Différences entre les versions de « Le Traité du Saint-Esprit (Mgr Gaume), Tome 2, deuxième partie »

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Le genre humain, tiré de la barbarie païenne, et établi dans la pleine lumière de l'Évangile : tels sont les effets généraux des dons du Saint-Esprit. Disons-le en passant, devant ce fait toujours ancien et toujours nouveau, que sont les objections de l'incrédule contre le christianisme? Ce que sont les raisonnements de l'aveugle-né contre l'existence du soleil, ce que sont les paroles de l'insensé contre la certitude des axiomes de géométrie. Comment ce grand fait s'est-il accompli dans l'humanité ? Comme il s'accomplit dans chaque homme. Il a commencé par le [[don de crainte|don de crainte]], qui lui-même a appelé tous les autres.
 
Le genre humain, tiré de la barbarie païenne, et établi dans la pleine lumière de l'Évangile : tels sont les effets généraux des dons du Saint-Esprit. Disons-le en passant, devant ce fait toujours ancien et toujours nouveau, que sont les objections de l'incrédule contre le christianisme? Ce que sont les raisonnements de l'aveugle-né contre l'existence du soleil, ce que sont les paroles de l'insensé contre la certitude des axiomes de géométrie. Comment ce grand fait s'est-il accompli dans l'humanité ? Comme il s'accomplit dans chaque homme. Il a commencé par le [[don de crainte|don de crainte]], qui lui-même a appelé tous les autres.
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'''Que prêche Jean-Baptiste, le précurseur de la lumière? La crainte. « Faites de dignes fruits de pénitence.''' Déjà la cognée est mise à la racine de l'arbre tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » (''Luc'', III, 8.) Et Pierre, le premier interprète du Rédempteur devant les Juifs : « Faites pénitence et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. » (''Act''., II, 38.) Et Paul, son apôtre devant les gentils : « Dieu annonce maintenant aux hommes que tous, en tous lieux, fassent pénitence. » (''Act''., XVII, 30.) Ainsi, partout le don de crainte en première ligne. '''Le'''
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'''commencement de la sagesse, c'est la crainte : telle est la loi immuable de la rédemption.'''
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'''Par la raison contraire, la perte de la crainte est le commencement de la ruine.''' Comment le monde chrétien secoue-t-il le joug du christianisme? Comment arrive-t-il même à ce degré d'aberration, de nier l'évidence des faits évangéliques? En perdant les dons du Saint-Esprit. Dans quel ordre les perd-il? Dans le même ordre où il les reçoit. Le premier perdu, comme le premier reçu, c'est la crainte.
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Que penser d'une époque qui n'a plus la crainte de Dieu? Les dons du Saint-Esprit étant inséparables; une époque qui perd la crainte de Dieu est une époque qui perd la [[sagesse|sagesse]], qui perd l'intelligence, qui perd le conseil, qui perd la force de la vertu. C'est une époque qui se trouve livrée aux sept esprits contraires, à l'esprit d'orgueil, à l'esprit d'avarice, à l'esprit de luxure, à l'esprit d'iniquité sous tous les noms et sous toutes les formes. Où va-t-elle? Comment s'étonner de ce que nous voyons ? Comment ne pas pressentir ce que nous verrons? Si la crainte est le commencement de la sagesse, l'absence de crainte est le commencement de la folie. Ici, la folie est le prélude du crime sans remords chez les individus, et de catastrophes sans nom pour les peuples. S'il ne veut pas périr, que le monde revienne donc à la crainte : c'est la première loi de sa conservation, la première, condition de son [[bonheur|bonheur]]  Timeat Dominum ornais terra... Beatus vir qui timet Dominum. Ps. 32 et 111.
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===CHAPITRE XXVII. LE DON DE CRAINTE. Les sept dons du Saint-Esprit opposés aux sept péchés capitaux. - Lumineux aperçu. - Ce qu'est le don de crainte. - Ses effets ; respect de Dieu, horreur du péché. - Sa nécessité : il nous donne la liberté on nous délivrant de la crainte servile. - De la crainte mondaine. - De la crainte charnelle. - Il nous arme contre l'esprit d'orgueil.- Ce qu'est l'orgueil et ce qu'il produit.==

Version du 26 octobre 2005 à 12:43

Mgr Gaume, Traité du Saint-Esprit, 1865, troisième édition, Gaume et Cie Editeurs, 3 rue de l'Abbaye, tome II, Paris 1890.

CHAPITRE XXVI (SUITE DU PRÉCÉDENT.) Nombre des dons du Saint-Esprit. - Inséparabilité. - Perpétuité. - Dignité. - Ordre des dons en Notre Seigneur. - Ils commencent par la sagesse et finissent à la crainte. - Raison de cet ordre. - Manifestation de chaque don du Saint-Esprit dans la vie de Notre Seigneur. - En nous, les dons commencent par la crainte et finissent à la sagesse. - Raison de cet ordre. - Loi du monde moral. - Nécessité de la connaître et de la suivre. - Effets généraux des dons du Saint-Esprit sur l'humanité.

On ne saurait trop le répéter, sans les dons du Saint-Esprit, l'homme est privé de mouvement surnaturel. Il ne peut convenablement ni connaître le bien, ni l'opérer, ni éviter le mal, ni s'ouvrir les portes du ciel. Mais quel est le nombre de ces dons, plus précieux que tout l'or du monde, plus nécessaires mille fois que la vie naturelle? L'Écriture nous donne la réponse. Parlant de Notre Seigneur, le second Adam, le prophète Isaïe s'exprime en ces termes : « Et sur lui reposera l'Esprit du Seigneur : l'Esprit de sagesse et d'intelligence ; l'Esprit de conseil et de force; l'Esprit de science et de piété, et l'Esprit de la crainte du Seigneur le remplira. » (XI, 2, 3.) Ce qui s'est accompli dans le Verbe incarné doit s'accomplir dans chacun de ses frères. Au jour du baptême, tout chrétien reçoit les sept dons du Saint-Esprit.

Pourquoi ces dons divins sont-ils au nombre de sept

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et non pas au nombre de six ou de huit? Rappelons-nous que les dons du Saint-Esprit ont pour but d'imprimer le mouvement aux vertus. Or, il y a sept vertus : trois théologales et quatre cardinales. Ces vertus comprennent toutes les forces, principes d'actes surnaturels. Ces forces reposent toutes dans l'entendement et dans la volonté. L'entendement doit saisir la vérité, s'en nourrir et la transmettre; la volonté, l'aimer et la réduire en actes.

Pour connaître la vérité d'une connaissance utile, l'entendement a besoin des dons d' intelligence, de conseil, de sagesse et de science. Les dons de piété, de force et de crainte sont les auxiliaires indispensables de la volonté, dans l'amour et la pratique du bien (Corn. a Lap., in Is., XI, 3.) Ainsi, les dons du Saint-Esprit atteignent toutes les facultés de l'âme, toutes les vertus intellectuelles et morales, et les suivent dans leurs actes, de quelque nature qu'ils soient (S. Th., 1a 2ae, q. 68, art. 4, corp.)

Sous une figure d'une profonde vérité, saint Grégoire montre la même raison du nombre sept. « Dieu, dit-il, a créé le monde et l'a rendu parfait en sept jours. Image de Dieu, l'homme est créateur. A chaque jour de sa création spirituelle, correspond un don du Saint-Esprit. Tous ensemble accomplissent et perfectionnent les travaux, tant de la vie active que de la vie contemplative. » (Super Ezech., homil. II.) Il en résulte que le nombre sept

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est celui qui convient aux dons du Saint-Esprit : plus serait inutile, moins pas assez. A cette précision merveilleuse, comment ne pas reconnaître l'infinie sagesse qui, dans l'ordre moral non moins que dans l'ordre physique, fait tout avec nombre?

Elle brille d'un nouvel éclat, si on considère, comme nous le ferons plus tard, que les dons du Saint-Esprit sont opposés aux sept péchés capitaux. Ces sept péchés ou, pour mieux dire, ces sept Esprits mauvais en veulent aux sept vertus ou puissances de l'homme, ainsi qu'à son entendement et à sa volonté, c'est-à-dire qu'ils attaquent l'homme dans tout son être. Pour lutter avec succès contre ces sept puissances infernales, sept forces divines étaient nécessaires à l'homme. Il les trouve, ni plus ni moins, dans les sept dons du Saint-Esprit.

Nouveau trait de sagesse et de bonté : ce brillant cortège de perfections surnaturelles, cette puissante cohorte d'auxiliaires divins est indissoluble. Les dons du Saint-Esprit sont inséparables les uns des autres. « Aucune vertu morale, dit le prince de la théologie, ne peut exister dans l'homme sans la prudence. Toutes se réunissent dans cette vertu, qui les dirige suivant les lumières de la raison. Il en est ainsi du chrétien. Toutes ses vertus, toutes les forces de son âme sont excitées et régies par les dons du Saint-Esprit. Or, le Saint-Esprit habite en nous par la charité. Ainsi, comme les vertus morales sont mises en faisceau par la prudence, les dons du Saint-Esprit se trouvent liés

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ensemble dans la charité. Celui donc qui a la charité possède les sept dons du Saint-Esprit, et celui qui la perd les perd tous les sept; niais il les recouvre en recouvrant la grâce. » (1a 2ae, q. 58, art. 4, Corp.; et q. 68, art. 5, corp.)

Telle est, pour le dire en passant, la raison du nombre sept, si souvent reproduit dans les pénitences canoniques et dans les indulgences accordées par l'Église. (S. Anton., Summa theolog., p. IV, tit. X, c. I, p. 152, edit. in-4 Venet, 1861.)

Non seulement les dons du Saint-Esprit sont inséparables; ils sont encore tellement permanents, qu'ils survivent même à la mort. Moyens nécessaires de sanctification dans l'exil, ils deviennent dans la patrie des sources de gloire et de béatitude. « Les dons du Saint-Esprit, continue saint Thomas, peuvent être considérés dans leur objet actuel ou dans leur essence. En tant qu'ils résident dans l'homme voyageur, ils ont pour objet les œuvres de la vie active, c'est-à-dire la pratique des différents devoirs auxquels le salut est attaché. Sous ce rapport ils ne demeurent pas dans le ciel. La fin étant obtenue, les moyens n'ont plus de raison d'être.

« Il en est autrement, si on les considère dans leur essence. En effet, il est de leur essence de perfectionner l'âme, de manière à la rendre docile à l'impulsion divine. Or, dans le ciel cette docilité sera complète. Là, Dieu sera tout en toutes choses, et l'homme parfaitement soumis à Dieu. Ainsi, non seulement les dons

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du Saint-Esprit, principes de cette docilité, subsisteront dans le ciel; mais, incomparablement plus parfaits qu'ici-bas, ils brilleront dans les élus d'un éclat splendide et seront la mesure de leur bonheur et de leur gloire. » (1a 2ae, q. 68, art. 6, corp.)

Cet éclat ne sera pas le même pour tous les dons ; car tous n'ont pas la même excellence. Tous, il est vrai, sont des pierres précieuses qui formeront la couronne des élus; mais dans le ciel, Comme sur la terre, toutes les pierres précieuses n'ont ni le même prix ni la même splendeur. Le rubis, l'émeraude, la topaze, le diamant, ont chacun sa beauté spécifique et un éclat différent. Qu'une excellence relative, une dignité hiérarchique distingue les dons du Saint-Esprit, rien n'est plus facile à prouver.

Ces dons correspondent aux vertus, c'est-à-dire que chaque don a pour but de mettre en mouvement une vertu particulière et de l'ennoblir, en lui faisant produire des actes, promptement, facilement, constamment, sous l'impulsion du Saint-Esprit. Or, il y a une différence de dignité entre les vertus. Sans parler des vertus théologales, les premières de toutes, les vertus intellectuelles sont supérieures aux vertus morales; et parmi les vertus intellectuelles, les vertus contemplatives sont préférables aux vertus actives. La cause en est que les premières perfectionnent la plus noble faculté de l'homme, la raison; tandis que les secondes ne perfectionnent que la volonté.

C'est une nécessité qu'il en soit de même parmi les dons; car plus noble est la chose à mouvoir, plus

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noble doit être le moteur; plus parfaite est la faculté à perfectionner, plus parfait doit être le principe perfectionnant. « Ainsi, ajoute saint Thomas, dans les dons, la sagesse et l'intelligence, la science et le conseil sont préférés à la piété, à la force et à la crainte. Parmi ces trois derniers, la piété est préférée à la force, et la force à la crainte; comme la justice elle-même est préférée à la force, et la force à la tempérance. Telle est la supériorité relative des dons, pris en eux-mêmes.

« Considérés sous le rapport des actes, la force et le conseil sont préférés à la science et à la piété, parce que la force et le conseil s'exercent dans les cas difficiles; la piété et même la science, dans les cas ordinaires. On voit que la dignité des dons correspond à l'ordre dans lequel ils sont énumérés, partie simplement, en tant que la sagesse et l'intelligence sont préférées à tous; partie suivant leur ordre d'application, en tant que le conseil et la force sont préférés à la science et à la piété. » (S. Th., 1a 2ae, q, 68, art. 7, corp.)

Mais dans quel ordre les dons du Saint-Esprit sont-ils énumérés? On trouve deux manières de les compter : l'une descendante, qui commence par la sagesse et finit par la crainte; l'autre ascendante, qui commence par la crainte et finit par la sagesse. Lorsqu'il les répand sur Notre Seigneur, le Saint-Esprit nomme ses dons par ordre de dignité ; sur nous, par ordre de nécessité. De Notre Seigneur il est dit : Sur lui reposera l'esprit de sagesse, et il sera rempli de, l'Esprit de la crainte du Seigneur. De nous il est dit:

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La crainte est le commencement de la sagesse (Ps., CX, hébr.CXI., 10; Proverbes VIII., 13; IX., 10;) Pourquoi cette double échelle ?

Le Verbe incarné est la sagesse éternelle; et le premier don communiqué à son âme est la sagesse. Par là, le Saint-Esprit a voulu montrer que cette humanité sainte, étant sans péché ni imperfection, participe de prime abord à l'attribut suprême de la personne divine, à laquelle elle est unie. Le dernier don nommé par le Saint-Esprit, c'est la crainte. Le siège de la crainte est surtout dans la partie inférieure de l'âme, c'est-à-dire dans le point qui met Notre Seigneur en contact immédiat avec notre pauvre humanité. Et le Saint-Esprit a voulu nous apprendre que la crainte est le premier degré de l'échelle qui doit nous élever jusqu'à Dieu, la Sagesse infinie. Tel est l'ordre suivant lequel le Saint-Esprit se communique au Dieu homme, l'innocence même et le réparateur de l'innocence.

Quant à nous, nous recevons les dons du Saint-Esprit dans l'ordre inverse ; on le conçoit (St Bonav., ubi supra, p. 241.) Chargé de misère et de péchés, le premier sentiment que l'homme doit éprouver devant Dieu, c'est la crainte. Voilà pourquoi la crainte est le premier don qu'il reçoit, et la sagesse le dernier auquel il parvient. Dans le Verbe incarné, le Saint-Esprit, pour arriver jusqu'à nous, descend de la sagesse à la crainte, et, pour nous relever jusqu'à notre Frère aîné, il nous fait remonter de la crainte à la sagesse.

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Si on veut que le chrétien connaisse l'enchaînement et la dignité relative des dons du Saint-Esprit, tel est l'ordre qu'il importe de suivre en les expliquant. Il est d'autant plus rationnel, que les dons du Saint-Esprit sont directement opposés aux péchés capitaux. Or, l'orgueil est le père de tous les autres : Initium omnis peccati est superbia; il est aussi le premier qu'on explique. La crainte en est le remède, comme nous le montrerons. C'est donc par la crainte que doit commencer l'explication des dons du Saint-Esprit.

Comme il est facile de le voir, ces deux ordres, dont l'un descend et l'autre monte, renferment de grands enseignements et de belles harmonies. Ni les uns ni les autres n'ont échappé au regard pénétrant des docteurs de l'Église. « Par le nombre sept, dit saint Augustin, les dons nous révèlent le Saint-Esprit qui, en descendant à nous, commence par la sagesse et finit par la crainte; tandis que nous, pour monter jusqu'à lui, nous commençons par la crainte et finissons par la sagesse; car la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. » (Serm. 448, c. IV, opp. T. V, p. I, d. 1499.)

Et ailleurs : « Lorsque le prophète Isaïe célèbre les sept dons merveilleux du Saint-Esprit, il commence par la sagesse et arrive à la crainte, descendant du sommet jusqu'à nous, afin de nous apprendre à monter. Il part du point où nous voulons parvenir et il parvient au point d'où nous devons commencer. Sur lui reposera, dit-il, l' Esprit du Seigneur, l'Esprit de sagesse et d'enten-

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dement, l'Esprit de conseil et de force, l'Esprit de science et de piété, l'Esprit de la crainte du Seigneur. Ainsi, comme le Verbe incarné, non en diminuant, mais en nous enseignant, descend depuis la sagesse jusqu'à la crainte; de même nous devons monter, en avançant depuis la crainte jusqu'à la sagesse. La crainte, en effet, est le commencement de la sagesse. Elle est cette vallée des pleurs dont parle le prophète lorsqu'il dit : Il a disposé des ascensions clans son coeur, au fond de la vallée des larmes.

« Cette vallée, c'est l'humilité. Or, quel est l'humble, sinon celui qui craint Dieu et qui, à cause de cette crainte, fait couler de son cœur des larmes de confession et de pénitence ? Dieu ne méprise pas un cœur contrit et humilié. Qu'il ne craigne donc pas de demeurer dans le fond de la vallée. Dans ce cœur contrit et humilié, Dieu a préparé des ascensions, par lesquelles nous nous élevons jusqu'à lui. Où se font ces ascensions ? Dans le cœur, dit le prophète, in corde. D'où faut-il monter ? Du fond de la vallée des pleurs. Où faut-il monter ? Au lieu que Dieu lui-même a préparé, in locum quem disposuit. Quel est ce lieu? Le lieu du repos et de la paix, où habite, resplendissante de lumière, l'immortelle Sagesse.

« Ainsi, pour nous instruire, Isaïe descend par degrés, depuis la sagesse jusqu'à la crainte, c'est-à-dire depuis le séjour de la paix éternelle, jusqu'au fond de la vallée des pleurs, passagers comme le temps. Il veut nous apprendre, pauvres pénitents qui pleurons et qui gémissons, à ne pas demeurer dans les gémissements et dans les larmes ; mais à monter de cette triste vallée jusqu'à la montagne spirituelle, au sommet de laquelle

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est bâtie la sainte Jérusalem, notre mère, où nous ,jouirons d'une joie sans mélange et sans fin. Telle est la raison pour laquelle il place au premier rang la sagesse, c'est-à-dire la vraie lumière de l'âme, et au second l'intelligence. Comme s'il répondait à ceux qui lui demandent, de quel point il faut partir pour arriver à la sagesse, il dit : De l'intelligence. Et pour parvenir à l'intelligence? Du conseil. Et au conseil? De la force. Et à la force? De la science. Et à la science? De la piété. Et à la piété? De la crainte. Donc à la sagesse, depuis la crainte; de la vallée des pleurs, jusqu'à la montagne de la paix. » (Serm. 247, c. III, opp. t. IV, p. 1987.)

Dans la manière dont Isaïe parle du don de crainte en Notre Seigneur, l'abbé Rupert nous fait admirer la profonde condescendance du Verbe incarné, devenu le sauveur et le précepteur du genre humain. Voici ses paroles : « Le prophète dit : Et l'Esprit de la crainte du Seigneur le remplira. Il est digne de remarque qu'en parlant des six premiers dons, Isaïe dit constamment : Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur, l'Esprit de sagesse, l'Esprit d'intelligence, et ainsi des autres. Pourquoi, arrivé au septième, change-t-il le mot et dit-il : L'Esprit de crainte le remplira? Comprenons le mystère : Dieu a voulu montrer à l'univers cet étonnant spectacle, le créateur de l'homme, le Dieu de l'éternité, descendant jusqu'au point duquel doit partir l'homme pécheur, pour

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sortir de l'abîme du vice et se délivrer des chaînes infernales du péché.

« En effet, le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. C'est jusque-là que le Créateur est descendu. L'Esprit de la crainte de Dieu le remplira, dit le prophète. Qu'il ait dit : Sur lui reposera l'Esprit de sagesse et d'intelligence, il n'y a rien d'étonnant. Toutes ces magnifiques qualités conviennent à la majesté d'un Dieu. Mais quel est l'ange ou l'homme qui ne soit pas stupéfait, en voyant le Seigneur descendre jusqu'à la crainte du Seigneur; le Maître souverain et redouté du ciel et de la terre, rempli de crainte, non pas en partie, mais pleinement et dans toute l'étendue que des hommes inspirés du Saint-Esprit peuvent donner an mot plénitude? » (De Spir. sanct., lib. I, C. xxv.)

Telle est la mystérieuse échelle que le Verbe, conduit par le Saint-Esprit, a descendue pour arriver jusqu'à nous, et que nous-mêmes devons monter pour parvenir jusqu'à lui. Un instant arrêtons-nous à considérer ce double mouvement de descente et d'ascension. Intéressante par elle-même, cette étude a trois grands avantages. Le premier : de vérifier par des faits l'énumération hiérarchique d'Isaïe; le second : de nous orienter dans l'exercice des dons du Saint-Esprit; le troisième : de mettre au jour les effets généraux des dons du Saint-Esprit sur le genre humain.

1° Vérifier l'énumération hiérarchique d'Isaïe. Sans doute, la vie du Verbe fait chair est une manifestation

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soutenue de l'Esprit, qui reposait sur lui. On y trouve néanmoins des circonstances, où brille d'un éclat plus marqué chaque don de l'Esprit septiforme, et dans l'ordre même de l'énumération prophétique.

Jésus entre dans sa vie publique, et le premier don qui brille en lui, c'est la sagesse. A peine sorti des eaux du Jourdain, l'Esprit le pousse au désert. Là, il jeûne quarante jours et quarante nuits; permet au démon de venir le tenter, afin d'avoir occasion de le vaincre; repousse ses attaques par des paroles divines, admirablement choisies, et prélude ainsi à toutes les victoires que lui et ses disciples, de tous les siècles et de tous les pays, remporteront sur l'éternel tentateur.

Où est l'homme dont la vie présente une sagesse comparable à celle-là?

Revenu parmi les hommes, un de ses premiers actes est d'entrer dans la synagogue de Nazareth; il se lève pour faire la lecture des livres saints. On lui a donné Isaïe; il l'ouvre et tombe sur ce passage : « L'Esprit du Seigneur est sur moi; il m'a consacré par son onction pour évangéliser les pauvres, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour annoncer aux captifs leur délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour soulager les opprimés et prêcher l'année de grâce du Seigneur et le jour de la justice. » (Luc., IV, 17-19.) Et, quand il eut fermé le livre, il ajouta : Aujourd'hui, cette parole de l'Écriture que vous venez d'entendre est accomplie. Elle est accomplie; car le prophète parle de miracles de l'ordre moral, et en moi et par moi vous allez voir s'opérer tous ces miracles.

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Trouver immédiatement ce passage d'Isaïe et en donner le sens précis, n'est-ce pas le triomphe du don d' Intelligence?

Voici le don de conseil. Soupçonnant l'incrédulité de ses auditeurs, il va leur faire entendre que ces miracles ne sont pas pour eux. « En vérité je vous le dis; il y avait beaucoup de veuves au temps d'Élie en Israël, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois, et qu'une grande famine se fit sentir par toute la terre. Or, à aucune d'elles Élie ne fut envoyé, mais à une femme veuve, en Sarepta des Sidoniens. Et il y avait plusieurs lépreux en Israël au temps du prophète Élisée, et aucun d'entre eux ne fut guéri, mais Naaman Syrien. » (Luc., IV, 25-27.)

Connaissance claire et révélation précise des décrets éternels sur les Juifs et sur les gentils, tout est dans ces paroles. Sur les lèvres du Sauveur elles disent : Par votre orgueil; Juifs, vous fermerez sur vos têtes le ciel de la miséricorde ; toute la pluie de grâces, tombée sur vous par le ministère de Moïse et des prophètes, va prendre sa direction vers les gentils; et votre lèpre, que vous ne voudrez pas guérir, sera la guérison de la lèpre des nations, dont l'Esprit aux sept dons sera le purificateur et le médecin.

Le don de Conseil peut-il briller d'un éclat plus vif?

Le don de Force n'est pas plus difficile à trouver. Irrités de la preuve qu'il venait de leur donner du don de conseil, les Juifs s'emparent du Verbe incarné et le conduisent au sommet de la montagne, sur laquelle leur ville était bâtie, afin de le précipiter; mais il leur coula dans les mains et s'éloigna tranquillement. Ce

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n'était là que le prélude d'actes plus éclatants du don de force.

Chasser le fort armé de sa citadelle, briser les liens de la mort, se ressusciter lui-même à la gloire, qu'est-ce que cela, sinon le don de Force, élevé à sa plus haute puissance?

Chaque pas du Sauveur dans sa vie publique est marqué par le don de Science. Que dis-je? on le voit resplendir comme un rayon de lumière divine, dans l'obscurité de sa vie cachée. Pourrions-nous oublier l'étonnement causé à tous les vieux docteurs de la loi, par les questions et les réponses de cet enfant de douze ans? mais comme le soleil devient plus éclatant à mesure qu'il avance sur l'horizon, avec les années le don de Science brille dans Jésus, d'une splendeur nouvelle. A la fête des Tabernacles, il monte à Jérusalem. Devant la foule réunie dans le temple il enseigne sa doctrine. L'admiration éclate de toutes parts et se traduit par ces mots : Comment sait-il les Écritures, puisqu'il ne les a point apprises?

Peut-on mieux proclamer le don de Science?

Continuant de descendre les degrés, de l'échelle mystérieuse, le Verbe rédempteur arrive au don de Piété. Personne n'ignore ce que révèlent les touchantes paraboles du bon Samaritain ; du Père de famille qui convie à son festin les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux; de la drachme et de la brebis perdues.

Mais la parabole de l'enfant prodigue, n'est-elle pas l'inimitable chef-d'œuvre du don de Piété? Enfin, nous touchons au don de Crainte. Parce qu'il marque au genre humain le premier pas qu'il doit faire pour s'élever à Dieu, ce don paraît le dernier et dans

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les derniers moments du divin Maître. Il est comme le vestige encore chaud, dans lequel l'homme doit commencer par mettre le pied. Ce vestige ineffaçable est empreint au jardin des Olives. Voyez-vous le fort d'Israël, saisi tout à coup de crainte, d'ennui et de tristesse, tombant à genoux et disant: Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de mes lèvres? Le voyez-vous dans les frissons de l'agonie, couvert d'une sueur de sang et réduit, pour ne pas succomber, à accepter le secours d'un ange consolateur?

A la crainte mortelle, ajoutez la soumission la plus respectueuse et la plus entière aux ordres paternels, et dites si jamais le don de Crainte s'est révélé avec une pareille perfection! (Voir Rupert, De Spir. sanct., lib. I, c. XXI.)

2° Nous orienter dans l'exercice, ou la pratique, des dons du Saint-Esprit. Nous connaissons les degrés par lesquels le Verbe divin est descendu du sommet des collines éternelles, jusqu'au fond de la vallée des pleurs. Afin d'accomplir le mouvement contraire, quels sont ceux que nous devons suivre? Le savoir est pour nous d'un intérêt capital. C'est par les dons du Saint-Esprit que le Verbe a sauvé l'homme et créé un monde nouveau (Luc., IV, 17; "Hébr., IX, 14.).

Image du Verbe et petit monde, c'est par les mêmes dons, et par eux uniquement, que le chrétien peut et doit se sauver et faire de lui un monde nouveau. Sous sa main sont les moyens de succès. Comment les mettre en œuvre? Devant ses yeux est l'échelle à gravir. Avoir la prétention de s'élever de prime saut jusqu'à l'échelon supérieur serait folie. Il faut donc commencer par poser le

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pied sur le plus bas. Ce dernier échelon, nous l'avons vu, c'est la crainte. Le Sauveur nous y attend et nous donne la main. Le même Esprit qui l'a fait descendre jusque-là commence par nous élever aussi jusque là. Telle est sa première opération.

Écoutons saint Bernard. « C'est avec raison, dit-il, que la crainte de Dieu est appelée le commencement de la sagesse. En effet, Dieu commence à se faire goûter à l'âme lorsqu'il lui apprend à craindre et non à savoir : car craindre, c'est goûter : Timor, sapor est. Or, le goût rend sage, comme la science rend savant. Craignez-vous la justice et la puissance de Dieu ? vous goûtez Dieu juste et puissant. Sagesse vient de saveur. Voilà pourquoi la crainte, commencement de la sagesse, répand dans les profondeurs de l'être une saveur multiple qui régénère toute la famille intérieure de l'âme, purifie son royaume, le pacifie et le sanctifie. » (Serm. 23 in Cantic.)

L'affirmation du grand mystique est d'autant plus vraie, que le don de Crainte ne produit pas la crainte servile, mais la crainte filiale : crainte respectueuse, résignée et confiante, semblable à celle de l'Homme-Dieu au jardin de Gethsémani.

La crainte est donc le premier degré de notre ascension vers Dieu, la première condition de notre rachat, la première loi de notre régénération. L'Église le sait. Elle qui n'ignore aucun des secrets de l'ordre moral, commence toujours le salut de ses enfants par la crainte. A ses yeux, le travail de régénération ou de création nouvelle imposé à l'homme se divise en trois périodes qu'elle nomme la vie purgative, la vie illuminative et la

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vie contemplative. A chacune correspondent quelques-uns des dons du Saint-Esprit. La crainte est le premier fondement de la vie purgative, et la vie purgative est le commencement de la régénération.

Aussi, lisez tous les auteurs ascétiques, ces officiers du génie dans la guerre spirituelle: pas un qui ne donne aux plans d'attaque et de défense la crainte pour premier centre d'opérations. Écoutez tous les prédicateurs de retraites et de missions, ces capitaines expérimentés qui font manœuvrer toutes les forces spirituelles, contre les puissances ennemies du salut : pas un qui ne commence la bataille sans mettre en avant les fins dernières de l'homme, sources éternelles de la crainte.

Interprètes du Saint-Esprit, les uns et les autres ne font qu'appliquer la loi immuable, qui pose la crainte comme principe de la sagesse. Par l'organe infaillible du concile de Trente, l'Esprit sanctificateur décrit lui-même la manière dont il opère la justification des pécheurs. La crainte de la justice de Dieu leur donne le branle ; de la crainte ils passent à la considération de la miséricorde: cette considération les conduit à la confiance que Dieu leur pardonnera en vue des mérites de son Fils. Alors ils commencent à l'aimer comme source de toute justice, et à détester leurs péchés (Sess. IV, c. VI.)

Il est donc bien établi que c'est par le don de crainte que l'homme se met en contact avec la sagesse éternelle, et qu'il commence l'œuvre de sa nouvelle création. Cette création, chef d'œuvre des sept dons du Saint-Esprit, fut, comme toutes les œuvres de la grâce, figurée dans la création du monde matériel. De même que le premier jour

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de la semaine primitive appelle le second, et le second le troisième, jusqu'au dernier; ainsi le premier don du Saint-Esprit, mis en œuvre, conduit au second, et celui-ci à tous les autres, jusqu'au septième, la sagesse, qui est le repos parfait. Arrivé là, l'homme peut dire, comme Dieu lui-même, en contemplant son ouvrage : Il vit tout ce qu'il avait fait, et il le trouva très bien (S. Aug., De doctr. Christ., c. VII.) Comme nous avons expliqué ailleurs la suite de cet admirable travail, nous n'y reviendrons pas.

3° Effets généraux des dons du Saint-Esprit sur le genre humain. De Notre-Seigneur les dons du Saint-Esprit font un Dieu-homme. Du chrétien ils font un homme-Dieu. La première chose que les apôtres, organes du Saint-Esprit, prêchent aux représentants du genre humain, réunis sur la place du Cénacle, c'est la pénitence : Poenitentiam agite. Or, la pénitence est inséparable du don de crainte. Par ce don, l'humanité unie au Verbe incarné ne tarde pas à recevoir de sa plénitude, de la plénitude de sa Piété, de la plénitude de sa Science, de la plénitude de sa Force, de la plénitude de son Conseil, de la plénitude de son Intelligence, de la plénitude de sa Sagesse. Nous en recevons suivant la capacité de nos âmes et la mesure de notre fidélité. En lui est la source, en nous le ruisseau; en lui le foyer, en nous l'étincelle; en lui l'Esprit aux sept dons dans toute leur abondance; en nous une partie de cette abondance. Voilà pourquoi, remarque saint Chrysostome, le prophète ne dit pas: Je

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donne mon Esprit, mais: Je répandrai de mon Esprit sur toute chair (Exposit., in Ps. 44, n. 2, opp. t. V, p. I, p. 195.)

Et pourtant, voyez ce que produit dans le monde cette goutte de grâce, cette étincelle du Saint-Esprit! « La terre entière en reçoit l'influence, en éprouve la commotion. Tombée d'abord sur la Palestine, elle gagne l'Égypte, la Phénicie, la Syrie, la Cilicie, l'Euphrate, la Mésopotamie, la Cappadoce, la Galatie, la Scythie, la Thrace, la Grèce, la Gaule, l'Italie, toute la Libye, l'Europe, l'Asie et même l'Océan. Qu'est-il besoin d'un plus long discours ? Autant de terre que le soleil éclaire, autant cette grâce en parcourt, et cette grâce et cette étincelle du Saint-Esprit remplit le monde de science. Par elle s'accomplissent les miracles, par elle les péchés sont remis. Toutefois, cette grâce étendue à tant de régions n'est qu'une partie et une arrhe du Don lui-même. ll a déposé dans nos cœurs, dit l'Apôtre, une arrhe de l'Esprit, c'est-à-dire de son opération, car l'Esprit ne se divise pas.

Que dire de la source? A l'un est donné par l'Esprit le discours de la sagesse; à l'autre le discours de la science par le même Esprit; à l'autre la foi; à l'autre la grâce des guérisons; à l'autre le don des miracles par le même Esprit; à l'autre la prophétie; à l'autre le discernement des Esprits; à l'autre le don des langues. Tous ces dons, la grâce reçue au baptême les étend à toutes les nations. Voilà ce que fait une goutte du Saint-Esprit. Que ce soit une goutte seulement, le prophète le déclare en disant : Je répandrai de mon Esprit. Voyez donc quelle est la puissante fécondité de la grâce du Saint-Esprit,

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qui, depuis si longtemps, suffit au monde entier, et qui, ne connaissant ni frontières ni diminution, comble le genre humain d'ineffables richesses, sans s'appauvrir elle-même » (ubi supra).

Avant l'illustre patriarche de Constantinople, le grand Tertullien avait célébré la rapide déification du genre humain par l'Esprit aux sept dons. Pour lui, ce miracle était la preuve irréfutable de la divinité du Verbe fait chair, de qui le monde avait reçu l'Esprit régénérateur. « Les apôtres, dit-il dans son magnifique langage, furent les porte-voix du Saint-Esprit, et leurs paroles ont retenti à tous les échos de l'univers. A qui toutes les nations du globe ont-elles jamais cru? Au Christ, et au Christ seul. C'est devant lui que toutes les portes des villes se sont ouvertes, devant lui que toutes les serrures se sont brisées et que les valves d'airain ont roulé sur leurs gonds, pour lui donner passage. Sans doute ces miracles appartiennent à l'ordre moral, et il faut les entendre en ce sens que les coeurs des habitants de la terre, assiégés, fermés, possédés par le démon, ont été délivrés et ouverts par la foi du Christ. Mais ces miracles n'en sont pas moins réels, puisque dans tous les lieux habite aujourd'hui le peuple chrétien. Or, qui peut étendre son règne à l'univers entier, si ce n'est le Christ, Fils de Dieu, annoncé comme devant régner éternellement sur toutes les nations?

« Salomon a régné, mais dans les frontières de la

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Judée, depuis Dan jusqu'à Bersabée. Darius a régné sur les Babyloniens et les Perses, mais non au delà. Pharaon a régné sur les Égyptiens, mais seulement sur eux. Nabuchodonosor a régné depuis l'Inde jusqu'à l'Éthiopie ; plus loin, son empire était inconnu. Alexandre le Macédonien a régné, mais sur une partie de l'Asie seulement. Que dirai-je des Romains? Ils entourent leur empire de stations militaires, et à ces barrières vivantes finit leur puissance. Quant au Christ, son royaume et son nom s'étendent partout. Partout il est cru, partout adoré, partout il commande, se donnant à tous sans acception de personne, pour tous égal; pour tous roi, pour tous juge, pour tous Dieu et Seigneur. Affirme tout cela sans hésiter, puisque tu le vois de tes yeux. » (Lib. Adv. Judaeos, c. VII.)

Frappé du même spectacle, saint Grégoire s'écrie: « L'Esprit invisible s'est rendu visible dans ses serviteurs. Leurs miracles prouvent sa présence. Personne ne peut fixer le disque éblouissant du soleil à son lever ; mais nous pouvons voir le sommet des montagnes qu'il dore de ses feux et nous savons qu'il est sur l'horizon. Puisque nous ne pouvons contempler en lui-même le Soleil de justice, voyons les montagnes qu'il fait resplendir de sa lumière, les saints apôtres dont les vertus et les miracles annoncent à la terre entière le lever du divin Soleil. S'il est invisible en lui-même, nous voyons les montagnes qu'il éclaire. La vertu de la Divinité en elle-même, c'est le soleil dans le ciel ; la vertu de la

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Divinité dans les hommes, c'est le soleil sur la terre. Contemplons donc le soleil sur la terre, puisque nous ne pouvons le contempler dans le ciel. » (Homil. xxx in Evang.)

Le genre humain, tiré de la barbarie païenne, et établi dans la pleine lumière de l'Évangile : tels sont les effets généraux des dons du Saint-Esprit. Disons-le en passant, devant ce fait toujours ancien et toujours nouveau, que sont les objections de l'incrédule contre le christianisme? Ce que sont les raisonnements de l'aveugle-né contre l'existence du soleil, ce que sont les paroles de l'insensé contre la certitude des axiomes de géométrie. Comment ce grand fait s'est-il accompli dans l'humanité ? Comme il s'accomplit dans chaque homme. Il a commencé par le don de crainte, qui lui-même a appelé tous les autres.

Que prêche Jean-Baptiste, le précurseur de la lumière? La crainte. « Faites de dignes fruits de pénitence. Déjà la cognée est mise à la racine de l'arbre tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » (Luc, III, 8.) Et Pierre, le premier interprète du Rédempteur devant les Juifs : « Faites pénitence et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. » (Act., II, 38.) Et Paul, son apôtre devant les gentils : « Dieu annonce maintenant aux hommes que tous, en tous lieux, fassent pénitence. » (Act., XVII, 30.) Ainsi, partout le don de crainte en première ligne. Le

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commencement de la sagesse, c'est la crainte : telle est la loi immuable de la rédemption.

Par la raison contraire, la perte de la crainte est le commencement de la ruine. Comment le monde chrétien secoue-t-il le joug du christianisme? Comment arrive-t-il même à ce degré d'aberration, de nier l'évidence des faits évangéliques? En perdant les dons du Saint-Esprit. Dans quel ordre les perd-il? Dans le même ordre où il les reçoit. Le premier perdu, comme le premier reçu, c'est la crainte.

Que penser d'une époque qui n'a plus la crainte de Dieu? Les dons du Saint-Esprit étant inséparables; une époque qui perd la crainte de Dieu est une époque qui perd la sagesse, qui perd l'intelligence, qui perd le conseil, qui perd la force de la vertu. C'est une époque qui se trouve livrée aux sept esprits contraires, à l'esprit d'orgueil, à l'esprit d'avarice, à l'esprit de luxure, à l'esprit d'iniquité sous tous les noms et sous toutes les formes. Où va-t-elle? Comment s'étonner de ce que nous voyons ? Comment ne pas pressentir ce que nous verrons? Si la crainte est le commencement de la sagesse, l'absence de crainte est le commencement de la folie. Ici, la folie est le prélude du crime sans remords chez les individus, et de catastrophes sans nom pour les peuples. S'il ne veut pas périr, que le monde revienne donc à la crainte : c'est la première loi de sa conservation, la première, condition de son bonheur Timeat Dominum ornais terra... Beatus vir qui timet Dominum. Ps. 32 et 111.

=CHAPITRE XXVII. LE DON DE CRAINTE. Les sept dons du Saint-Esprit opposés aux sept péchés capitaux. - Lumineux aperçu. - Ce qu'est le don de crainte. - Ses effets ; respect de Dieu, horreur du péché. - Sa nécessité : il nous donne la liberté on nous délivrant de la crainte servile. - De la crainte mondaine. - De la crainte charnelle. - Il nous arme contre l'esprit d'orgueil.- Ce qu'est l'orgueil et ce qu'il produit.