intercédera pour les pécheurs. »
  5. Ps. XXII (XXI), 17 ss. : « Ils ont percé mes pieds et mes mains, je pourrais compter tous mes os... Ils se partagent mes vêtements, ils tirent an sort ma tunique. Toi, Yahweh, ne t'éloigne pas ! Toi qui es ma force, viens à mon secours !... Alors j'annoncerais ton nom à mes frères... Grâce à toi. mon hymne retentira dans la grande assemblée... Toutes les extrémités de la terre se souviendront et se tourneront vers Yahweh, et toutes les familles des nations se prosterneront devant sa face. »
  6. Cf, saint AUGUSTIN, De Virg., c. 3, n° 31; saint GREG. LE GRAND, Hom. 38 in Evang.; Léon LE GRAND, serm. 20 in Nat. Dom., c. I; saint BERNARD, Hom. IV super Missus est; saint LAURENT JUSTINIEN, Serm,. de Ann.
  7. Plusieurs Pères et ensuite bien des théologiens ont noté aussi que si Eve seule avait péché et non pas Adam, il n'y aurait pas eu de péché ori­ginel, et que de même si seule Marie, sans le Christ, avait donné le con­sentement dont nous parlons, il n'y aurait pas eu de rédemption.
  8. Cf. MERKELBACH, Mariologia, pp. 74-89.
  9. Dial. cum Tryphone (vers 160), c. 100.
  10. Adv. haereses (avant la fin du II° siècle), 1. III, c. 19, 21-23; l. IV, c. 33; l. V, c. 19.
  11. Lib. de carne Christi, c. 17 (vers 210-212).
  12. Lib. II ad Quir.
  13. Hom. 8 in Luc.
  14. Cat., XII, 5, 15.
  15. Ed. Assemani, t. II, syr lat., pp. 318-329; éd. Lamy, t. I, p. 593; t. II, p. 524­.
  16. Panarion, haer, LXXXIII, 18.
  17. Hom. in Pasch., n. 2; in Ps. XLIV.
  18. Or. I in Laud. S. M.
  19. Ep. 22 ad Eustoch., n. 21.
  20. Ep. 63 ad Eccl. Vercel., n. 33.
  21. De agone christiano, 22.
  22. Or, 3, n. 4.
  23. Hom. II in Dorm.
  24. Hom. I in Dorm.
  25. Or. 51 et 52 (al. 50 et 51).
  26. Sermo in Dom. infra Oct. Ass.; in Nat. B. V de Aquaeductu; 12 Praer.
  27. HUGO A S. CHARO, Postillae in Luc, I, 26-28; RICHARDUS A S. LAURENTIO, De Laud. B. M. V., l. I, c. 1; S. ALBERTUS MAGNUS, Mariale, q. 29, S 3; S. BONAVENTURA, De donis Sp. Sti, coll. 6, n. 16; Sermo III de Ass. B.M.V.; S. THOMAS, Opusc. VI Exp. Salat. Ang.
  28. Il dit aux Galates, IV, 19 : « Mes petits enfants, pour qui j'éprouve de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous »
  29. Opera S. Ephraem Syr., ed. Assemani, t. II, syr. lat., pp. 324, 327; III, 607.
  30. Sermo in Dorm. Deip., 2 et 5.
  31. Serm. 140 et 142.
  32. De Exc. V. M., c. 11, 5.
  33. Serm. de Aquaed., n.4 sq.
  34. De Laud. B. M. V., 1. VI. c. I, n. 12; l. IV, c. 14, n.1.
  35. Mariale, q. 29, n. 3; q. 42,43
  36. Serm. VI in Ass. B. M. V., et I Sent., d. 48,, a. 2, q..2, dub. 4.
  37. Cette explication, suggérée par Origène au III° siècle, Praef. in Joan., I, 6, est explicitement proposée par beaucoup d'auteurs, surtout depuis XII° siècle; Cf. RUPERT, in Joan., lect. 13; saint ALBERT LE GRAND, Mariale, q. 29, 3; Serm. de Sanctis, 53; dès lors elle devient commune, et elle est reconnue par les Papes comme la croyance générale de l'Eglise, sf. BENOIT XIV, bulle Gloriosae Dominae, 27 sept, 1748, GREGOIRE XVI, bulle Pracstantissimum; LEON XIII, enc. Octobri mense, 22 sept. 1891; Adjutricem, 5 sept. 1895; Augustissimae Virginis, 12 sept. 1897; PIE X, Ad diem illum, 2 février 1904; BENOIT XV, Inter sodalicia, 22 mars 1918; PIE XI, Explorata res, 2 février 1923.
  38. Léon XIII appelle Marie mère, non seulement des chrétiens, mais du genre humain, enc. Octobri mense, 22 sept 1891; ep. Amantissimae voluntatis, 14 avril 1895; enc. Adjutricem populi, 25 sept. 1895. Benoit XV l'appelle Mère de tous les hommes, litt. ap. Inter sodalicia, 22 mars 1918; de même Pie XI, litt. ap. Explorata res, 2 février 1923; enc. Rerum Eccle­siae, 21 février 1926.
  39. Cf. saint Thomas, IIIa, q. 8, a. 3
  40. Comm. in Eccles., XXIV.
  41. Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch. I, a. 1, § 2.
  42. Ibid., § II.
  43. Cant. des cant., I, 3.
  44. Voir le décret du 21 janvier 1921 de la Sacrée Congrégation des Rites : « De festo Beatae Mariae Virginis Mediatricis omnium gratiarum. »
  45. Cf.. S. JUSTIN, Dial., 100; P. G., l. VI, col. 711 . - S. IRÉNÉE, Contr. haer., III, XXII, 4; V, XIX, 1; P. G., t. VII, col. 958 sq., 1175. - TERTULIEN, De carne Christi, 17; P L., t. II, col. 782.
  46. Cf. J. BITTREMIEUX, De mediatione universali B. Mariae Virginis, 1926, Marialia, 1936. - E. DUBLANCHY, art. Marie, dans le Dict. de Théol. cath., col. 2389-2409. - Du mème auteur, Marie médiatrice, dans La Vie Spirituelle, 1921-1922. - BOVER, S. J., La Mediación universal de la Segunda Eva en la Tradición patristica, Madrid, 1923-1924. - FRIETHOFF, O. P., Maria alma socia Christi nediatoris, 1936. - B. H. MERKELBACH, Mariologia, 1939, pp. 309-323. - GÉNEVOIS, O. P., La Maternité spirituelle de Marie en saint Irénée, dans Revue Thomiste, 1935. - GALTIER, S. J., La Vierge qui nous régénère, dans Rech. de sc. rel., 1914.
  47. Cat., XII, 5, 15; P. G., t. XXXIII, col. 741.
  48. Haer., LXXVIII, 18; P. G., t. XXII, col. 728.
  49. Epist., XXII, 21; P. L., XXII, col. 408.
  50. Homil. in sanctum Pascha, 2; P. G., t. LV, col. 193, et in Gen., III, Hom. XVII, 1; P. G., t. LIII, col. 143.
  51. Opera omnia, édit. Assemani, Rome, 1740, t. III, graeco-lat., col. 528 ss., 531 ss., 551 édit. Lamy, II, p. 547, et t. 1, proleg., p. XLIX.
  52. De sancta virginitate, VI, 6; P L , 1. XL, col 399.
  53. Serm. 140 et 142; P L , t LII, col 576, 579.
  54. Homil I in fest. Annunc et hom. I in fest. Visit., P L., t. XCIV col. 9, 16.
  55. In nativ B M., hom. IV, et in dormit S M , III, P G., t. XCVII, col. 813 et 1108.
  56. In dormit B. M , P G., t. XCVIII, c 349.
  57. In dormit B M., hom 1, 3, 8, 12; II 16; P G t. XCVI, c 705, 713, 717, 744.
  58. Serm 45 P L., t. CXLIV, c 741 743
  59. Orat 47, 52 P L., t CLVIII, c 945, 955, 964
  60. De excellentia B. M.., IX, XI; P L., t CLIX, c. 573, 578
  61. Ep. 174, 2; P L, t. CLXXXII c 333; Super Missus est. hom. IV, 8, P. L., t CLXXXIII, c. 83
  62. Mariale, q. 42. Il appelle Marie coadjutrix et socia Christi.
  63. Il dit qu'au jour de l'Annonciation Marie a donné son consente­ment au nom de l'humanité, loco totius humanae naturae. Voir aussi son Expos. Salut. angelicae.
  64. Il appelle Marie adjutrix nostrae redemptionis et Mater nostrae spi­ritualis generationis. Summa theol.. part. IV, tit. XV, c. XIV, 2.
  65. In IIIam S. Thomae, t. II, disp. XXIII, sect. I, n. 4. Il montre par la Tradition que Marie a mérité de congruo notre salut que Jésus-Christ nous a mérité de condigno. Le même enseignement se trouve chez Jean de Car­thagène, Novato, Christophe de Vega, Théophile Raynaud, Georges de Rhodes, etc.
  66. IV° sermon sur la fête de l'Annonciation, et voir table des œuvres de Bossuet, au mot Marie.
  67. Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, ch. I, et II.
  68. Ils n'ont pas eu besoin d'un complément offert par Marie; c'est pourquoi elle est comparée au cou qui réunit les membres du Corps mystique à la tête, et elle est dite l'aqueduc des grâces.
  69. Nous n'affirmons ici pour Marie qu'une causalité morale, qui exerce, nous le verrons, par le mérite, la satisfaction, l'intercession; cependant, il est probable aussi, nous le dirons plus loin, qu'elle exerce dans l'ordre spirituel, comme l'humanité de Jésus, une causalité physique instrumentale pour la transmission et production des grâces que, par elle, nous recevons; cette probabilité reste une simple probabilité, mais nous ne pensons pas qu'on puisse la nier, sans courir le risque de diminuer l'influence de Marie, qui doit être plus réelle et plus intime que nous ne nous le figu­rons communément. Cf. infra, pp. 240-255.
  70. Concile de Trente. Sess. VI. can. 32 (Denz.. 842).
  71. « Reposita est mihi corona justitiae quam reddet mihi Dominus in illa die, justus judex », dit saint Paul (II Tim., IV, 8).
  72. « Reddet unicuique secundum opera sua, iis qui secundum patien­tiam boni operis gloriam quaerunt, vitam aeternam » (Rom., II, 6-7)­
  73. « Non enim injustus est Deus ut obliviscatur operis vestri » (Hebr.,VI, 19).
  74. Cf. Act..Ap., IV, 12 : « Le salut n'est en aucun autre; car il n'y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (cf. saint Thomas, Ia IIae, q. 114, a. 6).
  75. Ia IIae, q. 114, a. 6
  76. On a parfois traduit le latin meritum de condigno par les mots « mérite proprement dit », c'était inexact, car c'était faire entendre que le mérite dit de congruo proprie n'est plus un mérite proprement dit. Il l'est encore, quoiqu'il soit moins parfait que le précédent, comme celui-ci est moins parfait que le mérite du Christ.
  77. In Iam P S Thomae t. II disp XXIII sect 1 n° 4 « Quamvis B. Virgo nec nos redemerit, nec aliquid de condigno nobis meruerit, tamen impetrando, merendo de congruo, et ad incarnationem Christi suo modo cooperando, ad salutem nostram aliquo modo cooperata est. Et eisdem modis saepissime sancti Patres B Virgini attribuunt, quod nostrae fuerit salutis causa » Suarez cite ici saint Irénée, saint Augustin, saint Fulgence, saint Anselme, saint Bernard, saint Germain, saint Ephrem, saint-Pierre Damien, Richard de Saint-Victor, Innocent III.
  78. Opera, t. II, pp 30 sq.
  79. De eminentia Deiparae virginis Mariae, Rome, 1629, t. I pp 379 sq.
  80. Theologia mariana, Naples, 1866, t Il, pp. 441 sq.
  81. Opera, t VI, pp 224 sq. Théophile Raynaud insiste cependant sur ce point que la rédemption accomplie par Jésus-Christ, étant d'une valeur infinie et surabondante elle n'a pas eu besoin d'un complément offert par Marie.
  82. Disp. theol schol tr VIII De Deipara virgine Maria, t II p 265 Lyon, 1661. Georges de Rhodes dit que Marie nous a mérité de congruo tout ce que le Christ nous a mérité de condigno.
  83. Le texte latin porte : « Maria... quoniam universis sanctitate praesta conjunctioneque cum Christo, atque a Christo adscita in humanae salutis opus, de congruo, ut aiunt, promeret nobis quae Christus de condigno promeruit estque princeps largiendarum gratiarum ministra » (Denzinger, n° 3034). Sur ce texte, cf. Merkelbach, Mariologia, p. 328.
  84. Cf. Merkelbach, Mariologia, p. 329.
  85. Dans l'Ancien Testament, les gràces ont été données comme à cré­dit, en vertu des mérites futurs du Rédempteur, auxquels sont toujours unis, dans le plan divin, ceux de sa sainte Mère. Le mérite de convenance de Marie s'est donc étendu aussi par anticipation aux justes de l'ancienne foi.
  86. C'est le cas de rappeler que, si l'homme résiste par sa propre défec­tibilité à la grâce suffisante, il mérite d'être privé de la grâce efficace, qui lui était offerte dans la suffisante, comme le fruit dans la fleur. La résistance ou le péché est comme la grêle qui tombe sur un arbre en fleur, qui promettait beaucoup de fruits.
  87. Cf. saint Thomas, IIIa, q. 24, a. 4 « Si considerelur praedestinatio (nostra) secundum terminum praedestinationis (scil. secundum effectus ejus), sic praedestinatio Clristi est causa praedestinationis nostrae. Sic enim Deus praeordinavit nostram salutem, ab aeterno praedestinando, ut per Jesum Christum compleretur. » Voir sur cet article les commentateurs, par exemple Gonet et Billuart qui montrent bien, par ce que dit ici et ailleurs saint Thomas, que le Christ, sous l'inspiration divine, nous a mérité tous les effets de notre prédestination, de même qu'il a spéciale­ment et efficacement prié pour les élus.
    Cf. saint Thomas, IIIa, q. 19, a. 4 : « Meritum Christi se extendit ad alios, in quantum sunt membra ejus, sicut etiam in uno homine actio capitis aliqualiter pertinet ad omnia membra ejus, quia non solum sibi sentit, sed omnibus membris. »
    Nous ne pouvons pas mériter pour nous-mêmes la grâce de la persévé­rance finale, et notre prédestination, selon saint Augustin et saint Tho­mas, ne dépend pas de la prévision divine de nos mérites, car ceux-ci, étant l'effet de notre prédestination, ne peuvent en être la cause. Cf. saint Thomas, Ia, q. 23, a. 5; Ia IIae, q. 114, a. 9.
    Mais si nous ne pouvons à proprement parler mériter notre persévé­rance finale (qui ne peut s'obtenir que par la prière dont la valeur est dis­tincte du mérite), Notre-Seigneur, lui, l'a méritée en justice à ceux qui persévéreront, et la Sainte Vierge la leur a méritée aussi, d'un mérite de con­venance. Les thomistes disent communément : « Praedestinatio nostra non est ex praevisis nostris meritis, sed effectus ejus sunt ex praevisis meritis Christi. » En d'autres termes, le Christ est cause méritoire de notre salut, et Marie lui est toujours associée.
  88. Le Christ, d'après ce qui vient d'être dit, a mérité lui-même pour Marie tous les effets de sa prédestination à elle, sauf la maternité divine, car il aurait ainsi mérité l'Incarnation, c'est-à-dire il se serait mérité lui-­même (cf. saint Thomas, IIIa, q. 19, a. 3); en cet endroit, il est montré que « le Christ n'a pu se mériter ni la grâce, ni la béatitude de l'âme, ni sa divinité (ni sa personnalité divine), car le mérite porte sur ce qu'on n'a pas encore, et il aurait fallu alors que le Christ, au premier instant de sa conception, n'eût pas ces dons divins, ce qui diminuerait sa dignité, plus que le mérite ne peut l'accroître. Mais il a mérité la gloire de son corps ou sa résurrection, son ascension et l'exaltation de son nom. »
    Les commentateurs de saint Thomas, in IIIam, q. 2, a: 11, « utrum ali­qua merita incarnationem praecesserint », montrent que le Christ, qui n'a pu se mériter lui-même, n'a pu mériter ni l'Incarnation, ni les circons­tances qui appartiennent, pour ainsi parler, à la substance et à l'indivi­duation de l’Incarnation, par exemple il n'a pas mérité d'être conçu par l'opération du Saint-Esprit, de naître de la Vierge Marie, ainsi il n'a pas mérité la maternité divine de la Sainte Vierge (cf. SALMATICENSES, ibid.); mais il a mérité les circonstances qui n'appartiennent pas à la substance de l'Incarnation : les prédictions des prophètes, l'Annonciation par l'ange, etc , ou celles qui ont suivi, comme l'adoration des mages, les soins à lui donnés par Marie et Joseph - Il a mérité très certainement pour Marie la plénitude initiale de grâce, la préservation du péché originel, toutes les grâces actuelles par laquelle la plénitude initiale a grandi en elle, enfin la persévérance finale et la gloire.
  89. Il est plus facile de détruire que de réédifier. L'offense qui provient du péché mortel a une gravité infinie, car elle dénie pratiquement à Dieu une perfection infinie, tandis que notre amour de Dieu n'a pas une valeur infinie, il reste limité du côté de la personne qui en est le principe. Nos négations relativement à Dieu vont plus loin que nos affirmations ; de plus, une offense grave faite à Dieu détruit en nous la vie de la grâce et de la charité, et lorsque nous l'avons perdue nous ne pouvons pas nous la rendre.
  90. IIIa, q. I a. 2 ad 2, et q. 48, a. 2.
  91. Cf. Saint ÉPHREM, Oratio ad Virg., édit. Venise, t. III, p. 195; saint AMBROISE, De Instit. Virg., c. 7, Epist. 25 ad Eccles. Vercell.; saint BERNARD, Sermo de Passione, Sermo de duodecim stellis, Sermo Dom. infra Oct. Ass.; saint ALBERT LE GRAND, Mariale, q. 42; saint BONAVENTURE, Sermo. I de B. V.; saint LAURENT JUSTINIEN, Sermo de nativ. Virg.
  92. Encycl. Jucunda semper, 8 sept. 1894 : « Consors cum Christo existit laboriosae pro humano genere expiationis. »
  93. Encycl. Ad diem illum, 2 février 1904 : « Reparatrix perditi orbis. »
  94. Litt. Inter Sodalicia : « Ita cum Filio patiente et moriente.passa est et poene commortua, sic materna in Filium jura pro hominum salute abdicavit, placandaeque Dei justitiae, quantum ad se pertinebat, Filium immolavit; ut dici merito queat, ipsam cum Christo humanum genus redemisse. »
  95. Cf. Denzinger, n° 3034, n. 4, où est rapporté le texte de Benoît XV, Au même endroit, il estt indiqué quo Pie XI (Litt. Apost., 2 février 1923), écrivit aussi « Virgo perdolens redemptionis opus Jesu Christo partici­pavit », et qu'un décret du Saint-Office du 26 juin 1913 a loué « l'habitude d'ajouter au nom de .Jésus celui de sa Mère, notre corédemptrice, la bien­heureuse Vierge Marie », « nomen Matris suae, coredemptricis nostrae, beatae Mariae ». La même Congrégation a indulgencié enfin l'oraison où Marie est appelée « corredentrice del genere humano » (22 janvier 1914).
    Cf. Dict. Théol. cath., art. Marie, col. 2396 : « Le mot corédemptrice signifiant par lui-même une simple coopération à la rédemption de Jésus-­Christ, et ayant reçu, depuis plusieurs siècles, dans le langage théologique, le sens très déterminé d'une coopération secondaire et dépendante, selon les témoignages précités, il n'y a point de difficulté sérieuse à s'en servir, à condition que l'on ait soin de l'accompagner de quelques expressions indiquant que le rôle de Marie, dans cette coopération, est un rôle secondaire et dépendant. »
  96. Tel est l'exorde de ce sermon, ce sont les trois points qui y sont développés.
  97. Telle une asymptote ou ligne droite qui, indéfiniment prolongée, s'approche continuellement d'une courbe, sans pouvoir jamais l'atteindre. De même les côtés du polygone inscrit dans la circonférence peuvent tou­jours être multipliés, sans devenir un point, et sans que le polygone rejoigne la circonférence ou s'identifie avec elle. De même encore les forces inconnues de la nature produisent des effets que la science décou­vre incessamment, comme elle a découvert récemment ceux du radium; mais jamais ces forces naturelles ne peuvent produire les effets propres de Dieu, comme la création proprement dite ex nihilo, ou la résurrection d'un mort.
  98. E. DUBLANCHY, Dict. de Théol. cath., art. Marie, col. 2396 ss.
  99. Ibidem, col. 2366.
  100. Ibidem, col. 2365.
  101. IIa IIae, q. 83, a. 11 : « Utrum sancti, qui sunt in patria, orenti pro nobis. »
  102. Rom., VIII, 34; Hébr., VII, 25.
  103. Cf. E. DUBLANCHY, Dict. Théol cath , art Marie, col 2412 : « Peut-on dire que Marie, dès sa vie terrestre, connut en détail tout ce qui concerne la sanctification et le salut de chacun des membres de l'humanité ? Il ne semble pas que l'on puisse en donner une preuve consaincanle, surtout s'il s'agit d'une connaissance universelle, s'étendant à tous les détails con­cernant chaque individu. Au ciel où, depuis son Assomption glorieuse. elle exerce son rôle universel d'intercession et de médiation pour toutes les grâces provenant de la rédemption, Marie possède, relativement à cha­cun des membres de toute l'humanité, cette connaissance parfaite. »
  104. C'est ce qu'affirment en termes équivalents : saint EPHREM, Opera t. III, gr. lat., pp. 511, 537, 540; Saint ANDRÉ DE CRÈTE, Triod.; saint GERMAIN DE CONST., Hom. in Dorm. II; THEODORE STUD., P. G., CXXIX, 1779; saint Nicéphore de Const., P. G..; C, 341; GEORGES DE NICOMÉDIE, ibid., 1438; saint ANSELME, Orat., XLVI, P. L., CLVIII, 944; EADMER, De excellentia B. M., XII, P. L., CLIX, 579; saint BERNARD, serm. De aquaeductu, 7, P. L., CLXXXIII, 441, ibid., 415, 432, 436; ADAM DE PERSEIGNE, Mariale, serm. I, P, L., CCXI, 703; HUGUES DE SAINT-CHER, Postilla in Eccli., XXIV, 15.-­ E. Dublanchy, Dict. de Théol. cath., art. Marie, col. 2436, rapporte aussi les témoignages de saint Albert le Grand, de Jacques de Voragine, de Raymond Jordan, de Gerson, saint Bernardin de Sienne, saint Laurent .Justinien, G. Biel, Viguier, saint Thomas de Villeneuve, Louis de Blois, saint Alphonse de Liguori. - Plusieurs de ces témoignages sont cités plus ous moins longuement par le P. E. Hugon dans son livre Marie pleine de grâce, 5e éd., 1926, pp. 160-166, et il yt ajoute ceux de Suarez, De Myste­riis Vitae Christi, d. 23, sect. 3, § 5, de Véga. Theol. Mariana, palaestra XXIX, cert. IV, de Contenson, Theol. mentis et cordis, l. X, diss. IV, c. I, du Bx Grignion de Montfort, Traité, Ire partie, ch. I, de Bossuet, Sermon sur la Compassion de la Sainte Vierge, et des théologiens contemporains : Petitalot, Sauvé, de la Broise, Lépicier, Terrien, Bover. - Voir aussi Mer­kelbach, Mariologia, pp. 345-371.
  105. Cf. Saint Thomas, IIa IIae, q. 83, a. 11.
  106. Vers la fin du Ier point.
  107. Jean, III, 16.
  108. Rom., VIII, 32.
  109. Marioloaia, pp. 345-349.
  110. Nous disons « à tous ceux qui l'invoquent bien », pour indiquer qu'un obstacle, à l'obtention de la grâce peut provenir de ce que l’on ne prie pas Marie avec les dispositions voulues, ou de ce qu'on la prie pour quelqu'un qui refuse de se convertir et s'obstine dans le mal. - Mais, d'autre part, pour l'exercice de cette médiation d'intercession, il n'est point nécessaire que l'on prie explicitement Marie, ni même que l'on prie effectivement. En effet, par le fait qu'on prie Dieu ou les saints, on prie implicitement Marie, selon l'économie générale du plan divin, et, de plus, bien des grâces nous sont données sans que nous les demandions, par exemple la grâce actuelle nécessaire pour commencer à prier. Mais la prière faite à Marie avec les dispositions voulues donne une plus grande assurance d'obtenir la grâce divine.
  111. Cf. Dict. Théol. cath., art. Marie, col. 2403.
  112. Cf. saint Thomas, IIIa, q. 21, a. 4­.
  113. Cf. saint Thomas, IIa IIae, q. 83, a. 15, ad 2.
  114. Cf. saint Thomas, IIIa, q. 8, a. 1, ad 1 ; q. 13, a. 2; q. 48, a. 6; q. 49, a. 1; q. 50, a. 6; q. 62, a, 1, et de Potentia, q. 6, a. 4.
  115. Cette réponse négative se trouve chez Suarez, III, disp. 23, sect. 1, n. 2; et, parmi les contemporains, chez Scheeben, Terrien, Godts, Bainvel, Campana, de la Taille, Bittremieux, Friethoff, Grabmann, Van der Meersch, Merkelbach.
  116. C'est la manière de voir du P. E. Hugon, O.P., La causalité physi­que instrumentale, 1907, pp. 194.205, de Commer, De munere Matris Dei in Ecclesia gerendo, Lépicier, Girerd, Fernandez, Lavaud, Bernard.
  117. Cf. IIIa, q. 60, a. 8. Il y est dit seulement qu'on ne peut pas bapti­ser au nom de Marie, comme au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, car elle n'opère pas dans le baptême, bien que son intercession profite au baptisé pour conserver la grâce baptismale. Ce texte montre que Marie n'est pas cause principale de la grâce, mais ne nie pas qu'elle en soit la cause instrumentale.
  118. Cf. Expositionem Salutationis angelicae.
  119. Pour le Christ lui-même celle doctrine s'appuie sur ceci : il est dit en saint Luc, VI, 19 : « Toute celte foule cherchait à le toucher, parce qu'il sortait de lui une vertu qui les guérissait tous. » Il dit lui-même (Luc, VIII, 46) : « Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti qu'une force était sortie de moi », ce qui ne peut s'entendre d'une force morale comme celle de la prière, qui, étant spirituelle, ne sort pas du corps.
    De même lorsque Jésus ne se contentait pas de prier pour obtenir des miracles, mais il les faisait en touchant les malades et il disait (Jean, X, 25) : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi. »
    Le premier Concile d'Éphèse (Denz., 123) dit aussi que « la chair du Christ, à cause de son union au Verbe, est vivifiante, vivificatrix »; or la chair du Christ ne produit pas la vie de la grâce par la causalité morale du mérite ou de la prière, mais par une causalité physique instrumen­tale. C'est ainsi que portent à l'entendre les paroles de saint Cyrille, de saint Jean Chrysostome, de saint Augustin, citées par les thomistes, no­tamment par le P. Rugon, op. cit., pp. 87 ss.­
    De plus, la raison théologique nous dit : agir non seulement moralement mais physiquement est plus parfait qu'agir seulement par causalité morale. Or il faut concéder à l'humanité du Christ ce qui est plus parfait, lorsque cela ne répugne pas à la fin de l'Incarnation rédemptrice. (Les objections faites contre cette causalité instrumentale sont bien réso­lues par les thomistes in IIIam, q 13, a. 2 )
    Le même argument de convenance vaut, toute proportion gardée pour Marie, à titre d'argument de convenance, qui fournit une probabilité.
  120. Cf IIa IIae, q. 178, de gratia miraculorum, a. 1, ad 1 « Potest con­tingere quod mens miracula facientis moveatur ad faciendum aliquid, ad quod sequitur effectus miraculi, quod Deus sua virtute facit.  » Cf. ibid.
  121. La causalité instrumentale en théologie, p. 201.
  122. La causalité instrumentale en théologie, 1907, pp. 195 ss.
  123. Il faudrait, semble-t-il, une raison positive pour admettre cette exception.
  124. Ainsi s'applique à Marie ce que dit saint Thomas de l'instrument qui dispose à recevoir l'effet de l'agent principal : dispositive operatur ad effectum principalis agentis.
  125. Mariologia, p. 370.
  126. Commentarium in Ep. ad Hebr., VII, 25, et ad Rom., VIII, 34,
  127. Cf. saint Thomas, Ia IIae, q. 28, a. 1 : « Duplex est unio amantis ad amatum. Uns quidem secundum rem : puta cum amatum praesentialiter adest amanti. Alia vero secundum affectum... Primam ergo unionem amor facit effective, quia movet ad desiderandum et quaerendum praesentiam (realem) amati... Secundam autem unionem facit formaliter; quia ipse amor est talis unio, vel nexus. »
  128. Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch. I, a. 1.
  129. Op. cit., p. 203.
  130. Cf. Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch V, a. 5 : chemin aisé, court, parfait, assuré; ch. VI, a. 1 : comment Marie forme les prédestinés; a. 2 : elle les conduit, les défend; ch. VII, a. 5 - communica­tion de l'âme et de l'esprit de Marie; a. 6 : transformation des âmes en Marie à l'image de Jésus-Christ. - Voir aussi dans La Vie Spirituelle, janvier 1937, l'art. du P. E. NEUBERT, marianiste, L'union mystique à la Sainte Vierge, pp. 15-20.
  131. Les Cahiers de la Vierge du mois de mai 1936 ont publié la traduc­tion française de ce texte flamand, faite par L. van den Bossche.
  132. La vertu instrumentale qui produit la grâce est d'ordre spirituel et surnaturel, elle peut cependant de façon transitoire, ainsi qu'une vibra­tion. dire dans un geste corporel, par exemple d'adoration extérieure ou de bénédiction, et passer par les cicatrices glorieuses du corps du Christ. Elle peut être aussi dans des paroles sensibles comme celles de l'absolu­tion sacramentelle transmises par le milieu sonore qui se trouve entre le prêtre et le pénitent. Cette vertu instrumentale productrice de la grâce peut être transmise elle aussi par le milieu (air ou éther) qui se trouve entre nous et le corps du Christ ou celui de sa sainte Mère présents au ciel.
    Mais, comme le dit saint Thomas, IIa IIae, q. 178, a. 1, ad 1, et de Potentia, q. 6, a. 4, Dieu peut aussi se servir comme instrument d'un acte purement spirituel, d'une prière intérieure du Sauveur ou de sa Mère; alors la vertu instrumentale productrice de la grâce est transmise sans milieu corporel. Comment ? Dieu, qui est partout présent, dans les esprits comme dans les corps qu'il conserve les uns et les autres dans l'existence, peut rendre présente là où elle doit opérer cette vertu instru­mentale d'ordre spirituel, qui de soi n'est pas dans un lieu, mais qui est comme l'esprit dans une zone supra-spatiale du réel. Les thomistes disent que Dieu la porte là où elle doit opérer, mais il ne peut jouer lui-même le rôle de milieu, car le milieu, comme l'air ou l'éther, est une cause matérielle mise en mouvement, et Dieu ne peut être que cause efficiente et finale.
  133. Ia IIae, q. 28, a. 3 : « Extasim secundum vim appetitivam facit amor directe, simpliciter amor amicitiae ; amor autem concupiscentiae secundum quid... In amore amicitiae affectus alicujus simpliciter exit extra se, quia vult amico bonum, et operatur bonum, quasi gerens curam et providentiam ipsius propter amicum. »
  134. Elle fut niée par les jansénistes qui voulurent modifier, dans l'Ave maris stella, le vers Bona cuncta posce, par lequel nous prions Marie de demander pour nous toutes les grâces qui doivent nous conduire à Dieu.
  135. Encycl. Octobri mense, 22 sept 1891, (Denz., 3033) : « Nihil nobis nisi per Mariam, Deo sic volente impertiri; ut, quo modo ad summum Patrem nisi per Filium nemo potest accedere, ita fere nisi per Mariam accedere nemo possit ad Christum ».
  136. Encycl , 20 sept. 1896 (Denz., 3033).
  137. Cf. Denzinger, 3034 : « Universorum munerum dispensatrix, quae nobis Jesus nece et sanguine comparavit. » Encycl. Ad diem, 2 févr. ,1904.
  138. Cf. Dict. de Théol. cath., art. Marie (E. Dublanchy), col. 2403 : cette doctrine de la médiation universelle de toutes les grâces « est vraie de toutes les grâces surnaturelles provenant de la rédemption de Jésus-Christ. La conclusion, ne comportant aucune restriction, doit s'appliquer aux grâ­ces conférées par les sacrements, en ce sens que les dispositions que l'on doit apporter à leur réception, et desquelles dépend la production sacramentelle de la grâce, sont obtenues par l'intercession de Marie ».
  139. Cf. Merkelbach, Mariologia, p. 375.
  140. C'est ce que saint Anselme, or 46, affirmait en disant :
    Te tacente, nullus (sanctus) orabit, nullus invocabit.
    Te orante, omnes orabunt, onmes invocabunt.
  141. Marie, pleine de grâce, 5e éd., 1926, p 201.
  142. Epist. 52 et Opusc XXIV Disput. de variis apparit et miraculis.
  143. Les gloires de Marie, Ire partie, c. VIII.
  144. Cf. Merkelbach, Mariologia, p.377.
  145. Certain difliculties felt by anglicans in catholic teaching considered, Londres, 1910, t. II, pp. 91 sq.
  146. Ia, q. 21, a. 3; IIa IIae, q. 30, a. 4.
  147. « Deus qui maxime parcendo et miserando, potentiam tuam mani­festas. »
  148. C'est ce que montre aussi saint Thomas, Ia IIae, q. 113, a. 9.
  149. Cf. saint Thomas, Ia, q. 21, a. 3, ad 2.
  150. Cf saint Thomas, ibid., a. 4 : « Opus divinae justitiae semper prae­supponit opus misericordiae, et in eo fundatur. »
  151. Cette doctrine est bien développée par le dominicain polonais Justin de Miechow, dans son ouvrage Collationes in Litanias B. Mariae Virginis, traduit en français par l'abbé A. Ricard sous le titre Conférences sur les litanies de la Très Sainte Vierge, 3e éd., Paris, 1870. Nous nous en inspi­rons dans les quelques pages qui suivent.
  152. Cf. saint Thomas, Ia IIae, q. 85, a. 3.
  153. Ce fut le cas en France d'un malheureux écrivain licencieux appelé Armand Silvestre.
  154. Ia, q. 21, a. 4, ad 1.
  155. Sermon sur l'Assomption
  156. Cf. saint Thomas, IIa IIae, q. 18, a. 4 : « Spes certitudinaliter tendit ad suum finem, quasi participans certitudinem a fide ».
  157. Cf. Pie XI, enc. Quas primas, 11 déc. 1925 (Denz. 2194) : « Ejus prin­cipatus illa nititur unione admirabili, quam hypostaticam appellant. Unde consequitur, non modo ut Christus ab angelis et hominibus Deus sit ado­randus, sed etiam ut ejus imperio Hominis angeli et homines pareant et subjecti sint : nempe ut vel solo hypostaticae unionis nomine Christus potestatem in universas creaturas obtineat. »
    L'humanité du Christ, de par son union personnelle au Verbe, comme elle mérite l'adoration, participe à la royauté universelle de Dieu sur tou­tes créatures. Le Christ, comme homme, a été prédestiné à être Fils de Dieu, non par adoption, mais par nature, tandis que les anges et les hommes ne peuvent être que fils adoptifs.
  158. Parce qu'il a accepté par amour les humiliations de la Passion (Phil. II, 9), « parce qu'il a été obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix, Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur. »
  159. Cf. DE GRUYTER , De B. Maria Regina, Buscoduci. 1934; GARÉNAUX, La Royauté de Marie, Paris, 1935; M. J. NICOLAS, La Vierge reine, in Revue Thomiste, 1939; B: H. MERKELBACH, Mariologie, 1939, p. 382.
  160. Opera, III, gr. 534, 536, 545, 548; syr., p. 415.
  161. Hom. I et II in Praes., Ia et Ia in Dorm.
  162. Hom. I et II in Dorm.
  163. Hom. I et III in Dorm.
  164. Serm. 142.
  165. In Luc, I.
  166. Or. 52­
  167. In Ann. B. M. V.; Serm. 44.
  168. Serm. in Ass. et Dom. infra Oct. Ass.
  169. Mariale, q. 43, § 2 : « Virgo assumpta est in salutis auxilium et in regni consortium... habet coronam regni triumphantis et militantis Eccle­siae, unde... est regina et domina angelorum..., imperatrix totius mun­di...; in ipsa est plenitudo potestatis coelestis perpetuo ex auctoritate ordi­naria..., legitima dominandi potestas ad ligandum et solvendum per imperium...; totem habet B. Virgo potestatem in coelo, in purgatorio et in inferno... Ad eodem dominio et regno a quo Filius accepit nomen regis, et ipsa regina.. B. Virgo vere et jure et proprie est domina omnium quae sunt in misericordia Dei, ergo proprie est regina misericordiae. ipsa enim ejusdem regni regina est cujus ipse est rex » Cf ibid., q 158, 162, 165.
  170. In exposit. Salutationis angelicae
  171. Grégoire II, dans sa lettre à saint Germain de Const., lue au deuxième Concile de Nicée (787), appelle Marie Domina omnium; et le Concile approuve les statues faites en l'honneur de Notre-Dame Léon XIII, dans ses encycliques, emploie fréquemment les termes de regina et domina universorum (enc. Jucunda semper, enc Fidentem, enc. Magnae Dei Ma­tris, enc. Adjutricem populi). - De même pie X, enc. Ad diem illum « Maria adstat regina a dextris ejus. »
  172. Cf MERKELBACH, op. cit., p. 385.
  173. Phil., II, 9. Il est dit aussi aux Colossiens, II, 15 : « Il a dépouillé les principautés et les puissances, et les a livrées hardiment en spectacle, en triomphant d'elles par la croix. »
  174. Pie XI, enc. Quas primas, 11 déc. 1925 (Denz., 2194) dit que par là Jésus est roi des intelligences, des cœurs, des volontés, d'autant que la loi nouvelle n'est pas d'abord une loi écrite, mais une loi imprimée dans les âmes par la grâce elle-même. Cf. saint Thomas, Ia IIae, q. 106, a. 1.
  175. Cf. saint Albert le Grand, Mariale, q. 43; § 2.
  176. Jean, V, 22, 27 : « Le père a donné au Fils le jugement tout entier, le pouvoir de juger. »
  177. Cf saint Thomas, IIIa, q. 59, a. 1.
  178. Cf. saint Thomas, Ia, q. 21, a. 4, ad 1. : « In damnatione reproborum apparet misericordia, non quidem totaliter relaxans, sed aliqualiter alla­vians, dum (Deus) punit citra condignum. » Et cette intervention de la miséricorde divine n'est pas indépendante des mérites du Christ et de ceux de Marie, qu'elle a suscités autrefois.
  179. Collationes in litanias B. Mariae Virginis, circa invocationem : Re­gina angelorum, ora pro nobis.
  180. I Cor., IV, 1 : « Ainsi, qu'on nous regarde comme des ministres du Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu. » - II Cor., III, 6. : « C'est lui qui nous a rendus capables d'être ministres d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'esprit; car la lettre tue, mais, l'esprit vivifie. »
  181. Mariale, q. 42 : « Beata Virgo Maria non est assumpta in ministerium a Domino, sed in consortium et in adjutorium, secundum illud : Facia­mus ei adjutorium simile sibi. »
  182. Livre de l'institution des vierges, ch. IX
  183. Ces remarques sont encore l'abrégé de ce que dit Justin de Miéchow dans ses Collationes in litanias B. M. V.
  184. Le Bx Grignon de Montfort le montre bien dans son Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch. I, a. 1, fin, et a. 2, début.
  185. Saint Thomas remarque que la vertu de chasteté et celle de virginité sont supérieures à la pudeur, comme la vertu de miséricorde est supérieure à la pitié sensible.
  186. M. l'abbé Duperray, directeur spirituel au Petit Séminaire de Saint Gildas (Charlieu, Loire) a écrit un excellent rapport pour le XIe Congrès national de recrutement sacerdotal, qui a eu lieu à Lourdes, 1er-4 août 1935 (Imprimerie de la Grotte, Lourdes) : La dévotion à Marie et la cul­ture des vocations.
    Il y dit, p. 5 : « Le prêtre et le futur prêtre sont plus qu'un simple chré­tien, les continuateurs du Christ, d'autres saint Jean appelés à aimer Marie avec une grande tendresse et assurés d'être aimés de la Sainte Vierge comme des disciples bien-aimés. Nos séminaristes, d'une part, ont donc, de par leur vocation, des grâces de choix pour aimer la Sainte Vierge, afin que Marie retrouve dans leurs cœurs les sentiments mêmes de Jésus; d'autre part, nos séminaristes peuvent être assurés d'une prédilec­tion spéciale de la Sainte Vierge qui veut former en eux d'autres Christ. » L'auteur de cet excellent opuscule montre quelle est l'influence de Marie dans la crise de croissance du séminariste. Il cite les réflexions d'un élève de troisième, séminariste de quinze ans, qui fait voir comment cette crise a été très heureusement traversée avec le secours de notre Mère du ciel. Chaque jour, l'intimité avec Marie apporte des grâces pour arriver au sommet du sacerdoce. A l'ombre de son manteau, le zèle apostolique de demain se développe. - Le même auteur note, p. 10, le bienfait d'une causerie mariale, le soir, avant de s'endormir. « Au lieu d'un examen de conscience, sorte de monologue à la manière des philosophes païens, compte, rendu austère des manquements de la journée, c'est une revue charmante avec notre Maman du ciel, de ce qui a été mal et surtout de ce qui a été bien dans la journée, vraie détente spirituelle. » - Autre remar­que non moins juste, p. 12 : « Lorsqu'un de mes dirigés, sentant dans son cœur le besoin de tendresse et d'affection féminine, hésite entre la voca­tion au mariage et la vocation au sacerdoce, j'essaie de lui faire découvrir la réponse aux besoins de son cœur dans une vraie dévotion mariale. J'ai la conviction d'avoir, par ce moyen, gagné des vocations. » - p. 14 : « Là comme ailleurs, on ne supprime bien que ce qu'on remplace; le remède négatif est insuffisant. Le vrai problème est celui du bon placement du cœur (affections surnaturelles, familiales, bonnes amitiés ...). »
    « N'apercevez-vous pas là encore le secours précieux de l'idéal marial pour donner à notre séminariste ce cachet de discrétion si exquis lorsqu'on le rencontre. »
    « La vraie pureté, dit le P. de Foucauld, ne consiste pas dans cet état neutre, où l'on n'appartient à personne, mais dans cet état où l'on adhère totalement à Dieu. »
  187. MERKELBACH, Mariologia, pp. 392-413. - E. DunLANCHY, Dict. Théol. cath., art. Marie, col. 2439-2474.
  188. Cf. saint Thomas, IIa IIae, q. 81, a. 1, ad 4, et a. 4; q. 92, a. 2. Le culte est ainsi plus qu'un honneur, c'est un honneur rendu avec soumis­sion par un inférieur à quelqu'un qui lui est supérieur. Dieu honore les saints, mais il n'a pas un culte pour eux, de même le maître à l'égard de ses disciples.
  189. Cf. saint Thomas, IIa IIae, q. 103, a. 4.
  190. Selon J.-B. de Rossi, Roma sotterranea cristiana, Rome, 1911, t. III, pp. 65 sq., 252, et Marucchi, Eléments d'archéologie chrétienne, 2° édit., 1911, pp. 211 sq., les premières représentations de la Très Sainte Vierge portant l'Enfant Jésus, que l'on retrouve dans les catacombes de Rome, remontent aux II°, III° et IV° siècles. L'institution des fêtes spéciales en l'honneur de Marie paraît remonter au IV° siècle. A partir de cette épo­que, saint Epiphane (Haer., 79) parle de ce culte, en réprouvant l'erreur des collyridiens qui le transforment en adoration. Saint Grégoire de. Naziance en fait mention, Orat. XXIV, XI, P. G., t. XXXV, c. 1181, saint Ambroise aussi, De institutione virgin., XIII, 83. P. L., t. XVI, c. 825. On a onze prières à Marie attribuées à saint Ephrem († 378) dans l'édition Assémani. Et dans la suite ce culte apparaît comme général en Orient et en Occident.
  191. Encomium in B. V.; P. G., t. LXXXVI, c. 3303.
  192. De fide orth., IV, 15; P. G., XCIV, c. 1164, 1168; De imaginibus, orat. I, 14; P. G., ibid., c. 1214; In dorm. B. M V., hom. II; P. G., XCVI, c. 741.
  193. IIa IIae, q. 103, a. 4, ad 2 : « Hyperdulia est potissima species duliae communiter sumptae maxima enim reverentia debetur homini ex afini­tate quam habet ad Deum. » - Item IIIa, q. 25, a. 5 : « Cum beata Virgo sit pura creatura rationalis, non debetur ei adoratio latriae, sed solum veneralio duliae; eminentius tamen, quam coeteris creaturis, in quantum est Mater Dei. Et ideo dicitur quod debetur et non qualiscumque dulia, sed hyperdulia. »
  194. In III Sent., d 9, a. 1, q: 3 : « Ex hoc quod Mater Dei est, praelata. est ceteris creaturis, et eam prae ceteris decens est honorari et venerari. Hic autem honor consuevit a magistris hyperdulia vocari. »
  195. In III Sent., dist. 9, q. un
  196. In IIIam, disp. XXII, sect II, n. 4.
  197. Cf. Dict. Théol., art. Marie, cc. 2449-2453.
  198. « Eminentiori veneratione, supra ceteras sanctos colit Ecclesia Regi­nam et Dominam angelorum, cui in quantum ipsa est Mater Dei... debe­tur, non qualiscumque dulia, sed hyperdulia.
  199. « Felix namque es, sacra Virgo Maria, et omni laude dignissima, quia ex te ortus est sol Justitiae, Christus Deus noster. »
  200. En cela la grande majorité des théologiens se sépare de Vasquez, qui a soutenu, in IIIam, t. I, disp. C, c. II, que Marie est honorée d'un culte d'hyperdulie principalement à cause de son éminente sainteté. C'est une conséquence de son opinion attribuant à la grâce sanctifiante une dignité supérieure à la maternité divine. C'est ne pas assez considérer que celle-ci est par son terme d'ordre hypostatique. Cf. Dict Théol cath., art Marie, c. 2452 ss.
  201. C'est l'opinion du P. MERKELBACH, op cit., pp. 402, 405. Plusieurs théologiens interprètent dans le même sens ces paroles de saint Thomas, IIa IIae, q. 103, a. 4, ad 2 « Hyperdulia est potissima species duliae com­muniter sumptae maxima enim reverentia debetur homini ex affinitate, quam habet ad Deum. »
  202. Dict. Théol. cath , art Marie, c 2458
  203. Cf. TEPRIEN, op cit. t. IV, pp. 291 sq.
  204. Il faut même dire avec le P. Hugon, Tract. dogmatici, 1926, t. II, p. 791, que ce culte de Marie est préparé par la salutation de l'ange au jour de l'Annonciation : Ave, gratia plena; par la salutation d'Élisabeth qui dit à Marie sous l'inspiration du Saint-Esprit : « Vous êtes bénie entre les femmes » (Luc, II, 42), paroles qui se retrouvent dans la saluta­lion angélique récitée par tous les fidèles. De plus, il est dit (Luc, II, 51) de Jésus enfant qu'il lui était « soumis »; c'est dire que Notre-Seigneur lui-même nous a donné l'exemple de l'obéissance et du respect à l'égard de sa Mère.
  205. Cf. MARUCCHI, Éléments d'archéologie chrétienne, 2e éd., Rome, 1906, pp. 323 sq., 329.
  206. Motus obliquus (aut in forma spirae), distinct du mouvement droit et du mouvement circulaire. Cf. saint Thomas, IIa IIae, q. 180, a. 6.
    Le mouvement droit s'élève directement d'un fait sensible, raconté, par exemple, dans une parabole comme celle de l'enfant prodigue, à la con­templation de la miséricorde divine.
    Le mouvement en spirale s'élève progressivement par les divers mystères du salut vers Dieu, à qui ils nous conduisent.
    Le mouvement circulaire est semblable à celui de l'aigle arrivé au som­met des airs et qui décrit plusieurs fois le même cercle, ou plane en con­templant le soleil et tout l'horizon que son regard peut atteindre.
  207. Dans La Vie spirituelle d'avril 1941, p. 281, le P. M.-J. Nicolas, O. P., a. écrit sur un saint religieux, mort provincial des dominicains de Tou­louse, le P. Vayssière : « La grâce d'intimité mariale qu'il avait reçue, il la devait d'abord à l'état de petitesse où il avait été réduit et auquel il avait consenti. Mais il la devait aussi à son Rosaire. Dans les longues jour­nées de solitude de la Sainte-Baume, il avait pris l'habitude de dire plu­sieurs rosaires dans la journée, parfois jusqu'à six. Il le disait souvent entièrement à genoux. Et ce n'était pas une récitation machinale et super­ficielle : toute son âme y passait, il le goûtait, il le dévorait, il était persuadé qu'il trouvait là tout ce qu'on peut chercher dans l'oraison. « Réci­tez chaque dizaine, disait-il, moins en réfléchissant qu'en communiant par le cœur à la grâce du mystère, à l'esprit de Jésus et de Marie tel que le mystère nous le présente... Le Rosaire, c'est la communion du soir (ailleurs.., c'est la communion de tout le long du jour) et qui traduit en lumière et en résolution féconde la communion du matin. Ce n'est pas seulement une série d'Ave Maria pieusement récités, c'est Jésus revivant dans l'âme par l'action maternelle de Marie. » Ainsi vivait-il dans ce cycle sans cesse en action de son Rosaire, comme « entouré » par le Christ, par Marie, selon son expression, communiant à chacun de leurs états, à chacun des aspects de leur grâce, pénétrant par là et demeurant dans les abîmes du Cœur de Dieu : « Le Rosaire, c'est un enchaînement d'amour de Marie à la Trinité. » On comprend quelle contemplation c'était devenu pour lui, quel chemin pour l'union pure à Dieu, quel besoin, semblable à celui de la communion. »
  208. Le premier fruit du Rosaire fut la victoire des croisés à Muret con­tre les Albigeois. Pendant que Simon de Montfort à la tète des croisés combattait, saint Dominique, retiré dans une église, implorait le secours de Marie et l'obtenait. Les hérétiques furent vaincus. Ce fut le triomphe complet de la foi sur l'erreur.
  209. C'est pqurquoi le Bx de Montfort dit dans la formule même de con­sécration : « Consécration de soi-même à Jésus-Christ par les mains de Marie » mais dans le cours de son livre il dit souvent plus brièvement : « Consécration à Marie » ce qui s'entend : à Jésus par elle. Il fait dès le début (op. cit., ch. I, art. 2, n° 64) cette remarque qui s'explique à une époque où le jansénisme, adversaire de la dévotion à Marie, comptait des adeptes de divers côtés : « On trouve même des docteurs parmi les catholi­ques qui faisant profession d'enseigner aux autres les vérités, ne vous connaissent pas, Seigneur, ni votre sainte Mère, si ce n'est d'une manière spéculative, sèche, stérile et indifférente. Ces messieurs ne parlent que rarement de votre sainte Mère et de la dévotion qu'on lui doit avoir, parce qu'ils craignent, disent-ils, qu'on en abuse, et qu'on ne vous fasse injure en honorant trop votre sainte Mère... S'ils parlent de la dévotion à Marie, c'est moins pour la recommander que pour détruire les abus qu'on en fait. Ils semblent croire que Marie est un empêchement pour arriver à l'union divine », alors que toute son influence a pour but de nous y con­duire. - Voir aussi ibid., ch. III, a. 1, § 1 – « Les dévots critiques. » - Le bienheureux n'a pas forcé la note, c'était l'époque où ces « dévots cri­tiques » cherchaient à répandre parmi les fidèles le pamphlet de Winden­felt intitulé : Avis salutaires de la B. V. Marie à ses dévots indiscrets. Voir Terrien, op. cit., IV° vol., p. 478.
    Au contraire, M. Boudon, archidiacre d'Évreux, mort en odeur de sain­teté, écrivait Le saint esclavage de l'admirable Mère de Dieu, et le cardinal de Bérulle répandait aussi cette dévotion par ses écrits.
  210. Cf. Dictionnaire de Theol. cath., art. Marie, col. 2470 ss. - La doctrine du Traité du Bx de Montfort, et quelquefois même ses expressions ont été du reste reprises par Pie X dans son Encyclique ad diem illum, 2 février 1904, sur Marie, médiatrice universelle. C'est l'encyclique où il est dit que « Marie, associée à Notre-Seigneur, nous a mérité d'un mérite de convenance les choses que lui-même nous a méritées en justice de con­digno, et qu'elle est la dispensatrice de toutes les grâces »
  211. Même des religieux qui auraient déjà fait les vœux solennels de pau­vreté, chasteté et obéissance, peuvent évidemment faire cet acte, qui les introduira plus profondément dans le mystère de la communion des saints.
  212. Cf. saint Thomas, Ia IIae q 114, a. 2 : « Merito condigni nullus potest mereri alteri primam gratiam, nisi solus Christus. »
  213. Saint Thomas, avec les anciens théologiens, enseigne en effet, IIIa, q. 89, a. 2 : « Selon que le pénitent a une contrition plus ou moins intense, il reçoit une grâce plus ou moins grande. Or il arrive que sa con­trition est proportionnée à un plus haut degré de grâce que celui qu'il avait perdu, ou à un degré égal, ou à un degré moindre. C'est pourquoi le pénitent revit quelquefois avec une plus grande grâce que celle qu'il avait perdue, ou avec une grâce égale, ou avec une grâce moindre; et, il en est de même des vertus qui dérivent de la grâce habituelle. »
  214. Cf. le Bx Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, ch. IV, a. 1.
  215. II° partie, ch. II, a. 2 : Marie nous a mérité d'un mérite de conve­nance ce que Jésus nous a mérité en stricte justice.
  216. Cf. saint Thomas, Ia IIae, q. 114, a. 6: « Merito congrui potest aliquis alteri mereri primam gratiam. »
  217. Cf. saint Thomas, IIIa, q. 14, a. 1; q. 48, a. 2; Suppl., q. 13, a. 2 : « Unus pro alio satisfacere potest, in quantum duo homines sunt unum in caritate. »
  218. Cf Bx de Montfort, op. cit, ch. IV. Réponses à quelques objections.
  219. Cf. ibid., ch. IV, a. 2.
  220. Cf. ibid., ch. V en entier.
  221. Saint François d'Assise comprit un jour par une vision que ses fils s'efforçaient vainement d'atteindre Notre-Seigneur par une échelle abrupte qui montait immédiatement vers lui ; Jésus lui montra alors une autre échelle de pente plus douce au sommet de laquelle apparaissait Marie, et il lui dit : « Conseille à tes fils de prendre l'échelle de ma Mère ».
  222. Selon le bienheureux, ibid., ch. I, a. 2, § 3, la dévotion à la Sainte Vierge sera plus spécialement nécessaire dans les derniers temps, où il y aura un plus grand effort de Satan « jusqu'à séduire, s'il se pouvait, les élus mêmes » (Matth., XXIV, 24). « Si les prédestinés, dit-il, entrent, avec la grâce et la lumière du Saint-Esprit, dans la pratique intérieure et par­faite de cette dévotion, alors ils verront clairement, autant que la foi le permet, cette belle étoile de la mer, et ils arriveront à bon port, malgré les tempêtes et les pirates, en suivant sa conduite Ils connaîtront les gran­deurs de cette souveraine, et ils se consacreront entièrement à son ser­vice, comme ses sujets et ses esclaves d'amour » pour combattre ce que saint Paul appelle « esclavage du péché », (Rom., VI, 20). Ils éprouveront ses douceurs et ses bontés maternelles, et ils l'aimeront comme ses enfants bien-aimés (Ibid.; ch. I, a. 2)
    On a parfois critiqué l'expression « de saint esclavage » dont se sert le bienheureux; s'est oublier que c'est un « esclavage d'amour » qui, loin de diminuer le caractère filial de notre amour pour Marie, l'accentue.
    Comme l'a noté Mgr Carnier, évêque de Luçon, dans une lettre pastorale du 11 mars 1922, s'il y a dans le monde bien des esclaves du respect humain, de l'ambition, de l'argent, et d'autres passions plus honteuses, il y a encore, heureusement, des esclaves de la parole donnée, des esclaves de la conscience et du devoir. le saint esclavage appartient à ce dernier groupe. Il y a là une vive métaphore, qui s'oppose à l'esclavage du péché.
  223. Cf. Bx de Montfort, op. cit., ch. VIII, a 2.
  224. Ibid., ch. VII.
  225. Ibid., ch. VII. a. I.
  226. On dit plus souvent une foi rendue pénétrante par le don d'intelli­gence qui donne précisément, comme l'explique sains Thomas, cette pénétration.
  227. Sermo 208 (qui a été attribué à saint Augustin) « Si formam Dei te appellem, digna existis. » « Vous êtes digne d'être appelée le moule de Dieu. »
  228. Cf. La Vie Spirituelle, janvier 1937 : L'union mystique à la Sainte Vierge, pp. 15-29. - Voir ici plus haut, pp. 240-255, « du mode d'influence de Marie sur nous ».
  229. Les Cahiers de la Vierge du mois de mai 1936 ont publié sous le titre L'Union mystique à Marie, par MARIE DE SAINTE-THÉRÈSE, le texte tra­duit du flamand par L. Van den Bossche (Introduction à la vie mariale. - La vie mariale. - Le terme de la vie mariale). Cf. p. 55 : « Dans cette vie, l'âme est transformée en Marie par fusion d'amour » et conduite ainsi, à l'intimité du Christ (item, pp. 62-68 ss.).
  230. Mère Marie de Jésus, fondatrice de la société des Filles du Cœur de Jésus : Pensées de la servante de Dieu, Mère Marie de Jésus .(1841-1884) Rome, 1918, pp. 43 ss., 50.
  231. Sermo in Nativitatem Virginis Mariae, IVa consideratio.
  232. Sermo. I de S. Joseph, c. III. Opera, Lyon, 1650, t. IV, p. 254.
  233. Summa de donis S. Joseph, ann. 1522, nouv. éd. du P. Berthier, Rome, 1897.
  234. In Summam S. Thomae, IIIa, q. 29, disp. 8, sect. I.
  235. Sermone di S. Giuseppe. Discorsi morali, Naples, 1841.
  236. Saint Jospeh intime, Paris, 1920.
  237. Tractatus de Sancto Joseph, Paris, s. d. (1908).
  238. La Grandezza di. San Giuseppe, Rome, 1927, pp. 36 sq.
  239. Epist. encyclica « Quamquam pluries », 15 Aug. 1899 : « Certe Ma­tris Dei tam in excelso dignitas est, ut nihil fieri majus queat. Sed tamen quia intercessit Josepho cum Virgine beatissima maritale vinculum, ad illam praestantissimam dignitatem, qua naturis creatis omnibus longissime Deipara antecellit, non est dubium quin accesserit ipse, ut nemo magis. Est enim conjugium societas necessitudoque omnium maxima, quae satura sua adjunctam habet bonorum unius cum altero communi­cationem. Quocirca si sponsum Virgini Deus Josephum dedit, dedit protecto non modo vitae socium, virginitatis testem, tutorem honestatis, sed etiam excelsae dignitatis ejus ipso conjugali foedere participem. »
  240. Cf. saint Thomas, IIIa q. 7, a.9
  241. Cf. ibidem, q. 27, a. 6.
  242. Cf. ibidem, IIa IIae, q. I, a. 7, ad 4
  243. Cf. saint Thomas, Ia, q. 94, a.3.
  244. Cf. Dict. Théol. cath., art Joseph (Saint), col. 1518.
  245. Homil. II super Missus est, prope finem : « Fidelis, inquam, servus et prudens, quem constituit Dominus suae Matris solatium, suae carnis nutritium, solum denique in terris magni consilii coadjutorem fidelissi­mum. »
  246. Sermo I de S. Joseph : « Omnium singularium gratiarum alicui rationali creaturae communicatarum, generalis regula est : quod quando­cumque divina gratia eligit aliquem ad aliquam gratiam singularem, seu ad aliquem sublimem slatum, omnia charismata donet, quae illi personae sic electae et ejus officio necessariae sunt atque illam copiose decorant. Quod maxime verificatum est in sancto Joseph, putativo Patre Domini nos­tri Jesu Christi, et vero Sponso Reginae mundi et Dominae angelorum, qui ab aeterno electus est fidelis nutritius atque custos pincipalium the­saurorum suorum, scilicet Filii ejus et Sponsae suae : quod officium fidelissime prosecutus est... Si compares eum ad totam Ecclesiam Christi, nonne iste est homo electus et specialis, per quem et sub quo Christus est ordinale et honeste introductus in mundum ? Si ergo Virgini Matri tota Ecclesia sancta debitrix est, quia per eam Christum suscipere digna facta est; sic profecto, post eam, huic debet gratiam et reverentiam singularem... Omnibus electis Panera de coelo, qui coelestam vitam tribuit, cum multa solertia enutrivit. »
  247. Somma de donis sancti Joseph (ouvrage très loué par Benoît XIV), Pars IIIa. c. XVIII, tout ce chapitre expose la supériorité de la mission de saint Joseph sur celle des Apôtres. - Voir aussi ibid., c. XVII : « de dono plenitudinis gratiae (in S. Joseph). »
  248. In Summum S. Thomae, IIIa. q. 29, disp. 8; sect. I.
  249. Cf. Mgr G. SINIBALDI, La Grandezza di San Giuseppe, Roma, 1927, pp. 36 sq. : « Il ministero di San Giuseppe e l'ordine della Unione iposta­tica... Maria e nata per essere la Madre di Dio... Ma lo sposalizio verginale di Maria dipende da Giuseppe... Laonde il ministero di Giuseppe ha uno stretto rapporto con la costituzione dell' ordine della Unione ipostatica... Celebrando il suo connubio verginale con Maria, Giuseppe prepara la Madre di Dio, come Dio la vuole; e in ciò consiste la sua cooperazione nell' attuazione del grande Mistero. - Da ciò appare che la cooperazione di Giuseppe non uguaglia quella di Maria. Mentre la cooperazione di Maria è intrinseca, fisica, immediata, quella di Giuseppe è estrinseca, morale, mediala (per Maria); ma e vera cooperazione. »
  250. Cf. saint Thomas, IIIa, q. 24, a. 1, 2, 3, 4.
  251. Premier panégyrique de saint Joseph, 2e point, éd. Lebarcq, t. II, pp. 135 ss.
  252. Il est dit de l'Enfant Jésus, en saint Luc, II, 51, qu'il était « soumis » à Marie et à Joseph. Cependant, en son humilité, Joseph, comme on l'a dit, devait éprouver une certaine confusion, lui le moins parfait des trois, à être le chef de la sainte Famille.
  253. Cf. Bossuet, ibidem, exorde.
  254. Deuxième panégyrique de saint Joseph, exorde;
  255. Premier panégyrique de saint Joseph, exorde.
  256. Deuxième panégyrique de saint Joseph, 3e point.
  257. Traité de l'amour de Dieu, l. VII, ch. XIII.
  258. Cf. HAMON, Notre-Dame de France, t. I. p. 352; Dom MORIN, Histoire du Gâtinais, p. 365.
  259. P. L., t. CXXXV, pp. 51 ss, 1168; HINCMAR, Vita sancti Remigii, c. 54; FLODOMARD, Hist. Ecl. Rem. t.I, c. 18.
  260. Voir ce que dit à ce sujet M. de la Franquerie, La Vierge Marie dans l’histoire de France, 1939, p. 271.