Le Traité du Saint-Esprit (Mgr Gaume), Tome 2, première partie

De Christ-Roi
Révision datée du 8 octobre 2005 à 08:59 par none (discussion | contributions) (/* CHAPITRE XII. (SUITE DU PRÉCÉDENT.) Marie créée pour être l'épouse du Saint-Esprit. - Demande en mariage. - Consentement de la Sainte Vierge. - Marie créée pour être la mère du Verbe. - Mystère de l'Incarnation. - Explication des paroles de )
Aller à la navigation Aller à la recherche

GAUME TRAITE DU SAINT-ESPRIT L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES DEUX ESPRITS QUI SE DISPUTENT L'EMPIRE DU MONDE ET DES DEUX CITÉS QU'ILS ONT FORMÉES ; AVEC LES PREUVES DE LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT, LA NATURE ET L'ÉTENDUE DE SON ACTION SUR L'HOMME ET SUR LE MONDE PAR MGR GAUME PROTONOTAIRE APOSTOLIQUE, DOCTEUR EN THÉOLOGIE, ETC. TROISIÈME ÉDITION 1890 Droits de traduction et de reproduction réservés. Ignoto loto, Au Dieu inconnu. Act, xvn. 93.

CHAPITRE PREMIER DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT. Existence de Dieu. - Preuves et nécessité de ce dogme. - Dieu, c'est la Trinité. - Prouver le dogme de la Trinité, c'est prouver la divinité du Saint-Esprit. - Développements. - Preuves indirectes de la Trinité : la notion de l'être, les créatures matérielles et les créatures raisonnables. - Nécessité et influence de ce dogme.

Dieu, la Trinité, la divinité du Saint-Esprit! Dans la langue de la révélation comme dans la foi des peuples, ces trois vérités sont tellement unies, que la certitude de la première implique la certitude des deux autres. Or, Dieu existe avec tous les attributs qu'adore le genre humain.

Avant tous les siècles, par delà tous les mondes, il est UN ÊTRE personnel, éternel, infini, immuable, qui est à lui-même son principe et sa félicité. Être toujours

2 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

fécond, il est la vie de toutes les vies, le centre de tous les mouvements, le commencement et la fin de tout ce qui est. Comme l'Océan contient la goutte d'eau dans son immensité, il enveloppe dans son sein l'univers et ses créations multiples. Il est au dedans et au dehors ; il est loin, il est près: il est partout. Dans l'astre qui brille au front des cieux, il y est. Dans l'air qui me fait vivre, il y est. Dans la chaleur qui m'anime et dans l'eau qui me désaltère ; dans le souffle de la brise et dans le mugissement des vagues ; dans la fleur qui me réjouit et dans l'animal qui me sert; dans l'esprit et dans la matière; dans le berceau et dans la tombe; dans l'atome et dans l'immensité ; dans le bruit et dans le silence: il y est. Lui toujours, lui partout.

Il entend tout: et la musique harmonieuse des célestes sphères, et les chants joyeux de l'alouette, et le bourdonnement de l'abeille, et le rugissement du lion, et le pas de la fourmi, et le bruit de la feuille agitée, et la respiration de l'homme, et la prière du juste, et les blasphèmes du méchant.

Il voit tout: et le soleil étincelant aux regards de l'univers, et l'insecte caché sous l'herbe, et le vermisseau enseveli sous l'écorce de l'arbre, et l'imperceptible infusoire perdu dans les abîmes de l'Océan. Il voit et le jeu varié de leurs muscles, et la circulation de leur sang, et les pensées de mon esprit, et les battements de mon coeur, et les besoins du petit oiseau qui demande sa pâture, et les voeux solitaires du faible, et les larmes de l'opprimé.

Il gouverne tout : et l'innombrable armée des cieux, et les saisons, et les vents, et les tempêtes, et les siècles, et les peuples, et les passions humaines, et les puis

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 3

sances des ténèbres, et les créatures privées de raison, et les êtres doués d'intelligence. Il nourrit, il réchauffe, il loge, il habille, il protège, il conserve tout ce qui respire; car tout ce qui respire ne respire que par lui et ne doit respirer que pour lui.

Source éternelle du vrai, règle immuable du bien, il donne à l'homme la lumière pour le connaître, la force pour l'accomplir. Dans son infaillible balance, il pèse les actions des rois et des sujets, des particuliers et des peuples. Rémunérateur suprême de la vertu et vengeur incorruptible du vice, il cite à son tribunal le faible et le puissant, et le juste qui l'adore et l'impie qui l'outrage. Aux uns des châtiments sans miséricorde et sans espoir, aux autres une félicité sans mélange et sans fin.

Être au-dessus de tous les êtres, créateur et modérateur de l'univers, tout proclame votre existence; et les magnificences du ciel, et l'éblouissante parure de la terre, et l'obéissance filiale des flots irrités, et les vertus de l'homme de bien, et les châtiments du coupable, et la démence même de l'athée. Ce qui parle vous loue par ses acclamations ; ce qui est muet, par son silence. Tout révère votre majesté, et la nature vivante, et la nature morte. A vous s'adressent toutes les douleurs; vers vous s'élèvent toutes les prières. Créateur, conservateur, modérateur, père, juge, rémunérateur et vengeur, tous les noms de puissance, de sagesse, d'amour, d'indépendance et de justice, vous sont donnés; tous vous conviennent, et cependant aucun ne saurait vous nommer. Être au-dessus de tous les êtres, ce nom est le seul qui ne soit pas indigne de vous: EGO SUM Qui SUM.

4 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Un être au-dessus de tous les êtres, un Dieu auteur et régulateur suprême du monde et des siècles, tel est le dogme fondamental que proclame l'univers et devant lequel se sont inclinées, le front dans la poussière, toutes les générations qui, depuis six mille ans, ont passé sur la face du globe. Contre ce fait, sur lequel repose, comme l'édifice sur sa base, la foi du genre humain, que prouvent et que peuvent les dénégations de l'athée ? Ce qu'elles prouvent ? ce que prouve une voix discordante dans un vaste concert. On la fait taire ou elle revient à l'unisson, et, sans elle ou avec elle, le concert continue. Ce qu'elles peuvent ? ce que peut le faible trait, décoché en passant par l'Arabe fugitif, contre la pyramide du désert. L'Arabe disparaît, et la pyramide demeure.

A son tour, que nous veut la philosophie rationaliste avec son dieu de fabrique humaine, son dieu soliveau, son dieu néant? Être de raison ou plutôt de déraison, dieu impersonnel, sourd, muet, indifférent aux oeuvres et aux besoins de ses créatures; produit variable de la pensée individuelle : non, tel n'est pas, tel ne fut à aucune époque et sous aucun climat, le Dieu du genre humain. Son histoire en témoigne. » « Jamais, dit un homme qui la connut à fond, jamais les nations ne tombèrent si bas dans le culte des idoles, qu'elles aient perdu la connaissance, plus ou moins explicite, d'un seul vrai Dieu, Créateur de toutes choses.» (Gentes non usque adeo ad falsos deos esse delapsas, ut opinionem amitterent unius veri Dei, ex quo est omnis qualiscumque natura. S. Aug., contra Faust., lib. XX, n. 19 ; Id., Lactant., De errore.)

Le dogme de l'unité de Dieu n'est pas vrai seulement parce qu'il a autant de témoins qu'il y a d'astres dans le

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 5

firmament et de brins d'herbe sur la terre; il est encore vrai parce qu'il est nécessaire. Ce qu'est le soleil dans le monde physique, Dieu l'est à tous égards, et plus encore, dans le monde moral. Qu'au lieu de continuer à verser sur le globe ses torrents de lumière et de chaleur, le soleil vienne tout à coup à s'éteindre: imaginez ce que devient la nature. A l'instant, la végétation s'arrête; les fleuves et les mers deviennent des plaines de glace; la terre se durcit comme le rocher; tous les animaux malfaisants, que la lumière enchaîne dans leurs antres ténébreux, sortent de leurs repaires et s'appellent au carnage; le trouble et l'épouvante s'emparent de l'homme, partout règne la confusion, le désespoir, la mort: quelques jours suffisent pour ramener le monde au chaos.

Que Dieu, soleil nécessaire des intelligences, vienne à disparaître. Aussitôt la vie morale s'éteint. Toutes les notions du bien et du mal s'effacent; l'erreur et la vérité, le juste et l'injuste, se confondent dans le droit du plus fort. Au milieu de ces ténèbres, toutes les hideuses cupidités, assoupies dans le cœur de l'homme, se réveillent, et, sans crainte comme sans remords, se disputent les lambeaux mutilés des fortunes, des cités et des empires ; la guerre est partout, la guerre de tous contre tous, et le monde n'est plus qu'une caverne de voleurs et d'assassins.

Ce spectacle, l'oeil de l'homme ne l'a jamais vu, pas plus qu'il n'a vu l'univers sans l'astre qui le vivifie. Mais ce qu'il a vu, c'est un monde où, semblable au soleil voilé par d'épais nuages, l'idée de Dieu ne jetait plus qu'une lueur incertaine. Au travers des ténèbres dans lesquelles ils s'étaient volontairement ensevelis, les peuples païens n'apercevaient qu'indistinctement l'unité

6

incommunicable de la divine essence. Parce que le flambeau qui devait la diriger vacillait au vent des passions, des intérêts et des opinions, leur marche intellectuelle et morale fut tour à tour chancelante, absurde, rétrograde : les dieux égaraient l'homme.

Des tâtonnements éternels sur les questions les plus importantes et les plus simples, des superstitions grossières et cruelles, des systèmes creux ou immoraux, condamnèrent le genre humain au bagne, vingt fois séculaire, de l'idolâtrie. Là, gisent encore enchaînées les nations modernes, éloignées des zones bénies sur lesquelles rayonne de tout son éclat le dogme tutélaire de l'unité divine. Il n'en peut être autrement : entre l'homme et le mal, il n'y a qu'une barrière, Dieu; Dieu connu, Dieu respecté. Otez Dieu, l'homme, sans frein et sans règle, devient une bête féroce, qui descend avec délices jusqu'aux combats de gladiateurs et aux festins de chair humaine.

Par la raison contraire, veut-on empêcher l'homme de tomber dans l'abîme de la dégradation et du malheur? S'il y est enseveli, veut-on l'en retirer et le conduire au plus haut degré de lumière, de vertu et de félicité? Trêve de discours, trêve de combinaisons et de systèmes un mot suffit. Dites au grand malade : Il y a un Dieu ; lève-toi et marche en sa présence. Que le genre humain prenne ce mot au sérieux, en sorte que le dogme souverain de l'unité divine pèse de tout son poids sur les esprits et sur les volontés, et le malade est guéri. Dieu règne, et l'homme est éclairé de la seule lumière qui ne soit pas trompeuse; il est vertueux de la seule vertu qui ne soit pas un masque; il est heureux du seul bonheur qui ne soit pas une déception; il est libre de la seule

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 7

liberté qui ne soit ni une honte, ni un crime, ni un mensonge (Ambula coram me et esto perfectus. Gen., XVII, 1.) Nous le répétons, avec ce seul mot : Il y a un Dieu, le mondé sera guéri; sinon, non.

Un jour ce mot fut dit sur le genre humain, gangrené de paganisme, dit partout, dit avec une autorité souveraine, et le grand Lazare se leva de sa couche douloureuse, et il couvrit de ses baisers brûlants la main qui l'avait sauvé. Philosophes, politiques, sénat, aréopage, vous tous qui vous donniez, qui vous donnez encore pour les guérisseurs des nations, cette main ne fut pas la vôtre; elle ne la sera jamais. Chaque jour encore, ce mot souverain est prononcé, en Europe, sur quelque âme malade; dans les îles lointaines de l'Océanie, sur quelque peuplade anthropophage; et, de près comme an loin, il produit sous nos yeux le miraculeux effet qu'il produisit il y a dix-huit cents ans. Telle est, constatée par la raison et par l'histoire, la puissance salutaire, par conséquent la vérité du dogme de l'unité de Dieu.

Mais qu'est-ce que Dieu? Dieu, c'est le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit, trois personnes distinctes dans une seule et même divinité. En d'autres termes, Dieu c'est la Trinité; il ne peut être autre chose. Interrogé sur ce qu'il est, Dieu lui-même a répondu : Je suis Celui qui suis; je suis l'Être, l'Être absolu, l'Être sans qualification (Ego sum qui sum. Exod., III, 14.) Or, l'être absolu possède nécessairement tout ce qui constitue l'être, et il le possède dans toute sa perfection. Trois choses constituent l'être: la mesure, le nombre, le poids (Omnia in mensura, et numero, et pondere disposuisti. Sap. XI, 21.)

Dans les êtres matériels, la mesure, c'est le fond ou

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

8 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

la substance; le nombre, c'est la figure qui modifie la substance; le poids, c'est le lien qui nuit la substance à la figure, et entre elles toutes les parties de l'être. Cherchez dans toute la nature, du cèdre au brin d'herbe, de l'éléphant à la mite, de la montagne au grain de sable, vous ne trouverez pas un seul être qui ne réunisse ces trois choses. Elles sont tellement essentielles, qu'une de moins, l'être ne peut exister, ni même se concevoir. Ainsi, ôtez la substance, qu'avez-vous? le néant; la figure? le néant; le lien? le néant (Mensura omni rei modum praefigit, et numerus omni rei speciem praebet, et pondus omnem rem ad quietem et stabilitatem trahit. S. Aug., De Gen. ad Litt., lib. IV, c. m.)

La mesure, le nombre et le poids ne sont dans les créatures, que parce que Dieu les y a mis. Dieu ne les y a mis, que parce qu'il les possède, c'est-à-dire parce qu'il est lui-même mesure, nombre et poids (Haec tria : modus, species et ordo, tanquam generalia bona sunt in rebes a Deo factis. Et ita haec tria ubi magna sunt, magna bona sunt; ubi parva, parva bona sunt; ubi nulla, nullum bonum est. S. Aug., Lib. de natur. Boni, c. III.) Comme nous l'avons vu du dogme de l'unité de Dieu, la Trinité a donc autant de témoins qu'il y a dans l'univers de créatures inanimées, d'astres au firmament, d'atomes dans l'air et de brins d'herbe sur la terre c'est la pensée des plus grands génies.

« Dans toutes les créatures, dit saint Augustin, apparaît le vestige de la Trinité. Chaque ouvrage du divin artisan présente trois choses : l' unité, la beauté, l' ordre. Tout être est un, comme la nature des corps et l'essence des âmes. Cette unité revêt une forme quelconque, comme les figures ou les qualités des corps, les doctrines ou les talents des âmes. Cette unité et cette forme ont

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 9

entre elles des rapports et sont dans un ordre quelconque. Ainsi, dans les corps, la pesanteur et la position; dans les âmes, l'amour et le plaisir. Dès lors, puisqu'il est impossible de ne pas entrevoir le Créateur dans le miroir des créatures, nous sommes conduits à connaître la Trinité, dont chaque créature présente un vestige plus ou moins éclatant. En effet, dans cette sublime Trinité est l'origine de tous les êtres, la parfaite beauté, le suprême amour'. (Trinitatis vestigium in creaturis apparet. Lib. VI, De Trinit., c. x, ad fin. - Haec igitur omnia quae arte divina facta sunt, unitatem quamdam in se ostendunt, et speciem, et ordinem. Quidquid enim horum est, et unum aliquid est, sicut sunt naturae corporum, et ingenia animarum ; et aliqua specie formatur, sicut sunt figurae vel qualitates corporum, ac doctrinae vel artes animarum; et ordinem aliquem petit aut tenet, sicut sunt pondera vel collocationes corporum, atque amores aut delectationes animarum. Oportet igitur ut Creatorem, per ea quae facta sunt, intellectum conspicientes, Trinitatem intelligamus, cujus in creatura, quomodo dignum est, apparet vestigium. In illa enim Trinitate, summa origo est rerum omnium, et perfectissima pulchritudo, et beatissima delectatio. Id., De Trinit., lib. VI, n. 12. T. VIII, p. 1300, édit. Paris.)

Trinité! voilà, suivant Lactance, saint Athanase, saint Denys d'Alexandrie, Tertullien (Voir Vitass., De Trinit. Quaest. Y, art. 1.), le dogme que proclame incessamment, à ceux qui ont des yeux pour entendre, l'universalité des êtres. Les plus nobles le répètent d'une voix plus sonore. Serait-il juste qu'il en fût autrement? Ne doivent-ils pas un hommage particulier à l'auguste mystère dont le vestige plus éclatant, marqué sur leur front, est la raison même et la mesure de leur noblesse? Ainsi, le soleil, l'arbre, la source sont des prédicateurs éloquents de la Trinité. Dans l'unité de la même essence, ils nous montrent, l'un: le foyer, le rayon et la chaleur; l'autre : la racine, le tronc et les branches ;

10 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

le troisième : le réservoir, l'écoulement et le fleuve (Id., id.)

Expliquant la doctrine des Pères : « Dans chaque créature, ajoute l' Ange de l'école, se trouvent des choses qui se rapportent nécessairement aux personnes divines, comme à leur cause. En effet, chaque créature a son être propre, sa forme, son ordre ou son poids. Or, en tant que substance créée, elle représente la cause et le principe, et démontre la personne du Père, qui est le principe sans principe. En tant qu'elle a une forme, elle représente le Verbe, comme forme de l'ouvrage conçue par l'ouvrier. Entant qu'elle a l'ordre ou le poids elle représente le Saint-Esprit, comme amour, unissant les êtres entre eux et procédant de la volonté créatrice. A cela se rapportent la mesure, le nombre et le poids : la mesure à la substance de l'être; le nombre, à la forme; le poids, à l'ordre. » (I p., q. XLV, art. 7, cor.)

Si les créatures inanimées, qui sont les dernières dans l'échelle des êtres, présentent le vestige de la Trinité, il est évident que ce vestige doit briller avec plus d'éclat dans les créatures d'un ordre supérieur.

Que dis-je? ce n'est pas seulement le vestige que

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 11

Nous trouverons, c'est l'image. «Tout effet, continue saint Thomas, représente sa cause en partie, mais de manières différentes. Certain effet représente seulement la causalité de la cause, sans indication de la forme. C'est ainsi que la fumée représente le feu. Une telle représentation s'appelle représentation par vestige. C'est avec raison, car le vestige prouve qu'un être a passé par là; mais il ne dit pas quel il est. Certain effet représente la cause quant à la ressemblance. Ainsi le feu engendré représente le feu générateur, la statue de Mercure, Mercure. Cette représentation s'appelle représentation par image.

« Or, les processions des personnes divines se considèrent suivant les actes de l'intellect et de la volonté. En effet, le Fils procède comme la parole de l'intellect; le Saint-Esprit, comme l'amour de la volonté. Il en résulte que, dans les créatures raisonnables, douée d'intellect et de volonté, se trouve la représentation de la Trinité par forme d'image, puisqu'on trouve en elles le Verbe conçu et l'amour procédant. » (1 p., q. XLV, art. 7, cor.) Il en résulte encore que le dogme de la Trinité a autant de miroirs qu'il y a d'anges dans le ciel, de démons dans l'enfer, et d'hommes venus ou à venir sur la terre, depuis le commencement du monde jusqu'à la fin.

En résumé, ce qui, dans les créatures inanimées, est mesure, nombre et poids, s'appelle dans les créatures raisonnables puissance, sagesse, amour; et en Dieu, Père ou puissance, Fils ou sagesse, Saint-Esprit ou amour mutuel du Père et du Fils. Ces trois choses : puissance, sagesse, amour, sont tellement essentielles en Dieu, qu'une de moins, Dieu n'est pas et ne peut pas

12 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

même se concevoir. Si vous lui ôtez la puissance, qu'avez-vous? le néant. La sagesse? le néant. L'amour? (De là, le mot de saint Jérôme : Sans le Saint-Esprit, le mystère de la Trinité est incomplet : Absque enim Spiritu sancto, imperfectum est mysterium Trinitatis. Ad Hedibiam,, opp. t. IV, p. 189.) le néant? Nous avons ajouté que Dieu possède les trois conditions essentielles de l'être dans toute leur perfection. Or, dans l'être proprement dit, la perfection de ces conditions, c'est d'être réelles, substantielles, subsistantes par elles-mêmes; en un mot, de vraies hypostases ou personnes distinctes.

En attendant les preuves directes du dogme de la Trinité, cela soit dit, non pour démontrer ce qui est indémontrable, mais pour montrer que l'auguste mystère n'a rien de contraire à la raison, et que même la vraie philosophie en soupçonne l'existence, avant d'en avoir la certitude (S. Th., ibid., ad 1.) Ainsi Dieu l'a voulu. Et pourquoi? D'une part, afin de ne jamais se laisser sans témoignage, en imprimant ses vestiges ou son image dans toutes les créatures ; d'autre part, afin de donner aux hommes, et spécialement aux nations chrétiennes, le moyen d'atteindre leur perfection, en prenant pour modèle la Puissance infinie, la Sagesse infinie, l'Amour infini.

En effet, si le dogme de l'unité de Dieu fut le soleil du monde judaïque, le dogme de la Trinité est le soleil du monde évangélique. Or, ce qu'est la rose en bouton à la rose épanouie, le dogme de l'unité de Dieu l'est au dogme de la Trinité. Marcher en la présence d'un Dieu en trois personnes, clairement connu, est donc pour les peuples chrétiens la loi de leur être et la condition de leur supériorité.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 13

C'est la loi de leur être. Viennent-ils à l'oublier ou à la méconnaître? Sur-le-champ ils tombent des hauteurs lumineuses du Calvaire, et, rétrogradant de quarante siècles, ils se replongent dans les ténèbres du Sinaï. Là ne s'arrête pas leur chute. Un peuple chrétien ne peut cesser de l'être, sans descendre au-dessous du juif, au-dessous du mahométan, sans devenir une race dégradée qui n'a pas de nom dans la langue humaine.

C'est la condition de leur supériorité. La perfection intellectuelle et morale d'une société est toujours en raison directe de la notion qu'elle a de Dieu. Autant la connaissance claire de l'unité divine éleva les enfants d'Israël au-dessus des nations païennes, autant la révélation de la Trinité élève les peuples chrétiens au-dessus du peuple juif. Que les sociétés baptisées le sachent ou qu'elles l'ignorent, qu'elles le croient ou qu'elles le nient, c'est dans les profondeurs de ce dogme éternellement fécond, que se trouve la source cachée de leur supériorité, sous tous les rapports. La Trinité est le pivot du christianisme, par conséquent la première assise des sociétés, nées du christianisme. Otez ce dogme, et l'incarnation du Verbe n'est plus qu'une chimère; la rédemption du monde, une chimère; l'effusion du Saint-Esprit, une chimère; la communication de la grâce, une chimère ; les sacrements, une chimère ; le christianisme tout entier, une chimère; et la société, une ruine (Trinitatis fides per quam subsistit omnis Eccesia. Orig., homil. IX in Exod., n. 3. - De mysterio agimus, quod fidei nostrae praecipuum caput est, et totius christianae religionis fundamentum. Hoc sublato, jam nulla esset Verbi incarnatio, nulla Christi satisfactio, nulla hominum redemptio, mulla Spiritus sancti effusio, nulle gratiarum largitio, nulla sacramentorum efficacia: totum rueret salutis opus. Lieberm., Instit. Theolog., t. III, p. 123.)

CHAPITRE II (SUITE DU PRECEDENT.) Preuves directes de la Trinité : la Bible. - Le monde, l'homme, le chrétien : trois créations qui révèlent le mystère de la Trinité. - Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux : formule de la création du monde physique. - Explication de saint Augustin. - Faisons l'homme à notre image : formule de la création de l'homme. - Explication dé saint Thomas, de saint Chrysostome, de saint Augustin, de Bossuet. - Manifestations multiples de la Trinité. - Passage de M. Drach. - Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit : formule de la création du chrétien. - Explication. - Autant de preuves de la Trinité, autant de preuves de la divinité du Saint-Esprit.

Voir l'auguste Trinité dans le miroir des créatures n'est pas plus une illusion que de reconnaître l'arbre à ses fruits ou l'ouvrier dans son ouvrage. Aussi, les aperçus et les raisonnements des grands génies que nous venons de citer sont confirmés authentiquement par le Créateur lui-même. Trois chefs-d'oeuvre résument, à nos yeux, son oeuvre extérieure : le monde matériel, l'homme, le chrétien. Or, comme le fabricant marque de son empreinte chaque produit de son industrie et donne ainsi son adresse au public ; Dieu lui-même nous dit qu'il s'est gravé en caractères ineffaçables sur chacun de ses chefs-d'oeuvre, de manière à se déclarer l'auteur de tous les êtres et se manifester à quiconque possède des yeux pour voir et un esprit pour comprendre.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 15

« Je ne rougis point de l'Évangile, dit saint Paul, parce qu'il est la vertu de Dieu, pour sauver ceux qui croient. C'est là aussi que nous est révélée la colère de Dieu, qui éclatera du ciel contre toute l'impiété et l'injustice de ces hommes, qui retiennent injustement la vérité de Dieu; car ce qu'on peut connaître de Dieu leur est connu: Dieu lui-même le leur a manifesté. En effet, les choses qui sont invisibles en lui, ainsi que son éternelle puissance et sa divinité, sont devenues visibles dans le miroir de la création, de telle sorte qu'ils sont inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu. » (Ad Rom., I, 16-21.)

Voulons-nous voir combien est légitime cette colère inspirée contre les négateurs ou les comtempteurs de la Trinité? Étudions la conduite de Dieu lui-même. D veut que son premier organe, Moïse, commence l'histoire du monde par la révélation de la Trinité créatrice. « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre; et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. » (Gen., I, 1, 2.) Sur quoi le plus autorisé, comme le plus profond des interprètes, saint Augustin, s'exprime ainsi : « Au moment même où la création en bloc fut appelée du néant, sous le nom de ciel et de terre, pour indiquer ce qui devait être fait, la Trinité du Créateur est insinuée. L'Écriture dit : Dans le principe Dieu créa le ciel et la terre. Or, sous le nom de Dieu, nous comprenons le Père ; sous le nom de Principe, le Fils, qui n'est pas principe pour le Père, mais pour toutes les créatures. Lorsque l'Écriture ajoute : Et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, nous avons la révélation complète de la Trinité; car ce

16 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

mot indique la puissance souveraine du Saint-Esprit. » (De Gen., ad Litt., 1ib. 1, n. 12 et 13.)

Non contente de s'être révélée dans la création de la masse matérielle, la Trinité se révèle à chaque ouvrage particulier qu'elle en tire. C'est encore la pensée du grand évêque d'Hippone: «Dans la manipulation et le perfectionnement de la matière, pour en former des créatures distinctes, la même Trinité s'insinue. Dans ces mots: Dieu dit, nous avons le Verbe ou la parole, et le Générateur du Verbe; et dans ceux-ci : Dieu vit que cela était bon, nous avons la Bonté infinie, le Saint-Esprit, par qui seul plaît à Dieu tout ce qui lui plaît. » (Ibid., n. 11.) Or, les mêmes paroles reviennent sept fois dans l'œuvre de la création; c'est donc sept fois la proclamation du dogme de la Trinité ; sept fois l'affirmation divine que le monde matériel, dans son ensemble et dans chacune de ses parties, porte le cachet de son auteur.

Écoutons un autre commentateur, également remarquable par la pureté de son coeur et par la solidité de sa science : « Le livre qui contient l'origine des choses, dit l'abbé Rupert, commence par ces mots : Au com

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 17

mencement Dieu créa le ciel et la terre. Puisque la création elle-même est le commencement du monde; pourquoi est-il dit: Au commencement Dieu créa? C'est la même chose que s'il était dit: Au commencement il' commença. Si on le prend ici dans le sens vulgaire, le mot commencement forme une tautologie ridicule. On est donc bien fondé à le prendre pour un nom propre du- Fils. Lui-même le veut ainsi, puisque, interrogé" parlés Juifs qui lui disaient: Qui êtes-vous? il répondit: Je suis le Commencement ou le Principe, moi qui vous parle.

En effet, c'est vraiment dans le Principe que Dieu créa le ciel et la terre; puisque toutes choses ont été faites par Lui. L'Écriture elle-même confirme cette interprétation, lorsqu'elle dit ailleurs: Vous avez fait toutes choses par la Sagesse. Or, cette sagesse n'est autre que le Verbe-Dieu qui, comme nous venons de le voir s'appelle lui-même le Principe.

Et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. La matière existe, mais elle est informe ; il faut donner la vie et la beauté, L'Esprit de Dieu fait pour elle ce que l'oiseau, par sa chaleur; fait sur le petit renfermé dans l'oeuf ; il l'échauffe, il l'anime, il le vivifie, il en fait un être doué de toutes ses perfections. Quel pensez-vous qu'est cet Esprit de Dieu, sinon l'Amour même de Dieu, Amour; non d'affection, mais Amour substantiel, vie et vertu vivante, demeurant dans le Père et dans le Fils, procédant de l'un et de l'autre et consubstantiel à l'un et à l'autre ? (Corn. a Lapid. in hunc loc.)

Or, il se portait sur les eaux, par conséquent sur la

18 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

terre renfermée dans leur sein, parce que le Créateur était attiré par un immense amour vers sa créature ; et, ne pouvant être lui-même ce qu'il avait créé, il voulait en tirer des êtres capables de s'unir à lui. Cette Bonté, cet Amour du Créateur, c'est le Saint-Esprit lui-même, « En tête du Livre des livres, est donc splendidement inscrit le dogme de la Trinité créatrice. Dans le nom de Dieu nous voyons le Père; dans le nom du Principe, le Fils ; dans celui qui est porté sur les eaux, le Saint-Esprit. » (Igitur in capite libri splendide demoustratur Creatricis praesentia Trinitatis. Etenim in nomine Dei, Pater; in nomine Principii, Filius intelligitur; et qui super aquas fertur, ipse est Spiritus sanctus. De Trinit. et operib. ejus, tib. XLII; in Gen., lib. I, c. III et IX.)

Comme preuve de cette interprétation si nette et si autorisée, les interprètes les plus habiles dans la langue hébraïque font valoir l'anomalie grammaticale du texte hébreu. Littéralement il doit se traduire : dans le principe les Dieux créa. Pourquoi cette forme étrange? Parce que la pensée doit l'emporter sur les mots, et que devant la volonté souveraine de Celui qui, dans la première parole inspirée de son premier organe, veut révéler sa divine essence, doivent fléchir toutes les lois de la grammaire. Elohim, les dieux, au pluriel, indique en Dieu la pluralité (les personnes ; comme l'unité d'essence est indiquée par le verbe singulier Bara, créa (Elobim plurale innuit in Deo pluralitatem personarum, cicut unitas essentiae innuitur per verbum singulare Bara, id est creavit. Ita Lyran. Burgens. Galatin. Engubin; Catharin., etc. – Vid. Corn. a Lapid. In Gen., I, 1.)

L'histoire de la création du monde matériel commence donc par la révélation du dogme de la Trinité. De la même manière commence l'histoire de la création de l'homme. Faisons l'homme à notre image et ressem-

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 19

blance, dit le Créateur (Gen., I, 26) ; et le divin ouvrier se burine lui-même en caractères indélébiles, jusque dans l'essence de cette nouvelle créature.

Remarquons d'abord la profondeur du langage biblique : ces deux mots image et ressemblance ne sont pas une répétition inutile. L'un est le préambule de l'autre. Tous deux réunis révèlent à l'homme et ses rapports avec Dieu et le but de sa vie.

Au Père de la race humaine et à chacun de ses descendants, ils disent: « Doué de la triple faculté de te souvenir, de connaître et d'aimer, tu es fait à l'image du Dieu Trinité. Cette image est empreinte jusque dans les profondeurs de ton être. Juif, païen, catholique, hérétique, juste ou pécheur, qui que tu sois et quoi que tu fasses, tant qu'il sera vrai que tu es homme, il sera vrai que tu es l'image de Dieu. Damné, tu la porteras dans l'enfer, et les flammes éternelles la brûleront sans la détruire. » ( S. Bern., ser. I de Annuntiat.)

« La conserver n'est pas le but de ta vie ; c'est de la perfectionner, jusqu'à former en toi la ressemblance avec Dieu. Telle est la loi de ton être et la condition de ton bonheur. Pêcheur, tu perds cette ressemblance; juste sur la terre, tu l'as, mais imparfaite; saint dans le ciel, tu la posséderas dans sa perfection. Alors, et alors seulement, tu pourras dire : J'ai atteint le but de ma création ; je suis semblable à Dieu. » (S. Th., I p., q. XCIII, art. 8, ad 3.)

20. TRAITÉ. DU SAINT-ESPRIT.

Si nulle doctrine n'est plus lumineuse, nulle n'est plus certaine. « A l'image de Dieu imprimée dans mon âme, dit saint Basile, je dois l'usage de la raison ; à la grâce d'être chrétien, la ressemblance avec Dieu. » (S. Basil., homil. x in hexaem.) Et saint Jérôme : « Il faut remarquer que l'image seulement est faite en nous: par la création ; la ressemblance, par le baptême. » (S. Hier., in illud Ezech., c. XXVII, In signaculum.) Et saint Chrysostome: « Dieu. dit image, à cause de l'empire de l'homme sur toutes les créatures; ressemblance, afin que dans la mesure de nos forces nons nous rendions semblables à Dieu par la mansuétude, par la douceur, par la vertu suivant le précepte de Jésus-Christ lui-même: Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » (S. Chrysost., in cap. I Gen., homil. IX, n. 3.)

Magnifique: labeur, dont saint Jean fait briller à nos yeux : le complément éternel, quand il écrit: . Bien-aimés, maintenant nous sommes les enfants de Dieu; mais on ne sait encore ce que nous serons. Nous savons seulement que, lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables" (Joan., c. III, 2.)

Mais en quoi consiste cette image de la Trinité que nous portons en nous-mêmes? Au nom, de tous, laissons parler deux grands maîtres de la doctrine: saint Augustin et Bossuet. « En nous occupant de la création, dit

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 21

le premier, nous avons, autant qu'il dépendait de nous, averti ceux qui cherchent la raison des choses, d'appliquer toute la force de leur esprit à considérer les perfections invisibles de Dieu, dans ses oeuvres extérieures, et principalement dans la créature raisonnable, qui a été faite à l'image de Dieu. Là, comme dans un miroir ils verront, s'ils sont capables de voir, la Trinité divine dans nos trois facultés : la mémoire, l' intelligence et la volonté.

« Quiconque distingue clairement ces trois choses, gravées dans son âme par la main du Créateur, et qui remarque combien il est grand de voir dans cette âme créée la nature immuable de Dieu rappelée, vue, aimée; car on se souvient par la mémoire, on voit par l'intelligence, on aime par la charité : celui-là, sans contredit, trouve en lui-même l'image de la Trinité. Trinité souveraine, objet éternel de la mémoire, de l'intelligence et de l'amour, que la vie tout entière, doit avoir pour but de rappeler, de contempler et d'aimer. » (De Trinit., lib. XV, n. 39.)

Après l'évêque d'Hippone, écoutons l'évêque de Meaux. Retraçant à l'homme l'image auguste qu'il porte en lui-même et le conjurant d'en faire l'objet continuel de son imitation : « Cette Trinité, dit Bossuet, incréée, souveraine, toute-puissante, incompréhensible, afin de nous donner quelque idée de sa perfection infinie, a fait une Trinité créée sur la terre... Si vous voulez savoir quelle est cette Trinité créée dont je parle, rentrez en vous-mêmes, et vous la verrez; c'est votre âme.

22 RAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

« En effet, comme la Trinité très auguste a une source et une fontaine de divinité, ainsi que parlent les Pères grecs, un trésor de vie et d'intelligence, que nous appelons le Père, où le Fils et le Saint-Esprit ne cessent jamais de puiser; de même l'âme humaine a son trésor qui la rend féconde. Tout ce que les sens lui apportent du dehors, elle le ramasse au dedans; elle en fait comme un réservoir que nous appelons la mémoire. Et de même que ce trésor infini, c'est-à-dire le Père éternel, contemplant ses propres richesses, produit son Verbe qui est son image ; ainsi l'âme raisonnable, pleine et enrichie de belles idées, produit cette parole intérieure que nous appelons la pensée, ou la conception, ou le discours qui est la vive image des choses.

« Car ne sentons-nous pas, Chrétiens, que lorsque nous concevons quelque objet, nous nous en faisons nous-mêmes une peinture animée, que l'incomparable saint Augustin appelle le fils de notre coeur : Filius cordis nostri (De Trinit., lib. IX, c, VII.) Enfin, comme, en produisant en nous cette image qui nous donne l'intelligence, nous nous plaisons à entendre, nous aimons par conséquent cette intelligence; et ainsi de ce trésor qui est la mémoire, et de l' intelligence qu'elle produit, naît une troisième chose qu'on appelle amour, en laquelle sont terminées toutes les opérations de notre âme.

« Ainsi du Père qui est le trésor, et du Fils qui est la raison et l'intelligence, procède cet Esprit infini, qui est le ternie de l'opération de l'un et de l'autre. Et comme le Père, ce trésor éternel, se communique sans s'épuiser; ainsi ce trésor invisible et intérieur que notre

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 23

âme renferme en son propre sein, ne perd rien en se répandant : car notre mémoire ne s'épuise pas par les conceptions qu'elle enfante ; mais elle demeure toujours féconde, comme Dieu le Père est toujours fécond. » (Sem. sur le Mystère de la sainte Trinité, t. IV, édit. 1846.)

Et ailleurs : « Nous l'avons dit, la Trinité reluit magnifiquement dans la créature raisonnable. Semblable au Père, elle a l'être; semblable au Fils, elle a l'intelligence; semblable au Saint-Esprit, elle a l'amour. Semblable au Père et au Fils et au Saint-Esprit, elle a dans son être, dans son intelligence, dans son amour une même félicité et une même vie. Vous ne sauriez lui en rien ôter sans lui ôter tout. Pleureuse créature et parfaitement semblable, si elle s'occupe uniquement de lui. Alors, parfaite dans son être, dans son intelligence, dans son amour, elle entend tout ce qu'elle est, elle aime tout ce qu'elle entend. Son être et ses opérations sont inséparables. Dieu devient la perfection de son être, la nourriture immortelle de son intelligence et la vie de soin amour. Elle ne dit, comme Dieu, qu'une parole qui comprend toute sa sagesse. Comme Dieu, elle ne produit qu'un seul amour, qui embrasse tout son bien. Et tout cela ne meurt point en elle.

« La grâce survient sur ce fond et relève la nature la gloire lui est montrée et ajoute son complément à la grâce. Heureuse créature, encore un coup, si elle sait conserver son bonheur! Homme, tu l'as perdu! où s'égare ton intelligence? où se va noyer ton amour? Hélas! hélas! et sans fin hélas! reviens à ton origine. » (Élév. sur les myst., élév. VII, t. II, p. 247.)

Reviens; et, si tu veux connaître ta dignité et le but de ton existence, ne regarde ni le ciel, ni la terre, ni

24 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

les astres, ni les éléments, ni tout cet univers .qui t'environne : regarde-toi, ô homme ! Écoute, non plus la voix qui sort des créatures, mais la voix qui vient de toi. Tu es toi-même le prédicateur de la Trinité. Partout où tu te portes, tu en portes l'image. Respecte-la, aime-la, copie-la, fais-toi à sa ressemblance : ton bonheur est à ce, prix.

Dans les grands événements qui marquent la vie de l'homme primitif, la Trinité reparaît. Adam est tombé. « Voilà, disent les divines personnes, Adam devenu semblable à l'un de nous : Ecce Adam factus est quasi unus ex nobis. » (Gen., III, 22.) Autant ces paroles sont claires, interprétées dans le sens catholique, autant elles sont absurdes, si elles n'indiquent pas la pluralité des personnes divines. Dans ce cas, elles présentent la signification suivante : voilà Adam devenu semblable à l'un de moi.

Satan veut jeter les fondements de la Cité du mal. Pour la bâtir, il réunit les hommes dans les plaines de Sennaar. La ville et la tour qui doit s'élever jusqu'au ciel montent à vue d'oeil. Cette entreprise audacieuse, provoque une nouvelle manifestation de la Trinité. Comme les trois personnes ont tenu conseil pour créer l'homme, elles se concertent pour le punir.

Venez, se disent-elles; descendons et confondons leur langage. » (Gen., xi, 7.)

A son tour, Dieu veut former la Cité du bien. Abraham en sera la pierre angulaire, et la Trinité lui apparaît. Au milieu de la vallée de Mambré s'élevait la tente du Père des croyants. Un jour, vers l'heure de

TRAITÉ DRU SAINT-ESPRIT. 25

midi, le charitable patriarche était assis sur sa porte, lorsque, levant les yeux, il voit trois personnages debout devant lui. A ce spectacle, il tombe la face contre terre et adore en disant au singulier : « Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vous, ne passez pas devant votre serviteur. » (Gen., XVIII, 3.)

Abraham voit trois personnes, et il n'adore qu'un seul Seigneur, auquel il donne constamment le nom incommunicable de Jéhova. Que signifie ce langage? Consultons l'oracle, interprète infaillible de l'Écriture, la tradition. « Voici soudain, dit un Père de l'Église, que la Majesté incorporelle descend sur la terre, sous la figure corporelle de trois personnages. Abraham court à leur rencontre. Il tend vers eux ses mains suppliantes, leur baise les genoux et dit: Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant toi, ne passe pas devant ton serviteur sans t'arrêter. Vous le voyez, le Père des croyants se précipite à la rencontre de trois, et n'adore qu'un seul: unité en trois, Trinité en un. Voici que la Majesté céleste prend place à la table, d'un mortel, accepte un repas, goûte, des plats; et il s'établit une conversation amicale, familière, entre Dieu et un homme. A la vue de ces trois personnages, Abraham comprend le mystère de la sainte Trinité; et s'il n'adore en eux qu'un seul Seigneur, c'est qu'il n'ignore pas que dans ces trois personnes il n'y a qu'un seul Dieu. »

26 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

De ces manifestations multiples était résultée, chez les Juifs, la connaissance certaine du dogme fondamental de la foi du genre humain, dans l'ancienne alliance comme dans la nouvelle. « Les hommes éclairés, parmi les Hébreux, dit saint Épiphane si profondément instruit des choses de sa nation, enseignèrent de tout temps, et avec une entière certitude, la Trinité dans une unique essence divine. » (Adv. Haeres., lib. 1, haer. 5. - Moins clairement toutefois que les Apôtres et les Pères.)

Un autre enfant d'Israël, non moins versé dans l'histoire religieuse de la synagogue, M. Drach, s'exprime ainsi : « Dans les quatre Évangiles, on ne remarque pas plus la Révélation nouvelle de la sainte Trinité, point fondamental et pivot de toute la religion chrétienne, que celle de toute autre doctrine déjà enseignée dans la synagogue, lors de l'avènement du Christ comme, par exemple, le péché originel, la création du monde sans matière préexistante et l'existence de Dieu.

« Quand Notre Seigneur donne à ses disciples, qu'il avait tous choisis parmi les Juifs, la mission d'aller prêcher son saint Évangile aux peuples de la terre, il leur ordonne de les baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Il est clair que ces paroles, les seules des quatre Évangiles, où les trois divines personnes

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 27

soient nommées ensemble en termes aussi exprès, ne sont pas dites comme avant pour objet de révéler la sainte Trinité. Si le Sauveur prononce ici les noms adorables du Père et du Fils, et du Saint-Esprit, c'est pour prescrire la formule sacramentelle du baptême. La mention du grand mystère en cette circonstance, à l'occasion du baptême, produit sur l'esprit de quiconque lit l'Évangile l'effet d'un article de foi déjà connu et pleinement admis parmi les enfants d'Israël.

« En un mot, les évangélistes prennent pour point de départ le mystère de l'Incarnation. Ils nous le révèlent, et nous prescrivent d'y croire. Quant à celui de la Trinité, qui le précède, qui en est la base dans la foi, ils s'en emparent comme d'un point déjà manifeste, admis dans la croyance de la loi ancienne. Voilà pourquoi ils ne disent nulle part: sachez, croyez qu'il y a trois personnes en Dieu. En effet, quiconque est familiarisé avec ce qu'enseignaient les anciens docteurs de la synagogue, surtout ceux qui ont vécu avant la venue du Sauveur, sait que la Trinité en un Dieu unique était une vérité admise parmi eux depuis les temps les plus reculés. » (Harmonie de l'Église et de la Synagogue, t. II, p. 277-279.)

Cependant, il est une création plus noble que celle de l'univers matériel, plus noble que celle de l'homme lui-même, c'est la création du chrétien. Comme les deux premières, ce troisième chef-d'œuvre commence par la révélation du dogme de la Trinité. La plénitude des temps est accomplie : le Verbe, par qui tout a été fait, est descendu sur la terre pour régénérer son ouvrage. Un monde nouveau, plus parfait que l'ancien, doit éclore à sa voix. Lui-même va remonter à son

28 TRAITÉ DU SAINTES-PRIT.

Père ; mais ses apôtres ont reçu l'ordre et le pouvoir de continuer cette merveilleuse création. Au moment solennel de son départ, il laisse tomber de ses lèvres divines le nom ineffable de .Jéhovah, qu'il n'avait point encore prononcé dans son entier, et dont l'énoncé complet devait être, suivant la tradition prophétique de la synagogue, le signal de la rédemption, universelle. » (La Trinité des personnes en un Dieu unique ne devait être enseignée publiquement, clairement, de l'aveu même des Rabbins, qu'à l'époque de l'avènement du Messie, notre juste, époque où le nom de Yéhova, qui annonce cet auguste mystère, aussi bien que l' incarnation du Verbe, devait cesser d'être ineffable... Une de leurs antiques traditions dit en termes formels : La Rédemption s'opérera par le nom entier Yéhova; quand une des trois personnes divines, inséparable des deux autres, se sera faite ce que signifie la dernière lettre du nom ineffable : HOMME-DIEU. Drach, ibid., t. II, p 455.)

Il leur dit: «Allez donc, enseignez toutes les nations et baptisez-les au nom du: Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » (Matt., XVIII, 19.) Voilà, ou jamais, la parfaite égalité des Trois personnes, même puissance, même vertu sanctifiante dans un seul nom, c'est-à-dire dans une seule divinité: quoi de plus clair !

Ainsi, l'homme, qui doit son être naturel à l'adorable Trinité, lui devra. son être surnaturel. Vie humaine et vie divine lui viennent de la même source. Cette grande vérité sera écrite dans l'acte même de sa double création. Sous tel climat qu'il naisse, pas un fils d'Adam ne devient Fils de Dieu sans que l'Église, sa mère, lui grave sur le front le cachet indélébile de l'auguste Trinité.

Ce n'est pas assez. Comme, dans l'Ancien Testament, le Dieu en trois personnes multiplia ses apparitions à l'homme primitif ; sous la loi de grâce il les multiplie plus nombreuses et plus claires à l'homme nouveau.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 29

Suivez le chrétien depuis le berceau jusqu'à la tombe: il ne saurait faire un pas dans la vie sans rencontrer la Trinité. Baptisé au nom de la Trinité, est-il revêtu de la force et rempli des lumières du Saint-Esprit? C'est au nom de la Trinité. Reçoit-il la chair vivifiante de son Rédempteur? C'est au nom de la Trinité. Recouvre-t-il la pureté de l'âme par la rémission de ses fautes? Est-il fortifié dans les dangers de la dernière lutte? Devient-il, selon la chair ou selon l'esprit, le père d'une nouvelle famille?' C'est encore au nom de la Trinité. Retourne-t-il à sa dernière demeure terrestre? Est-il confié à la tombe comme un dépôt inviolable? C'est toujours au nom de la Trinité.

Ainsi, de tel côté qu'il se tourne, qu'il élève ses regards vers le firmament, qu'il les abaisse vers la terre ou qu'il les concentre sur lui-même, partout l'homme voit briller le dogme auguste d'un Dieu en trois personnes. Pour le nier, il faut qu'il nie l'univers, qu'il nie sa raison, qu'il nie lés Écritures, qu'il se nie lui-même, comme homme et comme chrétien. Mais autant de fois il l'affirme, autant de fois il affirme la divinité du Saint-Esprit : notre tâche était de l'établir.

30 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

CHAPITRE III. PREUVES DIRECTES DE LA DIVINITÉ DU SAINT-ESPRIT. Les noms. - Tous les noms qui ne conviennent qu'à Dieu sont donnés au Saint-Esprit : dans l'Ancien Testament, Jéhovah; dans le Nouveau, Dieu. Les attributs : l'éternité, l'immensité, l'intelligence infinie, la toute-puissance. - Les couvres : la création et la régénération de l'homme et du monde. - La tradition : saint Clément saint Justin, saint Irénée, Athénagore, Eusèbe de Palestine, l'Église de Smyrne, Lucien, Tertullien, saint Denys d'Alexandrie, Jules Africain, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, Rupert : la liturgie, le signe de la croix, doxologie, le Gloria Patri.

La première chose à savoir du Saint-Esprit, c'est qu'il est Dieu comme le Fils et le Père; qu'il a la même nature, la même divinité, les mêmes perfections; qu'il est comme eux éternel, tout-puissant, infiniment sage et infiniment bon; digne comme eux de la confiance et de l'amour, des adorations, des prières et des louanges du ciel et de la terre, des anges et des hommes. Voilà tout ce que nous professons, en disant: Je crois au Saint-Esprit: Credo in Spiritum sanctum.

Or, dans les livres saints, depuis la Genèse jusqu'à l'Apocalypse; dans l'enseignement, non interrompu pendant dix-huit siècles, des Pères de l'Église et de l'Église elle-même, la divinité du Saint-Esprit ne brille pas avec moins d'éclat que la divinité du Fils et du Père. La preuve en est dans les témoignages cités jusqu'ici en

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 31

faveur du dogme de la Trinité (On trouvera les autres dans les grands théologiens : Vitasse, De Trinitate; Pétau, De dogmatibus theologicis, etc.) Nous pourrions nous en tenir là; car rien n'est mieux fondé que notre foi à la divinité du Saint-Esprit. Apportons néanmoins quelques preuves directes de cette vérité fondamentale. Elles se présentent en foule dans les noms que l'Écriture donne au Saint-Esprit ; dans les attributs qu'elle lui reconnaît ; dans les couvres qu'elle lui assigne; dans la tradition des Pères et dans la doctrine de l'Église.

Les noms. Ils nous offrent de la divinité du Saint-Esprit deux genres de preuves : l'une négative, et les autres positives. La première résulte de ce fait péremptoire, que jamais dans les Écritures de l'Ancien ou du Nouveau Testament, le Saint-Esprit n'est appelé créature. Cependant nous trouvons, dans les prophètes et dans les apôtres, la brillante énumération des principales créatures du ciel et de la terre. David nous la donne plusieurs fois dans les Psaumes (Entre autres, ps. 148 et 162.) Daniel la répète magnifiquement dans le cantique des trois enfants de Babylone. Parmi tous les chefs-d'oeuvre de la puissance créatrice, nulle mention du Saint-Esprit.

Paul, ravi au troisième ciel, a vu les hiérarchies angéliques; il nomme, chacun par son nom, les ordres qui les composent. Dans aucun, son regard, illuminé de la lumière de Dieu même, n'a découvert le Saint-Esprit. Nulle part il ne le nomme parmi les créatures : chose, pourtant, qu'il n'aurait pas manqué de faire, si le Saint-Esprit n'était pas Dieu. En effet, son sublime recensement des créations angéliques a pour but de montrer

32 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

que tout ce qui n'est pas Dieu est au-dessous du Verbe incarné. Non seulement il ne nomme jamais le Saint-Esprit parmi les créatures, mais toujours- il le place sur la même ligne que le Père et le Fils et le nomme avec eux.

Venons aux preuves positives. Dans l'Ancien Testament le nom de Jéhovah, et dans le Nouveau le nom de Dieu sans modification, est, chacun le sait, le nom incommunicable de Dieu (Solus verus Deus in Scripturis dicitur absotute Deus. S. Iren., lib. III, c. VI.) Or ce double nom est constamment donné au Saint-Esprit. Au second livre des Rois, David dit : « L'Esprit de Jéhovah a parlé par moi, et son discours est sorti de mes lèvres. » (II Reg., XXIII, 2.) Quel est cet Esprit? Le verset suivant nous l'apprend aussitôt « Le Dieu d'Israël m'a dit : Le Fort d'Israël a parlé. » (ibid., 3) D'où, l'on voit que l'Esprit de Jéhovah est Jéhovah lui-même, le Fort, le Dieu l'Israël.

A. son tour, Isaïe s'exprime ainsi : « Et le Seigneur des armées (Jéhovah) a dit : Va, et dis- à ce peuple Vous écouterez avec attention, et vous ne voudrez pas comprendre. » (Is., VI, 9.)

Quel est ce Dieu, ce Jéhovah des armées? Le Saint-Esprit, répond saint Paul. Dans sa prison de Rome, parlant aux Juifs incrédules accourus pour l'entendre, il rappelle ce texte d'Isaïe et leur dit: « Le Saint-Esprit a eu raison de dire par la bouche d'Isaïe: Va, et dis à ce peuple : Vous écouterez avec attention, et vous ne

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 33

voudrez pas comprendre'. » (Act., XXVIII, 25.) Ici encore, celui qu'Isaïe appelle le Seigneur des armées, Jéhovah, le Dieu d'Israël, le vrai Dieu, en un mot : l'Apôtre nous dit que c'est le Saint-Esprit. Pouvait-il enseigner plus clairement la divinité de la troisième personne de l'auguste Trinité?

Ce n'est pas seulement dans Isaïe, c'est dans tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, qu'il est dit que Dieu a parlé par les prophètes. Pour n'en citer que deux exemples: au début de son Évangile, saint Luc s'exprime en ces termes : « Comme le Dieu d'Israël l'a dit par la bouche de ses saints prophètes dans la suite des siècles. » (Luc I, 70.) Et saint Paul écrivant aux Hébreux « Autrefois Dieu a parlé à nos pères par les prophètes. » (Hebr., I, 1.) Eh bien! ce Dieu inspirateur des prophètes, c'est encore le Saint-Esprit. Nous ne pouvons pas en être plus assurés que par le témoignage de saint Pierre lui-même. Voici ses paroles : « Il faut que d'Écriture soit accomplie, comme le Saint-Esprit l'a prédit par la bouche de David. » (Act., I, 11.) Et ailleurs: « C'est par l'inspiration du Saint-Esprit qu'ont parlé les saints hommes de Dieu. » (II Petr., I, 21.)

De là, ce raisonnement aussi simple qu'il est concluant : celui qui a parlé par les prophètes est le vrai Dieu. Or, c'est le Saint-Esprit qui a parlé par les prophètes. Le Saint-Esprit est donc Dieu, vrai Dieu comme le Père et le Fils. De plus, comme l'Écriture distingue

34 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

le Saint-Esprit du Père et du Fils, il en résulte clairement que le Saint-Esprit est une personne distincte du Fils et du Père. Dans une circonstance mémorable, le même apôtre proclame avec non moins d'éclat la divinité du Saint-Esprit. Ananie trompe sur le prix de son champ. A la tromperie, il ajoute un mensonge public. En présence de toute l'Église de Jérusalem, Pierre lui dit : « Pourquoi Satan a-t-il tenté ton cour jusqu'à te faire mentir au Saint-Esprit? ce n'est pas aux hommes que tu as menti, c'est à Dieu. » (Act., V, 3, 4.) Ananie a menti au Saint-Esprit. Pierre dévoile sa faute et lui dit : En mentant au Saint-Esprit, ce n'est ni aux hommes ni à une simple créature que tu as menti, c'est à Dieu lui-même. Donc le Saint-Esprit est Dieu. La conséquence est logique et la conclusion inattaquable.

Les attributs. Même raisonnement que pour les noms. Il est Dieu celui à qui conviennent tous les attributs de Dieu. Or, tous les attributs de Dieu conviennent au Saint-Esprit. Les grands attributs de Dieu sont : l'éternité, l'immensité, l'intelligence infinie, la toute-puissance : le Saint-Esprit les possède tous.

L'éternité. Il est éternel celui qui a précédé tous les temps. Il a précédé tous les temps, celui qui, en créant le monde, a créé le temps lui-même. Or, le Saint-Esprit a créé le monde de concert avec le Père et le Fils. « Dans le principe Dieu créa le ciel et la terre, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. » (Gen., I, 1-3.)

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 35

L'immensité. Il est immense celui qui embrasse tous les lieux et qui les remplit, au point que nul ne peut se soustraire à sa présence. « L'Esprit du Seigneur remplit le globe. Où irai-je loin de votre Esprit? Où fuirais-je loin de votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans l'enfer, vous y êtes encore; si je prends les ailes de l'aurore et que je me transporte par delà les océans, c'est votre main qui m'y conduira et vous me tiendrez de votre droite. » (Ps. CXXXVIII, 7-10.)

L'intelligence infinie. Il voit tout, il connaît tout, il sait tout, celui pour qui le ciel et la terre n'ont point de secret; qui pénètre jusque dans leurs profondeurs les mystères de Dieu même; qui embrasse la vérité, toute la vérité dans le passé, dans le présent, dans l'avenir et qui en est le docteur infaillible. Tel est le Saint-Esprit.

Parlant des merveilles de la céleste Jérusalem, saint Paul dit : « L'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a jamais compris ce que Dieu prépare à ceux qui l'aiment; mais pour nous, Dieu nous l'a révélé par son Esprit, car cet Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu. Qui d'entre les hommes connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? De même, personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l'Esprit de Dieu... » (I Cor., II, 9-11.) Et saint Jean ; « Le Consolateur, le Saint-Esprit que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes

36 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

choses, vous rappellera tout ce que je vous ai dit et vous annoncera tout ce qui doit arriver. » (Joan., XIV, 26, et XV, 13.)

Ces textes si clairs furent les armes victorieuses dont saint Ambroise et les anciens Pères se servirent, pour confondre le négateur de la divinité du Saint-Esprit, l'impie Macédonius.

La toute-puissance. Il est tout-puissant celui qui fait sortir l'être du néant, par un signe de sa volonté, et dont toutes les oeuvres dénotent une puissance; infinie. Tel est encore le Saint-Esprit. « Les cieux, disent les prophètes, ont été créés par le Verbe du Seigneur, et leur constante harmonie par l'Esprit de sa bouche ; car l'Esprit de la sagesse créatrice est tout-puissant. » (Sap., VII, 21-23.)

Les œuvres. Nous ne ferons qu'effleurer ce vaste sujet, puisque nous devons en traiter avec détail dans la suite de notre ouvrage. Les oeuvres de Dieu sont de deux sortes: les oeuvres de la nature et les œuvres de la grâce. Or toutes ces œuvres sont attribuées au Saint-Esprit, comme au Fils et au Père. Dans l'ordre naturel, la création de l'homme et du monde : nous venons de le voir par les témoignages des livres saints. Ajoutons seulement la parole si précise du saint homme Job : « C'est 'l'Esprit de Dieu qui m'a créé: Spiritus Dei fecit me. » (XXXIII, 4.)

Dans l'ordre de la grâce, la régénération de l'homme et du monde. Le prophète nous l'enseigne : « Vous enverrez votre Esprit, et tout sera créé; et vous renouvellerez la face de la terre. » (Ps. 103, 30.) Et plus clairement encore

TRAITÉ. DU SAINT-ESPRIT. 37

le Maître des prophètes « Si quelqu'un ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » (Joan., III, 5) Et la formule même de la régénération universelle : « Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Quelle égalité plus parfaite!

« Oh! oui, Esprit sanctificateur, s'écrie Bossuet,.vous êtes égal au Père et au Fils, puisque nous sommes également consacrés au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; et que vous avez avec eux un même temple qui, est notre âme, notre corps (I Cor., III,16, 17 ; VI, 19.), tout ce que nous sommes. Rien d'inégal ni d'étranger au Père et au Fils ne doit être nommé avec eux en égalité. Je ne veux pas être baptisé ni consacré au nom d'un conserviteur, je ne veux pas être le temple d'une créature : ce serait une idolâtrie de lui bâtir un temple, et à plus forte raison d'être et de se croire soi-même son temple. » (Élèv. sur les myst., II Serm., Élév. 5.)

La tradition. Elle s'est exprimée par la voix des Pères et des docteurs. Non moins précise que celle de l'Ecriture, sa parole a traversé les siècles, sans cesse reproduite par de nouveaux organes.. Nous la voyons même immobilisée dans des monuments qui remontent jusqu'au berceau du christianisme. Les échos de l'Orient et de l'Occident redisaient encore les derniers accents de la voix des apôtres, saint Jean était à peine descendu dans la tombe, lorsque parurent les premiers apologistes chrétiens. Au rapport de saint Basile, le pape saint Clément, troisième successeur de saint Pierre, martyrisé

38 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

vers l'an 100, avait coutume de faire cette prière : Vive Dieu et Notre Seigneur Jésus-Christ et le Saint-Esprit (Vivit Deus et Dominus Jesus Christus et Spiritus sanctus. Lib. de Spir. sanct., c. XXIX, n. 72.) Dans son éloquent plaidoyer, présenté à l'empereur Antonin, vers l'an 120, saint Justin s'exprime ainsi : « Nous honorons et adorons en esprit et en vérité le Père et le Fils et le Saint-Esprit. » (Hunc (Patrem) et qui ab eo venit... Filium et Spiritum sanctum colimus et adoramus, cum ratione et veritate venerantes. Apolog. 1, n. 6.)

Ce que saint Justin avait dit à Rome, quelques années plus tard, saint Irénée l'enseignait dans les Gaules. « Ceux, dit-il, qui secouent le joug de la loi et se laissent emporter à leurs convoitises, n'ayant aucun désir du Saint-Esprit, l'apôtre les appelle avec raison des hommes de chair. » (Cité par saint Basile, en preuve de la divinité du Saint-Esprit. Lib, de Spir. sanct., c. XXIX, n. 72.)

A la même époque, Athénagore demandait : « N'est-il pas étrange qu'on nous appelle athées, nous qui prêchons Dieu le Père et Dieu le Fils et le Saint-Esprit? » (Legat. pro christian., n. 12 et 24.)

Son contemporain, Eusèbe de Palestine, pour s'encourager à parler, disait : « Invoquons le Dieu des prophètes, auteur de la lumière, par notre Sauveur Jésus-Christ avec le Saint-Esprit. » (Ap. Baril, ibid.)

Vingt ans à peine se sont écoulés, et nous trouvons le

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 39

témoignage, non plus d'un seul homme, mais de toute une Église. L'an 469, les fidèles de Smyrne écrivent à ceux de Philadelphie l'admirable lettre dans laquelle ils racontent que saint Polycarpe, leur évêque et disciple de saint Jean, près de souffrir le martyre, a rendu gloire à Dieu en ces termes : « Père de votre bien-aimé Fils Jésus-Christ, béni soit-il, Dieu des anges et des puissances, Dieu de toute créature, je vous loue, je vous bénis, je vous glorifie, par Jésus-Christ votre Fils bien-aimé, pontife éternel, par qui gloire à vous avec le Saint-Esprit, maintenant et aux siècles des siècles. » (Epist. Smyrn. Eccl., apud Baron., an. 169.)

Que la divinité du Saint-Esprit fût un dogme de la foi chrétienne, les païens eux-mêmes le savaient. Dans son dialogue intitulé Philopatris, un de leurs plus grands ennemis, Lucien, introduit un chrétien qui invite un catéchumène à jurer par le Dieu souverain, par le Fils du Père, par l'Esprit qui en procède, qui font un en trois, et trois en un, ce qui est le vrai Dieu.

Au troisième siècle nous trouvons, en Occident, le redoutable Tertullen. Son livre de la Trinité, contre Praxéas, commence ainsi : « Praxéas, procureur du diable, est venu à Rome faire deux œuvres de son maître il a chassé le Paraclet et crucifié le Père. L'ivraie praxéenne a germé. Dieu aidant, nous l'arracherons ; il nous suffit pour cela d'opposer à Praxéas le symbole qui nous vient des apôtres. Nous croyons donc toujours, et maintenant plus que jamais, en un seul Dieu, qui a envoyé sur la terre son Fils qui, à son tour, remonté

40 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

vers son Père, a envoyé le Saint-Esprit, sanctificateur de la foi de ceux qui croient au Père, et au Fils et au Saint-Esprit. Bien qu'ils soient inséparables, cependant' autre est le Père; autre le Fils, autre le Saint-Esprit. » (Adv. Prax., c. I, II, IX, édit. Pamel.)

De l'Orient nous arrive le témoignage du saint évêque martyr, Denys d'Alexandrie. Faussement accusé de sabellianisme, il termine sa défense par ces remarquables paroles : « Nous conformant en tout à la formule et à le règle reçue des évêques qui ont vécu avant nous, unissant notre voix à la leur, nous vous rendons grâces et nous mettons fin à cette lettre : ainsi à Dieu le Père, et au Fils Jésus-Christ Notre Seigneur avec le Saint-Esprit, soit la gloire et l'empire aux siècles des siècles. Amen. » (Apud S. Basil., ubi supra, n. 72.)

La glorieuse formule de foi n'échappe pas à Jules Africain. Au cinquième livre de son Histoire, il dit « Pour nous qui avons appris la force de ce langage et qui n'ignorons pas la grâce de la foi, nous remercions le Père qui nous a donné, à nous ses créatures, le Sauveur de toutes choses, Jésus-Christ, à qui gloire et majesté avec le Saint-Esprit dans tous les siècles. » (Apud S. Basil., ubi supra; n. 73.)

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 4t

Au quatrième siècle, voici les deux grandes lumières de l'Église orientale, saint Basile et saint Grégoire de Nazianze. Le premier commence par citer deux usages, témoins vivants de la foi immémoriale à la divinité du Saint-Esprit, les prières lucernaires et l'hymne d'Athénogène. « Il a paru bon à nos pères, dit-il; de ne pas recevoir en silence le bienfait de la lumière du soir, mais de rendre grâces aussitôt qu'elle brille. Quel est l'auteur de la prière, qu'on récite en action de grâces lorsqu'on allume les lampes, nous ne le savons pas; mais le peuple prononce cette antique formule, que nul n'a jamais taxée d'impiété: Louange au Père, et au Fils et au Saint-Esprit. Qui connaît l'hymne d'Athénogène, laissée par ce martyr à ses disciples, comme un préservatif, lorsqu'il marchait au bûcher, sait ce que les martyrs ont pensé du Saint-Esprit. » (Martyrol., 18 janvier.)

L'illustre évêque devient lui-même un puissant organe de la tradition. « Le .Saint-Esprit, dit-il, est appelé saint, comme le Père est saint, comme le Fils est saint ; saint non comme la créature qui tire sa sainteté du dehors, mais saint par l'essence même de sa nature. Aussi, il n'est pas sanctifié, mais il sanctifie. Il est appelé: bon,

42 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

comme le Père est bon, parce que la bonté lui est essentielle; de même, il est appelé droit, comme le Seigneur Dieu lui-même est droit, parce qu'il est de sa nature la droiture même, la vérité même, la justice même, sans variation, sans altération, à cause de l'immutabilité de sa nature. Il est appelé Paraclet, comme le Fils lui-même; en sorte que tous les noms communs au Père et au Fils conviennent au Saint-Esprit, en vertu de la communauté de nature. Où trouver une autre origine? » (Lib. de Spirit. Sanct., c. XIX, n. 48.)

Écoutons maintenant son ami, saint Grégoire de Nazianze : « Le Saint-Esprit a toujours été, il est et il sera ; il n'a point eu de commencement, il n'aura point de fin, pas plus que le Père et le Fils, avec lesquels il est inséparablement uni. Il a donc toujours été participant de la divinité et ne la recevant pas; perfectionnant et n'étant pas perfectionné; remplissant tout, sanctifiant tout, et n'étant ni sanctifié ni rempli; donnant la divinité et ne la recevant pas; toujours le même et toujours égal au Père et au Fils ; invisible, éternel, immense, immuable, incorporel, essentiellement actif, indépendant, tout-puissant; vie et père de la vie; lumière et foyer de lumière; bonté et source de bonté, inspirateur des prophètes, distributeur des grâces; Esprit d'adoption,

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 43

de vérité, de sagesse, de prudence, de science, de piété, de conseil, de force, de crainte; qui possède tout en commun, avec le Père et le Fils : l'adoration, la puissance, la perfection, la sainteté. » (Spiritus sanctus et semper erat, et est, et erit, nec ullo ortu generatus, nec finem habiturus, etc. Orat. in die Pentecost.)

Quoi de plus clair que ce passage auquel il serait facile d'en ajouter beaucoup d'autres de la même époque? Ni moins formels ni moins nombreux sont les témoignages des temps postérieurs: un seul suffira. «Nous croyons au Saint-Esprit, dit Rupert, et nous le proclamons vrai Dieu et Seigneur, consubstantiel et coéternel au Père et au Fils, c'est-à-dire absolument le même en substance que le Père et le Fils, mais non le même quant à la personne. En effet, comme autre est la personne du Père et autre la personne du Fils ; ainsi, autre est la personne du Saint-Esprit.

« Mais la divinité, la gloire, la majesté du Père et du Fils, sont la divinité, la gloire, la majesté du Saint-Esprit. Afin de distinguer la personne du Fils de la personne du Saint-Esprit, nous disons que le Fils est le Verbe et la Raison du Père, mais Verbe substantiel, Raison éternellement et substantiellement vivante; et du Saint-Esprit, nous disons qu'il est la Charité ou l'Amour du Père et du Fils, non charité accidentelle, amour passager, mais Charité substantielle et Amour éternellement subsistant. » (De operib. Spir. Sanct., lit. I, c. III.)

Et, pour faire ressortir avec éclat la divinité du Saint-Esprit, le profond théologien ajoute : « Voulons-nous

44 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

avoir quelque idée de cet amour et de sa majestueuse puissance? Prenons deux créatures du même genre, et de la même espèce, dont l'une le possède et, dont, l'autre en est privée. Si c'est parmi les anges: l'un est Lucifer; l'autre saint Michel; parmi les hommes: l'un est Pierre, l'autre Judas. La seule chose qui fait la différente entre ces deux anges et entre ces deux hommes, c'est que l'un est participant du Saint-Esprit, l'autre, non. A la majesté du Verbe qui les a créés, l'un, et l'autre doivent d'être raisonnables; ils ne diffèrent entre eux, comme il vient d'être dit, que par la participation. ou la privation de l'amour éternel. Cet exemple fait briller le caractère propre de l'opération du Saint-Esprit : au Verbe éternel, la créature raisonnable doit d'être; au Saint-Esprit, d'être bien. » (Ibid.)

La grande parole des siècles s'est, incarnée dans plusieurs pratiques, éminemment traditionnelles : nous voulons parler des trois immersions dans le baptême ; du Kyrie répété trois fois en l'honneur de chaque personne divine ; du trisagion chantéé dans la liturgie ; du signe de la croix, de la doxologie et du Gloria Patri.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 45

Ces deux prières surtout sont la proclamation éclatante du dogme de la Trinité, par conséquent de la divinité du Saint-Esprit. Echo terrestre du trisagion éternel des séraphins, ces admirables formules terminent toutes les hymnes et tous les psaumes de l'office. Depuis les temps apostoliques, elles se répètent jour et nuit, sur tous les points du globe, par des milliers de bouches sacerdotales. Il en est de même du signe de la croix. Ce signe auguste, dont l'origine n'est pas de la terre, redit d'une voix infatigable à tous les échos du monde et à tous les instants de la journée : le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu. Plus ces usages sont populaires, plus ils constatent l'ancienneté et l'universalité de la tradition (En parlant du signe de la croix, Tertullien s'exprime ainsi : Harum et aliarum hujusmodi disciplinarum, si legem expostules Scripturarum, nullam invenies. Traditio tibi praetenditur auctrix, consuetudo confirmatrix et fides observatrix. De Coron. milit., c. III.)

46 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 47 CHAPITRE IV (SUITE DU PRÉCÉDENT.) Le Symbole des Apôtres, de Nicée, de Constantinople, de saint Athanase. -Révolte de l'Esprit du mal contre le Saint-Esprit. - Macédonius. - Son histoire. - Son hérésie. - Concile général de Constantinople. - Il venge la divinité du Saint-Esprit. - Sa lettre synodale. - Nouvelle attaque de Satan contre le Saint-Esprit. - Le socinianisme. - Histoire des deux Socin. - Leur hérésie plus radicale que celle de Macédonius. - Le Concile de Trente.

Il nous reste à couronner toutes les preuves directes de la divinité du Saint-Esprit par l'enseignement de l'Église. Ce qu'elle va nous apprendre est la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. En effet, il lui a été dit « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à garder toutes les vérités que je vous ai confiées; car voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » (Matt., XXVIII, 19-20.)

Le Verbe incarné ne serait pas Dieu, si l'Église, avec laquelle il a promis d'être tous les jours, pendant tous les siècles, pouvait enseigner une seule fois une seule erreur, si petite qu'on la suppose, ou laisser périr une seule des vérités confiées à sa garde. Ainsi, les protestants qui nient la perpétuelle infaillibilité de l'Église nient virtuellement la divinité de Notre Seigneur. Leur

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 45

Dieu n'est pas le vrai Dieu : c'est un Dieu impuissant ou menteur. Impuissant, puisqu'il n'a pas pu empêcher l'enseignement de l'erreur; menteur, puisqu'il ne l'a pas voulu, après avoir promis de le faire.

Or, parmi toutes les vérités dont la garde et l'enseignement ont été remis à l'Église, brille au premier rang la divinité du Saint-Esprit. Comme celle du Fils et du Père nous la voyons écrite en caractères ineffaçables dans le Symbole des Apôtres, dans le symbole de Nicée, dans le Symbole de Constantinople et dans le Symbole de saint Athanase.

Résumant avec une précision inimitable la doctrine des trois autres, ce dernier s'exprime ainsi: « La foi catholique est d'adorer un seul Dieu dans la Trinité, et la Trinité dans l'unité, ne confondant point les personnes et ne séparant point la substance. En effet, autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit. Mais, du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, la divinité est une, la gloire égale, la majesté coéternelle. Tel le Père, tel le Fils, tel le Saint-Esprit. Incréé le Père, incréé le Fils, incréé le Saint-Esprit. Immense le Père, immense le Fils, immense le Saint-Esprit. Éternel le Père, éternel le Fils, éternel le Saint-Esprit. Et cependant il n'y a pas trois éternels, mais un seul éternel; de même il n'y a pas trois incréés ni trois immenses, mais un seul incréé et un seul immense. Ainsi Dieu le Père ; Dieu, le Fils ; Dieu, le Saint-Esprit. Et cependant il n'y a pas trois Dieux, mais un seul Dieu. » (In offec. Dom., ad Prim.)

A la vue de l'Esprit du bien se révélant au monde avec tant d'éclat et marchant à grands pas à la reprise de possession des intelligences, l'Esprit du mal comprit que

48 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

son empire était menacé jusque dans ses fondements. Pour en conjurer la ruine, il suscite en Orient et en Occident d'innombrables négateurs du Saint-Esprit. Armés de sophismes, les Valentiniens, les Montanistes, les Sabelliens, les Ariens, les Eunomiens, descendent successivement dans l'arène. Avec une mauvaise foi et une opiniâtreté dont on ne trouve la raison d'être que dans l'inspiration satanique, ils attaquent hautement, de vive voix et par écrit, la divinité du Saint-Esprit, triomphalement défendue par les docteurs catholiques. Mais, quand la passion argumente, la raison n'est jamais sûre de vaincre. Les erreurs sur le Saint-Esprit gagnent comme un cancer, jusqu'à Macédonius qui en fait une lèpre, presque aussi étendue que l'arianisme.

Quel fut cet homme, dont le nom, accolé à celui d'Arius, rappelle si tristement un des plus fameux hérésiarques de la primitive Église? Macédonius était patriarche de Constantinople. Élevé à cette dignité, en 354, par les Ariens dont il partageait les erreurs, il exerça contre les Novatiens et les catholiques des violences qui le rendirent odieux, même à l'empereur Constance II, son protecteur. Dans un conciliabule tenu à Constantinople, en 360, et présidé par Acace et Eutrope, les Ariens le déposèrent et le firent exiler de la capitale. Rétabli sur son siège par ordre de l'empereur, il se montra l'ennemi juré des catholiques et des Ariens. Contre ces derniers, il soutint la divinité de Notre-Seigneur, et contre les premiers, il nia la divinité du Saint-Esprit, dont il fit une simple créature, plus parfaite que les autres. Un an après, en 361, l'hérésiarque, dépouillé une seconde fois de sa dignité, mourut, comme Arius, misérablement.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 49

Cependant la zizanie de ses erreurs était tombée dans beaucoup de têtes séditieuses. Riches de faconde, d'artifice et de scélératesse, les macédoniens formèrent une secte si nombreuse, que l'Église eut peine à l'extirper. Les principaux furent Marathon, évêque de Nicomédie ; Éleusius de Cyzique, ordonnés par Macédonius ; Sophrone, évêque de Pompéopolis, dans la Paphlagonie, et Eustase de Sébaste, en Arménie. Comme tous les novateurs, les macédoniens, appelés aussi Pneumatonzaques, c'est-à-dire ennemis du Saint-Esprit, ou Marathoniens, du nom de l'évêque de Nicomédie, affectaient un extérieur grave et des moeurs austères. Grâce à cet artifice, ils séduisaient le peuple et les moines, parmi lesquels ils s'attachaient à semer leurs erreurs.

Malgré les efforts de l'Église d'Orient, l'hérésie, loin d'être étouffée, étendait ses ravages. Vingt ans de luttes inutiles firent comprendre à Théodose la nécessité d'un concile général. De concert avec le pape saint Damase, le pieux empereur convoqua l'auguste assemblée, à Constantinople, pour le mois de mai de l'an 381. Elle se trouva composée de cent cinquante évêques. A leur tête, on voyait saint Grégoire de Nazianze, saint Cyrille de Jérusalem, saint Grégoire de Nysse, frère de saint

50 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Basile; Mélèce, évêque d'Antioche; Ascolius de Thessalonique, et, en dehors de l'ordre des évêques, l'illustre docteur saint Jérôme. Afin d'ôter tout prétexte, soit de nullité du concile, soit de jugement rendu sans avoir ouï les parties, l'empereur demanda que les macédoniens fussent convoqués avec les catholiques. Ils y furent, en effet, représentés par trente-six évêques, dont les deux principaux étaient : Éleusius de Cyzique et Marianus de Lampsaque.

Entre les mains des Pères se trouvait la formule de foi de l'Église catholique, envoyée en 353 par le pape saint Damase à Paulin, évêque d'Antioche; de plus, le Symbole de Nicée. Les évêques rendirent témoignage de la foi de leurs Églises, entièrement conforme â ces deux monuments. Quant aux macédoniens, ils furent entendus, leurs sophismes réfutés, et eux-mêmes convaincus d'être des novateurs, en opposition avec la foi catholique, avec la foi des apôtres.

Ainsi, en proclamant solennellement la divinité du Saint-Esprit, le concile ne fit pas un nouvel article de foi ; il se contenta de constater le dogme et, en le définissant, de le mettre à l'abri des attaques de l'hérésie. A l'exemple du concile de Nicée, qui, pour anéantir l'arianisme, avait ajouté quelques explications au Symbole des Apôtres, le concile de Constantinople confondit les macédoniens et assura l'orthodoxie de la doctrine, en développant l'article du Symbole de Nicée sur le Saint-Esprit.

La divinité du Saint-Esprit n'étant point attaquée, le concile de Nicée avait dit simplement: Et au Saint-Esprit, la Sainte Eglise catholique, etc. Expliquant ces paroles, les Pères de Constantinople ajoutèrent: Et au

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 51

Saint-Esprit, Seigneur et vivificateur, qui procède du Père et qui, avec le Père et le Fils, est adoré et conglorifié: qui a parlé par les prophètes. La lecture solennelle de cet article fut suivie incontinent des applaudissements du concile et des anathèmes contre l'hérésie.

D'une voix unanime, les évêques s'écrièrent: « Voilà la foi des orthodoxes! c'est ainsi que nous croyons tous. Malédiction et anathème à quiconque tiendrait une autre doctrine, que celle, qui vient d'être définie, et qui attaquerait la foi de Nicée, que nous approuvons, que nous jurons, que nous professons, déclarant impies, iniques, perverses, hérétiques, les opinions des ariens, des eunomiens, des sabelliens, des marcellianistes, des fontiniens, des apollinaristes et de tous ceux qui adhèrent à leurs doctrines, qui les prêchent ou qui les favorisent! (Omnes reverendissimi episcopi clamaverunt : Haec omnium fides; haec orthodoxorum fides; omnes sic credimus, etc. Vid. Baron., an. 381, n. 39.)

Afin de rendre leur définition plus respectable encore s'il était possible, en lui imprimant un nouveau cachet de catholicité, les Pères de Constantinople adressèrent une lettre synodale à tous les évêques d'Occident. En voici la teneur : « A nos très vénérables frères et collègues Damase, Ambroise, Brittonius, Valérien et autres saints évêques, réunis dans la grande ville de Rome. Le dogme que nous avons défini doit être approuvé par vous et par tous ceux qui ne pervertissent pas la parole de la vraie foi. En effet, il est de toute antiquité; il est conforme à la formule du baptême ; il nous enseigne à croire au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; c'est-à-dire à la divinité, à la puissance et à l'unité de

52 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

substance du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; à l'égalité de dignité et à la coéternité d'empire en trois hypostases ou personnes infiniment parfaites.

« De cette sorte, il n'y a plus de prise pour la pestilentielle hérésie de Sabellius, qui, confondant les personnes, détruit leurs propriétés respectives; ni pour les blasphèmes des eunomiens, des ariens et des autres qui attaquent le Saint-Esprit, divisent l'essence, la nature ou la divinité, et introduisent dans la Trinité, qui est incréée, consubstantielle et coéternelle, une nature postérieurement engendrée ou créée, ou d'une essence différente. » (Apud Theodoret., lib. V. c. IX.)

Il résulte de cette lettre que les évêques d'Occident étaient assemblés à Rome, avec le pape Damase, pour détruire l'hérésie de Macédonius, en même temps que les évêques d'Orient l'anathématisaient à Constantinople. Jamais accord plus parfait, jamais unanimité plus grande, jamais condamnation plus solennelle et plus irrévocable. - Frappé de ce coup de foudre, Satan fut de longs siècles sans oser relever la tête et attaquer directement la divi

TRAITE DU SAINT-ESPRIT. 53

nité du Saint-Esprit. Enfin, le retour de son règne arriva. Avec la Renaissance, on voit reparaître toutes les erreurs et toutes les hérésies qu'on croyait à jamais éteintes; elles reparaissent même plus subtiles, plus audacieuses e t plus complètes que dans l'antiquité. Ainsi, les sociniens renouvellent, en la développant, l'hérésie de Macédonius. Les auteurs de cette secte furent les deux Socin, oncle et neveu.

Le premier naquit à Sienne en 1525. Malgré les anathèmes du concile de Latran, le rationalisme, alimenté par l'étude fanatique des auteurs païens, envahissait l'Europe. Socin fut nourri dans cette atmosphère empoisonnée. A peine sorti du collège, il assista, en 1546, au fameux conciliabule de Vicence, où la destruction du christianisme fut résolue. Fidèle aux engagements qu'il y contracta et aux principes de son éducation, le jeune libre penseur employa toute sa vie à renouveler l'arianisme et le macédonianisme, afin de saper le christianisme par sa base.

Né à Sienne, en 1539, le second hérita de l'esprit anticatholique de son oncle et fut un des plus ardents promoteurs de ses hérésies. Il avait moins de vingt ans, que déjà la crainte de l'inquisition lui fit quitter l'Italie. Il passa en France, de là en Suisse, où il publia ses impiétés. Bientôt l'inquiétude de son esprit, jointe au désir de dogmatiser partout, le conduisit en Pologne. Les lettrés l'accueillirent avec faveur; un grand nombre se déclarèrent ses partisans. C'est au milieu de cette troupe d'athées qu'il mourut, en 1604. Dignes de leur maître, ses disciples voulurent tirer les conséquences pratiques de ses doctrines. De grands excès furent commis ; le peuple indigné les chassa. En haine de l'héré-

54 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

sie, de l'hérésiarque et de sa suite, les cendres de Socin furent déterrées, menées sur les frontières de la Petite Tartarie et mises dans un canon qui les envoya au pays des infidèles.

Nous avons dit que dans leurs impiétés contre le Saint-Esprit, les sociniens avaient dépassé les macédoniens. Suivant saint Augustin, ces derniers ne niaient pas l'existence personnelle du Saint-Esprit, mais sa divinité. Ils étaient d'ailleurs orthodoxes sur les deux autres personnes de la sainte Trinité (Lib. de haeresib., c. LII.) Pour les sociniens, le SaintEsprit n'est pas même une créature : c'est un souffle, une force, une simple influence de Dieu sur l'homme et sur le monde. La Trinité elle-même, un assemblage de mots sans idées; le péché originel, la grâce, les sacrements, le christianisme tout entier, autant de chimères. C'est la négation païenne, la négation de Sextus Empiricus, élevée à sa dernière formule et continuée par nos rationalistes modernes.

A cette négation éhontée dans son expression, absurde dans son principe, funeste dans ses conséquences, il suffit d'opposer et les témoignages de la tradition que nous avons cités, et l'affirmation solennelle de tous les dogmes attaqués, faite par le Concile de Trente, au commencement de ses immortels travaux. « Nos prédécesseurs, disent les Pères, inauguraient leurs sessions par la profession de la foi catholique et l'opposaient comme un bouclier impénétrable à toutes les hérésies.

A leur exemple, il nous paraît bon de professer solennel

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 55

lement le symbole dont se sert là sainte Église romaine, fondement unique et inébranlable de la foi, contre lequel les portes de l'enfer ne prévaudront jamais : Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur dit ciel et de la terre, et en un Seigneur Jésus-Christ, fils unique de Dieu et au Saint-Esprit, Seigneur et vivificateur ; qui procède du Père et du Fils; qui, avec le Père et le Fils, est adoré et conglorifié; qui a parlé par les prophètes. » (Conc. Trid., sess. III.)

Ce symbole catholique, immuable comme la vérité même, expression précise de la foi des nations civilisées, revêtu de la signature sanglante de douze millions de martyrs, est la preuve éternellement triomphante de la divinité du Saint-Esprit, le refuge assuré de tout esprit poursuivi par le doute, le roc inexpugnable du haut duquel le chrétien défie Satan et ses suppôts, avec tous leurs sophismes et toutes leurs négations.

Le macédonianisme et le socinianisme : telles sont les deux grandes hérésies qui, à douze siècles de distance, ont attaqué, mais en vain, la divinité du Saint-Esprit. Dans l'intervalle, une troisième s'est fait jour. En apparence, moins fondamentale que les deux autres, elle a eu des conséquences plus désastreuses. On voit qu'il s'agit de l'hérésie des Grecs sur la Procession du Saint-Esprit. Mur de division, encore debout, entre l'Église latine et l'Église grecque, il faut aujourd'hui, plus que jamais, la faire connaître et la réfuter.

56 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

CHAPITRE V. PROCESSION DU SAINT-ESPRIT. Ce que veut dire procéder. - Existence de processions en Dieu. Preuves : l'Écriture, la tradition, la raison éclairée par la foi. - Passage de saint Thomas. - Doctrine de saint Cyrille d'Alexandrie. - De saint Maxime. - Deux processions en Dieu : preuves. - Procession du Saint-Esprit; explication de Bossuet. - L'Eglise invariable dans sa doctrine. - Paroles de Vincent de Lérins.

Organe infaillible du Verbe, fait chair, pour instruire le genre humain, l'Église catholique a toujours cru que la troisième personne de l'adorable Trinité, égale en tout au Père et au Fils, procède de l'un et de l'autre. De cette croyance invariable, les preuves abondent dans les quatre Symboles, des Apôtres, de Nicée, de Constantinople et de saint Athanase, comme dans les écrits des Pères grecs et latins, premiers témoins de l'enseignement apostolique. D'après son étymologie, le mot procéder veut dire passer d'un lieu dans un autre. Au figuré, on l'emploie pour désigner l'émanation ou la production d'une chose qui sort d'une autre. L'Église catholique entend par procession : L'origine et la production éternelle d'une personne divine d'une autre personne, ou des deux autres.

Sur quoi il faut remarquer que, lorsqu'il s'agit de la Trinité, le mot procession se prend en deux sens. Le

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 57

premier, en tant qu'il s'applique à la production du Fils et du Saint-Esprit, car on dit que l'un et l'autre procèdent. Le second, en tant qu'il s'applique à la production particulière du Saint-Esprit. En effet, le Fils et le Saint-Esprit formant deux personnes distinctes, on dit du Fils qu'il est engendré, et du Saint-Esprit simplement qu'il procède (Vitasse, de Trinit., q. v, art. 1 et 2.)

Que, dans le sens théologique du mot, il y ait procession en Dieu, rien n'est plus clairement enseigné par l'Écriture, par la tradition, par la raison elle-même. Qui ne connaît ces témoignages de l'Ancien Testament? « Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils; c'est moi qui aujourd'hui vous ai engendré. Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore. » (Dominus dixit ad me : Filius meus es tu; ego hodie genui te. Ps. II, 7. - Ex utero ante Luciferum genui te, Ps. CVI, 3.) Contemplant le Verbe « Sa sortie, ajoute le prophète Michée, est dès le principe, dès les jours de l'éternité. » (Mich., V, 2.) Or, l'idée de génération, de sortie, d'origine, implique nécessairement l'idée de procession.

Le Nouveau Testament est encore plus explicite. Parlant de lui-même, Notre Seigneur dit : « Je procède de Dieu et je suis venu. » (Ego ex Deo processi et veni. Joan., VIII, 42.) Courte et sublime parole par laquelle le Verbe incarné se révèle tout entier ! Je procède de Dieu : voilà sa génération éternelle ; et je suis

58 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

venu : voilà sa génération temporelle et sa mission dans le monde. De sa bouche auguste, il rend le même témoignage au Saint-Esprit : « Lorsque sera venu le Paraclet, que je vous enverrai de mon Père, l'Esprit de vérité, qui procède du Père. » (Cum autem venerit Paracletus, quem ego mittam vobis a Paire, Spiritum veritatis qui a Paire procedit. Jean., xv, 26.)

Fidèlement recueillie par la tradition, la pensée divine est formulée dans le Symbole de saint Athanase qui l'exprime avec cette précision irréprochable : « Le Fils est du Père seul : ni fait, ni créé, mais engendré. Le Saint-Esprit, du Père et du Fils : ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant. » (Filius a Patre solo est : non factus, nec creatus, sed genitus. Spiritus sanctus a Patre et Filio : non factus, nec creatus, nec genitus, sed procedens.)

A son tour la raison éclairée par la foi apporte au dogme catholique l'appui solide de ses raisonnements. Elle dit : Dieu est l'être parfait ; la fécondité est une perfection ; donc Dieu la possède. « Est-ce que moi, demande le Seigneur, qui fais engendrer les autres, je n'engendrerai pas? moi qui donne la génération aux autres, je serai stérile ? » (Numquid ego qui alios parere facio, ipse non pariam?... Si ego qui generationem caeteris tribuo, sterilis ero? Is., LXVIII, 9.) Par l'organe de saint Cyrille de Jérusalem, elle ajoute : « Dieu est parfait, non seulement parce qu'il est Dieu, mais parce qu'il est Père. Qui nie que Dieu soit Père, ôte la fécondité à la nature divine; il l'anéantit en lui refusant une perfection essentielle, la fécondité. » (Apud Vitasse, Tract. de Trinit., édit. Migne, t. IX.)

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 59

Expliquant cette divine fécondité, saint Jean Damascène continue : « La raison ne permet pas de soutenir que Dieu soit privé de la fécondité naturelle. Or, en Dieu, la fécondité consiste en ce que de lui-même, c'est-à-dire de sa propre substance, il puisse engendrer semblablement à sa nature. » (Impossibile est Deum foecunditate naturali destitutum dicere. Porro foecunditas in eo sita est, ut ex ipso, hoc est, ex propria substantia, secundum naturam similem generet. De Fide orthod., lib. I, c. VIII.)

La distinction des personnes divines fournit à la raison une autre preuve sans réplique. Il y a en Dieu trois personnes distinctes : nous l'avons établi. Dans les personnes divines on ne voit que deux choses : la nature et le rapport d'origine ou la procession : ainsi, dans le Père, la nature divine et la paternité ; dans le Fils, la nature divine et la génération; dans le Saint-Esprit, la nature divine et la procession. D'où vient la distinction? Ce n'est pas de la nature, puisqu'elle est une et la même dans les trois personnes ; il reste donc qu'elle vienne de la communication différente de cette nature à chacune des personnes divines.

Aussi, l'Ange de l'école parlant du Saint-Esprit, dit avec raison : « Le Saint-Esprit est personnellement distinct du Fils, parce que l'origine de l'un est distincte de l'origine de l'autre. Or, la différence d'origine consiste en ce que le Fils est seulement du Père, tandis que le Saint-Esprit est du Père et du Fils. Les processions ne se distinguent pas autrement. » (I p., q. 36, art. 2, ad 7.)

De là, cette profonde doctrine de saint Grégoire de Nazianze, que les Grecs appellent le Théologien : « Le Fils n'est pas le Père, mais il est ce qu'est le Père ; le

60 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Saint-Esprit n'est pas le Fils, mais il est ce qu'est le Fils. Ces trois sont un par la divinité ; et cet un est trois par les propriétés distinctes. » (Filius non est Pater... sed hoc est quod Pater; neque Spiritus sanctus est Filius... sed hoc est quod Filius. Tria haec unum divinitate sunt, et unum hoc proprietatibus sunt tria. Orat. XXXVII.)

Pour expliquer l'unité de la nature divine, qui demeure entière et indivisible dans trois personnes parfaitement distinctes, rappelons une comparaison souvent employée par les Pères. « Il en est, disent-ils, de la nature divine comme de la nature humaine; celle-ci est une et la même dans tous les hommes : en se multipliant, ils ne la divisent pas. Quel que soit le nombre des hommes, il n'y a toujours qu'une nature humaine. Pierre est Pierre, et non Paul; et Paul n'est pas Pierre. Cependant ils sont indistincts par leur nature. Dans tous les deux, la nature humaine est une; et ils possèdent, sans aucune différence, tout ce qui constitue l'unité naturelle... Pierre, Paul et Timothée sont trois personnes, mais ils n'ont qu'une seule et même nature.

« Ainsi, comme il n'y a pas trois humanités : l'humanité de Pierre, l'humanité de Paul, l'humanité de Timothée; il n'y a pas non plus trois divinités : la divinité du Père, la divinité du Fils, la divinité du Saint-Esprit. Donc en Dieu, comme dans le genre humain, distinction et multiplicité de personnes, mais communauté et unité de nature. » (S. Cyril. Alexand., lib. IX, Comment. in Joan.; S. Maxim. martyr, Dialog. I de Trinit. - Id., Greg. Nyss., lib. De communib. notionib.; ibid., Joan. Damasc., De Fide orthod., lib. III, c. VIII.)

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT 61

L'Écriture, la tradition, la raison elle-même, dont l'accord unanime vient de nous montrer qu'il y a procession en Dieu, nous enseignent avec la même certitude qu'il y a deux processions en Dieu, et qu'il n'y en a que deux. D'abord, les livres saints n'en comptent que deux. Puis, il est facile de prouver qu'il n'y en a pas un plus grand nombre. Il y a en Dieu autant de processions qu'il y a de personnes qui procèdent. Or, il n'y a que deux personnes divines qui procèdent; et il n'y a en Dieu que trois personnes. Mais le Père, comme la première, ne procède d'aucune autre; ainsi, deux seulement procèdent.

De plus, il n'y a en Dieu que deux facultés qui opèrent intérieurement : Ad intra, seu immanenter, comme parle la théologie. Ces deux facultés sont l'entendement et la volonté. Ces facultés agissent nécessairement : car Dieu ne peut pas ne pas se connaître et ne pas s'aimer. Elles agissent toujours, car Dieu est l'action infinie (Vitass., de Trinit., quaest. V, art. 1 et 2, assert, 3.)

Ces dogmes établis, l'enseignement catholique ajoute que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, c'est-à-dire qu'il sort de l'un et de l'autre, non par voie de génération, mais par spiration. Sur ces mots divins, écoutons Bossuet. « Le Saint-Esprit, dit l'évêque de Meaux, qui sort du Père et du Fils, est de la même substance

62 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

que l'un et l'autre, un troisième consubstantiel, et avec eux un seul et même Dieu. Mais pourquoi donc n'est-il pas Fils, puisqu'il est, par sa production, de même nature? Dieu ne l'a pas révélé. Il a bien dit que le Fils était unique (Joa., I, 1-18.), car il est parfait, et tout ce qui est parfait est unique. Ainsi, le Fils de Dieu, Fils parfait d'un Père parfait, doit être unique; et, s'il pouvait y avoir deux Fils, la génération du Fils serait imparfaite. Tout ce donc qui viendra après ne sera plus Fils, et ne viendra point par génération, quoique de même nature. » (Élév, sur les myst., II serm., Élév. 5.)

Quelle sera donc cette finale production de Dieu? C'est une procession sans nom particulier. Éternellement intelligent, le Père se connaît éternellement, et éternellement il produit, en se connaissant, son Verbe ou son Fils, égal à lui, éternel comme lui. Le Père et le Fils, étant éternels, ne peuvent être sans se connaître éternellement, ni se connaître sans s'aimer d'un amour égal à eux, infini, éternel comme eux. Cet amour réciproque - et consubstantiel, c'est le Saint-Esprit. Il procède donc du Père et du Fils.

« C'est, continue Bossuet, ce qui explique la raison mystique et profonde de l'ordre de la Trinité. Si le Fils et le Saint-Esprit procèdent également du Père, sans aucun rapport entre eux deux, on pourrait aussitôt dire: Le Père, le Saint-Esprit et le Fils, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Or, ce n'est pas ainsi que Jésus-Christ parle. L'ordre des personnes est inviolable, parce que, si le Fils est nommé après le Père, parce qu'il en vient, le Saint-Esprit vient aussi du Fils, après lequel il est nommé; et il est Esprit du Fils, comme le Fils est le

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 63

Fils du Père. Cet ordre ne peut être renversé. C'est en cet ordre que nous sommes baptisés ; et le Saint-Esprit ne peut non plus être nommé le second, que le Fils ne peut être nommé le premier.

« Adorons cet ordre des trois personnes divines et les mutuelles relations qui se trouvent entre les trois, et qui font leur égalité comme leur distinction et leur origine. Le Père s'entend lui-même, se parle à lui-même, et il engendre son Fils qui est sa parole. Il aime cette parole qu'il a produite de son sein, et qu'il y conserve. Et cette parole, qui est en même temps sa conception, sa pensée, son image intellectuelle, éternellement subsistante, et dès là son Fils unique, l'aime aussi comme un Fils parfait aime un Père parfait. Mais qu'est-ce que leur amour, si ce n'est cette troisième personne, le Dieu d'amour, le don commun et réciproque du Père et du Fils, leur lien, leur noeud, leur mutuelle union, en qui se termine la fécondité, comme les opérations de la Trinité?

« Parce que tout est accompli, tout est parfait, quand Dieu est infiniment exprimé dans le Fils et infiniment aimé dans le Saint-Esprit, et qu'il se fait du Père, du Fils et du Saint-Esprit, une très simple et très parfaite unité. Tout y retourne au principe, d'où tout vient radicalement et primitivement, qui est le Père, avec un ordre invariable : l'unité féconde se multipliant en dualité pour se terminer en trinité. De telle sorte que tout est un, et que tout revient à un seul et même principe.

« C'est la doctrine des saints; c'est la tradition constante de l'Église catholique. C'est la matière de notre foi : nous le croyons. C'est le sujet de notre espérance nous le verrons. C'est l'objet de notre amour; car aimer Dieu, c'est aimer en unité le Père et le Fils et le Saint-

64 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Esprit; aimer leur égalité et leur ordre, aimer et ne point confondre leurs opérations, leurs éternelles communications, leurs rapports mutuels et tout ce qui les fait un, en les faisant trois: parce que le Père, qui est un, et principe immuable d'unité, se répand, se communique sans se diviser. Et cette union nous est donnée comme le modèle de la nôtre : O Père, qu'ils soient un en nous, comme vous, Père, êtes en moi et moi en vous, ainsi qu'ils soient un en nous. » (Médit. sur l'évangile, 25° jour. – Jean., XVII, 21.)

Trois personnes en un seul Dieu, égales entre elles, mais distinctes par leur rapport d'origine : le Père ne procédant de personne ; le Fils procédant du Père par voie d'entendement, comme la parole procède de la pensée; le Saint-Esprit procédant du Père et du Fils, par voie de volonté ou d'amour mutuel : tel est, sur le premier et le plus profond de nos mystères, le dogme catholique dans sa plus simple expression.

Pour défendre sa foi contre les novateurs, l'Église assemblée successivement à Nicée et à Constantinople, avait ajouté quelques explications au Symbole des apôtres. Excepté les hérétiques, à qui ces explications ne permettaient plus de tromper les fidèles, l'Orient et l'Occident avaient applaudi à cette sage conduite. Pour tous il était évident que l'Église n'avait rien changé à la doctrine, rien innové; mais usé du droit de conservation et de légitime défense. Ce qu'elle fit alors, elle l'a toujours fait, elle le fera toujours, lorsque ses dogmes seront attaqués. Tel n'est pas seulement son droit, mais son devoir; car tel est l'ordre formel de son divin fondateur.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 65

La doctrine de l'Église n'est pas sa doctrine : Mea doctrina non est mea. Elle n'en est pas propriétaire, mais dépositaire. Il lui a été dit : « Conservez ce qui vous a été confié et n'a pas été inventé par vous ; ce que vous avez reçu et non imaginé. Ce n'est pas une chose de génie, mais de doctrine; ce n'est pas une usurpation de la raison privée, mais une tradition publique. Elle est venue à vous, elle ne vient pas de vous : comme vous n'en êtes pas l'auteur, vous n'avez à son égard que le devoir de gardien.

« Aussi, gardienne attentive et prudente des dogmes dont le dépôt lui a été confié, elle n'y change jamais rien, elle n'ôte rien, elle n'ajoute rien. Ce qui est nécessaire, elle ne le retranche pas ; ce qui est superflu, elle ne l'admet pas. Elle ne perd pas son bien, elle ne prend pas celui d'autrui. Pleine de respect pour l'antiquité, elle conserve fidèlement ce qui en vient. Si elle trouve des choses qui n'ont reçu primitivement ni leur forme ni leur complément, toute sa sollicitude est de les élucider et de les polir. Sont-elles confirmées et définies? Elle les conserve. Fixer par écrit ce qu'elle a reçu des ancêtres par la tradition; renfermer beaucoup de choses en peu de mots; souvent même employer un mot nouveau, non pour donner à la foi un nouveau sens, mais pour mieux éclaircir une vérité : voilà ce que l'Église catholique, obligée par les nouveautés des hérétiques, a fait par les décrets des conciles : cela toujours, et rien de plus. » (Vincent. Livin., Commonit. civ. med.)

66 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Avec une fidélité incorruptible, elle s'acquittera de cette charge jusqu'à la consommation des siècles; et, quand viendra le dernier jour, elle remettra à Dieu, sur le tombeau des choses humaines, le dépôt de toutes les vérités qu'elle a reçues au Cénacle, et qui remontent, parleurs bases, jusqu'au berceau de l'humanité. » (Mgr Gerbet, Instr. sur diverses erreurs du temps présent, 1860.)

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 67

CHAPITRE VI. HISTOIRE DU FILIOQUE. Les sectateurs de Macédonius répandus au loin. - Les Priscillianistes ravagent l'Espagne et nient la divinité du Saint-Esprit. - Lettre du pape saint Léon le Grand aux évêques d'Espagne. - Il enseigne clairement la procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils. - Le Concile de Tolède fait réciter le Symbole avec l'addition Filioque. - Ce n'était pas une innovation : preuves, saint Thomas, l'Écriture, saint Damase. - Chant du Symbole autorisé dans les Gaules. - Défense d'y insérer le Filioque. - Plus tard, Rome ordonne de chanter le Filioque. - Raisons de sa conduite. - Plaintes mal fondées des Grecs. - Schisme de Photius. - Schisme et hérésie de Michel Cérulaire; il nie que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. - Concile de Lyon. - Les Grecs reconnaissent la légitimité du Filioque. - Ils trahissent leur foi. - Concile de Florence. - Les Grecs reviennent à l'unité; puis retombent dans le schisme.

Veiller sur le dépôt de la foi et fixer par ses décisions infaillibles les points en butte aux attaques de l'hérésie, est le droit et le devoir de l'épouse du Verbe incarné. Un demi-siècle environ après le concile de Constantinople, l'Église eut un nouveau motif de faire usage de ce droit inhérent à sa constitution. D'une part, les sectateurs de Macédonius s'étaient répandus au loin dans la Thrace, dans l'Hellespont et dans la Bithynie (Socr. Hist., lib. II, c. XLV; lib. V, C. VIII.); d'autre part, les Vandales et autres peuples, sortis de ces contrées, avaient emporté le dogme hérétique dans leurs migrations et notamment en Espagne. Là, les

68 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Priscillianistes attaquaient ouvertement le dogme de la Trinité et de la divinité du Saint-Esprit.

Saint Léon occupait alors la chaire de saint Pierre. La nouvelle de cette hérésie et des ravages qu'elle faisait en Espagne lui fut envoyée par saint Turibius, évêque d'Astorga. Le Souverain Pontife lui écrivit de réunir en concile tous les évêques d'Espagne, afin de condamner l'hérésie et d'extirper, à tout prix, cette nouvelle ivraie du champ du Père de famille.

Dans sa lettre, saint Léon disait : « Ils enseignent que dans la Sainte Trinité il n'y a qu'une seule personne et une seule chose, appelée tour à tour le Père, le Fils, et le Saint-Esprit; que celui qui engendre n'est pas distinct de celui qui est engendré, ni de Celui qui procède de l'un et de l'autre. »

Le concile eut lieu à Tolède, l'an 447. Présidé par le saint évêque d'Astorga, il condamna les hérétiques. Afin de couper le mal par la racine et de mettre l'Occident à l'abri de toutes ces erreurs, on y décida d'insérer dans le symbole de Constantinople le mot même du Vicaire de Jésus-Christ, qui définissait si bien la procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils : De utroque processit (Battaglini, Istor. Univ. De conc., q. 217, 218.)

L'addition dont il s'agit n'était point une innovation. C'était une explication, semblable à celles que le concile de Nicée avait insérées dans le Symbole des Apôtres, et le concile de Constantinople dans celui de Nicée. Saint Thomas remarque avec raison qu'elle est d'ailleurs

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 69

contenue virtuellement dans le concile même de Constantinople, approuvé par tous les Orientaux. «Les Grecs eux-mêmes, dit-il, comprennent que la procession du Saint-Esprit a quelque rapport avec le Fils. Ils conviennent que le Saint-Esprit est l'Esprit du Fils, et qu'il est du Père par le Fils. On dit même que plusieurs accordent que le Saint-Esprit est du Fils ou qu il découle de lui, mais qu'il n'en procède pas : distinction qui semble fondée sur l'ignorance ou sur l'orgueil.

« En effet, si l'on veut y faire attention, on trouvera que le mot Procession, entre tous ceux qui expriment l'origine d'une chose quelconque, est le plus commun. Nous nous en servons pour indiquer l'origine, de quelque nature qu'elle soit: par exemple, que la ligne procède du point, le rayon du soleil, le ruisseau de la source. Tous ces exemples et d'autres encore autorisent à dire avec vérité que le Saint-Esprit procède du Fils... Ainsi, ce dogme est implicitement contenu dans le symbole de Constantinople qui enseigne que le Saint-Esprit procède du Père. Or, ce qui est dit du Père, il faut nécessairement le dire du Fils, puisqu'ils ne diffèrent en rien, si ce n'est que l'un est le Fils et l'autre le Père. » (S. Th., I p., q. 36, art. 3. Cor. – Et De Potent., q. 10, art. 4 ad. Ad. 13.)

D'ailleurs, en écrivant si nettement dans une lettre doctrinale, que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, saint Léon n'était que l'écho des vicaires de Jésus-Christ, ses prédécesseurs : Petrus per Leonem locutus est. Au temps même du concile de Constantinople, le pape saint Damase enseignait cette doctrine: « Le Saint-Esprit n'est pas l'Esprit seulement du Père ou seulement du Fils, car il est écrit: Si quelqu'un aime le monde,

70 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

l'Esprit du Père n'est pas en lui. Et ailleurs: Si quelqu'un n'a pas l'Esprit de Jésus-Christ, il ne lui appartient pas . Cette nomination du Père et du Fils indique bien qu'il s'agit du Saint-Esprit, dont le Fils lui-même dit dans l'Évangile : Il procède du Père, il prendra du mien et vous l'annoncera. » (Porro non Leonis id fuit novum inventum, sed praedecessorum traditio. Nam Damasus haec ait (Damas., in concil. Rom. apud Crescon. Collect). Spiritus sanctus non est Patris tantummodo, aut Filii tantummodo Spiritus. Scriptum est enim : Si quis dilexerit mundum, non est Spiritus Patris in illo. I Joan., II. Item scriptum est : Qui autem Spiritum Christi non habet, hic non est ejus. Rom., VIII. Nominato itaque Patre et Filio, intelligitur Spiritus sanctus, de quo Filius in Evangelio dicit : Quia Spiritus sanctus a Patre procedit, et de meo accipiet, et annuntiabit vobis. Joan., XV. Apud Baron., an. 147, n. 21.)

Depuis le concile de Tolède, tous les catholiques d'Espagne et des Gaules récitèrent le symbole de Constantinople avec l'addition Filioque. De la part du Saint-Siège, nulle opposition; de la part des Orientaux, nulle réclamation ne vint s'opposer à cet usage. Il durait depuis quatre siècles, lorsque Charlemagne rentra dans ses États, après avoir été couronné empereur à Rome, par le pape Léon III.

Or, il avait obtenu, pour les églises de son vaste empire, l'autorisation de chanter à la messe le symbole de Constantinople. Les évêques assemblés à Aix-la-Chapelle, en 807, lui demandèrent si on pouvait le chanter en public, comme on le récitait en particulier, en y insérant l'addition Filioque. Le grand prince répondit qu'il ne lui appartenait pas d'en décider, et qu'il fallait consulter le Souverain Pontife. En conséquence, deux évêques et l'abbé de Corbie, députés du Concile, se rendirent à Rome.

Le pape les accueillit avec bienveillance, mais refusa

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 71

nettement la permission d'insérer dans le symbole les quatre syllabes Filioque. « Sans doute, leur dit-il, c'est un article de foi inviolable que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; mais on ne peut pas insérer dans le symbole tous les articles de foi. D'ailleurs, il ne faut pas modifier, même d'une syllabe, les symboles arrêtés par les Conciles oecuméniques. » (Bini., ad Synod. Aquisgran., t. III, Concil.; Labbé, t. VII, p. 1198; Bar., an. 809, n. 57.)

Pour montrer que sa résolution était immuable, le pape ordonna de graver incontinent, en grec et en latin, le symbole de Constantinople, sans l'addition du Filioque, sur deux boucliers d'argent, du poids de quatre-vingt-cinq livres, et les fit placer dans la basilique de Saint-Pierre, à droite et à gauche de la Confession. » (Anast. Biblioth. in Leon. III, apud Bar. an. 809, n. 62.)

Disons-le en passant, ce fait et celui que nous allons rapporter sont deux preuves monumentales de l'incorruptible fidélité de l'Église romaine aux traditions du passé. Non seulement elle refuse aux prières de Charlemagne, son bienfaiteur, d'insérer dans le symbole de Constantinople quatre syllabes, qui expriment nettement un article de foi; elle-même ne chante aucun symbole à la messe. Tandis que toutes ses filles, les églises d'Orient et d'Occident, font retentir leurs basiliques du symbole de Constantinople, elle s'en tient à celui des apôtres encore ne le récite-t-elle que dans l'administration du baptême et lorsque l'usage prescrit la profession de foi.

72 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Cependant les siècles marchent, et les circonstances changent avec les siècles. Toujours dirigée par le Saint-Esprit, l'Église romaine fera plus tard ce qu'elle a d'abord refusé, également infaillible dans ses concessions et dans ses refus. Tant que la procession du Saint-Esprit n'est pas attaquée, elle persévère dans ses anciennes traditions. Bientôt de sourdes rumeurs se font entendre. Vers l'an 866, aux rumeurs succèdent des négations publiques. Elles ont pour organes, en Occident, le patriarche d'Aquilée, et en Orient, Photius, patriarche intrus de Constantinople.

Pour leur répondre, comme elle avait répondu à Arius et à Macédonius, Rome fait insérer dans le symbole de Constantinople l'addition Filioque. Elle-même, qui pendant la messe n'a jamais chanté aucun symbole, chante le symbole de Constantinople ainsi expliqué et ordonne de le chanter partout. Dès lors un immense concert de voix catholiques répond nuit et jour aux blasphèmes des novateurs (Bar., an. 883, n. 34.)

La manière dont eut lieu cette mémorable addition offre un exemple nouveau de la sagesse du Saint-Siège et de sa prudente lenteur. Un concile nombreux fut convoqué à Rome. On représenta au Souverain Pontife que depuis longtemps les églises d'Espagne, des Gaules, d'Angleterre et de Germanie étaient en possession de chanter publiquement le symbole de Constantinople ; que Rome les approuvait; mais que, dans les circonstances actuelles, son refus prolongé d'insérer l'addition Filioque pouvait passer, aux yeux des malveillants, pour un blâme tacite ou pour une crainte de professer hau-

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 73

tement la foi; que les ennemis de l'Église ne manqueraient pas de s'en prévaloir, et, de là, faire naître des divisions, un schisme peut-être: qu'en tout cas, c'était le meilleur moyen de confondre Photius et ses adhérents (Baron., an. 883, n. 37; et an. 447, n. 23.)

Le Souverain Pontife se rendit à ces raisons, et l'autorisation fut accordée ; on en reporte la date à l'an 883. Toutefois, Rome elle-même ne commença de chanter le symbole que cent vingt-neuf ans plus tard, en 1014, sur les instances de l'empereur saint Henri. Ce grand prince, digne de Charlemagne par ses vertus et par les éminents services qu'il avait rendus au Saint-Siège, étant venu à Rome pour se faire couronner, fut étonné de ne pas entendre chanter le Credo à la messe. Il en demanda la raison.

« Voici, écrit l'abbé Bernon, ce qui lui fut répondu en ma présence : L'Église de Rome n'a jamais été souillée d'aucune hérésie; mais, fidèle à la doctrine de saint Pierre, elle demeure immuable dans la foi catholique. Elle n'a donc pas besoin de professer sa foi; c'est le devoir des églises qui ont pu ou qui peuvent l'altérer ou la perdre. » (Bern. Abbas augien., De rebus ad miss. spectant., apud Baron., an. 447, n. 24.)

Magnifique réponse! Néanmoins, sur les instances de l'empereur, le pape Benoît VIII décida que Rome

74 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

elle-même chanterait désormais le symbole. Ce fut celui de Constantinople avec l'addition Filioque (Baron., an. 447, n. 24.)

A quelque point de vue qu'on se place, on voit que rien ne fut plus légitime et plus régulièrement fait que cette insertion. Comme les explications du symbole, à Nicée et à Constantinople, elle était exigée par les circonstances. C'est le Vicaire de Jésus-Christ lui-même, présidant un concile, qui l'ordonne. Enfin, elle ne modifie pas la foi, elle l'explique. « Nul ne peut, écrit un ancien auteur, en prendre occasion d'accuser la sainte et grande Église de Rome, mère et maîtresse de toutes les autres, d'avoir écrit, composé et enseigné une foi nouvelle. Ce n'est ni faire, ni enseigner, ni transmettre un autre symbole, que d'expliquer l'ancien en vue de prévenir l'altération de la foi.

« Bien que dépositaire de l'autorité souveraine, elle ne refuse pas de s'humilier en répondant ce que le concile de Chalcédoine répondit autrefois à ses détracteurs; C'est injustement qu'on m'accuse. Je n'établis pas une foi nouvelle; je renouvelle la mémoire de l'ancienne. Éclaircir un point obscur du symbole, ce n'est pas l'altérer. Comme les Pères des siècles passés, j'ai renouvelé la foi; j'ai ajouté aux conciles de Nicée, de Constantinople et de Chalcédoine ; mais je n'ai rien enseigné qui leur soit contraire. Fidèle à marcher sur leurs traces, j'ai rencontré des points attaqués qui, de leur temps, n'étaient pas mis en question. Ce qui n'était pas bien compris de tous, j'ai dû l'éclaircir par un mot d'interprétation: voilà ce que j'ai fait. » (AEtherian., apud Bar., an. 883, n. 38.)

Cependant les Grecs, poussés par l'esprit d'orgueil, re

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 75

fusèrent obstinément de souscrire à l'addition du Filioque. Le sectaire ambitieux qui les égarait voulait à tout prix séparer l'Église orientale de l'Église occidentale. Une fois l'autorité du Souverain Pontife méconnue, il espérait se faire proclamer patriarche universel. La mort fit évanouir ses coupables projets; mais elle n'éteignit pas l'esprit de révolte qu'il avait soufflé.

En 1054, Michel Cérulaire, autre patriarche de Constantinople, plus audacieux que Photius, nia formellement que le Saint-Esprit procède du Fils. Dans une lettre adressée à Jean, évêque de Trani, il osa consigner son hérésie, avec invitation d'en faire part au Souverain Pontife. Léon IX y répondit, comme il convient au gardien de la foi, en excommuniant le novateur. Cérulaire, de son côté, excommunia le Pape et avec lui toute l'Église latine. La rupture fut complète, et les Grecs tombèrent dans le schisme et dans l'hérésie. Telle fut, comme nous le verrons plus tard, la source de tous leurs malheurs.

Cependant l'Église latine ne négligea rien pour ramener sa soeur à la foi de leurs pères. Après plusieurs siècles d'efforts inutiles, ce retour tant désiré s'accomplit au concile général de Lyon, en 1274. Réunis sous la présidence du pape Grégoire X, les évêques de l'Orient et de l'Occident exprimèrent leur foi en ces termes : « Nous faisons profession de croire fidèlement et avec piété que le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils, non comme de deux principes, mais comme d'un principe; non par deux spirations, mais par une seule spiration. » (Labbe, Conc., t. II, p. 967. - Quibus perfectis, praecinente pontifice hymnum : Te Deum; denique Graecis Latinisque verbis fidei orthodoxae forma, repetita bis professione processionis Spiritus sancti a Patre et Filio, decantata est. Bar., an. 1274, n. 18.)

76 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

La réunion venait d'être jurée pour la treizième fois. Malheureusement elle ne fut pas plus durable que les autres (Batlagini, Istor., etc., p. 660, n. 11.)

Enfin, le concile de Florence réunit de nouveau les Grecs et les Latins. Pour satisfaire les premiers, le dogme de la procession du Saint-Esprit fut, par ordre du Pape, examiné de nouveau. Jamais discussion plus approfondie, plus longue, plus complète. Sophismes, subterfuges, négations, demi-concessions, flux immense de paroles, les Grecs eurent recours à tous les moyens pour défendre l'erreur.

Dans la dix-huitième session, tenue le 10 mars 1439, Jean de Monténégro, provincial des Dominicains de Lombardie, leur ferma la bouche par un argument sans réplique. « Qu'entendez-vous par processions? demanda-t-il aux Grecs. Que voulez-vous dire, quand vous affirmez que le Saint-Esprit procède du Père? – Marc, archevêque d'Éphèse, répondit : J'entends une production par laquelle l'Esprit Saint reçoit de lui l'être et tout ce qu'il est proprement. – Fort bien, reprit le frère prêcheur, nous avons cette conclusion : le Saint-Esprit reçoit du Père l'être, ou il en procède, c'est la même chose. Voici donc comme je raisonne : De qui le Saint-Esprit reçoit l'être, de celui-là aussi il procède. Or, le SaintEsprit reçoit l'être du Fils ; donc le Saint-Esprit procède du Fils, suivant le sens propre du mot procession, tel que vous-même l'avez défini. Que le Saint-Esprit

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 77

reçoive l'être du Fils, on peut le démontrer par beaucoup de témoignages.

« Mais, interrompit Marc d'Éphèse, d'où tenez-vous que le Saint-Esprit reçoit l'être du Fils? – Votre demande me plaît, répliqua frère Jean ; et je vais y répondre à l'instant même. Que le Saint-Esprit reçoive du Fils l'être, cela se prouve par le témoignage, irrécusable pour vous comme pour nous, de saint Epiphane, qui s'exprime ainsi : J'appelle Fils celui qui est de lui, et Saint-Esprit celui qui seul est des deux. D'après cette parole de saint Épiphane, si l'Esprit est des deux, il reçoit donc des deux l'être. Puisque, suivant vous, recevoir l'être ou procéder, c'est la même chose. Nous savons par saint Épiphane qu'il reçoit son être du Père et du Fils' » (Mansi, t. XXXI, col. 723. – Rohrbacher, Hist. Univ., t. XXI, p. 534, 2è édition.)

L'argument était d'autant meilleur que saint Épiphane est un des Pères grecs les plus anciens et les plus vénérés des Orientaux.

Enfin, le 6 juillet 1439, jour de l'octave des apôtres saint Pierre et saint Paul, fut célébrée la dernière session du concile. En présence de l'auguste assemblée et aux applaudissements des Grecs et des Latins, on y lut le décret d'union. Il commence ainsi : « Que les cieux se réjouissent et que la terre tressaille ! Le mur qui divisait l'Église d'Orient et l'Église d'Occident vient d'être enlevé. La paix et la concorde est rétablie sur la pierre angulaire, Jésus-Christ, qui des deux peuples n'en a fait qu'un. Nous définissons et voulons que tous croient et professent que le Saint-Esprit est éternellement du Père et du Fils; qu'il a son essence et son être subsistant à la fois du Père et du Fils ; qu'il procède éternellement de l'un

78 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

et de l'autre, comme d'un seul principe et par une seule spiration. Nous définissons, de plus, que l'explication Filioque a été légitimement et avec raison ajoutée au symbole, pour éclaircir la vérité et par une nécessité alors imminente. » (Definimus explicationem verborum illormn Piliogue, veritatis declarandm gratia, et imminente necessitate, licite et rationabiliter, fuisse symboleo oppositam, etc. Apud Labbe, etc.)

La joie de l'Église ne fut pas de longue durée. Comme l'infidèle Samarie, le schismatique Orient retomba le lendemain dans les erreurs qu'il avait abjurées la veille : mais la mesure était comble. Salmanazar ressuscita dans Mahomet; et, treize ans seulement après le concile de Florence, l'empire des Grecs subit le sort du royaume d'Israël.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 79

CHAPITRE VII. MISSION DU SAINT-ESPRIT. La sanctification est l'œuvre propre du Saint-Esprit. - Cette œuvre suppose une mission. - Ce qu'en entend par mission. - Combien de missions. - Elles n'impliquent aucune infériorité dans la personne envoyée. - Différence entre la mission du Fils et la mission du Saint-Esprit. - Toutes deux promises, figurées, prédites, préparées dès l'origine du monde. - Signification du mot Esprit dans l'Écriture. - Passage de saint Augustin.

Autant que le permettent les obscurités de la vie présente, nous connaissons le Saint-Esprit en lui-même. Il est la troisième personne de l'auguste Trinité. Il est Dieu comme le Père et le Fils. Il procède de l'un et de l'autre par une seule spiration et comme d'un seul et même principe, sans que pour cela il y ait ni postériorité, ni priorité, ni inégalité quelconque entre celui qui procède et ceux de qui il procède. Il est le fondateur et le roi de la Cité du bien. Sous ses ordres directs sont placées toutes les armées angéliques, nuit et jour en campagne pour protéger, aux quatre coins du monde, les frères du Verbe incarné contre les attaques des légions infernales.

Amour consubstantiel du Père et du Fils, à lui revient, par appropriation de langage, l' œuvre par excellence de l'adorable Trinité (S. Bern., Médit., c. I.) Quelle est cette œuvre? La création?

80 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

non. La rédemption ? non. Quelle est-elle donc? la sanctification et la glorification; le Père crée, le Fils rachète, le Saint-Esprit sanctifie ; le Père fait des hommes, le Fils des chrétiens, le Saint-Esprit des saints et des bienheureux. L'oeuvre du Saint-Esprit est donc plus élevée que celle du Père et du Fils, puisqu'elle est le couronnement de l'une et de l'autre (Haec est enim voluntas Dei sanctificatio vestra. I Thess., IV, 3.)

Que cette oeuvre suprême appartienne au Saint-Esprit, la preuve en est évidente. C'est lui qui forme Marie, mère du Rédempteur, et, dans le sein virginal de Marie, le Rédempteur lui-même. C'est lui qui le dirige, qui l'inspire, qui lui donne de faire des miracles, et qui le glorifie : Ille me clarificabit. Comme prolongement de cette oeuvre de sanctification universelle, c'est lui qui forme l'Église, mère du chrétien, et, dans le sein virginal de l'Église, le chrétien lui-même, frère du Verbe incarné. C'est lui qui le dirige, qui l'inspire, qui l'élève peu à peu à la sanctification et de la sanctification à la gloire (In Epist. ad Hebr., c. IX, 14.)

Cette grande œuvre, magnifique synthèse de toutes les oeuvres du Père et du Fils, ne pouvait demeurer isolée dans les régions inaccessibles de l'éternité. Loin de là, elle devait devenir palpable et s'accomplir dans le temps. Pour l'accomplir, le Saint-Esprit a donc eu

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 81

une mission. Il faut, avant d'aller plus loin, expliquer ce mot si souvent prononcé et si peu compris.

Lorsqu'elle parle des personnes divines, la théologie catholique entend par mission : La destination éternelle d'une personne de la Trinité à l'accomplissement d'une œuvre du temps : destination qui lui est donnée par la personne de qui elle procède (Vid. S. Th., I p., q. 43, art. 2, ad 2. – Vitass., De Trinit., q. 8, art. 5.) De toute éternité il était décidé que le Verbe se ferait homme et viendrait dans le monde pour le sauver (Joan., III, 17.) : voilà sa mission. De toute éternité il était décidé que le Saint-Esprit viendrait dans le monde pour le sanctifier' (S. Aug., De Trinit., lib. III, c. IV.): voilà sa mission.

Ainsi, dans les personnes divines, il y a autant de missions divines qu'il y a de processions. Le Père n'a pas de mission, parce qu'il ne procède de personne. Le Fils reçoit sa mission du Père seul, par ce qu'il ne procède que de lui (Gal., IV, 4.) Le Saint-Esprit reçoit sa mission du Père et du Fils, parce qu'il procède de l'un et de l'autre (Joan., XV, 26.)

Écoutons saint Augustin : « Le Fils, dit-il, est envoyé par le Père, parce qu'il a apparu dans la chair, et non le Père. Nous voyons aussi que le Saint-Esprit a été envoyé par le Fils : Lorsque je m'en irai, je vous l'enverrai; et par le Père : Le Père vous l'enverra en mon nom.

82 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Par là, on voit clairement que le Père sans le Fils, ni le Fils sans le Père n'a envoyé le Saint-Esprit; mais il a reçu sa mission de l'un et de l'autre. Du Père seul on ne lit nulle part qu'il a été envoyé. La raison en est qu'il n'est ni engendré ni procédant de personne. En effet, ce n'est ni la lumière ni la chaleur qui envoie le feu ; mais c'est le feu qui envoie la chaleur et la lumière. » (Contra Serm. Arian., c. IV, n. 4, opp. T. VIII, p. 964.)

Admirons en passant la profonde justesse du langage divin. Lorsqu'il annonce le Saint-Esprit à ses apôtres, le Verbe incarné dit : « Il me glorifiera, parce qu'il prendra du mien, et vous l'annoncera. Tout ce qui est à mon Père est à moi. Voilà pourquoi j'ai dit : Il prendra du mien et vous l'annoncera. » (Joan., XVI, 14, 15.) Il ne dit pas, il prendra de moi, parce que ce serait dire, en quelque façon, qu'il serait le seul principe du Saint-Esprit, et que le Saint-Esprit procède du Fils, comme le Fils procède du Père, c'est-à-dire de lui seul. Mais il n'en est pas ainsi. C'est pourquoi il dit : Il prendra du mien et non pas de moi. Parce que, encore qu'il prenne de lui, il ne prend de lui que ce que lui-même a pris du Père. En sorte que la mission du Saint-Esprit vient tout à la fois du Fils et du Père, de qui le Fils lui-même a tout reçu.

Du reste, il ne faut pas croire que la mission implique une infériorité quelconque dans celui qui la reçoit, relativement à celui qui la donne. La mission ne dénote pas plus une infériorité, que la procession elle-même dont elle est la conséquence. « Dans les personnes divines, dit avec raison l'Ange de l'école, la mission est sans

TRAITÉ DU .SAINT-ESPRIT. 83

séparation, sans division de la nature divine qui est une et la même dans le Père, et dans le Fils, et dans le Saint-Esprit; elle n'indique donc qu'une simple distinction d'origine. » C'est ainsi, pour employer une imparfaite comparaison, que le rayon est envoyé par le foyer, et la fleur par la plante, sans en être séparé et en conservant la nature de l'un et de l'autre.

Complétons ces notions fondamentales en ajoutant qu'il y a deux sortes de missions pour le Fils et pour le Saint-Esprit : l'une visible et l'autre invisible. Pour le Fils, la mission visible fut l'Incarnation; pour le Saint-Esprit, son apparition au baptême de Notre-Seigneur, sur le Thabor et le jour de la Pentecôte. Pour le Fils, la mission invisible a lieu toutes les fois qu'il vient, sagesse infinie, lumière surnaturelle, se communiquer à l'âme bien préparée, dans laquelle il habite comme dans son temple; pour le Saint-Esprit, la mission invisible se renouvelle chaque fois qu'il vient, amour infini, charité surnaturelle, se communiquer à l'âme bien préparée, dans laquelle il habite comme dans son sanctuaire'.

Le but de cette double mission est d'assimiler l'âme à la personne divine qui lui est envoyée : Similes ei erimus. Or, comme le Fils, lumière éternelle, et le Saint-Esprit, amour éternel, ont été envoyés pour le monde

84 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

entier, l'intention de Dieu est de s'assimiler le genre humain, et, en se l'assimilant, par la vérité et par la charité, de le déifier. O homme! Si tu comprenais le don de Dieu : Si scires donum Dei! Dans la pensée divine, cette mission n'est pas transitoire, mais permanente ; elle l'est, en effet, tant que l'homme n'y met pas fin par le péché mortel. Elle n'apporte pas seulement à l'âme les lumières du Fils et les dons du Saint-Esprit; mais le Fils et le Saint-Esprit en personne viennent habiter en elle (Corn a lap. in I Petr., I, 4.)

Compléter l'oeuvre du Verbe, en faisant dans les coeurs ce qu'il avait fait dans les intelligences, achever ainsi la transformation de l'homme en Dieu : telle est la magnifique mission du Saint-Esprit. A raison même de son importance, elle dut être le dernier terme de la pensée divine; par conséquent l'âme de l'histoire, le mobile et la clef de tous les événements accomplis depuis l'origine du monde. Si donc l'incarnation du Verbe a dû être connue de tous les peuples; et, pour cela, promise, figurée, prédite, préparée dès la naissance de l'homme, à plus forte raison, il a dû en être ainsi de la mission du Saint-Esprit, couronnement de l'Incarnation : les faits confirment le raisonnement.

Or, afin qu'il soit bien entendu que les promesses, les figures, les prophéties, les préparations dont nous allons esquisser le tableau, se rapportent à la troisième

TRAITÉ DU .SAINT-ESPRIT. 85

personne de la Sainte Trinité, et non à un autre esprit, il est bon de rappeler l'enseignement des Pères, sur la signification du mot Esprit dans l'Écriture.

Qu'il suffise d'entendre saint Augustin : « On peut, dit-il, demander si, lorsque l'Écriture dit l' Esprit de Dieu, sans rien ajouter, il faut entendre le Saint-Esprit, la troisième personne de la Trinité, consubstantiel au Père et au Fils; par exemple : Là où est l'Esprit de Dieu, là est la liberté, et ailleurs : Dieu nous l'a révélé par son Esprit; et encore : Ce qui est caché en Dieu, personne ne le sait, si ce n'est l'Esprit de Dieu? Dans ces passages, comme dans une foule d'autres où il n'est rien ajouté, il est évidemment question du Saint-Esprit. Le contexte le fait assez comprendre. En effet, de quel autre parle l'Écriture lorsqu'elle dit : l'Esprit lui-même rend le témoignage à notre esprit, que nous sommes les enfants de Dieu ; et : L'Esprit lui-même aide notre infirmité. C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, les distribuant à chacun comme il veut? Dans tous ces endroits, ni le mot Dieu ni le mot Saint n'est ajouté au mot Esprit, et toutefois il s'agit clairement du Saint-Esprit.

« Je ne sais si on pourrait prouver par un seul exemple authentique, que là où l'Écriture nomme l'Esprit de Dieu sans addition, elle ne veut pas parler du Saint-Esprit, mais d'un autre esprit bon, quoique créé. Tous les textes cités pour établir le contraire sont douteux et auraient besoin d'éclaircissement. » (De divers. quaest., lib. II, n. 5, p. 187, opp. T. VI. S. Th., I p., q. 74, art. III, ad 4.)

86 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Nous venons de le voir, dans les conseils éternels il était décidé que deux personnes de l'auguste Trinité descendraient visiblement sur la terre : le Fils pour sauver le monde par ses mérites infinis, le Saint-Esprit pour le sanctifier par l'effusion de ses grâces. Mais quand un monarque, tendrement aimé de son peuple, doit visiter les différentes parties de son royaume pour semer des bienfaits, tous les esprits sont préoccupés de sa venue. La renommée le devance ; des courriers le précèdent : toutes les voies s'ouvrent devant lui, et rien n'est oublié pour lui préparer une réception digne des espérances qu'il fait naître et de l'enthousiasme qu'il inspire.

Il n'est pas un chrétien qui ne le sache : voilà ce que Dieu a fait pour préparer la venue du Verbe incarné. Promis, figuré, prédit, attendu pendant quarante siècles, le Désiré des nations domine majestueusement le monde ancien. Il est l'âme de la loi et des prophètes, l'objet de tous les voeux, la fin de tous les événements, le but de l'élévation et de la chute des empires : en un mot, il est l'axe divin autour duquel roule tout le gouvernement de l'univers.

Cette préparation, étonnante de grandeur et de majesté, n'était pas due seulement à la seconde personne de la sainte Trinité, mais aussi à la troisième. Égal au Fils par la dignité de sa nature, supérieur en un sens par la sublimité de sa mission, et devant comme le Fils descendre personnellement sur la terre, le Saint-Esprit devait, comme le Messie, être précédé d'une longue suite de promesses, de figures, de prophéties, de préparations, afin d'être, non moins que le Messie, l'objet constant de l'attente universelle : Desideratus cunctis gentibus. Cette induction de la foi n'est pas trompeuse.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 87

L'histoire va nous montrer la troisième personne de la Trinité, occupant la même place que la seconde, et dans la pensée de Dieu, et dans l'espérance du genre humain, et dans la direction de tous les événements du monde antique, pendant le long intervalle de quatre mille ans.

88 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

CHAPITRE VIII. LE SAINT-ESPRIT DANS L'ANCIEN TESTAMENT, PROMIS ET FIGURÉ. Promesses du Saint-Esprit : Joël, Aggée, Zacharie. - Figures : les sept jours de la création, le chandelier aux sept branches, l'édifice à sept colonnes de la Sagesse éternelle.

Le Messie est promis, le Saint-Esprit est promis. Après la promesse bien des fois renouvelée, en termes plus ou moins explicites, de la venue du Saint-Esprit sur la terre (Is., XLIV, 3; Ezech., XI, 19; XXXVI, 26, etc.), Dieu ordonne au prophète Joël de la publier clairement, plus de six cents ans avant le jour mémorable où elle devait s'accomplir. Dans la personne des Juifs, le prophète s'adresse à tous les peuples, appelés à devenir par la foi les enfants d'Abraham. Son regard inspiré voit en même temps le Verbe qui s'incarne et le Saint-Esprit qui descend. Devant lui, sont présentes les deux adorables personnes; et avec te même enthousiasme, il parle de l'une et de l'autre.

« Fils de Sion, s'écrie-t-il, soyez dans la joie et tressaillez de bonheur dans le Seigneur votre Dieu, parce qu'il vous donnera le Docteur de justice. Et il fera descendre sur vous la rosée du matin, et la rosée du soir, comme il était au commencement. Et vos greniers seront remplis de blé, et vos collines de vin et d'huile. Et je

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 89

vous rendrai les années qu'ont dévorées les sauterelles, les insectes et la rouille : c'est une grande puissance que je vous enverrai. Et vous mangerez dans l'abondance, et vous serez rassasiés, et vous louerez le nom du Seigneur votre Dieu qui a fait ces merveilles pour vous; et mon peuple ne sera jamais confondu. Et vous saurez que je suis au milieu d'Israël, moi le Seigneur Votre Dieu, à l'exclusion de tout autre. » (Joel, XI, 23-27.)

La joie, l'abondance de tous les biens spirituels, la réparation de tous les maux, sous le poids desquels gémissait le genre humain depuis la chute primitive, la présence permanente du Seigneur lui-même au milieu de son peuple, la grande nation catholique : voilà bien les traits distinctifs du règne du Messie. Quand le Verbe incarné aura posé les fondements de cette félicité universelle et arrosé de son sang, au matin et au soir de sa vie, cette terre du monde, que va-t-il arriver? Écoutons le prophète : « Après cela, dit le Seigneur, je répandrai mon Esprit sur toute chair. Et vos fils et vos filles prophétiseront; et vos vieillards auront des révélations, et vos jeunes gens verront des visions, En ces jours-là, je répandrai mon Esprit même sur mes serviteurs et sur mes servantes. » (Ibid., XXVIII, 30. - Le jour même de la Pentecôte, saint Pierre déclare aux Juifs que les merveilles qui éclatent à leurs yeux sont l'accomplissement de la promesse du Seigneur, faite par le prophète Joël. Tous les Pères parlent comme le chef des apôtres. Voir entre autres S. Chrys., in princip. Act. Apost., II, t. III, p. 927, n. 11, 12, et Corn. a Lap., in Joel, II, 28.)

Tels sont, dans leurs traits généraux, les bienfaits dont le monde sera redevable au Saint-Esprit. Comme tous les cœurs devaient palpiter à cette annonce ! Comme

90 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

les justes de l'ancienne loi devaient conjurer le Seigneur de hâter ce jour, unique entre les jours! Afin de les consoler, le Seigneur veut bien leur promettre, par la bouche du prophète Aggée, la prochaine venue du Saint-Esprit. Juda revenait de Babylone : il était fort occupé de la construction du second temple; mais les coeurs étaient tristes. On ne pouvait penser sans gémir à la magnificence de l'ancien temple et à la pauvreté relative du nouveau, qui s'élevait péniblement au milieu des difficultés de tout genre.

Aggée reçoit ordre d'encourager le peuple. Comme Joël, il voit et il annonce la venue de deux personnes de l'adorable Trinité : Le Saint-Esprit, qui, conformément aux antiques promesses, viendra bientôt résider au milieu de son peuple; le Verbe fait chair, qui daignera sanctifier le nouveau temple, par sa présence personnelle. « Prophète, lui dit le Seigneur, parle à Zorobabel fils de Salathiel, chef de Juda, et à Jésus, fils de Josédech, grand-prêtre, et à tout le peuple, et dis-leur : Prends courage, Zorobabel; prends courage, Jésus fils de Josédech; et toi, peuple de toute classe, prends courage, et agissez parce que je suis avec vous; dit le Seigneur des armées. Je vais tenir la parole que je vous ai donnée, lorsque vous sortiez de la terre d'Égypte, et mon Esprit sera au milieu de vous : ne craignez rien. Encore un peu de temps, et je; remuerai le ciel et la terre, et la mer, et les îles, et toutes les nations; puis viendra le Désiré de toutes les nations; et je remplirai de gloire cette maison, et sa gloire sera plus grande que celle de la première. » (Agg., II, 2-10. Tous les Pères, saint Athanase, saint Cyrille de Jérusalem, saint Grégoire de Nysse, Théodoret, ont vu dans ces remarquables paroles la promesse du Saint-Esprit. Voir entre autres S. Jerom., in Agg. II, opp. t. III, p. 1694, et Cornel. a Lapid., ibid.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 91

Plus explicite que la première, cette seconde promesse ne se contente pas d'annoncer la venue du Saint-Esprit, elle en désigne l'époque. Il viendra lorsque le monde sera tiré de la vraie captivité d'Égypte, par le sang de l'Agneau de Dieu ; et que les apôtres seront prêts à construire le grand édifice catholique, où le Saint-Esprit doit éternellement habiter.

Vers la même époque, un autre prophète, Zacharie, est chargé d'annoncer la venue du divin Esprit, qui doit changer la face de la terre, après avoir changé les coeurs. Ici encore, le Seigneur a soin de réunir dans la même prédiction l'avènement, du Messie et la descente du Saint-Esprit. La raison en est que ces deux événements se tiennent. Le premier est la preuve, du second, et le second la conséquence du premier. On ne peut admettre l'un sans admettre l'autre. « En ce temps-là, dit le Seigneur, je briserai toutes les nations qui marcheront contre Jérusalem. Et je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem l'Esprit de grâce et de prières. Et ils lèveront leurs regards vers moi qu'ils auront attaché à la croix. Et ils pleureront sur moi, comme on pleure sur un fils unique, et ils pousseront des gémissements et des sanglots, comme on en pousse à la mort d'un premier-né. » (Zach., XII, 9, 10.)

Lisant dans le lointain des âges, disent les pères et les interprètes, Zacharie voit devant ses yeux le jour mémorable de la Pentecôte, où le Saint-Esprit descend sur les apôtres réunis à Jérusalem. Il le voit produisant

92 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

la grâce et la sanctification; puis, les gémissements et les supplications, dans les âmes qu'il vient d'éclairer sur l'énorme attentat, commis par la nation juive sur la personne adorable du Messie. Tout cela est tellement précis, que les Actes des Apôtres, en racontant l'histoire de la Pentecôte, ne semblent être que la reproduction des paroles de Zacharie.

Ce n'est pas seulement par ces promesses solennelles et par beaucoup d'autres répandues dans l'Ancien Testament, que Dieu annonçait au monde la venue de l'Esprit sanctificateur.

Pour le Messie, nous voyons marcher de pair avec les promesses d'innombrables figures, qui fixaient continuellement l'attention sur le Libérateur futur. Il en est de même pour le Saint-Esprit. A côté des promesses, se montrent constamment des figures qui le révèlent dans sa nature et dans ses dons. Appuyé sur l'autorité des saints docteurs, nous allons en faire connaître quelques-unes.

L'Esprit aux sept dons qui est le principe vital, la lumière, la beauté du monde moral et de l'Église en particulier, se trouve représenté par les différents septénaires, qui reviennent si souvent dans la création du monde matériel et dans la formation du peuple figuratif. Pour n'en citer que deux exemples : le monde physique fut créé en six jours, suivis du jour de repos; il en est de même du monde moral. L'homme, qui en est le sublime abrégé, est formé par l'Esprit aux sept dons.

Dans l'ordre de la nature, la lumière paraît le pre

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 93

mier jour. Elle figure le don de crainte, par lequel hommes commence à connaître Dieu efficacement, selon cette parole du prophète La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse.

Au second jour de la création, se déploie le firmament, qui sépare les eaux inférieures des eaux supérieures. C'est l'emblème du don de science, qui nous apprend à discerner les doctrines vraies des doctrines fausses. Orné de ce don précieux, l'homme ressemble au firmament par la stabilité inébranlable de sa foi. Maintenant une séparation radicale entre la vérité et l'erreur, il les empêche de se jamais réunir dans son intelligence pour y produire le chaos. C'est ainsi que le firmament, immuablement placé entre les eaux inférieures et les eaux supérieures, les empêche de confondre leurs niasses et de produire un nouveau déluge.

Le troisième jour a lieu la séparation des eaux et de la terre. La terre, montrant sa surface desséchée, se couvre de toutes sortes d'herbes et de plantes. C'est la vive image du don de piété. Séparé des eaux inférieures, c'est-à-dire des doctrines de mensonge, l'idolâtrie, le superstition, l'incrédulité, l'homme vivifié par le don de piété, honore le vrai Dieu et produit les fleurs des bons désirs, les herbes des saintes paroles, enfin les fruits excellents des eeuvres de charité envers Dieu et envers le prochain.

Le quatrième jour paraissent les deux grands luminaires, le soleil et la lune, accompagnés de myriades d'étoiles. On voit ici dans toute sa magnificence le don de conseil. Flambeau du jour, semblable au soleil, il éclaire tout le système du monde surnaturel; flambeau de la nuit, semblable à la lune, il éclaire tout le sys-

94 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

tème du monde inférieur; semblable aux étoiles, qui, répandues dans toute l'étendue du firmament, en illuminent toutes les parties, il éclaire chacune de nos facultés et dirige chacun de nos sens.

Le cinquième jour, les poissons et les oiseaux prennent naissance du même élément; les premiers vivent dans les eaux, les seconds volent dans les airs. La sagesse éternelle pouvait-elle mieux préfigurer le don de force? Grâce à son efficacité, les bonnes résolutions naissent et se fortifient dans la tribulation; et les bonnes pensées volent vers Dieu, en brisant les résistances des démons, qui remplissent l'air dont nous sommes environnés.

Le sixième jour a lieu la création des animaux et de l'homme leur roi. Voici bien le don d'entendement. L'homme qui le possède connaît clairement sa double nature et l'apprécie ; il sait que la partie supérieure de lui-même doit dominer l'inférieure ; il connaît de plus les règles à suivre pour. maintenir cette subordination, principe de vertu et d'harmonie universelle.

Le septième jour, Dieu se repose et bénit ce jour. Telle est la figure parfaitement juste du don de sagesse, le plus noble de tous. Par lui, l'âme se repose délicieusement en Dieu. Dégoûtée de tout ce qui n'est pas lui, elle attend dans la paix le jour éternel, où elle ira le bénir de tout ce qu'il a fait pour elle et par elle. C'est ainsi que le septième jour Dieu couronne l'oeuvre de la création du monde matériel; c'est ainsi que, par le septième don, le Saint-Esprit achève la création d'un monde plus noble, l'homme, son image et son enfant (Voir, sur cette belle philosophie, S. Anton., Summ. Theol., I, art., t. X c. 1, § 1.)

A ceux qui seraient tentés de ne voir qu'un jeu d'ima

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 95

gination, dans ce parallèle entre la création du monde matériel et la création du monde moral, entre ce qui s'est passé à l'origine des temps et ce qui s'est accompli dans la plénitude des âges, il suffit de rappeler la doctrine de saint Paul et des Pères. Tous enseignent que l'Ancien Testament est à l'Évangile ce qu'est la rose en bouton à la rose épanouie ; que le monde physique n'est que le rayonnement du monde moral; que l'un et l'autre ont été faits par le même Esprit sur le même plan et dans le même but; et qu'ainsi, l'annonce figurative du Saint-Esprit commence, comme celle du Messie, au premier jour du monde.

Une autre figure, plus transparente que la première, c'est le chandelier aux sept branches. On se trouvait au milieu du désert ; Israël, sorti d'Égypte, était en marche vers la terre promise. Dieu appelle Moïse et lui ordonne de faire le tabernacle, ouvrage où le mystère et la figure de l'avenir éclatent de toutes parts. Le tabernacle, disent les Juifs, Joseph et Philon, était l'image du monde, et le Saint des saints représentait le ciel empyrée. C'est là que Dieu commande à Moïse de placer un candélabre d'or, à sept branches, destiné à éclairer le ciel de la terre. Où trouver une figure plus belle de l'Esprit aux sept dons, flambeau du temps et de l'éternité? (Corn. a Lap., in Exod. xxv, 31.)

Les Pères de l'Église ont vu une nouvelle figure du Saint-Esprit dans les sept fils de Job. « Les sept fils du patriarche de la douleur, écrit saint Grégoire le Grand, se donnaient des festins, chacun à son tour, chaque jour de la semaine, en compagnie de leurs trois murs, dans un édifice quadrangulaire.

96 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

« Voilà bien les sept dons du Saint-Esprit qui nourrissent l'âme, chacun à sa manière, et cela en compagnie de leurs trois sueurs, c'est-à-dire des trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité, dans un édifice spirituel de forme carrée, c'est-à-dire formé par les quatre vertus cardinales,

  • la prudence,
  • la justice,
  • la force,
  • la tempérance.

Chacun donne son festin, parce que chaque don du Saint-Esprit nourrit l'âme. La sagesse, par l'espérance aussi certaine que délicieuse des biens futurs; l'intelligence, par la lumière toute divine qu'elle fait briller dans les ténèbres du coeur; le conseil, par la haute prudence dont elle le remplit; la force, par le courage invincible, soit dans l'action, soit dans la souffrance; la science, par la sérénité du regard et la solidité des pensées ; la piété, par le rassasiement, fruit des oeuvres de miséricorde; la crainte, par l'humble confiance, récompense de l'orgueil vaincu. » (S. Greg. Moral., lib. I et II.)

A mesure que nous avançons, les figures deviennent plus transparentes : c'est l'aurore qui succède à l'aube et qui annonce l'approche du soleil. A l'exemple des Pères, étudions la belle figure de l'esprit aux sept dons, si bien dessinée par l'auteur des Proverbes. «La Sagesse, dit l'écrivain sacré, s'est bâti une maison, elle a taillé sept colonnes pour la soutenir. Elle a immolé ses victimes ; elle a mêlé son vin ; elle a dressé sa table. Elle a envoyé ses servantes, pour appeler dans son palais et dans les murailles de sa ville, en disant : S'il y a quelque enfant, qu'il vienne à moi. La Sagesse elle-même a dit à ceux qui sont pauvres d'intelligence : venez, mangez mon pain, et buvez le vin que je vous ai préparé; quit

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 97

tez l'enfance, et vivez et marchez dans les voies de la prudence. » (Prov., IX, 1-6.)

Quelle est cette Sagesse? Le Verbe éternel, la sagesse même de Dieu. Cette maison bâtie de sa propre main? L'Église, palais du Fils de Dieu sur la terre. Ces sept colonnes, appuis de l'édifice? Les sept dons du Saint-Esprit, qui rendent l'Église inébranlable, au milieu des ouragans et des tremblements de terre. Comment? En opposant, chacun en particulier, une force de résistance supérieure à la violence des sept esprits mauvais, puissants ennemis de la Cité du bien. Au démon de l'orgueil, résiste le don de crainte; au démon de l'avarice, le conseil; au démon de la luxure, la sagesse; au démon de la gourmandise, l'intelligence; au démon de l'envie, la piété; au démon de la colère, la science; au démon de la paresse, la force.

Tel est l'harmonieux contraste que les saints docteurs découvrent entre les forces opposées de l'Esprit du bien et de l'Esprit du mal. Rien n'est plus réel, ainsi que nous le montrerons ailleurs (Voir Corn. a Lap. in Prov., c. IX, 1-16.)

Contentons-nous de remarquer ici que cette nouvelle figure du Saint-Esprit présente le même caractère que les autres. Les deux personnes divines que le monde attendait y sont désignées ensemble. Quelles sont, en effet, ces victimes immolées par la sagesse, ce pain, ce cette table, préparés pour ses enfants? D'une voix unanime, les Pères et les commentateurs répondent que c'est le Verbe incarné. Quant aux servantes chargées d'inviter les convives, la tradition constante y voit les âmes zélées, les prédicateurs et les prêtres dont les

98 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

prières, les paroles et les exemples attirent leurs frères au banquet divin. Ces enfants mêmes qui viennent y participer représentent au naturel tous les hommes: grands enfants, toujours occupés d'enfantillages, jusqu'au moment où, éclairés par le Dieu qu'ils reçoivent à la table sainte, ils prennent des goûts sérieux et marchent dans les voies de la véritable prudence (Ibid.)

Inutile d'ajouter que toutes ces figures étaient comprises des anciens, suivant le degré de connaissance que Dieu voulait leur donner de ses adorables conseils.

CHAPITRE IX. LE SAINT-ESPRIT PRÉDIT. David annonce la grande oeuvre du Saint-Esprit, la régénération du monde. - Isaïe dit la manière dont le Saint-Esprit accomplira cette merveille. - Ézéchiel montre sous une figure saisissante le genre humain mort à la vie véritable et sa résurrection par le Saint-Esprit. - Dans les sept yeux de la pierre angulaire du Temple, Zacharie annonce l'Esprit aux sept dons et ses opérations merveilleuses dans le Verbe fait chair. - Judith célèbre la future victoire de l'Esprit du bien sur l'Esprit du mal. - Le livre de la Sagesse l'annonce comme la lumière et la force du genre humain. - Toutes les prophéties réunies forment le signalement complet du Saint-Esprit.

Dans la préparation du genre humain à la venue de la seconde et de la troisième personne de la Trinité, on trouve la même marche providentielle. Des promesses multipliées rendent certaine la venue du grand Libérateur: des figures ébauchent son portrait. Plus explicites que les premières, plus transparentes que les secondes, des prophéties donnent son signalement complet; de telle sorte que, à moins d'un aveuglement volontaire, il sera impossible à l'homme de méconnaître le Désiré des nations. Même conduite à l'égard du Saint-Esprit. Aux assurances données par les promesses, aux traits épars répandus dans les différentes figures, vont succéder les oracles plus précis des prophètes et les touches plus accentuées de leur pinceau. Telle sera la perfection de ce portrait tracé d'avance, que les aveugles mêmes y reconnaîtront le divin Esprit.

100 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Mille ans avant sa venue, David le signale à l'attention universelle, en le montrant avec son incommunicable caractère. « Seigneur, s'écrie-t-il, vous enverrez votre esprit, et tout sera régénéré. » (Ps. CV.) Comme s'il disait: Habitants de la terre, soyez attentifs; le jour viendra où le Saint-Esprit, la troisième personne de l'auguste Trinité, descendra parmi vous. Vous le reconnaîtrez aux prodiges qu'il opérera sous vos yeux. Le monde mort à la vie surnaturelle à la vie de l'intelligence, à la vie de la vertu, à la vie de la charité et de la liberté, se lèvera de la tombe de boue dans laquelle il est enseveli. Les chaînes de l'esclavage tomberont d'un pôle à l'autre ; le vice fera place à la vertu la plus pure et les vives lumières de la vérité succéderont à la longue nuit de l'erreur; des hommes nouveaux, un monde nouveau, sortiront du néant: ce prodige sera l'oeuvre du Saint-Esprit. Quand vous le verrez accompli, sachez que cet esprit régénérateur, objet de votre attente, sera venu ; c'est à ce signe que vous le reconnaîtrez.

Interrogeons maintenant l'histoire et demandons-lui quel jour a eu lieu cette miraculeuse création. Toutes les nations civilisées nomment le jour de la Pentecôte. Jour éternel qui, depuis dix-huit siècles, se lève successivement sur les différentes contrées de la terre, opérant partout le même prodige qu'à Jérusalem. Quel est l'instant où les peuples barbares sont venus, où ils viennent encore à la lumière, à la vertu, à la civilisation? - C'est l'instant où l'Esprit-Saint, donné parle baptême, plane sur eux et les vivifie : comme aux premiers jours du monde, il planait sur les eaux du chaos pour les féconder.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 101

Comment le Saint-Esprit accomplira-t-il ce merveilleux changement? Isaïe va nous l'apprendre. « Un rameau, dit le prophète, sortira de la tige de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine. Et sur cette fleur l'Esprit du Seigneur se reposera : Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et dé force, Esprit de science et de piété, et l'Esprit de la force du Seigneur le remplira... La terre sera remplie de la science du Seigneur, comme si les flots de la mer l'avaient inondée. » (Is., XI, 1-9.)

Dans cette prophétie nous trouvons encore, réunies et agissant ensemble; les deux personnes de l'auguste Trinité, qui doivent honorer le monde de leur visite. Le Fils est clairement désigné par cette fleur qui sortira du rameau, né de la racine de Jessé. Voyez la justesse du langage prophétique ! Le Messie est comparé à une fleur, à cause de son humilité, de la grâce de sa personne et du parfum de ses vertus. Marie est le rameau qui le porte ; rameau par sa douceur, par sa souplesse sous la main de Dieu, par son intégrité; car la fleur naît du rameau sans lui faire aucune lésion. Il est dit que ce rameau sort non de l'arbre et du tronc, mais de la racine. Pourquoi? Parce qu'aux jours du Messie, la famille royale de Jessé, privée de la puissance souveraine et perpétuée seulement dans des rejetons humbles et pauvres, n'était plus un arbre aux rameaux magnifiques, mais une simple racine cachée dans le sein de la terre: racine cependant pleine de sève qui produit le rameau le plus parfait, la fleur la plus belle que l'arbre lui-même ait jamais produite (Virga beata virgo Maria, flos Christus, radis familia Davidis jam ablato sceptro quasi emortua et succisa, ita ut sola ejus radix in plebe latere et vivere videatur : sed haec ipsa reflorescente profert florem Christum tanquam regem regnum. S. Hier., in hunc loc.)

102 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Après avoir dépeint sous des traits si gracieux et si parfaitement incommunicables le Messie Fils de Dieu et fils de Jessé, le prophète reprend son pinceau pour esquisser l'action du Saint-Esprit. C'est lui qui donnera toute sa beauté à la divine fleur et qui communiquera au rejetonde de David les dons nécessaires à l'accomplissement des merveilles, dont la suite de la prophétie va nous retracer l'histoire. L'Esprit du Seigneur, dit le prophète, l'Esprit aux sept dons, reposera sur lui. Pas un père de l'Église, pas un interprète de l'Écriture qui, dans cet Esprit aux sept dons, ne reconnaisse la troisième personne de la sainte Trinité. A quel autre Esprit, en effet, pourrait convenir ce caractère ? Quel autre Esprit pourrait reposer sur le Fils de Dieu? Quel autre Esprit pourrait être appelé l'auteur ou le coopérateur des merveilles accomplies par le Verbe fait chair? (S. Hier. Ibid. in Is., xi opp. t. III, p. 99.)

Il reposera sur lui, dit le prophète. Dans l'énergie de la signification originale, ce mot indique la force, la plénitude, le lieu naturel du repos de l'auguste personne. Cela veut dire que le Saint-Esprit demeure inébranlablement dans Notre-Seigneur; qu'il le remplit de la plénitude de ses dons, et qu'il est en lui, comme dans son inviolable sanctuaire, à raison de l'union hypostatique de la nature divine avec la nature humaine.

Au spectacle qu'il vient de décrire, Isaïe, ravi d'admiration, chante les merveilles du monde soumis à l'action combinée de la seconde et de la troisième per

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 103

sonne de l'adorable Trinité. Le règne de la justice succédant au règne du caprice, de la force et de la cruauté; la défaite du démon et des tyrans ses aveugles soutiens ; le tombeau du grand Libérateur brillant d'une gloire immortelle; le lion et l'agneau, tout ce qu'il y a de plus féroce et tout ce qu'il y a de plus doux, vivant paisiblement ensemble : image dont la gracieuse énergie désigne l'union fraternelle, au sein de l'Évangile, des Juifs et des gentils, des Grecs et des barbares, des plus fiers potentats et des plus faibles enfants. Telles sont les merveilles qui se montrent aux yeux du prophète.

Ici. encore, interrogeons l'histoire et demandons-lui quel jour s'est accompli ce merveilleux changement? Quel jour a été brisé le sceptre de fer, appesanti depuis plus de deux mille ans sur la tête du monde païen? Quel jour a commencé la destruction du règne de l'idolâtrie? Quel jour les Juifs et les gentils se sont-ils, pour la première fois, embrassés comme des frères? Quel jour ont commencé, pour ne jamais finir, la vénération du Calvaire et le culte solennel de son glorieux tombeau? D'une voix unanime toute la terre nomme le jour à jamais mémorable de la Pentecôte. Si vous demandez au Messie lui-même, auteur de tant de merveilles, à qui nous devons en témoigner notre reconnaissance, il nous répond humblement : « Le Saint-Esprit a été sur moi, et c'est pourquoi j'ai été envoyé, et j'ai opéré les prodiges dont vous êtes témoins. » ( Luc., IV, 18-21.)

Écoutons un autre prophète. Ezéchiel décrit, avec la même précision qu'Isaïe, la troisième personne de la

104 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

sainte Trinité, sa venue, ses caractères, ses opérations admirables. Ici encore, le Verbe et le Saint-Esprit se donnent la main pour travailler à la régénération du monde. « Je sanctifierai mon nom qui est grand, dit le Seigneur par la bouche du prophète, mon nom qui est souillé parmi les nations, afin qu'elles sachent que je suis le Seigneur... Et je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez lavés de toutes vos souillures, et je vous purifierai de toutes vos idoles. Et je vous donnerai un coeur nouveau, et je placerai au milieu de vous un esprit nouveau. Et j'ôterai de votre poitrine votre cœur de pierre, et je vous donnerai un coeur de chair. Et je placerai mon Esprit au milieu de vous, et je vous ferai marcher dans la voie de mes commandements. Et vous garderez ma loi sainte; et vous serez mon peuple, et je serai votre Dieu. » (Ezech., xxxiv, 23-28.)

La première chose qui frappe les regards du prophète, c'est le grand nom de Dieu indignement profané parmi toutes les nations. Voilà bien le règne de l'idolâtrie, tel que l'histoire nous le fait connaître à la venue du Rédempteur ; règne de superstitions honteuses et cruelles, où le nom de Dieu, donné aux crocodiles, aux serpents, aux chats, aux légumes, aux pierres brutes, recevait les plus sanglants outrages. Puis, le même prophète voit tout à coup tomber du ciel une onde pure, qui lave la terre et ses habitants de toutes leurs iniquités, et le grand nom de Dieu redevenir l'objet du respect et de l'amour universel. Voilà bien les sacrements, surtout le baptême, où le Juif et le païen ont perdu leurs souillures et trouvé la blancheur de l'innocence.

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 105

Après cette purification universelle, Ézéchiel voit descendre l'Esprit du Seigneur. Il anime ces hommes nouveaux et les fait marcher d'un pas ferme dans les sentiers de la vertu, en sorte que le vrai Dieu sera désormais pour eux le Dieu unique, et eux-mêmes, eux les adorateurs des idoles, seront son peuple chéri. Pouvait-on mieux décrire le miracle de la Pentecôte? N'est-il pas manifeste que c'est à partir de ce grand jour, que le genre humain a perdu son coeur de pierre, qu'il a pris un coeur nouveau et que le grand aveugle, dont la marche, pendant plus de deux mille ans, avait été un égarement continuel, est entré dans la route lumineuse de la vérité et de la civilisation? (S. Aug., De doct. Christ., lib. III, c. xxxiv, n. 28; et Patres, passim apud Corn. a Lapid., in Ezech., xxxvi, 25.)

Ailleurs, le Très-IIaut révèle à Ézéchiel, sous la figure la plus frappante, l'action régénératrice du Saint-Esprit. Pour lui montrer que cet Esprit de vie, annoncé par David comme devant tirer le monde du tombeau de l'erreur et du vice, accomplira dans toute son étendue sa miraculeuse mission, voici ce que fait le Seigneur.

« Sa main fut sur moi, dit le prophète, et il me conduisit en esprit au milieu d'une campagne pleine d'ossements, et il m'en fit faire le tour. Et il y avait une multitude d'ossements, et tous étaient complètement desséchés. Et il me dit : Fils de l'homme, penses-tu que ces ossements revivent? Et je dis : Seigneur Dieu, vous le savez. Et il me dit : Prophétise sur ces ossements et dis-leur : Ossements arides, entendez la parole du Seigneur; voici ce que le Seigneur dit de vous : J'introduirai mon Esprit en vous, et vous vivrez, et je mettrai sur vous des nerfs, et je ferai recroître sur vous les

106 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

chairs, et j'étendrai sur vous la peau, et je vous donnerai l'esprit; et vous vivrez, et vous saurez que je suis le Seigneur.

« Et je prophétisai, comme il me l'avait commandé. Or, pendant que je prophétisais, un bruit se fit entendre, et voilà une commotion. Et les os s'approchèrent des os, chacun à sa jointure, et je vis, et voilà montant sur eux des nerfs et des chairs; et la peau s'étendit sur eux, et ils n'avaient pas l'esprit. Et il me dit : Prophétise à l'Esprit, Fils de l'homme, et dis-lui : Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Des quatre vents, viens, Esprit, souffle sur ces morts, et qu'ils revivent.

« Et je prophétisai comme il me l'avait commandé. Et l'Esprit entra en eux et ils eurent la vie, et ils se tinrent debout sur leurs pieds, comme une immense armée. Et il me dit: Fils de l'homme, tous ces ossements sont la maison d'Israël. Ils disent : Nos os sont desséchés. Nous n'avons plus d'espérance; pour toujours nous sommes retranchés du nombre des vivants. C'est pourquoi prophétise, et dis-leur : Voici ce que dit le Seigneur Dieu : J'ouvrirai vos tombeaux, et je vous retirerai de vos sépulcres, mon peuple, et vous conduirai dans la terre d'Israël. Et vous saurez que je suis le Seigneur, lorsque j'aurai mis mon Esprit en vous, et que vous vivrez et que vous reposerez tranquillement sur la terre de vos Pères. » (Ezech., XXXVIII, 1-14.)

Énergie, précision, transparence, que manque-t-il à cette prophétie de la résurrection morale de l'humanité, par le souffle du Saint-Esprit? Lorsque, parla voix des apôtres sortant du cénacle, la troisième personne

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 107

de l'auguste Trinité souffla sur le monde, la terre entière n'était-elle pas un champ couvert d'ossements? Quel peuple alors vivait de la vraie vie? Ces ossements n'étaient-ils pas desséchés par le temps, calcinés par le souffle brûlant de l'Esprit homicide, esprit d'orgueil et de volupté? Que l'autre Esprit a répandu le mouvement et la vie dans ce vaste charnier du genre humain? Poser de semblables questions, c'est les résoudre.

Passons à une nouvelle prophétie. Ici encore apparaissent réunies les deux adorables personnes de la Trinité dont la venue sauvera l'univers. C'est Zacharie qui parle. Sous la figure du rétablissement d'Israël dans la patrie de ses aïeux et de la construction du second temple, il annonce la grande réalité du rétablissement universel de toutes choses et l'édification de l'Église, temple immortel du vrai Dieu. Le grand Orient se lève sur le monde ; il se construit lui-même un temple, dont il est tout ensemble le pontife et la pierre angulaire. Sept yeux brillent sur cette pierre magnifiquement ciselée. Aux feux qui en sortent, l'iniquité disparaît de la terre et la paix règne partout.

« Jésus, grand-prêtre, dit le prophète, écoute, toi et tes amis, hommes à miracles qui habitent avec toi. Voici que je vais faire paraître l'Orient mon serviteur, et voici la pierre que j'ai montrée à Jésus. Sur cette pierre unique il y aura sept yeux, je la sculpterai moi-même, dit le Seigneur des armées; et j'ôterai l'iniquité de la terre en un seul jour. En ce jour-là, l'homme appellera son ami sous sa vigne et sous son figuier. » (Zach. III, 8-10.)

108 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Toute la tradition a vu le Messie clairement désigné dans cet oracle remarquable. Comme Dieu, il est bien le véritable Orient, le seul principe de toute lumière. Comme homme, inférieur à son Père, il est bien le serviteur véritable du Dieu des armées. Évidemment lui, et lui seul, est aussi la pierre fondamentale de l'Église, figurée par le temple dont la construction occupait alors Jésus, fils de Josédech. Or, comme l'Église est un temple vivant, la pierre qui lui sert de base doit être vivante. Comme elle est l'oeuvre de Dieu, le fondement doit être Dieu lui-même : les yeux dont cette pierre est ornée l'indiquent sous une éloquente figure. Pour montrer qu'il est de l'essence de la Divinité d'être partout et de tout voir, l'usage constant chez les différents peuples est de représenter Dieu sous la figure d'un oeil ouvert. En Égypte, un œil surmonté d'un sceptre était l'emblème d'Osiris. Dans la Grèce, la statue de Jupiter avait trois yeux, pour montrer sa triple providence sur le ciel, sur la terre et sur la mer (Macrob., lib. I, c. xxxi; Plularch., De Oside et Osiride ; Pausan., in Corinth. ; Pierius, hierogl. XXXIII, 15.) Dans l'art chrétien, l'œil est encore l'emblème de la Divinité.

Ainsi, l'œil donné à la pierre mystérieuse dont parle Zacharie dénote, sans contestation possible, que cette pierre est l'emblème de Notre Seigneur, le fondement de l'Église. Mais pourquoi Dieu la montre-t-il au prophète avec sept yeux, et non avec deux ou avec un seul? Pourquoi le nombre sept et non pas un autre? Rappelons d'abord que cette figure étant l'oeuvre de la sagesse infinie, il ne peut rien s'y trouver d'arbitraire; plus elle paraît étrange, plus nous devons y soupçonner un sens profond et un grand enseignement. Afin de le connaître,

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 109

écoutons ceux que Dieu lui-même a chargés d'expliquer ses oracles, en leur confiant le secret de ses pensées.

« Sur cette pierre unique, dit saint Grégoire le Grand, il y a sept yeux. Or, cette pierre est Notre Seigneur. Dire que cette pierre a sept yeux, c'est dire que sur le Verbe incarné repose l'Esprit aux sept dons. Parmi nous, celui-ci possède le don de prophétie, celui-là le don de science; un autre, le don des miracles; un cinquième, le don des langues; un sixième, le don d'interprétation, suivant la distribution que le Saint-Esprit, juge à propos de faire de ses dons; mais nul homme ne les possède tous en même temps et dans leur plénitude. Quant au divin Rédempteur, il a montré qu'en revêtant notre nature infirme il possédait, comme Dieu, tous les dons du Saint-Esprit. C'est pourquoi il réunit en sa personne tous les yeux brillants dont parle le prophète. » (Moral., lib. XXIX, 16. Ita S. Hier., S. Remig., Rupert, Emmanuel, et alii.) –Telle est aussi l'interprétation des autres Pères et des plus célèbres commentateurs.

Reste à donner le sens des dernières paroles de la prophétie : Je sculpterai moi-même cette pierre et j'ôterai l'iniquité de la terre, et chacun reposera à l'ombre de sa vigne et de son figuier. Quel sera l'auteur des magnifiques ciselures dont sera ornée la pierre vivante, base éternelle de l'Église? Celui-là même qui parle par l'organe du prophète, le Saint-Esprit en personne. C'est lui qui, dans l'incarnation, sculptera avec une perfection inimitable le corps et l'aine du Rédempteur. C'est lui

110 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

qui, avec un art non moins merveilleux, les unira personnellement au Verbe éternel. C'est lui qui ornera son âme de tant de sagesse, de vertu, de grâce et de gloire, qu'il en fera comme un ciel divin, rayonnant de tout l'éclat du soleil, de la lune et des étoiles. C'est lui, Esprit d'amour, qui formera sur le corps adorable de l'auguste victime, avec la pointe acérée des épines, des clous et de la lance, les adorables ciselures, qui firent pendant la passion l'admiration des anges et qui feront pendant toute l'éternité l'amour des bienheureux.

Quel sera l'effet de ces ciselures sanglantes? L'abolition de l'iniquité. Le sang du Rédempteur, coulant à grands flots par les incisions du divin tatouage dont le Saint-Esprit ornera sa chair immaculée, purifiera la terre de ses crimes. Dieu apaisé rendra ses bonnes grâces au genre humain, et la paix de l'homme avec Dieu deviendra le principe de la paix de l'homme avec ses semblables. Est-il possible de peindre sous des couleurs plus vives, l'action simultanée du Fils et du Saint-Esprit dans la régénération du genre humain? Les faits accomplis depuis la Pentecôte chrétienne laissent-ils le moindre doute sur l'influence du Saint-Esprit dans le monde, la moindre obscurité sur ses opérations dans le Verbe fait chair, la moindre ambiguïté sur les paroles du prophète? (S. Iren., De haeres., lib. III, 28.)

Il serait facile de continuer ce tableau, commencé à l'origine des temps et qui va se développant avec les siècles. Nous verrions le Verbe par qui tout a été fait et le Saint-Esprit par qui tout doit être refait, constam

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 111

ment unis dans les prédictions des prophètes. Nous entendrions la mystérieuse Judith, célébrant sa mystérieuse victoire, et dans son mystérieux cantique, annonçant un triomphe plus glorieux sur un Holopherne plus redoutable, que celui dont elle vient de couper la tête; nommant le futur vainqueur du grand Holopherne, et s'écriant : « Adonaï, Seigneur, vous êtes grand. Votre puissance est incomparable, nul ne peut y résister. Toute créature tombera à vos genoux : vous enverrez votre Esprit, et tout sera créé : voix de l'Éternel, tout fléchira à ses accents. Les montagnes jusque dans leurs ondements, les eaux jusque dans leurs profondeurs seront agitées. Les rochers, comme la cire, fondront devant votre visage. Grands de la vraie grandeur seront ceux qui vous craignent. » (Judith. XVI, 19 et seqq..)

Quand le genre humain, depuis longtemps prosterné aux pieds de Satan, a-t-il commencé de tomber à genoux devant le vrai Dieu? Quel Esprit a ébranlé les empires païens, réduit en poussière les murs et les temples du Capitole, placé la croix victorieuse au front des Césars? À quelle époque remonte la génération des vrais grands hommes, apôtres, martyrs, saints sur le trône ou dans la solitude, nobles vainqueurs d'eux-mêmes et du monde? Toutes les voix répondent en bénissant le Saint-Esprit et le Cénacle.

Le prophète, qui chante les merveilles de la Sagesse incréée, ne manque pas de lui adjoindre le Saint-Esprit. Dans son extase, l'homme inspiré voit toute la terre couverte de ténèbres. Les hommes incertains tâtonnent en plein midi, prenant le faux pour le vrai, le mal pour

112 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

le bien, ignorant Dieu et s'ignorant eux-mêmes. À ce spectacle, il s'écrie : « Seigneur, qui connaîtra votre pensée, si vous ne donnez votre sagesse, et si vous n'envoyez votre Esprit des hauteurs? C'est ainsi que seront redressées les voies des habitants de la terre, et que les hommes apprendront ce qui vous est agréable. » (Sapient., IX, 17.)

Esprit de lumière, qui dissipera la nuit du monde moral, longue nuit de deux mille ans, nuit profonde que rendaient palpables, plutôt qu'elle n'en dissipaient l'obscurité, les vacillantes lueurs de la raison ; Esprit de force, qui, remplissant l'homme d'un courage inconnu, le retirera de la route du vice et le fera marcher d'un pas ferme dans les difficiles sentiers de la vertu : tel est le double caractère sous lequel, est annoncé l'Esprit nécessaire au salut du monde. Est-il besoin de dire que ces deux caractères conviennent au Saint-Esprit, et ne conviennent qu'à lui? Ne sont-ils pas écrits au front de toutes les oeuvres régénératrices, qui, commencées à la Pentecôte, continuent sous nos yeux pour ne finir qu'au seuil de l'éternité?

En résumé, le Fils et le Saint-Esprit sont toujours associés dans les prédictions des prophètes. L'un n'étant pas moins nécessaire que l'autre à la régénération du monde, Dieu a voulu qu'ils fussent également annoncés. Ces deux grandes figures dominent toute l'histoire, illuminent tous les événements, provoquent tous les soupirs, soutiennent toutes les espérances de l'ancien monde, comme ils doivent exciter l'éternelle reconnaissance du nouveau.

De même qu'en étudiant toutes les circonstances de

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 113

la naissance, de la vie et de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ, son caractère, sa doctrine, ses miracles, il est impossible de ne pas reconnaître en lui le Messie annoncé par les prophètes ; de même, en considérant les oeuvres merveilleuses et les opérations intimes de l'Esprit du Cénacle, il est impossible de ne pas adorer en lui la troisième personne de l'auguste Trinité, dont les oracles prophétiques avaient donné le signalement. Le parallélisme constant dont nous venons d'esquisser les principaux traits va se continuer dans la préparation du Saint-Esprit.

CHAPITRE X. LE SAINT-ESPRIT PRÉPARÉ. Tous les événements de l'ancien monde préparent le Saint-Esprit. - Préparation particulière. - Préludes par lesquels le Saint-Esprit s'annonce lui-même. - Son action sur le monde matériel. - Sur le monde angélique. - Sur le monde moral. - Nombre sept. - Il crée les patriarches et les grands hommes de l'ancienne loi. - Il crée le peuple juif, le dirige et le conserve. - Il inspire les prophètes. - Pourquoi lui et non pas le Fils ou le Père.

Dieu ne se contentait pas de promettre le Désiré des nations, ni de le dépeindre dans une grande variété de figures éloquentes, ni même de donner son signalement exact par cette longue suite de prophéties, qui tinrent les regards du monde ancien constamment tournés vers l'Orient. Son admirable providence coordonnait tous les faits sociaux à l'établissement du règne immortel de son Fils. Telle est l'évidence de cette préparation évangélique, que la vraie philosophie résume toute l'histoire antérieure au Messie, par ces deux mots : Tout pour l'enfant de Bethléem.

Or, ce qui eut lieu pour la seconde personne de l'adorable Trinité s'accomplit avec le même éclat pour la troisième : il n'en pouvait être autrement. Quoique différente dans ses moyens, l'œuvre de la régénération du monde est commune aux deux personnes envoyées : tout ce qui prépare le Fils prépare le Saint-Esprit.

TRAITE DU SAINT-ESPRIT. 115

S'il fallait que le peuple hébreu fût choisi entre tous les peuples pour conserver le dépôt de la vraie religion; s'il fallait qu'autour de lui et contre lui s'élevassent les quatre grandes monarchies des Assyriens, des Perses, des Grecs et des Romains; s'il fallait que ces monarchies renfermassent dans leur vaste sein l'Orient et l'Occident et fussent à leur tour absorbées par l'empire romain; s'il fallait que cet empire mît, sans le savoir, la dernière main à l'accomplissement des prophéties messianiques, tout en élevant au plus haut degré de puissance la Cité du mal; s'il fallait toutes ces choses pour l'accomplissement des conseils divins sur le Verbe incarné : avec la même assurance on doit affirmer que toutes étaient nécessaires, et au même titre, pour l'accomplissement des desseins providentiels à l'égard du Saint-Esprit. Sa mission suppose celle du Verbe dont elle est le couronnement. L'Esprit sanctificateur ne devait venir qu'après l'incarnation du Verbe, après sa prédication, sa passion, sa résurrection, son retour dans le ciel : événements immenses pour lesquels Dieu remuait le ciel et la terre, depuis quatre mille ans. L'Esprit, dit saint Jean, n'avait pas été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié (Joan., VII, 39.). « La gloire de Jésus, ajoute saint Chrysostome, c'était la croix. Nous étions pécheurs, ennemis de Dieu et privés de sa grâce. La grâce est le gage de la réconciliation; or, le don ne se fait pas aux ennemis, mais aux amis. Ainsi, il fallait d'abord que le Verbe offrît pour nous son sacrifice, et qu'en immolant sa chair, il détruisît l'inimitié, afin de nous rendre amis de Dieu et capables de recevoir le don divin, le

116 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Saint-Esprit. » (In Joan. Homil., IV, n. 2, opp. T. VIII, p. 346.) Il en résulte clairement que toute la préparation du Désiré des nations se rapporte au Sanctificateur des nations; que c'est pour lui, comme pour le Fils, que s'accomplissent tous les événements du monde ancien.

Outre cette préparation générale, il en est une qui est spéciale au Saint-Esprit. Elle consiste dans les actes particuliers, au moyen desquels la troisième personne de l'auguste Trinité prélude, depuis l'origine du monde, à l'acte souverain du jour de la Pentecôte. Le magnifique ouvrier qui doit régénérer le monde, l'illuminer, le conduire et le sanctifier, annonce, dans des essais longtemps renouvelés, le chef-d'oeuvre qu'il médite. C'est ainsi qu'il prépare les intelligences et les volontés à l'aimer, et à l'adorer, d'un amour et d'une adoration semblables à ceux dont il honore le Père et le Fils.

Rien de plus intéressant que cette préparation que fait de lui-même le Saint-Esprit. A raison des opérations merveilleuses qui la composent, elle est éminemment propre à le tirer de l'oubli dans lequel nous le laissons. Grâce à elle, nous le voyons, non point inactif au sein de l'éternité; mais agissant perpétuellement sur le monde, et préludant, par des oeuvres particulières, plus ou moins éclatantes, à des créations plus générales et plus magnifiques.

Pour comprendre cette préparation, il faut se rappeler que la grande oeuvre du Saint-Esprit était la régénération de l'univers par l'Église. Il faut se rappeler

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 117

encore que, dans l'ordre de la grâce, pas plus que dans l'ordre de la nature, Dieu n'agit brusquement et par sauts. Toutes ses œuvres, au contraire, se font avec douceur et se développent par des progrès insensibles. « Or l'Église, dit saint Thomas, tient le milieu entre la synagogue et le ciel. Beaucoup plus parfaite que la société mosaïque, la société chrétienne l'est beaucoup moins que l'éternelle société des élus. Dans la synagogue, des voiles sans vérité; sous l'Évangile, la vérité avec des voiles; dans le ciel, la vérité sans voiles. » (I, II, q. 61, art. 4, ad 1.)

Ainsi, l'ancien monde est la préparation du nouveau. Par l'ancien monde, il faut entendre ses hommes, ses lois, ses événements, son culte, ses prophètes. Tous sont au monde nouveau, comme l'esquisse est au portrait, ou comme l'enfant est à l'homme fait. Le peintre divin qui devait réaliser le portrait travaille pendant quatre mille ans à en former l'esquisse : entrons dans son atelier et voyons-le à l'œuvre.

Le cadre du portrait, c'est le monde matériel. Qui façonne ce cadre magnifique? Qui le fait resplendir de beautés éclatantes? C'est le Saint-Esprit. En sortant des mains du Père et du Fils, la terre n'était qu'une masse informe, pénétrée d'eau et couverte de ténèbres. Sous l'action merveilleuse du Saint-Esprit, les éléments confondus se dégagent, les ténèbres se dissipent, et du sein du chaos sortent, comme par enchantement, des millions de créatures plus gracieuses les unes que les autres (S. Aug., D. divers. Quaest. Lib II, n.5.).

118 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Au principe éternel de leurs beautés, elles doivent le mouvement et la vie. « Le Saint-Esprit, dit un Père, est l'âme de tout ce qui vit. Avec tant de libéralité il donne de sa plénitude, que toutes les créatures raisonnables et non raisonnables lui doivent, chacune dans son espèce, et leur être propre et le pouvoir de faire, dans leur sphère particulière, ce qui convient à leur nature. Sans doute, il n'est pas l'âme substantielle de chacune et demeurant en elle; mais, distributeur magnifique de ses dons, il les répand et les divise suivant le besoin de chaque créature. Semblable au soleil, il réchauffe tout, et sans aucune diminution de lui-même, il prête, il distribue à chaque être ce qui est nécessaire et ce qui suffit. » (S. Cypr. Sive quivis alius, Serm. In die Pentecost.)

Saint Basile ajoute : « Vous ne trouverez dans les créatures aucun don, de quelque nature qu'il soit, qui ne vienne du Saint-Esprit. » (Neque enim est ullum omnino donum absque Spiritu sancto ad creaturam perveniens. Lib. de Spir. Sanct., xxiv, n. 55.)

La plus belle partie de la création matérielle, le firmament, lui doit ses magnificences. Quand l'œil contemple l'innombrable armée des cieux, l'éclat éblouissant de ses bataillons, l'ordre de leur marche, la vitesse incompréhensible et la précision de leurs mouvements : que le cœur n'oublie pas d'adresser l'hymne de la reconnaissance à la troisième personne de l'adorable Trinité. Toutes ces beautés, toutes ces grandeurs lui crient: Ipse fecit nos, c'est lui qui nous a faites (Verbo Domini coeli firmati sunt, et Spiritu oris ejus omnis virtus eorum. Ps. XXXII, 6. - Spiritus ejus ornavit coelos. Job, XXXVI, 13.)

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 119

Non moins grande est la reconnaissance du monde angélique. Les splendeurs ineffables dont brillent les célestes hiérarchies, astres vivants de l'empyrée, elles les doivent au Saint-Esprit. « Si par la pensée, dit Saint Basile, vous ôtez le Saint-Esprit, tout est chaos dans le ciel. Plus de choeurs angéliques, plus de hiérarchies, plus de loi, plus d'ordre, plus d'harmonie. Comment les anges chanteront-ils : Gloire à Dieu dans les hauteurs, s'ils n'en reçoivent le pouvoir du Saint-Esprit? Une créature quelconque peut-elle dire : Seigneur Jésus, si ce n'est par le Saint-Esprit? Et quand elle parle par le Saint-Esprit, nulle ne dit anathème à Jésus. Que les anges rebelles aient prononcé cet anathème, leur chute prouve que, pour persévérer dans le bien, les intelligences célestes avaient besoin du Saint-Esprit.

« A mon sens, Gabriel n'a pu annoncer l'avenir que par la prescience du Saint-Esprit. La preuve en est que la prophétie est un des dons de l'Esprit divin. Quant aux Trônes et aux Dominations, aux Principautés et aux Puissances, comment jouiraient-ils de la béatitude, s'ils ne voyaient toujours la face du Père qui est dans les cieux? Or, la vision béatifique n'est pas sans le Saint-Esprit. Si pendant la nuit vous ôtez les flambeaux d'une maison, tous les yeux sont frappés de cécité : organes et facultés, tout devient inerte. On ne distingue plus ni la beauté ni le prix des objets; par ignorance l'or est foulé aux pieds comme le fer. De même, dans l'ordre spirituel, il est aussi impossible que la vie bienheureuse du monde angélique subsiste sans le Saint-Esprit, qu'il est impossible à une armée de demeurer en ordre sans un général qui la maintienne, à un chœur de conserver l'harmonie sans un chef qui règle les accords.

120 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

« Et les Séraphins, comment pourraient-ils dire Saint, saint, saint, si l'Esprit ne leur apprenait quand il faut chanter l'hymne de gloire? Soit donc que les anges louent Dieu et ses merveilles, ils le font par le secours du Saint-Esprit; soit que, debout devant lui, des milliers et des millions d'entre eux exécutent ses ordres, ils ne remplissent dignement leurs fonctions que par la vertu du Saint-Esprit. En un mot, ni la sublime et ineffable harmonie des anges dans le culte de Dieu, ni l'accord merveilleux qui règne entre ces célestes intelligences, n'existeraient sans le Saint-Esprit. » (S. Basil., lib. De Spir. Sanct., c., XVI, opp., t. III, p. 44-45. – S. Greg. Nazianz., homil. In Pentecost.)

Est-ce prouver assez clairement l'action du Saint-Esprit sur les anges? Grâce, persévérance dans le bien, connaissance de l'avenir, béatitude, harmonie, beauté, le monde angélique doit tout à la troisième personne de l'auguste Trinité.

Pénétrons plus avant. Afin d'apprendre à toutes les générations qu'il est l'auteur de toutes les beautés du ciel et de la terre, l'Esprit aux sept dons s'écrit dans ses ouvrages : il fait tout par le nombre sept. Comme témoins de son action et prédicateurs de sa future venue, sept planètes principales resplendissent au firmament. Dans le monde inférieur, le temps se divise en sept jours. D'Adam à Noé, sept grands patriarches jalonnent la route des siècles (II Petr., n, 5.) Sept fois sept jours, augmentés de l'unité mystérieuse qui soude le temps

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 121

à l'éternité, forment l'espace entre l'immolation de l'Agneau pascal et la promulgation de la loi (S. Cypr., Serm. De Spirit. Sanct.).

Aux semaines de jours succèdent les semaines d'années terminées par l'année jubilaire, année de rémission, de libération, de restauration et de repos: nouvelle figure du jubilé éternel, merveilleuse création du Saint-Esprit. Sept jours de prières consacrent les prêtres; sept jours de purification rendent le lépreux à la vie civile. Sept trompettes, sonnées par sept prêtres, font tomber les murs de Jéricho. A Pâques, pendant sept jours on se nourrit de pains azymes. Au septième mois se célèbre la fête des Tabernacles, qui dure sept jours. Sept ans sont employés à la construction du temple de Salomon et sept jours à sa dédicace. Sept branches et sept lumières ornent le chandelier du sanctuaire. Sept multiplié par dix donne le nombre des prêtres, associés au ministère de Moïse, et des années où le peuple sera captif à Babylone.

Ces répétitions si fréquentes du nombre sept dans l'Ancien Testament ne sont point arbitraires. OEuvres de la sagesse infinie, elles figuraient, nous le montrerons plus loin, les merveilles septénaires que devait réaliser, dans le Nouveau, le divin Auteur des unes et des autres (S. Cypr. Vel quivis alius, Serm. De Spirit. Sanct.) En se gravant, par le nombre sept, au front

122 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

de toutes les créatures et de tous les événements figuratifs, le Saint-Esprit y gravait avec lui les deux autres personnes de l'adorable Trinité, et préparait ainsi le genre humain à les contempler dans l'éclat de leur manifestation.

« Le nombre sept, dit saint Cyprien, se compose de quatre et de trois. Respectable à cause de ses significations mystérieuses, il l'est infiniment plus à raison des parties dont il est composé. Par trois et par quatre sont exprimés les éléments primitifs de toutes choses, l'ouvrier et l'ouvrage, le créateur et la créature. Trois marque la Trinité créatrice, quatre l'universalité des êtres compris, en substance, dans les quatre éléments. Dans la personne du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, on voit, aux premiers jours du monde, trois reposer sur quatre : la Trinité sur les quatre éléments, confondus dans la masse informe du chaos ; puis, dans sa bonté, le Créateur embrasse sa créature; beau, il la rend belle; saint, il la sanctifie et se l'unit par les liens d'un amour indissoluble. »

Il crée les patriarches. Après avoir créé et embelli les cieux et la terre, séjour de son immortelle Cité; après avoir également créé et doué de beautés incomparables les princes chargés de la régir, le Saint-Esprit crée, embellit, élève, protège les citoyens qui doivent l'habiter. Patriarches, événements, institutions, prophètes, grands hommes mosaïques, sont autant d'essais par lesquels le Roi de la Cité du bien prélude à des opérations plus complètes sur le peuple catholique. Les fils d'Adam pécheur, et pécheurs eux-mêmes, sont la

TRAITÉ 'DU SAINT-ESPRIT. 123

matière qu'il manipule. Comme le feu saisit l'or et le purifie, il les prend, les ennoblit, et, les remplissant de quelques-uns de ses dons, il les façonne en patriarches.

Au milieu des hommes ordinaires ce qu'est le géant, par la hauteur de la taille et par la force musculaire, le patriarche l'est par ses vertus, au milieu' des hommes de l'ancien monde. Qu'on trouve chez les Égyptiens, chez les Assyriens, chez les Perses, chez les Grecs, chez les Romains, des hommes comparables à Hénoch pour la fidélité au vrai Dieu; à Noé pour la justice ; à Abraham pour la foi; à Joseph pour la chasteté et le pardon des injures; à Moïse pour la douceur et la persévérance; à Josué pour le courage; à Job pour la patience ; à David pour les qualités royales ; à Salomon pour la science et la sagesse; à Judas Machabées pour les vertus guerrières : à tous ces justes, au regard serein, aux vertus fortes et modestes, à la simplicité des mœurs, à la bonté, à la haute raison, et dont l'image se peint dans l'imagination, comme ces tableaux à grandes perspectives, qui étendent leurs proportions à mesure que le regard s'en éloigne. Quel est l'auteur de ces miracles vivants, les plus beaux sans contredit, que l'ancien monde ait contemplés? L'Esprit aux sept dons.

Il crée le peuple juif, le dirige et le conserve. Des patriarches, le Saint-Esprit fait sortir un peuple exceptionnel comme ses pères, et figure de tous les peuples. En vain, l'ingrate et soupçonneuse Égypte veut le retenir dans les fers. L'Esprit tout-puissant le tire

124 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

de sa mystérieuse servitude. Tel est l'éclat des miracles dont il frappe cette terre endurcie, que les magiciens de Pharaon se confessent vaincus et sont contraints d'y reconnaître non le Père ou le Fils, mais le Saint-Esprit lui-même.

Les chaînes de l'esclavage sont tombées; Israël est en marche pour retourner dans sa patrie, mais la mer lui oppose ses abîmes. A la voix du Saint-Esprit, le redoutable élément s'émeut. Comme deux montagnes à pic, ses eaux suspendues ouvrent un passage : six cent mille combattants descendent dans ces profondeurs inconnues et les traversent à pied sec.

De l'autre côté, à l'entrée du désert, les attend le Saint-Esprit. C'est lui qui sera dans l'immense solitude leur précepteur et leur guide : magnifique prélude de la direction future du peuple catholique à travers le désert de la vie (II Esd., IX, 19, 20.).

Autre prélude non moins éloquent. C'est lui qui, au sommet du Sinaï, gravera la loi mosaïque sur des tables de pierre, comme il gravera la loi évangélique dans le coeur des chrétiens; constituant ainsi, à l'état social, et le peuple ancien et le peuple nouveau (S. August., Enarrat., in ps. VIII, n. 7.)

Voyageur avec Israël, Jéhova veut un sanctuaire, où

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 125

il rendra ses oracles et recevra les adorations des fils de Jacob. Qui sera chargé de fabriquer au Dieu du ciel une habitation sur la terre? Un ouvrier du Saint-Esprit. «Le Seigneur dit à Moïse: J'ai appelé Béséléel, fils d'Uri, je l'ai rempli de l'Esprit de Dieu, de sagesse, d'intelligence et de science en toute sorte d'ouvrages; c'est lui qui fera mon tabernacle. » (Exod., XXX, 1 et seqq.) Dans ce chef-d'œuvre de tous les arts réunis, pas une partie qui ne soit une figure, un essai de l'Église catholique, tabernacle immortel que le Saint-Esprit devait construire à l'auguste Trinité.

Faut-il un chef habile et courageux qui introduise la nation sainte dans la terre promise? Le Saint-Esprit forme Josué, fils de Nun (Num., XXVII, 18.). Des magistrats souverains, qui d'une main dictent des jugements pleins d'équité, et de l'autre repoussent de leur épée victorieuse les rois de Syrie, les Madianites, les fils d'Ammon, les Philistins et les autres ennemis d'Israël? Le Saint-Esprit suscite tour à tour Othoniel, Gédéon, Jephté, Samson, Samuel, et cette longue suite de sages et de guerriers, auxquels les autres peuples n'ont rien à comparer.

Le peuple figuratif a-t-il, aux différentes époques de son existence, besoin d'un prodige de force, de sagesse, de science, de piété? L'Esprit aux sept dons le fait paraître aussitôt : sous sa main aucun élément n'est rebelle. « Il prend un bouvier, dit un Père, et il en fait un joueur de harpe qui enchante les mauvais Esprits. Il voit un berger de chèvres, piquant les sycomores, et il en fait un prophète. Souvenez-vous de David et d'Amos. Il

126 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

discerne un beau jeune homme, et il le constitue juge des anciens : témoin Daniel (S. greg. Naz., Orat. In pentecost.)

« Ennemi des avares et des faussaires, il frappe Giézi d'une incurable lèpre. Il impose silence à Balaam, payé pour maudire, le fait reprendre par son ânesse, lui fait casser la jambe et le renvoie dans son pays couvert de confusion, les mains vides et boiteux. C'est lui qui maintient le bel ordre qu'on admire chez la nation sainte, qui crée les rois et les princes, qui sacre les pontifes, et qui choisit les prêtres. »

Comme il est l'âme de l'Église, le Saint-Esprit était l'âme de la Synagogue. Dans les siècles de préparation, on le voit sans cesse préluder, par une grande variété de figures, aux réalités qu'il devait opérer dans les siècles d'accomplissement : Haec omnia operatur unus atque idem Spiritus.

Mais, nulle part, l'action du Saint-Esprit sur l'ancien monde ne se manifeste avec plus d'éclat et de persévérance, que dans l'inspiration des prophètes. Ces hommes divins qui, pendant vingt siècles, se succèdent sans interruption, sont chargés tout à la fois de reprendre Israël de ses prévarications, et d'annoncer au genre humain les futures merveilles de la miséricorde infinie. Qui leur donne la force de parler hardiment aux rois et aux peuples? Qui met sur leurs lèvres les réprimandes, les menaces, les promesses? Qui ouvre à leurs yeux les horizons de

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 127

l'avenir et leur montre, dans le lointain des âges, les événements immenses tour à tour consolants et terribles, dont les faits mosaïques ne sont que les préludes rudimentaires? Par la bouche de David, tous les prophètes répondent: « C'est l'Esprit du Seigneur qui a parlé par moi; c'est sa parole qui est sortie de mes lèvres. » (II Reg., XXIII, 2.)

Au nom de tous les apôtres, saint Pierre déclare que jamais la prophétie n'est venue de la volonté humaine. « Mais, dit-il, c'est inspirés du Saint-Esprit que les saints hommes de Dieu ont parlé. » (II Petr., I, 21.) Par l'organe de saint Chrysostome et de saint Jérôme, tous les Pères grecs et latins ajoutent: « C'est un fait admis de tous que le Saint-Esprit fut donné aux prophètes... Que personne n'imagine qu'un autre Saint-Esprit fut donné aux saints antérieurs à la venue du Messie, et un autre aux apôtres et aux disciples du Seigneur. » (In interpret. Didym. De Spirit. Sanct., p. 495.) Enfin, dans sa profession de foi, l'Église chante, d'un bout du monde à l'autre, le Saint-Esprit qui a parlé par les prophètes, qui locutus est per prophetas.

Pourquoi l'inspiration des prophètes est-elle attribuée au Saint-Esprit, et non au Père, le principe des lumières, Pater luminum; ou au Fils, la sagesse éternelle, sapientia Dei? C'est ici le lieu de résoudre une question qui se présente naturellement à l'esprit. Rappelons

128 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

d'abord, avec saint Léon, que la majesté du Saint-Esprit n'est jamais séparée de la toute-puissance du Père et du Fils; et que tout ce que la sagesse divine fait dans le gouvernement de l'univers est l'œuvre de la Trinité tout entière.

« Si le Père ou le Fils ou le Saint-Esprit, ajoute le grand docteur, fait quelque chose qui lui soit propre, on doit l'attribuer à la nécessité de notre salut. La sainte Trinité s'est partagée l'œuvre de notre rédemption. Le Père a dû être apaisé, le Fils apaiser et le Saint-Esprit sanctifier. De plus, en nous donnant certains faits ou certaines paroles sous le nom du Père ou du Fils ou du Saint-Esprit, l'Écriture veut préserver d'erreur la foi des chrétiens. En effet, la Trinité étant inséparable, jamais nous ne comprendrions qu'elle est Trinité, si elle était toujours nommée sans distinction des personnes. »

Cela posé, voici la raison fondamentale pour laquelle l'inspiration prophétique est attribuée au Saint-Esprit. Quel est le but de toutes les prophéties de l'Ancien Testament? C'est d'annoncer le Nouveau. Qu'est-ce que le Nouveau Testament? C'est l'incarnation du Verbe et la formation de l'Église. Qu'est-ce que l'incarnation du Verbe et la formation de l'Église? L'oeuvre par excellence de l'amour divin. Le Saint-Esprit est l'amour divin en personne. C'est donc à juste titre qu'on lui attribue

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 129

l'incarnation du Verbe et la formation de l'Église (Conceptus de Spiritu saucto. Credo in Spiritum sanctum, sanctam Ecclesiam. S. Th., III p., q. 31, art. I, 6, et ad 1.)

Les prophéties sont l'annonce et la préparation de l'une et de l'autre. Quoi de plus rationnel que de les attribuer au Saint-Esprit ? Serait-il même possible de concevoir qu'étant chargé de la fin, il ne fût pas chargé des moyens? Ainsi, les paroles et les actions inspirées des prophètes sont l'oeuvre du Saint-Esprit; et, comme nous l'avons remarqué, elles forment dans l'ancien monde le double prélude des merveilles analogues, mais bien plus grandes, qu'il devait accomplir dans la plénitude des temps.

Écoutons les interprètes et les docteurs: « Pendant de longs siècles, disent-ils, le Saint-Esprit s'essaye à la formation du Verbe incarné; chaque prophète, chaque action prophétique, en est un linéament, une esquisse. Quel autre que lui dans Isaac porte le bois de son sacrifice? Quel autre que lui dans le bélier embarrassé par les épines est offert en holocauste? Quel autre que lui dans l'ange qui lutte avec Jacob, et dont il bénit la postérité demeurée fidèle? C'est lui qui est Josué introduisant le peuple dans la terre promise ; Samson tuant le lion, et qui va chercher une épouse étrangère, figure de l'église des Gentils.

« Qui est Jahel, femme pleine de confiance, qui tue Sisara général des armées de Jabin, en lui enfonçant dans la tempe le clou de sa tente ? C'est l'Église, qui, armée de la croix, écrase le démon et ruine son empire. Qu'est-ce que la toison couverte de rosée sur la terre sèche, puis la toison sèche sur la terre humide ? Le Messie, caché d'abord dans le mystère de la loi judaïque, tandis

130 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

que le reste du monde demeure comme une terre sans eau; puis, le monde possédant la divine rosée dont le Juif s'est rendu indigne. Qu'est-ce qu'Élie, multipliant la farine et l'huile de la pauvre veuve, ou Élisée ressuscitant un mort? Le Christ futur. Ainsi, l'Ancien Testament est la semaille; le Nouveau, la moisson; et l'un comme l'autre est l'oeuvre du Saint-Esprit. » (Corn. a Lap., Prom. in Proph. – S. Aug., lib. XII, contra Faust., c. xxvI, xxxi, xxxii, xxxv. - Satores fuerunt Prophetae, messores Apostoli. S. Chrys., homil. xxxiv, in Joan., 4.)

A cette ébauche, si l'on ajoute mille traits faciles à recueillir, nous aurons le tableau de l'action du Saint-Esprit sur le monde angélique, sur le monde physique et sur le monde moral, pendant toute la durée de l'ancienne alliance. Loin d'être inactif au sein de l'éternité le Saint-Esprit nous apparaîtra comme le principe toujours agissant dans la création, et comme le préparateur infatigable de l'Alpha et de l'Oméga des œuvres divines : Jésus-Christ et l'Église. Il est temps de nous occuper de ces deux merveilles constitutives de la Cité du bien.

CHAPITRE XI. LE SAINT-ESPRIT DANS LE NOUVEAU TESTAMENT, PREMIÈRE CRÉATION. Action du Saint-Esprit continuée dans le Nouveau Testament. - Passages de Saint Basile et de saint Léon. - Quatre grandes créations du Saint-Esprit : la sainte Vierge, le Verbe incarné, l'Église, le Chrétien. - Marie résumant en elle toutes les gloires des femmes de l'Ancien Testament et toutes les perfections des saints. - Marie, océan de grâces : doctrine de saint Thomas. - Beauté corporelle de la sainte Vierge. - Marie formée par le Saint-Esprit et pourquoi. - Histoire de cette formation. - Concours des trois personnes de la sainte Trinité. - Beau commentaire du père d'Argentan.

Reliant l'action incessante et universelle du Saint-Esprit dans l'ancien monde, à son action également incessante et universelle dans le monde nouveau, deux grands docteurs, l'un de l'Orient, l'autre de l'Occident, s'expriment avec une précision qui porte dans l'âme, avide de la vérité, la lumière et la joie. « C'est au Saint-Esprit, dit saint Basile, que toutes les créatures du ciel et de, la terre doivent leur perfection. Quant à l'homme, toutes les dispositions bienveillantes du Père et du Verbe Sauveur, qui peut nier qu'elles n'aient été réalisées par le Saint-Esprit? Que vous considériez les temps anciens, les bénédictions des patriarches, la promulgation de la loi, les figures, les prophéties, les exploits militaires, les miracles des anciens justes, ou que vous regardiez tout ce qui concerne l'avènement -du Sei-

132 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

gneur dans la chair : tout a été fait par le SaintEsprit. » (Lib. de Spir. sanct'., CXVI, n. 39.)

Saint Léon n'est pas moins explicite. « Il n'en faut pas douter, écrit l'immortel Pontife: si au jour de la Pentecôte l'Esprit-Saint a rempli les apôtres, ce ne fut pas le commencement de ses bienfaits, mais une augmentation de libéralité. Les patriarches, les prophètes, les prêtres, tous les saints qui vécurent dans les anciens temps, durent au même Saint-Esprit la sève sanctifiante qui fit leur force et leur gloire. Sans sa grâce, jamais signes sacrés ne furent établis, jamais mystères célébrés ; en sorte que la source des bienfaits fut toujours la même, bien que différente dans la mesure de ses dons. » (Serm. II de Pentecost.)

Or, les effusions partielles du Saint-Esprit sur les hommes et sur les femmes illustres de l'ancienne loi, sur la synagogue, sur le simple Juif lui-même, devaient aboutir dans la suite des temps à une effusion complète, - manifestée par quatre grandes créations: la Sainte Vierge, Notre-Seigneur, l'Église et le Chrétien.

Première création du Saint-Esprit dans le Nouveau Testament, la Sainte Vierge. – Dieu a parlé à l'homme, et parlé pouf l'instruire. Sa parole n'est donc pas, elle ne peut pas être un livre scellé. De là, l'indispensable nécessité d'une interprétation authentique. Cette interprétation ne se trouve nulle part, ou elle est dans la tradition universelle de la synagogue et de l'Église.

Cette tradition nous dit que toutes les femmes illustres

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 133

de l'Ancien Testament sont des ébauches, des esquisses, des figures de la femme par excellence, Marie. Les dons qu'elles ne possédèrent qu'en partie et transitoirement, Marie les possède dans leur plénitude et d'une manière permanente.

Comme les différents cours d'eau qui arrosent la terre viennent se perdre dans l'océan : toutes les effusions partielles du Saint-Esprit, sur les femmes de la Bible, se donnent un rendez-vous dans la femme de l'Évangile, pour créer l'incomparable merveille de son sexe, la Vierge mère, Marie.

Ainsi qu'on voit la rose poindre dans le bouton, nous voyons Marie poindre dans Ève, la mère des vivants, l'irréconciliable ennemie du serpent dont elle écrasera la tête. Elle resplendit dans Rébecca, jeune vierge modeste, naïve, belle et pudique, recherchée entre toutes par le vénérable Abraham, pour le fils de, sa tendresse, Isaac. Tous les siècles l'admirent dans la courageuse Judith, qui, au péril de sa vie, tue le cruel Holopherne, et sauve sa patrie. Esther présente un reflet de son incomparable beauté, de sa puissance sur le cœur du grand Roi, de sa compassion pour les malheureux. Salomon la chante avec tous ses attraits, toutes ses vertus, tous ses bienfaits, dans l'épouse immaculée du Cantique des Cantiques.

Tous ces dons épars sont réunis dans Marie ; mais ce n'est pas assez. Placée par le Saint-Esprit entre le monde ancien et le monde nouveau, elle est comme un océan dans lequel viennent se confondre toutes les merveilles des deux Testaments. « Tous les fleuves, dit le Docteur séraphique, entrent dans la mer et la mer ne déborde pas: ainsi, toutes les qualités des saints se donnent

134 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

rendez-vous dans Marie. Le fleuve de la grâce des anges entre dans Marie. Le fleuve de la grâce des patriarches et des prophètes entre dans Marie. Le fleuve de la grâce des apôtres entre dans Marie. Le fleuve de la grâce des martyrs entre dans Marie. Le fleuve de la grâce des confesseurs entre dans Marie : tous les fleuves entrent dans cette mer et cette mer ne déborde pas. Qu'y a-t-il d'étonnant que toute grâce coule dans Marie, puisque toute grâce découle de Marie? » (In Specul. B. M. V., post Med.)

Quel est cet océan ? Cet océan sans limites et sans fond se compose de toutes les richesses de la nature et de la grâce, de toutes les vertus théologales et cardinales, de tous les dons du Saint-Esprit et de toutes les grâces gratuites, dans un degré superéminent. « Le Verbe incarné, dit saint Thomas, posséda dans sa perfection la plénitude de la grâce ; mais elle fut commencée dans Marie. » (III p., q. 28, art. 3, ad 2.)

Quant aux grâces gratuites, c'est-à-dire qui sont données pour l'utilité des autres, afin de travailler à leur salut, soit en opérant leur conversion, soit en assurant leur persévérance, voulons-nous connaître, sous ce rapport, les richesses de Marie? Écoutons saint Paul spécifiant les neuf espèces de grâces gratuites, distribuées aux différents membres de l'Église. « Les uns, dit-il, reçoivent l'esprit de sagesse; les autres, l'esprit de science; les autres, le don de la foi; les autres, la grâce de

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 135

rendre la santé aux malades; les autres, de faire des miracles; quelques-uns, le don de prophétie; les autres, le discernement des esprits; les autres, le don des langues, et les autres, l'intelligence pour interpréter aisément les Écritures. » (I Cor., XII, 8.) Posséder une seule de ces grâces insignes suffit pour être éminent dans l'Église.

Or, saint Thomas, suivi de la théologie catholique, enseigne que Marie les avait toutes, en habitudes ou en actes. « Il ne faut pas douter, dit-il, que la bienheureuse Vierge n'ait reçu excellemment le don de sagesse et des miracles, ainsi que l'esprit de prophétie. Toutefois elle n'a pas reçu l'usage de toutes les grâces gratuites c'est le privilège exclusif du Verbe incarné. Elle a exercé celles qui étaient convenables à sa condition. Ainsi, elle a reçu le don de sagesse, pour s'élever à de sublimes contemplations; mais elle n'en a pas eu l'usage pour prêcher publiquement l'Évangile, parce qu'il n'était pas convenable à son sexe.

« Elle possédait vraiment le don des miracles; mais elle n'en à pas eu l'usage, surtout pendant que son Fils lui-même prêchait l'Évangile. Il était convenable, en effet, que pour confirmer sa doctrine, lui seul fît des miracles, en personne ou par ses organes accrédités, les disciples et les apôtres. De là vient ce qui est écrit de Jean-Baptiste lui-même, qu'il n'a fait aucun miracle. Il en devait être ainsi, afin que l'attention du peuple ne fût point partagée entre plusieurs, mais que tous les yeux fussent tournés vers le Verbe divin. Quant au don de prophétie, Marie en a fait usage dans son immortel cantique. » (III p., q. 27, art. 5, ad 3.)

136 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Comme les rayons du soleil colorent, en le traversant, un nuage diaphane; les beautés intérieures de la fille du Roi rayonnaient sur son corps virginal et lui donnaient une grâce incomparable. Marie fut plus belle que Rachel, plus belle que Rébecca, plus belle que Judith, plus belle qu'Esther, plus belle que toutes les beautés de l'ancien monde. De même que Notre-Seigneur fut le plus beau des fils des hommes, Marie fut la plus belle des filles des hommes. Type parfait de la beauté morale, elle fut le type également parfait de la beauté physique.

Par qui a été formé cet océan de perfections? Par le Saint-Esprit. Marie est ce que nous venons de dire, et mille fois plus encore, parce que, de toutes les créatures du ciel et de la terre, des temps passés et des siècles futurs, elle est la seule en qui la troisième personne de l'auguste Trinité soit survenue avec la plénitude de ses dons. Si vous demandez dans quel but le Saint-Esprit s'est ainsi reposé en Marie, les anges et les hommes répondent : Parce que Marie devait être son épouse, la mère du Verbe incarné, la base de la Cité du bien, la femme par excellence, mère d'une lignée perpétuelle de femmes héroïques.

Méditons le Fiat créateur de Marie. « L'ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée, appelée

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 137

Nazareth, à une vierge, mariée à un homme, nommé Joseph, de la maison de David; et le nom de cette vierge était Marie. Et l'ange, venant vers elle, dit : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous; vous êtes bénie entre les femmes. » (Luc., I, 28.)

Remarquons-le bien, l'ange ne dit pas : Vous serez pleine de grâce, mais : Vous êtes pleine de grâce et bénie par-dessus toutes les femmes. Les perfections ineffables de Marie ne datent pas de la visite du céleste ambassadeur. Ce n'est pas à lui qu'elle les doit; elle les possède sans lui et avant lui.

Après s'être exercé, comme en se jouant, à mille préludes, le divin architecte avait, en créant Marie, construit son vivant sanctuaire. Dès le premier instant de son existence, il avait orné sa future épouse de la plénitude de la grâce. Objet de ses complaisances infinies, elle était sa colombe, unique, toute belle, sans tache, ni ombre de tache, blanche comme le lis, gracieuse comme la rose, brillante comme le saphir, transparente comme le diamant. Telle était Marie au moment de la visite de l'ange; telle elle avait toujours été. Jamais, ni à sa conception, ni à sa naissance, ni pendant sa vie, le souffle impur du prince de la Cité du mal n'avait effleuré celle qui devait lui écraser la tête.

Nous n'avons plus à prouver la possession plénière et perpétuelle de la grâce par Marie, depuis que l'Église, résumant la croyance universelle des siècles, a formulé en dogme de foi la Conception Immaculée de l'épouse du Saint-Esprit. Il nous reste seulement à dire avec

138 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

l'ange, dans les transports de la reconnaissance et de la foi: Je vous salue, pleine de grâce : Ave gratia plena.

Reprenons l'histoire de cette création, bien plus merveilleuse que celle du ciel et de la terre. Gabriel ajoute : « Ne craignez point, Marie; vous concevrez en votre sein et vous enfanterez un fils. Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous s'appellera le Fils de Dieu. » (Luc., I, 29.)

La langue des anges serait impuissante à expliquer ces profonds mystères : que peut la langue de l'homme? La première chose qui frappe dans le message angélique, c'est la parole : Ne craignez point, Marie. Quel en est le sens et la raison? « Vous venez d'entendre, répond un Père de l'Église, que par un incompréhensible mystère, Dieu et l'homme seront mis dans un même corps, et que la fragile nature de notre chair doit porter toute la gloire de la divinité. De peur que dans Marie le grain de sable de notre corps ne fût écrasé sous le poids immense du céleste édifice, et que Marie, tige délicate, destinée à porter le fruit de tout le genre humain, ne fût brisée, l'ange commence par bannir toute crainte en disant : Ne craignez point, Marie. » (S. Pet. Chrys., Serm. CXLII, De Annunciat.)

Pourquoi la jeune vierge de Juda doit-elle être sans crainte? L'ange s'empresse de le dire en lui annonçant le concours des trois personnes de la Trinité. Le Père paraît comme soutien, le Saint-Esprit comme époux, le Verbe comme fils. Pourquoi ce concours si expressément indiqué? Les interprètes répondent : « Jusqu'à Marie, les illustres filles de Juda avaient reçu le Saint

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 139

Esprit partiellement, pour une mission particulière : la Vierge-Épouse doit recevoir du Saint-Esprit toute la substance du Verbe éternel, le Verbe lui-même en personne, le Créateur des mondes. Gabriel connaît le poids écrasant du miracle. Aussi il ne se contente pas de dire : Le Saint-Esprit surviendra en vous, il s'empresse d'ajouter : Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Elle le fera d'une manière ineffable, afin que vous puissiez soutenir le poids de votre conception. Que devait en effet concevoir cette jeune vierge, deux fois fragile par son sexe et par sa condition mortelle? Le Tout-puissant, Verbe de Dieu, la solide substance de l'Éternel, découlée de la pure substance de Dieu le Père, et dont le seul aspect fait trembler les anges. Il est donc bien dit: Vous serez soutenue par la vertu du Très-Haut: vertu puissante en miracles, seule capable d'associer la substance d'une femme au Verbe Dieu. » (Rupert., De Trinit. et oper. ejus, lib. XLII, De Spir. sanct., lib. I, c. IX.)

Un savant panégyriste de la Sainte Vierge, le père d'Argentan donne une nouvelle raison de ce concours empressé. Rappelant le mot de saint Hésychius de Jérusalem, qui dit qu' en Marie était le complément de toute la Trinité (Ser., de S. Maria Deip.)

140 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

il écrit le commentaire suivant: « Il est vrai, en quelque façon, que Marie donne aux trois personnes de l'adorable Trinité un certain complément de perfection, qu'elles n'auraient jamais eu sans elle et qui va du moins à la gloire extérieure de Dieu.

« Commençons par le Père. On ne peut pas douter qu'il ne possède la perfection infinie de la divine paternité, puisqu'il communique tout son être à son fils unique. Mais ce Fils, lui étant égal en toute chose, ne peut lui rendre aucun des devoirs de la piété filiale, service, obéissance, respect. Ne semble-t-il pas, selon nos faibles idées, que ce serait un complément d'honneur pour le Père, si ce même Fils, demeurant toujours dans la possession de la majesté infinie, lui obéissait et lui rendait de profonds hommages? Se voir adoré par un Dieu aussi grand que lui, quelle gloire! Qui la procure au Père? Marie. Le Père qui voit avant tous les siècles son fils naître de son sein, son égal, le voit dans le temps naître du sein de Marie, son inférieur, tellement dévoué et tellement soumis, qu'il lui donnera sa propre vie, sur une croix. Peut-on nier qu'à l'égard du Père, l'auguste Vierge ne soit le complément de la Trinité : universum Trinitatis complementum ?

« Quant au Fils, même raisonnement. Éternellement il possède toutes les perfections, puisqu'il est Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu. Mais ce Verbe éternel de Dieu demeure caché dans le sein de Celui qui l'a produit. Or, cette parole vivante de Dieu est, comme celle de l'homme, susceptible de deux naissances: l'une intérieure, l'autre extérieure. La première a lieu lorsque notre esprit conçoit une pensée qu'il garde en lui-même. C'est ce que saint Athanase appelle le

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 1.411

verbe ou la parole de l'entendement, verbum mentis. La seconde se fait lorsque, au moyen d'une parole sensible, nous produisons au dehors notre pensée. Cette parole extérieure, seconde naissance de l'intérieure, lui donne son complément.

« Ainsi de la Parole éternelle. Née dans le sein du Père, elle était en lui avant tous les siècles. Nul ne la connaissait, mais elle était capable d'une seconde naissance qui l'exposât au dehors et la rendît sensible. Selon notre manière de comprendre, cette seconde naissance lui donnait son dernier complément. Or, Marie a été la bouche par laquelle le Père a produit son Verbe au dehors. C'est elle qui lui a donné un corps, et l'a rendu visible et sensible. Elle peut donc être, nommée, à l'égard du Fils aussi bien qu'à l'égard du Père, le complément de, la Trinité : universum Trinitatis complementum.

« La chose est encore plus palpable à l'égard du Saint-Esprit. Dieu, il possède toutes les perfections, toute la bonté, toute la fécondité qui est dans le Père et dans le Fils. La fécondité du Père paraît dans la génération éternelle de son Fils unique; la fécondité du Père et du Fils éclate dans la production du Saint-Esprit. Seule, cette troisième personne, aussi riche en fécondité que les deux autres, demeure stérile, lui étant impossible de produire une quatrième personne de la Trinité. Marie fera disparaître cette infériorité apparente. Grâce à elle, le Saint-Esprit deviendra fécond: il produira un Dieu-Homme ou un homme-Dieu, chef-d'oeuvre de puissance et d'amour. Ne semble-t-il pas qu'en cela l'auguste Vierge lui donne un surcroît de gloire, et qu'une troisième fois elle mérite d'être appelée le

142 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

complément de toute la Trinité : universum Trinitatis complementum? » (Grandeurs de la Sainte Vierge, c. I, § 3.)

Nous verrons bientôt ce que produira dans Marie elle-même le concours empressé des trois personnes divines.

CHAPITRE XII. (SUITE DU PRÉCÉDENT.) Marie créée pour être l'épouse du Saint-Esprit. - Demande en mariage. - Consentement de la Sainte Vierge. - Marie créée pour être la mère du Verbe. - Mystère de l'Incarnation. - Explication des paroles de l'ange. - Marie créée pour être la base de la Cité du bien. Pourquoi Notre-Seigneur ne la conduit pas au ciel avec lui. - Marie nourrice de l'Église, - institutrice des apôtres, - force des martyrs, -consolation des fidèles. - Après sa mort, Marie continue sa mission. - Deux têtes de Satan : l'idolâtrie et l'hérésie. - Marie les écrase. - Guerre de Satan contre Marie.

Marie est créée, créée par le Saint-Esprit (B. Albert. magn., apud Dionys. Carth., De laudib. Virg., lib. I, c. XIII; créée chef-d'œuvre unique de la Puissance infinie. « Vers vous, lui crie saint Bernard, comme vers l'arche de Dieu, comme vers la cause et le centre des événements, comme vers l'affaire de tous les siècles, negotium omnium saeculorum, tournent leurs regards et les habitants des cieux et les habitants de la terre, et ceux qui nous ont précédés, et nous qui passons, et ceux qui nous suivront, et les enfants de leurs enfants. Toute la création fixe les yeux sur vous, et c'est avec raison. De vous, en vous, par vous, la main bienfaisante du Tout-Puissant a régénéré tout ce qu'elle avait créé. » (Merito in te respiciunt oculi omnis creaturae, quia in te, et per te et de te benigna manus Omnipotentis quidquid creaverat, recreavit. Ser. II, de Pentecost.)

144 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

Le Créateur lui-même contemple son ouvrage avec des complaisances infinies. Marie est créée pour être l'épouse du Saint-Esprit et la mère du Verbe. Le mariage suppose le libre consentement des parties: voyons de quelle manière est sollicité celui de l'auguste vierge. Les trois personnes de la sainte Trinité envoient un ambassadeur, chargé de la demander en mariage. Étonnée de tant d'honneur, Marie se trouble ; mais elle fait ses conditions et traite avec Dieu même d'égale à égal. Je consentirai, dit-elle, à la condition de conserver intact le lis de ma virginité. Ainsi, une jeune fille de douze ans tient en ses mains le salut du monde. De sa volonté dépend l'accomplissement de l'oeuvre à laquelle se rapportent, dès l'éternité, tous les divins conseils.

L'auguste Trinité paraît en suppliante devant Marie. Ineffable démarche! qui contient toute une révolution morale. La femme, jusqu'alors l'être le plus abject, devient tout d'un coup l'être le plus respecté. Le genre humain aura-t-il un Sauveur? La réponse d'une femme en décidera. Marie réfléchit. En acceptant le double titre d'épouse du Saint-Esprit et de mère du Verbe, elle sait qu'elle accepte celui de reine des martyrs. Devant ses yeux se déroule une longue suite de sanglantes et lugubres images: la crèche, la croix, le calvaire, seront pour elle, car ils seront pour son fils.

« Consentez, consentez, lui crie saint Augustin, ne retardez pas le salut du monde. L'ange vous a donné sa parole, vous resterez vierge, et vous serez mère; vous aurez un fils, et votre virginité ne souffrira aucun dommage. Heureuse Marie! tout le genre humain captif vous supplie de consentir. Le monde vous établit auprès de Dieu l'otage de sa foi. Ne tardez pas; répondez un mot

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 145

à l'ambassadeur ; consentez à devenir mère, engagez votre foi, et vous connaîtrez la vertu du Tout-Puissant.

Marie a incliné doucement sa tête virginale. Elle a dit Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait suivant votre parole. Elle est épouse, elle est mère ; et sa couronne nuptiale est une couronne d'épines, et ses joies maternelles sont le commencement d'un long martyre. En attendant, le monde est sauvé, sauvé par une femme ; et l'anathème, quarante fois séculaire, qui pesait sur la femme est levé pour toujours, car la femme désormais paraît à la tête de tout bien.

Cependant le Saint-Esprit est survenu dans Marie, et l'être saint qui naîtra d'elle sera appelé le Fils de Dieu. Pourquoi le Fils de Dieu, et non le Fils du Saint-Esprit ? Parla bouche des docteurs, la foi catholique répond : Il ne sera pas appelé et il ne sera pas le Fils du Saint-Esprit, parce qu'il ne sera pas formé de la substance du Saint-Esprit. Sa chair sera la chair de Marie, et Marie sera sa mère; mais, sa chair n'étant pas formée de la substance du Saint-Esprit, le Saint-Esprit ne sera pas son père.

Remarquons la précision merveilleuse du langage divin. L'ange ne dit pas: Il sera appelé, ou: Il sera saint; mais il dit: L'être saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. En effet, celui que Marie conçoit était depuis longtemps; il était saint par essence et Fils de Dieu. Il restait donc à l'appeler ce qu'il était, et en l'appelant à manifester qu'il était Fils de Dieu, non par adoption, mais par nature.

146 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

« L'ange ne dit pas : Le saint qui naîtra de vous, mais : La chose sainte, l'être saint qui naîtra de vous. Pourquoi? Parce qu'un grand nombre sont appelés saints ou sanctifiés, mais il n'y a qu'une chose sainte, un être saint, la sainteté même, d'où émane celle de tous les saints. Cet être saint est le saint des saints, le Fils de Marie. Étranger à la prévarication d'Adam, conçu par l'opération du Saint-Esprit, né d'une vierge sans tache, il n'a eu besoin, ni à sa conception, ni à sa naissance, d'une sanctification accidentelle, mais il est saint par essence et la sainteté même. » (Rupert., De Spir. sanct. lib. 1, c. x.)

Voilà donc la jeune vierge de Juda, devenue l'épouse du Saint-Esprit, la mère du Verbe, la parente de toute la Trinité, consanguinea Trinitatis. Tant de gloire n'est pas pour elle seule. Comme Ève et Adam furent les bases de la Cité du mal, Marie et son Fils seront les bases de la Cité du bien, élevée sur la terre à sa plus grande perfection. Connue dans le monde entier sous le nom incommunicable d'Église catholique, cette glorieuse cité reconnaît Marie pour sa mère et sa maîtresse. Aux Chinois; aux Thibétains, aux sauvages d'aujourd'hui, comme aux Grecs et aux barbares d'autrefois, qui lui demandent son origine, elle répond : Je, suis fille du Verbe éternel conçu du Saint-Esprit et né de la vierge Marie : conceptus de Spiritu sancto, natus ex Maria virgine.

Mère et maîtresse de l'Église, cette prérogative de

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 147

Marie explique un mystère autrement inexplicable. Quand on connaît l'affection réciproque de Jésus et de Marie, on se demande avec étonnement pourquoi le Sauveur montant au ciel n'y conduit pas avec lui sa mère bien-aimée? Plus que personne n'avait-elle pas partagé ses travaux, ses humiliations et ses souffrances? Qui donc méritait mieux d'être associée à ses gloires et à ses joies? Pendant que lui-même, le meilleur des fils, va jouir d'un bonheur sans mélange et sans fin, pourquoi laisse-t-il la plus tendre des mères dans les tristesses de l'exil? Les Justes de l'Ancien Testament, qui forment son cortège, sont-ils de meilleure condition que Marie? Leurs désirs du ciel, plus vifs que les siens? Le bon larron lui-même monte au ciel, et Marie reste sur la terre! Quel est le mystère d'une semblable conduite?

En retournant à son Père, Notre-Seigneur laissait l'Église au berceau. Petite et tendre enfant, elle avait besoin de lait et de soins maternels : il lui donne sa mère pour nourrice, ecce Filius tuus. Toujours dévouée, Marie accepte cette fonction qui prolongera son exil, et s'en acquitte avec une sollicitude ineffable. De ses prières, de ses exemples, de ses leçons, elle nourrit la jeune épouse de son fils, comme elle avait nourri de son lait virginal l'époux de l'Église, pendant qu'il était enfant.

Ainsi que dans une maison, en l'absence ou après la mort du père, la mère prend soin de la famille et en fait les affaires; de même, le chef de l'Église ayant cessé d'être visiblement présent au milieu d'elle, c'est Marie qui le remplace (Corn a Lap., in Act., V, 42.). Voilà pourquoi les apôtres et

148 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.

les disciples l'entourent de leurs respects et de leur obéissance filiale. Cette mission de Marie explique sa présence au Cénacle avec les apôtres et ses prières continuelles pour leur obtenir le Saint-Esprit (Per Mariae suspiria et orationes, repleti sunt apostoli Spiritu sancto. Dionys. Carthus., lib. IV, De praecon. B. M. V.)

Elle explique la fidélité des apôtres à la consulter dans les affaires importantes. Possédant à elle seule plus de grâces et de lumières que tout le collège apostolique, lorsque les organes du Verbe ont besoin d'un supplément d'instruction, ou d'un témoignage pour confirmer l'interprétation des Écritures, ils ont recours à celle qui, pendant neuf mois, fut le siège vivant de la sagesse, Sedes sapientie. Delà vient que saint Bonaventure appelle Marie la maîtresse des maîtres, la maîtresse des Évangélistes (S. Bonav., in Psalt. Mar.)

Les beaux jours de la primitive Église nous la montrent dans l'exercice plénier de cette prérogative. Sa parole souveraine éclaircit tous les doutes, son autorité maternelle ramène toutes les divergences à l'unité. C'est elle qui, au concile de Jérusalem, tranche la question des observances légales : question délicate, vivement discutée, cause de troubles sérieux pour l'Église naissante, et qui même un instant, avait divisé Paul et Céphas. « Non pas, dit Rupert, que Marie ait présidé le concile ; une pareille fonction ne convenait

TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT. 149

pas à une femme, mais elle en avait dicté les décrets'. » (In Cant. Lib. I; et Corn. a Lap., in Act., xv, 13.)

C'est elle qui, avant la dispersion des apôtres, ouvre sa bouche au milieu de l'assemblée des Saints et envoie, comme la rosée, les paroles de sa sagesse pour éclairer les princes de l'Église (Eccl., xv, 5. – Ps., CIV, 21.) Comment les apôtres et les disciples auraient-ils pu connaître, si la sainte Vierge ne les en avait instruits, les mystères de la sainte enfance et de la vie cachée de Notre-Seigneur ? Quelle autre que la divine Mère pouvait leur raconter l'annonce du Précurseur, la visite de Gabriel et son entretien avec Marie, la visite à sainte Élisabeth, la sanctification de Jean-Baptiste dans le sein de sa mère, le cantique virginal, la naissance admirable de Jean-Baptiste et le cantique de Zacharie, la naissance du Sauveur, sa circoncision, sa, présentation au Temple, le cantique et la prophétie de Siméon, l'arrivée des mages, la fuite en Égypte, le retour à Nazareth, l'enseignement de Jésus au Temple, sa soumission à ses parents et une foule d'autres particularités ?

Où étaient les témoins de ces mystères, accomplis la plupart dans le secret de la vie domestique? Qui les connaissait comme Marie ? Elle seule pouvait les apprendre aux apôtres. Ceux-ci, à leur tour, en ont instruit le genre humain, en consignant dans l'Évangile le récit de l'auguste Mère. Saint Luc en particulier s'attache à décrire les premières circonstances de l'incarnation du

150 TRAITÉ DU SAINT-ESPRIT.